SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL

1. Procès-verbal (p. 1).

2. Dépôt d'un rapport du Gouvernement (p. 2).

3. Questions orales (p. 3).

PUBLICATION DES DÉCRETS D'APPLICATION

DE LA LOI POUR L'INITIATIVE ÉCONOMIQUE (p. 4)

Question de M. Paul Blanc. - MM. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation ; Paul Blanc.

RÉGLEMENTATION APPLICABLE AUX INTÉRÊTS DE RETARD

DUS PAR LES MARCHANDS DE BIENS (p. 5)

Question de M. Roland du Luart. - MM. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation ; Roland du Luart.

SITUATION DE L'IMPRIMERIE DES TIMBRES-POSTE

ET DES VALEURS FIDUCIAIRES (p. 6)

Question de M. Bernard Cazeau. - MM. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation ; Bernard Cazeau.

ORGANISATION DE LA POSTE EN GIRONDE (p. 7)

Question de M. Philippe Madrelle. - MM. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation ; Philippe Madrelle.

RÉORGANISATION DU FRET SNCF (p. 8)

Question de M. Roland Courteau. - MM. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation ; Roland Courteau.

DROITS À LA RETRAITE

DES FEMMES FONCTIONNAIRES (p. 9)

Question de Mme Gisèle Gautier. - M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation ; Mme Gisèle Gautier.

CONTENTIEUX SUR LES CRÉATIONS D'OFFICINES

EN MILIEU RURAL (p. 10)

Question de M. Georges Mouly. - MM. Christian Jacob, ministre délégué à la famille ; Georges Mouly.

CRÉATION DE LA CHAÎNE INTERNATIONALE

D'INFORMATION (CII) (p. 11)

Question de Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille ; Mme Monique Cerisier-ben Guiga.

CIDEM ET LUTTE CONTRE L'ABSTENTION (p. 12)

Question de M. Alain Gournac. - MM. Christian Jacob, ministre délégué à la famille ; Alain Gournac.

SITUATION DES CENTRES DE CRISE PSYCHIATRIQUE

DE PROXIMITÉ (p. 13)

Question de Mme Hélène Luc. - M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille ; Mme Hélène Luc.

CARTE SCOLAIRE POUR 2004 (p. 14)

Question de M. Jean-Claude Peyronnet. - MM. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche ; Jean-Claude Peyronnet.

RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES

DANS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES PARISIENS (p. 15)

Question de Mme Nicole Borvo. - M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche ; Mme Nicole Borvo.

Suspension et reprise de la séance (p. 16)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

4. Candidature à une commission (p. 17).

5. Laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics. - Discussion d'un projet de loi (p. 18).

M. le président.

Discussion générale : MM. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche ; Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur ; Michel Mercier, Josselin de Rohan, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe Adnot, André Vallet, Serge Lagauche, Mmes Gisèle Gautier, Nelly Olin, MM. Ivan Renar, Bernard Seillier, Gérard Delfau, Pierre Mauroy, Joseph Kerguéris, Daniel Hoeffel.

6. Modification de l'ordre du jour (p. 19).

7. Nomination d'un membre d'une commission (p. 20).

Suspension et reprise de la séance (p. 21)

PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON

8. Laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics. - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 22).

Discussion générale (suite) : MM. Paul Vergès, Aymeri de Montesquiou, Robert Badinter, Yves Détraigne, Gérard Larcher, Paul Loridant, François Fortassin, René-Pierre Signé, Mme Anne-Marie Payet, M. Jean Chérioux, Mmes Annie David, Monique Cerisier-ben Guiga, M. Philippe Richert, Mme Marie-Claude Beaudeau, Mme Yolande Boyer, M. Michel Thiollière, Mme Marie-Christine Blandin.

Renvoi de la suite de la discussion.

9. Ordre du jour (p. 23).

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à onze heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DÉPÔT D'UN RAPPORT

DU GOUVERNEMENT

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport d'évaluation sur l'application des dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme contenues dans le chapitre V de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, établi en application de l'article 31 de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

3

QUESTIONS ORALES

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

PUBLICATION DES DÉCRETS D'APPLICATION DE LA LOI

POUR L'INITIATIVE ÉCONOMIQUE

M. le président. La parole est à M. Paul Blanc, auteur de la question n° 439, adressée à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation.

M. Paul Blanc. Monsieur le secrétaire d'Etat, la loi n° 2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, institue, par son article 6, un mécanisme de réduction d'impôt égal à 60 % du montant des dons effectués par des entreprises souhaitant s'impliquer dans leur environnement local, dans la limite de 5 de leur chiffre d'affaires, dons effectués à des organismes ayant notamment pour objet de participer à la création d'entreprise par des aides sans intérêt.

La loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l'initiative économique prévoit, par son article 40, l'extension de ce dispositif aux structures d'accompagnement qui doivent faire l'objet d'un agrément ministériel.

Ce texte de loi a suscité de nombreux projets, notamment dans la région Languedoc-Roussillon, et a mobilisé l'engagement citoyen de nombreuses entreprises. Ainsi, réseau régional d'accompagnement à la création d'entreprises, Plein Sud Entreprises, à Rivesaltes, a un objectif de 500 000 euros, dont près de la moitié sont potentiellement souscrits.

Or, pour être opérationnel, ce texte doit être complété par des décrets d'application ; ces derniers n'ont toujours pas été publiés à ce jour et l'attente est profondément démobilisatrice, tant pour les acteurs que pour les donateurs.

Serait-il possible de savoir dans quels délais on peut escompter la publication des décrets d'application de ce texte de loi, afin de prendre les mesures d'attente nécessaires ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Monsieur le sénateur, je suis comme vous extrêmement impatient de voir publiée au Journal officiel la totalité des décrets d'application de cette bonne loi, qui était attendue et qui commence à produire ses effets.

Bien souvent, ces décrets d'application sont de nature interministérielle et nécessitent en conséquence l'intervention de plusieurs ministères. Je « mets la pression », si vous me permettez l'expression, pour que ces décrets d'application puissent être publiés le plus vite possible. Dans l'intérêt d'une bonne administration de l'« après loi », il faut que le « service après vote » soit de qualité.

Je peux vous indiquer que d'ores et déjà ces décrets d'application ont été pour l'essentiel publiés au Journal officiel. Pour ceux dont la publication est encore à venir, votre question est tombée à point nommé, car elle m'a donné un motif supplémentaire pour appeler mes collègues à plus de célérité, puisque, visiblement, ces mesures sont attendues.

Dans votre région, en particulier, le nombre des créations d'entreprise a fortement augmenté, témoignant de la vitalité non seulement des Français lorsqu'ils entreprennent, mais également de tous les acteurs de l'accompagnement, auxquels j'apporte le plus ferme soutien. En effet, en Languedoc-Roussillon, 18 100 nouvelles entreprises ont été créées en 2003, contre 16 500 en 2002, soit une progression de 10 % ; sur l'ensemble de la France, nous avons dépassé 200 000 entreprises créées sur douze mois, ce qui est un record pour les quinze dernières années.

Je veillerai tout particulièrement à ce que les décrets d'application que vous avez évoqués, et qui sont importants, notamment en matière d'accompagnement et de soutien, soient publiés maintenant le plus rapidement possible.

M. le président. La parole est à M. Paul Blanc.

M. Paul Blanc. Monsieur le secrétaire d'Etat, il ne nous reste donc plus qu'à attendre ! (Sourires.)

Je suivrai très attentivement les prochaines publications au Journal officiel, édition des lois et décrets, en espérant que, avant la fin de ce mois, nous puissions créer, avec tous ceux qui le souhaitent, ces entreprises nouvelles dont notre pays a tant besoin. Ne nous y trompons pas, en effet, ce sont les entreprises qui créent les emplois !

RÉGLEMENTATION APPLICABLE AUX INTÉRÊTS

DE RETARD DUS PAR LES MARCHANDS DE BIENS

M. le président. La parole est à M. Roland du Luart, auteur de la question n° 416, adressée à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.

M. Roland du Luart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais tout d'abord insister sur les difficultés spécifiques rencontrées par les marchands de biens pour les sommes dues au titre de l'intérêt de retard.

En effet, les dispositions de l'article 1115 du code général des impôts prévoient une exonération des droits et taxes de mutation dus par les marchands de biens à condition qu'ils aient fait « connaître leur intention de revendre dans un délai de quatre ans ».

En cas d'impossibilité de revente dans ce délai, des redressements mis en recouvrement à leur encontre sont assortis d'une pénalité de 1 % du prix d'achat. Ils sont, en outre, soumis à de très lourds intérêts de retard, puisque ces intérêts - au taux excessivement élevé de 9 % par an - courent à compter de l'acte initial d'achat.

Cette situation pénalise plus particulièrement les travailleurs et les sociétés indépendants, puisque les professionnels rattachés au secteur de la banque et des assurances ont souvent recours, pour leur part, à des reventes entre structures proches pour ne pas être pénalisés par l'absence de revente dans le délai de quatre ans. Il y a donc, selon moi, distorsion de traitement.

Il faut notamment tenir compte des difficultés considérables que rencontrent les rares marchands de biens actifs au cours des trois dernières années de la crise immobilière, eux qui n'ont pas pu bénéficier de la baisse très importante des droits d'enregistrement.

Or l'article 35 de la loi de finances pour 2004 a étendu la possibilité pour l'administration d'opérer des remises gracieuses sur les sommes dues au titre de l'intérêt de retard.

Je souhaiterais savoir, monsieur le secrétaire d'Etat, si les marchands de biens peuvent bénéficier de remises gracieuses de la totalité des sommes dues au titre de l'intérêt de retard, à condition qu'ils aient payé les droits d'enregistrement pour le principal sur la base des anciens taux, beaucoup plus élevés.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Monsieur le sénateur, vous avez appelé l'attention du Gouvernement sur les difficultés spécifiques rencontrées par les marchands de biens et sur les conséquences fiscales qui résultent du non-respect de leur obligation de revente des biens dans les délais légaux.

Il convient de rappeler que les difficultés rencontrées par les marchands de biens pour respecter, lors de la crise immobilière observée au cours de la décennie passée, l'obligation de revendre des immeubles acquis avant le 1er janvier 1993 et placés sous le régime de l'article 1115 du code général des impôts ont déjà été prises en compte par le législateur, qui a accordé, à deux reprises, une prorogation générale des délais de revente en cours.

De même, à l'expiration de la seconde prorogation de délai, l'article 1840 G quinquies du même code a prévu une réduction des impositions exigibles pour les biens ayant bénéficié du report de délai jusqu'au 31 décembre 1998 et qui ont été revendus entre le 1er janvier 1999 et le 31 décembre 2001.

Par ailleurs, pour tenir compte du changement intervenu dans le taux des droits de mutation à titre onéreux, l'article 39 de la loi de finances pour 1999 a suspendu, pour une durée de six mois, l'application des règles de déchéance pour les immeubles dont le délai de revente expirait entre le 1er juillet et le 31 décembre 1998 et qui ont été revendus entre le 1er janvier et le 30 juin 1999 au tarif des immeubles autres que d'habitation.

En outre, à compter du 1er janvier 2002, l'administration a mis en place pour les marchands de biens n'ayant pas revendu un bien pour lequel l'engagement de revente était en cours au 1er janvier 1993, un dispositif permettant, en cas de déchéance, une neutralisation des périodes correspondant aux reports de délai adoptés en leur temps.

L'ensemble de ces dispositions a permis, dans la majorité des cas, de prendre en compte les aléas du marché et d'atténuer sensiblement les conséquences du non-respect de revente des biens dans les délais.

Enfin, plus généralement, l'article 35 de la loi de finances pour 2004 permet désormais la remise, modération et transaction gracieuse pour les sommes dues au titre de l'intérêt de retard. La faculté ainsi ouverte à l'administration d'atténuer les intérêts de retard légalement encourus doit lui permettre de concilier la situation du contribuable et l'intérêt de l'Etat. L'administration dispose donc, en la matière, d'un très large pouvoir d'appréciation. Ces nouvelles dispositions s'appliquent, bien entendu, aux procédures engagées à l'encontre des marchands de biens en cas de non-respect des obligations fixées à l'article 1115 du code général des impôts.

Ces précisions, que M. Alain Lambert m'a prié de vous transmettre, monsieur le sénateur, me paraissent de nature à répondre à vos préoccupations.

M. le président. La parole est à M. Roland du Luart.

M. Roland du Luart. Monsieur le secrétaire d'Etat, le large pouvoir d'appréciation accordé à l'administration par l'article 35 de la loi de finances pour 2004 permettra donc de trouver une solution aux difficultés particulières rencontrées par les marchands de biens indépendants. Je suis pleinement satisfait de cette réponse, et je vous en remercie.

SITUATION DE L'IMPRIMERIE DES TIMBRES-POSTE

ET DES VALEURS FIDUCIAIRES

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, auteur de la question n° 418, adressée à Mme la ministre déléguée à l'industrie.

M. Bernard Cazeau. J'ai souhaité attirer l'attention de Mme la ministre déléguée à l'industrie sur la situation de l'Imprimerie des timbres-poste et des valeurs fiduciaires, l'ITVF, située à Boulazac, en Dordogne.

Cette imprimerie maîtrise sur le même site, ce qui est unique en Europe, une grande diversité de technologies d'impression, associant les plus rares, comme la taille-douce, aux plus modernes, telles que l'offset, l'héliogravure ou le numérique. A ce parc exceptionnel s'ajoutent des équipements de clicheries adaptées dont une exclusivité mondiale, je veux parler de la gravure numérique en taille-douce.

L'établissement a, par ailleurs, une tradition de qualité qui lui vaut d'être certifié à la norme ISO depuis 1995. Enfin, l'imprimerie est dotée d'un système de protection anti-intrusion et d'une organisation interne de surveillance conforme aux règles R 8 de l'APSAD.

Cependant, cet établissement national est en train d'adapter son organisation et ses effectifs. Il le fait tout à la fois en fonction de son trafic, en baisse sensible et régulière, puisque l'on passe de 4,5 milliards de timbres-poste « Marianne » en 1995 à 2,8 milliards en 2003 ; en fonction de la rentabilisation des investissements réalisés, avec 4,5 millions d'euros par an en moyenne depuis 1995, ce qui, d'ailleurs, est nouveau en matière de rentabilisation du service public ; enfin, il le fait en fonction des impératifs de réduction des effectifs et du fonctionnement décrétés par La Poste à l'échelon national.

Au vu de ces difficultés, je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, connaître les dispositions que le Gouvernement entend prendre pour assurer les productions artistiques et de haute sécurité à l'imprimerie, notamment en ce qui concerne le marché des valeurs fiduciaires.

En outre, j'aimerais savoir quel retentissement auront sur les effectifs de l'imprimerie les impératifs nationaux de l'établissement La Poste.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Monsieur le sénateur, Mme Nicole Fontaine m'a chargé de vous transmettre la réponse suivante, s'agissant de la situation de l'Imprimerie des timbres-poste et des valeurs fiduciaires, l'ITVF, située près de Périgueux.

Nous avons tous présent à l'esprit que la poste française possède sa propre imprimerie de timbres-poste, alors que les autres postes ont souvent fait le choix de l'externalisation.

L'imprimerie de La Poste est devenue en quelques années une imprimerie de haute technologie et de haute sécurité qui maîtrise des techniques aussi variées que l'héliogravure, l'offset, le numérique et, bien entendu, la taille-douce.

Bien que l'activité se soit développée entre 1995 et 2003, avec un chiffre d'affaires passant de 42 millions d'euros à 76 millions d'euros, comme vous l'avez souligné, l'impression des timbres-poste « Marianne » est en baisse sensible, et le mouvement se poursuivra. De plus, l'ITVF n'imprime plus la vignette automobile française, qui a été supprimée ; elle a obtenu, en revanche, l'impression de celle de trois pays africains, le Sénégal, le Niger et le Maroc.

La Poste cherche donc à compenser cette baisse d'activité par trois activités nouvelles, en vue desquelles un investissement de près de 5 millions d'euros a été réalisé.

Il s'agit, tout d'abord, d'une spécialisation dans la technique de la taille-douce, maîtrisée seulement par deux autres imprimeries en France, ce qui a permis à l'ITVF d'imprimer une partie du passeport « Schengen » et du passeport français, en sous-traitance de l'Imprimerie nationale.

Il s'agit, ensuite, d'une activité de vente à distance, avec, notamment, l'approvisionnement en registres d'état civil des 36 000 communes.

Il s'agit, enfin, du lancement du timbre-poste personnalisé, qui devrait connaître un grand succès auprès des entreprises comme auprès des particuliers.

L'imprimerie de La Poste s'inscrit dans une démarche de développement durable, puisqu'elle est la seule imprimerie au monde à ne pas utiliser de matières polluantes ou dangereuses, grâce à une technique d'héliogravure à l'eau.

Dans le domaine des technologies d'impression de sécurité, l'ITVF a développé un savoir-faire reconnu en Europe pour pouvoir fabriquer des produits de sécurité répondant aux trois principes d'antivol, d'antiviolage et d'antiphotocopie. De plus, l'ITVF a appris à intégrer les cartes à puce dans un document sécurisé.

Pour compenser la baisse des activités traditionnelles, l'enjeu pour La Poste est de se positionner, dans le respect des règles de concurrence, sur de nouveaux marchés, dans le cadre d'appels d'offres nationaux ou européens, en particulier ceux qui sont liés à la nouvelle carte d'identité ou à la billetterie de sécurité dans les domaines du transport, de l'accès des spectacles, notamment.

Pour y parvenir, il appartient à La Poste de se faire référencer en tant que prestataire accrédité, notamment auprès de l'Imprimerie nationale.

Mme Nicole Fontaine sera heureuse de soutenir le président de La Poste dans ses démarches auprès des autres ministres susceptibles de recourir au savoir-faire de l'ITVF.

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.

M. Bernard Cazeau. Je prends acte des trois activités nouvelles que vous venez de détailler, monsieur le secrétaire d'Etat. Il faut effectivement faire évoluer cet établissement et lui donner les moyens de développer ses nombreuses compétences.

Permettez-moi cependant de me faire l'écho ici de l'inquiétude d'un certain nombre d'élus locaux, qui s'interrogent sur l'effet des futures réductions d'effectifs prévues au niveau national par La Poste : si l'on applique le « quota » national de 20 %, ce sont près de 120 emplois, sur les 600 actuels, qui disparaîtraient.

Nous devons être, à mon sens, extrêmement vigilants : il faut que le Gouvernement donne à La Poste les moyens de compenser les pertes enregistrées par le développement technologique.

ORGANISATION DE LA POSTE EN GIRONDE

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle, auteur de la question n° 422, adressée à Mme la ministre déléguée à l'industrie.

M. Philippe Madrelle. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous avons tous été destinataires, à la fin du mois de janvier dernier, d'un courrier signé de M. Jean-Paul Bailly, président du groupe La Poste, qui débutait par cette phrase : « La poste est le service public le plus connu et le plus proche des Français ; il contribue au maintien du lien social, à l'aménagement du territoire et à la lutte contre l'exclusion bancaire dans notre pays. »

Face à cette définition quelque peu idéalisée, vous me permettrez, monsieur le secrétaire d'Etat, de me faire ce matin, à cette tribune, le porte-parole de très nombreux maires du département de la Gironde inquiets quant à l'avenir du bureau de poste de leur commune.

De nombreux écrits et rapports parlementaires ont contribué à sensibiliser l'opinion publique sur l'avenir de La Poste. Le récent contrat de plan 2003-2007 signé entre l'Etat et La Poste suscite beaucoup d'interrogations.

Si les 27 et 28 janvier dernier, lors de l'examen par la Haute Assemblée du projet de loi d'orientation postale, un consensus s'est dégagé sur la nécessité de moderniser et d'adapter La Poste aux évolutions des modes de vie, nous ne devons pas oublier que La Poste, qui représente un réseau de proximité sans équivalent en Europe, ne doit pas être soumise aux maîtres mots de rentabilité et de mise en concurrence. La Poste doit rester un service public de proximité, jouant un rôle essentiel dans l'aménagement du territoire de notre pays.

Il ne se passe pas un jour, monsieur le secrétaire d'Etat, sans que je recoive un courrier d'un maire me faisant part de son inquiétude face aux menaces de disparition du bureau de poste de sa commune. Le quotidien régional Sud-Ouest se fait d'ailleurs régulièrement l'écho de ces menaces de fermeture. Une telle entreprise de démantèlement systématique du service public apparaît pour le moins paradoxale au moment où le Gouvernement multiplie les effets d'annonce sur l'importance du service public et où les collectivités locales, en particulier les conseils généraux, s'efforcent de maintenir les services publics en zone rurale.

En Gironde, la commune de Lagorce vient d'être amputée de son bureau de poste. Des « modifications » - c'est un bel euphémisme - sont prévues à Marcenais, Aubie-et-Espessas, Vérac, Périssac, Lapouyade, Les Peintures, Abzac, Nérigean, Saint-Quentin-de-Baron, Gornac, Saint-Pierre-d'Aurillac, Barie, Morizes, Hure, Saint-Vincent-de-Paul, Carignan, Saint-Seurin-de-Cadourne, Vertheuil - et la liste n'est pas exhaustive. Ces transformations de bureaux de poste en « point poste », en « guichet de proximité » ou bien en « agence postale communale » ont de quoi laisser perplexe. Ne peut-on craindre que, sous couvert de nécessaire adaptabilité et de modernité, ces nouveaux concepts ne dissimulent et n'annoncent en fait la disparition pure et simple de ce service public de La Poste, auquel chaque citoyen, chaque habitant de la cité est naturellement attaché ?

Devra-t-on se résoudre, dans quelques années, à n'avoir qu'une seule boîte aux lettres par commune en zone rurale ?

Voilà autant de questions qui soulèvent la légitime colère de nombreux élus de la Gironde : ceux-ci n'admettent pas de voir leurs administrés privés d'un service public de premier plan. Une fois de plus, nous ne pouvons que constater que rentabilité et compétitivité ne riment pas avec solidarité et justice sociale.

Monsieur le secrétaire d'Etat, comme vous, nous sommes attachés à l'avenir de La Poste. Vous conviendrez, je pense, du bien-fondé de nos inquiétudes actuelles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Monsieur le sénateur, Mme Fontaine m'a prié de répondre à votre question sur la situation des bureaux de poste en Gironde.

Ce département, avec 394 points de contact, dont 86 agences postales, est le deuxième département français en nombre de points de contact postaux. Je note aussi que 10 nouveaux bureaux de poste ont été créés depuis 1996.

Au total, 308 points de contact sont situés en zone rurale et 14 en zone urbaine sensible.

Le Gouvernement n'a pas pour politique la fermeture des petits bureaux de poste pour des raisons économiques. Tout au contraire, nous avons cherché, au travers du contrat de plan, à trouver des mécanismes permettant, à la fois, de concilier l'ouverture à la concurrence avec l'aménagement du territoire et de renforcer la qualité de ce service public.

Le réseau postal doit évoluer et cette évolution doit concerner non pas seulement les zones rurales mais aussi les zones urbaines, notamment les banlieues.

Le Gouvernement est favorable à une présence postale sur l'ensemble du territoire. Etre en contact avec La Poste ne veut pas dire obligatoirement pouvoir aller dans un bureau de poste, lequel est souvent déjà implanté dans la commune ; cela signifie aussi pouvoir se rendre chez un commerçant qui offre presque tous les services d'un bureau de poste et qui est souvent plus pratique d'accès pour les citoyens.

Depuis le lancement de cette politique, le réseau de La Poste n'a pas été réduit ; il a au contraire un peu augmenté : 150 « points poste » nouveaux ont été ouverts chez des commerçants, essentiellement en zones rurales. Dans un tiers des cas, il s'agit de buralistes, car, vous le savez, nous faisons un effort pour que ce réseau de contact extrêmement diffusé sur notre territoire puisse s'ouvrir à de nouvelles activités. A ce jour, il n'existe aucun « point poste » en Gironde, mais les premiers devraient s'ouvrir à la fin du premier semestre de l'année 2004. Des réflexions sont menées pour faire évoluer 6 points de contact en « points poste », implantés dans des commerces de proximité.

Monsieur le sénateur, il est bien clair que le Gouvernement n'a pas pour objectif de réduire la présence postale. Il souhaite au contraire l'améliorer et la moderniser pour tenir compte des nouveaux besoins de nos concitoyens.

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle.

M. Philippe Madrelle. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat, mais je vais vous faire une confidence.

A la Libération, élu maire dans un village rural, mon père créa une agence postale dans une épicerie. J'étais tout gosse, mais je revois la cabine téléphonique dans cette épicerie. J'ai la chance d'avoir encore mon père et j'ai évoqué cette époque avec lui hier au téléphone. Il m'a dit qu'en fait nous n'avancions pas sur la voie du progrès, mais qu'au contraire nous revenions soixante ans en arrière !

M. Raymond Courrière. Il ne faut pas tuer les buralistes pour autant !

RÉORGANISATION DU FRET SNCF

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, auteur de la question n° 432, adressée à M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.

M. Roland Courteau. J'ai souhaité avec Raymond Courrière attirer l'attention de M. le secrétaire d'Etat aux transport et à la mer sur les inquiétudes suscitées par les projets de réorganisation de l'activité fret de la SNCF et sur les conséquences de telles mesures sur l'économie du département de l'Aude.

Selon les informations portées à notre connaissance, le plan fret mis en place par la direction de la SNCF non seulement n'offrirait aucune perspective de développement de cette activité, mais irait même à l'encontre de l'objectif de doublement dans les dix ans du trafic fret par le rail, sans répondre aux besoins de transports qui devraient connaître une forte progression d'ici à 2020.

Les organisations syndicales nous ont fait savoir qu'une telle stratégie conduira à une perte significative du nombre des parts de marché au profit des transports routiers, ce qui remettrait en cause le rééquilibrage entre le rail et la route. C'est la raison pour laquelle elles ont rejeté le budget 2004 de la SNCF.

Il est à craindre qu'une telle politique n'ait des incidences fâcheuses en matière d'aménagement du territoire, de développement durable ou de sécurité routière et de réduction des gaz à effet de serre.

Au niveau local, le plan fret pourrait avoir des répercussions particulièrement négatives. Ainsi, certaines informations font état de la réduction, voire de la suppression de certaines dessertes de fret dans le département de l'Aude et, plus précisément, sur les gares de Bize-Minervois, Lézignan ou Trèbes, tandis que l'on s'interrogerait concernant Port-la-Nouvelle.

Ainsi, la réorganisation du fret de la SNCF, laquelle devrait pourtant être considérée comme une importante mission de service public, pourrait mettre en péril certains pans de l'économie audoise et plus particulièrement du bassin narbonnais, avec toutes les conséquences que l'on imagine en termes d'emplois.

En matière de transport de voyageurs sur les grandes lignes, ce n'est guère mieux car, plus récemment encore, j'apprenais qu'à terme certaines dessertes ferroviaires seraient, au mieux réaménagées, au pire supprimées.

Pour les usagers, nous assistons également à une réduction de l'offre de transport avec le projet envisagé par la direction de la SNCF de supprimer tous les arrêts en gare de Castelnaudary pour les trains assurant la liaison Bordeaux-Toulouse-Marseille. Toujours selon ces mêmes informations dont la presse s'est fait l'écho, la liaison Toulouse-Cerbère, serait carrément supprimée. En l'occurrence, ce sont tous les voyageurs des départements de l'Aude et des Pyrénées-Orientales qui seront pénalisés.

Bref, qu'il s'agisse du transport fret ou du transport voyageurs, nos départements, notre région Languedoc-Roussillon se trouvent particulièrement frappés.

Quelle vision des territoires a-t-on du côté de la SNCF ? Doit-on parler d'aménagement du territoire ou plutôt de dépérissement des territoires ?

Est-il possible d'espérer, monsieur le secrétaire d'Etat, que ces décisions contraires à toute réelle volonté d'aménagement de l'espace, de correction des inégalités territoriales et d'amélioration du service public soient reconsidérées dans les meilleurs délais ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Monsieur le sénateur, Dominique Bussereau m'a prié de vous transmettre sa réponse à votre question.

La part de marché du fret ferroviaire a diminué de moitié depuis trente ans, essentiellement au profit de la route. Il est clair aujourd'hui que l'objectif de doublement dans les dix ans, annoncé à grand renfort de publicité par le gouvernement Jospin, était un leurre, qui n'a pas résisté à la réalité.

Afin de redresser cette situation, un plan de restructuration de l'activité fret a été mis en place par la SNCF. Il vise, à l'horizon de 2006, à reconstruire les fondements économiques sains de cette activité.

Une nouvelle organisation est actuellement mise en place, fondée sur une nouvelle politique commerciale et un important programme d'investissements. Ces mesures permettront d'améliorer la qualité des prestations, de rompre avec la diminution du trafic et de rétablir le développement sur des bases économiques saines.

Le Gouvernement soutient les efforts engagés par la SNCF. L'Etat a décidé d'investir aux côtés de l'entreprise afin que l'activité fret retrouve sa croissance. Sous réserve de l'approbation définitive par la Commission européenne, le montant de cette aide s'élèvera à 800 millions d'euros sur les trois années à venir.

Pour ce qui concerne l'Aude, notamment le Minervois et le bassin narbonnais, que vous mentionnez plus particulièrement, aucune suppression de dessertes n'est projetée à court terme.

Par ailleurs, pour le transport de voyageurs, vous évoquez d'éventuelles suppressions d'arrêts en gare ou suppressions de ligne. Pour les arrêts en gare de Castelnaudary concernant les trains assurant la liaison Bordeaux-Toulouse-Marseille, contrairement à ce qu'on a pu vous indiquer, la SNCF maintiendra un ou plusieurs arrêts selon la période de l'année. Quant à la liaison Toulouse-Cerbère, toutes les dessertes actuelles depuis Paris continueront bien à être assurées par trains Corail, comme aujourd'hui.

M. Raymond Courrière. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Je vous donne acte de vos affirmations, monsieur le secrétaire d'Etat. Cependant, sur un plan plus général, un paradoxe existe. Ce que la direction de la SNCF qualifie de « plan de sauvetage fret » va se traduire, en réalité, par un repli important, de l'ordre de 5,6 milliards de tonnes-kilomètres, de l'activité fret pour la seule année 2004. Drôle de manière de sauver le fret ferroviaire ! Drôle de manière d'ouvrir des perspectives de développement !

Exit, ai-je envie de dire, les missions de service public sur les créneaux les moins rentables ! Ce n'est pas acceptable.

Qu'il s'agisse de l'activité fret ou du transport voyageurs par le rail, un large consensus s'est toujours dégagé au Sénat sur leur caractère prioritaire. Faudra-t-il organiser un nouveau débat au Parlement sur les perspectives d'avenir du transport ferroviaire pour que la direction de la SNCF tienne compte des attentes des Français ? Dans ce cas, nous demandons au Gouvernement d'inscrire d'ores et déjà un nouveau débat à l'ordre du jour.

En Languedoc-Roussillon, nous avons le sentiment d'être parfois un peu oubliés dans ce domaine, comme dans bien d'autres. Est-ce dû à notre situation à l'extrême sud de la France ?

Cependant, le nord de l'Espagne va de l'avant et sans cesse, grâce aux aides accordées.

Je conclurai en vous faisant part, monsieur le secrétaire d'Etat, de l'inquiétude des forces économiques et de l'ensemble des élus, toutes tendances confondues, face aux mesures envisagées par la direction générale de l'aviation civile pour l'aéroport de Perpignan, qui est l'aéroport des Pyrénées-Orientales, mais également celui d'une large partie du département de l'Aude.

Faudra-t-il un jour prendre l'avion à Gijón en Espagne pour regagner Paris ? C'est une bonne question, je crois.

M. Raymond Courrière. Eh oui !

DROITS À LA RETRAITE

DES FEMMES FONCTIONNAIRES

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier, auteur de la question n° 433, adressée à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire.

Mme Gisèle Gautier. J'ai souhaité attirer l'attention sur le cas des femmes fonctionnaires qui ont eu des enfants avant d'entrer dans la fonction publique et qui, pour ces enfants, ne peuvent plus bénéficier de la bonification d'ancienneté, en application de la récente réforme des retraites.

D'après les informations dont je dispose, le régime des bonifications d'ancienneté d'un an par enfant, jugé contraire au principe d'égalité entre les hommes et les femmes, a été modifié par la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites.

Ce texte subordonne désormais le bénéfice de la bonification d'un an par enfant à une interruption d'activité pendant au moins deux mois : il s'agit de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite, complété par le décret n° 2003-1309 du 26 décembre 2003.

Ce dispositif permet de sauvegarder les droits des femmes qui ont eu leurs enfants pendant leur activité professionnelle ; il peut également s'appliquer aux hommes qui ont interrompu leur activité.

En revanche, il n'en est pas de même pour les femmes n'ayant jamais eu d'activité professionnelle salariée dans le secteur privé ou dans la fonction publique avant d'avoir des enfants.

En effet, le site d'information sur l'avenir des retraites mis en place par le Gouvernement indique que, dans l'hypothèse où « les enfants sont nés alors que leur mère n'exerçait aucune activité avant d'entrer dans la fonction publique, qu'elle ne relève pas de la position hors cadres ni de disponibilité et qu'elle n'a pas bénéficié de l'assurance vieillesse des parents au foyer, l'AVPF, aucune bonification au titre du régime des pensions civiles ni aucune majoration d'assurance au titre du régime général ne peut lui être reconnue ».

Toutefois, toujours selon ce site d'information, le Gouvernement préparerait actuellement un projet de loi concernant les femmes. Je souhaiterais connaître les intentions précises du Gouvernement à cet égard, ainsi que le délai probable de la parution de ce nouveau texte.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Madame le sénateur, les avantages familiaux prévus par la loi portant réforme des retraites sont le résultat d'une démarche pragmatique visant à concilier les impératifs de la jurisprudence communautaire et la volonté de préserver les intérêts des mères de famille.

Le célèbre arrêt Griesmar, rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 29 novembre 2001, a considérablement fragilisé le dispositif des bonifications pour enfants en demandant l'extension de cette bonification aux hommes, et ce afin de respecter le principe d'égalité des rémunérations. Par ailleurs, le juge a énoncé la nécessité de subordonner l'octroi d'une compensation à la réalité des retards de carrière, qui sont presque exclusivement supportés par les femmes.

Aussi, dans un tel contexte juridique, le Gouvernement a choisi d'adapter ces avantages familiaux de façon à les circonscrire à celles et à ceux qui ont effectivement interrompu leur carrière pour élever leur enfant pendant une période minimale de deux mois. En effet, seule l'introduction de cette notion d'interruption ou de réduction d'activité permettait de maintenir l'existence pour le plus grand nombre d'avantages familiaux.

Le cas de figure que vous citez est bien particulier. Il s'agit du cas de femmes qui, à aucun titre que ce soit, n'auraient pu valider des droits dans un des régimes légaux de retraite.

Je rappelle que les conditions de validation sont très souples : je vous renvoie au site Internet du Gouvernement sur les retraites, que vous évoquez dans votre question.

L'examen juridique approfondi de la situation montre en effet qu'aucun texte de nature réglementaire ou infra-réglementaire n'est suffisant pour traiter de façon satisfaisante le cas des personnes concernées.

La réponse relève en tout état de cause de la solidarité, dans le respect des principes qui régissent le droit des retraites : coordination des droits entre les régimes et éventuels transferts financiers.

En effet, le sujet est suffisamment complexe pour qu'on n'y réponde pas par des dispositifs simples en apparence, mais juridiquement mal assurés. Cela risquerait de nous faire connaître à nouveau, dans quelques années, la situation consécutive à l'arrêt Griesmar.

Convaincu de l'importance de cette question, madame le sénateur, le Gouvernement souhaite continuer à travailler et à étoffer sa propre réflexion à ce sujet en s'appuyant sur les études menées par le Conseil d'orientation des retraites concernant les avantages familiaux dans l'ensemble des régimes.

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier.

Mme Gisèle Gautier. Je ne vous étonnerai pas, monsieur le secrétaire d'Etat, si je vous dis que votre réponse ne me satisfait qu'à moitié. Il existe cependant une lueur d'espoir puisque j'ai compris que le Gouvernement s'engageait à étudier, avec les instances compétentes, la possibilité d'apporter une solution au moins partielle s'agissant de cas tout à fait spécifiques. J'aurais aimé savoir dans quels délais cette étude sera menée. En tout cas, je suivrai de très près l'évolution de ce dossier.

CONTENTIEUX SUR LES CRÉATIONS D'OFFICINES

EN MILIEU RURAL

M. le président. La parole est à M. Georges Mouly, auteur de la question n° 419, adressée à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

M. Georges Mouly. Monsieur le ministre, à une question que j'avais posée voilà seulement deux mois concernant les officines des pharmacies, la réponse suivante m'a été apportée :

« Les dispositions de la loi du 27 juillet 1999 ont permis d'identifier les communes déficitaires dans les zones rurales grâce aux arrêtés pris par les préfets dans chaque département, arrêtés qui avaient pour objet de dresser l'état des lieux de la desserte en officines des communes de moins de 2 500 habitants. La profession est globalement satisfaite des dispositions introduites par la loi précitée, modifiée par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 et le Gouvernement n'envisage donc pas de revoir à court terme la législation applicable aux créations d'officines dans les communes de moins de 2 500 habitants. »

Dans une commune de mon département, l'autorisation de création d'une officine de pharmacie a été accordée en application des dispositions législatives que je viens d'évoquer. Point n'est besoin d'insister sur l'utilité d'un tel service pour la population de la commune en question.

Or, aujourd'hui, cette autorisation vient d'être annulée par le tribunal administratif de Limoges, saisi par les pharmaciens d'une commune voisine, dont le territoire n'a, en toute logique, pas été pris en compte dans l'état des lieux, puisque sa population est supérieure à 2 500 habitants.

Le pharmacien visé par le jugement a fait appel et a sollicité un sursis à exécution, mais les délais de procédure l'ont placé dans une situation telle qu'il a dû fermer son officine en attendant le sursis à exécution.

Les services du ministère ont effectué une démarche similaire dès le 24 janvier, mais, à ce jour, aucune décision ne permet à la pharmacie de poursuivre son activité dans l'attente de l'aboutissement de cet appel.

Pour ma part, je trouve cette situation tout à fait fâcheuse et irritante. La carte d'identification va être retirée. On imagine aisément les graves problèmes d'endettement auxquels le pharmacien concerné va se trouver confronté du fait de l'arrêt de l'activité.

Je constate que les habitudes sont tenaces. Le nombre de recours contre les créations permises par la nouvelle loi reste élevé. Les recours demeurent quasi systématiques, s'appuyant souvent encore - c'est le cas dans l'exemple que j'ai cité - sur un argumentaire valable sous la précédente législation, notamment en ce qui concerne la notion d'appréciation.

Malgré le soutien de toute la population et des élus, y compris des parlementaires, la pharmacie est aujourd'hui bel et bien fermée.

Alors qu'est annoncée par le ministère de la santé une réflexion avec la profession, non pas pour modifier la législation applicable à l'ouverture de pharmacies en milieu rural, mais pour expertiser d'éventuelles modifications susceptibles de favoriser l'exercice de ce métier, je me permets de demander s'il serait possible d'envisager des mesures autorisant, devant des recours par trop systématiquement introduits par les professionnels du secteur ou la chambre syndicale, le pharmacien contesté à exercer tant que la procédure n'est pas close et introduisant la notion de recours abusif, pouvant entraîner le versement d'une « amende » au cas où le tribunal confirmerait la légalité de l'autorisation préfectorale.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille. Monsieur le sénateur, M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, m'a chargé de vous présenter ses excuses et de vous fournir les éléments de réponse suivants.

La loi du 27 juillet 1999 a permis d'aboutir à un maillage satisfaisant des officines de pharmacie sur le territoire national en intervenant à deux niveaux : d'une part, en supprimant la voie dérogatoire de création des officines, source de multiples et douloureux contentieux ; d'autre part, en dressant un état des lieux de la desserte en officines dans les communes de moins de 2 500 habitants.

La réalité des besoins dans les agglomérations rurales a pu être appréciée et les communes déficitaires en pharmacies ont été identifiées. La France dispose donc désormais d'un maillage national de qualité, dans un cadre juridique sécurisé.

L'exemple que vous soulevez illustre l'une des dernières difficultés nées de la réglementation précédente. Vous souhaitez que le pharmacien dont l'officine est contestée puisse engager une procédure pour recours abusif et demander le paiement d'une amende.

Jean-François Mattei comprend vos préoccupations. La situation que vous dénoncez est particulièrement pénible à vivre pour le pharmacien mis en cause. Cependant, une action dans ce domaine ne relève pas de la compétence du ministre de la santé.

Il appartient en effet au seul juge administratif de se prononcer sur le caractère abusif d'un recours. Le code de justice administrative répond à votre attente en prévoyant une sanction financière : les dispositions de l'article R. 741-12 ouvrent la possibilité au juge d'infliger à l'auteur d'une requête estimée abusive une amende pouvant atteindre 3 000 euros.

M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.

M. Georges Mouly. Je vous remercie, monsieur le ministre, de cette réponse, même si elle ne me donne satisfaction que s'agissant du dernier point que vous avez évoqué.

Il faut savoir que le ministère lui-même a fait appel du jugement du tribunal de Limoges. Aura-t-il gain de cause ? Ce serait heureux pour le pharmacien concerné.

Il reste que, en raison des délais de procédure, la pharmacie est fermée pour le moment et que la population subit les inconvénients qui résultent de cette situation. Quant au pharmacien lui-même, il doit se débattre dans les difficultés qu'on imagine !

CRÉATION DE LA CHAÎNE INTERNATIONALE

D'INFORMATION (CII)

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, auteur de la question n° 429, adressée à M. le ministre de la culture et de la communication.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le ministre, j'ai souhaité faire part au Gouvernement de mes préoccupations relatives à la création de la chaîne internationale d'information, dont le projet lui a été proposé par le député Bernard Brochand et que la presse présente comme ayant recueilli son approbation.

Mes préoccupations sont, au reste, partagées par de nombreuses personnes connaissant bien le secteur de l'audiovisuel international, ainsi que par les Français qui vivent à l'étranger, dont je suis l'un des représentants au Sénat et qui ont un lien avec la France par le biais de la radio et de la télévision.

Tous les observateurs de la position de la France dans le rapport de forces international s'accordent sur le fait que, pour notre pays, le fait d'être privé d'une chaîne de télévision d'information puissante destinée au public international est un lourd handicap.

Aucune ligne de crédit du budget de 2004 n'est affectée au financement de la nouvelle chaîne. Ne serait-ce que pour voter les crédits nécessaires à son financement, qui sera entièrement public, il faudra à tout le moins une loi de finances rectificative.

Quoi qu'il en soit, sur un sujet d'une telle importance, la représentation nationale ne pourra se satisfaire d'une loi technique votée à la sauvette. Pourtant, il semble que le Gouvernement ait décidé de créer une société nouvelle, constituée à 50 % par une entreprise publique et à 50 % par une entité commerciale privée, TF1.

Cette société nouvelle serait donc entièrement financée sur fonds publics sans consultation du Parlement ni du Conseil supérieur de l'audiovisuel, le CSA, et sans appel d'offres public.

Quand le Parlement sera-t-il consulté sur la création de cette chaîne ? Quels seront son statut juridique et son mode de financement ?

J'aimerais également savoir si la Commission européenne a été saisie de ce projet, qui n'est pas sans poser des problèmes au regard de la législation européenne sur la concurrence.

Je demande, enfin, comment la nouvelle entité atteindra une qualité rédactionnelle en adéquation avec les objectifs affichés, en l'absence de rédactions internationales dignes de ce nom dans les deux chaînes mères, France Télévisions et TF1, avec un budget de 70 millions d'euros, soit le tiers de celui de RFO. Il est clair qu'un tel budget est trop faible pour une chaîne internationale d'information.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille. Madame le sénateur, je voudrais d'abord vous présenter toutes les excuses de mon collègue Jean-Jacques Aillagon, qui, ne pouvant malheureusement pas être présent ce matin, m'a chargé de vous transmettre les éléments de réponse qui suivent.

Comme vous le savez, à l'issue d'une consultation publique organisée de manière transparente par la direction du développement des médias, M. le Premier ministre a chargé un parlementaire en mission, M. Bernard Brochand, député des Alpes-Maritimes, d'étudier les propositions faites par les opérateurs.

Compte tenu des conclusions de cette mission, le Premier ministre a décidé de retenir le projet de chaîne française d'information présenté conjointement par les groupes TF1 et France Télévisions.

Ces deux groupes se proposent de constituer à parité une société anonyme qui sera chargée de l'édition et de la diffusion de la future chaîne. Cette société serait financée par une subvention de l'Etat et par des recettes commerciales. La subvention attendue de l'Etat atteindrait environ 70 millions d'euros en régime de croisière.

Vous semblez considérer que ce budget est bien modeste. Sachez qu'il a été étudié avec beaucoup de rigueur ! Le Gouvernement a le souci de ménager les finances publiques et sera attentif à ce que ce projet soit réalisé au plus juste coût. L'implication des deux principaux groupes de télévision français est, à cet égard, un gage de professionnalisme et de gestion rigoureuse.

Le Gouvernement a décidé d'engager auprès de la Commission européenne les démarches nécessaires à la validation de cette subvention au regard de la réglementaire communautaire des aides d'Etat ; ces démarches sont en cours. Bien entendu, lorsque les autorisations auront été obtenues, les procédures budgétaires nécessaires au déblocage de la subvention seront scrupuleusement respectées et le Parlement jouera pleinement son rôle, conformément aux règles en vigueur.

Je tiens à préciser que la chaîne ne jouira pas d'un statut juridique spécifique. Comme toute chaîne établie en France, elle sera conventionnée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Il ne sera donc pas nécessaire de soumettre à la délibération du Parlement un projet de loi particulier pour sa création.

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Je vous remercie de cette réponse, monsieur le ministre, mais je ne peux pas dire qu'elle me satisfasse.

Le seul point positif que je retiens est d'apprendre que cette chaîne sera soumise à la règle générale de contrôle par le CSA. En effet, dans un premier temps, il était question qu'elle n'y soit même pas soumise.

Toutefois, le fait que le Parlement ne soit pas consulté dans les formes - car il ne l'a pas été - sur la création d'une chaîne dont dépend l'image de la France à l'étranger me paraît tout simplement inconcevable.

La Constitution de la Ve République donne beaucoup de latitude à l'exécutif mais, cette fois, on va vraiment au-delà de ce que des parlementaires peuvent accepter !

Pour le reste, sur de très nombreux points, mon désaccord est total.

Vous me dites que 70 millions d'euros constituent une juste somme. Il suffit, pour se convaincre du contraire, de constater la mauvaise qualité des programmes de RFO, dont le budget atteint pourtant le triple de ce montant. D'ailleurs, toutes les chaînes d'information internationales existant dans le monde disposent de budgets annuels qui dépassent les 200 millions de dollars. Dès lors, on ne peut pas croire un instant que l'on pourra mettre sur pied une chaîne d'information internationale française avec une somme aussi ridicule que 70 millions d'euros !

En outre, je le répète, cette subvention n'a pas été inscrite au budget de 2004, ce qui signifie que le Parlement ne l'a pas votée.

De surcroît, quand on voit l'entreprise de décervelage de la population française à laquelle se livrent TF1 et France 2, il est permis d'imaginer le pire ! Quand un journal télévisé destiné à la population française se compose d'au moins vingt minutes de faits divers, contre cinq petites minutes - et en comptant large ! - de politique intérieure, à laquelle on ne comprend d'ailleurs rien parce que cette espèce d'« information-TGV » ne laisse place à aucune explication, et deux ou trois minutes d'informations internationales, tout aussi incompréhensibles, on peut effectivement parler de « décervelage » !

Comment, alors, penser que ces deux chaînes seront susceptibles d'élaborer une information internationale sérieuse à destination d'un public international exigeant ? Je suis désolé de le dire, mais, dans l'état actuel des choses, nos chaînes de télévision hexagonales ne sont pas le bon support pour une information française à vocation internationale.

M. Jean-Claude Peyronnet. Tout à fait !

CIDEM ET LUTTE CONTRE L'ABSTENTION

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, auteur de la question n° 437, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

M. Alain Gournac. Ma question s'adressait à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, mais c'est avec plaisir que j'entendrai la réponse donnée par M. Christian Jacob, un ministre que j'apprécie beaucoup, car il fait un travail formidable pour la famille.

Nos concitoyens se posent des questions au sujet de l'association Civisme et Démocratie, appelée communément CIDEM. Chacun a pu lire dans la presse que cette association était en charge de la campagne officielle d'incitation au vote. Chacun a pu lire également que les instituts de sondage prévoyaient à nouveau pour les prochaines élections une très importante désaffection à l'égard des urnes.

Aussi pourriez-vous, pour commencer, monsieur le ministre, nous rappeler quels sont les statuts de cette association, quelles en sont les missions, comment et par qui celles-ci sont définies, nous indiquer de quel budget elle dispose, nous dire si celui-ci est en augmentation ou en diminution, nous préciser la part de fonctionnement dans ce budget et, enfin, quelles sont ses sources de financement ?

Pourriez-vous ensuite nous faire savoir si des études ont été réalisées pour évaluer l'impact de ces actions et quelles en sont les conclusions ?

Enfin, étant donné le taux d'abstention dans notre pays, je me demande s'il ne conviendrait pas de mettre en place un dispositif qui, avec l'appui des élus locaux, soutiendrait des initiatives plus proches du terrain, plus imaginatives, plus en phase avec nos concitoyens et donc plus à même de les mobiliser.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille. Monsieur le sénateur, je veux tout d'abord vous présenter les excuses de M. le ministre de l'intérieur qui, comme vous l'imaginez, aurait souhaité répondre lui-même à cette question tout à fait importante. Il ne peut malheureusement pas être présent ce matin et il m'a chargé de vous transmettre les éléments suivants.

L'association Civisme et démocratie, ou CIDEM, est constituée sous le régime de la loi de 1901 et regroupe aujourd'hui onze associations : Anima'fac, ATD-Quart Monde, le Comité français pour l'UNICEF, la Confédération des MJC de France, la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France, France Nature environnement, la Ligue des droits de l'homme, la Ligue de l'enseignement, le Mouvement rural de jeunesse chrétienne, le MRAP, les Scouts de France.

Ce réseau associatif, qui représente plus de 4 millions de membres dans 50 000 implantations locales, agit en partenariat avec les collectivités locales.

Le CIDEM s'est vu confier en 2000 les missions auparavant assurées jusqu'en 1999 par le Centre d'information civique, au premier rang desquelles les campagnes d'incitation au vote, à l'inscription sur les listes électorales et d'information sur le vote par procuration.

Les principales campagnes du CIDEM sont les suivantes : campagnes nationales d'incitation à l'inscription sur les listes, campagnes nationales d'incitation au vote, campagne « Envie d'agir » avec le ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, campagne de sensibilisation sur la violence faite aux femmes, campagne de sensibilisation à l'élargissement de l'Union européenne, en liaison avec la Commission européenne.

En 2004, le CIDEM mènera deux campagnes nationales d'incitation au vote : l'une pour les élections du mois de mars, l'autre pour les élections européennes du mois de juin. Chacune comprendra la diffusion du film Jean-Paul, dont le bilan de la diffusion en 2002 a été très positif, une campagne par le biais d'Internet et des plaquettes et affiches diffusées par les mairies.

La campagne pour les élections du mois de mars est financée à hauteur de 150 000 euros provenant du service d'information du Gouvernement, de 50 000 euros des collectivités locales et de 1 230 000 euros correspondant aux espaces gracieusement fournis par les médias.

La somme allouée à la campagne des élections européennes doit être arrêtée prochainement.

Quant à la nécessaire mobilisation pour lutter contre l'absention, que vous appelez légitimement de vos voeux, il convient de rappeler qu'elle doit être l'affaire de tous ceux qui s'intéressent à la vie de la cité : pouvoirs publics, élus, associations.

De nombreuses initiatives, très variées, se font jour dans certaines communes, par exemple l'organisation de visites de mairies par des classes d'élèves du primaire et du secondaire ou l'organisation de conférences et d'expositions sur les grands enjeux citoyens dans des espaces socioculturels.

De telles initiatives, menées au plus près du terrain par des associations très motivées, sont de nature, vous avez raison, monsieur le sénateur, à susciter l'intérêt de nos concitoyens, et donc des réflexes civiques.

Tels sont les éléments de réponse que M. le ministre de l'intérieur m'a chargé de vous transmettre, monsieur Gournac.

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.

M. Alain Gournac. Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec attention me transmettre le message du ministre de l'intérieur.

Vous m'annoncez la diffusion de plaquettes pour le mois de mars. Or, monsieur le ministre, il y a urgence, car les élections sont pour bientôt et, dans ma mairie, je n'ai reçu ni plaquettes ni affiches ! Un peu de retard a été pris, et je veux vous alerter afin que l'on puisse y remédier.

Par ailleurs, j'éprouve une certaine déception, car le vote par correspondance a été facilité - et je m'en réjouis -, mais qui le sait ? On n'en parle pas ! Il me paraît nécessaire de relancer l'esprit civique de nos concitoyen et, pour cela, il conviendrait de les informer des facilités offertes par le vote par correspondance.

Vous avez donc aujourd'hui devant vous un maire un peu inquiet parce qu'il ne voit pas bouger les choses.

Pour ce qui me concerne, j'ai fait réaliser des affiches que j'ai placardées sur tous les panneaux de ma commune, mais je déplore que les chaînes de télévision, les radios, tous nos grands supports susceptibles de nous aider à promouvoir une approche civique ne soient pas mis à profit en cette occasion.

Posons-nous la question : le CIDEM est-il aujourd'hui adapté pour assurer ses responsabilités, dont la liste est grande ? En tout cas, la lutte contre l'abstention ne donne pas tous les résultats attendus.

Peut-être faudra-t-il un jour instituer le vote obligatoire, mais ce serait bien dommage d'en arriver là. Le vote est un moyen d'expression formidable - et si l'on ne vote pas, il faut se taire ensuite ! -, et il faut donc inciter nos concitoyens, notamment les jeunes, à aller voter. Je le fais d'ailleurs dans ma commune en recevant les jeunes. Après tout, voter ne prend que quelques minutes !

J'attends donc la mise en place d'une véritable campagne à cet égard.

SITUATION DES CENTRES DE CRISE PSYCHIATRIQUE

DE PROXIMITÉ

M. le président. La parole est à est à Mme Hélène Luc, auteur de la question n° 407, adressée à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

Mme Hélène Luc. Monsieur le ministre délégué, sans que cette remarque soit désagréable à votre endroit, je veux exprimer mon regret de constater l'absence de M. Jean-François Mattei, puisque j'avais accepté de différer ma question à une date où il lui serait possible d'être présent.

Tous les professionnels, au travers des politiques qui ont été menées ces dernières décennies, se sont largement orientés vers des solutions alternatives à la psychiatrie asilaire. En témoignent les résultats probants obtenus par l'Italie en matière de soins psychiatriques, pays avec lequel ont été récemment organisés des rencontres avec le préfet du Val-de-Marne et la municipalité de Choisy-le-Roi.

N'oublions pas la circulaire de 1960, selon laquelle « le principe essentiel de l'organisation de la lutte contre les maladies mentales est en effet de séparer le moins possible le malade de sa famille et de son milieu ».

La plupart des malades mentaux posent des problèmes médico-sociaux importants qui ne sont pas réglés par l'hospitalisation, cette dernière les rendant parfois plus aigus encore.

L'accent doit être mis sur la réadaptation grâce à l'ouverture de structures extra-hospitalières et à une prise en charge précoce par une équipe médico-sociale qui serait également chargée de développer la prévention, tant dans le milieu scolaire que dans le milieu du travail.

Il s'agit d'assurer des soins de proximité, de les rendre accessibles et de garantir la continuité des soins. Il s'agit également de permettre aux malades de pouvoir continuer leur activité et de garder des liens avec leurs proches, avec leur ville. Cela est particulièrement vrai pour les adolescents en cas de crise.

Par conséquent, c'est toute la collectivité qui doit être associée aux soins et à l'insertion : équipes soignantes, psychiatres, psychothérapeutes, associations de familles et usagers, représentants des établissements et associations à caractère social et médico-social, hôpitaux, collectivités et élus locaux, mais aussi et surtout l'Etat. En effet, aux difficultés matérielles et en personnel s'ajoute une image de la psychiatrie trop synonyme de stigmatisation et d'exclusion des personnes souffrant de troubles mentaux.

A Choisy-le-Roi, par exemple, a été ouvert en 1982 un centre de crise avec cinq lits d'hospitalisation à temps plein, rendant possibles des hospitalisations plus brèves avec un maintien du lien social, familial et environnemental bénéfique au patient.

Ce centre de crise, rattaché au centre hospitalier Paul-Guiraud de Villejuif et permettant une hospitalisation si nécessaire, a connu une évolution considérable. Il a été renforcé par la création d'un hôpital de jour de vingt places et d'un hôpital de nuit de quatorze lits, avec une structure indépendante pour les adolescents - elle est très fréquentée - à laquelle s'ajoutent cinq places en famille d'accueil, deux appartements communautaires de trois places chacun, deux centres et un centre d'accueil thérapeutique à temps partiel.

Cette évolution a permis une intensification du nombre des prises en charge de patients, qui est passé de 600 à 1 050, et un rapprochement des lieux de soin du lieu de vie des patients.

Par ailleurs, les consultations externes à Choisy-le-Roi sont passées, ces cinq dernières années, de 7 000 à 17 726.

Or une menace pèse sur la qualité des soins dispensés dans le centre de crise et à l'hôpital de nuit de Choisy-le-Roi. En effet, les difficultés financières que connaît l'hôpital de Villejuif entraînent une pénurie des moyens en personnel qui se traduit par la non-compensation des départs en retraite et le non-remplacement, depuis plus d'un an, des infirmiers et des cadres de santé.

A ce titre, je veux souligner le manque de personnels médicaux et non médicaux et la faiblesse de leur recrutement en France dans toutes les structures psychiatriques.

Le plus inquétant est de constater le nombre de postes vacants dans le secteur de la psychiatrie et la pénurie en personnel, notamment infirmier. Cela risque d'aboutir à la fermeture de ces structures et à un grand retour en arrière vers l'enfermement. Ainsi, à Choisy-le-Roi et dans les villes environnementales, les malades seraient réorientés vers l'hôpital de Villejuif, où les locaux d'hébergement et d'accueil n'existent plus du fait du redéploiement de moyens sur Choisy-le-Roi. Ce paradoxe est inacceptable.

De belles déclarations d'intention sont faites quant à la nécessité de ces structures, mais les décisions financières ne sont pas prises pour assurer leur maintien dans de bonnes conditions, voire leur développement. Or ces structures constituent l'un des moyens, parmi d'autres, de lutter contre le suicide des jeunes, qui augmente de jour en jour.

C'est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, quelles décisions financières le Gouvernement compte prendre en faveur de ces structures de proximité. Des mesures urgentes et indispensables doivent être adoptées pour permettre aux moyens affectés aux soins d'être à la hauteur des enjeux et aux structures existantes d'être pérennisées afin d'apporter une réponse satisfaisante à la souffrance psychique à laquelle sont confrontés nombre de nos concitoyens. Il faut aller dans le sens d'une organisation des soins et de la prévention beaucoup plus ancrée dans la cité.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille. Madame Luc, je tiens tout d'abord à vous présenter les excuses de M. Mattei, dont vous connaissez l'attachement au débat parlementaire.

Vous avez appelé son attention sur le devenir des établissements psychiatriques, plus particulièrement sur le centre de crise et l'hôpital de nuit de Choisy-le-Roi.

Ces deux structures extra-hospitalières, rattachées à l'hôpital Paul-Guiraud de Villejuif, occupent une place très importante dans la prise en charge des patients atteints de troubles mentaux. Comme vous le soulignez à juste titre, elles permettent d'offrir une alternative à la psychiatrie asilaire.

Petites structures de proximité, elle rencontrent malheureusement certaines diffucultés de fonctionnement dans un contexte de pénurie de personnels infirmiers. Cela est particulièrement vrai pour le centre d'accueil et de crise, le CAC. Comprenant quatre lits, celui-ci doit fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre et trois cent soixante-cinq jours par an. L'hospitalisation de nuit compte, de son côté, quatorze lits. Dans ces conditions, tout départ de personnel rend extrêmement difficile le maintien d'équipes devant assurer une présence continue.

En 2003, le secteur auquel appartient le CAC de l'hôpital de nuit a ainsi connu dans son ensemble un important turn over, puisque sur dix-sept postes d'infirmiers laissés vacants seul sept ont pu être remplacés.

M. le ministre de la santé se veut cependant rassurant : même s'il existe à l'hôpital Paul-Guiraud, comme dans d'autres établissements psychiatriques, une forte pression sur l'hospitalisation à temps plein, aucun projet de fermeture n'est prévu sur les structures de Choisy-le-Roi.

Les professionnels sont conscients du rôle préventif d'unités comme les CAC, lesquels, situés en amont, peuvent éviter un certain nombre d'hospitalisations.

De manière concrète, la direction met tout en oeuvre pour pourvoir les postes vacants et compenser les absences en recourant, outre aux annonces de postes, au recrutement d'intérimaires et au paiement d'heures supplémentaires.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.

Mme Hélène Luc. Monsieur le ministre délégué, j'entends bien votre réponse et j'en prends acte, mais vous ne dites pas que vous allez accorder les crédits nécessaires à un meilleur fonctionnement de ce centre, bien que vous constatiez vous-même qu'il est difficile de le faire fonctionner convenablement.

Evidemment, si vous êtes dans cette situation, c'est parce que l'Etat persiste dans son désengagement en matière de santé publique et dans le domaine de la psychiatrie. Il y a donc tout lieu d'être très inquiet, car les décisions financières ne suivent pas les déclarations d'intention.

Aujourd'hui, la crainte d'un retour à la psychiatrie asilaire, qui aurait pour conséquence une dégradation des soins, est bel et bien présente. La prise en charge et les possibilités d'accompagnement et d'insertion des patients sont de plus en plus difficiles et les cas de plus en plus nombreux.

Cela est particulièrement vrai - monsieur le ministre de l'éducation nationale, cela vous intéresse également - pour les jeunes adolescents, car il est important qu'ils puissent se retrouver dans une antenne qui leur soit réservée. Parfois, je peux en témoigner, avoir un lit, un centre au sein même de la cité peut éviter l'acte le pire qu'on puisse imaginer, c'est-à-dire le suicide.

La DDASS du Val-de-Marne effectue un travail remarquable en dépit d'un manque de moyens en personnels d'encadrement et d'entretien des locaux, et je tiens à saluer les nombreuses actions conduites par les collectivités locales dans le domaine de la santé mentale. Ainsi, le conseil général du Val-de-Marne organise chaque année une Quinzaine de la santé qui suscite un énorme intérêt de la part des médecins et des infirmières scolaires, des assistantes sociales et des parents.

Mais de telles initiatives n'exonèrent en aucune manière l'Etat, qui doit assumer ses responsabilités en s'inspirant de ces initiatives et en les prolongeant, s'agissant notamment de la formation de ces personnels - je m'adresse là à vous, monsieur le ministre de l'éducation nationale -, qui est indispensable au bon fonctionnement de ces centres et de ces hôpitaux.

CARTE SCOLAIRE POUR 2004

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, auteur de la question n° 436, adressée à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

M. Jean-Claude Peyronnet. Ma question s'adresse à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

Mon inquiétude rejoint, je crois, celle de l'ensemble des élus de mon département, et plus encore celle de la majorité des parents d'élèves face à ce que nous considérons comme une remise en cause du service public de l'éducation nationale et une grave entorse à l'égalité de traitement entre les Français.

Le rectorat de l'académie de Limoges a, voilà quelques semaines, rendu officielle la carte scolaire pour 2004, laquelle fait apparaître la suppression de dix-huit formations - je ne parle pas de postes - au sein des lycées professionnels, ce qui n'est pas obligatoirement un bon choix et qui met notamment en sursis l'apprentissage des langues vivantes ou des langues anciennes dans les filières générales.

Or, pour assurer autant que possible sur tout le territoire un maillage serré des formations, les collectivités locales font un effort considérable, dans le souci de présenter une offre diversifiée aux jeunes élèves. Cet effort se traduit par exemple dans le domaine des transports scolaires : toute suppression de classe, voire de filière, entraîne automatiquement un glissement financier en direction des collectivités locales, plus spécialement des départements, puisqu'un nouveau circuit de transport scolaire se met en place. Cela représente pour mon département la somme considérable de 11 millions d'euros.

Un effort est fait par les communes en milieu rural lorsqu'elles sont amenées à constituer des regroupements pédagogiques et aussi, bien sûr, par les départements et les régions qui investissent quatre à six fois plus que l'Etat n'investissait avant la décentralisation.

Pourquoi cet effort ? Précisément parce que, à notre avis, l'enseignement doit être bien réparti sur l'ensemble du territoire à la fois pour des raisons d'aménagement de ce territoire, mais aussi pour des raisons sociales, les familles les plus modestes ayant besoin, à l'évidence, d'avoir un service de proximité pour une question de coût.

Toutefois, si l'Etat ne fait pas bien son devoir, s'il supprime des postes ou des filières de formation afin de regrouper ces dernières dans des endroits plus peuplés, il instaure une inégalité.

Mme Borvo posera tout à l'heure une question sur la région parisienne, qui connaît de gros problèmes s'agissant des zones d'éducation prioritaires, les ZEP.

Si supprimer une filière dans un lycée du Ve arrondissement de Paris ne doit pas soulever d'énormes difficultés parce que l'offre de formation dans ce secteur géographique est suffisante, il n'en va pas de même si vous supprimez une filière à Bellac, haut lieu que vous connaissez, monsieur le ministre, grâce à Jean Giraudoux ! Dans ce dernier cas, la suppression est ressentie par les parents comme une pénalisation grave des élèves et je crois que, fondamentalement, ils ont raison.

L'académie de Limoges a certes perdu des élèves au cours des années passées, mais, même si ce n'est qu'un frémissement, le solde redevient positif. Aussi, je ne peux m'expliquer de telles mesures, et la péréquation entre les régions ne me semble pas justifier une réduction des moyens de cette académie dans les proportions que vous proposez.

Monsieur le ministre, parce qu'il en va de l'avenir de la jeunesse de notre pays, je me demande si vous n'avez pas une vision un peu courte et essentiellement comptable de l'éducation nationale, alors qu'une vision plus ample s'imposerait.

M. Raymond Courrière. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le sénateur, la rectrice de l'académie de Limoges a présenté en effet dernièrement au conseil académique de l'éducation nationale des mesures qu'elle envisage de prendre pour la rentrée prochaine.

Pour préparer cette rentrée, j'ai étudié les choses de très près. La rectrice a tenu compte non seulement des évolutions démographiques scolaires que vous avez évoquées, mais également de la nécessité de maintenir des structures scolaires sur l'ensemble du territoire de l'académie, notamment sur les territoires éloignés des principaux centres de la région.

Je vous rappelle que, de 1987 à 2003, l'académie a perdu très exactement 8 261 élèves dans le second degré. Conséquence inévitable, certaines formations ont connu une désaffectation considérable.

Je vous livre trois chiffres impressionnants, qu'un recteur responsable ne peut pas négliger même s'il essaie - et je vous dirai comment - d'en tenir compte de façon non arithmétique, en intégrant de manière intelligente la problématique de l'aménagement du territoire : 107 formations en lycée professionnel comptent huit élèves ou moins ; 25 % des places - ce n'est pas rien ! - sont vacantes en première année de baccalauréat professionnel ; 298 enseignements optionnels comprennent moins de huit élèves en lycée général de technologie.

Comment tenir compte de ces chiffres, et pourquoi le faire ?

Il est nécessaire, à l'instar de ce qu'a fait la rectrice de l'académie de Limoges, de regrouper les formations en faisant de chaque lycée un pôle de spécialités et d'excellence. Ce n'est pas simplement pour des raisons de gestion, sachant que ces formations sont inévitablement fragiles à cet égard, mais surtout pour des raisons pédagogiques qui sont d'ailleurs avancées par le plan régional de développement des formations, lequel recommande très fortement de tels regroupements. C'est seulement à ce prix que l'on permettra à de petits lycées de se maintenir avec une vitalité suffisante.

Par ailleurs, vous avez évoqué la suppression annoncée de dix-huit formations : je vous indique qu'elles concernent des sections dont le nombre d'élèves est devenu littéralement dérisoire.

Certaines d'entre elles seront néanmoins maintenues. Ce sera le cas, pour citer un exemple précis, de la filière « réalisation d'ouvrages chaudronnés et de structures métalliques », malgré la faiblesse de ses effectifs - entre trois et cinq élèves -, pour tenir compte des débouchés régionaux et des nécessités d'aménagement du territoire.

En ce qui concerne les langues, surtout anciennes, les chiffres sont, hélas ! très impressionnants : pour toute l'académie, quatre élèves seulement ont passé l'épreuve de grec au baccalauréat et vingt-quatre élèves, celle de latin. Malgré cela, contrairement à certaines hypothèses qui avaient été évoquées, toutes les sections d'enseignement du grec et du latin seront maintenues à la prochaine rentrée, sauf celle de grec du lycée de Guéret qui ne compte pas un seul candidat. Comme vous le voyez, nous faisons un véritable effort.

La rectrice fait également le maximum pour maintenir l'offre de formation, la diversité des langues vivantes enseignées, en particulier s'agissant de l'allemand, pour lequel, vous le savez, un effort très particulier est fait. Les classes bilingues en sixième sont même développées dans l'académie.

Monsieur le sénateur, les informations dont vous disposez ne me semblent pas tout à fait justes. En tout cas, elles sont incomplètes et ne prennent pas l'ensemble du problème à bras-le-corps. Dans cette académie, comme dans les autres, nous avons fait non seulement tout ce qui était nécessaire pour maintenir une offre de formation de qualité à la prochaine rentrée, mais aussi beaucoup plus en termes de gestion à court terme et d'arithmétique d'efficacité et de rentabilité du système éducatif.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.

M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le ministre, j'ai bien entendu vos propos et je ne conteste pas qu'un certain nombre de filières ou de formations sont peu fréquentées pour des raisons démographiques. Il n'en demeure pas moins qu'un problème social existe puisque, dès lors que l'on réduit l'offre, il en résulte une sorte de mutilation pour un certain nombre de familles.

Plus largement, créer des pôles d'excellence, c'est à l'évidence un bel habillage pour l'éloignement et le regroupement des formations en un lieu donné. Je comprends qu'ils puissent être constitués. Mais il faut souligner le souci et les charges ainsi créés pour les familles et les collectivités.

Depuis longtemps - vous n'êtes pas en cause, monsieur le ministre -, l'éducation nationale a une façon de gérer la carte scolaire qui relève du psychodrame. Elle a ses rites et provoque un choc tous les ans au mois de mars. Je me demande s'il ne faudrait pas procéder différemment. J'avais proposé, mais cela n'avait pas été bien perçu, de procéder à des regroupements pédagogiques de collèges géographiquement proches, qui permettraient de bénéficier d'une offre élargie. Cela pourrait s'organiser très facilement avec les transports scolaires.

Enfin, je me demande, monsieur le ministre, si votre ministère ne devrait pas envisager un conventionnement sur la durée avec les collectivités. Lorsque deux ou trois communes se voient proposer par vos services un regroupement pédagogique intercommunal, qu'elles acceptent de réaliser les investissements correspondants et que, trois ans plus tard, il leur est annoncé que le nombre d'élèves est insuffisant et que des suppressions de formations sont envisagées, elles ont l'impression d'avoir réalisé des investissements pour rien !

De même, pour les collèges et lycées, il serait souhaitable de travailler avec les collectivités locales, par département et par région, pour trouver des pistes de concertation sur une durée assez longue afin de leur donner l'assurance, du moins pour un certain temps, que les investissements qu'elles auront réalisés seront bien pertinents et que des formations et des postes ne seront pas supprimés.

RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES

DANS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES PARISIENS

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo, auteur de la question n° 438, adressée à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, vous ne me direz pas que vous ne connaissez pas la capitale ! Je regrette d'ailleurs que des collègues de province semblent l'ignorer.

Des filières de formation sont supprimées, non pas dans les ve et vie arrondissements de Paris où tous les bons élèves de la région parisienne et même de France viennent faire leurs études, mais dans les quartiers populaires de la capitale.

Monsieur le ministre, vous faites subir à l'école publique de la capitale une véritable saignée qui concerne l'enseignement tant primaire que secondaire. Ainsi, sont supprimées 4 500 heures d'enseignement dans les collèges et lycées.

De plus, l'enseignement technique et professionnel, déjà mis à mal à Paris, subit une véritable liquidation. Le volume de l'enseignement y est réduit de 750 heures. Je suppose que les enfants fréquentant les lycées d'enseignement professionnel peuvent aller ailleurs que dans la capitale !

Quant à l'enseignement primaire, les postes pourvus, même en augmentation de vingt unités, par le petit jeu des annonces et des reculs, sont totalement insuffisants au regard des besoins et de l'évolution des effectifs qui, dans la capitale, sont non pas en baisse, mais en augmentation. La situation était déjà critique cette année. Cela s'est particulièrement traduit par d'importants dysfonctionnements, les postes de professeurs d'école n'étant pas remplacés. Cela souligne, vous en conviendrez, le manque de postes à Paris.

Plus spécifiquement, les enfants de moins de trois ans seront les grands abandonnés de cette carte scolaire, mais, de toute façon, il n'y en a déjà plus ! Pourtant, le développement de l'école maternelle - chacun peut y réfléchir - est l'un des enjeux essentiels d'une réelle démocratisation de l'école, à Paris comme ailleurs.

Les suppressions de moyens dans l'enseignement tant primaire que secondaire amplifieront considérablement les inégalités scolaires à Paris, en réduisant les chances de réussite des élèves et, en premier lieu, des élèves en difficulté, lesquels sont nombreux dans la capitale, contrairement à des poncifs hélas ! largement partagés.

Le projet initial de l'académie de Paris touchait de plein fouet le nord et l'est, ainsi que les établissements situés en ZEP, les zones d'éducation prioritaires, et en REP les réseaux d'éducation prioritaires, et constituait une mise en cause sans précédent de l'école publique. Fort heureusement, sous la pression des parents, des enseignants et des élus, ce projet est en partie mis en échec à l'heure actuelle.

Par conséquent, monsieur le ministre, je souhaiterais savoir quelles mesures vous comptez prendre pour revenir globalement sur ces restrictions de moyens dans l'enseignement tant du premier que du second degré.

En tout état de cause, je souhaite que vous vous engagiez à ce qu'aucune école située en ZEP, en REP, ou dans le champ d'application de la politique de la ville - chère à votre collègue Jean-Louis Borloo - ne subisse de fermeture de classe venant diminuer encore les capacités d'accueil des enfants en maternelle.

Aucun collège ne devrait subir une diminution de sa dotation horaire globale. Il faut pourvoir aux postes nécessaires en vue de permettre aux élèves de continuer à bénéficier d'un enseignement public de qualité.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Madame la sénatrice, je voudrais d'abord vous apporter quelques éléments de réponse concernant l'ensemble de la France avant d'en venir plus particulièrement à la carte scolaire parisienne.

Le nombre de postes que nous avons prévu de mettre au concours de juin prochain, même s'il est moins élevé que celui de l'année précédente qui était extrêmement important, est de 13 000 dans le premier degré et de 12 500 dans le second degré, de telle façon que tous les départs à la retraite soient remplacés. Il s'agit là d'un point important et, en conséquence, je n'accepte pas votre jugement selon lequel il y aurait des réductions de postes dramatiques dans le premier degré, comme d'ailleurs dans le second degré.

En ce qui concerne la carte scolaire de Paris, la répartition des moyens obéit à des principes qui sont tout à fait transparents et équitables non seulement en fonction des variations démographiques mais aussi, comme dans les autres territoires de la France, en fonction des indicateurs territoriaux et sociaux et d'un indicateur de contraintes structurelles de l'académie, sur lequel je reviendrai dans un instant.

Dans le premier degré, 7 636 postes seront implantés à la rentrée prochaine, soit une augmentation de 20 postes par rapport à la rentrée de septembre 2003.

Je rappelle que, à la rentrée de septembre 2003, j'ai attribué 36 postes supplémentaires au premier degré, alors que les effectifs à Paris avaient diminué de 611 élèves par rapport à 2002. Par conséquent, avec une démographie scolaire en baisse dans le premier degré - le cas parisien est un cas particulier -, 56 postes supplémentaires seront attribués à la rentrée de 2004, en tenant compte des 36 postes de l'année dernière, ce qui permettra de scolariser sans la moindre difficulté tous les élèves attendus.

Madame la sénatrice, je peux donc vous assurer que tous les élèves seront accueillis dans l'enseignement primaire à la rentrée prochaine dans des conditions tout à fait satisfaisantes.

Les efforts seront maintenus dans les ZEP, plus particulièrement pour ce qui touche à la lutte contre l'illettrisme, domaine auquel je suis très attaché, comme vous le savez, avec l'ouverture de cours préparatoires à effectifs réduits dans les ZEP les plus défavorisées, notamment dans dix d'entre elles.

En ce qui concerne le second degré, une diminution du nombre de postes est en effet intervenue, mais elle est minime. En outre, elle me paraît tout fait justifiée, comme elle l'est aux yeux du recteur de Paris, puisqu'elle tient compte à la fois des critères de la démographie scolaire et des critères sociaux. L'académie de Paris, je vous le rappelle, dispose de moyens qui sont supérieurs de plus de 3 % à la moyenne nationale.

Or j'ai pris comme axe politique, depuis que je suis à la tête de ce ministère, de rééquilibrer les dotations en postes entre les différentes académies en France. J'ai souhaité m'attaquer non pas, comme c'était le cas auparavant, simplement aux flux, c'est-à-dire aux postes que l'on créé ou que l'on supprime le cas échéant chaque année, mais aux stocks. J'ai donc eu la volonté d'opérer un rééquilibrage entre les régions, selon un principe d'équité qui relève bien du rôle de l'Etat. Certaines régions ont été surdotées traditionnellement pendant des années, non pas en soi - cela n'aurait pas de sens - mais relativement à d'autres régions. C'est le cas, par exemple, des académies du Nord ou de Paris.

Je considère que mon rôle, surtout au moment où l'on met en place les principes de la décentralisation, est d'assurer la péréquation entre les différentes dotations qui sont attribuées aux régions.

J'ajoute, madame la sénatrice - vous y faisiez d'ailleurs vous-même allusion tout à l'heure -, que la concertation se poursuit dans l'académie de Paris. La situation de chaque lycée fait l'objet d'un échange systématique entre le chef d'établissement et les responsables des services académiques, afin de s'assurer que tous les enseignements obligatoires sont bien mis en place pour la rentrée prochaine. S'agissant des collèges et des lycées professionnels, les responsables des services académiques maintiennent un dialogue également permanent avec les chefs d'établissement qui ont signalé des difficultés spécifiques.

Par conséquent, les difficultés qui subsistent pourront être réglées dans les jours ou les semaines qui viennent, comme vous l'avez dit vous-même à votre façon.

Enfin, il faut rappeler que les ajustements seront effectués en relation avec les taux de réussite aux examens et les taux de redoublement en troisième. Des moyens horaires complémentaires actuellement mis en réserve seront affectés dans les établissements pour des actions particulières et des dispositifs pédagogiques spécifiques, notamment pour les non-francophones et pour l'ouverture d'une troisième sur la voie professionnelle.

L'objectif visé dans la préparation de la carte scolaire est d'accueillir tous les élèves dans les meilleures conditions pédagogiques possibles, avec une augmentation assez forte - en tout cas, sensible - dans le premier degré et une très légère diminution dans le second degré. Celle-ci est parfaitement légitime, au regard non seulement des effectifs scolaires, mais aussi des impératifs d'équité, c'est-à-dire de péréquation entre les dotations attribuées chaque année aux différentes académies sur le territoire de la France.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.

Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, votre réponse ne me satisfait pas et elle ne répond pas non plus - j'en suis convaincue - aux attentes des enseignants et des parents de la capitale, d'une grande partie d'entre eux en tout cas.

Vous m'avez répondu sur les postes mis aux concours alors que je ne vous avais pas posé la question. En revanche, vous n'avez rien dit sur les 4 500 heures d'enseignement supprimées dans les collèges et lycées.

Vous avez évoqué les inégalités entre Paris et d'autres départements. Que dire des enfants de moins de trois ans qui ne sont pas accueillis en maternelle dans les quartiers populaires des xviiie, xixe et xxe arrondissements ? Et, surtout, ne me dites pas que les enfants sont en crèche, c'est faux !

Comment accepter la suppression de 39 postes dans le primaire alors qu'il y aura dans le même temps 2 181 élèves supplémentaires à Paris ? Je sais bien que nous ne sommes pas d'accord sur les statistiques, mais les chiffres que je vous donne me semblent correspondre à la réalité.

Comment accepter de condamner les enseignants du secondaire à ne plus pouvoir assurer la totalité des programmes qu'ils sont chargés de dispenser ? En effet, après que les enseignements optionnels ont été éliminés dans le secondaire, votre politique s'attaque désormais aux enseignements obligatoires. L'Etat demande aux enseignants d'en organiser sans leur donner les moyens nécessaires et sans leur permettre d'offrir aux élèves ce qui leur est pourtant garanti par les circulaires de votre propre ministère.

Dans le lycée professionnel Barrault situé dans le xiiie arrondissement, que je connais bien pour en être l'élue, la diminution de la DHG, la dotation horaire globale, se traduit notamment par une classe de troisième technologique en moins, par une diminution de 50 % des possibilités de recrutement dans les sections de brevet d'études professionnelles, ainsi que par des capacités d'accueil réduites.

Quant au primaire, malgré les reculs du rectorat, il est encore prévu de fermer huit classes dans cet arrondissement qui connaît déjà une situation scolaire très contrastée, entre les parties du quartier les plus populaires et les autres : augmentation importante de doubles niveaux, déstabilisation des équipes enseignantes, réduction de l'accueil des enfants handicapés avec projet individualisé, perte d'un poste de classe d'enseignement spécialisé.

J'ajoute que, après l'effondrement catastrophique de l'école Auguste-Perret, le rectorat de Paris s'était engagé à ne supprimer aucun poste dans le XIIIe arrondissement jusqu'à ce qu'une solution soit trouvée pour les enfants de cette école.

Par conséquent, monsieur le ministre, force est de constater que les engagements du rectorat ne sont pas tenus.

M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

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CANDIDATURE À UNE COMMISSION

M. le président. J'informe le Sénat que le groupe de l'Union centriste a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la place laissée vacante par M. Michel Pelchat, décédé.

Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.

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LAÏCITÉ DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES

ET LYCÉES PUBLICS

Discussion d'un projet de loi

 
Dossier législatif : projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 209, 2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. [Rapport n° 219 (2003-2004).]

Messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi fait suite à une longue réflexion menée notamment dans le cadre de la commission constituée sur l'initiative du Président de la République et présidée par M. Bernard Stasi, Médiateur de la République.

Je me réjouis que cette commission, dont les travaux ont inspiré le projet de loi, ait tenu ses réunions au Sénat sous le regard de Public Sénat, notre chaîne de télévision.

A l'évidence, ce projet de loi porte sur l'un des fondements essentiels de notre pacte républicain et de notre « vouloir vivre ensemble ».

Aussi la conférence des présidents a-t-elle souhaité, suivant la proposition du président Jacques Valade, qui est notre rapporteur, un débat le plus large et le plus ouvert possible, qui permette à toutes les sensibilités de s'exprimer par-delà les appartenances politiques.

Aucune limitation de la durée globale de la discussion générale ou du nombre des orateurs de chaque groupe n'a donc été fixée. Chaque sénateur qui en a formulé le souhait pourra prendre la parole, et je constate que pas moins de cinquante orateurs sont inscrits dans la discussion générale.

S'agissant de la durée des interventions, la conférence des présidents a décidé que le premier orateur de chaque groupe disposerait de quinze minutes et que les autres interventions ne devraient pas dépasser dix minutes. Je forme le voeu que chacun ait à coeur de respecter son temps de parole.

Je vous informe par ailleurs que M. le Premier ministre, actuellement retenu à l'Assemblée nationale sur la motion de censure, devrait intervenir demain à la fin de la discussion générale.

Place est maintenant au débat, en espérant qu'il permette à l'ensemble des orateurs de marquer le caractère fondateur du principe de la laïcité de la République française.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi que j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui à l'approbation de la représentation nationale est simple et brève, mais ne nous y trompons pas : comme l'a montré l'ampleur du débat qui a précédé son élaboration, et auquel elle tente d'apporter une réponse, cette loi occupera certainement une place remarquable dans la vie de l'idéal républicain qui anime depuis plus d'un siècle maintenant notre école laïque.

Le chef de l'Etat a rappelé solennellement, dans son discours du 17 décembre dernier, le sens de la laïcité dans notre pays, et il a souhaité que le Gouvernement vous présente un projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans l'école de la République.

Un large débat, comme le rappelait à l'instant le président de la Haute Assemblée, a précédé l'élaboration de ce projet de loi, et il a été nourri, notamment, par les travaux de deux commissions prestigieuses : celle que présidait M. Jean-Louis Debré, à l'Assemblée nationale, et celle qui fut conduite par M. Bernard Stasi. Je tiens, d'entrée de jeu, à rendre hommage à la qualité remarquable des travaux qui ont été menés au sein de ces deux commissions.

Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui pose la question de la permanence de nos valeurs et de notre capacité à les faire partager par ceux qui nous ont rejoints plus récemment et qui sont aujourd'hui des Français à part entière.

La tradition de la France est, vous le savez, une tradition d'ouverture : vieille terre de chrétienté, notre pays s'est enrichi au contact de diverses cultures et continuera de le faire par l'intermédiaire, notamment, des femmes et des hommes qui sont venus de tous horizons au fil de l'histoire et qui ont aujourd'hui fait souche dans notre pays, dans une logique d'intégration à la vie de la nation.

Pour faire ressortir les enjeux essentiels de cette loi, je formulerai brièvement trois séries de remarques : tout d'abord, j'aborderai le contexte actuel, qui justifie véritablement la finalité de cette loi ; ensuite, j'évoquerai la tradition républicaine dont cette loi est finalement le prolongement ; enfin, j'indiquerai comment cette loi tente d'apporter une réponse aux défis de l'avenir et aux questions qui nous sont aujourd'hui posées.

En ce qui concerne le contexte actuel, quatre éléments me paraissent légitimer cette loi et la finalité qui est la sienne.

Premier élément : comme l'a indiqué le Président de la République dans son discours du 17 décembre dernier que j'évoquais tout à l'heure, « le communautarisme ne saurait être le choix de la France ». Bien entendu, les appartenances communautaires ne sont pas rejetées par la tradition républicaine française : contrairement à une idée reçue, la tradition républicaine française est tout à fait respectueuse des différences et des diverses communautés. Mais ce qui est visé dans cette loi, c'est la crispation dogmatique, qui peut parfois s'installer dans une vision étroite et militante de certains communautarismes.

De fait, lors du dernier comité interministériel présidé par Jean-Pierre Raffarin et consacré à la question du racisme et de l'antisémitisme, nous avons pu voir, au travers des chiffres qui nous ont été communiqués par les services du ministre de l'intérieur, à quel point l'idée d'une montée des communautarismes était non pas un fantasme, mais une réalité à laquelle nous avons le devoir d'apporter une réponse.

Je vous rappelle les chiffres. Entre 2000 et 2002, la France a connu une augmentation considérable des actes antisémites. Au cours des années quatre-vingt-dix, environ dix actions antisémites - généralement des violences physiques - étaient enregistrées chaque année. A la fin de l'année 2002, 193 actions antisémites ont été comptabilisées, soit une augmentation considérable. Une baisse importante a été enregistrée en 2003, mais le nombre de ces actes demeure très élevé. Dans le même temps, les actes racistes à caractère non antisémite ont connu une progression de 205 %. Lorsqu'on regarde de près les causes de ces actes, on s'aperçoit qu'il s'agit, dans 99 % des cas, d'affrontements intercommunautaires. Cette montée des communautarismes dogmatiques est donc, je le répète, non pas un fantasme, mais une réalité.

La première finalité de cette loi relative à la laïcité dans nos écoles, nos collèges et nos lycées publics est précisément de faire en sorte que nos établissements scolaires, et plus précisément nos classes, ne se structurent pas par l'appartenance à une communauté religieuse, politique ou, plus généralement, militante. C'est l'objet fondamental de cette loi. Il y va de la responsabilité des adultes à l'égard des enfants, car c'est quand même le monde de l'enfance qui est concerné au premier chef.

Un deuxième élément milite en faveur de cette loi : nous avons vu apparaître une espèce de manifestation de plus en plus ostensible de signes religieux qui témoignent de ces appartenances communautaires parfois très militantes.

Comme l'a également rappelé le Président de la République dans son discours que j'évoquais tout à l'heure, « jusqu'à récemment, en vertu d'usages raisonnables et spontanément respectés, il n'avait jamais fait de doute pour personne que les élèves, naturellement libres de vivre leur foi, ne devaient pas pour autant venir à l'école, au collège ou au lycée en habit de religion ». La formule est excellente, car c'est en effet cela qui est visé au premier chef.

A ces deux éléments de contexte - la montée des communautarismes et, dans le même temps, celle des signes religieux manifestant ostensiblement des appartenances communautaires - s'ajoutent deux autres éléments qui contribuent à légitimer l'existence de cette loi.

Le premier, c'est le fait que, contrairement à ce que l'on a dit parfois, le véritable problème que rencontrent les chefs d'établissement - j'en ai reçu plus d'un millier au cours des derniers mois -, c'est non pas la présence dans l'établissement de tel ou tel signe religieux, même manifestant une appartenance communautaire ostensible, mais les conflits que ces signes religieux peuvent engendrer entre les élèves et les professeurs.

Après l'avis du Conseil d'Etat de 1989, dont nous avons tous le contenu et le message présents à l'esprit, les chefs d'établissement, en cas de conflit, devaient donner tort plutôt aux professeurs qu'aux élèves, avec le très grand risque de faire exploser la communauté éducative de l'établissement. Tous les chefs d'établissement que j'ai rencontrés m'ont demandé de clarifier la situation. A cet égard, on ne peut absolument pas dire que la présente loi ne changera rien puisque, précisément, par rapport à l'avis du Conseil d'Etat de 1989, elle apporte un éclaircissement décisif : les signes religieux qui sont aujourd'hui considérés comme « ostensibles » ne seront plus admis dans les établissements.

Il y a donc là un renversement de perspective qui modifiera, à n'en pas douter, la situation des chefs d'établissements.

Par ailleurs - et c'est le quatrième et dernier élément -, s'agissant des élèves - en particulier de certaines jeunes filles, une certaine pression était exercée : elles se voyaient parfois reprocher - c'est une réalité, ce n'est pas imaginaire ! - de ne pas arborer tel ou tel signe religieux au motif que d'autres le portaient. Par conséquent, elles pouvaient être taxées de mauvaises croyantes ou de ne pas manifester leurs croyances religieuses puisque d'autres le faisaient de manière plus ostensible. Il fallait donc que l'Etat intervienne pour garantir l'égalité de toutes les jeunes filles et faire cesser les pressions qu'elles pouvaient subir.

Tels sont les éléments du contexte actuel qu'il fallait prendre en compte pour comprendre la raison pour laquelle il était nécessaire de clarifier la situation et de proposer une loi sur l'exercice et l'application de la laïcité dans nos établissements.

Mais quelle loi ? Il s'agissait non pas de dire que l'on était pour ou contre une loi, mais plutôt de se demander quelle loi pouvait véritablement apporter des solutions raisonnables aux difficultés que je viens d'évoquer très brièvement. Eh bien ! pour répondre à cette question, il fallait - et ce fut le choix du Président de la République - se référer à ce que notre tradition républicaine a de meilleur en matière d'enseignement et de conception de l'école publique. Le Président de la République l'a dit de façon particulièrement claire dans son discours : « La laïcité est au coeur de nos traditions. Il ne s'agit aujourd'hui » - et j'insiste sur ce point qui me paraît particulièrement important - « ni de la refonder ni d'en modifier les frontières. Il s'agit de la faire vivre en restant fidèle aux équilibres que nous avons su inventer et aux valeurs de la République. »

En d'autres termes, il était question non pas d'inventer une nouvelle conception de la laïcité, une nouvelle conception de la République, mais de faire vivre la conception traditionnelle qui fut celle de la France et de l'appliquer à des cas particuliers relativement nouveaux dans notre histoire sans modifier, comme l'a dit le Président de la République, des équilibres très difficilement acquis au fil des cent ou cent cinquante dernières années.

Le message est crucial, car il implique, en vérité, que l'on interdise les signes militants, les signes excessifs, ceux qui manifestent ostensiblement une appartenance communautaire risquant de conduire à une structuration en communautés d'appartenance. Mais cette conception de la laïcité suppose aussi que l'on autorise les signes discrets et que l'on ne porte pas atteinte aux convictions religieuses personnelles : ce qui est visé, ce sont les appartenances communautaires militantes, et non pas - il est très important de le rappeler - l'expression discrète de ses convictions religieuses personnelles.

Je crois que la tradition française est, de ce point de vue, particulièrement intéressante, particulièrement originale et particulièrement défendable.

En d'autres termes, même si nous avons parfois quelques difficultés à faire comprendre notre conception de la République et de la laïcité à l'étranger, il ne faut ni en avoir honte ni s'en sentir coupable ; il faut au contraire, me semble-t-il, expliquer pourquoi cette tradition républicaine, qui a été inventée par la France, a encore aujourd'hui des mérites notamment pour traiter la question des communautarismes dogmatiques que j'évoquais.

Dans cette tradition où nous avons puisé l'inspiration du présent projet de loi, la laïcité repose sur quatre piliers qui forment un ensemble cohérent, extraordinairement puissant, intéressant et original, qui mérite, disais-je, d'être défendu.

Premièrement, la laïcité « à la française », c'est la séparation de la religion et de la politique telle qu'elle a été conçue au moment de la création du Parlement, autrement dit au moment de la création de l'Assemblée nationale. Dans le sillage de la Révolution française, apparaît, probablement pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, l'idée alors extrêmement novatrice que la source de la loi ne doit plus être la religion, mais, mesdames, messieurs les parlementaires, vous-mêmes. C'est à vous qu'il appartient de « fabriquer » la loi, en vous appuyant sur la notion d'intérêt général, sur la volonté et sur la raison des êtres humains que vous représentez, c'est-à-dire des Français. Voilà pourquoi on vous appelle « la représentation nationale ».

L'idée que la loi trouve sa source dans des êtres humains, les représentants du peuple, et non pas dans des textes religieux, tel est le premier pilier de la laïcité « à la française ».

Son deuxième pilier est une certaine conception des droits de l'homme, qui apparaît dans notre déclaration de 1789 sous une forme qui n'est pas identique, je dois le dire, dans les autres déclarations, et par exemple pas dans la Déclaration des droits de Virginie, la grande déclaration américaine de 1776, qui a elle aussi ses vertus, mais qui n'a pas la même approche que la tradition française.

Le deuxième pilier de la laïcité, c'est l'idée, qui est au coeur de la Déclaration de 1789, que l'être humain a des droits indépendamment de toute espèce d'appartenance communautaire, c'est-à-dire en clair même s'il est apatride. Indépendamment de toute appartenance linguistique, culturelle, ethnique, religieuse, et même nationale, l'être humain mérite d'être respecté, et c'est pourquoi je dirai que la conception française des droits de l'homme va presque a priori au-delà des appartenances communautaires.

Le troisième pilier est mieux connu : c'est, évidemment, non pas l'athéisme, mais la neutralité de l'Etat, qui seule garantit la coexistence pacifique des différentes confessions religieuses.

Le quatrième pilier, un peu plus subtil, est, lui aussi, très important. C'est le rejet du droit à la différence quand il confine à la différence des droits. Il correspond tout simplement dans notre histoire à la nuit du 4 août, autrement dit à l'abolition des privilèges.

En nous appuyant sur ces quatre piliers, nous avions donc largement de quoi puiser dans la tradition républicaine française pour concevoir une loi nouvelle, au sens non pas où elle serait en rupture avec nos traditions mais où elle les ferait vivre face à des questions elles-mêmes nouvelles et qui méritent de recevoir une véritable réponse.

C'est la raison pour laquelle - et ce sera ma troisième série de remarques - la loi que j'ai l'honneur de vous soumettre aujourd'hui tente, et je suis convaincu qu'elle y parviendra, de résoudre les difficultés que nous rencontrons dans nos établissements scolaires.

Je souhaite commenter la formulation fort simple qui a été retenue et que je vous rappelle : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »

Je voudrais souligner, en vous demandant de me pardonner ces précisions qui peuvent paraître un peu byzantines - mais ce n'est pas à vous, mesdames, messieurs les sénateurs que j'apprendrai que dans la loi chaque mot compte -, ce qui justifie le recours à la formule adverbiale « ostensiblement ».

Cette formulation présente à nos yeux le grand avantage de faire apparaître que ne sont pas seulement visés les signes ostensibles, mais également le contexte dans lequel ils sont portés, à savoir un établissement d'enseignement public dans lequel ils peuvent véritablement être perçus comme des signes d'appartenance communautaire quasi militants. Au fond, l'idée d'ostensibilité s'oppose à celle de discrétion ; elle est pratiquement synonyme d'excès et de militantisme communautariste, et ce sont bien ces attitudes qui, encore une fois, sont visées.

Il est essentiel de saisir - c'est un point qui n'a peut-être pas été encore suffisamment souligné - que cette formulation autorise ipso facto le port des signes discrets, conformément à toute la tradition républicaine que je viens d'évoquer.

A cet égard, deux grands textes nous confortent dans l'opinion qu'il ne fallait pas aller jusqu'à interdire les signes religieux discrets dans nos établissements publics.

D'une part, l'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 précise très clairement que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, » - le « même » est d'ailleurs significatif du contexte historique de l'époque - « pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». Or nul ne peut prétendre sérieusement aujourd'hui que le port à l'école d'insignes religieux discrets comme une petite croix ou une petite étoile de David autour du cou...

Mme Nicole Borvo. Ou une main de Fatma...

M. Luc Ferry, ministre. ... troublerait l'ordre public, et je crois que nous eussions nous-mêmes été excessifs si nous avions entendu interdire ces signes discrets.

D'autre part, la formule est reprise, presque telle quelle, dans la grande loi de 1905.

On a trop souvent tendance à oublier que cette loi de 1905 n'était nullement hostile aux convictions religieuses puisque - vous le savez bien sûr, mesdames, messieurs les sénateurs, mais je le rappelle à l'intention de tous - non seulement elle instituait la possibilité d'installer des aumôneries dans les établissements scolaires publics, mais aussi et surtout elle prévoyait le financement de ces aumôneries sur les fonds de l'administration publique.

A l'évidence, la loi de 1905 était donc non pas hostile aux convictions religieuses, mais au contraire respectueuse de celles-ci, dès lors qu'elles étaient des convictions personnelles, individuelles et discrètes.

Lorsque nous en serons au stade de l'élaboration de la circulaire qui viendra préciser dans quel sens la loi doit être entendue, il faudra, bien sûr, que nous réfléchissions à la question de savoir comment les religions pourront passer de signes ostensibles et communautaires à des signes discrets et personnels. C'est au fond tout l'enjeu de l'application de la loi. Evidemment, ces questions viendront en débat en leur temps. Aujourd'hui, nous discutons des principes mêmes, c'est-à-dire du niveau de la loi.

J'ajouterai quelques remarques en guise de conclusion.

Première remarque, et c'est d'ailleurs un des importants acquis du débat parlementaire, la loi s'appliquera bien sûr dans un souci constant de pédagogie et de dialogue ; la médiation, s'il le faut, restera la règle. D'ailleurs, si la loi n'entrera en application qu'à partir de la rentrée 2004, c'est précisément pour prendre le temps de la pédagogie et de l'explication. Mais, même après la rentrée 2004, le dialogue, la pédagogie et, s'il le faut, la médiation resteront la règle d'application de la loi dans les établissements scolaires.

Deuxième remarque, le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter est un point non pas d'arrivée, mais de départ. La mise en oeuvre des propositions qui lui ont été faites, par la commission Stasi notamment, est actuellement étudiée par le Gouvernement, qui entend mener une politique de la laïcité équilibrée, évidemment plus générale et plus développée en même temps que plus détaillée que la simple loi, quelle que soit l'importance cruciale de celle-ci, qui résultera de nos actuels travaux.

Troisième remarque, il faudra développer, car il relève aussi de la tolérance et du respect d'autrui, l'enseignement du fait religieux dans nos établissements.

Je crois pouvoir le dire ici, j'ai eu la chance, comme président du Conseil national des programmes, de pouvoir inscrire dans les programmes scolaires l'impératif d'enseigner le fait religieux, notamment dans les programmes d'histoire de sixième et de seconde, mais aussi dans les programmes de français. Il nous faudra maintenant être capables de nous doter des instruments pédagogiques - c'est cela qui, pour l'essentiel, nous manque encore - afin de donner, notamment à nos professeurs d'histoire et de lettres, les moyens de dispenser un enseignement du fait religieux, évidemment non confessionnel mais historique - culturel et non cultuel - qui soit digne de ce nom et dépasse le stade des promesses et des ambitions.

Quatrième remarque, nous devons traiter les causes des problèmes et pas seulement leurs conséquences. A nous maintenant de faire en sorte que la République tienne sa promesse, qu'elle réagisse aux échecs de l'intégration et mette en valeur les réussites qui, il faut honnêtement le reconnaître, sont nombreuses.

L'égalité par la promotion sociale, la liberté par l'acceptation de la diversité, la fraternité entre les Français quelles que soient leurs origines, voilà les réponses que le Gouvernement entend apporter.

Pour les enfants de l'immigration qui sont aujourd'hui des Français à part entière - et le mot « intégration » ne doit d'ailleurs plus leur être associé, car parler encore d'intégration à leur égard est presque insultant -, pour ces jeunes et ces moins jeunes qui ont comme les autres le droit au mérite, notre politique doit reposer sur deux piliers : la lutte contre les discriminations et la promotion sociale par la formation et l'emploi.

Dans le cadre de la « mobilisation positive » pour l'égalité des chances, nous aurons trois rendez-vous importants : d'abord la création d'une autorité administrative indépendante pour l'égalité des chances et la lutte contre les discriminations qui devra être opérationnelle avant la fin de l'année ; ensuite, la tenue au printemps d'un comité interministériel à l'intégration, qui est déjà en préparation, sur la question de l'école et de la formation ; enfin, l'organisation d'une conférence pour l'égalité des chances, au second semestre, avec les entreprises et les partenaires sociaux, parce que ce sujet ne concerne pas uniquement les pouvoirs publics, mais bien toute la société. Cette conférence sera l'occasion de mobiliser les entreprises, de diffuser les bonnes pratiques et de mettre en oeuvre des actions concrètes au service de la promotion sociale de ceux qui le méritent.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette loi est, à elle seule, à la fois l'expression d'une conviction et le levier d'une action. C'est dans cette concorde entre la pensée et l'action que la politique trouve sa grandeur. Le Gouvernement est confiant dans la capacité des grandes forces politiques de ce pays à se retrouver dans cette ambition. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Valade président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat qui s'ouvre aujourd'hui au Sénat sur le projet de loi que l'Assemblée nationale vient d'adopter par un vote massif est fondamental en ce sens qu'il porte sur l'école, sur la République et ses valeurs essentielles. Il doit être l'occasion de réaffirmer notre attachement à notre modèle de cohésion nationale, dont la laïcité est un des piliers, et de manifester notre volonté renouvelée de consolider ce qui fonde notre unité, par-delà nos différences.

Ce projet de loi correspond à un voeu très largement partagé par la majorité d'entre nous, reflet de la communauté nationale. Il est l'expression de la volonté formulée par le Président de la République, lors de son discours du 17 décembre 2003, de faire vivre la laïcité, en priorité à l'école publique, lieu de formation des enfants et des adolescents, ces citoyens en puissance, et d'apprentissage des valeurs que nous avons en partage.

Pierre angulaire de notre pacte républicain, la laïcité renvoie, en effet, à nos principes essentiels. Longue conquête de notre histoire collective, elle s'est peu à peu inscrite dans nos institutions, nos traditions et nos mentalités. C'est sur la laïcité que reposent la liberté de conscience et l'égal respect de toutes les croyances. Le corollaire est la neutralité de l'Etat sur le plan religieux, c'est-à-dire l'indépendance des sphères politique et religieuse, publique et privée.

Au-delà, la laïcité a acquis, dans notre pays, la valeur de ciment de la société française, de lien social, de garant de la paix civile et du respect mutuel. Elle traduit un art de vivre ensemble, dans la liberté - d'abord celle de croire ou de ne pas croire -, l'égalité et la fraternité.

On croyait ces principes acquis près d'un siècle après l'adoption de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat. Aujourd'hui, leur rappel est indispensable.

Depuis quinze ans environ, avec l'émergence, notamment, d'un islamisme radical, la question de la laïcité a retrouvé une actualité nouvelle. C'est d'abord à l'école, le creuset de la laïcité républicaine, qu'a resurgi un débat passionnel, focalisé sur les « affaires de voiles islamiques », apparues sur le devant de la scène médiatique à Creil, en 1989.

Le contexte et les termes du débat ont changé.

D'une part, la France, de par sa longue tradition d'ouverture et d'immigration, est devenue un pays pluriel sur le plan religieux : elle accueille désormais les premières communautés musulmane et juive d'Europe. De fait, si la France est restée la « fille aînée de l'Eglise », l'islam y est aujourd'hui la deuxième religion : celle-ci cherche à se faire une place dans notre société et nous devons l'y aider.

D'autre part, nous devons constater les limites de notre modèle d'intégration, dont l'école est, en principe, le moteur essentiel. Ce constat est accentué par les phénomènes de ségrégation urbaine et l'existence de discriminations, sociales ou raciales, très bien mises en évidence par le tout récent rapport du médiateur de la République, M. Bernard Stasi.

En quelques années, la montée en puissance des problèmes, par la radicalisation de ces phénomènes, est telle que la République ne peut plus rester indifférente aux appels de ceux qui demandent son soutien.

Si en 1989 le Gouvernement s'en était remis au juge pour régler ces tensions, il est aujourd'hui de notre devoir et de notre responsabilité d'apporter, par la loi, une réponse politique claire et un message de fraternité.

En effet, les travaux qu'ont menés la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le port des signes religieux à l'école, présidée par M. Jean-Louis Debré, ainsi que la commission indépendante installée par le Président de la République en juillet 2003, présidée par M. Bernard Stasi, ont permis de mesurer l'ampleur des difficultés rencontrées par les chefs d'établissement et les équipes éducatives pour faire respecter le principe de laïcité à l'école et pour assurer leur mission dans un climat serein et neutre.

Cette mission et cette commission ont toutes deux conclu à la nécessité d'une loi encadrant le port de signes religieux à l'école, et les personnalités que nous avons pu auditionner, dans les brefs délais dont nous disposions, nous ont rappelé, dans leur grande majorité, l'opportunité et l'urgence d'une telle loi.

Mais, au-delà de l'école, toutes ces auditions ont révélé l'existence de bien d'autres brèches dans le principe de laïcité, dans les services publics, à l'hôpital notamment, dans les entreprises, en un mot dans la société française contemporaine tout entière.

Cette perte de sens de la laïcité ouvre la voie à des dérives inacceptables, incompatibles avec notre tradition républicaine : le repli communautaire, la crispation identitaire, la montée d'une violence raciste et antisémite, la remise en cause du principe d'égalité entre les sexes.

La laïcité nous fait à nouveau l'obligation, au XXIe siècle, de refuser tout mélange du politique et du religieux, et de mettre un coup d'arrêt aux intégrismes, quels qu'ils soient, qui prétendent faire primer la loi religieuse sur la loi républicaine, et fonder ainsi sur la foi une nouvelle légitimité du pouvoir politique.

Dans Les Lettres persanes, Montesquieu, par la voix du musulman Uzbek en voyage à Paris, a la formule suivante : « On s'est aperçu que le zèle pour les progrès de la religion est différent de l'attachement qu'on doit avoir pour elle. »

Il s'agit non pas de stigmatiser une religion, en particulier l'islam, mais de barrer la voie à ceux qui, en son nom, défient la République et heurtent de front les valeurs qui sont les nôtres. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)

Comme l'a rappelé M. le Premier ministre, « dans la République française, la religion ne peut pas être et ne sera pas un projet politique ».

Au nom de la laïcité, il nous faut aujourd'hui réagir.

En adoptant une démarche de fermeté, la France envoie un signal d'espoir à ceux qui combattent, dans leurs pays, pour plus de liberté et de tolérance. Elle adresse, par ailleurs, un message de soutien à la grande majorité de nos compatriote issus de l'immigration, qui ne demande qu'à s'intégrer, dans le respect des lois de la République.

Pour autant, la laïcité n'est pas le laïcisme, elle n'est pas un combat contre les religions. Aristide Briand, en 1905, avait ce mot en direction de ceux qui combattaient alors, avec passion, la loi de séparation des Eglises et de l'Etat, les mêmes qui, aujourd'hui, la font leur : « La seule arme dont nous voulions user vis-à-vis de vous, c'est la liberté. »

Dans la République laïque, chacun doit être libre de pratiquer la religion de son choix : la neutralité n'est pas le rejet des religions. Le présent projet de loi n'a pas vocation à interdire l'expression de la foi religieuse dans la société française. Comme vous l'avez dit devant notre commission et ainsi que vous l'avez rappelé voilà un instant, monsieur le ministre, il concerne les enfants et les adolescents et traduit la responsabilité du monde des adultes à leur égard.

En effet, ce texte vise à préserver et à protéger l'école des dérives communautaires qui, prenons-en bien conscience, ne l'épargnent pas. Nous ne pouvons accepter, au risque de les banaliser, le développement de comportements contraires au principe de laïcité qui perturbent le bon déroulement de la mission éducative : les enseignants nous font ainsi état de demandes, par des jeunes filles, de dispenses injustifiées au cours d'éducation physique, de contestation du contenu de certains enseignements concernant les sciences naturelles, l'histoire de la Shoah ou le conflit au Proche-Orient notamment, du développement d'injures ou de violences racistes et antisémites entre élèves, de remises en cause du principe de mixité des cours...

En cédant sur le port des signes religieux, nous nous rendrions coupables d'ouvrir la voie à un dangereux engrenage. L'école, pour être publique, n'est pas l'espace public de la rue ou des halls de gare. C'est une institution, sans nul doute l'institution fondamentale de la République, avec ses règles propres.

C'est à l'école que se forge et se cimente cet idéal de liberté, d'égalité, de respect et de tolérance qu'incarne la laïcité. Les lois et principes de la République doivent trouver à s'y appliquer avec plus de rigueur et de fermeté qu'ailleurs. Il ne serait pas responsable de transiger avec le respect des règles communes dans le lieu même de leur apprentissage.

La sérénité de l'espace scolaire, lieu de transmission d'un savoir à vocation universelle, lieu d'émancipation par l'acquisition des connaissances et de l'esprit critique, repose sur des exigences, et notamment sur le respect d'une certaine neutralité.

L'école a besoin de distance par rapport aux tumultes du monde extérieur. L'exigence laïque impose qu'y soient proscrits les signes qui s'affichent ouvertement comme une revendication publique d'une appartenance religieuse, prenant ainsi la dimension de symbole, d'étendard.

La salle de classe est un espace partagé, elle ne doit pas être une fédération de clans. Tout ce qui aurait pour objet et conséquence d'isoler, de séparer, d'enfermer dans une différence en permettant de distinguer au premier regard les élèves entre eux selon leur religion n'a pas sa place dans l'enceinte scolaire.

Cette loi est par conséquent nécessaire. Elle rappelle un principe fondamental et énonce une règle claire et simple : le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit dans les écoles, collèges et lycées publics.

Il s'agit d'une loi de clarification et d'apaisement. Le cadre juridique sur lequel repose, à l'heure actuelle, le port de signes religieux par les élèves entretient la confusion, de par ses ambiguïtés et ses insuffisances.

Comme l'a rappelé tout à l'heure M. le ministre, la jurisprudence issue de l'avis du Conseil d'Etat du 27 novembre 1989 ainsi que les circulaires ministérielles adressées depuis aux établissements, bien connues des élèves et de leur entourage, ont souvent conduit à attiser les conflits et à accroître le désarroi et le sentiment d'isolement des chefs d'établissement. Le juge considère en effet que le port d'un signe religieux est compatible avec le principe de laïcité. Il n'est donc possible de l'interdire que s'il s'accompagne de comportements de caractère prosélyte ou ostentatoire, très délicats à prouver.

Vous avez ainsi souligné devant nous, monsieur le ministre, la difficulté des chefs d'établissement à gérer non seulement la présence de signes religieux dans les établissements, mais aussi les conflits entre les élèves et les enseignants, par exemple lorsqu'un professeur refuse de dispenser son cours en présence d'une ou plusieurs jeunes filles voilées dans sa classe. Dans ce cas, en l'état actuel du droit, c'est en effet le professeur qui est susceptible d'être sanctionné.

Aussi, le projet de loi qui nous est soumis répond à des attentes fortes. Selon un récent sondage de l'institut CSA, 76 % des enseignants s'y déclarent favorables.

En outre, le principe de laïcité consacré par la Constitution ne peut plus être laissé à l'appréciation au cas par cas, reposant sur des compromis précaires, donnant lieu au développement d'une sorte de droit local : la laïcité ne doit pas devenir un principe à géométrie variable. Pour cela, il nous appartient de définir les limites de ce que peut et doit accepter la République et d'apporter un soutien aux équipes éducatives désarmées, en exprimant notre attachement aux valeurs que défend et promeut l'école.

La règle édictée par le projet de loi est ferme, mais équilibrée et fidèle à notre tradition laïque. Elle ne porte en rien atteinte à la possibilité pour les élèves de porter un signe discret - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre -, marque de l'expression pudique et intime de la foi. Elle ne remet en cause ni le « caractère propre » des établissements privés sous contrat, ni le statut local de l'Alsace-Moselle, ni les traditions vestimentaires des jeunes mahoraises, autant de particularités profondément ancrées dans notre société et auxquelles nous sommes tous attachés.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a tenu à souligner, en introduisant une précision supplémentaire dans le texte du projet de loi, la priorité à donner au dialogue avec l'élève préalablement à toute procédure de sanction. L'application de la loi reposera donc sur un indispensable travail de pédagogie pour que chacun puisse s'approprier les règles de la laïcité. Comme l'a affirmé le Président de la République : « Pour faire vivre la laïcité, il faut d'abord la faire comprendre. »

Il s'agit non pas de procéder par la contrainte, mais de convaincre les plus jeunes que la laïcité est une chance, un formidable espoir de liberté. Les enseignants et chefs d'établissement devront user de persuasion dans la médiation auprès des élèves et de leur famille. Avec l'appui de la loi, ce dialogue se déroulera certainement dans un climat plus serein, le rapport de forces étant inversé en faveur des équipes éducatives.

Vous préciserez, monsieur le ministre, dans une prochaine circulaire, les conditions et les modalités de mise en place de ce dialogue dans les établissements. Nous souhaitons certes que l'application de la loi se fasse avec discernement, mais en restant fidèle à son esprit de fermeté sur le respect des principes et de la règle fixée.

Il sera nécessaire, de surcroît, que ce texte s'accompagne d'un effort important en matière d'enseignement du fait religieux - et donc d'un renforcement et d'une adaptation de la formation des enseignants en ce sens - afin d'améliorer la connaissance critique des religions et de favoriser la compréhension mutuelle entre les différentes cultures et traditions de pensée. C'est de l'ignorance, en effet, que naît l'intolérance. C'est sur ce terreau que prospèrent les extrémismes.

Le défi que doit relever la République déborde le seul cadre de l'école. Il est évident que le présent projet de loi ne prétend pas apporter de réponse à l'ensemble des problèmes de l'école et de la société ; il envoie un signal nécessaire et marque une première étape indispensable.

Si la République a le devoir d'agir pour protéger les jeunes filles qui revêtent le voile afin de se mettre à l'abri des pressions de leur entourage, elle a également une responsabilité à l'égard de celles qui manifestent, en l'arborant, un rejet global de leur culture familiale, de l'institution scolaire et de la société, lesquelles ne leur offrent guère d'espoir de promotion personnelle et sociale.

Paradoxalement, ces jeunes filles expriment un signe qui symbolise l'aliénation de la femme et qui les enserre dans une spirale d'exclusion. Leur déshérence identitaire et leur révolte morale et sociale les conduisent ainsi à se soumettre aux prédications de ceux qui, parlant au nom de la religion, les instrumentalisent à des fins politiques. Mme Hanifa Chérifi, médiatrice de l'éducation nationale, l'a souligné devant nous : « Les islamistes ne défendent pas les jeunes filles voilées, mais ils défendent le voile. » Nous ne pouvons rester passifs face à ce symptôme, révélateur des difficultés auxquelles est confronté notre modèle républicain d'intégration.

Certes, l'adoption de ce projet de loi ne nous épargnera pas un long chemin de reconquête afin que chacun ait de nouveau foi et confiance dans les valeurs de la République et dans sa capacité de rassemblement. Il s'agit de réaffirmer que la France n'est pas un assemblage de communautés juxtaposées, fragmentées, fermées sur elles-mêmes, antagonistes. Nous formons une communauté nationale, unie dans le respect de la diversité des origines, des conditions sociales et des religions de tous ses membres.

Ce message doit s'adresser en priorité aux plus jeunes, à ces identités fragiles, en quête de repères, qui sont des proies faciles pour les intégrismes de tous bords.

Puissent cette loi et le débat qu'elle suscite aujourd'hui servir de levier pour nous mobiliser autour d'un projet plus vaste : redonner à tous les moyens et l'envie de « faire France », sans lesquels chacun retombe, selon la célèbre formule de Jean Jaurès, dans l'« étroitesse des égoïsmes et l'impénétrabilité des âmes closes ».

Fidèle à notre esprit d'ouverture, de respect et d'égalité, cette loi est le symbole d'une République responsable, solidaire, sûre et fière de ses valeurs. Elle réaffirme, à l'école, pour notre jeunesse, avec fermeté mais dans la fidélité à nos traditions, notre attachement à une France au visage fraternel.

Le propre de la laïcité française est de dépasser tous les clivages, qu'ils soient religieux, sociaux ou politiques. C'est pourquoi je souhaite que le Sénat, à l'image de la commission des affaires culturelles, se prononce largement en faveur de l'adoption conforme de ce texte à l'esprit profondément républicain, rassembleur et refondateur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous entamons la discussion devant notre assemblée de ce projet de loi dont on a tant parlé, qui a fait la une des médias pendant des semaines et dont, curieusement, il n'est plus question ! (Mme Nicole Borvo rit.)Cela nous permettra probablement de mieux analyser la situation et de mieux cerner l'étendue du problème, afin de voir comment nous pouvons reconstruire ensemble, au-delà même de l'école, la conception que nous avons de la nation.

La montée des intégrismes, les manifestations de tous ordres qui conduisent au communautarisme sont, il est vrai, de plus en plus mal vécues par nos concitoyens. Elles représentent à la fois l'échec d'une intégration et une sorte de dissolution de la communauté nationale, idéal français, en un certain communautarisme que nous rejetons de toutes nos forces. Sur ce point, il peut y avoir un consensus général.

Qu'est-ce qui fait la particularité française, selon nous ? C'est la conception même que nous nous faisons de la communauté nationale. La meilleure définition en a été donnée voilà plus d'un siècle par Ernest Renan, lors d'une conférence fameuse à la Sorbonne sur le thème : « Qu'est-ce qu'une nation ? » C'est une âme, un principe spirituel ; c'est un plébiscite du quotidien, un « vouloir vivre ensemble », c'est avoir une certaine idée de ce qu'ensemble nous voulons construire et faire.

Notre conception de la nation a toujours rejeté des principes fondateurs objectifs, matériels. Elle dépend non pas de la géographie, de la race ou de la religion, mais de ce que nous ressentons au fond de nous et qui nous fait vouloir vivre ensemble. Or les attaques que nous constatons tous sont d'abord et avant tout dirigées contre notre vouloir vivre ensemble. Il est donc normal que nous voulions réagir.

Dans ce sens, le principe de laïcité n'est, selon moi, pas une fin en soi, c'est le seul moyen de pouvoir vivre ensemble en faisant de nos différences une richesse et en permettant la nécessaire cohésion de la communauté nationale pour progresser vers le bonheur. Nos concitoyens nous incitent fortement à réagir, sans savoir véritablement ce qu'il faut faire, d'ailleurs - vous l'avez souligné, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur -, avec, au premier rang, les directeurs et les chefs d'établissement, pour la raison toute simple qu'ils sont confrontés à des faits auxquels ils ne savent pas forcément réagir. Ils se sentent seuls et ont besoin du soutien de la communauté nationale. Nous sommes prêts à le leur apporter.

Nous pouvons tous, me semble-t-il, partager ce constat général. Toutefois, la réponse apportée est-elle adéquate ? Tout d'abord, et il faut le dire très clairement, réduire le problème à sa dimension strictement religieuse serait une grave erreur. Il touche en fait à la société, à l'idée que l'on a de la communauté nationale.

A cet égard, monsieur le rapporteur, votre rapport écrit comporte selon moi, en particulier à la page 29, quelques formules dignes de débats du siècle précédent. Aujourd'hui, il convient de savoir comment, au début du XXIe siècle, nous pouvons réinventer un principe de laïcité qui redonne à notre vouloir vivre ensemble toutes ses possibilités.

Les sénatrices et les sénateurs du groupe de l'Union centriste sont prêts à participer à l'élaboration et au vote d'une grande loi qui redonnerait au principe de laïcité son actualité. C'est d'ailleurs le point de vue de René Rémond, membre de la commission Stasi, qui déclarait que nous avions besoin de lois globales qui refondent la règle de la laïcité comme un moyen de vivre ensemble et non pas de lois partielles.

Néanmoins, messieurs les ministres, vous avez choisi de commencer - j'espère que ce n'est pas « fini » - par un projet de loi spécifique relatif à l'école. Votre démarche peut se justifier parce que c'est à l'école que les problèmes se posent avec le plus d'acuité. Il ne faudrait cependant pas faire de l'école un sanctuaire ; l'école doit participer à la vie de la société, elle doit en connaître les problèmes et contribuer à apporter des réponses.

Le projet de loi qui nous est proposé, qui s'analyse comme une simple modification du code de l'éducation, ne saurait donc être la grande loi solennelle dont nous aurions probablement besoin. Constitue-t-il une réponse à la question que se pose notre société ?

D'un point de vue strictement juridique, la réponse est probablement négative. En revanche, il n'est pas impossible que nous répondions à l'attente de nos concitoyens.

Qu'est-ce qui est en jeu, sur ce strict plan du droit ? C'est l'exercice d'une liberté publique fondamentale - la liberté de conscience, dont la liberté religieuse est un aspect essentiel - qui, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, est garantie par l'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la Convention européenne des droits de l'homme. La laïcité comme mode d'action de la République s'inscrit forcément dans ce cadre.

S'agissant d'une liberté publique, la règle demeure la liberté, et la mesure de police l'exception.

M. Gérard Delfau. De police ?

M. Michel Mercier. C'est en la matière le droit public républicain depuis plus d'un siècle, mon cher collègue !

C'est dire si, en droit, la marge de manoeuvre est faible, puisqu'il faut agir à l'intérieur de ce bloc de constitutionnalité : vous l'avez souligné, monsieur le ministre, l'interdiction permanente et absolue du port de tout signe d'appartenance religieuse par les élèves serait immédiatement déclarée inconstitutionnelle. Il nous faut, il vous faut donc chercher un équilibre entre l'exigence constitutionnelle et l'exigence pratique.

La marge de manoeuvre est donc faible, si faible que, aujourd'hui, tout le monde convient qu'il ne s'agit pas de créer de règles nouvelles. Vous avez cité le discours de M. le Président de la République, monsieur le ministre ; permettez-moi de m'y référer à mon tour, car il est très clair : « Il ne s'agit pas d'inventer de nouvelles règles ni de déplacer les frontières de la laïcité. Il s'agit d'énoncer avec respect mais clairement et fermement une règle qui est dans nos usages et dans nos pratiques depuis très longtemps. »

Si elle n'est pas de créer de nouvelles règles de droit, peut-être notre tâche consiste-t-elle à les formuler autrement.

Je l'ai dit, mon groupe aurait préféré une loi globale sur la laïcité : aujourd'hui, le champ du texte qui nous est proposé est limité à l'école. Honnêtement, en nous attachant à comprendre la logique qui fonde l'action du Gouvernement, nous nous sommes demandé ce qu'il pouvait apporter.

Les règles, je le répète, restent les mêmes. Elles seront désormais exprimées dans la loi : c'est mieux que dans une circulaire ! Cependant, M. le ministre et M. le rapporteur ont indiqué tout à l'heure que, une fois la loi votée, une circulaire serait encore nécessaire. Pour ma part, je souhaite que nous parvenions à une loi d'application directe, sous peine de nous heurter aux mêmes difficultés qu'aujourd'hui : les choses doivent être claires pour les chefs d'établissement. Mais certaines lois, sans introduire de règles nouvelles, peuvent parfois rénover le droit, le refonder et le faire partager.

Nous nous sommes donc efforcés à la plus grande objectivité possible tout en restant attentifs à la volonté qui guide l'action du Gouvernement, et je crois que, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégions, nous avons intérêt à comprendre cette action et à la mener tous ensemble pour refonder l'idée même de communauté nationale.

Pour le bien de l'éducation nationale, monsieur le ministre, vous devriez, me semble-t-il, mieux écouter et mieux aider Mme Jacqueline de Romilly, qui récemment, vers six heures du matin, essayait sur une chaîne de télévision d'expliquer à travers la pensée politique grecque ce qu'était la démocratie. Il ressortait des textes anciens qu'elle citait à l'appui de sa démonstration, qu'il s'agisse d'Euripide ou du Contre Midias de Démosthène, que la caractéristique de la démocratie, c'est la loi écrite ensemble.

Monsieur le ministre, c'est là un aspect positif et novateur de votre démarche, de la reprise de règles déjà existantes, que de nous permettre de réécrire ensemble - le Parlement dans son entier, représentant toutes les Françaises et tous les Français - les règles qui ont encadré notre vie jusqu'aujourd'hui et auxquelles il faut probablement donner un lustre et une portée symbolique nouveaux.

Le groupe de l'Union centriste a essayé de réfléchir honnêtement, d'écouter toutes celles et tous ceux qui avaient des choses à nous dire, et je crois que nous avons compris leur demande, que nous avons pris la mesure du problème. Aucun de nous ne souhaite voter contre ce projet de loi, mais nous sommes nombreux à ne pas être convaincus qu'un texte aussi partiel et aussi peu novateur soit à même de résoudre tous les problèmes que pose aujourd'hui l'intégrisme à notre société. Néanmoins, nous ne voulons pas laisser les chefs d'établissement désarmés, nous ne voulons pas ne pas commencer d'aller vers le but que j'indiquais il y a quelques instants, et c'est dans la liberté de notre réflexion que nous pourrons vous apporter notre contribution. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en des termes d'une grande élévation et d'une grande portée politique, M. le Président de la République, dans son discours du 17 décembre 2003, rappelait la place de la laïcité dans nos consciences et dans nos traditions et la situait au coeur de notre identité républicaine.

Il en donnait une définition qui mérite d'être longuement citée parce qu'elle traduit les sentiments très largement partagés par nos compatriotes sur une question fondamentale qui conditionne le maintien de la cohésion nationale et de la paix sociale.

« La laïcité garantit la liberté de conscience. Elle protège la liberté de croire ou de ne pas croire. Elle assure à chacun la possibilité d'exprimer et de pratiquer sa foi, paisiblement, librement, sans la menace de se voir imposer d'autres convictions ou d'autres croyances. (...) Ouverte et généreuse, elle est le lieu privilégié de la rencontre et de l'échange où chacun se retrouve pour apporter le meilleur à la communauté nationale. C'est la neutralité de l'espace public qui permet la coexistence harmonieuse des différentes religions. »

Ainsi comprise, la laïcité est non pas une morale, mais une éthique. Elle n'est dirigée contre personne, mais elle doit être confortée, rappelée et défendue contre tous ceux qui cherchent à transgresser la règle, à l'école, dans les services publics ou à l'hôpital.

Parce que, depuis quelques années, on assiste à la montée plus ou moins insidieuse, plus ou moins violente, de la contestation d'un principe que nous croyions cependant fermement établi, un débat s'est ouvert sur la nécessité de préserver la laïcité des atteintes dont elle était l'objet. Cette contestation émane de groupements ou d'associations qui entendent faire prévaloir des conceptions d'inspiration religieuse sur les lois de la République.

Le voile, pour certains, a servi de prétexte. S'il ne s'agissait que de quelques centimètres carrés d'étoffe, la controverse pourrait sembler dérisoire. Tout le monde comprend qu'il s'agit de tout autre chose. Le voile masque non seulement les visages, mais aussi d'autres réalités inquiétantes : le refus de pratiquer à l'école certaines disciplines, la négation d'épisodes tragiques de l'histoire contemporaine, la dénonciation du contenu de certains programmes pédagogiques. Si nous n'y prenons garde, demain, dans les écoles, la mixité sera combattue, comme est déjà mis en cause dans les hôpitaux l'examen des patients par des médecins de sexe opposé.

Derrière ces manifestations extrêmes se profile, parfois sans apprêt ni retenue, le spectre du communautarisme, de la xénophobie et du racisme. Nous disposons aujourd'hui de trop de témoignages et de trop d'exemples pour qu'il soit possible de nier l'évidence.

Pour enrayer la montée de l'intégrisme dans les écoles et permettre aux chefs d'établissement de définir une ligne de conduite uniforme, les ministres de l'éducation nationale ont rédigé des circulaires proscrivant « les marques ostentatoires, vestimentaires ou autres, tendant à promouvoir une croyance religieuse ». Dans sa circulaire du 20 septembre 1994, M. François Bayrou écrivait, s'agissant du port du voile : « Il n'est pas possible d'accepter à l'école la présence et la multiplication de signes si ostentatoires », et ce sous peine d'exclusion.

M. René-Pierre Signé. Il a bien changé !

M. Josselin de Rohan. Pourtant, le Conseil d'Etat, dans son avis du 27 novembre 1989, estimait que l'exclusion d'une élève ne pouvait être justifiée au seul motif qu'elle portait le voile islamique, sauf s'il y avait prosélytisme ou refus d'assister à certains cours.

L'absence de textes incontestables devant les tribunaux administratifs a conduit les principaux et les proviseurs à naviguer à l'estime. Certains ont fermé les yeux sur les dispositions des circulaires pour éviter des incidents. D'autres, au contraire, ont appliqué les textes avec rigueur, au risque d'alimenter de violentes controverses.

D'aucuns, prenant prétexte de notre fâcheuse tendance à vouloir légiférer chaque fois qu'apparaît un problème au sein de la société, ont estimé qu'une nouvelle loi sur les signes ostensibles était inutile, que mieux valait réformer les moeurs en s'appuyant sur les circulaires existantes. Ils pensent avec Montesquieu qu'« on laisse le mal, si l'on craint le pire ; on laisse le bien, si on est en doute du mieux ».

Quelques-uns ont redouté, de bonne foi, que la lutte pour la laïcité ne relance des querelles d'un autre âge et ne nourrisse un laïcisme intolérant et militant qui s'en prendrait à toutes les croyances religieuses en prétendant en limiter les manifestations excessives.

Au contraire, lorsque ceux qui ont pour mission de préserver la neutralité de l'espace scolaire appellent au secours ceux qui, dans la République, exercent quelque responsabilité, se dérober serait une désertion. La loi n'est devenue nécessaire que parce que tous les autres moyens sont devenus inopérants : « C'est au législateur à suivre l'esprit de la nation lorsqu'il n'est pas contraire aux principes du gouvernement », écrit encore Montesquieu, « car nous ne faisons rien de mieux que ce que nous faisons librement et en suivant notre génie naturel. »

L'esprit de la nation a été éclairé par de longs et minutieux débats conduits au sein des commissions présidées par le président de l'Assemblée nationale et par Bernard Stasi. Le texte que nous examinons aujourd'hui est issu de leur réflexion.

Mme Nicole Borvo. Partiellement !

M. Josselin de Rohan. Il doit répondre au génie naturel de notre pays, qui, depuis un siècle, est fondé sur l'ouverture, sur la tolérance, sur le respect, et non sur l'ignorance du fait religieux, qui est fondé sur la volonté irréfragable d'éviter que l'école ne soit un champ clos où s'affronteraient des idéologies et des passions contraires, où, loin d'apprendre à vivre ensemble, les enfants de ce pays s'entraîneraient à se haïr.

La laïcité a été hier un combat, elle est aujourd'hui un rempart, elle doit demain être un ciment.

La laïcité a d'abord été un combat. Comme l'a judicieusement remarqué Régis Debray dans une interview au Figaro, « la foi religieuse et la liberté individuelle ont marché main dans la main dans le monde anglo-saxon, ce ne fut pas le cas chez nous ».

La lutte pour la liberté, commencée au siècle des Lumières, reprise au XIXe siècle par ceux qui se réclamaient de Voltaire ou des Encyclopédistes, est passée par le combat contre la religion dominante et établie. Pour libérer les consciences, il paraissait indispensable de séparer la religion d'avec la sphère publique.

Parce que tout commence par l'instruction, qui éveille les esprits et forme les personnalités, il fallait affranchir l'école de toute emprise religieuse en renvoyant les clercs à l'aumônerie ou à la sacristie et en substituant une morale civique à la morale religieuse. Ce résultat a parfois été obtenu par la contrainte, voire par la violence. Qui se souvient encore que, à la suite de l'expulsion des congrégations enseignantes, 400 magistrats ont brisé leur carrière en 1886 et presque autant d'officiers leur sabre en 1906 ?

M. Jacques Peyrat. Absolument !

M. Josselin de Rohan. Qui se remémore encore l'irreligiosité provocante de ceux qui, au rebours de Jules Ferry ou de Waldeck-Rousseau, entendaient promouvoir non pas l'Etat neutre, mais l'Etat athée ? A quoi répondaient, bien sûr, les condamnations et les anathèmes du camp opposé, peu enclin, il faut bien le reconnaître, au pardon des injures. N'en déplaise à René Viviani, qui proclamait que ses amis avaient « éteint dans le ciel des étoiles qu'on ne rallumera[it] plus », l'étoile de Bethléem luit encore d'une lumière d'espérance pour des millions d'hommes. Mais la laïcité s'est installée dans ce pays et s'est maintenue de manière apaisée, comme la séparation de l'Eglise et de l'Etat a été acceptée par ceux-là mêmes contre lesquels elle avait été invoquée.

Nous ne voulons pas voir aujourd'hui ressurgir des conflits d'un autre âge ni le moindre antagonisme entre l'Etat et les religions. Mais la crainte de voir menacé l'équilibre auquel nous sommes parvenus n'est pas vaine. Le XXe siècle finissant et le XXIe siècle qui commence ont vu poindre de redoutables intégrismes. Ceux-ci n'ont épargné aucune religion, mais c'est surtout l'islam qui, ces derniers temps, a été utilisé par ceux qui veulent faire prévaloir la loi religieuse sur la loi républicaine.

Ces intégristes se sont attaqués, parfois ouvertement, parfois sournoisement, à leurs coreligionnaires avant de s'en prendre à nos institutions. Leur influence et leur audience ont trouvé un aliment dans les conditions de vie quelquefois difficiles, et même pénibles, que subissent les populations issues de l'émigration. Ne fermons pas les yeux sur cette situation, mais n'acceptons pas l'enfermement psychologique ou intellectuel que veulent promouvoir les zélotes, leur tentative d'intimider leurs frères pour leur imposer leurs convictions, au besoin par la violence, puis les contraindre à les embrasser. N'acceptons pas qu'ils s'attaquent aux principes de liberté, d'ouverture et de tolérance qui fondent le pacte républicain. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)

C'est pourquoi la laïcité constitue, à nos yeux, un rempart.

Il ne s'agit pas - vous l'avez fort bien rappelé, monsieur Mercier - de transformer nos écoles en sanctuaires totalement fermés au monde extérieur où ne serait dispensé qu'un enseignement aseptisé. Une laïcité ouverte doit être une école de savoir-vivre. Elle doit accoutumer les élèves à la différence et à l'écoute des autres. Elle doit instruire les jeunes consciences qui lui sont confiées sur les grands débats, les grandes idées ou les grands événements qui ont marqué notre planète.

Comment, dans ces conditions, ignorer le fait religieux ? Peut-on comprendre quoi que ce soit à Pascal si l'on ignore ce qu'est la grâce, à l'islam si l'on ne sait rien du Coran, à Israël si l'on n'a jamais lu la Bible ?

Mais il n'est pas tolérable, il est insupportable, il est scandaleux que des enseignants ne puissent évoquer la Shoah dans leurs classes sans se faire prendre à partie et traiter de menteurs ou de fabulateurs. Il est honteux que des élèves juifs puissent être, parce qu'ils sont juifs, molestés et injuriés par leurs condisciples dans des enceintes scolaires. Nous attendons des autorités académiques qu'elles fassent preuve de vigilance et de rigueur dans ce domaine et que les moindres manquements aux principes soient sanctionnés. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

En quoi, nous dira-t-on, le port du voile, d'une kippa ou du Sacré-Coeur sur une veste menacerait-il la République ? Ne nous livrons-nous pas à des querelles sémantiques dérisoires sur les termes « ostensible » ou « ostentatoire » ?

Mme Danielle Bidard-Reydet. Si !

M. Josselin de Rohan. Succombons-nous à une espèce d'hystérie obsidionale qui nous fait voir des dangers partout ?

M. Ivan Renar. Oui !

M. Josselin de Rohan. Ce qui est en cause, c'est l'affirmation agressive d'une conviction, la volonté délibérée de marquer une différence non pas culturelle mais idéologique, de refuser la loi commune justement parce qu'elle est commune.

Depuis la suspension de la conscription, l'école est le seul lieu où s'opère le vrai brassage entre les Français.

M. Jacques Peyrat. C'est exact !

M. Josselin de Rohan. Elle ne peut être un espace de confrontation. Au contraire, elle doit être celui où se réalise l'égalité des chances, qui suppose l'acceptation d'une discipline commune.

L'école, mais aussi l'hôpital, doivent demeurer les garants du « vivre ensemble », pour reprendre l'expression du chef de l'Etat.

La laïcité doit être un ciment. Elle n'est autre que le prolongement de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui proclame la liberté et l'égalité des citoyens. Encore faut-il que cette égalité soit ressentie par tous !

Nous savons que nombre d'habitants de notre pays issus de l'immigration font l'objet de discriminations en matière de logement, d'accès à l'emploi et aux loisirs. Beaucoup ne peuvent, faute de lieux de culte appropriés, pratiquer leur religion. Beaucoup se sentent dévalorisés, dédaignés ou ignorés de leurs concitoyens et en ressentent une légitime amertume.

Le communautarisme représente pour eux un refuge autant qu'un moyen de défense contre une société qui les exclut. Ils constituent une proie facile pour les fanatiques qui leur prêchent la haine, l'intolérance et le rejet des institutions.

Notre société, si elle veut continuer d'exercer sa fonction intégratrice, doit tout mettre en oeuvre pour éviter que ne se creuse une fracture entre les diverses catégories de Français. La politique de la ville doit éviter l'enfermement des populations immigrées dans la relégation et l'insalubrité. L'école doit faire une part plus large à l'éducation civique et à l'ouverture aux grands courants de pensée. L'Etat doit entretenir avec les représentants des grandes religions des relations suivies, fondées sur le dialogue et la confiance, et conforter la structuration de l'islam en France.

N'ayons pas peur de défendre contre les critiques notre conception française de la laïcité. « Le village en haut de la colline se construit chez les Américains autour du temple et du drugstore. Chez nous, autour de la mairie et de l'école », note Régis Debray. Telle est notre histoire. Le temple n'a pas empêché la ségrégation, l'école n'a pas toujours favorisé l'égalité : tout cela démontre que nous sommes perfectibles.

Quant aux critiques acerbes proférées par certains fondamentalistes orientaux à l'encontre du texte dont nous débattons, elles auraient une autre portée si ceux qui les émettent acceptaient que l'on construise chez eux des églises, toléraient d'autres religions que la leur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Le texte que nous nous apprêtons à voter constitue un acte politique qui porte bien au-delà des dispositions qu'il énonce.

Il est une mise en garde contre ceux qui veulent éprouver la République en utilisant l'école pour imposer leurs conceptions religieuses et en faire un projet politique.

Il est un signal fort destiné à rappeler que l'unité de la nation est fondée sur le refus de l'ethnicisme ou du communautarisme, sur une volonté de nouer entre les Français des liens transcendant les particularismes et les croyances.

Il est la réaffirmation de la liberté de conscience, de l'égalité entre les hommes et les femmes, de la force des valeur humanistes et spirituelles dont la République demeure la garante et qui figurent dans sa devise.

En prévoyant qu'aucune sanction ne sera prononcée à l'encontre de ceux qui contreviendront à ses prescriptions sans un dialogue préalable, ce texte montre qu'il s'agit de persuader plutôt que de contraindre.

Sans doute aurions-nous préféré n'avoir pas à légiférer, car la pratique de la laïcité avait atteint, dans notre pays, un équilibre qui ménageait toutes les sensibilités sans en contrarier ni en privilégier aucune. L'évolution de notre société nous a amenés à réagir. Nous aurions été coupables de ne pas nous être opposés, pendant qu'il en était encore temps, à des dérives inquiétantes et, de concession en compromis, d'avoir laissé s'installer des pratiques ou des situations irréversibles contraires à nos moeurs et à notre tradition.

Nous voterons ce projet de loi avec l'espoir qu'il ouvre de nouvelles perspectives pour une république plus fraternelle, plus généreuse et plus solidaire dans laquelle chaque Français puisse se reconnaître et trouver sa place. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.

Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres du groupe communiste républicain et citoyen n'ont pas tous la même position sur le texte qui nous est soumis, et d'autres points de vue que celui que je vais maintenant émettre seront exprimés.

Cependant, je voudrais d'abord dire ce que partagent unanimement les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, à savoir un attachement sans faille à la laïcité, principe essentiel de notre République et principe fondateur du pacte social, une détermination à rendre effectifs les droits fondamentaux de la République, en premier lieu l'égalité des citoyens, une volonté de faire reculer jusqu'à sa disparition, à l'école comme dans la société, toute discrimination à l'égard de personnes comme à l'égard de catégories de personnes, toute marque de domination des hommes sur les femmes, un refus de stigmatiser tel ou tel individu ou telle ou telle partie de la population.

Monsieur le ministre, la laïcité est un principe général issu des grandes conquêtes de 1789 : égalité des hommes entre eux, libertés individuelles, liberté de croyance. Elle concerne l'ensemble de la société, l'Etat et ses institutions. La République et son Etat laïc se sont construits en plus d'un siècle jalonné de dates importantes - 1792, 1802, 1882, 1886, 1905 -, au fur et à mesure que s'affirmaient les libertés de la personne : liberté d'expression, liberté de culte, neutralité des services publics. Les grandes lois scolaires, corollaires de l'obligation pour l'Etat de donner l'instruction à tous les enfants, ont joué un rôle essentiel, mais l'affirmation de la République elle-même comme de la laïcité n'est pas un long fleuve tranquille. Elle est la résultante des luttes démocratiques et sociales et des rapports de la société à la religion, plus particulièrement à la religion catholique et à son Eglise.

La République, votée à une voix de majorité, a connu une histoire tourmentée : elle fut à ses débuts xénophobe, protectionniste pour le travailleur « national » par rapport à l'immigré, victime des peurs de l'industrialisation capitaliste - rappelons-nous l'assassinat des ouvriers italiens à Aigues-Mortes, en 1893 ; elle fut antisémite quand l'Etat organisa la condamnation du capitaine Dreyfus ; elle fut colonialiste !

Les femmes, jusqu'en 1975, y vivaient sous le régime matrimonial de 1804, c'est-à-dire qu'elles étaient mineures juridiquement.

En 1940, la République s'est oubliée pour enfanter un Etat monstrueux capable d'épouser le nazisme et d'envoyer à la mort des milliers de ses enfants, ce dont un haut fonctionnaire zélé, en liberté aujourd'hui, continue de se justifier.

Renaissant dans la lutte de libération nationale, elle s'est affirmée sociale - il est instructif de relire, soixante ans plus tard, le programme du Conseil national de la Résistance - et laïque, grâce au député communiste Etienne Fajon, qui l'a fait inscrire dans notre Constitution. Elle a reconnu aux femmes, c'est-à-dire à la moitié de la population, la citoyenneté, par l'octroi du droit de vote.

A cette époque, nous avons gagné la protection sociale, une même école pour tous, de formidables avancées sociales et démocratiques et le sentiment, pour les enfants des couches populaires, qu'ils vivraient mieux que leurs parents.

C'est bien ce pacte social qui est en panne : les inégalités ne cessent de s'accroître, le chômage et la précarité rongent la société ; un million d'enfants vivent en dessous du seuil de pauvreté ; l'intégration de ceux qui sont venus travailler dans ce pays qui les a fait venir est en faillite : leurs enfants, voire leurs petits-enfants, sont ceux qui connaissent le plus l'échec scolaire, le chômage, les ghettos urbains, et, alors qu'ils sont nés en France, et même quelquefois de parents nés en France, on continue de les dire « issus de l'immigration ».

Monsieur le ministre, la faillite du pacte social crée un vide. Ce vide est une aubaine pour tous les communautarismes qui donnent l'illusion de compenser le manque de solidarité nationale ; les intégrismes religieux s'y engouffrent, comme d'ailleurs les extrémismes politiques.

Alors oui, la République et la laïcité sont menacées, minées par les fractures sociales et démocratiques.

Alors oui, un travail en profondeur, une réflexion, un débat national, une remise à plat, une redéfinition de l'« en commun » sont nécessaires.

Alors oui, nous avons besoin d'un véritable électrochoc en matière de politique sociale, économique, démocratique, qui donne espoir, qui donne du sens au « vivre ensemble ».

Alors oui, il faut réaffirmer les valeurs et les principes de la République.

Ce n'est pas le choix du Gouvernement, dont la politique de régression sociale aggrave de jour en jour les fractures de la société ; ce n'est pas le choix fait au travers de ce texte relatif au port de signes religieux à l'école publique. Ce qui frappe d'ailleurs le plus, c'est la disproportion entre la gravité des fractures et des ruptures, les dangers des communautarismes, des intégrismes et des extrémismes et le traitement choisi par le chef de l'Etat et le Gouvernement.

Pourtant, la commission Stasi, qui a travaillé longuement et entendu beaucoup de monde, avait mis en évidence nombre de problèmes et ouvert des pistes de travail, formulé des propositions, guidée précisément par le constat que, « après un siècle de pratiques et transformations de la société le principe laïque est loin d'être devenu obsolète mais il a besoin d'être éclairé et vivifié dans un contexte radicalement différent ».

Aussi les propositions qui émanent du rapport de la commission Stasi tendent-elles indissociablement à la reconnaissance de la pluralité des religions et des cultures et à la neutralité des services publics, à la protection des libertés individuelles et à la lutte résolue contre toutes les violences faites aux femmes, au combat contre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme et au refus des discriminations dont sont victimes les populations dites issues de l'immigration maghrébine et africaine. Ressortait du rapport de la commission Stasi l'idée d'une charte de la laïcité définissant les droits et les devoirs de chacun.

Le travail de la commission Stasi pouvait donner le sentiment que la République allait se mobiliser pour redonner du sens au « vivre ensemble » et revivifier la laïcité. Le parti communiste, auditionné par la commission en la personne de Marie-George Buffet, avait souhaité que le débat et la réflexion se poursuivent pour déboucher sur un grand projet, en 2005, année du centième anniversaire de la loi de 1905.

Hélas, le chef de l'Etat et le Gouvernement ont fait un autre choix, celui de faire voter à la va-vite une loi dont le champ est circonscrit à un aspect : le port d'insignes religieux à l'école primaire et secondaire publique, en réalité le port du voile. Finalement, du grand débat nécessaire et possible sur la base des travaux de la commission Stasi, une seule mesure est issue, une mesure d'interdiction à l'égard des jeunes filles. On est bien loin des grandes lois laïques : ce texte donnera force de loi à ce qui relève du règlement intérieur et de la circulaire, et vous le justifiez, monsieur le ministre, par la nécessité à la fois de clarifier l'attitude à adopter par le personnel enseignant, de conforter celui-ci dans le respect de la neutralité de l'école et de « porter un coup d'arrêt à l'accroissement du nombre de jeunes filles revendiquant de rester voilées dans les classes ».

Hélas, c'est bien là que le bât blesse !

La commission Stasi avait mis en exergue les problèmes posés dans les services publics, dont l'école mais aussi les hôpitaux, la justice, les équipements publics, les services administratifs, les prisons, etc., par des demandes et revendications guidées par une appartenance communautaire, des convictions religieuses, remettant donc en cause les principes d'égalité, de neutralité et de continuité guidant le fonctionnement de ces services publics.

Au sein de l'institution scolaire étaient soulignés l'ensemble des problèmes suscités par certains comportements à l'égard des enseignants ou des enseignements, adoptés pour des raisons d'appartenance religieuse et concernant tant des filles que des garçons.

Ces faits, il faut se garder d'en grossir l'importance, eu égard aux millions de Français et d'habitants de notre pays qui peuvent se réclamer de la religion musulmane, comme il faut se garder de surestimer la gravité des problèmes posés par le port d'insignes religieux à l'école, même s'ils ont été amplement médiatisés.

Quoi qu'il en soit, ces phénomènes sont suffisamment inquiétants pour que la société réfléchisse, aux principes et règles sans lesquels le bien commun de la République n'est plus respecté, certes, mais surtout aux actes politiques, sociaux, éducatifs qu'il est nécessaire de mettre en oeuvre pour que ces principes et ces règles soient partagés, soient le bien commun d'une très large majorité de nos concitoyens, quelles que soient leurs singularités.

La laïcité est un idéal positif, un projet mobilisateur, porteur d'émancipation humaine. Vous avez choisi de n'en traiter qu'un aspect très limité, et ce par le biais d'un texte d'interdiction, une interdiction qui s'applique à des mineurs et tout particulièrement à des jeunes filles, puisque chacun sait que les signes « ostensibles » - je m'abstiendrai de commentaires sur le subtil débat sémantique entre « ostensibles » et « ostentatoires » tant il est dérisoire -, c'est tout particulièrement le voile qui couvre la tête des jeunes filles.

Que les choses soient claires : je suis contre le port du voile à l'école, et d'ailleurs contre le port du voile tout court ! Il est le signe de la soumission des femmes, une atteinte à leur dignité, la négation de leur corps, de leur personnalité, de leur liberté à disposer d'elles-mêmes. C'est sur ce terrain que le port du voile doit être combattu, comme doivent être combattues toutes les violences faites aux femmes. Pour le combattre, il faut créer avec les jeunes filles et les femmes elles-mêmes les conditions de leur émancipation.

Aussi ai-je été assez surprise, monsieur le ministre, de vous entendre répondre à un journaliste, qui vous interrogeait sur les réactions de certains pays à votre texte, que le voile ne posait aucun problème en France et qu'il fallait seulement l'enlever dans les classes des écoles publiques. Monsieur le ministre, je suis tout à fait respectueuse des libertés individuelles, mais le port du voile pose un problème qui dépasse largement l'école ! Des femmes sont mortes ou sont emprisonnées parce qu'elles refusent la soumission, la domination subie par le biais du port du voile. L'école est par excellence un lieu d'émancipation, de culture, d'apprentissage de la citoyenneté : c'est là une raison essentielle, à mon sens, pour réfléchir aux effets de l'interdit quand celui-ci stigmatise une catégorie de la population.

Nous savons que le port du voile est aujourd'hui justifié par des motifs divers : des jeunes filles affirment qu'il leur est imposé par la famille, d'autres pensent se conformer à des préceptes religieux, d'autres encore disent se protéger ainsi des agressions masculines. A l'évidence, chacune de ces raisons invoquées nous fait mesurer le poids de l'intégrisme religieux et politique qui entend régir la vie des individus, imposer « ses lois » au détriment de la liberté individuelle, dans la sphère privée comme dans la sphère publique. Mais, précisément, il faut combattre l'intégrisme politiquement, en éveillant l'esprit critique, en réaffirmant l'autorité de l'Etat républicain et de ses agents partout, en faisant appliquer les lois contre les discriminations, le racisme, l'antisémitisme, les atteintes aux libertés et à la démocratie.

Or ce n'est pas le choix que vous avez fait, monsieur le ministre : vous avez choisi de ne pas traiter de la laïcité ; vous avez choisi l'enfermement dans le port d'insignes ; vous avez choisi de montrer du doigt une communauté. Alors que la défense de la laïcité nécessite une union autour des idéaux républicains et démocratiques, votre projet de loi a déjà divisé plutôt que rassemblé ; vous avez réussi à faire du voile une sorte d'étendard, confortant les communautarismes et suscitant en retour les peurs dont se repaît l'extrême droite.

Monsieur le ministre, le combat pour la laïcité est indissociable du combat pour l'intégration. Or l'intégration, elle, est condamnée sur le terrain social par l'inacceptable ségrégation sociale et spatiale dont sont largements victimes ceux dont les parents et les grands-parents viennent de l'autre côté de la Méditerranée. La République n'a pas, jusqu'ici, voulu admettre qu'il était incompréhensible que des Algériens, des Marocains, des Tunisiens vivant en France depuis des années ne votent pas, même pas dans leur commune, quand leurs voisins espagnols, italiens, portugais, bientôt polonais ou lituaniens, le peuvent.

L'occasion a été manquée d'engager un réel débat sur la laïcité. Vous avez pris le risque de créer des tensions stériles au sein de la population. Sans réel débat, vous avez entretenu une agitation médiatique pendant des semaines, sans doute pour masquer le vide. Cette agitation a d'ailleurs fait long feu !

Votre loi sera inefficace : elle laissera, pour l'essentiel, la communauté éducative dans la même situation, désemparée parce qu'aucun des problèmes auxquels elle est confrontée ne sera résolu. Elle s'interrogera à l'infini sur ce qui est ostensible, visible, ostentatoire, religieux ou pas religieux.

Vous donnerez la possibilité d'exclure rapidement des jeunes filles de l'école, ce qui les renverra à l'enfermement familial et conduira les familles à revendiquer la création d'écoles coraniques, terreau privilégié des intégristes.

Une certaine sagesse parlementaire a permis de soumettre l'efficacité de votre texte à évaluation dans un an. Pour ma part, je veux faire confiance à la communauté éducative pour continuer le dialogue et pour persister à revendiquer les moyens d'assumer ses missions et de faire respecter son autorité.

Je respecte l'opinion selon laquelle si ce projet de loi ne répond pas à l'ampleur des problèmes, il sert à rappeler la règle dans les établissements ; cette opinion sera d'ailleurs exprimée par certains de mes amis. En ce qui me concerne, je voterai contre ce texte, parce que je ne puis me sentir en accord avec vous sur le « vivre ensemble » de la laïcité, quand la politique du gouvernement auquel vous appartenez contribue tous les jours à le compromettre. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les intervenants précédents, dans la diversité de leurs sensibilités, ont éclairé un dossier que, par ailleurs, nous connaissons tous bien. Je me contenterai donc de vous livrer mon intime conviction.

Faut-il adopter ce texte ? Je dois vous l'avouer, jusqu'au dernier instant je me suis posé la question, non que j'aie des doutes sur le principe de laïcité posé par notre République, ni sur l'absolue nécessité de protéger le creuset de la nation que représente l'école ou de préserver les élèves des pressions exercées par leur milieu. Sur tout cela, je n'ai aucun doute.

La question est : fallait-il une loi ? Les règles existantes étaient-elles insuffisantes ? Surtout, quelles seront les conséquences de la mise en oeuvre de ce texte ?

Parce que j'ai l'intime conviction que les règles existantes étaient suffisamment précises, le principe de laïcité fortement établi dans nos principes constitutionnels, parce que je suis persuadé que la loi nouvelle ne réglera rien, mais, au contraire, va contribuer à radicaliser les positions, parce que je crois qu'elle donnera lieu à une incessante bataille d'interprétations et de recours, et qu'elle va accroître un certain nombre de manifestations ostensibles, ce qui n'est pas le but recherché, je pense qu'il ne fallait pas une nouvelle loi, mais qu'il fallait affirmer un soutien clair et sans faille à ceux qui sont chargés, dans les établissements, de faire respecter la règle.

Au-delà de l'école, il appartiendra à l'Etat de faire respecter l'état de droit dans les hôpitaux, la fonction publique, partout où notre tradition républicaine doit s'affirmer sereinement pour que notre société soit « intégratrice », forte et démocratique.

Je mesure bien la difficulté du sujet, mais, en conscience, pour les raisons exposées précédemment, et parce que je crois que la nouvelle loi ne réglera pas les problèmes posés, je m'abstiendrai, en espérant que, quels que soient les textes, nous saurons apporter notre soutien à ceux qui vont vivre les difficultés. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'Union centriste.)

M. Raymond Courrière. Quel courage !

M. le président. La parole est à M. André Vallet.

M. André Vallet. Monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui ouvre, peut-être pour la première fois depuis 1905, la possibilité d'évoquer au Sénat la place et le rôle de la laïcité dans notre République.

Ce débat ne peut se limiter à l'expression de notre avis quant au port du voile dans nos écoles. Ce serait renvoyer une image de la laïcité erronée, synonyme d'interdiction, alors qu'elle signifie la tolérance.

Il faut néanmoins que nous exprimions notre sentiment quant aux relations de la République avec la religion musulmane. Tout d'abord, nous ne voulons pas la stigmatiser. Ce n'est pas une loi contre l'islam, qui a les mêmes droits et les mêmes obligations que les autres religions dans la France laïque. C'est d'ailleurs l'avis de la grande majorité des musulmans, et il ne faut pas hésiter à dire que les quelques extrémistes qui descendent dans la rue pour exercer des pressions sur les élus contribuent à aggraver des clivages qui ne peuvent que nuire aux idées qu'ils défendent.

Il faut aussi ne pas hésiter à dire que cette loi a été voulue parce que, dans notre pays, des femmes vivent le voile comme une humiliation, des parents leur font subir des pressions et des brutalités, des jeunes filles vivent un véritable calvaire. Il fallait - je cite M. Stasi - « marquer un coup d'arrêt à la volonté de certains intégristes de chercher à tester la résistance de la République ».

Le port du voile dans les établissements scolaires apparaît comme un défi, car nous sommes loin de la religion et très près de la revendication égalitaire, de la revendication provocatrice, et, très certainement, de la revendication politique.

L'arbre ne doit cependant pas cacher la forêt : le cas des jeunes filles à qui le voile est imposé ne doit pas faire oublier que la plupart de leurs camarades, issues des milieux musulmans, résistent aujourd'hui aux pressions de l'intégrisme, et refusent de porter le foulard. Leur courage mérite d'être salué.

Le voile est un test : déjà sont remis en question, cà et là, la mixité des classes, puis les heures de piscine, les programmes scolaires et la neutralité - vous y avez fait allusion, monsieur le ministre - du service public hospitalier, judiciaire ou universitaire.

Cette loi est non pas une loi anti-islamique, mais une loi contre les contestations et les agressions de certaines fractions intégristes de l'islam contre la République.

Ce débat est le moment de rappeler, monsieur le ministre, que la laïcité est non pas l'acceptation de la diversité juxtaposée des convictions, mais la mise entre parenthèses, pendant le temps et dans le cadre scolaire, des convictions partisanes, religieuses, des contingences que chacun tient de son origine familiale ou sociale. Si, comme le précise la Constitution française, « la République respecte les croyances », il n'en demeure pas moins que le respect implique une certaine mise à distance. Si les croyants, en tant que personnes, sont évidemment et éminemment respectables, les croyances, en tant que telles, ne sauraient fonder ou régler une institution de la République comme l'école.

L'éducation laïque est celle du devenir. Elle s'oppose aux dogmatismes parce que les dogmes procèdent d'une vision fixiste du monde. Les dogmatiques disent que les choses ont toujours été ce qu'elles sont et qu'elles ne changeront pas, alors que nous savons aujourd'hui que ce n'est pas vrai.

L'idée laïque se développe en cassant les dogmes, les certitudes figées.

Mais la laïcité ne peut être réduite à la tolérance, car, au nom du droit à l'indifférence, on aboutit bien vite à l'indifférence du droit.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. André Vallet. La laïcité fonde l'école de la République, mais elle ne doit pas conduire à la transformer en une mosaïque de communautés, où chacun apporterait sa loi, ses coutumes, ses traditions, ses rites, transformant l'espace scolaire en champ clos où, bien vite, s'affirmerait le droit du plus fort au détriment de la force du droit.

En réalité, la laïcité demande plus que la tolérance. Au-delà de la séparation du temporel et du spirituel, de la sphère publique et de la sphère privée, elle affirme avec force que la connaissance seule libère l'homme, et que ce savoir ne saurait être un savoir révélé, mais que c'est un savoir par principe, accessible à tous par la raison et développé par l'instruction et l'éducation.

C'est dire l'actualité de la laïcité au moment où, dans le monde, renaissent des nationalismes qui replient et enferment les individus dans leurs origines ethniques, où sévissent des intégrismes qui appauvrissent, à l'heure où, dans nos banlieues, des jeunes cherchent désespérément leur identité à travers le retour à des communautés qui, parfois, tiennent plus de la bande ou du clan. La question posée est bien la suivante : vaut-il mieux renforcer en chacun ce qui le rend semblable aux autres, ou faut-il accentuer ce qui divise ?

Quand des cultures sont à ce point marquées par des croyances, elles se heurtent, inévitablement, à notre conception des choses, car, même marquée par le judéo-christianisme, notre culture - et nous ne rendrons jamais assez hommage à Jules Ferry - a su faire de la laïcité de l'espace public, et tout particulièrement de l'école, un fondement unificateur de notre société.

L'affichage des signes religieux, les demandes particularistes sur l'alimentation, les dates d'examen, le refus de la mixité, la contestation de certains enseignements apparaissent comme des intrusions de la religion dans les établissements et appellent donc, de la part des enseignants, aujourd'hui bien sûr et encore plus en septembre, des réponses très fermes pour manifester la séparation entre l'espace scolaire public et le domaine privé.

Comme l'ont déjà souligné plusieurs orateurs, ce texte, et c'est inévitable, nous amène à une réflexion sur l'intégration - certains diront « l'assimilation » - de certaines communautés qui se définissent par un mode de vie fondé sur des principes différents de ceux qui régissent notre législation. C'est un problème que posent certaines fractions de l'islam, qu'une foi obscurantiste et expansionniste conduit à refuser toute perspective d'intégration et, plus grave, à mettre l'orthodoxie religieuse au-dessus des règles du pays d'accueil. Il existe des incompatibilités entre la loi coranique et le code civil.

Entre l'islam et les droits de l'homme, il faut parfois choisir, il faut que chacun choisisse librement, mais sans équivoque. La France doit dire « oui » à ceux qui lui disent « oui ». Elle n'a pas de devoir d'intégration à l'égard des autres. Pour vivre ensemble, il faut vouloir vivre ensemble.

C'est dans la laïcité que notre pays trouvera des réponses appropriées à l'explosion des banlieues, à la montée d'un intégrisme désireux de saper les fondements mêmes de notre démocratie.

Aujourd'hui, notre République souffre d'un manque de laïcité, et non d'un excès de laïcité.

La loi qui nous est présentée renforcera notre République face à la tentation, toujours présente dans la religion, d'intervenir dans le domaine politique. C'est une loi de courage, c'est un signal aux extrémistes, c'est un point de départ pour réaffirmer les valeurs républicaines.

Il fallait ce texte, il fallait qu'un large consensus s'exprime à l'Assemblée nationale et au Sénat. C'est presque fait.

Dès septembre, tous les responsables éducatifs auront à appliquer cette loi, dans son esprit - on y a fait longuement allusion - mais ensuite dans celui de votre circulaire d'application, monsieur le ministre. Vous avez dit à l'Assemblée nationale et ici même voilà quelques instants que le dialogue, la pédagogie et la concertation doivent guider son application. Je souscris entièrement à cette idée à condition que la fermeté, c'est-à-dire l'exclusion, reste la règle pour un certain nombre de comportements intolérables.

Je pense aux élèves qui refusent d'être interrogés par un examinateur de sexe opposé, je pense aux stylos qui se lèvent lorsqu'un professeur aborde un sujet contesté, je pense aux pressions sur les jeunes Maghrébins n'observant pas le Ramadan, je pense, enfin, aux demandes particularistes sur l'alimentation et les dates d'examen.

Vous avez également dit, monsieur le ministre, que vous envisagiez de renouveler les cours d'instruction civique et de développer l'enseignement des faits religieux.

« Oui » au renouveau de l'instruction civique, en abandonnant un enseignement traditionnel mal compris, en encourageant les initiatives susceptibles d'intéresser davantage les générations actuelles. Je pense aux voyages, aux visites, aux supports audiovisuels et aux recherches informatiques.

Des collègues de la commission des affaires culturelles nous ont décrit l'extraordinaire effet, chez les adolescents, de voyages à Auschwitz, plus fort, bien sûr, que tous les cours sur la dernière guerre, la déportation, le racisme, l'antisémitisme.

Beaucoup d'élèves ont une grande inculture religieuse, moins visible peut-être chez les jeunes musulmans, juifs et protestants, ouverts très tôt aux questions religieuses.

Il est nécessaire - et j'aimerais que votre circulaire d'application le précise - d'initier les élèves plus longuement qu'aujourd'hui aux faits religieux.

Il n'est pas souhaitable d'instituer un professeur d'initiation aux religions, et encore moins à la laïcité, en raison des dérives possibles mais aussi du caractère artificiel d'un regroupement de cet enseignement dans une nouvelle discipline. Tout professeur, en revanche, peut et doit traiter, dans le cadre du programme, les aspects religieux qui éclairent son cours.

Il conviendrait, par ailleurs, d'instaurer, dès les petites classes du cycle secondaire, un véritable enseignement de la laïcité, certes constitutionnellement reconnue, mais scolairement absente des programmes, et de le renforcer au fil de la maturation de l'adolescent. Un cahier des charges précis, un horaire défini, une évaluation systématique à tous les niveaux seraient nécessaires afin que cet enseignement ne subisse pas les avatars et les dérives que connaît l'éducation civique aujourd'hui, absorbée par les autres programmes, une de ses faiblesses étant de ne pas être officiellement évaluée ni en classe ni aux examens.

Demandez, monsieur le ministre, aux enseignants de relire la célèbre circulaire de Jules Ferry du 17 novembre 1883, cette circulaire dans laquelle il leur demande « avant de proposer un précepte, une maxime quelconque, si, à leur connaissance, un seul honnête homme puisse en être froissé, si un seul père de famille pourrait refuser son assentiment. Si "oui", abstenez-vous, si "non" parlez hardiment car ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est pas votre propre sagesse, c'est la sagesse du genre humain ».

Permettez-moi d'ajouter que la laïcité doit être mieux comprise par nos jeunes, elle doit être une laïcité ouverte, une laïcité de dialogue, une laïcité qui se réfère à l'organisation de notre société.

Plusieurs sensibilités se retrouvent dans le groupe du Rassemblement démocratique et social européen. Nos votes ne sont pas toujours les mêmes.

Nous nous retrouvons aujourd'hui unanimes pour voter ce projet de loi, en souhaitant que d'autres dispositions soient prises pour que, comme l'a dit le Président de la République, « nous réaffirmions avec force la neutralité et la laïcité du service public ».

Avec la laïcité, c'est toute notre conception de la République qui est en jeu, car elle est cet espace public de neutralité indispensable à une véritable démocratie. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste. - M. Paul Loridant applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tous attachés, dans cet hémicycle, à la laïcité car elle constitue un principe fondateur de notre République. Nous sommes également tous d'accord pour renforcer ce principe à l'école. Les divergences n'apparaissent, me semble-t-il, que sur la manière de le faire. Une large part du débat public, particulièrement dans les médias, s'est focalisée sur la question : « Faut-il ou non une loi ? », avec une controverse exacerbée sur les objectifs visés et ses modalités d'application, laissant totalement de côté la dimension émancipatrice de la laïcité.

Mais que vise réellement le législateur avec ce projet de loi ? Permettre à notre République laïque de lutter contre les intégrismes à l'école. Par cette loi, nous marquons symboliquement la ligne de démarcation entre les intégristes de tous horizons et les démocrates laïcs, qu'ils soient croyants ou athées. Ce projet de loi stigmatise non pas l'islam, mais l'islamisme. Il stigmatise non pas une religion, mais tous les intégrismes religieux.

Il stigmatise les intégrismes religieux qui assujettissent prioritairement l'individu à la communauté religieuse, plaçant son identité religieuse et communautaire au-dessus de toute autre et refusant de reconnaître le respect de la loi républicaine comme exigence préalable. Il stigmatise les intégrismes religieux qui affirment que les croyants dominent les non-croyants, et que les hommes dominent les femmes, car les intégrismes religieux fonctionnent de pair avec la culture patriarcale. En ce sens, le voile est non pas l'apanage de l'islam, mais bien une coutume patriarcale présente dans les trois monothéismes.

Alors, ne nous les trompons pas : la vraie stigmatisation, ce sont les discriminations de toutes formes. Ne reprenons pas à notre compte des discours qui séparent, ces discours qui sont ceux que tiennent les intégristes eux-mêmes. Vivre en démocratie implique aussi des devoirs, et le premier d'entre eux est de se conformer aux lois de la République. C'est cela même que réfutent les intégristes.

Alors, oui, nous, les membres du groupe socialiste, pensons que la loi est nécessaire. Elle est en effet nécessaire, même si les cas litigieux sont limités, car ils ont des conséquences importantes sur le « vivre ensemble » dans les établissements concernés, et sur l'ordre public scolaire. Nous avons suivi les travaux de la commission Stasi. Et c'est aussi, à notre échelle, à l'issue d'un long travail de réflexion et de concertation, d'un cheminement intellectuel mené au fil d'une trentaine d'auditions au sein de notre groupe politique, que nous sommes parvenus à cette constatation de la nécessité de la loi.

Nous avons donc déposé, dès novembre dernier, notre propre proposition de loi, qui constitue aujourd'hui le fondement de nos amendements. C'est la raison pour laquelle nous ne participerons pas au vote sur les amendements autres que ceux qui sont présentés par notre groupe. Pour nous, cette loi ne peut être considérée que comme un point de départ pour une politique plus large de réaffirmation de la laïcité dans tous les secteurs de la République et doit surtout s'accompagner, au-delà de la création d'une autorité indépendante, de politiques publiques volontaristes de lutte contre toutes les discriminations, en particulier raciales, religieuses, sexuelles ou dans l'accès à l'embauche, au logement ou aux loisirs.

Nous sommes pour la loi, même si le texte qui nous est soumis aujourd'hui ne nous convient pas totalement. Nous prenons acte de la volonté de dialogue et du souci de concorde républicaine qui a permis d'améliorer le texte. Tout le monde s'accorde à reconnaître le bien-fondé et la nécessité de faire figurer la médiation dans le corps du texte. C'est réaffirmer ainsi, y compris dans le cadre de l'interdit, le rôle majeur du dialogue, qui est au coeur de l'acte éducatif. Mais la médiation a ses limites, notamment dans le temps. Et poser un interdit, en réaffirmant que, finalement, la loi s'applique pour tous, est également un acte éducatif. C'est mettre un coup d'arrêt, par un positionnement ferme, à une situation qui a évolué depuis 1989. Cette fermeté, ne l'oublions pas, c'est toute l'histoire de la laïcité faite de combats. Oui, l'Eglise catholique a été contrainte par la laïcité.

Et, d'ailleurs, la laïcité est toujours en débat, y compris au sein des religions, et même au sein de celles qui étaient présentes en France antérieurement à la loi de 1905. Ainsi, au dernier dîner du CRIF, le Conseil représentatif des institutions juives de France, le grand rabbin de France, M. Joseph Sitruk, n'a pu prendre la parole, au motif que le CRIF est une instance laïque. « Pour moi, il n'y a pas de juifs laïcs et religieux. Il y a un seul judaïsme et un seul peuple », a-t-il répondu.

Aujourd'hui, face à une question complexe, le port de signes religieux à l'école, qui exige de concilier deux principes à valeur constitutionnelle - laïcité et liberté d'expression - , et face à une valeur fondatrice de notre « vivre ensemble », soyons humbles. Et vérifions, sur le terrain, si la réponse proposée par le Gouvernement permet réellement de résoudre le problème posé. Surtout, si cela n'était pas le cas, autorisons-nous à y revenir !

Pour notre part, nos doutes subsistent, et nous continuons à penser que l'adjectif « visible » a l'avantage de plus de clarté que l'adverbe « ostensiblement ».

En tout état de cause, ne considérons surtout pas que, une fois ce texte adopté, la question de la laïcité sera derrière nous : elle ne le sera ni pour les autres services publics ni même pour l'école, et encore moins au regard de notre modèle républicain d'intégration.

Lier la laïcité à la question sociale est une nécessité absolue parce que l'exclusion est le terreau privilégié de l'intégrisme. Nous avons peut-être eu tendance à penser que la laïcité était acquise. Nous avons eu tort : elle ne l'est pas.

Et, en tant que parlementaires, nous avons l'exigence de faire évoluer son cadre en fonction des transformations de notre temps et de notre société pour en faire un principe toujours vivant.

En dépit de l'adoption de ce texte, la question de la laïcité continuera à se poser pour l'éducation, car renforcer l'application du principe de laïcité à l'école ne peut se résumer au port de signes et tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. D'abord, parce que la rédaction de ce projet de loi exclut les signes politiques. Ne pas prendre en considération les signes politiques, c'est faire fi du double mouvement, pourtant à l'oeuvre, de « confessionnalisation » des enjeux politiques et de politisation des enjeux religieux.

Or, M. le Premier ministre l'a lui-même reconnu à l'Assemblée nationale, certains signes religieux « prennent de fait un sens politique et ne peuvent plus être seulement considérés comme des signes personnels d'appartenance religieuse ».

Citons, à cet égard, le président du Conseil français du culte musulman, M. Dalil Boubakeur : « L'islam des jeunes constitue bien souvent la réaction d'une jeunesse confrontée à l'échec scolaire et à une situation de déshérence générale. C'est sur ce terrain que se développe une ré-islamisation, sur un mode revendicatif et politique, dont la violence latente est exploitée par l'internationale islamique. »

Prenons enfin l'exemple de signes politiques faisant explicitement référence au conflit du Proche-Orient : ils sont directement porteurs de positionnements identitaires communautaristes et, potentiellement, de troubles à l'ordre public scolaire.

Parce que l'école s'adresse à des êtres en devenir, elle doit garantir à chaque enfant qu'en son sein il pourra former son jugement et son esprit critique, à l'abri de toute pression religieuse ou politique, ce qui engage le corps enseignant.

Vivre ensemble en démocratie implique droits et devoirs. Faire vivre ensemble tous les citoyens exige nécessairement le respect de l'autre. Aussi, la liberté d'expression reconnue par le code de l'éducation, grâce à la loi d'orientation de 1989, aux élèves des collèges et des lycées, conformément à la convention internationale sur les droits de l'enfant, doit impliquer le respect de l'ordre public scolaire, de la liberté et des droits d'autrui. Nous vous proposerons donc d'introduire cette exigence dans le code de l'éducation. Il nous semble que c'est un élément qui nous aidera à faire vivre le principe de laïcité à l'école.

Pour ce faire, il faut aussi que la laïcité, qui est avant tout une protection pour chaque citoyen, soit comprise et intégrée comme telle. La laïcité est non pas une interdiction, mais le principe qui garantit la liberté de croire ou de ne pas croire, de changer de religion, d'éprouver notre esprit critique, y compris sur les plans politique et religieux, et qui garantit aussi que cette liberté de conscience individuelle sera respectée.

La République a ses principes, ses valeurs, et ils doivent être connus de tous, ce qui rend indispensable d'inscrire dans le code de l'éducation la formation à la laïcité comme un objectif majeur de l'éducation nationale.

De même, il serait indispensable de rendre la formation des futurs enseignants dans les instituts universitaires de formation des maîtres, sur ce sujet, obligatoire et non plus optionnelle. En corollaire, nous proposons de reconnaître, dans ce même code, l'enseignement objectif de l'histoire des religions, par les personnels enseignants uniquement et dans le respect du principe de neutralité.

Ces amendements constituent, pour nous, les mesures prioritaires, mais non exhaustives, en faveur d'un véritable renforcement du principe de laïcité à l'école.

La laïcité est une valeur d'émancipation que la France a portée historiquement et que nous devons continuer à porter. C'est pourquoi nous sommes également attachés à l'idée d'une charte de la laïcité, pour que cette valeur soit réaffirmée comme assise de notre citoyenneté républicaine, ainsi que François Hollande l'a proposé lors de son audition devant la commission Stasi. J'espère de tout coeur que le centenaire de la loi du 9 décembre 1905 sera l'occasion d'une élaboration consensuelle d'une telle charte.

C'est bien le pluralisme religieux qui constitue le défi actuel de notre conception de la laïcité et la reconnaissance de la religion musulmane à égalité avec les religions juive et chrétienne. Il nous faut sortir de l'héritage post-colonial, dans lequel, y compris en matière de laïcité, la politique de la République a été marquée par l'ambiguïté, puisque les principes de la laïcité qui devaient pleinement s'appliquer en particulier en Algérie ont été dévoyés par des décrets d'application dérogatoires. Ainsi, avec le code de l'indigénat, était maintenu le statut personnel musulman ou israélite. Là aussi, nous avons à tirer les leçons de notre histoire coloniale.

La laïcité n'est pas un principe figé, déconnecté des évolutions de notre société. Elle doit donner lieu à de nouveaux équilibres, rendus indispensables par les besoins de notre société et de notre temps. L'islam est désormais la deuxième religion de France. Donnons donc réellement à la majorité silencieuse des musulmans de France la possibilité de vivre leur culte dans la dignité, à égalité de traitement avec les autres croyants, car c'est aussi sur ce plan-là que sera jaugé notre modèle républicain d'égalité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - MM. Gérard Delfau et Louis Moinard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier.

Mme Gisèle Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à préciser que je n'interviens pas en tant que présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Mon intervention s'inscrit dans une démarche personnelle de sénatrice sans pour autant, par ailleurs, engager le groupe de l'Union centriste, auquel j'appartiens. Notre groupe nous a laissé, selon les us et coutumes de notre famille politique, une totale et entière liberté de vote et d'expression dans ce grand débat de société relatif au principe de laïcité dans les écoles, les collèges et les lycées publics.

Se prononcer sur un texte de loi, c'est toujours s'efforcer en amont de comprendre, d'écouter, de dialoguer, de séparer « le bon grain de l'ivraie », et participer ainsi à l'évolution de notre société. C'est faire vivre notre démocratie.

Comme beaucoup d'entre nous, ici, au sein de la Haute Assemblée, j'ai d'abord été perplexe, voire dubitative à l'annonce du dépôt d'un nouveau projet de loi.

En l'occurrence, il convenait de se poser la question de savoir si la loi du 9 décembre 1905, édictant la séparation des Eglises et de l'Etat, qui établissait un mode de relation équilibré entre les religions et les pouvoirs publics, était toujours respectée et encore d'actualité.

J'ai, comme vous tous, lu et écouté avec attention les opposants à ce projet de loi, ainsi que celles et ceux qui s'y déclaraient favorables. Un constat s'est alors imposé : à l'heure où le principe de laïcité subit de multiples entorses, dans le monde éducatif notamment, il apparaît indispensable de rappeler que la laïcité est au coeur même des grands principes de la République française.

Est-il utile de souligner que, dans une société polyculturelle et polycultuelle telle que nous la connaissons aujourd'hui, toutes les religions doivent être respectées ?

La laïcité, ce n'est pas le refus de la religion ; la laïcité c'est une liberté, celle de penser et d'agir librement.

Malheureusement, aujourd'hui, l'apparition de certains signes religieux revêt un sens politique affiché, délibérément incompatible avec les principes de la République française dans nos écoles, où nous nous devons de combattre de façon efficace les communautarismes qui nous menacent.

De plus, d'après les nombreux témoignages que j'ai pu recueillir d'enseignants ou d'associations de femmes, il apparaît que certaines jeunes filles allant en classe sont contraintes par leur père et encore plus par leurs frères - ces derniers sont la génération montante de l'intégrisme - de porter le voile sous peine de « répression », et le mot est faible, en rentrant à leur domicile, alors même que leur mère ou leur grand-mère, qui vivaient hier au Maghreb ou en France, n'étaient pas astreintes à cette obligation.

M. Dominique Braye. Absolument !

Mme Gisèle Gautier. Comment peut-on accepter une telle régression du statut de la femme, amoindrie et soumise, alors que l'école est le lieu même de l'émancipation de la personne, quelle que soit son origine ? Il s'agit là d'une discrimination qui n'est pas tolérable. Que devient la mixité sociale dont on nous rebat tant les oreilles aujourd'hui ?

Il nous appartient d'être aux côtés de ces femmes qui vivent quotidiennement sous la contrainte, afin de les aider à négocier un passage difficile vers la modernité.

Ecoutons donc enfin leurs cris étouffés. Sachons entendre aussi, venant de France, comme d'autres pays, l'appel des musulmanes aux cheveux courts qui nous implorent de les soutenir ! Elles attendent un signal fort de la part de la France.

L'égalité entre homme et femme, cela existe, la citoyenneté, cela existe aussi, dans le respect de toutes les croyances et notamment le développement des connaissances de l'islam.

Oui, une loi paraît nécessaire ; elle doit être claire, accompagnée de décrets d'application suffisamment précis pour que les chefs d'établissements scolaires n'aient qu'à s'y référer. Ainsi cessera l'appréhension de la grande majorité du corps enseignant, qui pourra désormais s'appuyer sur un cadre législatif.

Un risque de dérapage suscitant un malaise latent existe dans nos hôpitaux, nos structures sportives, dans nos prisons, aussi ; nous aurons à en débattre demain.

En conclusion, si ce projet de loi est adopté, comme personnellement je le souhaite, il aura eu le mérite d'ouvrir en grand, peut-être un peu tard, je vous le concède, le débat sur l'échec de la politique d'intégration, seulement esquissé avec la discussion du projet relatif à l'immigration, d'obtenir que l'islam de France soit gouverné de Paris, et non de l'étranger, et que l'identité culturelle des étrangers soit respectée, à condition qu'elle respecte les valeurs républicaines.

Oui, je voterai ce projet de loi, pour toutes les raisons que je viens d'indiquer, et j'espère que l'amendement de notre collègue Michel Mercier sera adopté. En effet, cet amendement s'efforce de ne pas globaliser les situations en prévoyant que l'interdiction du port de signes religieux est légitime dès lors que ces signes sont de nature à troubler le bon ordre de l'établissement.

De plus, l'adjonction d'un article subsidiaire, indiquant qu'après un an d'application les dispositions de la loi feront l'objet d'une évaluation, me renforce dans ma conviction en faveur du vote de ce projet de loi, afin qu'enseignants et élèves de toutes les confessions retrouvent l'apaisement, la sérénité nécessaires à la poursuite des études, dans le respect de chacun, et que l'école redevienne ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être : un lieu consacré à la transmission des savoirs neutres, exempt de tout prosélytisme religieux ou politique, un lieu d'enrichissement mutuel et de tolérance. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nelly Olin, dont je rappelle qu'elle a siégé au sein de la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Nelly Olin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis à l'occasion de l'examen d'un texte qui a fait couler beaucoup d'encre, qui a provoqué bon nombre de réactions - parfois de rejet -, et c'est à nous, aujourd'hui, d'aborder ce sujet avec sérénité et sans passion, comme l'ont fait tous les membres de la commission présidée par M. Bernard Stasi.

J'ai eu effectivement le grand honneur de participer aux travaux de la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République. Ces mois d'audition et de travail ont permis à ses membres de porter un regard plus objectif sur les problèmes que nous rencontrons autour de l'application de la laïcité. Les travaux de la commission ont été suivis de près par nos concitoyens et par les médias, lesquels ont tenté de nous enfermer dans le seul problème du voile. En tout cas, ces travaux ont suscité un vaste débat dans notre société.

Depuis plusieurs mois, il est vrai, une polémique est née autour du port de signes religieux ostensibles à l'école et, plus largement, autour de la laïcité.

Nous ne devons pourtant pas nous poser de question : le principe de laïcité ne souffre aucune dérogation, aucun arrangement. C'est une valeur fondatrice de notre République, un principe constitutionnel, seul garant de la liberté de conscience. C'est ce que rappelait le Président de la République le 17 décembre dernier et c'est ce qui fait toute la légitimité du texte qui nous est proposé.

Nous reconnaissons tous pourtant que les agissements attentatoires à la laïcité dans l'espace public sont de plus en plus nombreux, ce que nous ne pouvons tolérer.

S'agissant de l'école, l'application des principes de la République se doit d'être totale et le respect des croyances religieuses, au sein des établissements scolaires, passe par la discrétion. De nombreux concitoyens plaident pour une restauration républicaine à l'école.

L'un des premiers rôles de l'Etat est de s'assurer qu'aucun groupe, qu'aucune communauté ne puisse imposer à une personne une appartenance confessionnelle. Ce contrôle passe également par la garantie, à l'école, d'une instruction dispensée dans la sérénité, d'une instruction qui donne la possibilité de se construire afin d'accéder à l'autonomie de jugement.

Aujourd'hui, et c'est là que ce texte prend toute son importance, les fondements de l'école sont mis en danger par des menaces, des pratiques racistes ou discriminatoires ou simplement par des attitudes communautaristes complètement figées qui vont à l'encontre de toute possibilité d'intégration.

L'école, je le rappelle, est le lieu de la neutralité, et cette dernière se doit d'être préservée, fusse par des moyens parfois mal perçus par certains, comme c'est le cas pour le présent projet de loi. Il est vrai que certains chefs d'établissement pourraient prendre seuls leurs responsabilités, mais ils se retrouveraient alors isolés dans un environnement extrêmement difficile. Le rôle de l'Etat est de leur donner un cadre, de leur offrir une base sur laquelle s'appuyer en cas de difficultés.

La laïcité, contrairement à ce que certains groupes politico-religieux tentent de faire croire, est une chance pour le citoyen : c'est la protection de sa liberté de conscience. Mais, comme le citoyen a des droits, il a également des devoirs, et le respect de l'espace public partagé par tous en est un. Les élèves ont ce même devoir. Dans l'espace scolaire, la neutralité n'est ainsi pas conciliable avec l'affichage d'un prosélytisme agressif. Le port d'un signe ostensible suffit souvent à troubler la quiétude de la vie scolaire.

Je tiens à saluer l'initiative de l'Assemblée nationale, qui a introduit la notion de dialogue avant de sanctionner. Il est en effet essentiel de tout faire pour tenter de régler les problèmes dans la sérénité, et l'expérience montre que bon nombre d'entre eux se résolvent essentiellement grâce au dialogue. Cela avait d'ailleurs été recommandé par la commission Stasi.

Il est très difficile d'aborder ce sujet sans faire référence au voile islamique. Si nous ne nous permettons pas de juger les jeunes filles, nombreuses, ou les jeunes femmes, nombreuses également, qui ont fait leur choix, toutes ne sont pas dans le même cas. La commission sur la laïcité a auditionné ces dernières, souvent à huit clos, de peur des représailles. Nous ne pouvons rester inertes face à ces témoignages, souvent poignants, souvent révoltants. L'une d'entre elles, qui a désiré être auditionnée publiquement, a reçu, dès le lendemain, des menaces. Ce n'est pas acceptable !

Que disent ces jeunes filles ? Que « la République ne protège plus ses enfants ». Dans les quartiers, les femmes sont victimes de violences verbales, psychologiques et physiques. On leur impose des tenues couvrantes et asexuées ; on leur impose de baisser le regard à la vue d'un homme. A défaut, elles sont classées dans la catégorie des filles faciles et finissent parfois au fond d'une cave, et nous savons tous ce que cela veut dire...

Quelle société peut tolérer cela ? Notre pays doit-il fermer les yeux au nom de la liberté de conscience ?

Tous les jours, les droits élémentaires des femmes sont bafoués. La République n'a pas fait son travail et, aujourd'hui, le voile offre à ces femmes la protection que nous n'avons pas su leur donner.

Ne craignons pas de dire les choses : le voile est le signe de la soumission de la femme à l'homme (Mme Maryse Bergé-Lavigne acquiesce), et nous ne pouvons tolérer une telle image au sein de l'école qui est, par nature, le lieu de l'égalité entre les hommes et les femmes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

Ce qui se cache derrière le port du voile, ce n'est pas seulement l'application d'un précepte religieux, c'est également le reflet de nos banlieues.

Les quartiers qui accueillent de nombreuses nationalités battent tous les records en termes de chômage, notamment chez les jeunes, de déscolarisation, de signalements sociaux. La population s'est repliée sur elle-même, et il ne reste que des miettes de sa confiance en la République et de son identification à la nation. Ces constats, je les fais moi-même chaque jour dans ma ville de Garges-lès-Gonesse.

Il faut avoir le courage de dire les choses. De nombreux groupes politico-religieux, qui ont pignon sur rue, exploitent ce malaise social, utilisent ces jeunes aux seules fins de déstabiliser la République.

Les manifestations antisémites et islamophobes sont de plus en plus nombreuses et fragilisent également la laïcité. Il n'est plus question de racisme dans nos banlieues, mais la haine de l'autre naît de la différence de religion.

Le conflit du Proche-Orient aggrave toutes ces tensions et ces dernières se ressentent au sein même des établissements scolaires. Ce n'est en effet pas un hasard si nous enregistrons un nombre de plus en plus important d'inscriptions dans des écoles confessionnelles juives ou catholiques. Nous devons cependant avoir bien conscience que ces groupes se prétendant essentiellement religieux sont surtout et avant tout politiques et ne désirent qu'une chose : mettre en danger tous les fondements de notre République.

Monsieur le ministre, le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui ne doit pas être isolé. De nombreuses actions sont nécessaires pour que l'école française retrouve sa sérénité. Ce n'est pas l'école qui est en danger, mais c'est l'égal accès de tous à l'école qui est fragilisé.

De nombreux cas de déscolarisation sont constatés chaque jour et le recours à l'enseignement par correspondance est de plus en plus important. Dans certaines banlieues, le déroulement des cours est souvent troublé par des demandes d'absences systématiques un jour de la semaine ou d'interruption de cours ou d'examen pour cause de prière ou de jeûne. Des pans entiers de l'histoire sont parfois contestés ; de nombreux certificats médicaux injustifiés sont présentés pour éviter le sport. Plus grave, des épreuves orales sont troublées par le refus de certaines jeunes filles de se soumettre aux simples contrôles d'identité ou d'être entendues par un examinateur de sexe masculin. Des enseignants et des chefs d'établissement voient leur autorité contestée au seul motif que ce sont des femmes.

Enfin, l'école n'assume plus son rôle de brassage social ; les classes moyennes fuient vers le privé ou bénéficient très facilement de dérogation à la carte scolaire.

Tous ces dysfonctionnements sont autant d'atteintes à l'école républicaine, et nous devons nous donner les moyens de lutter efficacement contre cela.

Lutter contre cela, c'est aussi donner la liberté de choisir son école, publique ou privée.

La France telle qu'elle existe aujourd'hui ne s'est pas faite en un jour, et la laïcité, avant d'être une valeur, a longtemps été un combat. Son application stricte a été marquée par de violentes crises, et c'est pour cela que nous devons rester intransigeants dans l'application des principes de la République.

Cela ne veut pas dire que la laïcité a pour objet d'étouffer les religions. Au contraire, les représentants de ces dernières peuvent à tout moment intervenir dans le débat public ; le débat d'aujourd'hui en est la preuve.

Cependant, toute conception d'une religion qui tendrait à régenter le système social établi est incompatible avec notre société.

Il est vrai que l'application de la laïcité demande un effort d'adaptation pour toutes les religions. L'islam, par exemple, est souvent défini comme inconciliable avec la laïcité. C'est évidemment faux. Les courants rationnels refusent la confusion entre pouvoir spirituel et pouvoir politique, et l'épanouissement de la pensée spirituelle ne se fera qu'en dehors des pressions de certains groupes.

Nous devons redonner confiance en la République ; cela passe avant tout par l'école. Ce n'est pas à elle de s'adapter aux exigences des pratiques religieuses ; c'est l'inverse qui doit prévaloir, ces dernières étant absolument libres en dehors de la sphère publique.

Nombre de problèmes restent encore à régler : les dysfonctionnements à l'hôpital public, à propos desquels nous avons entendu des choses effroyables, l'absence d'aumôniers musulmans dans l'armée ou leur faible nombre dans les prisons, le respect des rites mortuaires.

Je voudrais que ce débat soit l'occasion de poser les vrais problèmes. Je voudrais que ce texte soit suivi d'autres textes et actions concrètes sur le terrain pour que, plus jamais, nous n'entendions dire que « la République ne protège plus ses enfants ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte de loi que nous examinons a suscité et suscite encore bien des passions, d'autant que le débat intervient en pleine campagne électorale. On pourra regretter les arrière-pensées qui ont présidé au calendrier.

L'histoire nous a enseigné qu'il n'était pas sain de légiférer dans l'urgence et sous la pression des événements. Nous savons déjà que cette loi ne réglera pas les problèmes de fond auxquels notre société est confrontée, à savoir les inégalités sociales, les exclusions et toutes les conséquences que celles-ci provoquent en matière de comportements, de repli sur soi, de communautarisme, d'extrémisme et d'absentéisme, qui constituent en quelque sorte la toile de fond du débat d'aujourd'hui.

Dans le même temps, et pour être honnête, il faut reconnaître que ce projet de loi ne peut être appréhendé comme relevant uniquement de contingences électoralistes. Il me semble en effet qu'il répond à une urgence, même s'il est très imparfait. J'y reviendrai. Je dois d'ailleurs saluer la sérénité avec laquelle se sont déroulés les débats au sein du groupe communiste républicain et citoyen.

Les droits des hommes et des femmes qui ont émergé en 1789 représentent une rupture politique et une libération de tous. C'est la base de la laïcité française et de sa vocation égalitaire et démocratique au service de tous et de la satisfaction des besoins sociaux et culturels de chacun.

C'est le résultat de combats séculaires contre les sociétés seigneuriales, aristocratiques et cléricales, fondées sur l'inégalité et la hiérarchisation sociale et justifiées par un ordre naturel ou divin. L'illustration de la fin de ces hégémonies est l'article Ier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi libellé : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »

C'est la proclamation que chaque être humain naît et demeure sujet et porteur de droits égaux, inaliénables, imprescriptibles et universels. C'est aussi l'affirmation du droit à la différence dans l'égalité. C'est enfin une égalité inscrite dans le droit public, dans les lois et dans la Constitution de 1958, qui, dans son article 1er instaure une République « indivisible, laïque, démocratique et sociale. »

C'est dans cet esprit que la République laïque doit vivre, non de manière défensive, mais comme un programme à réaliser, comme une spécificité à vocation universelle à faire vivre au présent et dans le monde. En effet, par exemple, la France laïque est seule au monde à connaître le divorce par consentement mutuel et le mariage civil obligatoire.

Ces principes ont fondé notre communauté républicaine qui est actuellement menacée. C'est de cela en fait que nous parlons, et de rien d'autre.

Aussi suis-je pleinement conscient que nous n'examinerons pas ici une loi d'intégration, redonnant vraiment corps au principe de laïcité que la République se doit de promouvoir avec détermination.

Cependant, ce texte définit une règle, fixe des limites qu'aujourd'hui bon nombre de nos concitoyens appellent de leurs voeux. En se déclarant attachés à la laïcité, ils expriment leur refus de voir abritées dans l'espace public des vérités révélées, absolues, ou des dogmes idéologiques. C'est pourquoi, je vous le dis tout de suite, je voterai cette loi.

Je pense d'abord aux victimes, en particulier aux jeunes filles et aux femmes qui ont besoin du renfort de la loi. Lacordaire avait déjà pressenti les contradictions à gérer quand il affirmait qu'« entre le fort et le faible, c'est la liberté (...) qui opprime et c'est la loi qui affranchit. »

Pensons à ces jeunes filles silencieuses, réduites au mutisme, soumises en permanence à une autorité et à un contrôle social masculins, dans la famille, dans l'immeuble, dans le quartier. Car le voile est bien le symbole de l'infériorité et de la sujétion des femmes. Comment expliquer l'égalité des sexes à des enfants si, dans la classe, ils se trouvent confrontés à une situation démontrant exactement le contraire ?

Pensons aussi aux femmes qui, en Afghanistan, en Iran, en Arabie Saoudite et partout dans le monde, luttent contre les humiliations, les violences et parfois même contre la lapidation, comme au Nigeria. Elles peuvent recevoir cete acte symbolique fort de notre République comme un véritable signe d'encouragement.

Je pense également au corps enseignant, professeurs, équipes pédagogiques et chefs d'établissement, qui se sont très majoritairement prononcés en faveur de ce texte qui permettra enfin de mettre un terme aux tergiversations multiples qu'engendrait l'application de telle circulaire ou de tel arrêt du Conseil d'Etat, imprécis, peu lisible ou laissant libre cours aux interprétations les plus diverses.

Mais, et c'est plus important, cette loi constituera aussi un recours pour toutes celles et ceux qui subissent des pressions quotidiennes de la part des intégristes, extrémistes et néoprophètes de toute sorte. Il est bon de rappeler que l'Etat est garant du libre exercice par chacun de sa liberté de conscience, de son expression ou de sa non-expression. Il se doit d'intervenir quand celle-ci est menacée.

Quand je parle des intégristes, j'entends, bien entendre les intégristes religieux, mais pas seulement ; je pense aussi à ceux qui ont assassiné Yitzhak Rabin, à ceux qui enferment les femmes en Iran et en Algérie, à ceux qui refusent le droit à l'avortement au Portugal et en Pologne ou à ceux qui leur dénient le droit au divorce et le droit de vote.

Cela dit, je pense à la majorité silencieuse de nos compatriotes d'origine maghrébine ou musulmane qui souhaitent que les lois de la République les protègent contre l'intégrisme religieux. Je reprendrai ici les propos de l'écrivaine iranienne Chahdortt Djavann, selon qui cette loi, qui clarifie la situation, « est une réelle chance pour tous les musulmans laïcs de France. Ils pourront vivre tranquillement leur religion sans qu'on les stigmatise par ce symbole d'humiliation des femmes, sans qu'on fasse l'amalgame entre, d'un côté, l'immense majorité des musulmans, qui ne créent et ne souhaitent pas de problèmes, et, de l'autre, les islamistes, sans que le voile soit la carte d'identité des bonnes musulmanes et son absence, la marque d'infamie des autres ».

En ce sens, cette loi est utile. L'erreur consisterait néanmoins à ne pas s'interroger sur les racines du mal que ce texte tente en partie de combattre.

Sur ce point, les élus de la nation auraient tout intérêt à écouter avec la plus grande attention les propos des femmes et des hommes de culture musulmane, croyants, agnostiques ou athées, qui rejettent avec force l'islamisme politique. Comme l'ont indiqué nombre de ceux-ci, « la floraison actuelle de voiles en France a trouvé un terreau dans les discriminations dont sont victimes les enfants issus de l'immigration. En aucun cas, elle n'y a trouvé une cause, et certainement pas un rappel de la mémoire maghrébine : il y a bien derrière ce prétendu « choix », dont se réclament un certain nombre de filles voilées, une volonté de promouvoir une société politique islamiste s'appuyant sur une idéologie militante active sur le terrain et affichant des valeurs dont nous ne voulons pas ». Je les cite encore : « Nous sommes conscients que l'islam a été mal reconnu en France et qu'il manque de lieux de prière. »

Ils nous rappellent avec raison que l'idée de laïcité à la française a beaucoup perdu de sa valeur pour eux. Effectivement, face à cette perte de valeur, deux voies se présentent à eux : ou bien retrouver la force d'une laïcité vivante, c'est-à-dire de l'action politique au quotidien pour faire avancer leurs droits et revendiquer des acquis pour lesquels se sont souvent battus leurs pères et leurs mères, qui appartenaient à des classes sociales, des cultures, des peuples et des nations avant d'appartenir à l'islam ; ou bien opter pour le repli communautaire, attitude qui est largement encouragée par les fondamentalistes, qui rêvent d'instaurer une société inégalitaire, répressive et intolérante.

Mes chers collègues, sachons entendre ce signal d'alarme. La République doit relancer le processus d'intégration, compris comme adhésion aux valeurs qu'elle défend, et restaurer l'égalité des chances. Il lui faut, sans plus attendre, s'engager dans une vaste entreprise de réhabilitation des valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité et de justice, faute de quoi cette loi sera contre-productive.

A cette fin, les pouvoirs publics ont pour mission de lutter avec force contre toutes les formes de ségrégation sociale et ethnique. De même, doivent être combattues avec la plus grande fermeté les discriminations à l'embauche, au logement. Autrement dit, il faut que l'Etat et les collectivités locales, à hauteur de leurs possibilités respectives, consacrent tous les moyens nécessaires à la mise en oeuvre d'une réelle politique de la ville, de l'emploi et de l'éducation, pour ne pas laisser en déshérence certaines zones du territoire national et en souffrance la part la plus jeune et la plus demandeuse de notre population.

L'adhésion aux valeurs républicaines exige un égal traitement de tous les citoyens désireux de vivre ensemble, quelles que soient leurs origines, leur culture, leurs options philosophiques et religieuses. Cela implique aussi d'assurer dans le cadre de la loi, par divers accomodements raisonnables, un meilleur respect des coutumes alimentaires, des traditions funéraires ou des grandes fêtes religieuses.

Je me sens totalement athée, jusqu'au bout des ongles, mais je sais que les religions appartiennent à l'histoire de l'humanité. Je me prononce ainsi pour l'adoption d'un code de la laïcité qui serait enseigné dans les écoles et pour des cours de civilisation intégrant des cours sur les religions, destinés à lutter contre l'analphabétisme religieux, à combattre cette inculture propice à tous les fanatismes et à provoquer l'intérêt pour les croyances des autres.

Mon ami Jean-Pierre Brard, député-maire de Montreuil, a pris des initiatives exemplaires dans ce domaine en créant un centre civique d'étude du fait religieux, qui rassemble de façon régulière les représentants des trois grandes religions majoritaires et en organisant des conférences publiques.

L'une d'elles, récemment, portait sur le voile. Jean-Pierre Brard me racontait en souriant comment le président - malien - de la fédération des institutions musulmanes de sa ville a mis tout le monde d'accord avec cette formule : « Quand l'islam est arrivé chez nous, il a trouvé des femmes en pagne ; elles y sont toujours car Dieu n'est pas dans le voile mais dans le coeur ! » Bel exemple de sagesse et de dignité.

Je voudrais rappeler, même si, depuis quelque temps, on a perdu le fil d'un islam ouvert et tolérant, que c'est cette religion qui a produit des philosophes comme Averroès ou une architecture comme celle de l'Andalousie, que c'est l'islam qui a inventé le système universitaire, de Bagdad et de Cordoue, ainsi que l'hôpital, qui se dit en arabe baramestan. Il existe un islam des Lumières, il ne faut pas l'oublier !

Ainsi, à la lumière de l'enjeu fondamental que constitue la restauration du principe de laïcité comme affirmation du droit à la différence dans l'égalité, garant de la cohésion nationale, socle de la volonté des individus de vivre en commun, je voterai ce projet de loi. Mais je considère que cette loi ne constitue qu'une première étape d'un immense chantier qui vise à faire ré-adhérer l'ensemble des Français, quelles que soient leurs origines, aux valeurs de la République, chantier auquel nous nous devons tous de participer.

Il faudra aussi que les circulaires d'application de la loi soient rédigées avec discernement et intelligence politique et que le Parlement soit régulièrement informé.

En conclusion - conclusion qui peut tous nous rassembler au-delà du vote -, je rappellerai encore une fois que la laïcité constitue l'un des principes fondateurs de notre République. Elle doit être affirmée et défendue, car elle nous permet de vivre ensemble avec la diversité de nos convictions et de nos croyances. Elle constitue également un équilibre entre la sphère publique et la sphère privée. En ce sens, elle garantit à chacune et à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire, de pratiquer une religion ou de ne pas le faire, tout en affirmant le fait public et la neutralité des services qui en découlent.

Aucune atteinte à ces principes ne peut être tolérée. Les acteurs du service public, qu'ils soient enseignants, médecins, magistrats, employés de collectivité territoriale, doivent avoir les moyens de faire respecter les textes législatifs existant et les textes à venir. Car nous n'en serons pas quittes avec cette loi, monsieur le ministre.

Dans un an, ce sera le centenaire de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat de 1905. Je vous propose, mes chers collègues, que ce soit l'occasion d'ouvrir un vaste débat sans passion et le plus large possible afin de réactualiser toutes les lois, y compris celle-ci et celle-là, afin de faire vivre leurs valeurs : droits de l'homme, démocratie et tolérance.

Et si le destin de l'homme, c'est l'homme, n'oublions jamais que nous appartenons avant tout à une communauté qui s'appelle l'humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste, du RDSE et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier.

M. Bernard Seillier. Aborder la question du voile que portent certaines jeunes musulmanes à l'école par le biais d'une loi peut paraître nécessaire, mais ouvre en fait la voie à des difficultés qui montreront que la méthode n'est pas suffisante. Pourquoi ?

Le respect du principe de laïcité dans les établissements publics d'enseignement implique nécessairement l'interdiction du prosélytisme religieux. C'est bien ce que le projet de loi qui nous est soumis veut exprimer en interdisant la manifestation « ostensible » d'une appartenance religieuse par le port de signes ou de tenues.

Concrètement, est-ce opératoire ?

On a déjà beaucoup glosé - et ce n'est sûrement pas fini - sur l'appréciation de la notion de « port ostensible ».

Il doit être clair, en effet, que la simple confession de foi religieuse ou d'appartenance philosophique est une liberté fondamentale protégée par le principe même de laïcité, qui, ne l'oublions pas, consiste d'abord et avant tout à ne pas faire acception des opinions d'une personne et de sa religion pour la faire bénéficier des droits de tous.

Tels est bien l'objectif du projet de loi qui nous est soumis. Il entend bien mettre tout élève à l'abri d'une pression idéologique ou religieuse incompatible avec le principe de laïcité.

La circulaire du ministère de l'éducation nationale du 12 décembre 1989 avait d'ailleurs très clairement exprimé cette position.

Qu'appelle-t-on au juste un signe ou une tenue « ostensible » ?

C'est nécessairement un signe ou une tenue dont le caractère provocant est de nature à exercer une pression contraire au respect des opinions ou des convictions religieuses des autres élèves.

Tout cela est irréprochable, si ce n'est que l'on est resté dans l'ordre de la théorie et que l'application pratique, qui n'est pas évidente, risque de donner lieu à une casuistique redoutable. Comment distingue-t-on concrètement une tenue « ostensible » d'une autre qui ne le serait pas ?

Par ailleurs, le lien entre le signe ou la tenue et l'appartenance religieuse est-il objectif ou subjectif ? Le voile, pour ne parler que de lui, est-il une marque d'observance religieuse ou une simple expression de pudeur, ce qui le ferait relever de la catégorie morale et non de la religion ?

La question n'est pas superflue, car elle peut conduire à une police de l'habillement, au-delà de ce qu'imposent les simples convenances.

Aujourd'hui, les piercings ne doivent-ils pas être considérés comme des signes ostensibles d'une nouvelle superstition ? Ne pas le faire conduirait à une discrimination bien problématique à l'encontre de l'élève qui ne porterait qu'une modeste médaille par rapport à celui ou à celle dont la langue, le nez, les joues ou l'arcade sourcilière seraient percés.

Au-delà de la discrimination, la hiérarchie des valeurs humaines serait menacée d'être constamment contrariée et niée par ceux qui sont chargés d'en faire découvrir le sens, c'est-à-dire les éducateurs. On peut d'ailleurs s'attendre à voir apparaître d'autres registres de provocations, mais aux antipodes du voile, avec la mise en scène subtile de la nudité derrière des tissus transparents ou le port ostentatoire d'accoutrements invraisemblables faisant apparaître a contrario le voile comme un raffinement vestimentaire. Le discernement devra alors s'opérer par rapport à l'impudicité ou à la vulgarité. C'est sur le registre moral ou culturel que devra alors s'exercer le jugement.

Nous pouvons redouter une casuistique considérable qui ferait regretter l'uniforme de la blouse grise !

Pourquoi en sommes-nous là ?

Paradoxalement, c'est moins parce que nous redoutons un signe religieux en soi que parce qu'il est impossible de discerner derrière ce signe la part d'oppression culturelle qu'il contient, ou l'oppression délibérément sexiste véhiculée par une religion qui ne sépare pas le politique du religieux.

A ce titre, il est clair que, faute d'être assuré que le port du voile ne constituerait pas un acte non prosélyte à l'égard des autres, force est de l'interdire dans l'enceinte d'établissements où, précisément, les outils intellectuels et philosophiques capables d'opérer le discernement n'ont pas droit de cité, c'est-à-dire dans le secteur public.

Il peut en aller différemment dans les établissement confessionnels associés par contrat au service public.

Il ne faut pas oublier en effet que, pour notre culture, le problème du vêtement plonge ses racines dans la Bible, au jardin d'Eden, lors de la découverte de notre nudité.

Mais il est indispensable de rappeler que la religion chrétienne, distinguant précisément l'état de clerc et celui de laïc, n'a jamais soulevé de difficultés au sujet du vêtement dans les enceintes publiques, parce que le vêtement religieux est caractéristique d'un état délibérément spécifique. Non seulement cette religion ne prétend pas imposer un vêtement distinct aux laïcs, mais elle demande au clerc de revendiquer sa différence par le vêtement. Lorsque saint Paul enjoint aux femmes de couvrir leur chevelure pour la prière, cette exigence ne vaut que pour les enceintes religieuses, et dans une perspective exclusivement métaphysique et théologique qu'il ne s'agit pas de discuter ici.

Je veux, en rappelant cela, souligner que, dans le christianisme, aucune prescription rituelle ne concerne les laïcs, et a fortiori les mineurs, pour ce qui est de la vie dans l'espace public profane. Le port du vêtement religieux dans cet espace est le propre des clercs, qu'il distingue délibérément, les laïcs étant ainsi mis à l'écart de ce problème.

Tel n'est pas le cas du voile islamique, qui crée une sujétion pour ceux que les chrétiens appellent « les laïcs » ; au demeurant, le mot même de laïc semble n'avoir aucun sens pour le musulman. De là vient toute la difficulté. Cette situation est potentiellement très dangereuse. On peut le percevoir dans les situations critiques auxquelles conduisent les régimes autoritaires dirigés par des fanatiques de la religion musulmane.

Partout où la démocratie essaie de s'installer avec difficulté, les femmes sont inquiètes devant notre incompréhension de l'enjeu.

En raison de ce défaut de distinction entre clerc et laïc dans l'islam, nous n'avons aucune latitude. Nous ne pouvons pas accepter que cette confusion s'introduise et règne dans l'espace public scolaire. Notre culture, précisément parce qu'elle est d'inspiration chrétienne, nous fait même un devoir de ne pas abandonner les jeunes filles à une privation non seulement de la liberté de choisir leur état de vie, mais aussi de leur statut d'égale dignité par rapport aux hommes et, fondamentalement, de leur liberté de conscience.

Si cette interdiction du voile dans les établissements d'enseignement public conduisait certaines jeunes filles à chercher refuge dans des établissements privés sous contrat, ces derniers devraient s'attacher à les conduire à un discernement existentiel fondamental.

C'est même là une justification précieuse de ces établissements. Equipés en principe culturellement et philosophiquement pour engager et conduire un dialogue entre jeunes de religions différentes, ce que ne peuvent pas faire les établissements publics, mais surtout équipés pour le faire dans l'optique du respect de la liberté de conscience, caractéristique fondamentale des confessions chrétiennes, ils ont aussi le devoir de protéger les jeunes filles de toute aliénation sociale et anthropologique, sans pour autant les exclure de la communauté éducative.

C'est ainsi que je vois se dégager les perspectives de la confrontation à laquelle notre culture est acculée aujourd'hui du fait d'une autre culture, fondée sur une absence de distinction potentiellement très dangereuse entre le religieux et le civil, entre le religieux et le politique.

C'est pourquoi, malgré les difficultés d'application du projet de loi tel qu'il est rédigé, je le voterai, tout en sachant que nous ne devons pas en rester là. Les questions sous-jacentes à ce débat appellent un approfondissement de la réflexion dans toute la société française à propos des valeurs communes nécessaires à la liberté et à la paix civile. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.

M. Gérard Delfau. Par son intitulé même, la « loi de séparation des Eglises et de l'Etat », qui fonde la laïcité, a, dès l'origine, valeur universelle et vocation à l'intemporalité. Le pluriel qu'elle utilise - « Eglises » - dénoue le lien avec les circonstances qui l'ont fait naître. Aussi peut-on envisager qu'elle soit, si nécessaire, réaffirmée dans l'application pratique de ses principes, mais non qu'elle soit modifiée ou retouchée en fonction de l'air du temps.

Cela vaut aussi bien par rapport aux pressions qu'exercent sur la sphère publique certaines composantes islamiques que pour le débat en cours sur les « racines chrétiennes » de l'Union européenne, dans le cadre de l'élaboration d'une éventuelle constitution.

Dès la première phrase, la loi de séparation rompt avec une tradition ancrée dans des millénaires d'histoire et pose un principe révolutionnaire : « La République assure la liberté de conscience. » Par là, l'individu, devenu citoyen, est affranchi de toute tutelle religieuse, philosophique, politique. La neutralité de l'Etat est le moyen de cette émancipation : à lui d'organiser la distinction entre la sphère publique, domaine de la laïcité, et la sphère privée, là où peut s'épanouir la liberté des cultes et des adhésions philosophiques, sous l'unique réserve de ne pas troubler l'ordre public.

Voilà ce qui fonde la laïcité républicaine française.

Il suffit de rappeler l'esprit de ce texte pour mesurer à quel point il y eut depuis, au fil du temps, à la fois fidélité aux principes et, en même temps, accommodements et dérives.

Et, contrairement à une opinion largement répandue, la pression d'une fraction intégriste de l'islam n'est pas seule en cause. La question du « foulard » cristallise certes les passions, mais qu'on me permette de le dire, sans heurter personne : parfois, l'orientation actuelle du pape et d'une partie du clergé tout comme l'action de certaines composantes très minoritaires de la confession juive font peser une menace - certes beaucoup plus lointaine - sur le caractère laïc de notre Constitution. Or c'est au pacte laïc que nous devons un siècle de paix civile, ce bien inestimable.

Dès lors, remettre en mémoire les conditions d'exercice de la liberté religieuse et, le cas échéant, signaler quelques dérapages, ce n'est pas, comme on l'entend trop souvent, rallumer des « guerres » anciennes, ni faire preuve d'« intégrisme laïc » - le mot n'est évidemment pas de moi.

Il n'y a, chacun le reconnaît, nulle trace d'anticléricalisme dans le débat actuel. Il n'y a pas non plus d'islamophobie au sein de la population française ; tout au plus, y a-t-il de l'indifférence.

Choisir la voie laïque, c'est conforter le « vouloir vivre ensemble » des Français et la diversité de leurs origines, de leurs situations sociales, de leurs opinions politiques, de leurs croyances ; c'est aussi garantir les droits des femmes. Le spectacle du monde montre chaque jour que rien n'est plus difficile que la concorde civile et l'égalité entre hommes et femmes.

Pour autant, il ne faut pas oublier qu'une législation n'existe pas dans l'abstrait. Elle ne vit, elle ne prend tout son sens qu'appliquée à une société concrète. Le heurt douloureux entre une conception laïque de la République et une infime minorité de citoyens de confession musulmane n'échappe pas à cette règle.

Il y a, dans le débat qui nous occupe, cinquante ans, que dis-je, un siècle et demi d'histoire de la France, notamment d'histoire coloniale, il y a cinquante ans de société multiculturelle. Il y a bien sûr, plus récemment, les attentats du 11 septembre 2001, l'invasion de l'Irak, le conflit israélo-palestinien, entre autres.

Bref, la confrontation entre les institutions de la France et une fraction de la population française ne peut en aucun cas se résumer à un conflit religieux. Elle a aussi son terreau économique, son terreau culturel, son terreau politique. Et, si nous ne faisions que légiférer sur la laïcité, ce qui est nécessaire, - c'est pourquoi je voterai ce texte -, nous n'aurions pris en compte qu'une partie de la question, nous ne nous serions sans doute pas attaqués à toutes ses racines.

Pourtant, il faut le faire, et cela pour de nombreuses raisons.

Dans la situation actuelle, il en est une qui est particulièrement inquiétante : la remise en cause de l'un des fondements de notre société, à savoir l'égalité entre les hommes et les femmes.

Le phénomène a d'ailleurs tendance à se généraliser : d'abord confiné à l'enceinte scolaire, le « foulard » sera arboré dans tous les espaces publics et associé à un refus de la mixité à l'hôpital comme à la piscine. Ainsi s'organise une ségrégation des sexes qui assure une discrimination de la femme, lui refuse la qualité d'être humain à part entière. (Mmes Michèle André, Yolande Boyer, Maryse Bergé-Lavigne, Odette Herviaux et Gisèle Printz applaudissent.)

C'est dans cette dimension-là, peut-être autant que dans l'autre, que nous sentons la nécessité de renforcer, de réaffirmer le principe de laïcité. Le débat le montre, nous sommes une majorité de Français à le vouloir.

Au passage, notons quand même la difficulté.

Dans les années 1900-1905, le débat fut violent, âpre, entre le camp républicain et une Eglise catholique qui était en position dominante. Aujourd'hui, le conflit oppose une minorité - souvent la plus pauvre de la population - à la majorité des forces économiques, politiques et culturelles et, paradoxalement, à mon sens en tout cas, cette supériorité écrasante du camp laïc est, d'une certaine façon, sa faiblesse.

C'est ce phénomène qui donne un statut de victime aux jeunes filles, pour l'essentiel d'origine maghrébine, qui revendiquent le droit d'arborer le voile jusque dans la sphère publique, et c'est ce qui nourrit la mauvaise conscience d'un certain nombre d'hommes et de femmes, notamment à gauche, qui, sans vouloir transgresser le principe de laïcité, et voulant tendre la main - ce que nous voulons tous faire - se trouvent finalement pris au piège : faut-il ou ne faut-il pas légiférer ?

Comme beaucoup d'autres, j'ai longuement hésité sur cette question. Si je m'y résous nettement aujourd'hui, c'est parce qu'il m'a semblé que seul le Parlement pouvait désormais poser le cadre contre lequel le juge ne pourra aller.

C'est le Parlement et lui seul qui peut indiquer à la Cour européenne de justice que la France veut vivre pleinement et complètement sa laïcité. Si nous ne donnions pas ce signal, alors oui, nous, les politiques, nous nous défausserions de la décision sur des magistrats dont les décisions seraient sans doute souvent différentes, voire contradictoires, et nous laisserions surtout entendre à l'Europe, au moment où son projet de Constitution est toujours en discussion, que nous avons, d'une certaine façon, renoncé à ce qui fait le fondement même de notre histoire.

Dans le peu de temps qui m'est imparti, je dirai qu'il faut effectivement légiférer, mais en prenant des dispositions limitées et précises, aussi limitées que possible et aussi précises que possible.

Malheureusement, le texte qui nous est soumis ne me satisfait pas.

Il s'agit bien d'interdire le port visible d'un insigne religieux - voile, kippa, croix - par les usagers de l'école publique, ainsi « sanctuarisée », de préserver la mixité des lieux publics - école, hôpital, piscine, stade -, de maintenir le principe de mixité pour tous les personnels soignants et quel que soit le sexe du patient, de prohiber toute référence à une religion dans la tenue, et pas seulement vestimentaire, d'un agent ou d'une agente de la fonction publique territoriale et d'Etat.

Seul l'adjectif « visible » est donc susceptible de clarifier le débat. Ce sera d'ailleurs l'objet d'un des amendements que, avec mes amis radicaux de gauche, je soutiendrai.

Il n'est pas possible, il est en tout cas dangereux pour la suite de limiter l'objet même de la loi à la seule école publique, même si, bien sûr, c'est indiscutablement là qu'il faut agir d'abord.

Ainsi, légiférer est nécessaire, mais non suffisant. Si nous n'arrivons pas à répondre à l'interrogation d'une partie de notre population qui se sent en situation de marginalisation, ou qui estime tout simplement qu'elle ne bénéficie pas tout à fait de l'égalité des chances, si nous n'arrivons pas à y répondre en termes de logement, en termes d'emploi, en termes d'accession aux carrières, si, au-delà du rappel des principes, nous ne parvenons pas à fournir les éléments de cette intégration dont nous parlons tous, alors il y aura à nouveau des rendez-vous douloureux dans l'histoire de la France.

Voilà pourquoi ce débat se déroule dans un contexte tout à fait particulier. On sent bien qu'il est empreint de gravité. On constate aussi beaucoup de points de convergence.

Cependant, mes chers collègues, aurons-nous ensuite le courage politique nécessaire de procéder aux arbitrages, y compris budgétaires, qui permettront, le moment venu, de donner des réponses concrètes aux principes que nous sommes en train, collectivement, d'énoncer ?

C'est l'une des interrogations que je tenais à formuler au cours de cette discussion générale.

En tout cas, la question de la laïcité n'a jamais été aussi présente. Prenons comme hypothèse qu'elle n'est pas seulement le ciment de la République française, mais qu'elle est aussi, en soi, un principe à valeur universelle, la seule façon d'assurer la liberté de conscience et la paix civile, quel que soit le régime politique.

En ce sens, notre discussion échappe à l'actualité, elle entre en résonance avec les grandes voix du passé, comme avec la souffrance de ceux qu'opprime une conception intolérante et discriminatoire de la religion. La laïcité libère !

C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues du RDSE, je m'apprête à voter ce texte de loi nécessaire.

Avec mes amis radicaux de gauche, je soutiendrai un certain nombre d'amendements destinés à améliorer le projet de loi voté par l'Assemblée nationale. Le Sénat décidera de leur sort. Mais j'ai une conviction profonde : le débat ne fait que commencer. Il y aura d'autres rendez-vous et c'est tant mieux parce que c'est un signe de vitalité de notre République. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et du groupe socialiste. - Mme Danielle Bidard-Reydet et M. Paul Dubrule applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Mauroy.

M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai souhaité intervenir dans le débat sur le projet de loi relatif au respect de la laïcité dans les écoles, les collèges et les lycées publics parce que, pour moi, cette valeur est indissociable de l'idée même de la République telle que nous l'aimons aujourd'hui.

Dans les responsabilités que j'ai exercées, dans le syndicalisme enseignant et les mouvements de jeunesse comme dans la vie politique locale et nationale, je me suis attaché à promouvoir la laïcité ou à la défendre comme une liberté, une ouverture à l'égard des autres et de soi-même.

J'ai même oeuvré, quand j'étais Premier ministre, pour la création d'un grand service public laïc de l'éducation au service de la nation tout entière.

Mme Danièle Pourtaud et M. Gérard Delfau. Eh oui !

M. Pierre Mauroy. C'est dans le même esprit que, lors de mon audition par la commission Stasi, j'ai soutenu la nécessité d'une loi réaffirmant l'application stricte du principe laïc. Je rends d'ailleurs hommage à cette commission pour la qualité du travail effectué par son président et par ses membres.

En effet, rares sont les instances de ce type permettant un échange d'idées qui secouent à ce point les consciences qu'elles font évoluer les positions de départ de ses membres. C'est pourquoi, d'ailleurs, elle a largement contribué à éclairer le débat et à faciliter l'adhésion au texte qui nous est soumis.

En réaffirmant le caractère laïc de l'école publique, le projet de loi réaffirme aussi la nature de l'Etat laïc, tel que la loi de 1905 l'a concrétisé par la séparation des Eglises et de l'Etat.

On a longuement débattu, dans notre pays, au fil des décennies et encore au cours de ces derniers mois, de ce que recouvrait la notion de laïcité.

Certains ont pu y voir l'agression farouche contre le fait religieux ; d'autres l'ont interprétée comme le respect de la liberté de conscience et de la tolérance à l'égard des religions.

Pour moi, la laïcité n'est pas séparable de l'Etat laïc. C'est lui qui, en reconnaisant toutes les religions sans se confondre avec aucune d'entre elles, lui confère sa signification profonde et donne tout leur sens aux valeurs républicaines de liberté, d'égalité et de fraternité.

Si l'on accepte cette conception de la laïcité, on est bien obligé de constater que, aujourd'hui, ce principe, inscrit dans notre Constitution, est contesté notamment à l'école - mais pas seulement à l'école - par des groupes intégristes religieux, minoritaires mais très agissants, qui amalgament politique et religion.

Le port du voile - plus ou moins volontaire - dans l'enceinte scolaire par des jeunes filles musulmanes en est l'aspect le plus « visible ».

Mais les témoignages se multiplient aussi de professeurs contestés dans leur enseignement, notamment dans celui de la Shoah, voire des écrits de Voltaire. Sans parler des jeunes filles qui refusent de suivre les cours d'éducation physique ou de sciences de la vie...

Face à ces dérives nouvelles et dangereuses, à l'école mais aussi, ne l'oublions pas, dans l'administration et dans les hôpitaux publics, il est grand temps de réaffirmer avec force le caractère laïc de la République française et de ses institutions publiques.

En effet, en France, nous considérons que c'est la laïcité qui crée le mieux, pour chaque individu, les conditions de sa liberté de conscience comme celles de sa liberté de penser et d'agir, pour pratiquer la religion de son choix ou pour être athée ou agnostique.

C'est aussi sur ce principe que repose le contrat social qui lie tous les citoyens dans une même collectivité et qui permet à chacune et à chacun d'y trouver sa place, avec la pleine égalité de ses droits, quels que soient son sexe, ses origines ethniques ou géographiques ou, bien sûr, sa religion.

La République ne méconnaît pas pour autant la diversité des opinions, des religions et des communautés, mais elle ne se soumet ni aux unes ni aux autres. En d'autres termes, la laïcité libère l'individu et intègre le citoyen.

C'est, bien sûr, à l'école publique que le principe laïc s'applique avec le plus d'exigence. Lieu de formation et d'émancipation des jeunes esprits, lieu où se forge la citoyenneté, l'école est l'endroit, s'il en est, où la neutralité la plus grande doit être respectée par tous et où la question des signes d'appartenance à telle ou telle religion doit être posée.

Le texte dont nous débattons fait référence au caractère « ostensible » de ces signes. Le groupe socialiste préfère l'adjectif « visible », pour les raisons exposées par Serge Lagauche et sur lesquelles d'autres orateurs reviendront.

Je partage également l'esprit des autres amendements présentés par le groupe socialiste, notamment ceux qui portent sur l'enseignement de l'histoire des religions et sur la nécessaire formation à la laïcité.

En ce 2 mars 2004, comment ne pas penser à Jean Jaurès, qui, voilà cent ans quasiment jour pour jour, le 3 mars 1904, expliquait - déjà - à la tribune de l'Assemblée nationale, avec des mots à lui, la nécessité de « l'intervention de la communauté laïque » dans « l'oeuvre d'éducation, pour susciter dans les jeunes esprits (...) l'habitude de la raison et de la vérité » ?

M. Claude Estier. Très bien !

M. Pierre Mauroy. Je considère aussi que la loi s'impose dès lors que le principe laïc est bafoué et la République ainsi défigurée. C'est le cas aujourd'hui. Et si le combat pour la défense de la laïcité exige dialogue et volonté de convaincre, il n'exclut pas le rapport de force.

En République, le seul rapport de force qui vaille et qui est toléré est la force de la loi. C'est pourquoi je me réjouis que, à travers le vote massif de l'Assemblée nationale le 10 février dernier, la République ait clairement réaffirmé son caractère laïc non négligeable.

Je me félicite aussi qu'aient été retenus deux amendements du groupe socialiste. Le premier porte sur l'évaluation dans un an du dispositif mis en place et l'autre vise à exiger un dialogue avant toute exclusion d'élève qui refuserait de se soumettre à la loi.

En effet, l'interdiction du port de signes religieux - ostensibles ou visibles - n'est dirigé contre personne ni contre aucune religion, comme certains tentent de le faire croire, bien au contraire. C'est un acte porteur de liberté, de respect des personnes, d'égalité, de justice et de paix civique, excluant tout arbitraire.

Je sais que cette exigence laïque, qui puise ses racines dans la Révolution de 1789 et dans la philosophie des Lumières, confère à notre pays une originalité spécifique, encore largement incomprise hors de nos frontières.

On l'a vu à plusieurs reprises au cours de ces dernières semaines, même chez nos pays amis européens les plus proches, comme l'Allemagne et la Grande-Bretagne, où la « loi sur le voile », comme on l'a un peu rapidement résumée, a été critiquée, quelquefois violemment d'ailleurs. Il est vrai que, dans ce pays, comme dans la grande majorité des pays du monde, les religions et les Etats restent dépendants les uns des autres par des liens variables qui, s'ils n'entament pas - fort heureusement ! -, dans les démocraties occidentales, le libre arbitre des individus, favorisent cependant la démarche communautariste et les dérives qui l'accompagnent.

Ainsi, comment ne pas voir - l'actualité d'aujourd'hui nous le rappelle - les dérèglements, les oppressions, notamment celles qui portent sur les femmes, voire les graves conflits que provoque ou qu'aggrave la suprématie du religieux sur le politique dans certains Etats ? Or c'est ce projet que certains groupes activistes intégristes veulent importer en France. Nous n'en voulons pas ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

Mes chers collègues, le texte que nous allons adopter demain prévient en grande partie ce danger, mais il ne suffira pas à régler d'un coup de baguette magique deux questions essentielles pour l'avenir de la colletivité nationale, celle de l'égalité entre les femmes et les hommes et celle de l'efficacité actuelle de notre modèle républicain d'intégration.

J'aborderai tout d'abord la question de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Comment ne pas entendre les témoignages poignants des femmes qui, comme Chahdortt Djavann dans un livre récent, expliquent que, plus qu'un signe religieux, le voile est le symbole de la volonté de maintenir la femme dans une situation d'enfermement et de totale soumission à l'homme ?

Dans notre pays même, des mouvements de femmes qui marquent actuellement l'opinion, comme celui de « Ni putes ni soumises », se battent avec courage pour faire progresser l'égalité entre les femmes et les hommes, notamment auprès des jeunes gens des cités, dont certains n'hésitent pas à insulter celles qui refusent de porter le voile.

Le vote de la loi dont nous débattons contribuera aussi à soutenir le combat pour l'égalité, pour laquelle tant de femmes, au fil des siècles, ont lutté, parfois au péril de leur vie, ont fui leurs pays, et se battent encore pour être reconnues comme des individus à part entière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

Cette valeur d'égalité est, comme la laïcité, une valeur fondatrice de la République française. Elle est inhérente au projet européen, du moins je l'espère. Elle est loin encore d'être une réalité et nous devons nous mobiliser pour l'appliquer concrètement. Cela passe aussi par la laïcité, qui est, pour les jeunes filles et les femmes, une valeur émancipatrice et libératrice.

Venons-en à l'efficacité de notre modèle d'intégration.

Depuis quelques années, on assiste à la montée d'un phénomène communautariste très éloigné de notre modèle républicain d'intégration. Il s'est développé dans les quartiers-ghettos, sous-administrés, souvent sinistrés, ce qu'on appelle « la France des marges urbaines », qui ne sont rien d'autre que le produit de l'abandon des solidarités sur certaines parties du territoire de la République.

Pour moi, cette situation constitue à la fois un échec relatif de notre modèle d'intégration et, souvent aussi, l'expression d'un enfermement et d'une souffrance.

Se sentant cantonnés dans des quartiers dont ils n'ont guère l'espoir de sortir n'ayant pas de réel avenir dans une société qui ne leur accorde pas suffisamment de place, un certain nombre de jeunes issus de milieux populaires, manipulés par des prédicateurs fondamentalistes qui jouent de leur fragilité, construisent leur identité en s'opposant aux valeurs de la République ou en s'identifiant à des conflits extérieurs à la France, notamment à celui qui oppose Israël et les Palestiniens depuis presque un demi-siècle.

Il en résulte la dangereuse et inacceptable montée de l'antisémitisme, notamment parmi une partie de ces jeunes - mais aussi chez bien des adultes - alors qu'une islamophobie aussi redoutable s'empare de certaines couches de la population.

Il faut, là aussi, nous mobiliser pour briser cet engrenage par la mise en oeuvre de politiques actives contre les discriminations dans le travail, le logement, la formation, qui frappent une grande partie de ces jeunes Français.

M. Dominique Braye. Très juste !

M. Pierre Mauroy. Il faut mettre en place une réelle égalité des chances entre tous les enfants de la République et rétablir le lien entre les citoyens de tous les quartiers.

Pendant près de trente ans, j'ai été maire de Lille et je puis vous assurer que ce souci constitue une préoccupation permanente pour tous les élus locaux.

M. Dominique Braye. Très juste !

M. le président. C'est vrai !

M. Pierre Mauroy. Mais, si rien n'est fait, des problèmes bien plus graves peuvent apparaître.

M. Dominique Braye. Très juste !

M. Pierre Mauroy. A nous de réagir ! C'est absolument indispensable et, même si ce n'est pas exactement le sujet dont nous débattons aujourd'hui, ce fait mérite d'être souligné. Nous en reparlerons d'ailleurs dans un an, lorsque nous procéderons à une évaluation de la loi que nous allons adopter.

Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, c'est une exigence, et bien des problèmes pourraient s'apaiser et se résoudre si l'on commençait par là.

Mes chers collègues, le débat va s'engager. Je souhaite voter - et je voterai - cette loi, qui constitue un signe d'apaisement et reflète notre volonté de préserver l'essentiel : la liberté de croire ou de ne pas croire, l'égalité des femmes et des hommes et, pour chacun, l'exercice salutaire de son libre arbitre.

Comme l'explique le philosophe Henri Peña-Ruiz, dont je partage l'analyse, « la laïcité n'est pas un particularisme accidentel de l'histoire de France, elle constitue une conquête à préserver et à promouvoir, de portée universelle ».

C'est, pour moi, l'un des grands combats de ce début du XXIe siècle, et c'est une des raisons pour lesquelles je suis fier d'être français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP. - Mme Danielle Bidard-Reydet et M. Ivan Renar applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Joseph Kerguéris.

M. Joseph Kerguéris. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lecture même de l'intitulé du projet de loi dont nous débattons aujourd'hui nous donne la mesure de l'extrême complexité du sujet que celui-ci entend traiter.

Mes propos seront brefs et concerneront surtout ceux et celles qui, dans les établissements, devront appliquer les dispositions que nous aurons arrêtées ensemble.

Des voix s'élèvent pour demander que les enseignants et les chefs d'établissement scolaire, qui doivent traiter de problèmes plus complexes que ceux dont ils avaient à connaître dans le passé, disposent de moyens leur permettant de faire en sorte que l'école soit, comme on le dit, le lieu privilégié de l'éducation au « vivre ensemble ».

Vivre ensemble, c'est pouvoir manifester, si l'on en a, une appartenance religieuse, mais en respectant celle des autres. C'est ne pas être importuné par les croyances des autres si soi-même on n'en a pas. C'est faire cohabiter pacifiquement dans l'école de la République, selon la formule du poète, ceux qui croient au Ciel et ceux qui n'y croient pas. Vivre ensemble, c'est respecter les principes qui fondent notre société, mais, à l'école, vivre ensemble c'est aussi apprendre ensemble.

Je reconnais avoir longtemps pensé que les textes qui fondaient nos libertés publiques, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, ainsi que ceux qui établissaient dans notre pays le principe de laïcité devaient suffire à résoudre les difficultés soulevées dans le monde scolaire par la manifestation de croyances ou de convictions au moyen de signes divers.

Or notre société a changé. La palette des croyances partagées par nos concitoyens s'est élargie, la représentation des différentes confessions est inégalement répartie.

D'aucuns prétendent que la limite entre les convictions personnelles et leur affichage public n'est pas la même pour tous.

Dès lors, des conflits naissent, en particulier à l'école, qui exigent que ceux qui ont la charge de son administration quotidienne les résolvent promptement, nous pourrions presque dire en temps réel.

Ces situations pratiques qu'il faut affronter peuvent-elles se satisfaire du pas lent des procédures contentieuses en relation avec l'exercice des libertés publiques ? A mon avis, non ! Alors, le texte dont nous débattons, modeste certes, imparfait peut-être, dont l'application n'échappera sans doute pas à quelques recours, marque cependant un progrès : un progrès s'il permet la manifestation de ses convictions dans le respect de celles des autres, un progrès dans la mesure où, en cas de difficulté, il laisse la porte ouverte au dialogue dans la communauté éducative, un progrès dans la mesure où nous nous sommes donné les moyens d'en évaluer la portée.

Montesquieu disait : « Ne faites pas de lois inutiles, elles affaiblissent les lois nécessaires. »

A défaut d'être nécessaire, ce texte est utile, car il donnera des moyens supplémentaires à celles et à ceux qui ont la responsabilité de former les jeunes dans les établissements publics de notre pays.

Il est utile, mais je ne crois pas qu'il soit suffisant, car, si nous l'approuvons - ce que je ferai personnellement -, nous ne pourrons pas nous dispenser, monsieur le ministre, de donner à ceux qui auront la charge de l'appliquer les moyens juridiques et humains de le faire. Nous ne pourrons pas nous dispenser de nous atteler à cet immense chantier qui doit conduire chacun de nos concitoyens, d'où qu'ils viennent et où qu'ils soient, à se sentir économiquement et socialement intégrés.

Les difficultés que nous tentons de résoudre sont les effets de situations d'une extrême gravité. A quoi nous servirait-il, mes chers collègues, de nous attaquer aux effets si nous ne mobilisons pas nos forces pour en réduire les causes ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Hoeffel.

M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une prise de position sur un projet de loi de cette nature pose nécessairement des cas de conscience, en raison d'un climat général et des interrogations qui subsisteront au-delà même du texte qui nous est soumis.

La première question est celle de l'opportunité d'une loi. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) Ce texte apportera-t-il réellement aux responsables des établissements d'enseignement des moyens supplémentaires. Facilitera-t-il l'exercice difficile de leur autorité ? C'est probablement sur le terrain que, très rapidement, nous connaîtrons la réponse à ces interrogations, lorsque certains groupes testeront notre aptitude, notre volonté et notre détermination à faire respecter la loi.

La deuxième interrogation est liée au caractère très partiel de la réponse qu'apportera ce texte, qui est limité au port de signes ou de tenues, à la question de l'intégration de certaines communautés. Le grand mérite de la commission Stasi a été de rechercher une réponse globale, de s'attaquer aux causes de l'échec partiel de l'intégration et de ne pas se limiter aux effets. Peut-on déconnecter les uns des autres ? Ne risque-t-on pas de constater à brève échéance qu'une réponse partielle n'apporte pas de solution durable, ce que personne ne doit et ne peut souhaiter ?

La troisième interrogation tient à la nature de la laïcité française à laquelle nous sommes profondément attachés. La laïcité est caractérisée par le respect de la diversité, par la tolérance, qui permettent la pratique de toutes les religions et de toutes les expressions philosophiques. Elle suppose de la part de chacune d'entre elles le respect des usages en vigueur dans notre pays, des autres courants philosophiques et spirituels et du « vivre ensemble » dans la nation. Il n'y a aucune raison que les dernières religions qui ont émergé en France fassent exception à cette règle élémentaire, inséparable de la vie harmonieuse de notre communauté nationale et de notre République. Rares sont dans le monde les pays qui acceptent qu'il en soit autrement. L'unité nationale est à ce prix. J'ajoute qu'il n'y a aucune raison que des libertés religieuses exprimées et pratiquées sans problème depuis longtemps dans notre pays aient à pâtir de mesures prises pour endiguer certains extrémismes cherchant à contourner ou à contrer ce qu'il y a lieu de respecter.

M. Louis Moinard. Très bien !

M. Daniel Hoeffel. La quatrième observation est liée à la condition féminine. Vivre ensemble signifie respecter les conditions dans lesquelles les uns et les autres, hommes et femmes, peuvent s'épanouir sans discrimination sur notre territoire national. Accepter ce qui, dans notre vie quotidienne, déroge à ce principe en plaçant la femme dans une condition de soumission peut devenir contagieux, au-delà de certaines communautés, et dénaturer progressivement l'image et l'exemple qu'il nous appartient de donner en tant qu'Européens. L'action à mener à cet égard va largement au-delà du port du voile, objet du présent projet de loi.

La cinquième interrogration d'ordre général est liée au contexte international. Certes, l'histoire, la tradition et le contexte dans lesquels se trouvent placés les pays de l'Union européenne sont différents les uns des autres. La laïcité française revêt un caractère très particulier, et nous y sommes attachés.

Mme Danielle Bidard-Reydet. Tout à fait !

M. Daniel Hoeffel. La réponse aux questions posées, compte tenu de la montée des périls, peut-elle être d'ordre purement français ? Une stratégie commune des partenaires européens ne se révèle-t-elle pas nécessaire pour apporter une réponse supplémentaire ? Mais, en tout état de cause, une politique d'explication apparaît indispensable et urgente auprès des pays situés au-delà de l'Europe, qui peuvent se sentir concernés par notre décision. Ils doivent savoir que cette dernière se veut non pas discriminatoire, mais au contraire placée sous le signe de l'acceptation, par tous ceux qui vivent sur notre territoire, des règles de vie commune, ce que, d'ailleurs, ces pays exigent en général chez eux de la part de tous ceux qui y vivent.

M. Charles Revet. C'est tout à fait vrai !

M. Daniel Hoeffel. Ma dernière observation a trait à un problème territorialement particulier qui me tient à coeur : ce sont les éventuelles interférences entre notre débat d'aujourd'hui et le droit local alsacien-mosellan.

La Lorraine est soumise à deux régimes différents.

Il faut être clair à ce propos : le droit local - faut-il le rappeler - est né parce qu'en 1905 la Lorraine n'était pas sous souveraineté française, sans que ce soit de son fait. Le droit local respecte le principe constitutionnel de laïcité - la liberté de conscience et de religion, la neutralité de l'Etat à l'égard des convictions philosophiques et religieuses, la non-discrimination religieuse -, mais il met ces principes en oeuvre autrement que le droit général. Et ce n'est pas à l'heure où l'expérimentation est érigée en principe constitutionnel en France qu'il y a lieu, au nom de l'uniformisation, de supprimer un statut particulier qui, au contraire, peut se révéler être demain, mieux que d'autres, un facteur de laïcité ouverte. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. René-Pierre Signé. C'est subtil !

M. Gérard Delfau. C'est limite !

M. Daniel Hoeffel. Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les observations et interrogations que je souhaitais présenter dans le cadre de ce débat au terme duquel chacun se déterminera en son âme et conscience, avec l'espoir que, quel que soit notre choix, aux uns et aux autres, les doutes exprimés aujourd'hui puissent être dissipés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. Luc Ferry, ministre. Ils le seront !

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Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics
Discussion générale (suite)

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement, la lettre suivante :

« Monsieur le président,

« J'ai l'honneur de vous informer qu'en application de l'article 48 de la Constitution et de l'article 29 du règlement du Sénat, le Gouvernement modifie comme suit l'ordre du jour :

« Mercredi 3 mars, l'après-midi et le soir :

« - Lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

« - Suite du projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

« Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

« Jean-François Copé »

Acte est donné de cette communication. Les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social seront examinées demain à quinze heures au lieu de vingt et une heure trente.

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NOMINATION D'UN MEMBRE

D'UNE COMMISSION

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe de l'Union centriste a présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.

La présidence n'a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Bernard Mantienne membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées à la place laissée vacante par Michel Pelchat, décédé.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quanrante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Serge Vinçon.)

PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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LAÏCITÉ DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES

ET LYCÉES PUBLICS

Suite de la discussion d'un projet de loi

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Paul Vergès.

M. Paul Vergès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où s'ouvre ce débat devant la Haute Assemblée, je pense à ces milliers et ces milliers de Réunionnaises et de Réunionnais qui, trois siècles durant, ont forgé l'unité de notre peuple.

Je pense à ces hommes et à ces femmes, venus de divers continents, de divers pays, venus d'Europe, de France en particulier, d'Afrique, de Madagascar, d'Asie, de l'Inde et de la Chine principalement. Je pense à ces routes qui se sont rejointes sur cette île inhabitée, devenue l'enjeu d'un destin commun.

C'est avant tout à eux que je pense, à celles et ceux qui, surmontant hier la violence de la société esclavagiste et coloniale, ont su sauvegarder leurs héritages culturels et spirituels, pour mieux les partager avec l'autre, pour mieux vivre ensemble.

Je pense à ces cultures originelles qui, à l'ombre d'une religion dominante, ont poursuivi leur vie souterraine, jeté entre elles des passerelles et donné naissance à une communauté réunionnaise originale et plurielle.

Oui, je pense à ce miracle de l'échange, qui a fait naître de cette diversité un seul peuple. Peuple de migrateurs, tous venus de quelque part, tous « étrangers », tous « immigrés » au départ, et qui, dans le partage d'un espace, de valeurs, d'idéaux et de combats communs, ont fait que, sur cette île, au fil des siècles, chacun est devenu, chaque jour un peu plus, un frère pour l'autre, en un mot, un Réunionnais. Tant de différences rassemblées sur une terre d'humiliation sans nom finissent par être l'expression d'une convergence sur l'essentiel.

Dans le partage de ces valeurs vecteurs d'unité, le sacré a joué chez nous un rôle dominant. Il est au coeur de notre identité mais, plus encore, il est au coeur de notre vie sociale. Ile de la foi, île des croyances, île des superstitions aussi, le continent de l'âme réunionnaise résiste encore aux assauts répétés du rationalisme et du matérialisme.

Cette présence du sacré se manifeste partout : dans la langue, dans l'imaginaire, dans les légendes populaires, dans la musique. Et notre culture vit obstinément dans la relation aux morts et aux ancêtres. Elle se manifeste dans notre géographie aussi ! Saint-Denis, Saint-Pierre, Saint-Paul, Saint-Joseph, Saint-Louis, les communes de la Réunion sont un catalogue de noms de saints !

En fait, il est possible d'affirmer que la société réunionnaise a fait la démonstration, dans les conditions qui lui sont propres, de la viabilité, dans le cadre de la République, d'un modèle original. Elle a inventé une manière réunionnaise de vivre la laïcité et elle démontre que celle-ci, élément essentiel de la cohésion de notre société, peut accueillir sereinement l'expression des différentes religions.

Dans un tel contexte, ce débat sur le port des signes religieux ostensibles au sein de l'école publique nous semble étrange, étrangement décalé par rapport à notre réalité, étranger à nos préoccupations aussi.

Nous n'avons pas la prétention absurde d'offrir notre modèle au monde. Aucun pays n'est réductible au nôtre. Mais comprenez que nous ne sommes pas non plus réductibles aux autres pays. Acceptez l'idée que, par l'application mécanique d'un dispositif inadapté à notre situation, cette loi peut heurter les consciences d'une très large majorité de notre population.

J'entendais récemment une élève de confession musulmane, qui, comme le plus grand nombre d'entre elles à la Réunion, ne porte pas le voile, me poser la question suivante : « Quel signe plus ostensible que mon prénom ? Faudra-t-il, demain, que je le change aussi ? » Et celles, peu nombreuses, qui portent le voile ? Jettera-t-on sur ces Réunionnaises le soupçon d'un acte militant, comme j'entends le dire en France ?

J'entends aussi, à la Réunion, des représentants de l'Etat dire que, dans les faits, la loi ne s'appliquera pas chez nous. J'entends Mme la ministre de l'outre-mer affirmer qu'elle devra s'appliquer avec « souplesse et intelligence ». Soit ! Mais nous n'avons aucune garantie pour aujourd'hui et encore moins pour l'avenir.

Par cette loi, qui assimile sans nuance l'outre-mer à la métropole, on prend le risque absurde de créer des tensions là où il n'en existe pas à l'heure actuelle. Car chacun sait comment un phénomène mis en scène par les médias peut enflammer les consciences et prendre des cheminements disproportionnés et inattendus.

M. Jean Chérioux. Absolument !

M. Paul Vergès. Il est donc souhaitable qu'intervienne un décret précisant que l'application de la présente loi tiendra compte des caractéristiques particulières de notre département ; je défendrai un amendement en ce sens.

S'agissant de l'islam, je voudrais dire combien la pratique de cette religion est ouverte dans notre île. En un peu plus d'un siècle, les Indiens musulmans ont parfaitement réussi leur intégration non seulement à la communauté réunionnaise, mais aussi à la communauté nationale. Les Réunionnais de confession musulmane sont la preuve qu'il est possible, dans l'attachement à sa foi et à sa pratique, de vivre, dans notre île de l'océan Indien, un islam respectueux des valeurs de la République.

Dans un tel contexte et avec de telles perspectives, la société réunionnaise apparaît comme une exception.

Tout doit être fait pour sauvegarder ce climat de dialogue et de cohabitation apaisé des différentes options spirituelles et religieuses. Car la société réunionnaise, née d'un crime contre l'humanité, de l'esclavage qui a marqué la moitié de son histoire, demeure traversée de multiples fractures ; le racisme, latent, n'a pas totalement disparu et des inégalités inouïes menacent sans cesse sa cohésion.

Rien n'est jamais définitivement acquis. Que n'a-t-on pas dit pour vanter les modèles yougoslave ou libanais ? Nous savons, malheureusement, ce qu'il en est advenu.

Nous entrons dans un siècle de grands affrontements, et nous aurions tort de croire que notre île restera hermétique aux déchirements qui se dessinent dans le monde, et dans l'océan Indien en particulier, l'océan Indien où s'est déplacé le centre de gravité de l'islam, religion largement majoritaire demain dans la majorité des pays riverains, tous colonisés jusqu'au milieu du siècle qui se termine, tous aux prises avec les problèmes de la sortie du sous-développement, avec une croissance démographique qui ne laisse aucun sursis et avec des frontières artificielles léguées par la colonisation.

Aussi, consolider l'unité de notre société multiculturelle relève d'une responsabilité politique. Mais, surtout, notre société multiculturelle a conscience que seule la laïcité, comprise, soutenue et vécue par tous, peut assurer la cohésion, pour aujourd'hui et pour demain.

Au moment de conclure, je voudrais faire quelques observations plus générales.

Les faux débats dilatoires servis par une orchestration médiatique d'une redoutable efficacité éludent, à mon sens, l'essentiel : nous sommes entrés dans la plus grande crise de civilisation qu'ait connue l'Occident, crise des valeurs, crise des idées, crise du sens.

Les valeurs de dignité humaine, héritées des traditions judéo-chrétiennes, les valeurs à prétention universelle héritées des Lumières - Liberté, Egalité, Fraternité - sont en effet entrées en crise, car inappliquées et, jusqu'à maintenant, inapplicables à l'échelle planétaire. Et le fossé grandissant entre les pays riches et les pays pauvres appelle un questionnement sur la perte de vitalité de nos mythes fondateurs.

Comme le disait un philosophe, si le tiers-monde meurt par absence de moyens, l'Occident, lui, meurt aujourd'hui par absence de fins.

L'intégration, il en a été beaucoup question. Mais une question simple se pose : l'intégration à quoi ? A une civilisation du quantitatif ? A la société de l'audimat où triomphe l'absurde et où règne le non-sens, et dont la première victime est la jeunesse ?

C'est aussi et surtout de cela que l'école doit être protégée. C'est aussi et surtout cela que l'école doit combattre.

Pour ce voile qu'on dénonce aujourd'hui, combien d'autres s'abattent, dans l'indifférence, sur les valeurs de la République ? Car dans tout cela, où est l'idéal commun, l'ambition noble et collective qui peut unir les Français dans leurs différences ?

Les exploits sportifs de l'équipe de France n'y suffiront pas. La République se doit donc d'aller à la conquête du sens, des utopies et de proposer un idéal partagé à la jeunesse. Ce n'est pas dans la République du guichet que nous ferons lever une espérance commune. Elle favorisera, au contraire, la montée de tous les communautarismes.

La nation se doit donc de retrouver son âme. C'est à cette condition que la laïcité sera admise, réclamée et défendue par tous. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste, du RDSE et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

M. Jean Chérioux. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, exclure, interdire, réprimer : notre République, au nom d'un intégrisme laïque, deviendrait-elle liberticide ?

Mille deux cent cinquante-six cas de jeunes filles voilées, quatre exclusions prononcées : souhaitons-nous aujourd'hui renvoyer toutes ces jeunes filles et jeunes femmes dans leur famille, leur interdire l'accès à notre enseignement et le contact avec d'autres élèves, c'est-à-dire toute chance de connaître un autre système de pensée et des rapports hommes-femmes fondés sur l'égalité des droits ?

Bien évidemment non, mais nous devons dissiper leurs inquiétudes et les convaincre que notre seul objectif est de faire respecter la loi républicaine. Notre expérience centenaire dans les relations Etat-religion nous a appris que, lorsque le cadre d'expression est défini clairement par la loi, des rapports initialement tendus devenaient paisibles.

Nous devons affirmer la valeur de notre modèle républicain, qui transcende les clivages et notre temporalité : Jaurès, il y a un siècle jour pour jour, s'exprimait ainsi : « Nous avons le droit, nous avons le devoir de faire de cette liberté de l'esprit une réalité vivante dans l'oeuvre laïque et nationale d'éducation et d'enseignement. »

Comme tous les radicaux, je suis attaché à la laïcité et soucieux de son respect effectif. La laïcité est une constante dans notre engagement politique, le contraire d'un effet de mode. Héritiers de Gambetta, de Clemenceau, de Combes - docteur en théologie, je le rappelle -, nous sommes conscients du courage qu'il a fallu à ces grands républicains pour imposer un modèle qui contrevenait au poids de la tradition, allant jusqu'à entraîner une rupture du gouvernement républicain avec le Saint-Siège.

En 1905, affirmer la laïcité c'est affirmer que le pouvoir politique ne trouve plus ni sa source ni sa légitimité dans la religion, et que la loi de la République s'impose à tous quelles que soient leurs croyances, ou leur non-croyance. Aujourd'hui, l'instruction publique obligatoire doit pouvoir s'enseigner dans un contexte paisible, à l'écart de toute incidence religieuse et en toute liberté de choix.

La laïcité de combat a évolué vers une laïcité d'équilibre qui a intégré notre modèle républicain jusqu'à acquérir une valeur constitutionnelle. Désormais pacifiée, la laïcité permet un espace de liberté partagé et participe à l'égalité de tous en contribuant à l'égalité des chances.

Il fallait une autre détermination, un autre courage à nos aînés pour affronter la tradition ! Cette révolution des esprits et des moeurs est une réussite telle que l'Eglise catholique, avec laquelle s'était développé un réel affrontement, ne voudrait plus revenir à la situation d'avant 1905.

Aujourd'hui, ayons le même courage que nos aînés ! Il ne s'agit plus d'innover mais de faire respecter l'existant avec fermeté, dans un contexte religieux, social et économique différent où la religion tient beaucoup moins de place, même si parfois elle traduit un rejet militant de la société contemporaine.

Le législateur modifie avec la plus extrême prudence ce qui touche à la liberté de conscience et à la liberté d'expression. En matière de laïcité, le législateur était resté silencieux depuis cent ans, laissant le règlement, la circulaire et la jurisprudence proposer des réponses.

Seul compétent pour encadrer l'exercice d'une liberté fondamentale, le législateur reprend la parole aujourd'hui, sous l'impulsion du Président de la République, garant de la Constitution et de la cohésion nationale. Mais si le débat est ouvert, le principe de la laïcité « n'est pas négociable », pour reprendre l'expression du Président de la République.

Nous partageons les mêmes constats.

Le nombre de cas de jeunes filles voilées faisant preuve de prosélytisme dans les établissements scolaires croît.

Un sens nouveau est donné au port du voile depuis le 11 septembre, avec le risque de confusion entre terrorisme, islamisme et islam.

La protection de l'espace si particulier de l'école publique, lieu de transmission du savoir à l'écart de tout dogme, est indispensable. C'est le premier espace dans lequel l'Etat a historiquement choisi de mettre en oeuvre la laïcité, à tel point que certains nomment familièrement l'école publique, et de manière tellement significative, « la laïque ».

Enfin, la lutte contre le communautarisme et les discriminations que subissent les Français enfants de l'immigration doit être intensifiée. Ce texte est la traduction légale de la volonté de les intégrer. De facto, il est évident que cette loi ne sera pas suffisante pour remédier aux causes profondes de nos échecs pérennes, mais elle est nécessaire pour rappeler les règles à ceux qui veulent les ignorer ou même les transgresser.

D'autres services publics sont aujourd'hui assujettis à des pressions communautaristes incompatibles avec notre modèle républicain. Je pense par exemple aux hôpitaux, dans lesquels certains médecins se voient littéralement « récusés » sur le seul fondement de leur sexe. La liberté de chacun atteint ici ses limites.

C'est une loi nécessaire d'un triple point de vue : elle est une réponse aux attentes des chefs d'établissement de l'enseignement public, une réponse aux Français issus de l'immigration et une réponse à l'ensemble des Français.

Cette loi constitue, en premier lieu, une réponse pratique aux chefs d'établissement et au corps enseignant. Elle rendra obligatoire un dialogue préalable à toute décision et les signes religieux « ostensiblement » portés seront interdits, sachant que cette interdiction ne saurait être absolue. Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, les signes discrets seront en effet autorisés, ce qui respecte l'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ce projet de loi donnera les moyens à la communauté éducative de se montrer cohérente face aux différents cas, sous réserve de règlements intérieurs clairs et d'une véritable explication aux enseignants et aux élèves, dès la rentrée scolaire.

En deuxième lieu, cette loi est une réponse aux Français issus de l'immigration, quelle que soit leur origine. L'intégration suppose l'acceptation des règles du pays d'accueil. Lorsque la coutume veut s'opposer à la République, voire s'imposer à la République, c'est la loi qui doit trancher sans que la main tremble : la question n'est pas seulement religieuse, elle est aussi politique.

Cette loi s'adresse notamment aux Français issus de l'immigration maghrébine. La loi de 1905 concernait surtout l'Eglise catholique, même si le titre exact évoque « la séparation des Eglises et de l'Etat ». Aujourd'hui, cette loi est une réponse aux comportements d'une minorité de jeunes musulmanes françaises, mais elle sera aussi un message de liberté à l'égard des femmes musulmanes contraintes de se voiler, et je pense en particulier aux femmes afghanes.

Dans le cadre de la lutte contre le développement de l'intégrisme, et parallèlement à des mesures d'ordre social et économique, des pays comme la Tunisie ont organisé l'abandon du voile dans les établissements scolaires publics. Il n'y a pas de loi, mais les chefs d'établissement reçoivent l'instruction de dissuader les jeunes filles de le porter, et la pratique démontre qu'ils y parviennent.

Entendons la voix d'un de nos plus brillants prédécesseurs, cette voix unique qui nous raconte, dans un poème bouleversant intitulé Le Voile, comment quatre frères poignardent leur soeur dont le voile un instant s'était soulevé. Dès 1828, Victor Hugo nous alertait sur la violence faite à la femme. Aujourd'hui, dans notre pays, faisons en sorte que l'école soit un lieu où la jeune fille est protégée.

Tandis que les conflits s'exacerbent et que les médias sont utilisés, plus que jamais, pour reprendre l'expression de Paul Valéry, « le droit est l'intermède des forces ».

En troisième lieu, cette loi est une réponse à tous les Français. Inquiets, ils attendent que le pouvoir politique adopte une position claire. Plus de 11 millions d'élèves, de toutes origines culturelles, sociales, politiques et religieuses sont directement concernés. Ce texte va rassurer les Français, entre autres les parents, qui refusent que l'école se transforme en terrain d'affrontement religieux et veulent qu'elle redevienne un creuset social.

Pour reprendre la définition de Maurice Schuman, catholique pratiquant, « la laïcité de l'Etat signifie son indépendance vis-à-vis de chacun des membres de la communauté nationale et de ne pas favoriser telle ou telle partie de la nation ».

Avant même d'être adopté, ce projet de loi est d'ailleurs un succès citoyen, car il ouvre et fait vivre le débat. Depuis quand un tel sujet n'avait-il pas été débattu de manière si étendue ? Vraisemblablement depuis le traité de Maastricht ! L'expression est osée, mais Claude Imbert ne craint pas les mots et parle de « loi prétexte » permettant de réveiller « une laïcité léthargique ».

Nous avons le pouvoir de faire de cette loi la véritable expression de la volonté générale et de montrer que la laïcité est bien un principe fédérateur : que nous soyons de droite, du centre, de gauche, prouvons ainsi la sincérité et le réalisme de nos discours ! L'année 2003 a marqué le temps des consultations, l'année 2004 le temps de la loi : que l'année 2005 donne son essor à l'intégration ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence de M. le Premier ministre au banc du Gouvernement et celle de M. le président du Sénat au banc des commissions. (Applaudissements.)

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne pensais pas intervenir dans la discussion générale.

Bien des orateurs de talent sont déjà intervenus, et, sur le fond, j'avoue que je ne saurais ajouter grand-chose à ce qui a été si éloquemment dit par notre collègue et ami Serge Lagauche et par Pierre Mauroy, qui a manifesté cette grande conviction républicaine que ses amis lui connaissent depuis toujours.

De surcroît, je sais que tout à l'heure des oratrices du groupe socialiste aborderont la question qui - quand il s'agit du voile et uniquement quand il s'agit du voile - est au coeur du débat : la condition de la femme et le nécessaire rappel du principe, à nos yeux central dans la cité, de l'égalité entre les femmes et les hommes.

J'ajouterai que je ne pense pas pouvoir égaler la conviction qui anime ma femme, Elisabeth Badinter, quand elle parle de ces questions... (Sourires.)

Mais, si j'ai décidé d'intervenir sans attendre la discussion des amendements comme je comptais le faire, c'est parce que le regard porté à l'étranger et sur ce projet de loi et sur le principe de laïcité tel que nous le concevons me préoccupe.

Vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, et Pierre Mauroy y a aussi fait allusion, les hasards de la vie m'amènent en effet, en ce moment, à beaucoup voyager et à rencontrer nombre de personnalités étrangères dans le cadre d'un groupe de travail pour la réforme de l'ONU.

Or, j'ai été frappé de constater à quel point il était difficile de faire entendre à nos amis étrangers ce que signifiait ce projet de loi.

J'ai été plus frappé encore par le fait que, parmi ces personnalités étrangères, certaines, amicales, croyaient - et leur pensée reflétait ce qui se disait dans leur pays - que ce que la France entendait interdire était le port du voile aux jeunes musulmanes. De laïcité, de signes religieux à l'école, il n'était pas question : pour mes interlocuteurs, tout se résumait à l'interdiction faite à de jeunes musulmanes de porter le voile.

Alors je me suis appliqué, chacun le comprendra, à dissiper cette méprise, mais elle démontre, je crois, que l'on ne saurait être trop précis, en particulier dans une assemblée parlementaire, s'agissant de la portée de cette loi. Au regard d'une telle confusion, pas toujours innocemment entretenue, il convient donc de rappeler celle-ci.

S'agit-il d'un attentat à la liberté religieuse ou à la liberté de conscience de quiconque ? Certainement pas. Je n'ai pas besoin de rappeler que, parmi les garanties essentielles de l'exercice de la liberté de conscience et de la liberté religieuse, il y a le principe de laïcité. Bien entendu, on ne le trouve pas à l'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - et pour cause : la proclamation de la liberté est une chose, la garantie par le principe de laïcité en est une autre, et il aura fallu de longs combats républicains pour l'obtenir -, mais la garantie du principe de la liberté, la laïcité, est inscrite dans l'article 2 de la Constitution.

D'atteinte à la liberté de conscience de quiconque, on ne saurait donc véritablement et raisonnablement parler puisque tout ce que le projet de loi requiert des jeunes adolescents, quelle que soit leur confession, c'est qu'ils retirent tout signe ostensible ou qu'ils ne revêtent pas une tenue plus ostensible encore qui marquerait leur appartenance confessionnelle dans le cadre de l'école publique, et de l'école publique seulement.

On reconnaîtra que ce n'est pas leur imposer un grand sacrifice que de leur demander d'enlever une kippa, une croix ostensible de grande dimension ou un voile à l'entrée de l'école, qu'ils pourront remettre à sa sortie dès le seuil franchi. Ce n'est pas une atteinte à la liberté de conscience ou aux convictions religieuses de quiconque. Ce n'est pas un reniement ou une abjuration forcés, et j'ajouterai à l'intention de ces jeunes musulmanes dont le sort nous préoccupe que ce n'est pas non plus violenter leur pudeur qui, aux temps où nous sommes, ne saurait être atteinte par le fait d'exhiber de fort belles chevelures.

Ce geste, qui se résume à mettre dans un sac ou dans sa poche un signe - croix, kippa ou foulard - quand on est à l'école, qu'implique-t-il alors pour les intéressés ?

Rien d'autre, mes chers collègues, que la reconnaissance par les élèves eux-mêmes que l'école de la République, à laquelle ils doivent être attachés, comme nous le sommes nous tous, doit demeurer un espace de neutralité confessionnelle. Dieu sait que les foyers de proclamation religieuse ne manquent pas par ailleurs !

L'école publique est le lieu où, dans le respect des convictions de chacun, doit être privilégié ce qui réunit, ce qui rassemble, ce qui fonde cette communauté d'élèves et de professeurs : les valeurs de la République. Ce que l'on demande en cet instant aux élèves, c'est de respecter, simplement de respecter, dans leur comportement, un principe fondamental de l'école qu'ils fréquentent : le principe de laïcité.

S'ils doivent le faire, ce n'est pas seulement, je le souligne, par rapport à l'école, c'est aussi par rapport à leurs condisciples et à leurs maîtres, qui, après tout, ne partagent pas nécessairement, tant s'en faut, leurs convictions ou leurs appartenances.

La nécessité d'un rapport fondé sur le respect réciproque et même, dirais-je, sur la délicatesse des uns à l'égard des autres à l'école justifie parfaitement que l'on n'y arbore point de signes qui peuvent éventuellement, qu'on le veuille ou non, être sources de tensions.

Un ami philosophe faisait une comparaison qui n'est pas sans intérêt : après tout, disait-il, quand des athées entrent dans une église, ils enlèvent leur chapeau, ceux qui relèvent d'une autre confession aussi.

M. Jean Chérioux. C'est exact !

M. Robert Badinter. J'ai vu souvent des catholiques ou des agnostiques se coiffer au contraire d'un chapeau quand ils pénètrent dans une synagogue. Nous tous, nous enlevons nos souliers quand nous pénétrons dans une mosquée.

Ce n'est pas un acte d'abjuration de ses propres convictions, c'est simplement une marque de déférence et de respect à l'égard des valeurs qui animent le lieu dans lequel on pénètre. Ici, vous les avez au premier chef parce qu'elles sont inhérentes au caractère même de l'école de la République. Que ce soit nécessaire à la mission de l'enseignement, je n'ai pas besoin de le rappeler, cela a été souligné non seulement par vous, monsieur le ministre, mais également par bien des orateurs.

Le mérite extrême de la loi que nous allons voter est sa brièveté. Il est d'abord légitime dans la République que ceux qui représentent la souveraineté nationale - le Gouvernement propose, mais le Parlement décide - aient tenu à dire ce qui devait l'être, de telle façon que cela ne soit pas laissé à l'appréciation du personnel enseignant.

Par ailleurs, et c'est un autre avantage sur lequel j'insisterai plus encore, à partir du moment où la loi aura été votée, elle deviendra la loi de la République, même pour ceux qui ne sont pas toujours d'accord avec les lois votées, et il leur appartiendra évidemment de s'y conformer.

Dès cet instant, si d'aventure certaines, certains, ou leurs parents à travers elles ou eux - car là est bien la vérité - entendent, par leurs agissements, montrer que, pour eux, la loi de leur religion est supérieure à la loi de la République, nous en serons navrés. Après ce qui est justement prévu - représentations, discussions, explications -, si elles ou ils ou leurs parents persistent dans cette attitude, nous reconnaîtrons avec beaucoup de regret que c'est leur choix, mais que ce n'est évidemment pas celui de l'école publique de la République. Mais, et je le dis clairement, ce sera leur fait.

Rappelons-le, pour nous, la laïcité est indivisible, comme la République elle-même.

Je souhaite à présent évoquer brièvement la Cour européenne des drois de l'homme parce que ce n'est pas indifférent. De bons juristes européens se sont inquiétés d'une éventuelle contradiction entre les dispositions de l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le projet de loi. A cet égard, en particulier en considérant la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, je voudrais vous dire très fermement ma conviction qu'il n'en est rien.

L'article 9, que chacun connaît, reprend dans l'espace européen le principe déjà inscrit dans l'article X de la Déclaration des droits de l'homme. Le second paragraphe de l'article 9 précise : « La liberté de manifester sa religion (...) ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Par conséquent, les trois conditions nécessaires me paraissent satisfaites. La première est importante : la Cour de Strasbourg a toujours été très attentive au fait qu'il convenait que la restriction fût prévue par une loi. A cet égard, je me suis souvent interrogé sur ce qu'il pourrait advenir s'agissant de décisions prises à partir de circulaires. Ici, nous sommes dans le cadre d'une loi. C'est le législateur qui parle et cela vaut mieux qu'une circulaire, aussi motivée soit-elle.

La deuxième condition, après la loi, est le but légitime. Sur ce point, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, cela se conçoit, est extrêmement large dans son interprétation. Elle vise à éviter les restrictions ou les limitations arbitraires et brutales que rien ne justifierait.

Dans le cas présent, la volonté du législateur français est claire : elle est de mieux assurer et garantir le respect du principe constitutionnel de laïcité dans le cadre de l'école publique. Sa volonté, concevable, légitime, est également d'éviter les tensions qui résulteraient du prosélytisme ou de la revendication ostentatoire d'une apparence religieuse dans le cadre de l'école laïque.

Puisque la légitimité du but est claire, il reste la question de l'exigence de proportionnalité de la mesure prise au regard du but poursuivi, à savoir conforter la laïcité au sein de l'école publique.

A cet égard, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg est explicite. Je laisse de côté la question des agents du service public. Elle est réglée, nous le savons, par le statut. D'ailleurs, la Cour de Strasbourg a rendu un arrêt remarquable Lucia Dahlab contre Suisse du 15 février 2001 concernant le foulard islamique porté par une enseignante, arrêt qui est mentionné dans le rapport. La Cour a déclaré : « Comment pourrait-on dénier, de prime abord, tout effet prosélytique que peut avoir le port du foulard, dès lors qu'il semble imposé aux femmes par une prescription coranique (...) difficilement conciliable avec le principe d'égalité des sexes ? »

Je le répète, la question ne se pose pas pour les enseignants, au regard du statut de la fonction publique, elle se pose pour les élèves. A ce sujet, plusieurs décisions ont été rendues par les instances compétentes de Strasbourg. Le 3 mai 1993, la Commission européenne des droits de l'homme, qui existait encore, a rejeté les requêtes de deux étudiantes turques qui avaient contesté le refus de l'université de leur délivrer leur diplôme parce qu'elles n'avaient pas voulu fournir de photos d'identité tête nue.

La Commission a estimé qu'« en choisissant de faire ses études dans une université laïque, un étudiant se soumet à cette réglementation universitaire ».

M. Christian Poncelet et M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. C'est normal !

M. Robert Badinter. « Celle-ci peut soumettre la liberté des étudiants de manifester leur religion à des limitations de lieu et de forme destinées à assurer la mixité des étudiants de croyances diverses. » Ce qui vaut pour une université laïque vaut a fortiori pour une école publique laïque. L'intéressée avait fait le choix d'étudier dans le service public.

Enfin, la Cour européenne des droits de l'homme, dans une décision du 13 février 2003 - Refah Partisi et autres contre Turquie -, a défini la portée du principe constitutionnel de laïcité au regard de l'article 9 de la Convention, et cela peut tout à fait s'appliquer à la situation que nous connaissons : « Le principe de laïcité est assurément l'un des principes fondateurs de l'Etat qui cadre avec la prééminence du droit et le respect des droits de l'homme et de la démocratie. Une attitude ne respectant pas ce principe (...) ne bénéficiera pas de la protection qu'assure l'article 9 de la Convention. » Rappelons aussi l'arrêt Kokkinakis contre Grèce du 25 mai 1993 : « Dans une société démocratique où plusieurs religions coexistent au sein d'une même population, il peut se révéler nécessaire d'assortir cette liberté de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes. »

Ainsi se dégagent clairement les lignes de force de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg : la liberté religieuse doit être respectée et garantie dans une démocratie, mais ses manifestations, quand on est dans un Etat laïc où la laïcité a valeur de principe constitutionnel, doivent se concilier avec la sauvegarde du principe de laïcité, lorsque celle-ci est un des principes fondateurs de l'Etat. Au législateur d'assurer cet équilibre. C'est à nous de prendre les responsabilités qui conviennent, et elles s'inscrivent dans cette loi.

L'essentiel, en définitive, dans ce texte de loi, ce n'est pas le subtil dosage des adjectifs et des adverbes, la ruelle bleue d'Arthénice, c'est la proclamation que doit être sauvegardé, étant donné nos responsabilités à l'égard de nos enfants, cet espace privilégié de neutralité religieuse que représente l'école publique de la République laïque, deux termes qui, pour nous, ne sont pas dissociables. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui nécessite un débat sans polémique ni controverse politique. Je m'exprimerai donc à titre personnel et je remercie le groupe parlementaire auquel j'appartiens de laisser à ses membres leur liberté d'expression et de vote sur ce texte hautement symbolique. Je considère, en effet, que ce projet de loi nous permet de poser le problème fondamental du « vivre ensemble » et, plus encore, de l'unité de la République.

Ce projet de loi a le mérite de dire « stop » ! La République est aujourd'hui confrontée à un défi qu'il est urgent de relever : l'intégration de certaines populations d'origine étrangère. Derrière la question des signes religieux se pose, en fait, la réelle et délicate question de l'intégration dans notre société d'une partie des populations immigrées de culture musulmane. Tout au long de son histoire, notre pays a su intégrer des populations venues de l'extérieur. Pour ne parler que du xxe siècle, la France a intégré des populations venues de Pologne, d'Italie, d'Espagne et d'autres pays encore.

Toutefois, à la différence de ce qui se passe aujourd'hui et qui constitue effectivement pour nous un défi, ces populations souhaitaient toutes s'intégrer à la nation française et notre pays leur en offrait la possibilité. Dans bien des cas aujourd'hui, le port du voile - car c'est principalement de cela qu'il s'agit, comme l'ont dit les orateurs qui m'ont précédé - est le signe d'un refus d'accepter certaines règles essentielles de notre société et sans doute d'un échec de notre politique d'intégration des trente dernières années. Pour ces raisons, je crois réellement que notre pays doit aujourd'hui tenter de stopper la montée des signes et des comportements qui manifestent un refus d'intégration, mais il doit aussi examiner sa politique d'accueil des populations étrangères.

C'est une spécificité bien française, me direz-vous, que de vouloir une République une et indivisible et, au nom de ce principe, de s'élever contre toute idée de communautarisme. Certes, mais cette spécificité a fait de notre pays ce qu'il est aujourd'hui. Nous aurions grand tort de l'oublier et de prendre le risque de laisser la nation française se déliter.

Au-delà de la question de l'intégration se pose celle de l'égalité des droits, notamment entre les hommes et les femmes, qui est l'un des principes fondamentaux de notre République énoncé à l'article Ier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Or, force est de reconnaître qu'une partie des jeunes filles qui portent aujourd'hui le voile islamique y sont contraintes par leur entourage. On objectera qu'elles le font librement et par conviction religieuse.

Alors, que l'on m'explique pourquoi les jeunes filles nées en France, mais issues de l'immigration des pays de culture musulmane, sont beaucoup plus nombreuses à porter le voile que ne l'étaient leurs mères ou grand-mères qui avaient pourtant vécu dans ces pays. Que l'on m'explique aussi pourquoi le port du voile est beaucoup plus fréquent chez les jeunes filles habitant dans les quartiers où se développe un certain fondamentalisme musulman que dans les autres. Que l'on m'explique enfin, si cela n'est pas le signe d'un pouvoir de l'homme sur la femme, pourquoi les récentes manifestations de ces femmes et de ces jeunes filles contre la loi étaient organisées et encadrées par des hommes et non par les femmes elles-mêmes.

Je sais qu'en disant cela je peux choquer un certain nombre de sensibilités dans tous les milieux et donner l'impression de stigmatiser la population d'origine musulmane, mais je dis tout simplement ce que je constate et ce qui m'inquiète. Une partie de cette population, certes minoritaire mais croissante, est tentée par le communautarisme et rejette notre mode de vie au risque de faire monter un vent d'islamophobie contre lequel nous devons lutter.

Je suis attaché à la liberté de conscience et à la liberté religieuse. C'est précisément pour cela que je tiens à la défense du principe de laïcité, tel qu'il résulte de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat, et que je refuse que la foi dans une religion puisse conduire à des attitudes, vestimentaires ou autres, qui remettent en cause certains des fondements mêmes de notre République.

Certes, cette loi est imparfaite et ne saurait suffire à tout régler. Elle est imparfaite, notamment parce que la question de savoir si une tenue manifeste, ostensiblement ou non, une appartenance religieuse laisse le champ à des divergences d'interprétation selon les personnes et les circonstances. Malgré cela, un texte de valeur législative fournira toujours aux responsables d'établissements scolaires une base juridique plus solide et moins contestable que ne le sont les références dont ils disposaient jusqu'à présent, à savoir la jurisprudence du Conseil d'Etat ou une simple circulaire ministérielle. Or beaucoup de responsables d'établissements scolaires souhaitent pouvoir s'appuyer sur une base juridique incontestable.

Cette loi est également imparfaite parce qu'elle ne concerne que l'école alors que la question des signes religieux se pose aussi dans d'autres milieux. Mais c'est précisément parce que l'école est le premier lieu d'apprentissage du « vivre ensemble », le creuset de notre République que nous devons agir en priorité en son sein. Je souhaite personnellement que cette loi porte ses fruits afin que nous n'ayons pas à l'étendre à d'autres milieux que le milieu scolaire.

Cette loi est enfin imparfaite parce qu'elle n'aborde le problème de l'intégration que sous l'angle des signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. Ce faisant, elle oublie de regarder clairement la vraie raison du développement de ces signes, à savoir que notre société ne sait plus intégrer comme elle savait le faire jusque dans les années soixante-dix. La montée du chômage, les difficultés de logement et les inégalités d'accès à la santé, quand elles sont cumulées comme elles le sont dans beaucoup de quartiers où résident une forte population d'origine immigrée, constituent un terreau fertile à la montée du fondamentalisme et au rejet de notre société.

Cette loi doit donc absolument être accompagnée de dispositions visant à réduire ces facteurs d'inégalité qui font le lit du fondamentalisme et des extrêmes. A défaut, nous risquerions de nous attaquer aux conséquences sans remédier aux causes réelles du problème. Cela ne pourrait conduire qu'à l'échec, voire à une aggravation des difficultés que cette loi prétend résoudre.

C'est donc avec l'espoir, monsieur le Premier ministre, non pas que l'on monte une partie de la population française contre une autre, comme certains le redoutent, mais que la République mette un coup d'arrêt à un mouvement qui remet en cause certaines de ses valeurs essentielles et qu'elle sache très vite prendre les mesures permettant de remédier aux causes qui en sont à l'origine que je voterai le texte qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.

M. Gérard Larcher. Monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, aux termes de l'article 1er de la Constitution, « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale [qui] assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Voilà bien l'un des socles politiques sur lesquels est construite la société française !

La laïcité figure au centre de ce socle, un peu comme un levier. Les Français sont si attachés à cette valeur, ils l'ont tant intégrée à leur conscience de citoyens qu'ils en oublient sa spécificité. Le mot n'a d'ailleurs pas d'équivalent dans la plupart des langues européennes, sans parler du reste du monde, où tant d'institutions politiques revendiquent un fondement religieux !

Aujourd'hui, les Français ont pourtant la conscience intuitive que la montée des fondamentalismes et le développement du communautarisme menacent cette valeur et, au-delà, remettent en cause tant leur propre identité que l'identité politique de leur nation.

En effet, la République française est fondée sur la conscience de son caractère indivisible, qui découle de la volonté d'affirmer l'unité de la nation. C'est ce qui nous conduit à envisager les citoyens en tant qu'individus libres, et non pas comme membres de communautés balkanisées. A l'inverse de Joseph de Maistre, la République française ne connaît ni le Breton, ni le Normand, ni le Provençal, ni le Basque. J'ajouterai qu'elle ne connaît ni le catholique, ni le protestant, ni le juif, ni le musulman ! Elle connaît seulement l'homme et la femme, membres de la même communauté politique.

C'est pourquoi notre République considère ses nationaux, tout comme les étrangers qui se trouvent sur son territoire, sans se préoccuper de leur appartenance religieuse.

Ce modèle politique doit être préservé. Il nous faut en effet bien comprendre d'où est née notre conviction de la supériorité d'un modèle qui fait primer l'unité nationale sur les communautés : elle provient, me semble-t-il, de la volonté de refuser un statut civil des individus dépendant de leur religion et le cortège de malheurs qui en résulta pour notre pays.

Me faudrait-il ici rappeler la sanglante litanie des guerres qui ont endeuillé la France au xvie siècle, les édits de proscription et la fuite en exil de dizaines de milliers de nos compatriotes au xviie siècle ?

C'est la gloire des législateurs de la Révolution que d'avoir souhaité que plus jamais, plus jamais on ne distingue entre les Français selon leur religion.

Renouvelons aujourd'hui notre attachement aux idées des Lumières, au refus de toute suprématie du religieux sur le politique et à la préservation d'un espace politique où se rencontrent les citoyens. C'est bien l'esprit des Lumières qui nous a longtemps fait considérer que ce qui était bon pour la France l'était pour le reste du monde et que la Déclaration des droits de l'homme avait une valeur intrinsèque, même au-delà de nos frontières.

Pourquoi, dans ces conditions, observe-t-on un affaissement du principe républicain de laïcité ? N'est-ce pas parce que notre esprit national est si critique qu'il se remet lui-même en cause, allant parfois jusqu'à intérioriser les objections qui lui sont adressées ? N'est-ce pas, plus profondément, parce que nous doutons aujourd'hui de nous-mêmes et de la force d'entraînement de nos valeurs ?

Mais si nous n'affirmons pas ces valeurs, personne ne les affirmera pour nous. Cessons de douter de nous-mêmes et ayons le courage de nous défendre, de défendre ce qui permet à notre nation d'être ce qu'elle est. Il faut que ceux qui demandent à bénéficier de ses libertés et de sa prospérité acceptent aussi les valeurs qui en assurent la fécondité.

Il nous faut donc courage et fierté avoir : à trop mettre en cause les fondements de nos valeurs, à trop oublier les vertus du modèle français, je crains que nous ne soyons tentés de prendre des leçons de ceux qui, me semble-t-il, ne sont pas fondés à nous en donner !

Le modèle « atomiste » anglo-saxon, qui repose sur la coexistence indifférente de communautés d'appartenance dans lesquelles se reconnaissent les individus, semble avoir acquis une sorte de suprématie dans les médias.

N'est-ce pas oublier trop vite que, derrière des reflets chatoyants, le terme de « tolérance » évoque dans notre pays une expérience en demi-teinte : celle des « édits de tolérance » ? Peut-être nous faut-il nous rappeler les propos que tenait à la tribune des états généraux Rabaut Saint-Etienne, député du tiers, le 23 août 1789 : « La tolérance ! [...] la clémence ! idées souverainement injustes envers les dissidents, tant il est vrai que la différence de religion, que la différence d'opinion n'est pas un crime. La tolérance ! je demande [que ce mot] soit proscrit [...]. »

Voulons-nous voir régner dans notre pays une tolérance de ce type ? Tout au contraire, il nous faut sortir de la fausse sécurité que procure l'expression d'une pensée « molle » et qui trouve son confort et l'assouvissement de sa paresse dans la soumission aux valeurs de l'autre. Ce n'est pas la tolérance pour les uns qu'il nous faut réclamer, c'est la liberté pour tous !

Face à ces mirages dans lesquels nous pourrions nous dissoudre, le projet de loi qui nous est présenté nous invite, en définitive, à affirmer ce que nous sommes, nous, Français ! Il exprime la volonté de préserver notre identité et d'assumer pleinement notre propre différence.

Reconnaître notre différence impose de reconnaître la lucidité des pères fondateurs de la IIIe République qui, par son enracinement, a permis que s'installe de manière pérenne une véritable démocratie dans notre pays.

La preuve de leur lucidité et de leur intelligence politique, il faut tout simplement la chercher dans l'évolution même des successeurs de ceux qui critiquaient alors la République et son attachement au principe de laïcité : tous reconnaissent aujourd'hui les vertus de la loi de 1905 relative à la séparation des Eglises et de l'Etat.

Ne l'oublions pas, cette République s'est affirmée contre un fondamentalisme qui portait alors un autre nom : il s'appelait le cléricalisme.

Le cléricalisme était alors bel et bien l'« ennemi » et l'école, l'espace qu'il fallait protéger. L'âge de la formation, en effet, est aussi un temps où l'on s'efforce d'éviter tout prosélytisme, laissant à la conscience de chacun, à la conscience des parents, l'absolue liberté de pratiquer son culte en dehors de l'institution scolaire publique.

S'il est donc un lieu que nous devons éviter de voir gagné par le communautarisme, c'est bien l'école publique, lieu d'éducation des futurs citoyens, symbole de notre idéal du « vouloir vivre ensemble ». Et, entre l'empire turc, où chacun était soumis au droit résultant de sa confession, et la République des « hussards noirs », peut-on longtemps hésiter sur l'idéal à rechercher ?

Quel message souhaitons-nous adresser aux enseignants, en première ligne sur le « front » laïc, qui, aujourd'hui, sont parfois harcelés ?

Pour ma part, je choisis l'idée d'un Etat national et démocratique de préférence à celle d'un empire bariolé et autocratique où coexisteraient des groupes autocentrés. Je fais ce choix avec d'autant plus de conviction que je suis persuadé de la nécessité de laisser leur place aux religions, à toutes les religions dans la société civile.

C'est pourquoi ce projet de loi, naturellement, n'est pas dirigé contre l'islam, pas plus qu'il n'est dirigé contre les confessions chrétiennes ou contre le judaïsme. Il est pour la République et pour le libre exercice de toutes ces religions en son sein.

Mais, pour intégrer, encore faut-il se doter de moyens appropriés et de la réelle volonté collective de ne pas donner à penser que nous laisserions saper les valeurs qui fondent notre identité collective. Voilà pourquoi il est indispensable de réaffirmer la laïcité dans nos services publics, qui sont exposés aux dérives des communautarismes religieux.

Depuis plusieurs années, avec la question du voile, nous assistons à la multiplication de provocations d'autant plus insidieuses qu'elles impliquent des enfants instrumentalisés. Nous ne pouvons pas laisser instrumentaliser des enfants ou des adolescentes, nous ne pouvons laisser se poursuivre de telles pratiques. L'article X de la Déclaration des droits de l'homme dispose d'ailleurs que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi ». Or, peut-on contester que l'ordre public soit troublé par ceux qui, sous couvert d'afficher leur identité, font du prosélytisme en utilisant leurs propres enfants et tentent ipso facto d'influencer ceux des autres à l'école ?

Comme l'indique Jacques Valade dans son rapport, l'institution scolaire, l'école publique, est bien un espace privilégié, soumis à des règles spécifiques, où les élèves sont « des usagers du service public pas comme les autres », un espace de neutralité religieuse destiné à les aider à devenir des « citoyens éclairés », jeunes hommes et jeunes femmes à égalité.

Au demeurant, mon propos ne saurait se limiter à l'école. Président de la Fédération hospitalière de France, je sais les difficultés que rencontrent nombre de femmes à l'hôpital et les personnels hospitaliers dans leur activité professionnelle. Ceux qui ont voté la loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ne peuvent pas accepter que les femmes soient ainsi reléguées pour des motifs religieux. Là encore, il nous appartient, à nous, parlementaires, de déterminer ce qu'est un ordre public, qui ne peut être laissé à la libre appréciation de chacun.

Ce projet de loi est libérateur, et je me félicite que le Gouvernement ait eu le courage d'intervenir au moment où ces questions revêtent une acuité particulière. Nous, parlementaires, ne pouvons nous contenter de nous abriter derrière la jurisprudence administrative du Conseil d'Etat. C'est pourquoi il nous incombe, comme un devoir, de soutenir le texte qui nous est soumis et de choisir de faire passer l'universel avant le particulier, la République avant les communautés. Oui, voici à nouveau pour les citoyens le temps de la loi ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Paul Loridant.

M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je rappelerai en préambule qu'il fut un temps où la France était « la fille aînée de l'Eglise ». Oui, notre pays est issu de son histoire, du Moyen Age notamment, lié à la chrétienté ! Mais il est tout autant l'enfant du siècle des Lumières.

Dans le débat d'aujourd'hui, des voix s'élèvent pour défendre l'idée qu'une loi n'est pas nécessaire, ou qu'elle est inadaptée. De tels raisonnements, que l'on pourrait qualifier de « libertaires », s'opposent à une conception véritablement républicaine de la loi en tant qu'expression de la volonté générale, protectrice et émancipatrice. Or le projet de loi que nous examinons aujourd'hui illustre exactement cette conception.

Ce texte est tout d'abord protecteur pour les jeunes, pour les enfants : ils doivent être égaux dans la classe, devant le maître, qui n'a pas à connaître leurs origines religieuses.

L'école est, au coeur du dispositif laïc républicain, le lieu où l'on apprend à devenir un citoyen. Son objet est moins d'adapter les élèves à la société telle qu'elle est que de leur fournir les outils de leur propre émancipation, afin qu'ils restent clairvoyants devant les dogmes et les menaces d'aliénation de leurs droits. Oui, il faut aider les jeunes esprits à construire leur conscience par le libre arbitre, la raison, la rationalité, l'esprit critique. Bref, l'école doit former des citoyens, et j'insiste sur ce terme.

La Lettre aux instituteurs de Jules Ferry est à cet égard lumineuse : « L'instruction religieuse appartient aux familles (...), l'instruction morale à l'école (...). Le législateur a voulu distinguer deux domaines (...) : celui des croyances, qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances, qui sont communes et indispensables à tous. »

Ce projet de loi est émancipateur aussi pour les jeunes filles : il doit leur permettre l'accès à l'égalité des sexes, contre une culture religieuse qui, trop souvent, a bridé les droits de la femme.

Les jeunes filles, dans notre République, ne sauraient être obligées de rejoindre le combat de ces millions de femmes qui, partout dans le monde, se battent pour ne pas porter le voile, ce symbole de la ségrégation et de la sujétion de la femme qui porte directement atteinte aux valeurs essentielles de liberté et d'égalité qui fondent le pacte républicain.

Quel est le principe républicain qui interdirait que l'on fixât des règles ? Il nous appartient de nous opposer par ce texte à la loi de la jungle, à la loi du plus fort, en l'occurrence, à la loi du religieux, du père ou du grand frère qui dictent à ces jeunes filles la conduite à tenir.

Enfin, cette loi est nécessaire, car la République, agressée, doit se défendre. Oui, l'agression intégriste existe. Nous l'avons rencontrée au cours de nos travaux respectifs et, pour ma part, j'y suis tous les jours confronté dans ma commune, dans nos quartiers, dans nos banlieues.

En effet, la situation a changé de nature depuis 1989, date de l'affaire du premier voile, à Creil. Car aujourd'hui, dans la rue, dans les salles où nous les recevons, un certain nombre de personnes issues de milieux intégristes sont ouvertement passées à l'offensive. Elles testent la République, elles veulent connaître sa capacité de résistance. C'est ce changement de situation qui nous impose de changer de réponse.

On reproche ici et là à ce projet de loi de n'être qu'un symbole. Je ne réfute pas la formule, mais la force du symbole est justement nécessaire pour donner des repères à une société qui semble en manquer.

Oui, c'est une loi nécessaire, mais qui, monsieur le ministre, pour atteindre pleinement son objet et promouvoir réellement le principe de laïcité, doit être complétée et approfondie.

Comment croire en effet que le principe de laïcité se résumerait à proscrire les signes religieux dans les écoles ? La laïcité, contrairement à ce qu'affirment certains propos simplistes avancés çà et là, n'est pas une valeur simple et univoque. C'est une valeur façonnée par plus de deux cents ans d'histoire, une histoire longue et douloureuse qui dément l'idée d'une laïcité de concorde nationale.

La laïcité, ne l'oublions pas, est le fruit de combats violents. La République l'a arrachée par la force. Les Eglises, qui l'acceptent aujourd'hui, ne l'ont admise dans le passé qu'à leur corps défendant, au début du XXe siècle. Il n'y a aucune raison pour que d'autres, aujourd'hui les musulmans, dérogent à la règle. Ils doivent, comme les confessions chrétiennes ou juive, se soumettre aux lois de la République. C'est la condition de la paix des croyances dans notre pays.

Produit de l'histoire, certes, la laïcité est aussi un combat moderne dans un monde confronté à la montée des intégrismes, et ils sont de diverses natures !

La laïcité ne peut supporter d'adjectifs. J'entends ces dernières semaines des partisans de la laïcité « ouverte », de la laïcité « tolérante », de la laïcité « moderne ». Ancienne et moderne, à la fois tolérante mais ferme, ouverte dans l'espace privé mais pas dans l'espace public..., la laïcité ne peut supporter d'adjectifs : elle est la laïcité !

Mais c'est aussi une valeur qui s'use quand on ne s'en sert pas. Il est urgent aujourd'hui de la restaurer, principalement à l'école.

Cette loi, dit-on, doit aussi être ouverte. Que constatons-nous pour le problème du voile ? Pour quelques cas non réglés, des centaines et des centaines d'autres sont résolus, depuis des années, dans la clarté, par le dialogue et la pédagogie. De très nombreuses jeunes filles retirent leur voile parce que les équipes pédagogiques parviennent, à force de dialogue, à les en convaincre. Car l'école de la République a pour but non pas d'exclure mais, au contraire, d'intégrer : une exclusion est toujours un échec. L'amendement, adopté par l'Assemblée nationale, qui prévoit un temps pour le dialogue est donc un signe positif que nous acceptons.

Cette loi doit être également utile, utile donc claire. Or, depuis l'arrêt du Conseil d'Etat de 1989, on sait que le port du voile n'est pas ostentatoire en soi. Pour démontrer si le port du voile est ostentatoire ou non, exercice subtil, les chefs d'établissement et les professeurs sont démunis. Ils attendent des parlementaires, qui représentent la volonté du peuple souverain, une règle claire, nette, opérationnelle, alors que le Gouvernement propose de transformer « ostentatoire » en « ostensible » ! Cela me paraît extrêmement regrettable, et j'eusse préféré que l'on retienne le terme « visible », plus judicieux et plus clair.

Enfin et surtout, selon la belle formule de Jean Jaurès, « la laïcité, c'est la lutte pour la République sociale ».

Lors de son audition par la commission Stasi, le ministre des affaires sociales a eu un mot juste en rappelant que « sans intégration, nous perdrions la bataille de la laïcité ».

La grande question française, de la République, est celle de l'intégration sociale depuis trente ans. Elle sera encore cruciale dans les années à venir.

Tant que nous n'affronterons pas toutes les discriminations, qu'elles soient raciales, territoriales, professionnelles ou sexistes, tant que nous ne lutterons pas avec acharnement contre les ghettos de toutes formes, dans nos villes, dans nos campagnes, dans nos banlieues, la République sera menacée par les dérives identitaires.

Interdire les signes religieux à l'école ne saurait suffire à définir une politique. Ce doit être le prolongement d'un engagement politique beaucoup plus ambitieux. A moins que ce texte ne soit, de la part du Gouvernement, ce que je n'ose croire, que le moyen d'une manoeuvre politicienne visant à détourner l'attention.

En effet, la politique du Gouvernement, je dois le dire, précarise toujours plus le travail, aggrave les situations de pauvreté, réduit les moyens de l'éducation nationale, privatise les services publics, limite le champ d'intervention de ceux-ci, flatte les logiques identitaires en ayant recours à la discrimination positive au plus haut niveau de l'administration.

En un mot, le Gouvernement scie la branche sur laquelle il voudrait asseoir sa loi. Oui, mes chers collègues, ce texte est utile aujourd'hui, et je le voterai, mais il doit être soutenu par une grande loi d'intégration sociale où l'emploi, l'éducation, le logement, mais aussi le rappel des devoirs liés à la citoyenneté républicaine, seraient présentés comme les éléments d'un projet de vie commun à tous nos concitoyens.

Mes chers collègues, je conclurai sur ces mots : vive l'universel ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - M. Jacques Pelletier applaudit également.)

M. René-Pierre Signé. Bravo !

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'évidence, il s'agit ici d'un débat qui nous interpelle et nous intéresse tous : il n'est qu'à voir les travées de notre assemblée, encore assez bien garnies à cette heure relativement tardive, ce qui n'est pas toujours le cas ! (Sourires.)

Sur le problème de la laïcité, beaucoup a déjà été dit, et de remarquable façon. J'ai le sentiment que ce texte sera adopté à l'unanimité, et l'on pourrait donc considérer qu'il est excellent. J'émettrai toutefois quelques réserves, même si, bien entendu, je voterai en faveur de son adoption.

Tout d'abord, j'eusse aimé que l'on fît davantage référence à ceux qui se sont battus pour la laïcité. J'évoquerai notamment Condorcet, qui fut l'inventeur, en quelque sorte, du principe d'universalité et du principe d'égalité, et Gambetta, qui considérait que la meilleure façon de permettre à l'école publique d'échapper à l'influence des congrégations consistait à accorder sans compter, disait-il, des moyens à l'éducation nationale. (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste.)

M. Charles Gautier. Changeons de gouvernement !

M. François Fortassin. On pourrait s'inspirer, me semble-t-il, de cet excellent principe. (Sourires.)

Enfin, Jules Ferry a créé l'éducation nationale. Certes, on y revient au travers de ce débat sur la laïcité, mais, voilà quelques mois, l'emploi de ces deux mots semblait écorcher quelque peu les oreilles des uns, les mâchoires des autres !

Cela étant dit, je crois que l'on ne peut transiger sur certains principes.

Le dialogue doit exister, bien entendu, mais il existe des règles fondamentales. En particulier, il conviendrait d'affirmer avec vigueur que la République laïque exige que l'école soit un lieu de neutralité, que les religions ont un caractère exclusivement privé et que l'Etat doit permettre l'exercice de toutes les religions.

A cet égard, si l'on ne met pas en exergue avec force le caractère privé de la pratique religieuse, je crains que l'on n'assiste à un peu trop d'agitation autour du voile islamique. Il faut affirmer également que l'école doit être un lieu de neutralité, un lieu de tolérance, un lieu d'émancipation.

M. René-Pierre Signé. Oui !

M. François Fortassin. En outre, il convient peut-être de souligner que toutes les religions, sans exception, relèguent la femme à un rang inférieur quand elles sont défendues par des fondamentalistes.

Enfin, si la question du port du voile est certes importante, notamment sur le plan symbolique, la régler ne résoudra pas tous les problèmes : encore faut-il que les jeunes islamistes qui portent le voile, souvent à la suite de pressions, acceptent de suivre l'ensemble des programmes scolaires. En certains lieux, on devra peut-être se lever de bonne heure, comme disait mon grand-père, pour les amener à porter certaines tenues afin de suivre les cours d'éducation physique ou de fréquenter la piscine ! Cela ne sera pas évident, d'autant que l'on sait que des dispenses peuvent être accordées très facilement.

Par ailleurs, n'oublions pas les problèmes qui se posent dans le fonctionnement des hôpitaux, thème abordé par M. Gérard Larcher. En effet, un public islamiste de plus en plus nombreux refuse que des femmes puissent y dispenser des soins. Cela me semble très grave.

En conclusion, je voudrais évoquer une situation que l'on passe assez volontiers sous silence mais à laquelle la République s'honorerait de mettre un terme : on tolère sur le territoire français, à Mayotte, la polygamie. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) On peut bien entendu porter diverses appréciations sur cette question, mais il s'agit d'un réel problème !

J'indiquerai enfin, pour terminer sur une note un peu plus détendue, que j'ai été, pour ma part, assez choqué de constater que, à la préfecture de Mayotte, aucune boisson alcoolisée n'était offerte, afin de ne pas déplaire à nos amis islamistes ! Il est pourtant de tradition de servir de telles boissons lorsqu'il y a réception chez le préfet !

M. Ivan Renar. A consommer avec modération ! (Sourires.)

M. François Fortassin. Certes, monsieur Renar, mais M. Signé nous rédigera une ordonnance (Rires.)

M. François Fortassin. J'estime qu'il existe tout de même des traditions qui ne doivent pas être mises à mal.

J'achève mon propos sur une note plaisante, comme je l'avais commencé, mais cela ne signifie nullement qu'il ne s'agit pas d'un sujet très sérieux. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur sur certaines travées du groupe socialiste et les travées du groupe CRC. - M. Hilaire Flandre applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.

M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi aujourd'hui soumis à notre examen concerne indéniablement un sujet porteur d'une lourde charge politique et sociale. On peut dire sans hésiter que ce qui est en jeu, avec les signes et les tenues, témoignant d'une appartenance religieuse, ce n'est rien de moins que la validité de notre contrat social, dont la laïcité est le socle.

Cette laïcité nous enseigne l'art de vivre ensemble, favorise et rend possible la cohésion sociale en garantissant d'abord la liberté de conscience. Quitte à vous accabler de quelques redites, monsieur le ministre, je répéterai que l'école laïque est le ciment de la démocratie et de l'unité sociale, parce que là se forme l'homme de demain. La République doit donc la défendre par un texte qui n'a pour objet que de protéger l'école, en posant comme premier principe l'égalité des sexes. Affaiblir la laïcité serait affaiblir notre capacité à faire corps social.

Ces propos liminaires nous permettent de mieux comprendre comment un projet de loi aussi court peut susciter de si longues discussions, des discussions parfois difficiles, mais toujours instructives quant à l'état de la France et même, osons le dire, quant à l'Etat, s'agissant notamment de sa capacité à réguler le social. Les discussions menées au sein des différentes commissions ont permis d'établir un diagnostic : je pense ici au travail effectué par mon collègue et ami Serge Lagauche.

Or un médecin connaît trop bien l'importance d'un diagnostic. Que nous dit ce diagnostic ? Que la France éprouve un trouble, qu'elle a du mal, à l'heure de la mondialisation, à trouver ses repères cultuels et culturels. Que dire, à ce sujet, de l'étrange appel aux valeurs républicaines devant de jeunes musulmanes chantant La Marseillaise pour affirmer leur indépendance ?

Cependant, le mal de la France n'est pas si profond. Notre pays cherche de nouveaux repères, mais il ne doit pas, pour autant, perdre les anciens. La laïcité est l'un de ceux-ci. Certes, le contexte qui prévalait lors de son élaboration et de sa consécration juridique a changé, mais elle conserve toute sa puissance positive, il faut simplement la réactualiser. C'est l'objet de ce texte.

S'agissant du diagnostic proprement dit, le droit ne correspond plus à la réalité. C'est le vécu quotidien des enseignants et des élèves qui nous incite à un nouvel examen. Le constat est partagé par l'ensemble des acteurs de l'école : le fanatisme religieux ne peut passer la porte des établissements, ni dépasser certaines bornes. Les témoignages recueillis par les différentes commissions, parfois « en privé » à la demande de certaines personnes, doivent être entendus. Des dérapages ont été commis et certains extrémistes veulent discrètement faire passer leurs revendications du domaine des signes religieux à celui de l'assiduité partielle aux cours de biologie et de gymnastique et à celui de l'assiduité partiale aux cours d'histoire. Tout enseignement, même sur le big-bang et l'origine du monde, est jugé à l'aune du Coran. On exige des plats différents aux repas, que l'on prend à des tables distinctes. Tel n'est pas le sujet du présent projet de loi, mais cela en est le coeur. La question des services publics devra, elle aussi, être un jour abordée.

On nous demandera sans doute, dans quelques années, de reconsidérer la mixité à l'école, voire dans les transports « en commun », qui sont des lieux de partage de l'altérité. Il faut adresser un signal politique fort à ceux qui affichent des signes religieux chargés politiquement. Ne nous y trompons pas, il s'agit bel et bien d'un test pour notre modèle de société, qui ne peut consacrer l'asservissement de la femme. On ne doit pas injecter le moindre zeste de religion dans nos lois républicaines. Rien de tel ne peut y être instillé.

Certes, la loi ne doit pas s'opposer aux croyances ni aux consciences. Il est vrai que la ségrégation sociale et territoriale, les difficultés scolaires et le chômage créent un sentiment d'injustice, voire d'exclusion. L'extrémisme et le fondamentalisme en font leur miel, et le port du voile, qui peut être imposé, confère aussi un statut, une certaine respectabilité, en étant affirmé, dans ce cas, comme une valeur.

Au-delà du seul problème religieux, l'idée est non pas de rejeter l'islam, mais de l'aider à échapper à des influences fondamentalistes permicieuses. L'islam tolérant a besoin de la laïcité pour s'imposer. Il y a une guerre ouverte entre une version radicale et extrémiste de l'islam et sa version moderne. Je considérerais comme une erreur grave et inexcusable que les forces républicaines ne soutiennent pas le camp de la modernité. La vraie tolérance est celle qui s'impose pour éviter que ne triomphe un islam radical et que ne s'affaiblisse la République laïque.

Tous les signes et tenues ostensiblement affichés devront rester à la porte des établissements, au moins des établissements publics. Au qualificatif d' « ostensibles », je préférerai celui de « visibles ». « Ostensibles » marque une intention, « visibles » est indiscutable, compris des familles et des élèves. Quant à l'autorisation des signes discrets, elle ouvre à discrétion, si je puis dire, la porte aux interprétations subjectives. Restons-en à « visibles », tel est notre souhait.

On pense au voile, bien sûr. Le port du voile offre une triple prime qui pose trois fois problème dans notre République et pour notre République.

Le voile, c'est d'abord la prime au patriarcat. Qu'on le veuille ou non, le port du voile inscrit l'infériorité de la femme dans les rapports sociaux et les rapports familiaux. Il est le signe de la minorité juridique et sociale de la femme. On a trop lutté en Turquie, en Tunisie ou ailleurs pour que l'on cède ici.

Le voile, c'est ensuite la prime au théologico-politique, en l'occurrence au Coran. La loi religieuse est une chose, on a le droit de l'observer selon son degré d'engagement religieux, mais on n'a pas le droit, en tout cas pas en république, de l'imposer à l'ensemble du corps civil, ni même sur quelques parties infimes du territoire. Notre loi à tous, c'est la Constitution.

Le voile, c'est enfin la prime à l'endogamie. Une femme voilée ne peut épouser qu'un musulman pratiquant. Cette préférence matrimoniale religieuse ne peut manquer de nous interpeller et de mettre en question l'avenir du creuset républicain.

Ce fameux creuset républicain est toujours à polir, et il faut ici rappeler clairement notre engagement à lutter contre les discriminations dont souffrent les « minorités visibles », musulmanes ou pas. Au moment où certains musulmans essaient d'amener les Lumières dans l'islam, les fondamentalistes veulent entraîner les croyants dans l'obscurantisme. La flamme de la laïcité doit être rallumée. Le monde nous observe et attend un signe clair de la patrie de la Révolution.

A l'heure du cosmopolitisme, la laïcité ressemble de plus en plus à un mode d'emploi du « vivre ensemble » mondial. Gardons cela à l'esprit avant de nous inquiéter des retombées purement symboliques de ce texte. Le législateur n'interdira aucunement le port du voile dans la sphère privée et dans la rue. A l'école, le dialogue qui précédera toute décision vaudra toujours mieux que la sanction « couperet » ou l'interdit brutal. Recevoir à ce titre des leçons de démocratie et de tolérance de la part de certains courants ultrafondamentalistes imposés dans certains pays prêterait à sourire si la situation n'y était pas aussi dramatique.

Le groupe socialiste a déposé des amendements qui visent à compléter le dispositif mais qu'il ne me revient pas ici de présenter. Je les fais miens, bien entendu. A ceux qui n'ont foi que dans le texte religieux, il est temps de montrer que notre foi en la laïcité et en la République est plus forte que jamais. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Yannick Texier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en premier lieu, permettez à une élue ultramarine de déplorer la non-prise en compte de la situation de l'outre-mer dans la préparation de ce projet de loi : une vision unilatérale, à bien des égards exagérée, a prévalu alors même que, dans bien des endroits de notre pays, la coexistence entre différentes religions et ethnies ne pose pas de problèmes.

C'est le cas à la Réunion, où cohabitent dans de bonnes conditions des communautés musulmanes, hindoues, chinoises et juives qui se sont « apprivoisées » progressivement au cours de notre histoire. Un certain « devoir de délicatesse » s'est imposé à tous et a été respecté.

Les musulmans ont réussi, chez nous, leur intégration sociale, économique, religieuse et politique. De nombreux enfants musulmans sont scolarisés dans des écoles catholiques où ils assistent même aux cours d'enseignement religieux. Quelques jeunes filles musulmanes - elles sont peu nombreuses en réalité - portent le voile à l'école dans un climat de grande sérénité. Mais cette attitude bienveillante deviendra illégale après le vote de cette loi.

Les Réunionnais, toutes sensibilités politiques et religieuses confondues, sont attachés à leur manière de « vivre ensemble » grâce notamment à une laïcité qui s'exprime de manière originale chez nous. La dimension religieuse rapproche au lieu d'opposer. Elle intègre au lieu d'exclure. Ne pas la prendre en considération serait fragiliser localement l'appartenance à la République. Cela peut paraître paradoxale mais il en est ainsi. Tous sont attachés à la séparation du pouvoir politique et du pouvoir religieux.

Mme la ministre de l'outre-mer a d'ailleurs reconnu que le projet de loi n'était pas utile à la Réunion, mais qu'il le serait peut-être un jour contre l'intégrisme... S'agissant de la métropole, la situation est différente selon les régions, selon les établissements scolaires. On peut citer l'exemple du lycée d'Aubervilliers, où le règlement intérieur ne prévoit pas le port du voile mais accepte celui du bandana. Ainsi, on a trouvé un équilibre sans provocation de part et d'autre, comme à la Réunion.

Sur un plan plus général, je dirai que, si l'objectif de ce projet de loi est de lutter contre l'intégrisme musulman, il me paraît quelque peu disproportionné. La composante majoritaire de l'islam de France est sécularisée et totalement laïque. Une minorité, regroupée dans le Conseil français du culte musulman, comporte des tendances très diverses, dont certaines, extrémistes, posent effectivement un problème. L'islam est divers comme peuvent l'être le catholicisme ou le protestantisme. Pratiquer l'amalgame entre l'intégrisme et l'attachement à certains aspects de la vie traditionnelle me semble dangereux. Prenons l'exemple de l'islam marocain : il est fidèle à une certaine tradition - les mosquées au Maroc sont interdites aux non-musulmans -, mais il est en même temps opposé à l'intégrisme.

Il est sans doute nécessaire de faire comprendre aux islamistes qu'ils ne doivent pas chercher à déstabiliser la République. Il n'y a pas de place en France pour des partis religieux.

Mais quatre raisons principales militent contre le texte qui nous est proposé.

Tout d'abord, en termes juridiques et s'agissant du pouvoir d'appréciation des chefs d'établissement, le projet de loi n'apporte pas plus de clarté par rapport à la circulaire de 1994. Tout se jouera sur l'interprétation du mot « ostensible ».

Ensuite, la nouvelle loi risque d'être déclarée contraire au bloc de constitutionnalité et à la Convention européenne des droits de l'homme, car elle constitue une atteinte à la liberté religieuse dès lors qu'il n'y a pas trouble à l'ordre public. Cette argumentation a été développée par notre collège M. Mercier.

En outre, cette loi risque de faire des mouvements intégristes des mouvements martyrs, exacerbant ainsi les réactions en leur faveur. Ces mouvements exploitent déjà le sentiment de frustration et la soif de revanche de certains musulmans face à un Occident accusé d'exercer une domination économique, culturelle et politique.

Ce phénomène est très bien décrit par Marc Ferro dans Le Choc de l'islam. (M. le ministre acquiesce.) Du xviiie siècle au xxe siècle, l'histoire du monde arabo-islamique a été une longue suite d'humiliations, de défaites militaires et politiques. Après l'échec du socialisme et du nationalisme arabe, l'islam apparaît, pour une partie des personnes d'origine musulmane, comme l'instrument du renouveau.

Dans ce contexte, la loi que nous examinons, synonyme d'exclusion et de marginalisation, est du pain béni pour les islamistes radicaux.

Enfin, la suite logique de ce texte sera l'exclusion d'un certain nombre de jeunes filles musulmanes de l'enseignement public et, à terme, le développement de l'enseignement privé musulman, où le port du voile sera autorisé.

A cet égard, l'obligation de porter le voile est incontestablement discriminatoire. Mais on peut s'interroger sur la meilleure façon pour des jeunes filles d'apprendre quelle doit être la place de la femme dans la société. Hors de l'école ou dans des établissements scolaires confessionnels musulmans, cette éducation risque de ne pas être possible.

Je suis consciente cependant du fait que mon propos est minoritaire. L'Assemblée nationale s'est prononcée à une large majorité en faveur du texte. Le Sénat fera de même, très probablement.

Ce qu'il faut souhaiter, afin de limiter les effets pervers du texte, c'est que le Gouvernement trouve avec les responsables musulmans des modes de médiation. Le dialogue est en effet possible avec le Centre français du culte musulman, notamment sur certaines mesures pratiques telles que le remplacement du voile par un bandana.

Ne nous y trompons pas, le vrai problème n'est pas le voile. L'école doit être le lieu de la tolérance et de l'apprentissage du respect mutuel. A cet égard, la montée de l'antisémitisme et la situation des enseignants agressés parce qu'ils abordent certains sujets en classe sont des phénomènes éminemment plus graves que le port du voile. Il faut des règles de discipline strictes au collège, mais il faudrait aussi envisager la mise en application du rapport de Régis Debray sur l'enseignement de l'histoire des religions par les enseignants.

Monsieur le ministre, je voterai l'amendement de mon collègue Michel Mercier, qui tend à préciser que le port de signes religieux ostensibles est interdit dès lors qu'il est de nature à troubler l'ordre public dans les établissements scolaires. Mais je m'abstiendrai sur ce projet de loi, qui risque d'attiser les conflits dans le département de la Réunion. (Applaudissements sur certaines travées de l'Union centriste. - Mme Brigitte Bout et M. Jean Chérioux applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux.

M. Jean Chérioux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici saisis du projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics. Ce texte a en fait pour objet la question du port du voile islamique, question qui a provoqué un vaste débat dans le monde politico-médiatique ces dernières semaines.

Je crois qu'il faut tout d'abord se demander quelle est la nature du problème posé par le port du voile à l'école.

De prime abord, on peut penser qu'a priori le port du voile ne pose de problème que lorsqu'il est accompagné d'un véritable trouble au fonctionnement de l'école et que, dès lors, il ne nécessite pas le vote d'une loi.

En effet, la jurisprudence du Conseil d'Etat est très nette en ce domaine : la haute juridiction a approuvé l'exclusion lorsque le port du voile s'est traduit par le non-respect d'obligations scolaires, tel que le refus d'assister à un cours d'éducation physique sans voile ou encore la contestation du contenu de certains enseignements, en histoire ou en sciences de la vie, par exemple.

Mais, compte tenu de l'ampleur prise par le problème, il est apparu au Gouvernement qu'il fallait porter le débat à un autre niveau, celui du respect de la laïcité et, en conséquence, déposer un projet de loi.

C'est pourquoi le texte que nous examinons a pour objet l'application du principe de laïcité dans les collèges et lycées publics.

Certes, l'article 1er de la Constitution précise que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Mais que recouvre la notion de laïcité ? Tout le monde parle de laïcité, mais avec des interprétations qui ne sont pas toujours identiques. Selon le Petit Robert, laïcité signifie neutralité. Il est donc normal que l'école publique ne prenne pas en compte dans son enseignement les choix d'ordre religieux ou philosophique de ses élèves.

Cela est clairement exposé dans la fameuse, que dis-je, dans la magnifique lettre de Jules Ferry aux instituteurs de la République : « Avant de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s'il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé par ce que vous allez dire. » C'est beau !

Eh bien ! Je pense que de nombreuses honnêtes gens risqueraient aujourd'hui d'être froissées par le refus fait à leur enfant de témoigner de son appartenance religieuse. Comme on peut s'en apercevoir en lisant l'intégralité de la lettre de Jules Ferry, la laïcité s'impose à l'école et à ses enseignants, mais pas à ses élèves. Permettez-moi de citer à nouveau Jules Ferry, et c'est pour moi une grande joie, en particulier devant vous, monsieur le ministre (Sourires) : « Parlez avec la plus grande réserve dès que vous risquez d'effleurer un sentiment religieux dont vous n'êtes pas juge. »

Oui, vous l'avez bien entendu, les enseignants, et par conséquent l'école, ne sont pas juges du sentiment religieux des élèves, et c'est normal, car toute autre attitude relèverait de l'intolérance et signifierait que l'école publique privilégie le refus des religions, devenant en quelque sorte un lieu d'intégrisme antireligieux.

Le projet de loi a retenu les termes de « port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Cette rédaction est à l'évidence plus satisfaisante que celle qui fait référence aux signes visibles...

M. René-Pierre Signé. Non !

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Si !

M. Jean Chérioux. ... qui aurait pu entraîner la relance du combat laïc à l'école, combat qui n'a plus de sens aujourd'hui.

Ce combat a eu un sens à un moment où il fallait mettre un terme à un monopole qui avait duré des centaines d'années, mais nous ne sommes plus en 1905, aujourd'hui, le combat laïc à l'école n'a plus de sens, et pourtant la réapparition de ce combat n'est pas un risque imaginaire.

En effet, mes chers collègues, j'entends encore ici les déclarations enflammées, lors du débat sur la révision de la loi Falloux, d'un de nos anciens collègues parfaitement estimable, champion de la laïcité, se félicitant de la « déchristianisation » réalisée grâce à cette loi. Vous voyez bien que l'esprit de combat n'est pas mort, loin de là ! Curieuse conception de la neutralité !

Le danger n'a d'ailleurs pas échappé au rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale, M. Pascal Clément, qui a conclu que l'interdiction du port de signes visibles d'appartenance religieuse conduirait à une interdiction générale et absolue qui serait contraire à la liberté religieuse garantie par l'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par l'article 9 de la Déclaration européenne des droits de l'homme.

On peut également aborder le problème du voile sous un autre aspect, celui du communautarisme, comme l'a très bien démontré l'excellent article de M. Maurice Druon dans un quotidien du matin bien connu. Il s'agit là d'un autre aspect de la politique, c'est-à-dire la politique d'immigration et de nationalité telle qu'elle a été pratiquée dans notre pays depuis trente ans.

Il y a malheureusement, et je le dis avec une très grande tristesse, un constat d'échec à faire quant à la politique d'intégration qui a été menée, et ce n'est pas le texte que nous examinons aujourd'hui qui réglera ce problème.

Il est une autre raison qui motive cette opposition au port du voile et qui fut largement développée dans les débats médiatiques : la volonté de combattre le statut de la femme musulmane, qui fait d'elle une mineure, statut dont le voile serait le symbole. C'est surtout cela que vise en réalité le texte que nous étudions. Mais alors sa portée est bien restreinte puisqu'il ne permettra pas la suppression du voile en dehors de l'école et ne changera pas, hélas ! les mentalités de ceux qui font preuve d'intégrisme. C'est bien ce que nous a décrit tout à l'heure M. Robert Badinter lorsqu'il a expliqué comment les choses allaient se passer : les musulmanes laisseront leur voile à l'entrée de l'école, les catholiques leur croix, les juifs leur kippa ; puis, en sortant de l'école, ils les reprendront ! Je ne vois donc pas comment on réglera le problème du statut de la jeune musulmane par ce texte sur le voile.

M. René-Pierre Signé. Ce sera un début !

M. Jean Chérioux. Hélas ! Je le reconnais, le port du voile à l'école relève parfois de la volonté de manifester son attachement à ce statut de la femme musulmane, que nous combattons. Mais ce qui est grave, c'est que les jeunes filles qui le portent refusent de respecter le règlement de l'établissement et tentent de se soustraire à certaines activités et à certaines disciplines obligatoires. C'est cela qui est inacceptable ! Après tout, si elles portent un voile, il y en a d'autres qui revêtent des tenues parfois fort extravagantes ! Ce qui est inadmissible, c'est qu'elles prétendent, du fait qu'elles sont musulmanes, ne pas observer le règlement de l'école.

C'est à cela que répondait l'amendement présenté par Edouard Balladur à l'Assemblée nationale, amendement qui n'a pas été retenu. Il avait cependant l'avantage de supprimer certaines difficultés nées de l'interprétation du caractère ostensible des signes religieux, puisqu'il visait, à travers le trouble au bon fonctionnement de l'établissement, cet aspect du port du voile à l'école.

En fait, le défaut de ce texte, qui est bon en soi, est de laisser de trop grandes marges d'appréciation. Comment jugera-t-on du caractère « ostensible » ? (M. René Signé s'exclame.) Il faut éviter toute marge d'appréciation subjective pouvant donner à certains l'occasion d'une interprétation trop restrictive du texte. C'est dans ce sens que j'ai déposé un amendement destiné à limiter le port de ces signes et tenues ostensibles religieux lorsque leur utilisation trouble le bon fonctionnement et l'ordre public des établissements d'enseignement public.

C'est dans cette direction que le combat contre le port du voile doit être mené. Ce fut une erreur d'avoir porté le débat sur le plan de la laïcité. Je crains que, ce faisant, l'on n'ait ouvert la boîte de Pandore. Il est à craindre en effet que les intégrismes ne mettent à profit l'interdiction de signes et tenues ostensiblement religieux pour multiplier les provocations et apparaître comme les victimes de leurs convictions religieuses. Croyez-moi, il ne faut pas qu'ils puissent considérer que l'interdiction du voile est la marque d'une sorte d'intégrisme antireligieux qui utilise ce moyen pour lutter contre les intégrismes religieux.

L'intégrisme est une mauvaise chose, qu'il soit religieux ou antireligieux. On peut tout craindre de l'intégrisme et du fanatisme. Il faut donc tout faire pour les éviter et en éviter les manifestations. Je ne crois pas que le texte, en l'état, nous donne toutes les garanties voulues. C'est pourquoi, si l'amendement que j'ai déposé n'était pas retenu, je voterais contre ce projet de loi.

M. René-Pierre Signé. On ne s'y attendait pas ! Vous êtes imprévisible, monsieur Chérioux...

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la laïcité est un fait humaniste. Elle est cet idéal républicain que l'on retrouve dans la notion des droits fondamentaux de la personne. Elle est vecteur de bien-être et d'épanouissement de la société et retient comme seul motif d'action la justice et l'égalité. Elle a la capacité de s'adapter à la diversité des peuples. Elle est nécessaire pour protéger les citoyens face aux attaques de divers sous-groupes communautaires. Grâce à elle, les hommes peuvent définir des règles du jeu commun, et donc les conditions de leur cohabitation, affirmant ainsi leur volonté de vivre ensemble. Aussi, la mosaïque des peuples et des cultures ne peut résister sans que l'espace politique soit libéré des dimensions religieuses et idéologiques.

En disant cela, je reprends nombre de propos tenus par les orateurs qui m'ont précédée. Pourtant, la laïcité fait l'objet aujourd'hui de polémiques, de remises en cause sournoises, sans doute en raison du retour en force des organisations religieuses dans tous les domaines politiques, via les Etats-Unis, la Pologne, la Russie, le Proche-Orient, l'Iran ou encore l'Arabie saoudite.

On parle ainsi de « choc des civilisations », selon la théorie tristement célèbre de Samuel Huntington, théorie insidieuse qui porte en elle les germes de la guerre en livrant une lecture manichéenne et dangereuse du monde. Cette thèse a cautionné l'embargo irakien, tuant lentement des milliers d'enfants, ainsi que la guerre en Afghanistan et la guerre en Irak. Cette thèse sert de fondement philosophique à la guerre...

Je préfère, pour ma part, parler de « choc des ignorances », car l'identité humaine est plurielle, elle se réfère à notre langue, à nos passions, à notre travail, à notre culture... et l'on ne peut se contenter de s'attacher à un seul caractère de la personne.

C'est pourquoi la laïcité est l'exutoire de cette thèse, que l'on voit déjà se traduire en Europe par l'article 51 du projet de Constitution européenne qui prévoit un dialogue régulier avec les Eglises et les organisations philosophiques.

C'est une régression considérable et, de recul en démission, les ennemis de la liberté finiront par sacrifier celle-ci sur l'autel de la religion.

Aussi devons-nous plus que jamais défendre la laïcité contre ses nombreux ennemis, car elle est source de paix. Nous devons oeuvrer en France et en Europe pour que la laïcité appartienne au bien commun de toutes les nations, de tous les peuples.

Pour autant, la laïcité ne doit pas gommer les diversités, ce qui entraînerait une uniformité de pensée. Elle doit permettre à toutes ces diversités de vivre ensemble dans un respect réciproque. Tout comme nous devons combattre toute forme d'intégrisme religieux, nous devons nous opposer à un intégrisme laïc.

M. Christian Poncelet. Très bien !

Mme Annie David. L'école est un lieu de neutralité républicaine, mais les élèves ne sont pas les représentants de l'Etat, ils reflètent la France multiconfessionnelle.

Les enseignants sont, eux, les représentants de l'Etat et ils doivent respecter ce principe de neutralité et de laïcité. Cependant, les programmes d'enseignement sont obligatoires pour tous les enfants, et l'on ne peut proposer des cours à la carte selon les différences religieuses. Or, dans votre projet, monsieur le ministre, rien n'est dit sur l'obligation de participer à tous les cours et à toutes les activités proposées dans le cadre scolaire.

De même, je vous rappelle que c'est sur la liberté religieuse que se sont construites les démocraties. C'est pourquoi la laïcité n'est en rien antireligieuse, en accord avec l'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Elle s'est imposée comme une garantie de neutralité des pouvoirs publics et de respect des croyances.

La laïcité ne doit pas exclure, elle doit intégrer. Elle doit permetre « le renforcement de la cohérence et de la fraternité entre les citoyens, l'égalité des chances, le refus des discrimations, l'égalité entre les sexes et la dignité de la femme », selon les propres termes de M. Chirac.

Or la loi que vous nous proposez, monsieur le ministre, est une loi d'exclusion. Elle pose un faux problème : libérer de l'aliénation dont elles sont victimes certaines jeunes filles par leur exclusion. Autrement dit, on les fustige pour le mal dont on veut les guérir. Et, à quelques jours de la Journée de la femme, l'égalité homme-femme, pierre angulaire de toute société démocratique et sociale, n'est toujours pas une réalité.

Cette loi sur la laïcité, laïcité qui reste le remède de toutes les discriminations, aurait pu marquer la lutte pour l'avancement et la protection des droits économiques, sociaux et culturels de la femme. Or cette loi, loin de mettre fin à l'oppression et à la domination dont sont victimes les femmes voilées et toutes celles qui sont victimes d'un intégrisme religieux, quelle qu'en soit la confession, va les abandonner à leur triste sort !

L'enfermement du débat occulte donc les vraies questions : les discriminations et le repli identitaire qui en découle, le sentiment de rejet dont souffrent tous ces jeunes issus de l'immigration, le chômage, la précarité, l'exclusion.

Vous avez donc péché, monsieur le ministre. Est-ce par paresse ou par lâcheté ? La laïcité ne peut, en effet, se résumer à l'exclusion. Elle doit être accompagnée d'une véritable politique d'intégration et d'information.

Malraux disait : « Le problème religieux redeviendra capital à la fin du siècle. » Comme il avait raison ! Mais le retour du religieux n'est pas une cause en soi, c'est un symptôme en réaction à un matérialisme qui n'a pas tenu ses promesses. L'ennemi de la laïcité, c'est bien, en grande partie, le fléau social, conséquence directe du capitalisme libéral en vigueur actuellement.

Le respect de la laïcité pose la question des engagements publics et individuels contre les maux que j'évoquais tout à l'heure, les discriminations, le chômage, la précarité, l'exclusion. Ces maux sont bien plus délétères pour le pacte républicain.

Je vous rappelle que le rapport du CERC, le conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, évaluait à plus d'un million le nombre d'enfants vivant en France sous le seuil de pauvreté, soit près de 8 % de l'ensemble des enfants. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes !

Le respect de la laïcité pose aussi la question de l'information de nos concitoyens sur ses enjeux. A ce titre, je regrette que vous n'ayez pas repris les propositions de la commission Stasi, notamment celles qui proposaient de faire de la laïcité et de l'histoire des religions un thème majeur de l'instruction civique.

Il aurait été également intéressant de proposer des cours à ces jeunes issus de l'immigration, mais aussi à tous nos jeunes, sur l'histoire de leur pays, de leurs traditions, riches de nombreux philosophes, poètes, mathématiciens, afin de connaître mieux leurs origines et de leur permettre ainsi de renouer des liens avec la République. Leur a-t-on seulement appris la laïcité ? Connaissance et reconnaissance des uns par les autres constituent un préalable à l'intégration véritable. Ces mesures auraient sans nul doute donné plus de crédibilité à votre volonté affichée de conforter les valeurs de la République : Liberté, Egalité, Fraternité.

Par ailleurs, votre loi, monsieur le ministre, est une loi de circonstance. Elle est incomplète et n'est en rien laïque.

Vous vous évertuez à vouloir donner l'illusion aux enseignants que cette loi résoudra leur problème. Mais comment mesurer l'ostensible, à moins de fournir aux chefs d'établissement des détecteurs de tous les signes religieux, y compris ceux de nombreuses sectes dont on ne sait pas toujours comment les identifier ? On ne peut envisager qu'ils ne prohibent que les foulards islamiques : ce serait illégal et choquant. Ou alors, votre loi est une loi d'exception, construite sur mesure autour du voile islamique ! Aussi, la terminologie choisie pèsera encore lourd dans les décisions des chefs d'établissement.

En outre, cette loi aura des conséquences sur le droit à l'éducation, exigence fondamentale de justice sociale. En effet, votre texte, monsieur le ministre, ne prévoit aucune mesure de suivi de ces jeunes, définitivement exclus. Or il appartient à l'éducation nationale de reclasser ces enfants exclus ! La Déclaration universelle des droits de l'homme affirme : « Toute personne a droit à l'éducation. » De plus, elle dispose que cette éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental.

La Déclaration dispose également que l'éducation doit être orientée vers le plein épanouissement de la personnalité humaine et conforter le respect des droits humains. Aussi, je serais curieuse de connaître l'avis du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme sur votre loi, monsieur le ministre. Le droit à l'éducation n'est lui non plus pas négociable !

Par ailleurs, vous infligez aux jeunes filles contraintes de porter le voile, déjà victimes, « une double peine », alors qu'elles pouvaient espérer avoir, au sein de l'école, un espace de liberté, d'expression et d'apprentissage leur permettant ainsi d'être en mesure de faire un jour leurs propres choix d'existence.

Dans le même temps, le ministre de l'intérieur met en avant les littéralistes de l'islam, dont on sait pourtant qu'ils prônent un islam des plus rigoristes ! En matière d'incohérence, ce gouvernement aura atteint le paroxysme !

Mais peut-être vous importe-t-il seulement de balayer le problème d'un simple revers de main, sans vous préoccuper des conséquences de cette loi, qui, j'en reste convaincue, loin d'unir nos concitoyens, contribuera au développement du communautarisme et des affrontements identitaires, car, in fine, c'est une loi qui stigmatise, et certains jeunes, jusqu'ici peu religieux, se rallieront par solidarité et par sursaut identitaire. Elle servira aussi les extrêmes religieux, qui souhaitent polariser la société française autour de leur version rigoriste de la religion.

Enfin, c'est une loi incohérente et injuste, car de nombreux collèges et lycées logent des aumôneries, et elle ne s'étend pas aux établissements privés sous contrat. L'école publique apparaît donc intolérante et l'école privée accueillante.

Aussi, dans un souci de cohérence, j'ai déposé avec quelques sénateurs de mon groupe un amendement tendant à élargir le texte aux établissements privés sous contrat.

Je ne peux m'empêcher de citer une autre attaque à la laïcité, plus sournoise et rarement dénoncée : l'invasion marchande au sein de l'enceinte scolaire, dont votre loi fait fi.

Enfin, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette loi est incomplète et équivoque. La preuve en est qu'elle divise tous nos concitoyens. Je pense que personne ici ne pourra me contredire, puisque la majorité d'entre nous a longuement hésité avant d'acter son vote.

Je me trouve également dans cette situation, devant un dilemme cornélien, car je suis persuadée qu'une loi est nécessaire pour renforcer les piliers de la République, surtout en ces jours marqués par le retour en force des intégristes religieux, et, en conséquence, par une régression des conditions de vie de nombreuses femmes.

Mais votre loi, monsieur le ministre, ne va en rien renforcer ces piliers, car elle entretient l'illusion d'une intégration qui fait partie de la pire démagogie, qui cherche à gommer les diversités et aggraver les exclusions.

Pourquoi, à la veille du centenaire du pacte républicain de 1905, n'avez-vous pas engagé un grand débat sur la laïcité qui aurait permis d'aboutir à une loi accomplie et de faire ainsi du XXIe siècle le siècle laïc ?

Aussi, après de multiples hésitations, pour la laïcité, pour le droit des femmes à chaque moment de leur vie, contre la montée des intégrismes, je voterai contre cette loi qui, finalement, n'a rien de laïque.

M. le président. La parole est à Mme MoniqueCerisier-ben Guiga.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me sens bien vieille ce soir. Je me sens bien vieille, parce que, pour moi, ce débat a trente ans, et j'ai l'impression de revivre des jours très sombres, ceux des années soixante-quinze, l'époque à laquelle j'enseignais dans un lycée confessionnel tunisien - ils sont tous confessionnels en Tunisie : donc, je n'avais pas le choix ! - et où mes élèves étaient soumis à la propagande fondamentaliste à laquelle sont soumis les enfants musulmans de France aujourd'hui et à laquelle mes propres enfants étaient alors soumis.

Je peux donc parler vraiment en connaissance de cause, et je dois vous dire qu'il est des naïvetés que je supporte mal. L'offensive à laquelle nous assistons actuellement, c'est exactement l'offensive dont nous avons été victimes en Afrique du Nord au cours des trente dernières années. (M. le ministre acquiesce.) C'est l'offensive du wahhabisme saoudien, financé par l'Arabie saoudite, pour déstabiliser le monde musulman, c'est l'offensive de la théocratie contre les républiques.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Absolument !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Le port du voile par des filles à l'école est le signal du début de l'offensive dans tous les pays attaqués, la France comme les autres. Alors, ne soyons pas naïfs, ne nous voilons pas la face, n'avançons pas masqués comme les tartuffes que nous avons en face de nous et qui sont aussi dangereux pour l'islam et la République française que l'était l'odieux personnage créé par Molière pour le christianisme et la monarchie en son temps. D'ailleurs, ils se reconnaissent tellement bien dans Tartuffe qu'il ordonnent aux lycéens de refuser d'étudier cette oeuvre impie : j'ai connu cela, moi, en Tunisie, il y a plus de vingt-cinq ans !

Plusieurs problèmes sont posés aujourd'hui. Le premier est de savoir quelle est la capacité de la République française à faire enfin leur juste place aux musulmans, qu'ils soient pratiquants ou non, en France.

Le deuxième, c'est la capacité des musulmans de France et de toute notre société à résister victorieusement à cette offensive obscurantiste qui vise, tout comme le Front national, à empêcher les musulmans de France, qu'ils soient étrangers ou non, d'être ou de devenir réellement des citoyens français comme les autres. (M. le ministre acquiese.) Cela, les fondamentalistes n'en veulent pas : pour eux, il faut à tout prix l'éviter.

M. René-Pierre Signé. C'est excellent !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Soyons clairs, la France est loin de faire sa juste place aux musulmans. Des milliers de citoyens et d'étrangers établis chez nous sont privés de la possibilité de pratiquer leur religion dans des conditions décentes.

Les chrétiens ont connu le temps des catacombes. En France, de nos jours, le culte musulman sort tout juste des caves ! C'est pour les musulmans le temps de la relégation dans des quartiers ghettos, dont les écoles sont en proie à une crise de légitimité académique et sociale.

Dans la France d'aujourd'hui agissent donc normalement les mêmes facteurs de perméabilité à la propagande fondamentaliste islamiste que dans l'ensemble des sociétés où vivent des musulmans.

De même que la modernité est progressivement devenue un mirage pour des peuples abusés par des dirigeants despotiques, et parfois corrompus jusqu'à la kleptocratie, dans toute l'aire musulmane - à commencer par l'Asie, le Pakistan, l'Indonésie -, de même trop de musulmans en France se heurtent à un mur de verre dès lors qu'ils veulent être citoyens libres et égaux de notre République, dans leur vie quotidienne comme dans le travail, les loisirs, le logement, la vie sociale et civique.

Je n'ai pas oublié que mes propres filles ont dû, pour trouver un petit appartement quand elles étaient étudiantes à Paris, inscrire sur les documents leur prénom français et gommer leur prénom tunisien, parce qu'avec ce dernier les appartements n'étaient jamais libres !

Ces causes, évidemment, produisent les mêmes effets en France que dans tous les pays musulmans : pour les exclus du sud de la Méditerranée comme pour ceux de notre rive, la modernité se révèle trop souvent un leurre qui ne leur offre aucun des progrès matériels et moraux annoncés. C'est pour eux un discours de privilégiés à l'usage des exclus, destiné à les tromper.

Alors, ils entendent Saïd El Qotb et tous les faux prophètes qui prétendent leur révéler l'islam pur des origines - qui n'a jamais existé - avec des réponses simples à leurs interrogations spirituelles et des règles claires pour organiser leur vie privée et sociale.

Pour que la République laïque et les musulmans orthodoxes de France luttent victorieusement contre le fondamentalisme musulman, celui qui fait de la vie en Arabie saoudite un enfer - je peux le dire, parce que je suis une femme et que j'ai été contrainte de porter l'abaya comme tout le monde -, il ne suffit pas d'interdire le port d'un signe religieux à l'école : il faut rétablir, dans la réalité, l'égalité en droits et en dignité pour tous ceux qui habitent notre pays, sans distinction de religion.

En effet, d'autres fondamentalismes religieux et politiques attendent que notre propre trahison des idéaux républicains - et, depuis l'époque coloniale, il y a eu trahison des idéaux républicains -, en ce qui concerne les musulmans, fasse le lit de leur propre totalitarisme.

Cela dit, les circonstances me paraissent commander le vote d'une loi claire qui interdise le port de tout signe d'appartenance religieuse. Et, en tant que littéraire, je sais que les adjectifs et les adverbes sont toujours dangereux parce que source de contestations, mais nous verrons cela plus tard.

C'est au minimum à l'école publique qu'il faut interdire ces signes d'appartenance religieuse et, à titre personnel, je pense que les écoles privées conventionnées auraient grand intérêt, elles qui sont financées par l'argent du contribuable, à se conformer aussi à cette règle favorable à la coexistence de tous leurs élèves. Elles aussi n'ont pas à discriminer leurs élèves sur une base religieuse, même si, dans leur caractère propre, il y a un élément religieux. (M. Michel Dreyfus-Schmidt applaudit.)

Il faut interdire le port de signes religieux pour marquer une première résistance à tous les fondamentalismes. Il faut le faire, en ce qui concerne le voile, pour que puisse continuer à se développer en France un islam novateur, débarrassé des scories d'un passé révolu, des lectures littérales et sélectives du Coran, dont les fondamentalistes ne gardent que ce qui est répressif en laissant soigneusement de côté les sentences libératrices.

Pendant les trente ans où j'ai vécu dans une famille musulmane en Tunisie, j'ai toujours entendu : « Point de contrainte en religion », sentence figurant de nombreuses fois dans le Coran, que ce soit dans les sourates médinoises ou dans les sourates mecquoises.

« Point de contrainte en religion », c'est un élément fondamental de l'islam.

J'ai aussi vu pendant trente ans mes proches, ma famille ou mes amis pratiquer un islam de spiritualité, de charité, tolérant et conforme aux cinq commandements : la profession de foi, la prière, la charité, le jeûne de ramadan et, si possible, le pélerinage à La Mecque, l'islam qu'un grand historien, Mohamed Talbi, décrit dans son Plaidoyer pour un islam moderne.

Quid du port du voile dans tout cela ? Eh bien ! le port du voile n'est pas un commandement coranique. Seules les femmes du prophète, pour protéger leur beauté, devaient porter un voile parce que le soleil ou le vent du désert nuisaient à leur teint ! (Sourires.) A part cela, il n'en est question que dans les hadith, tradition orale souvent douteuse et sans aucune valeur contraignante.

Voilà qui est bien ennuyeux pour les bigots qui prétendent parler au nom de l'islam en France aujourd'hui ! Oui, il y a cinq commandements dans l'islam, il n'y en a pas six ! L'islam ne demande pas que l'on voile les femmes, et encore moins les petites filles impubères. Ce sont les sociétés patriarcales qui l'exigent, quelle que soit la religion, comme les sociétés chrétiennes siciliennes ou grecques d'il y a vingt ans, car il faut marquer ses femmes pour préserver son droit de propriété sur elles et préserver les intérêts patrimoniaux des hommes du clan : en effet, les femmes emportent leur part d'héritage avec elles, et c'est cela qu'il faut éviter !

Quoi de mieux maintenant, en France, que cette exigence envers les fillettes et les jeunes filles pour s'attirer les faveurs de pères et de frères aînés nostalgiques du patriarcat ? Quoi de plus anodin et contre quoi une société démocratique ne pourra guère s'élever ? Vous les voyez, ces patelins qui avancent masqués, les tartuffes !

Nos tartuffes sont nourris de pétrodollars et de livres sterling du « Londondistan ». Il ne faut pas oublier que nos amis anglais hébergent depuis vingt-cinq ans les commanditaires de la plupart des attentats qui se sont produits dans le monde musulman, et que ce sont les musulmans qui ont payé le plus lourd tribut à ce terrorisme. Nos tartuffes se contentent pour l'instant d'un petit voile à la sainte Thérèse. C'est émouvant ! Ils mettent gentiment un moratoire sur la lapidation de la femme adultère.

Mais cessez de parler de l'islamisme sans évoquer ses maîtres à penser ! Quand on parlait du léninisme et du stalinisme, on citait Marx ! Lisez donc Saïd El Qotb, Hassan El Banah - l'inconvénient est qu'ils ne sont guère traduits en français - et vous comprendrez que leurs cibles réelles exposées dans leurs écrits sont la liberté individuelle, l'égalité des citoyens dans la République, la séparation de la religion et du politique, et, enfin, la démocratie.

Ce qui est important, ce n'est pas le signe religieux, mais ceux qui se cachent derrière. Notre responsabilité en France, c'est de comprendre que tout se passe aujourd'hui pour les malheureux musulmans comme si l'Eglise de l'Inquisition ressuscitait et tentait ni plus ni moins de prendre le pouvoir au Vatican. (M. le ministre acquiesce.) Nous devons soutenir la résistance de la majorité des musulmans, et en particulier des musulmans de France, face à cette régression, ne pas nous en faire complices par ignorance, libéralisme et naïveté totalement déplacés.

M. Charles Gautier. Bravo !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. En agissant ainsi, nous serons fidèles aux valeurs de la laïcité. Elle libère les religions de la férule de leurs extrémistes si prompts à la manipulation politicienne et, à cet égard, je vous renvoie au dénouement de Tartuffe.

Nous le devons aussi parce que la France a des lois contre la maltraitance des enfants et que le port du voile, imposé - et comment savoir s'il n'est pas imposé ? - à des fillettes mineures, est une forme de maltraitance, comme le dit très justement Chahdortt Djavann qui l'a porté sous la menace du fouet pendant dix ans en Iran. Que les femmes adultes se voilent de la tête aux pieds et portent l'abaya ou la burqa en France si elles le désirent ; la France n'a rien à y redire, car elles sont libres de se marginaliser totalement. Mais les filles mineures ont droit, elles, à la protection de l'Etat.

M. Charles Gautier. Très bien !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Enfin, nous devons résister à cette offensive pour qu'aucun autre extrémisme religieux, et en réalité politique, faisant état des concessions faites à l'un d'eux, ne viole les règles de l'école républicaine et, au-delà, celles de la République.

Cette loi, pour moi, n'est qu'un premier jalon dans le renforcement de la dignité de l'école républicaine.

Lors de la future loi d'orientation sur l'école et, plus largement, à l'occasion du centenaire de la loi de 1905, il faudra avoir la ferme volonté de rendre à l'école ses vertus libératrices, face aux croyances imposées - et c'est bien mon seul point d'accord avec la collègue qui m'a précédée à cette tribune - mais encore plus face au matérialisme de la société française. Pour moi qui ai vécu trente ans dans un pays pauvre, le matérialisme de la société française me paraît écrasant. La société française, comme l'ensemble des sociétés développées, est asservie à une dictature du profit qui sape ses principes fondamentaux, ceux de la République, et qui, un jour ou l'autre, finira par l'affaiblir totalement face à un nouveau totalitarisme.

L'Europe a connu quelques totalitarismes. Je ne voudrais pas que, par lâcheté et par matérialisme, tout autant que par négligence intellectuelle, nous fassions le lit d'un autre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, de l'Union centriste, du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UMP.)

M. René-Pierre Signé. C'est du vécu !

M. Charles Gautier. De l'authentique !

M. le président. La parole est à M. Philippe Richert.

M. Philippe Richert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai écouté avec attention les interventions souvent passionnées qui se sont succédé à cette tribune depuis le début de cet après-midi et - pourquoi ne pas le dire ? - je suis heureux de la tonalité qui s'en dégage, du sentiment qui émergent que nous discutons dans cette enceinte de quelque chose d'essentiel et de consubstantiel à la République : la laïcité.

Si nos propos trouvent une telle résonance, si des convergences s'établissent bien au-delà des clivages habituels, c'est que chacun reconnaît que le débat qui s'est engagé dans notre pays et qui mobilise aujourd'hui le Sénat répond à une véritable urgence, à une situation de crise trop souvent ignorée ou dont la gravité a été minimisée.

Oui, la dérive communautaire existe ! Oui, l'égalité homme-femme est régulièrement bafouée et des filles subissent tous les jours des atteintes inacceptables à leurs droits et libertés ! Oui, la violence intégriste et son cortège de racisme et d'antisémitisme s'installent ! Oui, notre modèle d'intégration a montré ses limites.

Je voudrais souligner la justesse de la démarche du Gouvernement qui non seulement a décidé de porter le fer contre ces cancers venant ronger les fondements de notre République, mais qui a su également choisir une démarche qui nous permette de nous extraire des éternels clivages qui, sinon, auraient nui à la sérénité et à la qualité du débat.

Cependant, au-delà de l'adhésion quasi générale au présent projet de loi, restent posées des questions qui méritent d'être abordées et que je passerai rapidement en revue.

Première remarque : soyons réalistes, ce n'est pas le vote de la loi qui réglera du jour au lendemain les situations de tension dans les établissements scolaires. Il me semble essentiel que chaque école élabore un projet d'établissement, véritable recueil des règles du « vivre ensemble ». Il appartiendra à la communauté éducative, avec le chef d'établissement comme pilier, d'organiser et de faire respecter les principes de cette vie communautaire.

Ainsi, suivant les établissements, les règles pourront être adaptées aux situations locales, car il faudra aussi éviter que des filles, notamment musulmanes, ne se trouvent orientées vers des établissements privés où elles seraient encore davantage soumises aux règles, le cas échéant, intégristes.

Voilà pourquoi il me semble important de réorganiser nos établissements autour d'un projet. Certes, de tels projets d'établissement existent déjà, mais ils sont un peu trop administratifs. Il doit s'agir de véritables projets d'organisation des règles de vie en société auxquels l'ensemble de la communauté éducative devra adhérer.

Cette nouvelle pratique dans les établissements sera facilitée par l'encadrement que le projet de loi vise à fournir, et l'obligation de la concertation avec le jeune, le cas échéant, s'inscrira tout naturellement dans ce projet d'établissement.

Deuxième remarque, nous avons tous eu l'occasion de rappeler le sens du terme de laïcité : la séparation des Eglises et de l'Etat, le refus du prosélytisme religieux, la neutralité de l'Etat et l'indépendance des Eglises. Mais nous devrons aussi veiller à ne pas confondre laïcité et négation du droit à la différence, à l'expression personnelle. Il nous faut autant nous garder de la société qui serait une mosaïque de communautés, que de l'uniformisme réducteur de libertés individuelles.

Veillons à ce que la résolution de la question du voile, posée par des extrémistes notoires, ne porte pas atteinte aux pratiques modérées et respectueuses d'autrui qui n'ont jamais dérangé personne.

Troisième remarque : ce texte que nous allons adopter, sans doute à une très large majorité, ne doit pas nous dispenser d'une réflexion et d'une action plus larges. La mixité sociale et le développement dans les quartiers sensibles, l'adaptation de notre modèle d'intégration aux réalités de notre société, la facilitation de l'exercice du culte par les musulmans sont autant de défis que nous devons relever sans retard.

Il est juste d'imposer des règles strictes quant au respect de la laïcité. Mais elles seront d'autant mieux comprises et acceptées qu'elles s'accompagneront de mesures facilitant l'intégration.

Pour conclure, j'évoquerai brièvement à mon tour les lois locales d'Alsace-Moselle. J'ai été sensible aux assurances qui nous ont été données et qui confirment que le présent projet de loi sur le principe de laïcité à l'école ne remet pas en cause et ne fragilise pas les lois locales. Ces dernières sont particulièrement appréciées par la population et ont toujours permis une application de la laïcité qui respecte les règles de neutralité, d'indépendance et de liberté de pensée. Il faudra veiller à ce que les modifications apportées à la loi nationale ne portent pas en germe une atteinte à ces fondements de la loi locale.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous vivons ce soir et pendant ces quelques jours des moments exceptionnels de communion et d'ambition pour une France plus solidaire, plus intégratrice, plus juste, pour une école accueillante et une jeunesse épanouie.

Soyons conscients que, avec le vote de ce texte, un pas important aura été franchi. Il faudra qu'ensemble nous poursuivions sur cette route et que nous continuions d'accorder à ces sujets la même attention et le même enthousiasme que nous retrouvons ce soir sur toutes les travées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, c'est après mûre réflexion que je m'apprête à voter ce projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, et bien consciente du caractère insuffisant, parcellaire de ce texte et des arrière-pensées possibles de ses concepteurs.

Mais si l'opportunité d'une loi pouvait faire question, reculer aujourd'hui serait donner raison à ceux qui utilisent la démocratie et les lois de la République pour mieux les combattre.

Depuis que la question a fait irruption pour la première fois dans le débat public, en 1989, bien après l'arrivée de populations originaires de pays où la religion musulmane est dominante, je n'ai cessé de m'opposer au port du foulard dit « islamique » à l'école et de penser que cette pratique devait y être proscrite.

Le voile imposé à certaines jeunes filles est peut-être une prescription religieuse ; il est avant tout le symbole, le plus souvent revendiqué comme tel par ses promoteurs, ses exégètes devrais-je dire, de l'inégalité entre les sexes, de la soumission des femmes, de la négation de leur droit à choisir leur vie, à assumer leur liberté, à disposer de leur corps.

Il participe activement d'une volonté de ségrégation, de discrimination. Des femmes se battent, sont agressées, sont assassinées dans le monde, parce qu'elles refusent de le porter : nous ne pouvons l'oublier.

Nous ne pouvons non plus nous méprendre, comme l'explique l'écrivaine iranienne Chahdortt Djavann : ce voile pour les petites Françaises est le même que celui dans lequel les mollahs enturbannés enferment les femmes en Iran, en Egypte et au Maghreb.

Citoyennes, nous nous souvenons de n'avoir acquis le droit de vote qu'en 1944, le droit de nous émanciper financièrement que dans les années soixante.

Nous pouvons d'autant moins tolérer cet appel à la subordination de la femme, à la régression démocratique et civilisationnelle au coeur même du lieu de la formation à l'esprit critique : l'école de la République.

C'est la première raison qui, presque viscéralement, m'amène à voter cette loi.

L'édifice législatif actuel aurait peut-être pu suffire à interdire le voile à l'école et à nous épargner ce débat empoisonné qui, depuis des mois, a contribué à dresser une tribune aux propagandistes du voile.

Mais maintenant que ce débat a eu lieu, il faut le clore en toute clarté.

C'est le manque de fermeté de la part des gouvernements successifs, la jurisprudence hésitante de l'avis du Conseil d'Etat de 1989 qu'il faut corriger. Il est essentiel que soit réaffirmée la norme républicaine. A ce titre, le voile ayant une signification dépassant une éventuelle affirmation religieuse, je considère qu'il doit être interdit de la même façon dans les établissements scolaires privés, confessionnels ou non.

Ce projet de loi ne le prévoit pas. C'est une lacune majeure.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Voilà !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Je sais que les motivations des jeunes filles qui voudraient porter le voile à l'école sont diverses, mais il est irresponsable d'y voir une manifestation de la liberté individuelle qu'il faut respecter. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)

S'il se trouve des jeunes filles, en crise d'adolescence, qui portent le voile uniquement par effet de mode, ce dont je doute, cela leur passera avec la loi. Un point, c'est tout ! Ce qui importe, c'est de protéger celles à qui on veut l'imposer.

La loi aidera l'éducation nationale à affranchir les plus nombreuses de la pression d'un entourage induit à confondre tradition et maintien de pratiques rétrogrades.

Si, comme c'est parfois le cas paradoxalement, certaines jeunes filles trouvent refuge dans l'extrémisme religieux, dans la servitude volontaire pour échapper à cette pression quotidienne parfois violente, l'école ne peut pas accepter cette impasse dangereuse.

Enfin, concernant la petite minorité de jeunes activistes endoctrinées, capables à treize ans de réciter par coeur la jurisprudence du Conseil d'Etat, notre devoir de républicains est de combattre l'idéologie sectaire des individus qui les manipulent. Nous serions naïfs de ne pas voir leur ombre derrière l'ensemble du phénomène.

M. Charles Gautier. Très bien !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Certains objectent aussi qu'on ne peut accepter une loi qui risque d'exclure.

Je crois plutôt que, dans la majorité des cas, elle va protéger.

L'exclusion, c'est le port de ce hidjab qui, pour reprendre la traduction littérale, « met physiquement derrière un rideau » les cheveux, les oreilles, le cou des jeunes filles et entend les isoler moralement de l'apprentissage de l'esprit critique qui est à la base de l'enseignement laïque.

L'immense majorité des jeunes filles, des femmes originaires de pays musulmans, des musulmanes, des musulmans aussi, le refusent.

Devant l'offensive, dont nous ne pouvons plus ignorer la réalité, d'un islamisme politique qui sait se jouer de la détresse sociale et des attaches culturelles pour répandre son idéologie faite d'intolérance et de sexisme, la réaffirmation officielle de la norme à l'école ne peut que les renforcer dans leur résistance.

Les « affaires » de voile doivent cesser de fournir un instrument politique à l'islamisme organisé. Elles doivent aussi cesser d'alimenter les provocations à l'encontre de l'éducation nationale, de la laïcité. Je refuse de tolérer l'intolérable.

Oui, il fait partie de la mission pédagogique de la communauté éducative d'expliquer à chaque jeune fille, en prenant tout le temps nécessaire, ce que sont les valeurs communes d'égalité, de liberté, de « vivre ensemble » que l'école laïque se doit de transmettre.

Non, il est inacceptable - et je comprends l'exaspération des enseignants et des chefs d'établissement - d'avoir à « négocier » sur le dos des enfants avec des lobbys islamistes fortement organisés.

La loi risque-t-elle, vise-t-elle même à « stigmatiser » les personnes originaires des pays musulmans ? Il m'est inconcevable, en tant que militante antiraciste, de reprendre à mon compte l'assimilation d'une partie de la population de notre pays, française ou étrangère, à une religion et, encore moins, l'assimilation de cette religion à un courant politique extrémiste qui s'en réclame.

Permettez-moi d'abord une remarque. La nation française est indivisible et n'est donc pas divisible en religions réelles ou supposées. C'est pourquoi je refuse catégoriquement l'utilisation du vocable « Français musulman ». Il porte en lui-même une idée de ségrégation. Vous viendrait-il à l'esprit, mes chers collègues, de vous classer en Français catholiques, Français protestants, Français juifs et, si par hasard on ne les oubliait pas, Français athées ? Non, bien sûr ! Alors pourquoi devrait-on faire cette distinction pour certains de nos concitoyens, comme à la plus belle époque de l'Algérie française ?

Oui, c'est indéniable, la loi vise prioritairement le port à l'école du voile dit « islamique », dont la prescription a d'ailleurs toujours été très contestée parmi les musulmans.

Oui, il est également indéniable que les Français et les étrangers vivant en France originaires des pays musulmans sont souvent les premières victimes de l'exclusion sociale, de discriminations multiples, du chômage, du mal-logement, de vexations policières, du racisme...

L'injustice sociale et les discriminations nourrissent les replis communautaires et constituent le terreau de la poussée islamiste. S'attaquer résolument aux causes est primordial, et c'est l'une des raisons d'être de mon engagement politique. Cela ne peut pas nous exempter de combattre aussi les effets quand ils remettent en cause des acquis comme l'égalité des sexes ou le principe de laïcité.

J'ai peu abordé jusqu'à présent le concept de laïcité, acquis historique de notre peuple depuis la Révolution et la séparation des Eglises et de l'Etat, considérant que le voile n'est pas principalement un signe religieux.

M. Charles Gautier. Très bien !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Je ressens néanmoins la nécessité de quelques rappels dans ce débat.

Non, la laïcité, ce n'est pas l'oecuménisme, la neutralité bienveillante de l'Etat envers toutes les religions.

Profondément athée, je me retrouve dans les luttes sociales en parfait accord avec des croyants, des prêtres ouvriers parfois, des musulmans très souvent. La liberté de conscience doit être totale dans notre pays, et je serai la première à la défendre.

Mais la laïcité, c'est la séparation stricte entre l'espace public, la vie de la cité et la religion ramenée à son seul domaine : la spiritualité dans la sphère privée. L'acquis historique de 1905, presque unique dans le monde, c'est d'avoir remis les religions et leurs clergés à leur place et d'avoir coupé court à leurs prétentions politiques dans le siècle.

Monsieur le ministre, je tiens à le dire pour conclure, je ne vous fais pas confiance pour défendre la laïcité et pour appliquer fermement cette loi, sachant que les mots « ostensible » et même « signe » prêtent à interprétations diverses.

Si vous vous faites passer habilement aujourd'hui pour les protecteurs de la laïcité, rappelons que le ministre de l'intérieur a fait complaisamment la publicité d'un théologien obscurantiste qui s'évertue à justifier la lapidation des femmes et qui a donné une place institutionnelle à une organisation ouvertement intégriste.

Monsieur le ministre, votre politique affaiblit l'école laïque, ce formidable outil d'intégration et de cohésion nationale. C'est notamment le cas quand vous fermez des centaines de classes, quand vous supprimez des milliers d'emplois, quand vous encouragez l'intrusion dans les lycées du monde de l'argent avec ce jeu d'initiation à la bourse, promu par une banque : les « masters de l'économie ».

L'ensemble de la politique du Gouvernement - sa politique de ségrégation urbaine, de casse des services publics et des acquis sociaux, son idéologie de promotion de l'intérêt privé contre l'intérêt général - ne fait qu'élargir la fracture sociale, reculer les valeurs républicaines, dont la laïcité, et fait le jeu des communautarismes.

C'est donc sans vous donner quitus sur rien, monsieur le ministre, que je voterai cette loi, qui n'est, pour le Gouvernement, qu'une loi de circonstance, mais qui est pour moi un outil devenu nécessaire de la défense de l'égalité des sexes, de la liberté de conscience et des valeurs républicaines. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Yolande Boyer.

Mme Yolande Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, fallait-il une loi ou pouvait-on se contenter d'une circulaire ? Comme la plupart d'entre nous, j'ai hésité, mais, aujourd'hui, je suis persuadée qu'il est important pour la représentation nationale de participer à ce débat. Je vais l'exprimer autour de deux idées.

La première est de réaffirmer que nous avons la chance, et nous devons en être fiers, de vivre dans une République laïque. Nous sommes d'ailleurs pratiquement les seuls au monde. Aucun pays n'a poussé aussi loin la logique de séparation de l'Etat et des Eglises.

Ce moment privilégié du débat nous permet de rappeler haut et fort à ceux qui prétendent diriger le monde, avec leur morale à eux, qui prétendent détenir la clef de ce qui est bien ou de ce qui est mal, que la République laïque, à travers sa devise « Liberté, Egalité, Fraternité », doit permettre de « vivre ensemble ».

Car les principes de laïcité et de liberté de conscience sont tous deux constitutionnels. C'est cela notre richesse : l'art de vivre ensemble, quand on se trouve avec des gens de toutes convictions et non plus seulement avec les porteurs de mêmes certitudes.

La République permet à des citoyens de culture et de confessions différentes de vivre ensemble. Elle permet à des croyants et à des non-croyants de vivre ensemble, car, dans une République laïque, la foi ne peut se substituer à la loi.

Il est temps de réaffirmer ce principe face à certaines dérives et tentatives de milieux extrémistes. Il est temps de dire « stop », de réaffirmer le libre arbitre ; la loi le permet.

L'idéal de laïcité est, bien sûr, attaché à l'idéal de l'école publique, qui doit être à la fois émancipatrice et pourvoyeuse d'égalité des chances.

Cela m'amène à la deuxième idée que je vais développer et qui constituera l'essentiel de mon propos, à savoir l'émancipation et l'égalité des chances entre filles et garçons.

En effet, ne nous voilons pas la face - c'est vraiment le cas de le dire ! -, cette loi qui concerne les signes religieux a trait avant tout au port du voile.

Quel est le rôle de l'école de la République ? Elle doit former des esprits libres et aptes au jugement autonome. Elle doit former l'esprit critique, privilégier l'universel au particulier. L'école accueille des jeunes qui se construisent, et il est impératif que rien ne les distingue les uns des autres, que rien ne différencie garçons etfilles.

C'est clair : le port du voile est un signe de soumission, un refus de laisser s'exprimer la féminité. Le voile cache la chevelure, qui est pour la femme un symbole de sa féminité, donc de son identité et de sa dignité. Bien plus, ce voile inculque aux très jeunes filles le fait qu'elles sont inférieures aux garçons, que leur corps doit être caché, qu'il ne leur appartient pas.

Comment faire comprendre à des garçons et à des filles qu'ils sont égaux, que l'égalité des sexes est une réalité, s'ils vivent exactement le contraire sur les bancs d'une même classe ?

Pourquoi les filles seraient-elles traitées différemment de leurs frères ? Quelle explication rationnelle donner à cela ? Je reprendrai les paroles de Chahdortt Djavann dans son livre Bas les voiles !, et elle sait de quoi elle parle pour avoir été forcée de porter ce voile pendant dix ans : « Ce n'est pas au nom de la laïcité qu'il faut d'abord interdire le port du voile aux mineures à l'école, ou ailleurs ; c'est au nom des droits de l'homme et de la protection des mineurs. »

Quant à moi, je ne peux admettre que des petites filles intériorisent ainsi leur infériorité par rapport aux garçons. La loi doit permettre d'empêcher cela.

A ce moment de mon intervention, je tiens à rappeler que toutes les évolutions concernant le droit des femmes se sont faites contre les religions et contre leurs préceptes. Je suis convaincue que seule la loi peut affirmer, selon la formule célèbre, que « les femmes sont des hommes comme les autres ». (Mmes Monique Cerisier-ben Guiga et Gisèle Printz applaudissent.)

Que de chemin parcouru en France, en un peu plus d'un demi-siècle, concernant l'égalité des droits : les droits économiques, sociaux, politiques, le droit au travail, le droit à disposer de son corps.

Il n'y a pas si longtemps - voilà une vingtaine d'années -, une brochure éditée par le parti socialiste auquel j'appartiens s'intitulait Femmes, les immigrées de l'intérieur.

Nous revenons de loin, avec le code Napoléon qui date de 1804, et qui, voilà exactement deux cents ans, instituait l'incapacité juridique des femmes et les consacrait comme mineures. Il a eu la vie dure, ce code civil ! Impossible pour une femme, pendant très longtemps, de travailler, de disposer de son salaire et d'un chéquier, de travailler sans l'autorisation de son mari. Que de combats encore pour le droit à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse ! Enfin, que d'obstacles pour obtenir une loi sur la parité. Je vous renvoie à nos débats dans cet hémicycle.

Malgré les progrès bien réels, les inégalités persistent. Dans le domaine économique, à travail égal, le salaire d'une femme est inférieur en moyenne de 25 %. Le Président de la République semble découvrir le problème, si l'on en croit ses dernières déclarations.

Dans le domaine du droit à disposer de son corps, les tentatives d'instituer un délit d'interruption involontaire de grossesse ont échoué, je suppose provisoirement. Je suis certaine que d'aucuns reviendront à la charge.

Enfin, concernant l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs, la pratique met du temps à rattraper la loi. Il n'est qu'à regarder notre assemblée : la parité est bien loin d'être une réalité.

Malgré les combats qui restent à mener, les femmes ont conquis des droits. Mais rien n'est jamais acquis, et ce qui se passe actuellement dans les cités, cette radicalisation, ce pouvoir des grands frères, si bien dénoncés par Fadela Amara et le mouvement « Ni putes ni soumises », sont inacceptables et alarmants.

Le voile et sa réapparition à l'école et ailleurs est la partie visible de tout ce mouvement d'oppression. Au nom de l'égalité, nous devons dire : non, pas de lieu séparé pour les femmes ; non, pas de traitement différencié à l'hôpital ; non, pas de femmes voilées dans la fonction publique.

Le terme « hidjab », qui signifie en arabe « cacher », mettre derrière un « rideau », est terrible. Comme un certain nombre de mes collègues femmes sur toutes les travées de cette assemblée, j'ai en mémoire la rencontre que nous avons eue il y a quelques années avec des femmes afghanes. Nous avons « échangé », si l'on peut dire, avec elles, alors qu'elles étaient derrière ce qu'elles appellent elles-mêmes « leur grillage ». C'est terrible de parler à des personnes dont on ne voit pas le visage. Je me souviendrai toujours de l'immense émotion qui nous a toutes saisies lorsqu'elles se sont dévoilées.

Pour les femmes de tous ces pays, où leurs droits sont bafoués, de l'Algérie à l'Arabie saoudite, en passant par le Nigéria, le texte que nous allons voter doit être un signe d'espérance.

Pour en revenir à la situation en France, le voile n'est qu'un symptôme, parmi d'autres, des fractures qui menacent notre société. Il marque l'incapacité de l'école à intégrer, l'incapacité de la République à trouver des réponses à une crise sociale profonde qui marginalise des populations issues de l'immigration.

Il faut regagner le terrain perdu par la République en se battant pour le travail, pour le logement, pour une ascension sociale accessible à tous, contre les ghettos, contre toutes les discriminations. Ce sont les seules bonnes réponses à apporter à tous les fanatismes, à tous les communautarismes.

Quand l'ensemble de la population pourra compter sur la République pour assurer l'égalité de tous les citoyens et de toutes les citoyennes, la cohésion républicaineexistera.

Voilà cent ans exactement, le 3 mars 1904, Jean Jaurès s'exprimait déjà sur ce thème à l'Assemblée nationale. Je lui emprunterai ma conclusion : « La République française doit être laïque et sociale, mais restera laïque parce qu'elle aura su être sociale. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Thiollière.

M. Michel Thiollière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai le sentiment qu'il faut toujours saisir l'occasion de parler de la République. D'une certaine manière, c'est tout un symbole de le faire à cette première heure de la journée.

On ne doit jamais perdre une occasion de s'exprimer sur l'éducation et l'accueil dû aux jeunes qui fréquentent les écoles publiques de notre pays.

La discussion de cette loi, même si elle conclut une période intense de discussions, d'auditions, de consultations, de concertation et de dialogue, ne doit pas être pour autant une fin en soi. Au contraire, je la considère comme l'une des pièces fondatrices d'une nouvelle architecture républicaine. En s'appuyant sur le très large rassemblement qui s'opère pour voter cette loi, il faut en profiter pour échafauder l'architecture d'une République moderne et efficace.

Pour nous avoir donné cette occasion, je voudrais remercier le Président de la République et le Gouvernement.

Je souhaite donc que l'on puisse s'engager dans cette discussion qui contribue à la construction d'une nouvelle architecture républicaine avec enthousiasme, ambition et détermination.

Au premier niveau de cette architecture républicaine se trouve, bien entendu, l'homme.

Cela a souvent été rappelé dans ce débat la loi du 9 décembre 1905, dans son article 1er, dispose : « La République assure la liberté de conscience. »

Depuis près d'un siècle maintenant, chacun dans notre pays est donc garanti de pouvoir croire ou ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer la religion de son choix.

Cela a été souvent dit aussi, le problème majeur en tout cas, celui qui émerge le plus -, c'est, bien entendu, celui des jeunes filles ou des jeunes femmes voilées. On peut considérer qu'elles ont fait un choix religieux personnel, auquel cas il faut leur dire clairement que la République leur garantit de pouvoir faire ce choix. Mais il faut aussi leur dire que l'école laïque qui les accueille veut d'abord les voir selon leur personnalité, avant de les voir selon leur religion.

J'ai été professeur pendant quelques années dans des lycées de province et, lorsque j'avais des élèves devant moi, je n'avais pas envie de les connaître au travers de leurs convictions religieuses. Je souhaitais simplement saisir leur personnalité et les amener, au sein d'un groupe humain, à partager un certain nombre de valeurs, donc à évoluer selon les lois de la République.

Pour nombre de ces jeunes filles, il s'agit souvent d'un subterfuge qui leur permet d'échapper à une pression insoutenable du milieu dans lequel elles évoluent. L'un des observateurs de nos villes et de nos quartiers écrivait cette semaine : J'ai vu des jeunes filles porter le voile simplement pour rejeter la pression familiale ou les harcèlement sexuels dont elles sont l'objet.

Eh bien ! nous devons dire à ces jeunes filles que l'école laïque de la République est justement là pour leur offrir une ouverture, un espace de liberté, un lieu où l'on devient libre, adulte, citoyen, où l'on peut s'émanciper, et où l'on peut trouver le courage de dire « non ».

Au deuxième niveau de l'architecture républicaine, il y a, bien sûr, le citoyen.

S'intégrer à la République exige de tout individu réflexion et décision, afin de faire siennes des valeurs communes. Ce n'est plus une affaire privée, c'est une affaire publique. La personne devient citoyen. L'espace privé s'ouvre à la cité, à la République.

L'effort d'intégration consiste à dépasser sa personne, à aller au-delà de ses croyances, de ses convictions, à les surmonter pour consentir à un partage de valeurs. L'adhésion devient alors plus forte que la tentation du repli sur soi.

La République est bien là pour rejeter la pression extérieure du groupe qui peut détruire le citoyen pour le ravaler à un simple statut de sujet, voire d'instrument d'une volonté de prise de pouvoir.

Voilà quelques jours, Pierre-André Taguieff, philosophe, chercheur au CNRS, écrivait dans un grand journal : le militantisme des fondamentalistes musulmans recourt à la provocation calculée, instrumentalisant des adolescentes souvent de bonne foi.

Nous savons que c'est ainsi que cela se passe et nous ne devons pas nier l'évidence. La République est justement là pour dire que la personne est garantie dans sa liberté de conscience et que le citoyen est garanti dans sa liberté d'évoluer, selon ses souhaits, au sein de la République.

Après l'échelon de la personne et celui du citoyen, le troisième niveau de l'architecture républicaine, c'est, bien entendu, la Cité, c'est-à-dire la République.

Me souvenant que ce sont les Grecs qui nous ont légué ce beau mot de « laïc », je voudrais citer un passage d'une très belle tragédie d'Eschyle, Les Suppliantes, dans laquelle des jeunes femmes sont repoussées de leur pays et trouvent accueil sur une terre étrangère, en Grèce, où le roi les fait accepter par son peuple, facilite leur intégration, et, lorsque l'assaillant revient pour les ramener chez elles, le roi leur dit : « Prenez courage (...). Je suis votre protecteur et tous les citoyens aussi, car c'est leur décision qui s'exécute. »

Deux mille cinq cents ans plus tard, je crois que nous pouvons faire nôtre cet encouragement et nous en inspirer pour que la République soit garante de la protection de tous, et surtout aujourd'hui de ces jeunes femmes qui ont quitté leur pays et qui veulent vivre chez nous selon leur conscience. Et cela, nous le faisons au nom du peuple.

La Cité, la République sont organisées selon les lois, mais aussi - et cela est peut-être le plus important - selon une vision partagée de l'avenir et selon des idéaux de vie en commun. La République mérite qu'on lutte pour elle, mais elle demande aussi qu'on la fassevivre.

Reconnaissons qu'aujourd'hui nos compatriotes n'ont pas toujours une vision claire du chemin que nous devons emprunter. Les Français peuvent apparaître parfois comme un peuple en proie à la tentation des replis claniques ou communautaires. Bien entendu, il y a un risque de désintégration sournoise de la République.

Un vaste projet doit être engagé pour redéfinir les valeurs de la République. Que veulent dire et, surtout, comment garantir au quotidien et partout sur notre territoire la liberté, l'égalité et la fraternité, mais aussi des déclinaisons plus courantes telles que l'égalité des chances, le droit au travail, le respect, la tolérance, ou encore l'emploi, l'habitat et l'élitisme républicain ? Autant de termes que nous devons redéfinir pour les rendre plus actuels dans la France des années 2004 à 2010. Autant de principes à partager concrètement pour leur donner tout leur sens.

Là, la laïcité et la République peuvent nous aider parce qu'un idéal commun est à construire. Et pour que le peuple français s'engage pleinement, nous, ses représentants, nous devons animer la réflexion et nourrir le dialogue.

Mais cette nouvelle architecture républicaine qui est en train de se construire grâce à la présente loi est observée avec un grand intérêt de l'étranger, parce que la France est un modèle républicain et qu'elle est aux avant-postes du droit - nous l'avons constaté récemment avec des conflits internationaux -, de la liberté, de la création et de la culture.

Gageons qu'avec cette loi notre pays montre un chemin : un chemin respectueux de la personne, accueillant pour le citoyen, confortant la République, mais dont on n'est bien évidemment qu'au tout début.

C'est toutefois un chemin dont l'idée résonne, dont l'esquisse apparaît comme un exemple pour tous ceux qui cherchent la voix de la liberté et de la République.

Quand dans tant de pays du monde la religion commande à l'Etat et, de ce fait, au lieu d'enrichir l'âme et l'esprit, nie la citoyenneté et asservit la personne, ce projet de loi est un espoir pour ceux qui souffrent de la confusion entre la religion et l'Etat.

Grâce à ce projet de loi, la République, longtemps assoupie, donne le sentiment fort non seulement de se réveiller et de ne pas se laisser faire, mais aussi de vouloir aller plus loin.

Un observateur attentif de notre pays, Bruce Crumley, écrit cette semaine dans un magazine étranger : « Il y a des signes qui montrent que la France est en train de s'attaquer aux racines. »

Face à ce bel enjeu, à ce beau projet, la loi est une première étape, un fondement. Ce fondement doit résister aux épreuves, aux provocations qui ne manqueront pas et aux atteintes.

Donnons donc aux maîtres, aux professeurs, aux chefs d'établissement, les conditions de faire respecter la loi et la laïcité.

Le terreau n'y est pas favorable, on le sait bien, parce que, depuis de très nombreuses années, les hiérarchies se sont souvent mises en retrait.

Les enseignants se sont souvent découragés. Eux-mêmes, à l'image du peuple français, n'avaient peut-être pas toujours conscience des vrais enjeux et des vrais risques.

La République était assoupie.

Heureusement, aujourd'hui, la loi est là pour la réveiller. Elle introduit un balancement subtil, nécessaire et ambitieux, entre pédagogie et fermeté. On retrouve bien là les deux axes fondamentaux de l'éducation des enfants de France, mais aussi d'une nation qui fait confiance aux citoyens et qui, en même temps, ne cède pas face à ceux qui veulent saper les fondements de l'Etatrépublicain.

Bref, cette loi nous permet de retrouver une République française sûre d'elle-même. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, des enseignants excédés, démunis, des francs-maçons jaloux du sens qu'ils donnent à la laïcité, des élus soucieux de la République ont fait converger leur malaise et leur ambition pour l'école pour promouvoir un texte de loi. Un projet nous est aujourd'hui soumis comme réponse aux problèmes.

Pourtant, quand on lit les débats, quand on entend les arguments rationnels, quand on écoute l'émotion de témoignages pathétiques, on s'aperçoit que le problème à résoudre n'a pas été clairement édicté.

Il ne l'a pas été dans son contexte : nous avons plus de récits que d'études sociologiques universitaires et nous continuons à manquer de chiffres, en particulier sur les motivations et sur l'évolution des comportements des filles qui, par exemple, sont entrées voilées et sorties diplômées et cheveux au vent.

Il ne l'a pas davantage été dans les buts poursuivis. S'agit-il de restaurer la paix dans l'école publique ? S'agit-il de garantir aux enseignants la sérénité dans leurs cours, la non-remise en cause des programmes scolaires, la fin des injures racistes ? S'agit-il de réaffirmer l'accueil équitable que la République doit à chacun, sans référence à la religion ? S'agit-il de protéger les élèves contre toute aliénation, de protéger les femmes contre l'oppression machiste, de requalifier les règles du « vivre ensemble » ? S'agit-il de tout cela à la fois ?

Cet ambitieux et louable programme se lit en filigrane dans les récits de l'inacceptable collectés par la commission Stasi et dans toutes vos interventions, mes chers collègues.

Mais l'outil promu - la loi -, son objet - la laïcité - et sa cible médiatisée - le foulard des filles de confession mulsulmane - ne peuvent pas répondre à toutes ces ambitions.

Le principe de laïcité qui nous rassemble, c'est la neutralité du service public, la liberté d'expression, le renforcement de la cohésion et de la fraternité entre les citoyens, le refus des discriminations, l'égalité entre les sexes et la dignité de la femme.

Or ce projet de loi ne donne pas de perspectives à celles dont l'affichage était une réaction de rejet.

La discrimination, reflet d'un racisme ordinaire persistant - discrimination à l'embauche, à l'apprentissage, au logement... -, a conduit des victimes, souvent sans preuves, et donc sans recours, à désespérer du modèle républicain et de ses valeurs.

Et c'est, hélas ! cette conscience des victimes qui a conduit à valoriser a contrario l'origine culturelle ainsi stigmatisée, voire à la mythifier avec des supports à portée de main : les accessoires de la religion. Pourtant, pour certaines, il s'agit plus de culturalisme que de retour à un islam intégriste !

Notons au passage que les garçons, plus souvent perturbateurs de classe et, pour certains, acteurs de l'humiliation des filles, sortiront indemmes du texte, chemise fermée, poignets serrés et barbe au menton.

La lutte contre l'oppression des femmes est un combat que nous renouvelons chaque jour en tant que féministes et nous constatons, hélas ! que perdurent, sans privilège de culture, les coups, les salaires différents, le harcèlement, les conventions internationales signées par la France privant des épouses de leurs droits, sans que les textes et leurs décrets soient remis au débat.

Plusieurs d'entres vous ont tenu à réaffirmer qu'il n'y avait pas de défiance envers une culture. Mais comment sera interprétée cette laïcité qui fait ses choix ?

Même vigoureuse, elle s'accommode fort bien des aumôneries, des prêtres venant dans les locaux, du statut de l'Alsace-Moselle, du régime fiscal favorable des dons faits aux associations cultuelles, de la charge financière des édifices, des garanties d'emprunts faites par les collectivités, des subventions de fonctionnement, du salaire des enseignants en lycée privés confessionnels, des sonneries des cloches, des processions sur la voie publique, de la messe de sainte Geneviève dans toutes les gendarmeries et de l'absence d'école publique dans de nombreuxcantons.

Mais, soudain, c'est le voile d'une religion qui pose problème, alors que l'objet de la laïcité à l'école, ce sont d'abord les locaux, les programmes scolaires et le personnel payé sur fonds publics.

Tout comme le foulard ne peut être considéré a priori comme l'étendard d'une attaque contre la République, l'interdiction du voile ne fera pas tomber par miracle - excusez le mot ! - tout ce qui nous mobilise et nous rassemble : les agressivités entre groupes qui n'ont, hélas ! pas besoin de signes pour se toiser, la fragilisation de la mixité, les scandaleuses tentatives révisionnistes, l'absentéisme des heures d'éducation physique, le comportement machiste, méprisant et prédateur.

Il a également été dit : la loi doit exclure tout arbitraire. Mais c'est le terme « ostensiblement » que l'on nous propose.

Les chefs d'établissement s'en disent satisfaits. Je crois pourtant qu'à l'usage ils découvriront la faiblesse de l'outil, tant il est sujet à une grande latitude d'interprétation subjective.

L'adverbe « ostensiblement » suscitera discussions et contestations.

Dans cette enceinte, chacun peut apprécier la qualité d'écoute. Je regrette que le débat, à la télévision, dans les journaux ou dans d'autres commissions que la nôtre ait été l'occasion d'injustes procès d'intention : non, les promoteurs de la loi ne sont pas des racistes ; non, les opposants à la loi ne sont pas des irresponsables.

Maintenant, soyons pragmatiques : les filles voilées sont soit militantes, soit victimes.

Si elles militent, est-il judicieux de les tenir à l'écart du savoir et de la confrontation, pour qu'elles renforcent les rangs de ceux, minoritaires, qui font passer la religion avant la République ?

Si elles sont victimes, l'exclusion les privera du dialogue formateur, de l'instruction et ne leur laissera comme horizon que l'emprise de leurs bourreaux supposés.

Je ne confonds pas une jeune fille à la tête couverte et une intégriste fanatique, tout comme je ne vois pas dans un catholique portant une croix un inquisiteur porteur de terreur ou un farouche descendant des croisés.

Alors que l'on a réduit les crédits du FASILD, le fonds d'aide et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, qui soutenaient les associations de dialogue, le nombre d'encadrants par élèves, les postes au CAPES et l'ensemble des appuis aux plus précaires, cette loi cible davantage les symptômes d'un malaise que les causes de celui-ci. Le débat a d'ailleurs créé plus d'incidents que de paix, plus de radicalisation que defluidité.

On ne protège pas les victimes en les prenant pour cible, tandis que ceux qui agressent les autres, par machisme ou communautarisme belliqueux, restent intouchables. On n'intègre pas dans la République en fermant la porte de l'école laïque, au risque d'ailleurs de renforcer les écoles confessionnelles.

Particulièrement pour une fille, l'école publique est le lieu où se construit la liberté de chacune : la force de choisir son mode de vie, ses opinions, sa sexualité, son type de relation à autrui, la connaissance de la contraception ou de l'IVG, l'accès aux lois et aux lieux qui protègent les femmes contre les insultes, les coups, les humiliations.

Parce que la France doit émanciper toutes ses filles par ce lieu, je voterai contre cette loi.

Je mesure le large consensus sur l'opportunité de ce texte dont le vote ne fait aucun doute. Je forme démocratiquement des voeux pour que les bonnes intentions se concrétisent sans dégâts. Mais j'ai peine à croire que l'application sera juste, et que le symbole suffira à préserver sans les vider de leur sens l'école publique, ses valeurs et son rôle républicain.

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

9

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics
Discussion générale (suite)

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 3 mars 2004, à quinze heures et lesoir :

1. Discussion des conclusions du rapport (n° 224, 2003-2004) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialoguesocial.

M. Jean Chérioux, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.

2. Suite de la discussion du projet de loi (n° 209, 2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

Rapport (n° 219, 2003-2004) de M. Jacques Valade, fait au nom de la commission des affaires culturelles.

Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.

Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

Délai limite

pour les inscriptions de parole

Conclusions de la commission des lois sur :

- la proposition de loi de M. Robert Del Picchia, Mme Paulette Brisepierre, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Christian Cointat, Xavier de Villepin, Hubert Durand-Chastel, Louis Duvernois, André Ferrand et Michel Guerry tendant à modifier la loi n° 82-471 du 7 juin 1982 relative au Conseil supérieur des Français de l'étranger (n° 128 rectifié, 2003-2004) :

- la proposition de loi de Mme Monique Cerisier-ben Guiga, M. Guy Penne et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, tendant à modifier la loi n° 82-471 du 7 juin 1982 relative au Conseil supérieur des Français de l'étranger (n° 208, 2003-2004).

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 3 mars 2004, à dix-sept heures.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 3 mars 2004, à zéro heure cinquante.)

Le Directeur

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD

NOMINATION D'UN MEMBRE

DE COMMISSION PERMANENTE

Dans sa séance du 2 mars 2004, le Sénat a nommé :

M. Bernard Mantienne, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la place laissée vacante par M. Michel Pelchat, décédé.