M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Beaucoup de choses freinent l’emploi… Les seuils existent dans tous les pays. Celui de 50 salariés, par exemple, est un seuil européen. Ce qui compte est de savoir ce que l’on met dans ce seuil.

Des aménagements ont été prévus dans des lois successives afin de lisser les seuils. Il n’en reste pas moins que ceux-ci demeurent des barrières, souvent davantage psychologiques que réelles. Mais à un moment donné, il faut procéder à des modifications. On peut toujours passer de 11 à 12 salariés, ou de 12 à 13… Le passage de 10 à 11 salariés a été tenté une fois, avec succès, sur l’initiative de M. Raffarin, si ma mémoire est bonne.

Nous ne nions pas l’effet dissuasif du seuil. Mais on ne peut pas vouloir, à la fois, modifier les seuils et renforcer le dialogue social.

Nous ne voulons pas différer le dialogue social. Or relever le seuil de 11 à 20 salariés, en mettant en place la représentation syndicale correspondante, revient à considérer qu’en deçà de 20 salariés, il n’est pas besoin d’organiser le dialogue social.

Nous avons fait un choix, dont on peut débattre ; nous préférons élargir les possibilités de dialogue social. En effet, le fait de ne pas pouvoir passer d’accords, aménager l’organisation du travail, le temps de travail ou les primes, de ne pas avoir la liberté de négocier entre partenaires, est un frein psychologique à l’emploi, à la volonté de « grandir ». Nous avons pris le parti de nous concentrer sur ce point.

Les seuils les plus problématiques pour les entreprises, ce sont les seuils fiscaux et sociaux.

Nous avons considéré que la priorité du moment n’était pas de relever les seuils, sachant que, je le répète, un certain nombre d’entre eux sont aujourd’hui en réalité lissés.

Ma réponse n’est ni blanche ni noire. J’insiste, nous avons considéré que la priorité n’était pas de franchir de nouveaux seuils. Il faut expliquer que des seuils peuvent parfois être franchis sans que leurs conséquences soient immédiatement applicables. Il faut surtout faire en sorte de donner plus de souplesse aux petites entreprises, pour leur permettre de négocier des accords qui correspondent à la vie de l’entreprise au quotidien. Tel est le cœur de ce projet de loi, et notre priorité.

Je suis donc défavorable à l’amendement, tout en défendant un argument différent que le rapporteur, pour des raisons évidentes.

M. le président. Monsieur Chasseing, l’amendement n° 83 rectifié est-il maintenu ?

M. Daniel Chasseing. Non, je le retire, monsieur le président. Il s’agissait d’un amendement d’appel pour bien montrer que les seuils posaient problème, notamment aux petites entreprises.

M. le président. L’amendement n° 83 rectifié est retiré.

Articles additionnels après l’article 2 (début)
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Discussion générale

6

Nominations de membres d’éventuelles commissions mixtes paritaires

M. le président. Pour le cas où le Gouvernement déciderait de provoquer la réunion des commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte commun sur le projet de loi en cours d’examen, d’une part, et sur le projet de loi et le projet de loi organique pour la régulation de la vie publique, d’autre part, il va être procédé à la nomination des membres de ces commissions mixtes paritaires.

Les listes des candidats ont été publiées ; je n’ai reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 12 du règlement.

En conséquence, ces listes sont ratifiées.

Je proclame représentants du Sénat à l’éventuelle commission mixte paritaire sur le projet de loi en cours d’examen :

– Titulaires : M. Alain Milon, Mme Patricia Morhet-Richaud, M. Philippe Mouiller, M. Jean-Marc Gabouty, M. Yves Daudigny, M. Jean-Louis Tourenne et Mme Nicole Bricq ;

– Suppléants : M. Gilbert Barbier, M. Olivier Cadic, Mme Laurence Cohen, Mme Catherine Deroche, Mme Catherine Génisson, M. Albéric de Montgolfier et M. René-Paul Savary.

Je proclame représentants du Sénat aux éventuelles commissions mixtes paritaires sur le projet de loi et le projet de loi organique pour la régulation de la vie publique :

– Titulaires : M. Philippe Bas, Mme Catherine Troendlé, M. Albéric de Montgolfier, M. Michel Mercier, M. Jean-Pierre Sueur, M. Jean-Yves Leconte et M. Alain Richard ;

– Suppléants : Mme Éliane Assassi, M. François Bonhomme, M. François-Noël Buffet, M. Pierre-Yves Collombat, M. Yves Détraigne, Mme Catherine Di Folco M. René Vandierendonck.

Ces nominations prendront effet si M. le Premier ministre décide de provoquer la réunion de ces commissions mixtes paritaires et dès que M. le président du Sénat en aura été informé.

7

Nomination d’un membre d’une commission

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe La République en marche a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Noëlle Rauscent membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Jean-Baptiste Lemoyne, dont le mandat a cessé.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

8

Communication d’un avis sur un projet de nomination

M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a émis un avis favorable (16 voix pour, 2 voix contre et 1 bulletin blanc) à la nomination de Mme Catherine Guillouard aux fonctions de président-directeur général de la RATP.

9

Articles additionnels après l’article 2 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Article 3 (début)

Renforcement du dialogue social

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus à l’article 3.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Article 3 (interruption de la discussion)

Article 3

Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi afin :

1° De renforcer la prévisibilité et ainsi de sécuriser la relation de travail ou les effets de sa rupture pour les employeurs et pour les salariés de droit privé, en :

a) Chargeant l’autorité administrative compétente de faciliter l’accès par voie numérique de toute personne au droit du travail et aux dispositions légales et conventionnelles qui lui sont applicables et en définissant les conditions dans lesquelles les personnes peuvent se prévaloir des informations obtenues dans ce cadre ;

b) Modifiant les dispositions relatives à la réparation financière des irrégularités de licenciement, d’une part, en fixant un référentiel obligatoire, établi notamment en fonction de l’ancienneté, pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, à l’exclusion des licenciements entachés par des actes de harcèlement ou de discrimination et, d’autre part, en modifiant en conséquence, le cas échéant, les dispositions relatives au référentiel indicatif mentionné à l’article L. 1235-1 du code du travail ainsi que les planchers et les plafonds des dommages et intérêts fixés par le même code pour sanctionner les autres irrégularités liées à la rupture du contrat de travail ;

c) Adaptant les règles de procédure et de motivation applicables aux décisions de licenciement ainsi que les conséquences à tirer du manquement éventuel à celles-ci, en amont ou lors du recours contentieux, en permettant notamment à l’employeur de rectifier dans la lettre de licenciement les irrégularités de motivation si elles sont sans incidence sur la cause réelle et sérieuse du licenciement ;

d) Réduisant les délais de recours en cas de rupture du contrat de travail, notamment en diminuant au moins de moitié le délai de contestation portant sur la régularité ou la validité d’un licenciement pour motif économique ;

e) Clarifiant les obligations de l’employeur en matière de reclassement pour inaptitude d’origine professionnelle ou non professionnelle et en sécurisant les modalités de contestation de l’avis d’inaptitude ;

e bis) (Supprimé)

f) Favorisant et sécurisant les dispositifs de gestion des emplois et des parcours professionnels ;

g) Favorisant et sécurisant les plans de départs volontaires, en particulier en matière d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel ainsi que d’accompagnement du salarié ;

2° De modifier les dispositions relatives au licenciement pour motif économique en :

a) Définissant les éventuels aménagements à la règle selon laquelle les difficultés économiques et la sauvegarde de la compétitivité d’une entreprise appartenant à un groupe sont appréciées au niveau des entreprises appartenant au même groupe, situées en France et relevant du même secteur d’activité ;

b) Prenant toute disposition de nature à prévenir ou tirer les conséquences de la création artificielle ou comptable de difficultés économiques à l’intérieur d’un groupe à la seule fin de procéder à des suppressions d’emploi ;

c) Précisant les conditions dans lesquelles l’employeur satisfait à son obligation de reclassement ;

d) Définissant les conditions dans lesquelles sont appliqués les critères d’ordre des licenciements dans le cadre des catégories professionnelles en cas de licenciement collectif pour motif économique ;

e) Adaptant les modalités de licenciements collectifs à la taille de l’entreprise et au nombre de ces licenciements ;

f) Facilitant les reprises d’entités économiques autonomes ;

3° De modifier les règles de recours à certaines formes particulières de travail en :

a) Favorisant le recours au télétravail et au travail à distance en vue d’assurer une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale ;

b) Prévoyant la faculté d’adapter par convention ou accord collectif de branche, dans les limites d’un cadre fixé par la loi, les dispositions, en matière de contrat à durée déterminée et de contrat de travail temporaire, relatives aux motifs de recours à ces contrats, à leur durée, à leur renouvellement et à leur succession sur un même poste ou avec le même salarié ;

c) Favorisant et sécurisant, par accord de branche, dans les limites d’un cadre fixé par la loi, le recours aux contrats à durée indéterminée conclus pour la durée d’un chantier ou d’une opération ;

d) Sécurisant le recours au travail de nuit, lorsque celui-ci relève d’une organisation collective du travail, en permettant une adaptation limitée de la période de travail de nuit de nature à garantir un travail effectif jusqu’au commencement et dès la fin de cette période, ainsi qu’en renforçant le champ de la négociation collective dans la définition du caractère exceptionnel du travail de nuit ;

e) Favorisant et sécurisant, par une adaptation des dispositions en droit du travail et en droit fiscal, le prêt de main-d’œuvre à but non lucratif entre un groupe ou une entreprise et une jeune entreprise ;

4° D’encourager le recours à la conciliation devant la juridiction prud’homale, en modifiant les règles de procédure applicables durant la phase de conciliation, et de modifier le régime fiscal et social des sommes dues par l’employeur et versées au salarié à l’occasion de la rupture de contrat de travail, afin d’inciter à la résolution plus rapide des litiges par la conclusion de ruptures conventionnelles, de transactions, d’accords devant le bureau de conciliation et d’orientation, ou de toute autre modalité de règlement, notamment devant l’autorité mentionnée à l’article L. 5542-48 du code des transports ;

5° De prolonger jusqu’au 31 mars 2018 le mandat des conseillers prud’hommes sortants pour leur permettre de rendre les décisions relatives aux affaires débattues devant eux et pour lesquelles ils ont délibéré antérieurement durant leur mandat, à l’exclusion de toutes autres attributions liées au mandat d’un conseiller en exercice ;

6° De supprimer l’interdiction de cumuler le mandat de conseiller prud’homme avec, d’une part, celui d’assesseur du tribunal des affaires de sécurité sociale et, d’autre part, celui d’assesseur du tribunal du contentieux de l’incapacité.

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, sur l’article.

Mme Évelyne Yonnet. L’article 3 du projet de loi d’habilitation comporte, lui aussi, des reculs en matière de droit du travail pour les salariés.

En effet, sauf explicitation de votre part, madame la ministre, cet article, tel qu’il est rédigé, entraîne une diminution énorme des obligations des employeurs en matière de licenciement, au travers du plafonnement des indemnités de licenciement, de la baisse des obligations de reclassement, de la réduction des critères de motivation lors du licenciement, de la diminution des sanctions en cas d’irrégularités, du raccourcissement des délais de recours pour les salariés en cas de contestation et, plus largement, de l’assouplissement du droit du licenciement économique et de la modification des règles concernant les contrats à durée déterminée.

Cet article permet également d’étendre le contrat de chantier, notamment dans le secteur du bâtiment, via le contrat de projet. Cette extension, voire cette généralisation, ne saurait que créer une société d’intérimaires.

Madame la ministre, je ne vois pas a priori en quoi cet article offre une part de sécurisation aux salariés, ni en quoi ces réductions de droits pour les salariés vont renforcer le dialogue social. Je compte sur les explications que vous donnerez dans vos réponses aux amendements des différents groupes politiques.

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, sur l’article.

M. Olivier Cadic. Cet article prévoit principalement d’instaurer un barème des dommages et intérêts pouvant être alloués par un juge aux prud’hommes. Je me réjouis de cette mesure ; j’avais d’ailleurs, par le passé, déposé un amendement visant à plafonner ces indemnités. Je la soutiens, car le coût d’un licenciement en France paraît être un frein à l’embauche.

Le Gouvernement propose de créer un référentiel obligatoire des dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il en exclut les licenciements caractérisés par une faute de l’employeur particulièrement grave. Ce qui est en cause, c’est non pas le principe de la réparation du préjudice subi, mais bien le manque de visibilité des employeurs sur les conséquences financières des licenciements.

En effet, 30 % des licenciements pour motif personnel font l’objet d’un recours, et, comme l’indique le rapport de la commission, les montants peuvent osciller d’un rapport de 1 à 620 : autant de risques de contentieux qui dissuadent certaines entreprises de recruter.

La mise en place d’un barème est un début de solution. Encore faut-il que d’autres promesses n’en annulent pas les effets. À cet égard, je souhaiterais avoir votre avis, madame la ministre, sur un sujet : des organisations patronales ont manifesté leur réprobation à la suite de votre annonce d’augmenter les indemnités légales de licenciement. Votre décision prend-elle en compte l’existence de tous les autres types d’indemnités, de préavis, de congés payés, supralégales ?

Je comprends que la recherche d’un apaisement avec les organisations syndicales puisse justifier cette annonce. Mais avez-vous prévu une piste de simplification ? Quoi qu’il en soit, il faut aller plus loin en matière de procédure devant les prud’hommes, en revoyant notamment les délais d’instruction, comme le proposait ma collègue Françoise Gatel dans un amendement.

M. le président. La parole est à Mme Annie David, sur l’article.

Mme Annie David. Cet article est un blanc-seing donné à l’employeur pour faciliter les licenciements illégaux et limiter les recours et l’indemnisation des salariés après avoir, au préalable, écarté les gêneurs, c’est-à-dire les représentantes et représentants du personnel et les délégués syndicaux, et remplacé le juge judiciaire par un décret.

Apprécier la situation particulière d’un salarié et évaluer son préjudice par décret en lieu et place d’un juge est une approche profondément choquante de la justice que je refuse de partager, et je vous invite, mes chers collègues, à faire de même.

Profondément choquante et inacceptable aussi est la possibilité, pour apprécier la cause économique d’un licenciement, de dissocier l’entreprise ou le secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise. Nous avons trop d’exemples, dans nos territoires, d’entreprises appartenant à des groupes florissants, bénéficiant d’ailleurs souvent d’aides publiques, actives sur des créneaux porteurs, qui distribuent les dividendes et organisent la faillite ou la casse de leur outil au détriment de l’emploi, des salariés et du développement industriel. Oserez-vous dire aux salariés menacés et aux élus locaux que vous avez autorisé cette procédure ?

Non moins choquante est la sécurisation des « départs volontaires », qui masquent en général des départs contraints, comme à General Electric Hydro à Grenoble, dont je vous ai parlé hier soir et dont la proposition de « plan de sauvegarde de l’emploi », qui porte bien mal son nom, est indécente. J’ai d’ailleurs sollicité le Gouvernement sur le cas de cette entreprise. Peut-être pourrez-vous m’apporter une réponse pendant ce débat ? J’ai également demandé au préfet d’organiser le plus rapidement possible une table ronde pour réunir tous les protagonistes.

Mais sans doute les plus jeunes des salariés licenciés pourront-ils être réembauchés plus tard en CDD ou en contrats de mission renouvelables à l’envi, puisque vous comptez étendre les possibilités de CDD.

Les jeunes mettent déjà aujourd’hui six à huit ans avant de décrocher un CDI. Ce sont les mêmes à qui Emmanuel Macron a sans doute pensé en imaginant un nouveau bail de location limité dans le temps de trois à douze mois maximum, étrangement adapté à la durée de leur futur contrat de travail.

Comment, mes chers collègues, pouvez-vous adopter de telles mesures et ensuite aller à leur rencontre en les assurant que la jeunesse est votre priorité ?

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. Les besoins en qualifications et en connaissances n’ont jamais été aussi grands dans notre pays et appellent des efforts de formation sans précédent.

Nous avons été très choqués d’entendre Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, affirmer dans cet hémicycle la semaine dernière : « Il est temps de dire à certains jeunes qu’il est impossible qu’ils réussissent. » Ainsi, votre collègue abandonne la mission qui doit être la sienne, celle de former au mieux les jeunes de notre pays afin qu’ils aient accès à l’emploi dans les meilleures conditions, pour littéralement les « projeter » dans plus de précarité. En élargissant grandement le recours aux contrats de mission, la précarité concernera autant les jeunes qualifiés qui seront remerciés à l’issue de leur contrat que les jeunes non qualifiés promis aux petits boulots.

Comment inciter les jeunes à faire des études si la seule perspective que vous leur offrez est la précarité ? Comment réduire le chômage qui frappe – faut-il le rappeler ici ?– un quart des jeunes si la seule perspective que vous leur offrez est la flexibilité ?

La flexibilité fragilise encore davantage les personnes aux avant-postes de la précarité, à savoir les jeunes, les femmes et les immigrés. En fait, il s’agit de l’extension, à tous les niveaux et dans tous les secteurs, d’un CDI intermittent. Que l’on ne s’y trompe pas : il porte bien le nom de CDI pour rassurer – dormez, braves gens, on s’occupe de vous ! –, mais il a le goût du CDD, favorisant l’explosion de la précarité.

Comment un jeune qui entre de plus en plus tard sur le marché de l’emploi peut-il accéder à un logement, fonder une famille, avec vos contrats de mission ? C’est parfaitement impossible, vous le savez. Vous le comprendrez aisément, mes chers collègues, nous nous opposons à l’article 3.

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l’article.

M. Dominique Watrin. La loi Macron a largement modifié la procédure devant le conseil de prud’hommes. Le décret du 20 mai 2016 pris en application de cette loi en fait une procédure écrite et la rend plus complexe tant au moment de la saisine qu’au niveau de l’appel.

Depuis le 1er août 2016, tout salarié doit ainsi saisir les prud’hommes au moyen d’une requête écrite, compliquée, alors que cette saisine pouvait jusqu’alors se faire oralement en se rendant au siège du conseil des prud’hommes.

Cette difficulté semble dissuader le nombre de salariés de faire valoir leurs droits. Un peu partout en France, les conseils de prud’hommes le constatent.

Au conseil de prud’hommes de Paris, durant la période allant d’août à décembre 2016, a été constatée une baisse de 40 % du nombre de saisines par rapport à la même période en 2015.

Une forte baisse est aussi constatée du côté des prud’hommes de Bobigny, une diminution telle que la juridiction a été obligée d’annuler un bureau de conciliation sur le collège de l’encadrement par manque de demandes.

Du côté des prud’hommes de Lyon – on pourrait citer de nombreux autres exemples –, on a enregistré une baisse d’environ 40 % des saisines sur la période allant du mois d’août au mois de février entre 2015-2016 et 2016-2017.

Le problème posé est donc celui de l’accessibilité au droit, rendue plus difficile pour les salariés. La disparition d’environ 60 conseils de prud’hommes depuis la loi Dati oblige, nous disait un syndicaliste lors des auditions sénatoriales, des salariés à faire jusqu’à 110 kilomètres aller-retour pour assister aux audiences. Plutôt que de vouloir à tout prix limiter les contentieux, le Gouvernement serait mieux inspiré de faciliter la reconnaissance des droits des salariés victimes de la non-application du code de travail.

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, sur l’article.

Mme Élisabeth Lamure. L’article 3 a pour objet de sécuriser la relation de travail, ce dont nous pouvons nous réjouir. Nous devons tout faire, en effet, pour lutter contre la dualité du marché du travail qui oppose les heureux détenteurs d’un CDI à ceux qui sont embauchés en CDD ou en contrats de travail temporaire, contrats pourtant plus coûteux pour l’entreprise, mais moins risqués en matière de contentieux.

Dans une tribune publiée en mars 2016, plusieurs économistes, dont le prix Nobel Jean Tirole, avaient montré que les jeunes et les moins qualifiés étaient les « grands perdants d’un marché du travail qui exclut les plus fragiles ou les relègue dans les emplois précaires, tant les entreprises craignent d’embaucher en CDI ». Aussi, toute réforme qui contribue à faire tomber les barrières à l’embauche en CDI est la bienvenue.

Je regrette pourtant que le projet de loi n’ait pas prévu de pousser la logique jusqu’au bout. Prenons le cas des contrats de chantier : l’étude d’impact du projet de loi précise qu’« un tel contrat peut concerner toute opération dont l’objet est précisément défini, le début et la fin clairement identifiés mais dont la durée et le terme sont incertains ». Il est indiqué ensuite que « ce type de contrat ne serait pas généralisé, mais bien limité aux branches ayant conclu un accord pour la mettre en œuvre ».

Il est dommage d’en limiter d’office l’usage, car les chefs d’entreprise sont aujourd’hui confrontés en permanence à la gestion de projets de nature très variée, dont les contraintes sont les mêmes que celles des chantiers. Le refus de la généralisation de ce type de contrat est un déni de la réalité à laquelle sont confrontées les entreprises françaises.

Au printemps 2016, la délégation sénatoriale aux entreprises avait réalisé un sondage auprès de son réseau d’entrepreneurs pour savoir quelles réformes ils jugeaient prioritaires : arrivait en tête de leurs besoins l’instauration d’un CDI prédéfinissant les conditions et causes de rupture, telles que la fin d’un projet ou la fin de fabrication d’un produit.

Nous devons tout mettre en œuvre pour favoriser la souplesse du contrat de travail. Ainsi, nous favoriserons l’emploi.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot, sur l’article.

Mme Dominique Gillot. Monsieur le président, madame la ministre, l’article 27 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées confirme que, dans la dynamique d’inclusion, celles-ci ont droit au travail, notamment à la possibilité de gagner leur vie en accomplissant un travail librement choisi ou accepté sur un marché du travail et dans un milieu de travail ouvert.

Mais si, au cours des dernières années, à la suite du renforcement de l’obligation d’emploi des personnes handicapées par la loi de 2005, le nombre de personnes identifiées en emploi a progressé, dans le secteur tant privé que public, elles restent cependant insuffisamment présentes en milieu ordinaire de travail, au regard de l’exclusion massive dont elles font l’objet.

Elles sont davantage exposées au chômage, dont le taux atteint un niveau inacceptable avec près de 500 000 demandeurs en situation de handicap, qui le sont souvent dans des conditions très défavorables notamment en termes de durée, ce qui rend leur accès ou leur retour à l’emploi difficile. Elles sont dès lors davantage exposées à la précarité, aux minima sociaux, aux ruptures de droits et aux difficultés périphériques. Elles sont vulnérables dans l’emploi et courent un risque important de perte d’emploi, notamment dans un marché du travail très concurrentiel.

Le maintien dans l’emploi n’est pas encore un réflexe dans l’entreprise, et la mise en œuvre de l’obligation de reclassement par les employeurs largement améliorable. Plus de 90 % des avis d’inaptitude sont souvent suivis d’un licenciement.

Le droit fondamental à exercer un travail reste un droit fragile et insuffisamment soutenu, en dépit des dispositifs et des moyens déployés. Leur trajectoire vers et dans l’emploi reste insuffisamment sécurisée pour garantir un véritable droit au travail des personnes en situation de handicap.

J’attire également l’attention sur les difficultés spécifiques d’accès, de maintien ou de retour en emploi rencontrées par les proches aidants de personnes en situation de handicap.

Ces inquiétudes pour l’emploi des personnes en situation de handicap et de leurs proches aidants seraient surmontées par une garantie d’accès au droit de façon à permettre le déploiement de trajectoires vers et dans l’emploi pour tous, dès l’âge de seize ans et jusqu’à l’âge de la retraite, le pilotage des politiques publiques pour l’emploi des personnes en situation de handicap, qui doit inclure les moyens de mise en œuvre, de suivi et d’évaluation, et, enfin, une attention permanente à la meilleure manière de reconnaître les aptitudes et les compétences des travailleurs handicapés, leur capacité contributive à la vie économique.

Puisque l’article 3 vise à renforcer la prévisibilité et à sécuriser la relation de travail, mais aussi à clarifier les obligations de l’employeur en matière de reclassement pour inaptitude, je proposerai des amendements visant à préciser les droits des personnes handicapées en milieu de travail ordinaire et la préservation de leur accès.