M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous partons, avec Mme la rapporteure, de constats similaires : d’une part, les préfets ont, depuis 2017, peu utilisé leur pouvoir de dérogation aux normes applicables ; d’autre part, la complexité de ces normes et leur multiplicité sont devenues un réel fardeau pour nos collectivités.
Les similitudes s’arrêtent là. Nous ne tirons pas de ces constats les mêmes conclusions et nous ne préconisons pas les mêmes solutions.
Concernant la faible utilisation de ce pouvoir par les préfets, nous constatons, lorsque nous les interrogeons, que, s’ils n’ont pris que quelque neuf cents arrêtés de dérogation depuis 2020, ce n’est pas parce que leur pouvoir en la matière serait trop restreint ou le risque pénal trop grand, mais parce qu’après analyse des demandes de dérogation au cas par cas, ils ne les ont pas jugées nécessairement utiles.
Le rapport de la mission flash estime que le corps préfectoral aurait une certaine frilosité culturelle à utiliser cet outil de dérogation.
Mais cette frilosité culturelle, mes chers collègues, c’est le socle de notre République, une et indivisible ! Aucun individu ou aucune partie de la population française ne peut s’arroger l’exercice de la souveraineté, qui appartient aux citoyens français dans leur ensemble. Et c’est bien ce principe d’unité et d’indivisibilité qui garantit l’homogénéité des lois, des droits et des devoirs sur l’ensemble du territoire métropolitain et ultramarin.
Les intérêts privés ne peuvent prendre le pas sur nos principes fondamentaux. La mission des préfets est de faire respecter les lois et règlements de la République partout et de manière homogène. Ils exercent cette mission en s’appuyant sur une connaissance fine des territoires dont ils ont la charge. Ils savent, à ce titre, s’adapter aux situations complexes, en conciliant intérêts républicains et intérêts locaux.
Si certaines normes sont inadaptées à des situations précises, ils font usage de leur pouvoir de dérogation. Mais les préfets le savent : à trop consacrer le droit à la dérogation, c’est la République que nous risquons d’abîmer. C’est bien là toute la limite de cette proposition de loi.
Pour autant, nos collectivités subissent une trop grande multitude de normes – elles ne sont pas les seules. Et nous sommes bien placés ici pour savoir que l’inflation législative va bon train.
On nous propose souvent la solution magique : une nouvelle loi de simplification ou de dérogation. Ce faisant, nous passons à côté du vrai problème : c’est bien le monde libéral qui consacre le règne de la norme. Max Weber le disait bien au début du vingtième siècle : « Capitalisme et bureaucratie se sont rencontrés et sont devenus inséparables. » (Sourires.)
Si les règles sont indispensables en société, nous nous sommes construit un système fondé sur la hiérarchie, l’impersonnalité des fonctions spécialisées, l’ordre et la mise en place de procédures. Enfermés dans cette logique, en prétendant simplifier, nous ne créons que plus de règles et finalement nous complexifions davantage.
Dans la présente proposition de loi, par exemple, au motif que les collectivités subissent trop de normes, nous proposons d’en créer de nouvelles, de prévoir de nouvelles exceptions. Comment pouvons-nous penser que cela simplifiera la compréhension des règles que nous édictons, alors même que nous complexifions les procédures ?
Cette multiplicité des normes ne fait que créer une activité économique et un marché prolifique, au détriment de l’intérêt commun. Nos collectivités, toujours plus appauvries par les budgets que nous votons ici, n’en doivent pas moins financer des aides et des conseils pour comprendre et appliquer ces normes.
C’est bien la raison pour laquelle le groupe CRCE-K lutte contre cette hyperspécialisation de nos collectivités. La disparition progressive de la clause de compétence générale a laissé place à l’empire de règles complexes et indigestes pour des collectivités abandonnées. Il nous faut redéfinir les contours des compétences de nos collectivités de manière logique, cohérente et humaine. Voilà le réel enjeu des prochaines années.
Nous voterons donc contre ce texte qui, loin de régler le problème, l’aggrave et continue d’enfoncer nos collectivités et notre État dans une bureaucratie libérale complexe, sans réel accompagnement. (M. Guy Benarroche applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi est issue des travaux de notre très sérieuse délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Quel constat fait celle-ci ? Celui que nous faisons tous dans nos territoires : les collectivités se heurtent parfois à des difficultés dans la mise en œuvre de leurs projets. Ingénierie, établissement des dossiers, financement, délais : beaucoup d’obstacles se dressent devant les plus volontaires de nos élus locaux.
Notre assemblée s’en préoccupe et s’en empare aussi souvent que possible, pour des résultats souvent très en deçà des attentes réelles du terrain, comme la si attendue et pourtant si partielle loi du 21 février 2022, dite loi 3DS.
Il nous arrive parfois de répondre de manière ponctuelle à des normes peu adaptées ; ainsi de la loi visant à ouvrir le tiers financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique. Nous avons alors collectivement répondu à cette problématique ponctuelle, en modifiant certaines modalités pour faciliter la rénovation énergétique. C’est toujours mieux de bien écrire les normes que d’y déroger !
Avec Laurent Burgoa et Pascal Martin, j’ai remis en 2023, au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, un rapport d’information sur la transition environnementale des collectivités : en plus de leur besoin de transition écologique, nous avions entendu les difficultés liées à des situations qui ne rentrent pas dans les cases, des cas particuliers pour lesquels des dérogations sont nécessaires.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a toujours soutenu une action locale adaptée au terrain. Nous sommes pour une simplification et pour une différenciation.
La question que suscite ce texte n’est pas tant celle de la possibilité de déroger aux normes, ce qui est parfois nécessaire pour la bonne conduite de projets locaux ; c’est celle du renforcement des pouvoirs discrétionnaires du préfet.
Nous avons toujours dénoncé la concentration des pouvoirs locaux au niveau du préfet, qu’il s’agisse de dérogation ou d’autre chose. Nous avons toujours combattu cette « recentralisation déconcentrée » du pouvoir au profit d’une personne représentant le ministère de l’intérieur.
Le texte présenté et discuté en commission se veut facilitateur pour les collectivités territoriales, notamment les plus petites d’entre elles. Mais les travaux mêmes de la délégation aux collectivités territoriales montrent que le pouvoir de dérogation existe déjà et que, quand il est demandé, il est presque toujours accordé. De fait, mes chers collègues, les problématiques de non-recours ne sont pas réservées aux particuliers !
Le mécanisme qui permet d’alléger les démarches administratives, d’adapter les délais de procédures ou de faciliter l’accès aux aides publiques existe déjà. Il est cependant trop méconnu, donc trop peu utilisé, ce que nous regrettons.
Vouloir élargir les champs d’action sur lesquels le préfet peut autoriser des dérogations et les critères de ce pouvoir nous paraît précipité tant que l’outil actuel n’est pas utilisé pleinement.
La proposition de loi qui nous est soumise semble plutôt détricoter le cadre actuel, qui prévoit des domaines d’intervention certes en nombre limité, mais déjà importants : subventions et concours financiers, environnement, agriculture, forêt, construction, logement, ou encore urbanisme. Ces sept domaines couvrent la majorité des problématiques nécessitant une adaptation à la marge, selon les situations.
Nous sommes assez inquiets qu’il puisse ne plus y avoir de limites aux domaines sur lesquels le préfet pourrait intervenir pour mettre en œuvre des dérogations. Les critères qui, aux termes de ce texte, pourraient justifier ces dérogations sont bien trop flous : « adaptations mineures » pour « faciliter la réalisation de projets locaux », dérogations et adaptations qui ne portent pas « une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis ».
Nous pensons surtout que ces nouveaux cadres permettant au préfet de prendre la décision, de manière discrétionnaire, de telles dérogations sur tout, y compris sur les normes émanant des opérateurs de l’État, aboutissent à un très mauvais équilibre.
Les opérateurs de l’État prennent souvent des décisions à partir de travaux scientifiques débattus ; ces décisions émanent de personnes qualifiées en la matière et il pourrait être inquiétant de déroger aux normes sans connaître ni la portée ni les conséquences de telles dérogations.
De plus, cela met le représentant de l’État à la merci des pressions locales. Serait-il si inimaginable que des notables locaux, appuyés par des élus locaux, par des entreprises qui parfois utilisent le chantage au chômage, demandent des dérogations aux règles environnementales pour la construction d’une route ?
Serait-il si inimaginable qu’un directeur de cabinet ministériel ou une personne plus haut placée encore fasse pression sur le représentant de l’État pour déroger aux règles sanitaires relatives à la qualité des sources d’une eau minérale pour répondre aux sollicitations pressantes d’une entreprise internationale puissante ? (M. André Reichardt s’exclame.)
Nous regrettons que le préfet puisse être mis dans ces situations complexes. D’ailleurs, notre assemblée, si à l’écoute, ne semble pas prendre en compte les retours de ces acteurs de terrain qui, au demeurant, d’après nos auditions, ne sont pas demandeurs d’un tel changement.
Enfin, vous comprendrez aisément, mes chers collègues, que notre inquiétude porte également sur les reculs environnementaux dangereux que cela pourrait créer. Dans le contexte actuel de recul sur les zones à faibles émissions (ZFE), sur l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN), ou encore sur les pesticides, la préservation de notre environnement risquerait de faire les frais d’une vision court-termiste et peu globale de notre situation.
Notre groupe défendra des amendements pour tenir compte du besoin d’adaptation et de différenciation locale, afin de mieux faire entendre la voix des acteurs et des élus locaux.
Mes chers collègues, nous défendons la capacité de faire plus et mieux en matière de différenciation comme de déroger au niveau local. Mais la très grande majorité de notre groupe ne pense pas que ce texte soit la réponse adaptée tant que les outils actuels ne sont pas plus connus et utilisés. C’est pourquoi nous voterons contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Roiron. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Pierre-Alain Roiron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la complexité normative et l’empilement des procédures constituent pour nos territoires une difficulté structurelle. L’État – reconnaissons-le – s’est montré à la fois généreux en normes et parcimonieux en accompagnement…
Depuis des années, nous ne cessons de dénoncer l’inflation normative qui entrave l’action des collectivités territoriales. Trop souvent, des règles conçues à Paris s’appliquent uniformément sans que l’on tienne compte des spécificités locales. Résultat : des projets bloqués, des élus découragés, des citoyens désabusés.
Le pouvoir préfectoral de dérogation, généralisé en 2020, devait être une réponse à cette situation, mais force est de constater que son utilisation reste marginale : en moyenne, à peine plus d’un arrêté par an et par département.
Pourquoi une telle frilosité ? Parce que le dispositif est trop complexe, trop encadré, et que les préfets craignent des contentieux. Alors oui, il est temps de changer de paradigme… mais pas sans condition !
Tout d’abord, comme vous le savez, notre famille politique croit depuis longtemps et avec constance en une République décentralisée et déconcentrée, où les territoires disposent des moyens d’agir et où l’État adapte ses règles aux réalités locales.
Le dispositif dont il est question aujourd’hui, bien que renforçant le pouvoir préfectoral, donc empreint de verticalité, avait été élaboré avec discernement, dans un esprit d’équilibre ; surtout, il bénéficiait directement aux collectivités. C’est ce compromis entre souplesse administrative et soutien aux initiatives locales qui justifiait notre soutien.
À ce titre, nous saluons en particulier l’adoption par la commission des lois, à l’article 2, d’un amendement de notre collègue Hussein Bourgi visant à mieux soutenir les petites communes en assouplissant leur contribution minimale aux projets structurants. Moins de rigidité pour plus de justice territoriale : voilà une simplification utile !
Une dérogation automatique au taux de participation minimale de 20 % sera ainsi instaurée pour les communes de moins de 2 000 habitants dont le potentiel financier est particulièrement faible. Leur contribution pourra être réduite à 5 % seulement, un signal fort envers les petites communes qui, souvent, manquent à la fois de marges budgétaires et de ressources humaines pour mener à bien des projets essentiels.
Trop souvent aussi, les communes se retrouvent empêchées de réhabiliter un gymnase ou un terrain de foot, parce qu’elles ne peuvent répondre aux prescriptions parfois disproportionnées des fédérations nationales. Pour y remédier, l’approche retenue à l’article 4 est non pas de déroger par facilité, mais de réintégrer les contraintes locales dans l’équation normative pour permettre aux projets sportifs, vecteurs de lien social, d’aboutir. L’autorisation reconnue aux préfets de déroger aux normes édictées par les fédérations sportives est donc bienvenue.
L’article 4 bis, issu d’un amendement de Mme la rapporteure, va dans le même sens en créant une faculté de dérogation aux règles d’attribution du FCTVA au profit des collectivités territoriales. Ce levier permettra d’éviter d’éventuels renoncements et de remettre en mouvement des financements gelés. En somme, il redonne de l’oxygène aux maires. Nous aurions néanmoins préféré que la question des modalités de versement du FCTVA soit envisagée dans le cadre d’une réforme systémique.
Ce texte répond aussi à une préoccupation récurrente chez les préfets : celle de l’insécurité juridique, qui fragilise l’exercice du pouvoir de dérogation. Beaucoup de préfets y renoncent, non par inertie, mais par crainte d’être personnellement mis en cause. En précisant les conditions d’engagement de leur responsabilité pénale, dans l’esprit de la jurisprudence relative à la loi Fauchon, nous levons un frein non négligeable. Il s’agit non pas d’accorder une immunité, mais de garantir un cadre clair, lisible et proportionné.
Enfin, au regard de l’extension du périmètre du pouvoir de dérogation du préfet permise par cette proposition de loi, il a semblé nécessaire de relativiser la verticalité préfectorale pure et d’envisager un pouvoir de dérogation plus collégial, donc plus transparent.
Ce sera aussi, ne le nions pas, une manière d’exercer un contrôle démocratique a posteriori sur les décisions prises. En intégrant les parlementaires aux comités locaux de cohésion territoriale, ce texte acte une volonté de dialogue renouvelé entre l’État déconcentré et les élus locaux. C’est un signe de confiance.
Toutefois, bien que le texte ait gagné en solidité juridique, grâce aux travaux de la commission des lois, il conserve des zones d’ombre qui appellent de notre part de sérieuses réserves, pour ne pas dire plus.
D’abord, le texte franchit tout de même un seuil nouveau. Le pouvoir de dérogation ne se limiterait plus à une liste restreinte de domaines ni à des décisions individuelles. Le préfet pourrait désormais prendre des arrêtés de portée générale et modifier des normes de fond, même si c’est de façon marginale. Comment justifier juridiquement des mesures générales censées répondre à des situations locales ? Et comment garantir la sécurité juridique, alors que la distinction entre normes de forme et de fond, pourtant centrale, demeure floue, y compris pour ceux qui devront l’appliquer ? Ces incertitudes risquent, à terme, de dissuader les préfets d’exercer ce pouvoir, au détriment de son efficacité.
Ensuite, un principe de dérogation n’étant pas une dérogation de principe, l’article 3 soulève une opposition de fond de notre part.
En donnant aux préfets la possibilité de déroger aux obligations environnementales applicables aux ouvrages hydrauliques, on dépasse largement la seule question des moulins à eau, pourtant mise en avant par les auteurs du texte. En réalité, cette disposition permettrait de s’affranchir de normes essentielles du code de l’environnement sans garantie suffisante sur les critères d’exception, ce qui pourrait conduire à fragiliser les écosystèmes.
C’est pourquoi le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a déposé un amendement de suppression de cet article en commission ; nous réitérons notre démarche en séance ce soir et espérons que cet amendement sera, cette fois, adopté. Nous entendons les préoccupations locales, mais l’environnement ne saurait devenir la variable d’ajustement d’un pouvoir dérogatoire élargi. Laisser croire qu’il s’agirait simplement de sauver quelques roues à aubes, c’est escamoter les enjeux de fond !
Enfin, les amendements déposés par le Gouvernement tendent à sensiblement modifier l’équilibre du texte. En toute honnêteté, nous ne comprenons pas l’approche du Gouvernement, qui semble vouloir se servir d’une proposition de loi consensuelle pour faire passer des mesures dont nous avons du mal à saisir le sens.
L’adoption de l’amendement n° 13 permettrait ainsi au préfet d’exempter un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de la création d’un conseil de développement, sans qu’aucun critère ne vienne encadrer cette dérogation.
Notre groupe a toujours défendu ces instances, qui permettent aux citoyens, aux associations et aux acteurs économiques de contribuer à la fabrique des politiques publiques. Les conseils de développement ne sont pas un luxe démocratique : ils sont un levier de légitimité.
En l’état, l’adoption de cet amendement ouvrirait la porte à une appréciation discrétionnaire du préfet, selon la taille de l’EPCI ou, disons-le clairement, la qualité de ses relations avec l’exécutif local. Cette imprécision alimente le risque d’un traitement différencié des territoires ; on risquerait même d’aboutir à ce que je qualifierai de clientélisme institutionnalisé, où la règle ne vaudrait que pour certains, au gré des équilibres locaux.
L’amendement n° 14, aux termes duquel le préfet pourrait dispenser une commune d’instituer un conseil citoyen, suscite également des réserves, quand bien même cette dispense serait subordonnée à l’existence d’un comité consultatif ou d’une commission des services publics locaux. Le signal envoyé reste ambigu quant à l’importance que nous accordons à l’implication des citoyens dans les décisions publiques.
Notre groupe, vous l’aurez compris, est largement favorable à ce texte, dont nous saluons les avancées concrètes et l’esprit de pragmatisme. Néanmoins, cet élan initial s’est trouvé considérablement freiné par le dispositif de l’article 3 et par les amendements déposés par le Gouvernement, qui viennent fragiliser la cohérence démocratique de l’ensemble.
Si le texte en venait à perdre sa rigueur et que ses équilibres fondamentaux étaient bouleversés, nous ne serions, hélas ! plus en mesure de lui apporter le soutien attendu. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP – Mme Frédérique Puissat et M. Rémy Pointereau applaudissent également.)
Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France souffre de deux terribles maux : une dette publique excessive et une inflation normative hors de contrôle. À eux seuls, ces deux fléaux expliquent la grande majorité des difficultés que notre pays rencontre, de la dégradation de nos services publics à la crise des vocations de nos élus locaux, sans oublier la perte de compétitivité de nos entreprises.
La dette de la France augmente. Certains imaginent qu’il faudrait simplement ne pas la rembourser, mais les Français la paient déjà, et très cher.
Le service de la dette publique deviendra bientôt le premier poste de dépenses de l’État, devant la défense et l’éducation nationale. L’État prélève presque la moitié de la richesse produite chaque année, mais dépense encore plus que ce qu’il prélève, grâce au recours à l’emprunt. Combien de temps faudra-t-il pour que nous reconnaissions que le problème est non pas un manque de recettes publiques, mais bien un excès de dépenses publiques ?
En parallèle, nous constatons et décrions l’inflation normative et ses effets délétères. « Nul n’est censé ignorer la loi », mais qui peut connaître les quelque 96 000 articles de loi en vigueur cette année, sans compter les 263 000 articles réglementaires ? En vingt ans, le volume du droit a doublé !
Nos normes sont trop nombreuses et trop complexes. Le droit est de plus en plus difficile à appliquer, et sa complexité nuit gravement à la productivité de notre pays. Les agriculteurs, les entrepreneurs, nos élus locaux, tous nous le disent : ils ne s’en sortent plus !
Les auteurs de la présente proposition de loi nous invitent à élargir le pouvoir de dérogation dont le préfet dispose déjà.
Cette initiative ne réglera certes pas le sujet de l’inflation normative. Elle a cependant le mérite de rappeler que c’est à l’échelle locale que l’on peut le mieux prendre en considération les spécificités locales.
M. Rémy Pointereau. Très bien !
Mme Corinne Bourcier. Quelque 90 % des dérogations accordées ont concerné des collectivités territoriales ; c’est dire à quel point les normes nationales peuvent se heurter aux impératifs locaux.
Plusieurs membres du groupe Les Indépendants ont signé cette proposition de loi, car nous préférons l’État déconcentré à l’État concentré… mais nous lui préférons encore l’État décentralisé ! (M. Guy Benarroche ironise.)
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Corinne Bourcier. Notre collègue André Reichardt a fort justement souligné que notre pays n’avait pas fait le choix d’une réelle décentralisation, sans doute par crainte de la différenciation.
Au groupe Les Indépendants, nous pensons qu’il ne faut pas redouter la différenciation, bien au contraire. Nos territoires étant déjà très différents, il est utile de permettre la dérogation, c’est-à-dire des applications différenciées de certaines normes.
En commission, Mme la rapporteure a modifié le texte afin d’élargir encore le pouvoir de dérogation. Le texte a par ailleurs été enrichi par l’adoption d’un amendement de mes collègues Marie-Claude Lermytte et Dany Wattebled concernant la dérogation à l’obligation de participation financière minimale des collectivités territoriales.
Nous nous félicitions de voir inscrites dans la loi ces dispositions, déjà votées par le Sénat, mais ensuite dénaturées par l’Assemblée nationale. Nous sommes cependant surpris, monsieur le ministre, de constater votre volonté de les supprimer, alors que vous les aviez soutenues lorsque vous étiez président de notre commission des lois.
Une telle dérogation est essentielle pour nos petites communes rurales. Leurs faibles moyens ne leur permettent souvent pas de prendre en charge cette contribution minimale de 20 %, et le département ou la région sont souvent volontaires pour combler l’écart.
En commission, Mme la rapporteure a également précisé les conditions d’engagement de la responsabilité pénale du préfet lorsqu’il exerce son pouvoir de dérogation. S’ajoutant à l’inflation normative, le risque pénal risque de plus en plus de paralyser l’action publique, comme l’action privée, dans notre pays.
Face à l’inflation normative, nous ne devons pas nous contenter de déroger, car déroger, c’est encore ajouter de la complexité. Nous devons au contraire simplifier, voter moins de lois pour légiférer mieux !
Considérant néanmoins que les collectivités territoriales, comme tous nos concitoyens, doivent pouvoir bénéficier de dérogations lorsqu’elles sont nécessaires, et ce tant qu’une simplification réelle de notre droit ne sera pas intervenue, le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)
M. Emmanuel Capus. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’action des élus locaux, gage de proximité et d’efficacité, ne peut se faire sans un véritable accompagnement des territoires par l’État. Une vraie décentralisation doit ainsi s’accompagner d’une déconcentration réelle du pouvoir.
C’est cette volonté de renforcement de l’État local qui a animé nos collègues Rémy Pointereau et Guylène Pantel pour rédiger la proposition de loi dont nous débattons ce soir.
Simplifier les normes et mieux les adapter aux réalités locales est un objectif constant du Sénat, qui est largement décliné dans les travaux de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. La sécurisation et le renforcement du pouvoir préfectoral de dérogation y participent.
Déjà en 2022, Éric Kerrouche et moi-même constations la dégradation du service public de l’État dans les territoires. Nous appelions alors de nos vœux une plus grande agilité des services de l’État afin de rendre l’action publique plus efficace. Le rapport remis en février 2025 par nos collègues auteurs de la proposition de loi a mis en lumière les limites du pouvoir de dérogation du préfet, généralisé en 2020. Ce sont ces freins que tente de lever le texte dont nous débattons.
Depuis l’entrée en vigueur du décret du 8 avril 2020 autorisant tous les préfets à déroger, ce dispositif très encadré n’a pas produit ses pleins effets.
Comme l’a justement relevé notre rapporteure, Mme Nadine Bellurot, seuls 900 arrêtés de dérogation ont été portés à la connaissance de l’administration centrale. Et si ces dérogations sont principalement utilisées au bénéfice des collectivités territoriales, leur application reste très inégale sur le territoire.
Or, comme il est fréquemment observé avec le droit français, une bonne idée, en l’occurrence l’adaptation de la règle aux spécificités locales, est devenue une véritable usine à gaz.
Cette complexité est le fruit de nos atermoiements, entre un pouvoir historiquement centralisé et une décentralisation non aboutie. Trop souvent l’État cherche à reprendre d’une main ce qu’il a donné de l’autre aux collectivités locales.
Si les obstacles à l’adaptation du droit aux spécificités locales sont en partie culturels, ils sont aussi liés aux multiples verrous normatifs.
Ce sont ces derniers que le texte vise à lever, en étendant considérablement le pouvoir de dérogation du préfet, notamment par la suppression de la liste limitative des domaines pour lesquels la dérogation est possible et par la sécurisation de son utilisation.
Concernant la simplification de la vie des élus locaux, ce texte apporte quatre améliorations souhaitées de longue date par ces derniers.
La dérogation à la participation minimale des collectivités territoriales au financement des projets est très attendue, au moment où l’investissement public diminue.
De même, permettre des dérogations au code de l’environnement, dont les procédures allongent considérablement la durée de réalisation des projets sur les ouvrages hydrauliques, est une mesure de bon sens.
Les dérogations aux normes imposées par les fédérations sportives pour la construction ou la rénovation d’équipements sportifs, projets dont les coûts sont difficilement supportables par les communes, sont, elles aussi, très attendues. Qui, dans cet hémicycle, ne connaît pas un maire qui a dû renoncer à son stade de football en raison du coût de la mise aux normes de son équipement requise par les contraintes changeantes de la fédération ?