M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Monsieur le sénateur, le premier des bénéfices de l’autonomie est mis en exergue par le rapport que vous venez de me remettre : la baisse du taux d’échec des étudiants en premier cycle.

Je rappelle en effet que 50 % des jeunes bacheliers échouaient lors de leur première année à l’université. Toutefois, comme le montre bien votre rapport, toute une série de dispositifs d’aide aux étudiants ont été mis en place depuis le lancement, en 2007, du plan Réussir en licence, doté de 730 millions d'euros. Je pense notamment aux heures de tutorat, aux professeurs référents, à l’accompagnement personnalisé, aux cours numériques et, surtout, à la réorientation à la fin du premier semestre.

Cette réorientation est une réussite, comme en témoignent les premiers chiffres disponibles, fournis par votre rapport : 20 % seulement des bacheliers français ayant décidé de poursuivre leurs études quitteront le système d’enseignement supérieur sans diplôme. Ce taux d’échec est le plus faible de tous les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE.

M. René-Pierre Signé. Nous sommes les plus intelligents !

Mme Valérie Pécresse, ministre. On a l’habitude, en France, de battre sa coulpe en s’accusant de tous les échecs, mais, en l’occurrence, il s’agit d’un succès : celui de l’université française, qui, devenue autonome, a décidé d’aider les jeunes en situation d’échec à se réorienter vers des filières professionnelles leur convenant mieux.

M. René-Pierre Signé. Il faut faire la même chose pour l’école primaire !

Mme Valérie Pécresse, ministre. En ce qui concerne les personnels, l’autonomie a également été très efficace, puisqu’elle a permis de mettre en place une vraie gestion des ressources humaines universitaires, avec de vraies indemnités, de vraies primes pédagogiques, de vraies primes scientifiques. Par exemple, l’université Aix-Marseille 1 a mis en place 16 000 heures de tutorat individuel, appuyé par des outils numériques, pour les étudiants de licence ; à l’université Paris-Descartes, une enveloppe indemnitaire de 500 000 euros a été mobilisée, et le nombre de bénéficiaires de la prime d’excellence scientifique a augmenté de 30 % ; à l’université Nancy 1, les primes accordées aux personnels BIATOSS –bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service et de santé – ont augmenté de 13 %.

L’autonomie, c’est donc des moyens supplémentaires et une nouvelle gestion des ressources humaines au bénéfice des personnels.

M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck, pour la réplique.

M. Christian Demuynck. Je vous remercie de votre réponse, madame le ministre.

Il est bon de faire de tels rappels, car l’opinion de notre collègue David Assouline est malheureusement trop répandue dans notre pays. Ce ne sont pas 50 % des jeunes qui échouent à l’université, mais seulement 20 %. Ce taux fait de nous, il faut le dire et même le crier, les meilleurs de l’OCDE en matière de réorientation et de lutte contre le décrochage.

M. René-Pierre Signé. Pas pour l’école primaire !

M. Christian Demuynck. Je souhaite donc vous féliciter, madame le ministre, du courage dont vous avez fait preuve en promouvant cette réforme. Confrontée aux grèves de 2007 et de 2009, vous n’avez pas cédé.

J’ai eu l’occasion, grâce à la mission que vous m’avez confiée, de rencontrer des professeurs, des présidents d’université, des étudiants qui m’ont dit combien ils étaient désormais attachés à cette autonomie,…

M. René-Pierre Signé. Quelle pommade !

M. Christian Demuynck. … qui a permis de mettre en place un certain nombre de dispositifs d’aide aux étudiants.

M. David Assouline. Vous ne lui demandez pas de conclure, monsieur le président ?

M. Christian Demuynck. Je vous adresse mes félicitations, madame le ministre. Je suis persuadé que, grâce à ces mesures, nos universités seront bientôt au faîte de l’excellence mondiale !

M. Ivan Renar. Rendez-vous à la buvette !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Madame la ministre, la loi LRU a ouvert le chantier enthousiasmant, mais risqué entre les mains de l’actuel gouvernement, de l’autonomie des universités.

Les risques étaient d’autant plus importants que les priorités énoncées, à savoir la mise en concurrence, la compétitivité à l’échelle internationale et la promotion de recherches débouchant sur des innovations brevetables, mettaient en cause l’aménagement du territoire, les disciplines considérées comme non « rentables », l’accès de tous à l’enseignement supérieur, l’attention portée aux premières années d’études.

Les responsabilités et compétences élargies des universités en matière de patrimoine, l’État leur transférant la pleine propriété des biens et leur permettant de disposer des ressources issues de leur vente, ne sont pas sans rappeler, pour les représentants des collectivités territoriales que nous sommes, le transfert à celles-ci d’un patrimoine qui, du fait d’une gestion de pénurie, n’était que vétusté, problèmes de sécurité ou de contamination par l’amiante et gouffres énergétiques.

En matière de ressources humaines, l’élargissement de leurs responsabilités donne aux universités toute latitude pour recruter, sous CDD ou CDI, des administrateurs, des chercheurs, des enseignants, pour fixer les rémunérations et pour créer des primes d’intéressement. S’il n’existe certes pas encore, entre les universités, de marché des transferts comparable au mercato qui agite les clubs de football, le risque est réel que les universités n’en arrivent à de telles pratiques, d’autant qu’il s’agit d’un système à deux vitesses, les modes de contractualisation différant selon que l’université dégage ou non des marges budgétaires, selon qu’elle relève ou non d’un projet retenu au titre du programme d’investissements d’avenir.

Cela étant, les universités doivent transmettre à leur ministère de tutelle des informations sur leur pilotage financier et patrimonial. Quatre ans après l’adoption de la loi LRU, je souhaiterais donc, madame la ministre, que vous nous éclairiez sur l’évolution globale du patrimoine des universités concernées. Comment leurs conseils d’administration se sont-ils emparés de l’ingénierie ? Comment ont-ils acquis les compétences leur permettant de mettre en œuvre une gestion salariale anticipatrice – je pense notamment à la prévision du glissement vieillesse-technicité –, mais également juste, afin que les revalorisations, dues ou choisies, ne soient pas financées par la suppression de postes dans les filières moins attractives ou aux dépens de la pérennité des équipes ?

M. le président. Il faut conclure, madame la sénatrice.

Mme Marie-Christine Blandin. Comment se répartissent les emplois entre postes de fonctionnaires, CDD et CDI ? Enfin, quelle est l’échelle des salaires pratiqués pour les enseignants-chercheurs ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Madame la sénatrice, il me sera difficile de répondre à toutes vos questions en deux minutes, mais je me ferai un plaisir de vous transmettre une réponse écrite plus complète.

Vous nous reprochez d’avoir fondé notre réforme sur la concurrence. Mais la concurrence s’impose à nous : elle est désormais mondiale, et s’est étendue, au-delà de l’économie, à la formation. Dans ce contexte, la réforme instaurant l’autonomie a sauvé l’université française du déclin. Voilà ce que nous avons accompli, madame Blandin, avec les acteurs de l’université, qui ont saisi cette occasion pour réaliser de très belles choses dans leurs établissements. Nous en avions besoin !

En ce qui concerne l’évolution de l’emploi dans les universités, je vais vous décevoir : il n’a jamais été autant sécurisé !

M. David Assouline. Tout va bien !

Mme Valérie Pécresse, ministre. En effet, les universités ont désormais la possibilité de gérer elles-mêmes leurs ressources humaines. Nous avons créé des comités techniques paritaires, dans lesquels siègent des représentants de toutes les organisations sociales, celles-ci pouvant désormais faire un bilan social du fonctionnement de leur université.

Des données rendues publiques récemment indiquent que le nombre de titularisations a augmenté de 13 % depuis 1999.

M. David Assouline. Pourquoi 1999 ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Parce que ce sont des statistiques sur une période de dix ans.

Contrairement à vous, madame Blandin, je suis favorable au développement du recours aux CDD dans les universités, car s’il faut sécuriser les emplois permanents, il faut aussi ouvrir l’université française aux personnalités issues du monde socioprofessionnel, aux étrangers, donc à des intervenants contractuels.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour la réplique.

Mme Marie-Christine Blandin. Nous avons pu constater cette ouverture lorsqu’un directeur régional d’EDF a été nommé président d’une université…

Pour ma part, je ne confonds pas concurrence mondiale en matière d’innovation et coopération dans la production de connaissances.

Par ailleurs, s'agissant de la masse salariale, une note de la direction des affaires financières du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche en date du 30 juin 2010 nous apprend que si « les crédits du budget principal » – investissement, masse salariale, etc. – « sont limitatifs au niveau des enveloppes », ce qui pourrait nous rassurer, « le conseil d’administration a la possibilité de modifier cette limite tout au long de l’année, dans le sens qu’il souhaite ». Voilà ce qui nous inquiète : s’il faut demain chauffer davantage de salles, les crédits nécessaires pourront provenir de suppressions de postes.

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Madame la ministre, avec nombre de mes collègues, j’ai soutenu l’excellente réforme que vous avez menée.

Ma question porte sur la valorisation des biens transférés par France Domaine.

Le passage d’un État propriétaire à des universités propriétaires constitue une occasion à saisir pour conforter l’autonomie des établissements. Néanmoins, l’extrême complexité du paysage immobilier universitaire et la persistance jusqu’à ce jour d’incertitudes sur les modalités précises de la dévolution sont sources de préoccupation.

Je souhaite insister ici sur les évaluations du patrimoine immobilier des universités réalisées par France Domaine.

En effet, la valorisation des biens transférés constitue un enjeu essentiel, dans la mesure où les établissements ont ensuite vocation à intégrer dans leur bilan la valeur vénale de leur patrimoine. Surtout, cette dernière détermine le montant des dotations aux amortissements des biens reçus.

Or, dans le cadre de la mission de contrôle que j’ai effectuée en juin 2010, avec mon collègue Jean-Léonce Dupont, en ma qualité de rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur », j’ai souligné le caractère plus qu’incertain et incomplet des valorisations effectuées par France Domaine : qualité variable des évaluations d’une région à l’autre, méthodes imprécises, estimations souvent aléatoires et parfois manifestement en deçà de la réalité.

Ma question est donc la suivante : un effort de fiabilisation du travail de valorisation effectué par France Domaine a-t-il été mené depuis lors ? C’est seulement à cette condition que les universités pourront apprécier la valeur réelle de leur patrimoine et, surtout, corriger d’éventuelles erreurs.

Cet effort de fiabilisation et de transparence est d’autant plus essentiel que certaines universités peinent à obtenir le détail de l’évaluation de leur patrimoine réalisée par France Domaine. Il est une nécessité, dans l’intérêt de l’État comme dans celui des universités, qui doivent pouvoir disposer d’une évaluation correcte de leur patrimoine dans l’optique de la rationalisation à venir de leur parc immobilier.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre. À l'évidence, la question, qui vous est chère, monsieur le sénateur, du transfert aux universités de la propriété de leur patrimoine est tout à fait essentielle. En effet, un établissement qui est propriétaire de son patrimoine et qui peut l’entretenir et le rénover, grâce aux moyens accordés par l’État sur cinq ans, est en mesure de prendre des décisions stratégiques, par exemple pour améliorer la vie étudiante, les laboratoires ou l’organisation des cours, en fonction des bâtiments disponibles.

Il est vrai que la question de l’évaluation des biens immobiliers par France Domaine continue à faire couler beaucoup d’encre, car on n’est jamais sûr que ceux-ci soient estimés à leur juste valeur. Nous menons d'ailleurs avec les universités de grandes négociations sur ce point, mais aussi sur l’évaluation du coût de l’amortissement des bâtiments.

Nous sommes donc très attachés à ce que cette évaluation soit le plus fiable possible. Dans votre sagesse, vous avez demandé, mesdames, messieurs les sénateurs, que les comptes des universités soient certifiés chaque année par un commissaire aux comptes, ce qui permettra de disposer d’une valeur authentifiée des biens immobiliers.

Pour l’instant, trois universités ont accédé – sur leur demande, parce qu’il s'agit d’une démarche volontaire – à la propriété de leur patrimoine immobilier : Clermont-Ferrand 1 et Toulouse 1, qui ont reçu des patrimoines d’une valeur de 111 millions et de 105 millions d'euros respectivement, et l’université de Poitiers, à laquelle un patrimoine de 220 millions d'euros sera bientôt transféré. Nous sommes également en négociation avec l’université Pierre-et-Marie-Curie de Jussieu, dont le patrimoine, situé dans l’un des plus beaux quartiers de Paris, vaudrait, selon les estimations, entre 800 millions et 1 milliard d'euros.

Vous le voyez, il s’agit de dotations importantes, qui donneront une véritable assise financière aux universités, leur permettant de définir leur propre stratégie. Nous veillerons à la fiabilisation des évaluations.

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour la réplique.

M. Philippe Adnot. Madame la ministre, vous avez évoqué la certification des comptes. Or j’assistais récemment au conseil d’administration d’une université au cours duquel les commissaires aux comptes ont déclaré ne pas pouvoir se prononcer, dans la mesure où ils ne disposaient pas des éléments fondant l’évaluation du patrimoine réalisée par France Domaine. Dans ces conditions, la certification de la valeur des immobilisations n’est pas possible.

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur le suivi de la loi relative aux libertés et responsabilités et de la politique universitaire française.

Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures cinq, sous la présidence de Mme Monique Papon.)

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

7

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques
Discussion générale (suite)

Équilibre des finances publiques

Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’équilibre des finances publiques.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bernard Frimat.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques
Exception d'irrecevabilité

M. Bernard Frimat. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, j’ai écouté la longue suite d’interventions qui nous ont été délivrées cet après-midi au nom de la maîtrise des dépenses publiques et des bienfaits de l’équilibre budgétaire. J’ai enregistré la sévérité avec laquelle était jugé l’état de nos finances publiques par ceux qui en assument depuis si longtemps la responsabilité.

M. Jean-Pierre Bel. C’est vrai !

M. Guy Fischer. C’est la vérité !

M. Bernard Frimat. Quel double aveu d’échec et d’impuissance l

Ainsi, chaque année, avec une assurance…

M. Guy Fischer. Désarmante !

M. Bernard Frimat. … qui ne laissait jamais place au doute, le rapporteur général nous aurait asséné doctement des certitudes concernant la qualité de la loi de finances et aurait développé les multiples raisons qui, selon lui, militaient en faveur de la politique budgétaire choisie par le Gouvernement pour en arriver là !

Ainsi, vous, chers collègues de la majorité, qui, tout en les condamnant verbalement, avez approuvé par vos votes nombre de niches fiscales, allant parfois jusqu’à en inventer de nouvelles très ciblées et très spécifiques, vous venez aujourd’hui sonner le tocsin et appeler à votre secours une révision constitutionnelle supposée devoir mettre fin à ces errements !

Le débat n’est pas aujourd’hui entre partisans et adversaires de l’équilibre budgétaire, entre tenants de la maîtrise des dépenses publiques et adeptes du déficit systématique, entre professeurs de vertu budgétaire, saisis par un remords tardif, et théoriciens du déséquilibre. Il s’agit simplement de savoir si la révision constitutionnelle proposée est la réponse adaptée à la dégradation de nos finances publiques, dans le respect des pouvoirs respectifs du Parlement et du Gouvernement. Nous croyons qu’il n’en est rien.

En dépit, monsieur le président de la commission des lois, d’un désaccord profond sur la révision constitutionnelle, et donc sur vos propositions, je tiens à saluer la qualité juridique de votre travail. Vous avez souhaité débarrasser le texte de l’Assemblée nationale des scories juridiques que constituent les articles 2 bis et 9 bis. En refusant d’accepter ces lapalissades constitutionnelles qui consistent en substance à affirmer que le Conseil constitutionnel doit déclarer contraire à la Constitution ce qui est contraire à la Constitution, vous permettez au Sénat d’éviter de sombrer dans le ridicule !

Je vous sais gré de votre audace, même si elle vient perturber le compromis boiteux élaboré à l’Assemblée nationale au sein de la majorité pour fermer les yeux, momentanément, le temps du débat parlementaire, sur une irrecevabilité à condition de pouvoir s’assurer qu’ultérieurement l’inconstitutionnalité sera déclarée.

Les raisons qui nous conduisent à refuser cette révision constitutionnelle sont nombreuses. Nicole Bricq et Yves Daudigny y reviendront tout à l’heure. Je souhaite, en ce qui me concerne, évoquer les rôles respectifs du constituant, de la majorité et du Conseil constitutionnel.

Si les conditions d’adoption d’une loi de révision de la Constitution sont plus sévères que celles qui sont requises pour les lois ordinaires ou organiques – une majorité des trois cinquièmes est nécessaire –, c’est parce que la Constitution est la loi fondamentale qui s’impose à toutes les autres lois. Or, par le renvoi systématique à la loi organique pour préciser les conditions d’application des principes constitutionnels, le constituant abandonne son pouvoir à la majorité du moment, tout en laissant au Conseil constitutionnel, obligatoirement saisi, le soin de décider si la loi organique correspond ou non aux principes posés par la Constitution, et ce sans aucune garantie quant au respect de l’esprit qui a animé le constituant.

Le risque de transformer de facto le Conseil constitutionnel en constituant est évident. Or ce n’est en aucune façon son rôle, même si cela peut être pour lui une tentation récurrente. Des exemples récents ne laissent aucun doute sur cette dérive.

Ainsi, la révision constitutionnelle proposée par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a affirmé l’organisation décentralisée de la République et mis au cœur de la discussion le titre XII de la Constitution, consacré aux collectivités territoriales. Vous vous souvenez sans doute, mes chers collègues, de nos débats d’alors, et, sur ce thème, des sujets qui nous ont rapprochés ou séparés. Nous nous sommes accordés, sur toutes les travées du Sénat, pour affirmer qu’aucune collectivité territoriale ne pouvait exercer une tutelle sur une autre et que, dans cette perspective, toutes devaient bénéficier de l’autonomie financière.

En réalité, la loi organique votée par la majorité a tordu le cou au principe d’autonomie financière, qui, avec l’aval du Conseil constitutionnel, se trouve réduit de fait à la seule faculté, pour les collectivités territoriales, d’affecter librement des ressources octroyées.

Mme Nicole Bricq. Exactement !

M. Bernard Frimat. Si vous relisez les débats parlementaires sur cette révision constitutionnelle, vous constaterez que, à aucun moment, une telle issue n’avait été envisagée par le constituant. L’esprit de la révision n’a pas été respecté.

Le même scénario s’est répété en ce qui concerne le droit d’amendement, lors de la révision de 2008. Celui-ci, nous dit la Constitution dans son article 44, s’exerce selon les conditions fixées par les règlements des assemblées dans le cadre déterminé par une loi organique. Quelles assurances ne nous a-t-on pas données, dans le débat constitutionnel, sur le fait que cette formulation ne ferait courir aucun risque au droit d’amendement, qui était imprescriptible et constituait l’essence même de la fonction de parlementaire !

Là encore, la loi organique, toujours avec l’aval du Conseil constitutionnel, permet de restreindre le pouvoir des parlementaires. C’est le règlement du Sénat, mes chers collègues, qui, grâce à un travail commun et non partisan, a sauvé l’essentiel. C’est pourquoi le Sénat est resté la chambre où l’on débat démocratiquement, ce qui n’est, hélas, pas toujours le cas à l’Assemblée nationale. En l’espèce, c’est notre règlement qui nous protège des dangers potentiels de la loi organique.

En conséquence, vous comprendrez notre méfiance devant une révision qui, après avoir créé les lois-cadres d’équilibre des finances publiques, renvoie à la loi organique le soin d’en préciser le contenu.

De quelles garanties disposons-nous sur le contenu réel de la loi organique ? Il n’y en a aucune ! Vous nous demandez donc un chèque en blanc, ce qui ne manque pas d’humour quand on veut maîtriser les dépenses publiques…

M. François Marc. Très bien !

M. Bernard Frimat. De plus, le Conseil constitutionnel, dont le rôle a déjà été considérablement amplifié par l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, est-il réellement en état d’exercer cette nouvelle mission de contrôle des lois de finances ?

M. Bernard Frimat. Peut-il raisonnablement juger de la conformité d’une prévision macroéconomique et des hypothèses de croissance sans être directement partie prenante au choix politique effectué ?

Mme Nicole Bricq. Absolument !

M. Bernard Frimat. À cet empilement constitutionnel de lois-cadres, de lois de finances, de lois de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement veut ajouter l’instauration d’un monopole de ces mêmes lois sur tout ce qui traite de la fiscalité. Le rapport de la commission des lois constitue, à l’égard de ce monopole, un réquisitoire implacable.

Nous franchissons encore un degré dans votre vision du parlementarisme rationalisé, pour en arriver au parlementarisme caporalisé et à une nouvelle dégradation du bicamérisme.

En instaurant un monopole, ce qui est un comble pour les thuriféraires de la libre concurrence, vous privez les parlementaires de leur droit d’initiative.

Mme Nicole Bricq. Ils vont le faire !

M. Jean-Pierre Bel. Ils en sont capables !

M. Bernard Frimat. Il ne sera en effet plus possible de proposer ou d’examiner une quelconque réforme, dans quelque domaine que ce soit, en envisageant, dans un souci de cohérence, ses implications financières ou fiscales. Celles-ci devront être examinées séparément, au moment du vote de la loi de finances ou de la loi de financement de la sécurité sociale.

Ainsi, hormis la commission des finances et, pour partie, celle des affaires sociales, toutes les commissions seront privées de toute vision d’ensemble. Elles ne pourront intervenir sur les questions financières concernant leurs compétences que pour avis.

M. Yvon Collin. Eh oui !

M. Bernard Frimat. La commission compétente au fond sera la commission des finances.

N’oublions pas, mes chers collègues, que les lois de finances et de financement de la sécurité sociale sont toujours d’origine gouvernementale et que, en conséquence, c’est toujours le seul Gouvernement qui aura l’initiative de toutes les mesures fiscales, de toutes les modifications des cotisations sociales.

De plus, comme l’Assemblée nationale dispose – et nous ne le contestons pas – d’une priorité absolue pour l’examen des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, le Sénat ne pourra plus jamais engager de réflexion sur une quelconque réforme de la fiscalité ou de la protection sociale. Comment concilier ce qui sera devenu la nouvelle règle constitutionnelle avec la priorité constitutionnelle donnée au Sénat pour l’examen des textes concernant les collectivités territoriales et leur organisation ?

Si la révision est adoptée – mais nous savons tous qu’elle ne le sera pas (Sourires.) –, le Sénat sera dans l’impossibilité de prendre l’initiative de la si nécessaire réforme des finances des collectivités territoriales. Il sera soumis au bon vouloir du Gouvernement et n’abordera le sujet qu’après que l’Assemblée nationale se sera livrée à une première lecture. Curieux destin pour une assemblée qui, de par la Constitution, assure la représentation des collectivités territoriales de la République ! Gigantesque affaiblissement du bicamérisme !

Le seul point qui, dans cette révision, peut recueillir notre accord, c’est la proposition, au travers de l’introduction d’un nouvel article 88-8 de la Constitution, que soit communiqué au Parlement le projet de programme de stabilité transmis à l’Union européenne. Encore faudrait-il que cela ne se limite pas à une simple transmission au Parlement, mais que ce texte soit soumis à son approbation !

Nous nous trouvons donc, mes chers collègues, devant une révision constitutionnelle qui, si elle devait être adoptée, aurait pour conséquence – excusez du peu ! – de dessaisir un peu plus le constituant de la réalité de son pouvoir, de priver les parlementaires de leur droit d’initiative législative au profit quasiment exclusif du Gouvernement, de transformer en commissions de second ordre toutes les commissions à l’exclusion de celle des finances, qui serait sacralisée comme lieu privilégié du débat parlementaire.

On est en droit de se demander si, poussant la logique de votre raisonnement à l’absurde, il ne serait pas nécessaire que le Sénat dans son ensemble devienne la commission des finances et que toutes les lois soient des lois de finances.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Inutile, la commission des finances de l'Assemblée nationale suffira !

M. Bernard Frimat. Ainsi, chaque sénateur pourrait avoir l’illusion, tout en ayant perdu son droit d’initiative, d’exercer sa fonction de parlementaire.

Nous ne rejoindrons donc pas les rangs des fétichistes de la règle d’or, qui implorent que la Constitution les protège, eux-mêmes et le Gouvernement, contre leur incapacité à maîtriser la conduite de nos finances publiques.

Mes chers collègues, aucun instrument juridique, aussi sophistiqué soit-il, ne peut à lui seul garantir que la politique budgétaire choisie à un moment donné et consignée dans une loi-cadre soit la mieux adaptée pour répondre à des évolutions économiques complexes et mondiales. Il est nécessaire, pour pouvoir faire face à toute situation, que le Gouvernement conserve, à tout instant, sa liberté de proposition et le Parlement sa liberté d’approbation ou de refus. Le monde dans lequel nous vivons nous oblige à des adaptations permanentes et interdit d’enfermer l’action politique dans un carcan supposé représenter la vertu.

Si notre diagnostic de l’état de la France doit conduire à demander un effort particulier à nos compatriotes, il n’y a pas besoin, pour cela, de révision constitutionnelle. Il faut, en revanche, rechercher l’adhésion des Français, en leur démontrant que cet effort s’inscrit dans un contexte de justice sociale et fiscale et est nécessaire pour assurer l’avenir de leurs enfants.