PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article 8 (début)
Dossier législatif : projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2020
 

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Dossier législatif : projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement
Discussion générale (suite)

Prévention d’actes de terrorisme et renseignement

Adoption en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement
Article 1er bis

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (projet n° 771, texte de la commission n° 779, rapport n° 778).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le Gouvernement, en responsabilité, maintient la ligne qui n’a cessé d’être la sienne depuis 2017 : garantir l’équilibre entre efficacité de l’action antiterroriste et préservation des libertés individuelles. Fort de cette constance, il revient aujourd’hui devant vous, en nouvelle lecture, déterminé à défendre des positions – mûrement réfléchies, travaillées, pensées – visant à soutenir un texte essentiel pour renforcer l’arsenal législatif en matière de lutte antiterroriste, s’agissant singulièrement du suivi des sortants de prison condamnés pour terrorisme.

Ce sont des considérations d’efficacité opérationnelle, de pragmatisme, de respect de l’équilibre initial et de recherche du plus large consensus qui continuent à nous animer collectivement. Je souhaite, à cet égard, remercier particulièrement, au nom du Gouvernement, les membres de la commission des lois du Sénat, mais aussi ceux de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) et de la mission d’information sur l’évaluation de la loi Renseignement, ainsi que les rapporteurs, pour la qualité du travail commun mené depuis plusieurs mois avec le Gouvernement, en dépit, parfois, de certaines divergences. Je souhaite que ce travail commun se poursuive, tant il est important que nous agissions ensemble et avec responsabilité sur ces questions.

Je voudrais également saluer nos services de renseignement, nos policiers, nos gendarmes, qui, chaque jour, font un travail exceptionnel pour identifier les menaces, suivre les individus dangereux et mettre en péril leurs projets meurtriers.

Nous sommes en nouvelle lecture donc, après l’échec de la commission mixte paritaire (CMP). Alors même qu’un consensus, dont nous devons tous nous féliciter, s’est dégagé sur la majorité des dispositions de ce texte relatif à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement, une divergence de vues sur le dispositif de suivi des sortants de prison condamnés pour terrorisme a conduit à cet échec, que nous assumons.

Vous le savez, 188 condamnés terroristes islamistes sortiront de détention d’ici à 2025, dont beaucoup demeurent ancrés dans une idéologie radicale. Ces individus, qui constituent le « haut du spectre » des objectifs suivis par les services de renseignement, présentent des enjeux sécuritaires multiples à la sortie de la détention : prosélytisme, menace à court terme, représentée par certains profils impulsifs, menace à moyen et long terme relative à des projets d’attentats ou encore tentatives de redéploiement vers des zones de djihad à l’étranger.

L’expérience acquise au cours des dernières années nous permet aujourd’hui d’affirmer que le placement sous Micas (mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance) constitue, pour ces profils, un outil particulièrement utile et adapté : il permet de faciliter la surveillance d’individus sortant de prison, d’observer leurs relations habituelles, leur pratique, leur activité sur les réseaux sociaux, leurs efforts de réinsertion, etc., quand la mise en place d’une surveillance physique ou technique à temps plein se révélerait difficile, en raison des ressources humaines qu’elle nécessiterait de mobiliser. Pour ces profils présentant une dangerosité élevée, la limite de douze mois se révèle toutefois inadaptée.

D’ores et déjà, un certain nombre de Micas – dix-neuf depuis 2017 – sont arrivées à échéance, alors même que les services sont en mesure de justifier de la persistance de la menace constituée par le comportement des individus concernés. C’est pourquoi le projet du Gouvernement, voté par l’Assemblée nationale, prévoit, dans des conditions strictement encadrées, un allongement de ces Micas à une durée de deux ans.

Je rappelle que cet allongement est accompagné de garanties fortes, qui permettent de sécuriser la mesure sur le plan constitutionnel. Ainsi, la Micas ne pourra être prolongée jusqu’à vingt-quatre mois qu’à l’encontre d’individus condamnés pour des faits de terrorisme à au moins cinq ans de détention, ou trois ans en cas de récidive. En outre, au-delà de douze mois, le renouvellement de la mesure sera soumis à l’existence d’éléments nouveaux ou complémentaires.

En 2018, le Conseil constitutionnel a, il est vrai, fait de la limitation à douze mois l’un des éléments du bilan de la constitutionnalité des Micas. Il s’est cependant prononcé sur une population différente et bien plus large que celle qui est visée par l’amendement du Gouvernement : étaient ainsi concernées, de manière générale, les personnes présentant des signes avérés de radicalisation, y compris celles qui ne sont pas passées à l’acte et qui n’ont donc pas pu faire l’objet d’une judiciarisation. Il s’agit donc de cas différents.

En revanche, le juge constitutionnel n’a pas été saisi du cas spécifique des individus ayant fait l’objet d’une condamnation pour des faits de terrorisme, qui présentent une différence objective de situation pouvant justifier des mesures plus contraignantes. Le Conseil constitutionnel a indiqué que la Micas ne pouvait se prolonger indéfiniment, aussi longtemps que dure cette menace, mais il n’a pas interdit au législateur d’allonger sa durée pour les profils les plus dangereux, dès lors que celle-ci continue à être bornée dans le temps.

Tels sont les éléments que je souhaitais une nouvelle fois, au nom du Gouvernement, porter dans cet hémicycle.

La mobilisation du Gouvernement pour lutter contre le terrorisme depuis 2017 ne serait pas possible sans le soutien constant du Parlement : renforcement des moyens humains, budgétaires et aussi – surtout, oserais-je dire ici – juridiques, au profit de l’ensemble des services de renseignement, des forces de sécurité, des magistrats et de l’ensemble des services de l’État qui mènent ce difficile combat sans relâche. (M. Alain Richard applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (M. Philippe Mouiller applaudit.)

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chacun ici dans cet hémicycle souhaite mettre en place le dispositif le plus efficace de prévention des actes de terrorisme. Nous nous associons d’ailleurs à l’hommage que Mme la ministre a rendu à nos services de police, en général, et à nos services de renseignement, en particulier, dont l’abnégation est exemplaire. Reste que les moyens pour y parvenir sont multiples.

Après l’échec de la commission mixte paritaire, le 9 juillet 2021, l’Assemblée nationale a achevé, le 13 juillet, l’examen en nouvelle lecture de ce projet de loi.

Sur les trente-six articles du texte, dix-neuf restaient en discussion. L’Assemblée nationale en a adopté six sans modification et a confirmé une suppression. Elle a voté les douze articles restant avec des modifications substantielles par rapport au texte du Sénat, pour la partie relative au terrorisme, notamment aux articles 2, 3 et 5.

Nous étions très proches d’un accord avant la commission mixte paritaire, mais l’intransigeance du Gouvernement a rendu son échec inévitable. Cette intransigeance s’est confirmée en nouvelle lecture, alors que les points de vue s’étaient fortement rapprochés entre députés et sénateurs juste avant la CMP.

Je rappelle que notre principal point de désaccord porte sur les modalités de suivi des personnes condamnées pour des actes de terrorisme sortant de détention. Nous sommes d’accord sur le constat : les dispositifs existants ne permettent pas d’assurer leur suivi de manière satisfaisante, puisque près de deux cents d’entre eux vont sortir, dont un quart sont considérés par le parquet comme très dangereux et susceptibles de récidiver. Nous sommes en désaccord, en revanche, sur les voies de réponse.

Le Gouvernement et l’Assemblée nationale proposent d’allonger la durée des Micas à deux ans, afin d’assurer la surveillance de ce public, tout en instaurant une mesure judiciaire qui se concentrerait sur leur réinsertion. Nous proposons, quant à nous, de remettre la loi votée en juillet dernier sur le métier, en instaurant une mesure judiciaire à visée non pas seulement de réadaptation sociale, mais également de surveillance de l’individu.

Nous étions éventuellement prêts à envisager une évolution sur les deux ans des Micas, à condition de conserver cette mesure de sûreté, avec une dimension d’ensemble. Les mesures de suivi judiciaire nous semblent présenter plusieurs avantages : prononcées par un juge, elles offrent des possibilités de surveillance plus longue et potentiellement plus contraignante ; elles présentent des garanties plus importantes pour les individus concernés, car elles sont prononcées à l’issue d’une procédure contradictoire ; elles permettent, enfin, d’associer aux mesures de surveillance des mesures sociales visant à favoriser la réinsertion de la personne.

L’Assemblée nationale n’a pas souhaité donner suite à nos multiples propositions de compromis sur l’article 5. Je rappelle que nous en avons pourtant fait douze et que nous avions beaucoup travaillé.

Face à cette position intransigeante de la majorité gouvernementale, nous vous proposerons de supprimer les prolongations des Micas à l’article 3, mais d’adopter, à l’article 5, une rédaction qui avait été discutée avec les députés préalablement à la CMP. Il s’agit, afin d’assurer la bonne articulation entre mesure judiciaire et mesure administrative, de prévoir que, lorsque la mesure de sûreté comprend des obligations qui sont similaires à celles prononcées dans le cadre des Micas, les premières ne peuvent entrer en vigueur que lorsque les secondes sont levées.

Nous vous proposerons également de rétablir le texte du Sénat à l’article 2. Notre texte permet une caractérisation plus précise des locaux annexes au lieu de culte qu’il sera possible de fermer s’il existe des raisons sérieuses de penser que ceux-ci seraient utilisés pour faire échec à l’exécution de la mesure de fermeture du lieu de culte.

Dans une perspective de conciliation avec l’Assemblée nationale, nous vous proposerons de supprimer la mention de l’accueil habituel de réunions publiques, étant entendu que les mesures de police administrative ne peuvent concerner des lieux privés, cette mention semble redondante.

Voilà l’essentiel pour la partie terrorisme ; je cède maintenant la parole à ma collègue Agnès Canayer pour le volet renseignement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Richard applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, concernant la partie renseignement, la priorité du Sénat a été de doter les services des moyens adaptés pour faire face à l’évolution, notamment technologique, des pratiques terroristes et criminelles qui menacent la sécurité intérieure de notre pays. Notre travail a été guidé par le respect des libertés constitutionnelles, en nous assurant notamment de la protection de la vie privée, par un réel encadrement législatif doublé de contrôles suffisants.

En première lecture, le Sénat avait abouti à un juste équilibre entre liberté et sécurité. Après des discussions très constructives avec mon homologue, le député Loïc Kervran, et grâce aux nombreux échanges menés au sein de la DPR, nous étions parvenus à nous entendre sur la partie relative au renseignement. Cet accord n’a malheureusement pas survécu à l’échec de la CMP.

Les députés ont rétabli l’accès des services du second cercle à l’expérimentation relative à l’interception des données satellitaires, mais cela ne constitue pas pour nous un point de blocage. L’Assemblée nationale a en effet précisé que les services du second cercle concernés seront ceux dont les missions le justifient et seront déterminés « par un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ». Dès lors, les conditions de participation de ces services nous paraissent satisfaisantes et suffisamment précises.

En revanche, à l’article 13, les députés ont supprimé le caractère expérimental de l’extension du traitement par l’algorithme des URL, prévu par le Sénat jusqu’au 31 juillet 2025. Or, d’un point de vue tant technique que juridique, cette extension ne nous paraît pas possible sans une expérimentation préalable.

Je rappelle que les URL sont des données de nature mixte, qui relèvent à la fois des données de connexion et du contenu des communications et qu’elles font donc légitimement l’objet d’une protection renforcée. La nécessité d’une expérimentation avait été soulignée par la DPR dans son dernier rapport, et je regrette que nous n’ayons pas trouvé d’accord sur ce point. Nous vous proposerons donc de rétablir la version du Sénat à l’article 13.

Outre des modifications purement rédactionnelles, les députés sont revenus sur une précision que nous avions introduite à l’article 15 sur la conservation des données de connexion.

Vous le savez, le régime français a été clairement remis en cause par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qui pourrait avoir des incidences potentiellement très importantes sur les enquêtes judiciaires.

Nous souhaitions inscrire dans la loi que les catégories de données conservées par les opérateurs dans le cadre de leur obligation de conservation permanente, c’est-à-dire les données relatives à l’identité, les coordonnées de contact et de paiement, les comptes et les adresses IP, devaient rester accessibles aux autorités judiciaires lors des procédures de réquisition habituelles. Une telle mesure est conforme à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne et faciliterait le travail des enquêteurs. C’est pourquoi nous vous proposerons de la rétablir.

Enfin, alors que le Sénat avait adopté deux amendements rédactionnels sans modifier la teneur de l’article 7 portant sur la communication d’informations aux services de renseignement par les autorités administratives, l’Assemblée nationale a adopté un amendement de fond visant à apporter des garanties supplémentaires pour tenir compte de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 9 juillet dernier, c’est-à-dire après la réunion de la commission mixte paritaire.

Plus précisément serait supprimée la possibilité offerte aux autorités administratives de transmettre des informations aux services de renseignement de leur propre initiative. La transmission des données les plus sensibles serait par ailleurs encadrée et les exigences de traçabilité renforcées. Ces dispositions me semblent de nature à mieux encadrer cette transmission d’informations. Je vous propose donc de ne pas les modifier.

À l’inverse, les députés ont adopté conforme l’article 19 relatif aux archives classifiées. En première lecture, nous avons eu des débats très approfondis sur le sujet : le dialogue doit se poursuivre entre les représentants de la profession et les ministères et services concernés, mais nous ne sommes pas appelés à en rediscuter en nouvelle lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Maryse Carrère ainsi que MM. Franck Menonville et Alain Richard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’actualité nous prouve que les outils de renseignement les plus puissants et les méthodes d’intrusion les plus élaborées sont susceptibles d’être développés et utilisés par des acteurs privés. Les nouvelles technologies, les constellations satellitaires, la 5G, mais aussi, plus prosaïquement, les applications mobiles nous le démontrent également, et tout indique que nous allons poursuivre dans cette voie.

Il me semble qu’il y aurait un certain paradoxe à laisser des opérateurs privés mener des actions de renseignement, tout en n’habilitant pas les services publics, que l’on encadrerait, à agir dans ce domaine. Il me semble qu’il y aurait un certain paradoxe à l’accepter pour des acteurs privés, mais pas pour ceux qui ont vocation à nous protéger.

En effet, la maîtrise des techniques de renseignement est aujourd’hui essentielle pour protéger les Français, physiquement comme dans leur vie privée. Les débats que nous avons et les constats que nous dressons à propos de l’affaire Pegasus depuis quelques jours le montrent bien. C’est la raison pour laquelle il est indispensable d’encadrer les services de renseignement : cette précaution est primordiale dans une société démocratique.

De ce point de vue, la loi de 2015 a constitué une rupture. Je pense à la création de la CNCTR ou des moyens accordés au GIC, qui permettent d’encadrer la manière dont les techniques de renseignement sont utilisées par la puissance publique en France.

Aujourd’hui, les nouvelles technologies exigent que nous améliorions et élargissions la portée des dispositifs existants. C’est ce que prévoit ce texte. C’est pourquoi nous soutenons les propositions de la rapporteure. Je pense notamment à la nature intrusive des URL – nous aurons ce débat tout à l’heure –, qui nous impose de rendre expérimentale la possibilité de les inclure parmi les données traitées par algorithme.

Il nous faut toutefois regretter, en particulier compte tenu de l’actualité, que le texte ne prenne pas en compte l’arrêt de la CEDH du 25 mai dernier, qui appelle à un encadrement des relations avec les services étrangers. L’affaire actuelle montre que ce qu’il n’est pas possible de faire dans un pays peut être sous-traité ailleurs, si bien qu’en l’absence d’encadrement des échanges il y a problème et, donc, potentielle fuite. Autrement dit, l’encadrement ne sert finalement à rien.

Par ailleurs, si les échanges de nos propres services avec l’étranger ne sont pas encadrés, un certain nombre de pays et de partenaires proches, qui se conforment, eux, à l’arrêt de la CEDH, ne pourront plus travailler de la même manière avec nous. Cette évolution est donc indispensable.

Pour ce qui est du terrorisme, les menaces au Levant, en Afghanistan et en Libye ainsi que l’évolution de ces menaces nous obligent à continuer de disposer d’outils pour protéger les Français. Le recours à ces instruments doit néanmoins se faire conformément à nos valeurs. Si nous en changions, nous offririons la victoire aux terroristes. C’est la raison pour laquelle, depuis le début, le groupe socialiste considère que la prévention relève du pouvoir administratif, mais que, dès que c’est possible, il faut judiciariser les modalités de suivi des condamnés pour terrorisme, de manière à placer les éventuelles mesures de privation de liberté sous le contrôle du juge. Cette réponse repose sur une bonne coopération entre le parquet et les services administratifs, ainsi que sur la conviction que les moyens à la disposition des services de renseignement, de la police et de la justice jouent toujours un rôle plus déterminant que les lois dans la protection des Français.

Les Micas, particulièrement intrusives, sont peut-être nécessaires. Nous avons d’ailleurs dit à plusieurs reprises que nous n’étions pas opposés à leur maintien, même si nous avons rappelé notre souhait d’un contrôle régulier du Parlement et de validations législatives régulières au cas où nous les prolongerions. Ce n’est toutefois pas la version qu’avait retenue la commission mixte paritaire.

Même si celle-ci a finalement échoué, il existe tout de même un certain nombre de convergences entre le Sénat et l’Assemblée nationale que nous ne partageons pas. C’est pourquoi, pour nous assurer que les dispositions votées par le Parlement seront conformes aux garanties qu’offre notre Constitution, notamment sur le volet relatif au terrorisme, nous saisirons le Conseil constitutionnel. Nous voulons lever tout doute quant au texte adopté par le Parlement.

Je terminerai en faisant deux remarques.

En premier lieu, je veux m’arrêter sur l’article 15 et la manière dont le Parlement et le Gouvernement proposent de sortir de la difficulté à laquelle nous sommes confrontés depuis que la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt qui impose aux opérateurs de communications électroniques de conserver les données de connexion, ce qui empêche la justice de faire son travail et les opérateurs de répondre aux près de 2 millions de réquisitions judiciaires qu’on leur adresse chaque année. Les parquets craignent vraiment de ne pas être capables de poursuivre leurs enquêtes avec la même fiabilité et robustesse.

Cet article 15, qui a été conçu sans que l’on s’intéresse à ce que font nos partenaires européens, pourtant soumis à la même législation, et sans que l’on se demande s’il ne faudrait pas changer la règle au niveau communautaire, dès lors que l’ensemble des pays européens sont susceptibles de rencontrer une difficulté en la matière, nous paraît quelque peu hasardeux. La question que je posais précédemment au ministre de la justice montre que le sujet est peut-être traité avec un peu trop de désinvolture, alors même que, pour donner confiance en la justice, il faut la doter de moyens robustes et fiables.

En second lieu, j’évoquerai l’article 19 sur les archives. Excusez-moi de le dire ainsi, mais il est vraiment scandaleux, alors que nous examinons de nouveau ce projet de loi aujourd’hui, que nous ne puissions pas présenter des amendements, tout cela parce qu’il y a eu accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat et que cet article a été adopté conforme.

Le groupe socialiste veut exprimer son désaccord absolu avec la méthode qui consiste à nous faire voter aujourd’hui un texte qui modifiera la base légale du régime de communicabilité des archives et qui rendra obsolète l’arrêt du Conseil d’État du 2 juillet dernier, qui annule les procédures de déclassification de chaque archive.

Ce n’est pas un petit sujet, car le fait de construire l’histoire de notre pays, non pas sur des mythes, mais sur la réalité, et de donner la possibilité à nos chercheurs de construire notre récit national sur les faits est essentiel. Or cela ne sera plus possible s’il n’est pas envisageable de déclassifier certains documents.

Nous savons bien qu’il est nécessaire de continuer à protéger un certain nombre d’archives qui peuvent encore présenter une utilité opérationnelle, mais nous considérons que la manière dont le débat a été mené en première lecture et ce à quoi il a abouti sont un réel scandale. C’est la raison pour laquelle, malgré notre accord sur un certain nombre de points, nous nous abstiendrons sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains.)

M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire n’est pas parvenue à élaborer un texte commun sur les dix-neuf articles restant en discussion. Je le regrette d’autant plus que l’exercice a échoué de peu. En effet, un compromis avait été trouvé sur les objectifs à atteindre en matière de renseignement. Ce ne fut malheureusement pas le cas pour les autres dispositions. L’un des points d’achoppement concernait l’articulation des mesures de suivi des sortants de prison. En effet, les membres de la commission mixte paritaire n’ont pas divergé sur le principe selon lequel ces sortants de prison condamnés pour des faits de terrorisme doivent faire l’objet d’un suivi, mais plutôt sur la nature et le contenu de ces mesures.

Je voudrais revenir sur quelques chiffres que j’ai déjà mentionnés à cette tribune il y a peu.

Dans les prisons françaises, 469 personnes sont détenues pour des actes de terrorisme islamiste ; 253 sont condamnées et purgent une peine ; 162 devraient être libérées dans les quatre prochaines années et risquent réellement de réitérer leurs actes. Ce risque, nous le savons tous, n’est pas théorique, et ces chiffres ne sont pas équivoques : il faut donc agir vite pour mieux protéger nos concitoyens.

La question des sortants de prison illustre de façon emblématique l’évolution d’une menace de plus en plus endogène. Aussi, il est de notre devoir de tout mettre en œuvre pour garantir la protection de nos concitoyens.

Ce projet de loi est primordial à bien des égards.

Tout d’abord, il touche au droit à la sûreté. Il nous permet de lutter avec plus d’efficacité contre les ennemis de la France, qui veulent nous toucher au cœur. À chaque attaque, c’est la République française tout entière qui est atteinte.

Ensuite, ce projet de loi est indispensable à tous ceux dont l’activité, bien souvent dans l’ombre, est de lutter au quotidien contre la menace terroriste.

Le terrorisme constitue un défi majeur de notre temps. C’est – il faut le dire – une nouvelle forme de guerre. Chaque jour qui passe nous rappelle à quel point la menace est omniprésente. Elle prend des formes diverses et variées et se nourrit des progrès technologiques.

Plus que l’obligation, nous avons le devoir d’y faire face. Nous devons donner aux services de renseignement les moyens de s’adapter à une nouvelle donne à la fois juridique, technologique et opérationnelle. Dans un autre contexte, l’actualité nous le rappelle.

Si une menace existe, elle doit être prise en compte. S’il existe un vide juridique, il doit être comblé.

Nous avons aussi le devoir d’éviter tout risque constitutionnel. Je pense notamment à la question de l’allongement de la durée des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance. À cet égard, je salue véritablement le travail de la commission des lois du Sénat, et je me félicite que le Sénat ait privilégié la voie du renforcement des dispositifs de suivi judiciaire.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants votera en faveur de ce texte modifié par notre commission. Il fixe le cadre législatif dont nous avons besoin pour améliorer la défense de notre nation contre toutes les formes de terrorisme et, ainsi, garantir la sécurité de nos concitoyens.

Comme le disait si justement le général de Gaulle : « La défense ! C’est la première raison d’être de l’État. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même. » (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires l’a affirmé clairement et à de nombreuses reprises : la menace terroriste existe et nul ne peut prétendre s’en désintéresser ou ne pas vouloir doter les pouvoirs publics des moyens nécessaires pour y faire face. Mais à quel prix ?

Au prix de l’affaiblissement des droits et libertés garantis par notre Constitution ? Au prix d’atteintes à la liberté d’aller et venir, au secret des correspondances, au secret professionnel ou encore au droit au respect de la vie privée et familiale ? Au prix de l’instauration d’une surveillance généralisée de nos concitoyens au moyen d’IMSI catcher, de captage des données de communication satellitaires et de recueil des URL ? Au prix d’un dessaisissement du juge dans sa mission de protection des libertés individuelles par la pérennisation, dans notre droit commun, du recours intensif à des procédures administratives relevant du cadre de l’état d’urgence ? À quel prix, donc ?

Par ailleurs, nous avions posé la question lors de l’examen de la proposition de loi Justice de proximité et réponse pénale : de quels moyens parlons-nous quand la justice pâtit d’un manque de ressources humaines et matérielles importantes, qui l’empêchent de mener à bien sa mission ?

Nous ne cesserons de le marteler, madame la ministre, le maigre budget global de la justice, couplé au manque de personnel, est au cœur des difficultés de notre système judiciaire. Et si la seule réponse que souhaite apporter ce gouvernement à la menace djihadiste est d’ordre sécuritaire, il signe dès aujourd’hui l’échec de la politique de prévention des actes terroristes en France.

Un tel projet de loi est disproportionné au regard des besoins des services de renseignement et, plus encore, si on l’envisage sous l’angle de son efficacité en matière de lutte contre le risque terroriste.

Le Gouvernement, dont le texte avait pour objectif initial de renforcer notre arsenal pénal, a perdu de vue cet objectif et tombe dans le piège de toutes les précédentes lois attentatoires aux libertés individuelles.

Le projet de loi traite par ailleurs de la question des archives : il prévoit de restreindre l’accès à celles-ci – notre collègue Leconte vient d’en parler –, ce qui contrevient à un autre droit consacré au niveau constitutionnel en vertu de l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le but recherché nous échappe et nombre de chercheurs, d’historiens, d’archivistes, mais aussi de responsables politiques se sont opposés à cette disposition.

Aucune réponse de fond n’a encore été apportée au problème réel que constitue la radicalisation, particulièrement en détention. À la place, le choix est arbitrairement fait de s’attaquer aux archives et d’inscrire dans notre droit des procédures exorbitantes du droit commun, qui viennent affaiblir peu à peu notre État de droit.

Comme nombre de défenseurs des libertés publiques, nous tirons la sonnette d’alarme : pouvons-nous réellement concevoir une société vivant dans un état d’urgence permanent ? L’accumulation et la pérennisation des lois d’exception – il s’agit là du huitième texte de cette nature depuis 2015 – ne sont jamais de bon augure.

Je regrette de surcroît l’absence totale de concertation préalable, tout comme je dénonce le recours à la procédure accélérée dont le Gouvernement a pris l’habitude : tous deux privent le Parlement d’un véritable débat.

S’agit-il réellement d’une manœuvre politicienne consistant à cranter les thématiques régaliennes dans le débat public à l’approche de l’élection présidentielle ? Chacun se fera son opinion sur la question.

En ce qui concerne le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, nous ne saurions l’accepter. Comme en première lecture, nous voterons contre ce texte. (MM. Patrick Kanner et Jean-Pierre Sueur applaudissent.)