Quant à l'article 4, vous demandez une compensation par la dotation globale de fonctionnement (DGF) du surcoût de tout le dispositif. C'est mélanger les choux et les carottes ! J'espère que vous ne faites pas le tri sélectif de cette manière… (Mme Cécile Cukierman proteste.) Vous auriez pu demander plutôt une réduction de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) que toutes les collectivités paient. Tout cela n'est pas très crédible.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour explication de vote sur l'article.

Mme Marie-Claude Varaillas. Si j'ai bien compris, le Sénat s'apprête à rejeter cet article 3 et, avec lui, l'ensemble de la proposition de loi, qui était de toute façon dénaturée par la suppression des articles 1er et 2.

Je voudrais simplement remercier mes collègues du groupe RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste d'avoir voté en faveur de ce texte. À n'en pas douter, il reviendra dans cet hémicycle, car, comme je l'ai dit en commission, je crains que le problème des déchets ne joue le même rôle que la hausse du prix du carburant qui a déclenché le mouvement des « gilets jaunes ». Nous en reparlerons très certainement.

En tout cas, les élus de mon département savent que j'ai pris en compte leurs préoccupations. Je sais ce qu'ils vivent sur le terrain et ce que vit le président du syndicat mixte qui gère ce service. Nous sommes là pour entendre ce que nos concitoyens nous disent des problèmes de leur vie quotidienne, et celui des déchets en est un qui prend des proportions importantes. Je souhaite que ce débat serve à ce que, un jour, une proposition de loi prenne assez rapidement en compte ce qui ne l'a pas été aujourd'hui.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 16 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 335
Pour l'adoption 109
Contre 226

Le Sénat n'a pas adopté.

En conséquence, l'article 4 n'a plus d'objet.

Les articles de la proposition de loi ayant été supprimés par le Sénat, ou étant devenus sans objet, je constate qu'un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire, puisqu'il n'y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

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Nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal

Discussion d'une proposition de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national, présentée par Mme Cécile Cukierman, MM. Guillaume Gontard, Patrick Kanner, Fabien Gay, Gérard Lahellec, Mme Marianne Margaté et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 626 [2024-2025], résultat de travaux n° 57, rapport n° 56).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi.

Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous présentons aujourd'hui part d'un constat simple, brutal, mais désormais incontestable : depuis vingt ans, ArcelorMittal a transformé notre acier national en un actif financier au service de ses actionnaires.

Cette proposition de loi est, je veux le dire, le fruit d'un travail collectif, qui est d'abord celui des salariés, de ces femmes et de ces hommes qui produisent encore l'acier dans notre pays et souhaitent préserver sa production sur notre territoire. Elle est ensuite le fruit d'un travail collectif avec les autres groupes de gauche, puisqu'elle a été cosignée par mes deux collègues présidents des groupes de gauche et par nombre de leurs collègues.

Notre acier, notre savoir-faire, nos emplois sont devenus des lignes comptables dans les bilans d'un groupe multinational. Ce qui était jadis une fierté industrielle française et européenne n'est plus qu'un produit spéculatif soumis à la seule logique du profit immédiat. Au fond, mes chers collègues, c'est bien là le cœur du problème. L'économie capitaliste, livrée à elle-même, ne cherche pas à produire pour répondre aux besoins des peuples ; elle produit pour rémunérer le capital.

Alors, posons la question simplement : quelle légitimité y a-t-il à perdre une production essentielle et un savoir-faire séculaire, simplement parce qu'un fonds d'investissement exige une rentabilité immédiate ? La réponse est claire : aucune.

Pour nous, l'économie n'a de sens que si elle sert le besoin collectif, le travail humain et l'intérêt général. C'est là toute la différence entre une économie livrée à la spéculation et une économie régulée par la puissance publique. Tel est le sens profond de cette proposition de loi : arracher les secteurs vitaux à la logique du profit pour les replacer dans celle de l'utilité collective.

La nationalisation n'est pas un gros mot. Elle est un acte de puissance publique. Elle est une décision politique, souveraine, pour reprendre la main sur notre destin industriel.

Depuis des années, nous assistons à un renoncement organisé à toute souveraineté économique. On nous a fait croire naïvement, ou devrais-je dire cyniquement, que le marché ferait tout mieux que l'État, que les actionnaires étrangers se soucieraient mieux de l'avenir de nos territoires que nos élus ou nos ingénieurs. Pendant ce temps, nos usines ferment, nos ouvriers sont licenciés, nos régions se vident et la France perd peu à peu le contrôle de son industrie.

J'entends souvent nos collègues de droite se réclamer de la souveraineté nationale. Mais enfin, mes chers collègues, on ne peut pas défendre la souveraineté en laissant les clés de notre acier à ArcelorMittal. On ne peut pas, d'un côté, brandir le drapeau tricolore et, de l'autre, s'en remettre aux décisions d'un conseil d'administration installé au Luxembourg. La souveraineté n'est pas un slogan ; c'est une pratique économique concrète. Elle commence ici, avec l'acier.

Parce que l'acier, ce n'est pas n'importe quel métal. C'est la base matérielle de notre puissance industrielle. Sans acier, il n'y a pas de construction, pas de transition énergétique et pas de défense nationale. Les turbines, les rails, les éoliennes, les ponts ou les infrastructures vertes, tout cela dépend de la filière sidérurgique. Comment donc répondre à la crise du logement ? Comment développer demain des infrastructures de transport ambitieuses pour relier les territoires entre eux ? Comment même assurer la politique d'armement si nous sommes dépendants au regard de l'acier ?

Quand nous parlons de l'acier, nous parlons aussi des femmes et des hommes qui, depuis des générations, le font vivre, souvent dans des conditions difficiles, mais – je veux le souligner – avec une fierté immense. Florange, Fos-sur-Mer, Dunkerque ou Saint-Chély-d'Apcher sont autant de lieux de savoir-faire, autant de symboles d'un pays qui a cru à son industrie et qui ne veut pas la voir disparaître.

Pourtant, ArcelorMittal ne cesse de trahir ses engagements. Malgré des profits colossaux et des aides publiques massives, le groupe ferme des sites, démantèle notre outil industriel et menace notre indépendance. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 23 milliards d'euros de valorisation, 62 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2024 et 13 milliards de dollars versés aux actionnaires depuis 2020.

Dans le même temps, 392 millions d'euros d'aides publiques ont été reçus rien qu'en 2023, bien évidemment sans aucune contrepartie sociale ni environnementale. ArcelorMittal a également bénéficié de quotas gratuits d'émissions de carbone dont l'excédent non utilisé est revendable, ce qui constitue une forme d'aide implicite de l'ordre de 960 millions d'euros.

Malgré cela, les investissements sont reportés, les emplois sont menacés et les usines également. Pourquoi ? Parce que la logique d'ArcelorMittal n'est pas celle de la production utile ; c'est celle – je l'ai déjà dit – du profit à court terme.

Alors oui, la nationalisation n'est plus une option, elle est devenue une nécessité. Une nécessité économique pour planifier la décarbonation de la filière. Une nécessité industrielle pour garantir nos approvisionnements stratégiques. Et une nécessité sociale pour protéger les travailleurs, les territoires et les savoir-faire français.

Je veux d'ailleurs saluer la présence en tribune de travailleurs de l'acier venus assister aujourd'hui à nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Ce que nous proposons, c'est de créer une société nationale de l'acier, placée sous contrôle public et démocratique, capable d'investir, d'innover et de planifier. Car, ne nous y trompons pas, sans État stratège, il n'y aurait pas eu EDF-GDF, Airbus, Ariane ou le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), autant de fleurons qui ont servi au développement des femmes et des hommes dans tout notre pays. L'histoire industrielle française est indissociable de l'action publique.

On nous dit souvent que la nationalisation est trop coûteuse. C'est d'ailleurs, monsieur le rapporteur, l'un des arguments que vous allez, me semble-t-il, utiliser. Toutefois, qu'est-ce qui coûte le plus cher : investir pour sauver nos usines et nos emplois, ou bien payer des plans sociaux, réhabiliter des territoires désertés, les dépolluer, les réaménager, sans compter les nombreuses compétences perdues ?

Les fonds existent. Quelque 15 milliards d'euros sont prévus dans le plan européen pour l'acier et 6 milliards d'euros sont consacrés à la décarbonation de l'industrie en France. Mettons ces moyens au service du pays. Arrêtons de subventionner ceux qui détruisent notre industrie et investissons dans ceux qui la feront renaître.

On nous dit également que la nationalisation n'est pas conforme au droit européen. C'est faux. L'article 345 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne reconnaît le droit des États de choisir leur régime de la propriété. Ce que nous faisons, c'est affirmer un choix politique souverain, comme d'autres pays l'ont fait avant nous : un choix d'intérêt général au service de l'emploi, de la transition écologique et de la sécurité nationale.

Enfin, mes chers collègues, cette nationalisation n'est pas un retour en arrière. C'est au contraire un acte de souveraineté moderne. Un acte pour piloter la décarbonation de la filière acier, indispensable au regard des enjeux climatiques. Un acte pour planifier les investissements dans les hauts fourneaux électriques. Un acte pour garantir l'emploi et la formation sur tout le territoire. L'acier est la colonne vertébrale de notre puissance industrielle. Ce bien commun stratégique mérite d'être protégé.

Oui, notre proposition est ambitieuse. Elle est lucide, parce qu'il n'y aura pas de réindustrialisation sans reprise en main publique de cet outil. Il n'y aura pas de transition écologique sans souveraineté productive. Et il n'y aura pas de justice sociale sans rupture avec la loi du profit à court terme.

Tel est le sens de notre démarche. Telle est la promesse d'une France qui reprend la main.

Mes chers collègues, en votant cette proposition de loi, vous ne voterez pas seulement pour un texte ; vous voterez pour une vision, pour un projet, pour une France qui choisit de produire, de protéger et de planifier.

L'acier n'est pas un produit financier. C'est un bien commun, une force nationale et un levier d'avenir. Il est temps, il est même urgent de le traiter comme tel.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons déposé cette proposition de loi que nous vous demandons de voter. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Arnaud Bazin, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national, déposée sur le bureau du Sénat le 14 mai dernier par la présidente Cécile Cukierman.

Sans surprise, au regard de la position constante de la majorité sénatoriale sur ce sujet, la commission des finances a rejeté cette proposition de loi lors de son examen, mercredi dernier.

La commission des finances a rejeté cette initiative pour deux raisons structurantes que je vais développer. D'abord, la nationalisation serait extrêmement coûteuse pour les pouvoirs publics dans une période de crise des finances publiques. Ensuite et surtout, la nationalisation n'apporterait pas de solution durable à la crise du secteur de la production d'acier en Europe.

Je me propose de développer en trois points le raisonnement qu'a suivi la commission des finances.

En premier lieu, je veux insister sur le fait que la filière de production d'acier en Europe traverse depuis plusieurs années une crise structurelle qui dépasse largement le cas des sites de production d'ArcelorMittal en France. Pour ne citer que quelques illustrations, je rappelle que le secteur sidérurgique européen a vu la suppression de 100 000 emplois entre 2007 et 2024. Pour la seule année 2024, le nombre d'emplois supprimés s'élève à 18 000. J'ajoute que le groupe sidérurgique allemand ThyssenKrupp a annoncé, il y a un an, qu'il envisageait de supprimer 11 000 emplois à l'horizon 2030 dans ses filiales de production d'acier. Il serait par conséquent illusoire de nier le caractère global de cette crise en rejetant la faute sur un acteur unique, fût-il l'actionnariat du groupe ArcelorMittal.

Pour comprendre les causes structurelles de cette crise, il faut distinguer plusieurs facteurs qui se conjuguent pour dégrader l'équilibre économique de l'activité de production d'acier en Europe.

Le premier facteur est celui de la baisse de la demande d'acier en Europe. Il n'est en effet un secret pour personne que notre continent subit depuis plusieurs décennies, dans le cadre de la mondialisation des chaînes de valeur, un processus de désindustrialisation. Ce processus a comme effet indirect mais mécanique de réduire la demande en acier qui est largement portée par l'industrie automobile ainsi que par le secteur de la construction.

Le deuxième facteur est celui, plus déstabilisant encore, de l'existence sur le marché mondial actuel de l'acier d'une surcapacité massive de production. Pour dire les choses concrètement, les usines mondiales de production d'acier ont produit en 2024 un surplus de 602 millions de tonnes d'acier par rapport à la demande mondiale.

Le troisième facteur est lié à la réforme récente du marché du carbone européen. En effet, les grands sites sidérurgiques européens sont assujettis depuis 2005 à une obligation de détenir des quotas d'émissions équivalents à leurs rejets de gaz à effet de serre. Or, alors que ce marché prévoyait un mécanisme d'allocation gratuite de quotas d'émissions pour tenir compte des risques de fuite de carbone, la mise en place récente du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) a eu pour conséquence indirecte de déclencher une trajectoire de réduction des quotas d'émission gratuits alloués aux aciéristes à partir de l'exercice 2026.

Le quatrième facteur qui a un effet de perturbation indirecte sur la trajectoire de décarbonation de la filière sidérurgique est la hausse substantielle des coûts de l'énergie observée en Europe depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022. En effet, les processus décarbonés de production d'acier reposent non seulement sur l'électrification de certaines étapes de production, mais également sur l'usage de gaz naturel ou d'hydrogène comme énergie primaire. Par conséquent, les incertitudes actuelles sur le prix de l'électricité à long terme obstruent la visibilité des industriels sur leurs projets d'investissement. À titre d'illustration, ArcelorMittal estime que le prix de l'hydrogène vert devrait être divisé par deux pour que ce groupe puisse envisager de produire du minerai de fer préréduit décarboné à un prix compétitif.

En deuxième lieu, après vous avoir présenté ce contexte de crise structurelle du secteur de la production d'acier en Europe, j'aimerais vous expliquer pour quelles raisons la décision de nationaliser ArcelorMittal serait inefficace, fragiliserait les sites de production concernés et serait coûteuse pour les finances publiques.

Dans le contexte de crise européenne que je viens de décrire, les sites de production du groupe ArcelorMittal affrontent une dégradation de leur équilibre économique, en conséquence de laquelle la direction du groupe a annoncé, en avril dernier, un plan de restructuration ayant pour conséquence la suppression de 636 postes, soit 4 % des effectifs en France.

Je veux insister sur le fait que la nationalisation ne résoudrait aucun des problèmes qui alimentent la crise de la sidérurgie européenne. Cette nationalisation n'aurait aucun effet sur la baisse de la demande d'acier en Europe. Elle n'aurait aucun effet non plus sur l'existence d'une surcapacité mondiale d'acier de plus de 600 millions de tonnes par an.

Enfin, la nationalisation d'ArcelorMittal n'aurait pas plus d'effet sur les conséquences de la réduction des quotas gratuits d'émissions et de la hausse du prix de l'énergie en Europe.

Deuxièmement, je veux également insister sur le risque économique majeur auquel les sites français de production d'acier, au premier rang desquels Dunkerque et Fos-sur-Mer, seraient exposés en cas de détachement du groupe ArcelorMittal pour se trouver dans une entreprise isolée à capitaux publics. En effet, comme nous l'ont expliqué les responsables d'ArcelorMittal et comme l'ont confirmé les services du ministère de l'industrie, les sites français de production d'acier bénéficient très largement du carnet de commandes du groupe ArcelorMittal, qui est géré à l'échelle européenne.

Concrètement, cela signifie que l'acier produit à Fos-sur-Mer ou à Dunkerque est souvent exporté vers des clients du groupe ArcelorMittal situés hors du territoire français. Par conséquent, il existe un risque commercial majeur que des sites de production isolés, privés de l'apport de clientèle assuré par la gestion consolidée du groupe ArcelorMittal en Europe, ne se trouvent fragilisés et contraints de réduire encore le taux d'utilisation de leurs capacités.

J'ajoute sur ce point que l'option de la nationalisation ne fait pas l'unanimité parmi les représentants syndicaux du groupe ArcelorMittal que j'ai interrogés pour préparer l'examen de ce texte. Si la CGT soutient le projet de nationalisation, la CFE-CGC, qui est le deuxième syndicat le plus représentatif avec 25 % des voix aux élections professionnelles, s'est opposée à une nationalisation des sites français.

Troisièmement, j'aimerais évoquer le coût massif pour les finances publiques que représenterait une telle décision. Les auditions menées dans le cadre de l'examen de cette proposition de loi ne m'ont pas permis d'obtenir un chiffrage robuste quant à la valorisation des sites industriels d'ArcelorMittal en France. Peut-être que M. le ministre délégué chargé de l'industrie pourra nous éclairer sur ce point dans un instant.

En tout état de cause, les sources existantes et les travaux menés par les organisations syndicales font état d'un prix d'achat dont l'ordre de grandeur avoisine 1 milliard d'euros. En ajoutant les investissements massifs de décarbonation nécessaires à la pérennité des sites, le coût global de l'opération doit être estimé à plusieurs milliards d'euros. Cette somme est évidemment incompatible avec le contexte actuel de consolidation impérieuse de nos comptes publics.

Enfin, je terminerai en soulignant qu'il existe des mesures alternatives à la nationalisation qui sont plus efficaces pour défendre la pérennité de la filière sidérurgique, dont il n'est pas question de nier le caractère stratégique.

À l'échelle nationale, je rappellerai qu'il existe une enveloppe pluriannuelle de 6 milliards d'euros pour soutenir les investissements des acteurs industriels privés dans la décarbonation des processus de production. Ces aides, qui ont un effet de levier important en entraînant des investissements privés, constituent un soutien vital pour assurer la transition de nos usines sidérurgiques, condition sine qua non de leur pérennité.

À l'échelle européenne, je tiens également à souligner les annonces particulièrement encourageantes qui ont été faites par la Commission européenne au début du mois d'octobre. En effet, dans le sillage de la publication en mars 2025 d'un plan d'action pour l'acier et les métaux, la Commission européenne a proposé, le 7 octobre dernier, la création d'un mécanisme de protection pérenne du marché de l'acier en Europe, en application duquel les importations d'acier au-delà d'un quota en franchise de droits seraient taxées à hauteur de 50 %. Sur ce point, je sais que le gouvernement français s'est fortement engagé pour convaincre la Commission européenne de déployer enfin ces instruments de protection. Je vous encourage, monsieur le ministre, à poursuivre ce combat pour que l'Europe se dote des instruments indispensables au maintien de sa souveraineté industrielle.

En conclusion, je veux remercier nos collègues du groupe communiste d'avoir attiré l'attention du Gouvernement et celle du Sénat sur cette crise de l'acier européen, qui est un enjeu majeur pour notre souveraineté et l'autonomie de nos industries. Pour autant, pour les diverses raisons que j'ai exposées, la nationalisation resterait sans effet sur cette crise structurelle et son effet principal serait d'immobiliser inutilement plusieurs milliards d'euros en faisant courir aux sites concernés un risque de fragilisation commerciale. Je propose au Sénat de procéder comme l'a fait la commission des finances en rejetant ce texte au profit des mesures alternatives de protection de notre industrie que je viens de développer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d'abord, moi aussi, remercier Mme Cukierman et ceux de vos collègues qui ont fait le choix de déposer cette proposition de loi. Je veux les remercier, car ce texte porte sur un sujet fondamental, qui sera également évoqué à l'Assemblée nationale, celui de notre avenir industriel, en particulier de la sidérurgie.

Je veux aussi remercier M. le rapporteur pour la qualité de son argumentation et pour avoir posé très clairement et rationnellement un certain nombre d'éléments sur un sujet qui a fait l'objet de débats parfois passionnés. C'est le cas – on le comprend – chaque fois que nous parlons de notre industrie et des hommes et des femmes qui la font vivre partout sur le territoire.

Cette « industrie des industries » qu'est la sidérurgie est celle dont on voit les œuvres partout : dans nos routes et nos rails, nos ponts et nos usines, nos villes et nos armées. Elle soutient nos infrastructures, elle irrigue toutes nos chaînes de valeur et, derrière elle, ce sont des usines, des hommes, des femmes et des territoires qui façonnent la France industrielle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi part d'un constat que nous avons tous fait : celui des difficultés profondes que traverse l'industrie sidérurgique européenne et, plus gravement, comme l'a rappelé M. le rapporteur, la filière historique des hauts fourneaux.

Ces difficultés tiennent à plusieurs causes très bien identifiées.

D'abord, la demande européenne et mondiale en recul entraîne des surcapacités massives. Nous produisons aujourd'hui plus d'acier que nous n'en consommons et les débouchés se contractent. Je songe notamment aux secteurs de la construction et de l'automobile, tous deux en crise et dont dépend la filière sidérurgique.

Ensuite, nous faisons face à une concurrence déloyale, avec des aciers asiatiques subventionnés qui arrivent sur notre continent à des prix artificiellement bas : le rapport des prix entre notre acier et le leur est de 1 à 3, et il est de 1 à 5 ou de 1 à 6 avec l'acier américain. Mais certains pays asiatiques qui ne pratiquent ni le dumping ni la subvention à l'extrême sont dans le même rapport de prix que nous. Cela montre bien qu'il existe une problématique spécifique de dumping avec certains pays asiatiques, à laquelle nous pouvons apporter des réponses – j'y reviendrai.

Enfin, le coût de production européen est tiré vers le haut par les prix de l'énergie, une fiscalité souvent trop lourde et le prix de la décarbonation. La décarbonation est inévitable à long terme, mais l'Europe a décidé de la mener la première, en faisant le choix lucide d'agir dès maintenant.

Ces réalités économiques suscitent de l'angoisse chez nos concitoyens, partout dans les territoires : la peur de la fermeture, la crainte du déclassement, l'incertitude qui plane sur l'avenir. Je connais cette détresse, car je suis moi-même élu d'un département qui, par le passé, a été confronté à des accidents industriels majeurs, tels que la fermeture de l'usine Kodak. Et c'est pourquoi ce débat a toute sa place dans cette assemblée.

Pour autant, la réponse apportée par le texte n'est pas la bonne. La nationalisation – n'en faisons pas une affaire d'idéologie – peut, dans certains cas, être une solution. Elle n'a d'ailleurs jamais été l'apanage d'un camp politique. La France y a ainsi eu recours à plusieurs reprises : ce fut le cas pour EDF, pour Atos, ou encore pour Alcatel Submarine Networks. La puissance publique a repris la main dans ces secteurs, non pour masquer une difficulté, mais pour protéger une infrastructure critique.

Or la situation d'ArcelorMittal n'entre pas dans ce cadre. Car, ici, nationaliser, ce n'est pas sauver, mais différer, traiter les symptômes sans s'attaquer aux causes. Pis encore, nationaliser ne ferait que poser de nouveaux défis à l'entreprise. Comme l'a très bien expliqué M. le rapporteur, en France, ArcelorMittal fonctionne comme un réseau intégré, avec des sites qui dépendent des fournisseurs et des clients du groupe partout dans le monde. Si l'on nationalise seulement la partie française, on brise ce réseau : les clients partent, les concurrents en profitent, la compétitivité s'effondre et l'on favorise les investissements étrangers.

Nationaliser ArcelorMittal reviendrait à placer l'entreprise sous perfusion publique, sans pour autant régler les problèmes qui minent la filière : la concurrence mondiale faussée, la faiblesse de la demande européenne et le déficit de compétitivité. Aucune de ces difficultés ne disparaîtra avec la nationalisation.

Les pertes, en revanche, deviendraient celles de l'État, et, donc, celles du contribuable. Une nationalisation reviendrait, pour le dire simplement, à essayer de gagner du temps pour perdre beaucoup d'argent.

Dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, les exemples britannique et italien sont cités à juste titre. Encore faut-il aller jusqu'au bout du raisonnement : outre-Manche, British Steel coûte 700 000 livres de pertes par jour au contribuable britannique. En Italie, le cas d'Ilva illustre un autre écueil : après des années de blocages et d'incertitudes, l'État italien peine encore à trouver un repreneur capable de relancer durablement l'activité – car, si l'on nationalise, ce n'est que temporairement, dans l'attente d'une reprise. Je ne crois pas que ce soit le modèle que nous souhaitons adopter.

Notre devoir est de préserver la vitalité industrielle des sites, une vitalité qui passe par des projets industriels. Si notre priorité est bien de protéger les salariés, leurs emplois, leurs compétences, leurs trajectoires professionnelles, il faut apporter des solutions structurelles à des problèmes structurels.

En réalité, le cœur du sujet réside dans la compétitivité. Le Gouvernement en tient compte en proposant, dans le cadre du projet de loi de finances, une baisse de 1,3 milliard d'euros de cet impôt de production que l'on appelle la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises). C'est 1,3 milliard d'euros que nos entreprises n'auront plus à dépenser en impôts, mais qu'elles pourront réinvestir.

Car la compétitivité, c'est aussi cela : investir pour innover, décarboner, former les équipes, faire évoluer les compétences. C'est d'ailleurs tout l'enjeu autour des investissements déjà effectués par ArcelorMittal dans ses sites français, ainsi que des investissements que le groupe a annoncés et que nous soutenons. Cela étant, la volonté d'ArcelorMittal d'investir 1,2 milliard d'euros pour la construction d'un four électrique à Dunkerque reste conditionnée à l'existence d'un marché européen véritablement protégé du dumping et à celle d'un mécanisme de taxation carbone aux frontières réellement appliqué.

Mesdames, messieurs les sénateurs, laissez-moi dissiper un doute : la survie de la sidérurgie européenne se jouera d'abord à Bruxelles, et pas en France dans le cadre d'un décret de nationalisation, parce que le défi est avant tout européen. Tel est le sens du travail que nous menons pour faire vivre une véritable défense commerciale et une préférence européenne concrète.

Les deux lignes de force qui guident notre action sont un plan d'urgence pour l'acier européen et une taxe carbone aux frontières réellement efficace.

D'une part, la France bataille pour que l'Union européenne mette en place un plan d'urgence sur l'acier face au dumping asiatique. Ce plan, que nous avons obtenu, repose sur une clause de sauvegarde, un terme technique qui recouvre une réalité très simple, celle de quotas d'importation. Dit autrement, au-delà d'un certain seuil, des droits de douane de 50 % seront appliqués aux importations d'acier étranger.

Nous avons gagné sur le principe, mais le combat doit se poursuivre : la France se bat pour que ces mesures soient pleinement opérationnelles dès le 1er janvier 2026. Nous ne sommes pas seuls, puisqu'une dizaine de pays réunis dans l'Alliance européenne de l'industrie lourde soutiennent cette position. Nous sommes pleinement mobilisés sur ce dossier. Dès ma prise de fonction, je me suis d'ailleurs entretenu avec le vice-président de la Commission européenne, Stéphane Séjourné, et je serai à Bruxelles dans les prochains jours.

D'autre part, la France lutte pour une taxe carbone aux frontières qui fonctionne réellement, une taxe qui mette à égalité les sidérurgistes européens, qui paient le carbone, avec leurs concurrents étrangers, qui ne le paient pas… Là encore, nous avançons, mais nous devons rester combatifs pour que ce mécanisme ne puisse pas être contourné.

Nous avons arraché ces avancées, parce que nous croyons à une Europe industrielle, une Europe qui protège ses usines, ses emplois et ses savoir-faire. Et nous continuerons à nous battre pour que ces mesures soient adoptées rapidement par le Parlement européen comme par le Conseil.

Non, la nationalisation n'est pas la solution. Mais cela ne veut pas dire que nous nous interdisons d'agir : nous soutenons la décarbonation des procédés ; nous finançons les technologies nouvelles ; nous défendons la réciprocité commerciale ; et nous renforçons la compétitivité de notre industrie. Nous mobilisons donc tous les leviers pour que nos usines restent en France et que leurs salariés aient un avenir.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ArcelorMittal n'est pas à vendre. Surtout, l'indépendance ne se décrète pas par un rachat : elle résulte d'une stratégie industrielle. Je veux le dire simplement : sauver une entreprise, c'est lui donner un futur, et non la mettre sous perfusion. Et, ce futur, nous le construirons par la compétitivité, l'investissement, et grâce à la cohérence de notre action européenne.

Je salue la position de la commission des finances sur cette proposition de loi. Je la partage pleinement, et j'appelle le Sénat à la suivre. (M. le rapporteur et M. Marc Laménie applaudissent.)

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Mise au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à Mme Micheline Jacques.

Mme Micheline Jacques. Lors des scrutins publics nos 14 et 15 portant sur la proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets, Mme Viviane Malet souhaitait voter pour.