Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer le travail remarquable des rapporteures – même si nous ne sommes guère surpris ! Grâce à leur engagement, le texte transpose avec fidélité les accords nationaux interprofessionnels négociés entre les partenaires sociaux. Je salue aussi leur vigilance sur l’article 10. Nous adhérons à la rédaction de cet article qu’elles nous proposent.
Ce projet de loi est important. Il donne toute leur place aux salariés expérimentés, que l’on appelle aussi les seniors. Car la France ne peut pas se permettre d’ignorer leur potentiel : ils sont dans bien des secteurs le socle de la transmission des savoirs, des repères et de la culture d’entreprise. Mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe reviendra sur ce point.
Comme le disait Raymond Barre, une société qui ne valorise pas ses anciens est une société qui oublie d’où elle vient et où elle va. Cela a déjà été dit, les chiffres sont implacables : en 2023, seulement 58,4 % des 55-64 ans étaient en emploi, contre plus de 78 % en Suède. Cela démontre qu’il existe encore de trop nombreux freins non seulement à l’embauche des seniors, mais aussi à leur maintien dans l’emploi.
Le texte apporte des réponses concrètes à ces problèmes.
Il vise à lever les freins à l’emploi grâce au contrat de valorisation de l’expérience, une innovation attendue qui concilie souplesse pour l’employeur et sécurité pour le salarié.
Il oblige les branches et les grandes entreprises à négocier régulièrement sur l’emploi des seniors et à favoriser des fins de carrière progressives, adaptées et humaines, afin d’éviter les sorties prématurées de l’emploi.
Enfin, le dialogue social reposant aussi sur la compétence des représentants du personnel, nous saluons la suppression symbolique de la limitation à trois du nombre de mandats successifs des élus du comité social et économique.
Mes chers collègues, j’aborderai également l’avenir en évoquant la véritable révolution culturelle qui se présente à nous en matière d’organisation du travail. Il est loin le temps où les seniors étaient la seule variable d’ajustement des entreprises en matière de ressources humaines. C’est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, celui où l’État accompagnait cette stratégie brutale des entreprises, celui du Fonds national pour l’emploi (FNE), quand certains partaient à la retraite dès 50 ans.
Ce temps est révolu, tant mieux ! Celui qui s’ouvre sera le temps des transitions plus fluides, celui du temps partiel – le terme figure bien dans le projet de loi –, mais aussi de la multiactivité. Cette question, absente du texte, est à approfondir, car elle concerne aussi, à mon sens, l’avenir de l’organisation des entreprises.
Les mutations de l’organisation du travail sont multiples et seront de plus en plus nombreuses avec l’intelligence artificielle (IA) et la robotisation ; elles permettent l’emploi des seniors. Rien de mieux et de plus pertinent que le paritarisme et le dialogue social, à l’image du modèle rhénan, pour que ces changements se fassent non pas contre les salariés, mais avec eux.
J’entends parfois les réserves de certains collègues sur le paritarisme. Mais le paritarisme ne signifie pas un abandon pour le Parlement ; il exige, comme l’a relevé la rapporteure Frédérique Puissat, un accompagnement humble. Pour citer Voltaire, comme je l’ai déjà fait en commission, « l’humilité est le contrepoison de l’orgueil ». Accepter, accompagner, faciliter le paritarisme, c’est faire œuvre utile.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe UC votera résolument ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 2050, les personnes âgées de plus de 60 ans seront au nombre de 22,3 millions en France. Autrement dit, elles représenteront près du tiers de la population.
Face à ce bouleversement démographique, le discours dominant est fondé sur la peur – il associe vieillissement et déclin – et sur une approche comptable des enjeux économiques et sociaux, comme le montre par exemple le recul de l’âge de départ à la retraite.
Loin d’être une charge ou un fardeau, les seniors sont aussi l’avenir de la France, à condition de poser les bonnes questions.
Comment améliorer les conditions de travail pour réduire la pénibilité et l’usure professionnelle et permettre de rester en emploi jusqu’à la retraite ?
Comment mieux prendre en compte les inégalités entre les femmes et les hommes, puisque, selon la Cour des comptes, les femmes de plus de 61 ans sont 33 % à n’être ni en emploi ni à la retraite, contre 22 % des hommes du même âge ?
Comment améliorer la formation continue des travailleurs seniors et lutter contre les stéréotypes qui veulent que ceux-ci soient incapables de s’adapter aux nouvelles technologies, qu’ils aient une moindre productivité et qu’ils occupent une place qui devrait être laissée aux jeunes ? Celles et ceux qui ont donné toute leur vie doivent pouvoir partir dans de bonnes conditions.
Enfin, comment lutter contre les discriminations dans les entreprises et permettre aux seniors de retrouver un emploi à 55 ans, après une carrière d’ouvrier chez ArcelorMittal à Dunkerque, Bridgestone à Béthune, ou de mareyeur chez Capitaine Houat à Boulogne-sur-Mer ? Je ne prolongerai pas plus longtemps le suspense : vous ne trouverez pas de réponse à toutes ces questions dans le présent projet de loi.
Ceux qui ont méprisé l’unité syndicale lorsqu’elle s’opposait à la réforme des retraites, ceux qui ont imposé l’austérité aux fonctionnaires et réduit les droits à l’assurance chômage voulaient à tout prix un accord entre le patronat et les syndicats pour démontrer leur attachement de façade au dialogue social.
Ils peuvent toujours agiter un bout de papier avec dix logos, leurs mauvais coups affecteront pour l’essentiel les salariés de notre pays. Loin d’être un pacte pour la vie au travail, ce texte transcrit deux accords a minima sur les travailleurs expérimentés et le dialogue social.
En matière de dialogue social, le texte crée une obligation de négociation sur l’emploi et le travail des salariés expérimentés, ce qui est une bonne chose. Cependant, pour éviter de créer une réunion quadriennale inutile, il aurait fallu prévoir des sanctions en cas d’absence d’accord. Surtout, une obligation qui ne concerne que les entreprises de plus de 250 salariés exclut la moitié des entreprises et 72 % des salariés de notre pays.
En outre, pour mieux prendre en compte la pénibilité et prévenir l’usure professionnelle, le Gouvernement aurait dû rétablir les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), en particulier en raison de la pénurie de médecins du travail que nous constatons tous.
La principale mesure qui concerne les salariés expérimentés figure à l’article 4 : il s’agit de la création d’un contrat de valorisation de l’expérience. Censé favoriser le recrutement des chômeurs de plus de 57 ans, ce CDI senior est assorti d’une exonération de la contribution patronale de 30 % sur l’indemnité de mise à la retraite. Cela constitue une aubaine pour les entreprises, qui pourront embaucher des salariés moins bien payés et les licencier librement.
L’addition est lourde pour la sécurité sociale, qui perdra 123 millions d’euros chaque année, sans qu’une compensation par l’État soit garantie. Madame la ministre, le Conseil d’État vous a alertée sur la faiblesse de l’expérimentation proposée dans cet article, aucun rapport d’évaluation, aucun objectif chiffré n’étant prévu.
Si le patronat a obtenu ces nouvelles exonérations sociales, il a en revanche refusé d’accorder un droit opposable à la retraite progressive demandé par les organisations syndicales, pourtant nécessaire pour celles et ceux qui travaillent dans des conditions pénibles. Je pense aux aides à domicile, aux aides-soignantes, aux ouvriers du bâtiment et des travaux publics (BTP), des transports et des entreprises de nettoyage.
Madame la ministre, selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), 37 % des salariés ne se sentent pas capables de travailler jusqu’à la retraite. Les seniors sont particulièrement vulnérables aux accidents et aux maladies de longue durée en raison de leur usure physique et de leurs conditions de travail exigeantes.
La retraite progressive constitue dès lors un levier important pour améliorer les fins de carrière et adapter le temps de travail. Cette question aurait mérité d’être bien mieux travaillée.
Enfin, l’article 10 de ce texte constituait une sorte d’ovni parlementaire. Le Gouvernement demandait au Parlement une habilitation à légiférer par ordonnances sur un sujet sur lequel le patronat et les syndicats n’ont pas encore achevé les négociations. Le Parlement, nous le pensons, doit être systématiquement consulté sur des questions aussi importantes. Aussi la commission des affaires sociales a-t-elle sagement supprimé cette habilitation, en attendant la fin des négociations sur les dispositifs de transition professionnelle.
En conclusion, comme Mme la rapporteure l’a indiqué en commission, ce projet de loi ne comporte pas de mesures miracles ni de solutions révolutionnaires. Par conséquent, nous nous abstiendrons.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi suscite des réserves de notre part dans la mesure où il transpose non pas un seul ANI, mais trois, dont certains n’ont pas recueilli la signature de l’ensemble des organisations représentatives.
Cette méthode consistant à agréger des sujets qui méritent chacun un examen à part entière est regrettable, car elle tend à contraindre le vote final. Le Parlement est souvent soumis à l’injonction de transposer à l’identique de tels accords, sans amendement, sous prétexte de répondre à la demande des partenaires sociaux.
Pourtant, la plupart de nos amendements portent sur des articles qui n’ont pas suscité l’unanimité chez les partenaires sociaux. Faut-il rappeler que le Parlement conserve une légitimité démocratique et politique ? Nous avons notamment permis par le passé d’améliorer l’accord relatif aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, lequel avait fait l’unanimité à l’époque, en prenant en compte le point de vue des victimes.
En l’occurrence, il eût été utile ici de recueillir le positionnement des organisations de demandeurs d’emploi concernées par le contrat spécifique créé à l’article 4. En effet, celles-ci auraient pu nous éclairer sur les difficultés rencontrées par les demandeurs d’emploi seniors auxquelles le présent texte prétend apporter des solutions.
Ainsi, hormis le CDI de valorisation de l’expérience, que prévoit le texte pour lutter contre les discriminations et les obstacles à l’embauche ? Ce contrat ne fait que s’inscrire dans la lignée des multiples contrats spécifiques créés depuis vingt ans après chaque réforme des retraites, dont le bilan est bien maigre.
En l’espèce, il n’y a donc aucune garantie que ledit contrat permette de mieux faire, d’autant qu’il s’accompagne de clauses régressives. En témoigne la possibilité pour l’employeur de mettre à la retraite un salarié en CDI dès que celui-ci peut liquider sa retraite à taux plein. Il s’agit d’une dérogation complète au droit du travail, lequel empêche la mise à la retraite avant 70 ans. En outre, une retraite à taux plein ne signifie pas une retraite pleine, car un salarié peut atteindre le taux plein sans décote à 67 ans, sans avoir pour autant validé tous ses trimestres.
Dès 64 ans, mais surtout à partir de 67 ans et jusqu’à 70 ans, le droit de rester en emploi est donc ôté aux salariés. Or ceux-ci peuvent souhaiter obtenir les trimestres qui leur manquent pour compléter leur carrière et ainsi avoir droit à une pension complète.
De plus, le salarié a l’obligation de fournir puis d’actualiser l’information sur sa situation en termes de décote. En résumé, il renonce à un droit et gagne une nouvelle obligation. Cela pénalisera principalement les travailleurs aux carrières hachées, c’est-à-dire essentiellement les femmes.
Ce nouveau contrat est assorti en outre d’une nouvelle niche sociale pour l’employeur, laquelle coûtera selon vos propres chiffres, madame la ministre, 123 millions d’euros à la sécurité sociale, sans garantie de compensation pour elle. Le poids des exonérations dépasse pourtant déjà le ratio de 14 % fixé par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 : d’après la Cour des comptes, il atteint 15 %.
Quoi qu’il en soit, nous pensons qu’il n’y aura pas d’augmentation sensible du taux d’emploi des seniors sans changer le travail tout au long de la vie.
Par rapport à ses voisins européens, la France sous-performe en matière de qualité de l’emploi et de conditions de travail. Selon la chercheuse Dominique Méda, la France est en queue de peloton des trente-six pays européens concernés par l’enquête sur les conditions de travail d’Eurofund. C’est vrai s’agissant des pénibilités physiques, des contraintes émotionnelles, du sentiment d’être payé à la juste mesure de ses efforts ou de la possibilité d’avoir voix au chapitre au travail.
Sur ce dernier point, l’inspection générale des affaires sociales (Igas) a pointé dans un récent rapport les contre-performances du management français, trop vertical, voire autoritaire. Selon la chercheuse Mathilde Guergoat-Larivière, les gains de productivité à l’avenir sont désormais conditionnés à l’amélioration des conditions de travail.
Madame la ministre, si vous voulez augmenter le taux d’emploi des seniors, ouvrez – et en grand ! – le chantier des conditions de travail et celui de l’organisation du travail, en revenant sur la suppression des CHSCT et en améliorant l’écoute des salariés sur leur situation réelle de travail.
Certes, ce projet de loi contient des avancées sur le dialogue social et revient notamment sur une partie des ordonnances que certains d’entre nous ont ratifiées et qui ont tant nui au monde du travail. Pourtant, en raison de son approche incomplète et de sa méthode de transposition groupée, il passe encore à côté des enjeux structurels de l’emploi des seniors.
À chaque nouveau recul de l’âge de départ à la retraite, faute de traiter la question de la pénibilité, de nouveaux contrats et de nouvelles niches sociales sont créés sans qu’aucun enseignement ait été tiré de l’échec des précédents dispositifs.
Changer de regard ne suffira pas. Il n’est pas admissible qu’en France, selon la Dares, 37 % des salariés ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite. Ce chiffre date de 2019, soit deux ans avant la prolongation de deux ans de l’âge légal de départ à la retraite.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Raymonde Poncet Monge. Aussi, si les amendements que nous avons déposés ne sont pas adoptés, nous nous abstiendrons sur ce texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme Monique Lubin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous réjouissons de voir enfin arriver en discussion dans l’hémicycle la question du maintien en emploi des personnes en fin de carrière.
Nous le savons, le monde du travail est dominé par l’âgisme. Cependant, jusqu’aujourd’hui, aucune initiative de l’exécutif ne nous a permis de prendre ce problème à bras-le-corps.
Nous avons pourtant débattu à de multiples reprises de la question des retraites, inextricablement liée à ce sujet, mais nous l’avons fait par le petit bout de la lorgnette, pour aboutir à une réforme ayant pour seule ambition des modifications paramétriques.
Conformément à la volonté de l’exécutif, de nouvelles normes ont été édictées. Toutefois, elles n’ont pas automatiquement entraîné le maintien en emploi des seniors. Qu’ils aient 55 ans ou 60 ans, ces derniers ne choisissent pas d’être évincés du monde du travail. Pour mémoire, en 2023, seulement 58,4 % des personnes ayant entre 55 ans et 64 ans sont en emploi, contre 82,6 % des 25-49 ans. Cette situation appelle une politique publique volontariste.
Je tiens donc à saluer le travail des partenaires sociaux durant les négociations interprofessionnelles. Un double objectif leur était fixé : aboutir à un accord national interprofessionnel, mais également démontrer que même lorsqu’on lui impose des contraintes excessives, le paritarisme sait être efficace.
Il faut rappeler combien le fonctionnement de celui-ci a été altéré depuis 2018. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a profondément modifié le cadre de la négociation entre partenaires sociaux. Depuis – je le rappelle, car l’effet de cette mesure est délétère –, le Gouvernement doit transmettre un document de cadrage en amont de la négociation, sans lequel les partenaires sociaux ne peuvent se réunir.
Le Gouvernement peut donc définir de manière autonome une grande partie des règles de la négociation : il en fixe les objectifs et les délais, il reprend la main lors de la période de carence qui s’ouvre en cas d’échec, sans être tenu de respecter l’esprit des accords antérieurs, même si c’est l’usage. Les dernières réformes de l’assurance chômage en sont malheureusement la démonstration.
Le paritarisme vit donc depuis 2018 des heures difficiles. En novembre dernier, démontrer que la négociation collective fonctionne revêtait donc une dimension existentielle.
Le groupe socialiste et moi-même saluons la transposition fidèle des accords trouvés par les partenaires sociaux dans le projet de loi que nous examinons, qui comprend des avancées importantes. Cependant, nous avons des réserves, que traduisent les amendements que nous avons déposés.
Nous soutenons la démarche des rapporteures, qui ont modifié l’article 10 du projet de loi. Introduit sur l’initiative du Gouvernement, cet article ouvrait la voie à la transposition, sans regard du Parlement, d’un accord sur les transitions professionnelles, sur lequel les négociations sont en cours. Si le travail des partenaires sociaux doit trouver un débouché législatif, il ne faut pas pour autant priver le Parlement de l’exercice de sa mission.
L’ANI reprend des propositions que le sénateur René-Paul Savary et moi-même avions formulées en 2019 dans notre rapport d’information sur l’emploi des « seniors ». Nous y exprimions notamment notre préoccupation s’agissant du caractère discriminant de cette appellation. On essaie ici de contourner la difficulté en parlant de « salariés expérimentés ».
À raison, le Conseil d’État trouve cette dénomination floue. Il rappelle que « la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 impose au Parlement d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ». Il propose donc d’ajouter à l’expression « salarié expérimenté » le complément « en considération de son âge ». Cette proposition demeure peu satisfaisante et est révélatrice de la difficulté qui est la nôtre de penser la vie au travail des seniors.
Le texte reprend la proposition qui figurait dans notre rapport visant à encourager la retraite progressive, levier pour l’emploi des salariés expérimentés. Ce sujet devra être abordé lors de l’entretien professionnel de fin de carrière, tout comme le maintien en emploi et l’adaptation des postes, autres points qui nous semblaient fondamentaux.
L’aide au recrutement trouve quant à elle une traduction dans le projet de loi avec la création du contrat de valorisation de l’expérience (CVE). Nous avons quelques réserves sur ce contrat. Nous craignons qu’il ne permette aux entreprises de bénéficier d’un effet d’aubaine : elles pourraient embaucher des salariés a minima et de surcroît bénéficier de l’exonération de cotisation patronale spécifique de 30 % sur le montant de l’indemnité de mise à la retraite.
Les syndicats signataires que nous avons consultés à ce propos se sont voulus rassurants. Ils ont insisté sur le fait que seuls les salariés de plus de 60 ans sont susceptibles de se voir proposer un tel contrat. Selon les accords de branche, des salariés de 57 ans pourraient toutefois être concernés, ce qui me paraît tout de même un peu tôt, mais nous en rediscuterons.
Notre inquiétude persiste cependant en raison d’une autre clause du CVE. Un demandeur d’emploi ayant récemment été employé en CDI dans une entreprise ou un groupe peut en effet se voir proposer un contrat de ce type dans la même entreprise ou le même groupe, à condition que six mois soient passés depuis son départ. Nous craignons le développement de pratiques comme celle qui ont notamment fleuri à la suite de la montée en puissance de l’autoentrepreneuriat.
Un autre point nous pose problème : lors de la signature d’un CVE, le demandeur d’emploi devra remettre à l’employeur un document transmis par l’organisme chargé de l’assurance retraite qui mentionne la date prévisionnelle d’obtention d’une retraite à taux plein.
Nous nous interrogeons sur cette condition, car des salariés ayant atteint un taux plein peuvent néanmoins vouloir retarder leur départ. C’est notamment le cas des femmes ayant exercé à temps partiel durant l’essentiel de leur carrière et qui voudraient continuer de travailler.
Je le rappelle, pour valider un trimestre, il faut n’avoir travaillé que 150 heures. Certaines femmes peuvent souhaiter continuer de travailler, car même si elles ont le nombre de trimestres nécessaire et peuvent prétendre à une retraite à taux plein, le montant de leur pension sera très faible, leur carrière ayant été hachée, que ce soit de façon subie ou non.
En matière d’assurance chômage, nous nous réjouissons que l’article 9 prévoie la possibilité d’adapter les conditions d’activité requises pour ouvrir des droits à l’allocation chômage, qu’il modifie la durée de ces droits et tienne compte du fait que le demandeur d’emploi n’a jamais perçu cette allocation ou qu’il n’en a pas bénéficié depuis une longue période.
Sur le sujet emblématique de l’assurance chômage, les partenaires sociaux reprennent enfin la main, ce qui constitue un grand soulagement. Sur ce front, la situation est stabilisée jusqu’au 31 décembre 2028.
Toutefois, cette avancée est obtenue dans un contexte peu favorable. Nous sommes loin de revenir sur les réformes de l’assurance chômage imposées par l’exécutif en 2019, puis par le gouvernement Attal en 2024, qui ont fortement durci les conditions d’indemnisation des chômeurs. C’est pour nous une source de préoccupation, au vu de la multiplication actuelle des plans de licenciement.
En tout état de cause, nous sommes satisfaits des mesures de renforcement du dialogue social sur l’emploi et le travail des salariés expérimentés. Alors que le code du travail prévoyait depuis 2003 que l’emploi des seniors devait être abordé de manière spécifique dans les négociations de branche, ce sujet a été évincé dans la plupart des négociations en 2017, sur l’initiative de l’exécutif actuel. L’article 1er du présent projet de loi réinstaure cette obligation, ce qui est une bonne chose.
Nous saluons également la mise en place d’une obligation quadriennale de négociation à destination des entreprises d’au moins 300 salariés portant sur l’emploi, le travail et l’amélioration des conditions de travail des salariés expérimentés. C’est une avancée.
Cependant, les PME et les TPE, qui concentrent une grande part de l’emploi des seniors, semblent laissées de côté. Le dialogue social y est pourtant souvent plus difficile que dans les grandes structures.
Plus globalement, nous nous interrogeons sur les moyens d’assurer l’effectivité du présent projet de loi. Comment vérifier en particulier la manière dont les entretiens de mi-carrière se dérouleront ou la façon dont les acteurs se saisiront des dispositifs de ce texte ?
J’achèverai mon propos en interpellant amicalement mes collègues siégeant à droite de l’hémicycle. Mes chers collègues, si nous vous entendons aujourd’hui chanter les louanges du paritarisme, nous vous avons vus moins tendres avec les syndicats pendant la réforme des retraites.
En tout état de cause, les avancées que comporte le présent projet de loi sont réelles et les syndicats attendent de nous une transposition fidèle de l’ANI. Cela nous incite pour notre part à voter ce projet de loi.
Néanmoins, et c’est un point capital, il ne peut s’agir que d’un début. Énormément reste à faire. Nous attendons du Gouvernement qu’il donne une suite ambitieuse à ce premier texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons l’examen de ce texte avec une réelle satisfaction. Il s’agit d’un signe très fort de la vitalité du paritarisme, lequel constitue en effet, madame Lubin, une chance pour notre pays.
Il revient donc maintenant au Sénat de transposer fidèlement l’ANI, ainsi que Mmes les rapporteures le proposent dans leur excellent rapport. Si nous sommes satisfaits, c’est que ce texte apporte des réponses à une question et à une réalité préoccupantes.
Pour beaucoup, le dernier tiers de carrière est devenu une source d’inquiétude et même parfois d’angoisse. Les études mettent clairement en évidence l’existence d’un âge pivot, à 56 ans, à partir duquel, même s’il n’est évidemment pas encore question de retraite, l’accès à l’emploi devient bien plus difficile.
Loin d’être une simple donnée statistique, cet âge marque pour trop de nos concitoyens le début d’un parcours d’obstacles. Combien se sentent mis à l’écart, dans une société qui peine à valoriser leur expérience, ou tout simplement à la conserver ?
Le projet de loi comporte des réponses concrètes et attendues pour dépasser cette situation. Il introduit de nouveaux outils de dialogue social, sur lesquels mon excellent collègue Olivier Henno s’est arrêté. Je me bornerai, pour ma part, à commenter les mesures concernant l’emploi des seniors.
À titre expérimental, le contrat de valorisation de l’expérience permettra enfin aux salariés de retrouver leur juste place sur le marché du travail, sans craindre l’ombre de la précarité à quelques années de la retraite.
Quant à la retraite progressive, elle est à juste titre renforcée et facilitée, ainsi que Mme la ministre l’a rappelé. Le but est de permettre une transition en douceur, sans priver les entreprises de compétences précieuses. Une telle mesure vise à briser la logique néfaste : les seniors sont trop souvent considérés comme un coût plutôt que comme un atout.
La question est bien sûr économique. Ainsi que notre collègue Sylvie Vermeillet l’a démontré, l’emploi des seniors est une clé pour sauver la retraite par répartition.
Je vous cite, madame la présidente : « En supposant que l’ensemble des personnes ni en emploi ni en retraite (NER) qui ne sont pas au chômage et sont en bonne santé – soit environ 589 000 personnes […] – reviennent en emploi, les recettes supplémentaires atteignent 11,7 milliards d’euros, selon la méthodologie du Conseil d’orientation des retraites (COR). »
Selon les chiffres que vous fournissez, madame la présidente, cela représenterait un gain net de 5,8 milliards d’euros pour les finances publiques, ce qui permettrait de réduire d’un tiers le déficit de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) à l’horizon de 2035.
Puisque nous parlons de répartition, il est bon de rappeler que l’emploi des seniors est aussi une question d’équité et de solidarité. Si les finances publiques étaient améliorées, c’est d’abord et surtout la cohésion de notre société qui serait renforcée.
Madame la ministre, les membres du groupe Union Centriste s’inscrivent pleinement dans cette démarche, parce qu’ils croient au dialogue social. Nous voterons donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)