Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l'analyse politique des scrutins concernés.
Mes chers collègues, je vais suspendre la séance ; elle sera reprise à quatorze heures quarante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures dix,
est reprise à quatorze heures quarante, sous la présidence de M. Didier Mandelli.)
PRÉSIDENCE DE M. Didier Mandelli
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal
Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi
M. le président. Nous reprenons l'examen de la proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe ArcelorMittal, malgré des fonds propres colossaux et la perception d'aides publiques massives, a annoncé en avril dernier la suppression de centaines d'emplois en France, ainsi que le report de ses investissements dans la modernisation et la décarbonation de son outil industriel.
Face à une forme de cynisme de la part de ce groupe, face à la crise structurelle qui frappe la sidérurgie européenne, dans un contexte d'urgence climatique absolue, et face aux menaces directes qui pèsent sur nos emplois et notre souveraineté, la présente proposition de loi du groupe communiste, cosignée par l'ensemble des groupes de gauche et les écologistes, est d'une importance majeure et répond à une impérieuse nécessité.
La modernisation des outils de production, leur électrification notamment, est incontournable si nous voulons respecter nos engagements climatiques en matière de transition. Les trois sites français de production d'acier appartenant à ArcelorMittal, à Dunkerque, Fos-sur-Mer et Florange, représentaient, en 2019, 24 % des émissions de CO2 de l'industrie en France et 4,5 % des gaz à effet de serre émis sur le territoire national.
En 2023, dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone et en vue de décarboner les sites les plus émetteurs, le groupe ArcelorMittal a signé un contrat de transition écologique avec l'État français, avec pour premier objectif, d'ici 2030, de réduire de 35 % ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2015, et pour second objectif d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050.
La puissance publique a proposé de subventionner la décarbonation de l'outil de production à hauteur de 850 millions d'euros, soit environ la moitié des besoins d'investissement. Cette aide a été autorisée par la Commission européenne le 20 juillet 2023, mais le revirement d'ArcelorMittal a entraîné le report de ces investissements et remet en cause, de fait, notre stratégie climatique.
Ce qui garantira, demain, l'emploi industriel dans notre pays, c'est la transformation de l'outil de production – il faut le dire –, via notamment l'électrification des hauts fourneaux. Il n'y aura pas de transition écologique sans emplois industriels ni d'industrie sans transition écologique.
La filière de l'acier est hautement stratégique. Nous ne pouvons accepter que son avenir en France et en Europe dépende uniquement de décisions erratiques, sans aucune logique de planification ni vision d'avenir. Oui, la sidérurgie est une composante majeure de notre souveraineté industrielle, essentielle entre autres à la défense, aux infrastructures critiques et à la transition énergétique.
Face à la menace qui pèse sur l'ensemble de la filière de l'acier européen, la Commission européenne a enfin amorcé un virage protectionniste en proposant de doubler les droits de douane sur l'acier de 25 % à 50 %, tout en diminuant de moitié les quotas d'acier étranger pouvant être importés sans surtaxe dans l'Union européenne. Il s'agit d'un début de réveil salutaire.
Oui, en effet, il y a urgence. La filière européenne est menacée par la surproduction mondiale, dopée par la concurrence déloyale chinoise : 150 000 emplois sont ainsi menacés en Europe.
La présente proposition de loi ne relève donc pas d'un choix idéologique : elle résulte d'une vision pragmatique qui s'articulera parfaitement avec le virage pris au niveau européen. Elle vise à préserver nos capacités industrielles et l'emploi, comme l'a fait le gouvernement britannique.
Le texte tend à garantir que les actifs d'ArcelorMittal en France – c'est-à-dire les sites de Dunkerque, de Fos-sur-Mer, et de Florange ainsi et que toute autre installation jugée essentielle – soient reconnus comme des biens d'intérêt général relevant de notre souveraineté industrielle.
Cette proposition de loi est un premier pas essentiel, qui doit en outre s'inscrire dans une démarche plus globale et multisectorielle. Nous devons protéger l'ensemble des entreprises stratégiques d'intérêt national ou européen.
Nous devons aussi mettre fin à la passivité de l'État face aux décisions unilatérales des multinationales. Nous devons reprendre en main notre destin et bâtir notre stratégie industrielle.
Pour sauvegarder les aciéries, pour leur permettre de réussir à passer le cap de la décarbonation, pour faire advenir une souveraineté industrielle réelle, loin des incantations et de la soumission au marché, pour favoriser la planification des emplois, des filières et des savoir-faire, vous l'aurez compris, nous voterons ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve. (Mme Maryse Carrère applaudit.)
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avouons-le d'emblée, il est bien difficile pour n'importe quel habitant des Bouches-du-Rhône, et, donc, pour chacun des parlementaires de ce département, d'être insensible aux questions touchant à l'avenir d'ArcelorMittal.
Il en va de même de toutes les régions françaises qui ont subi les crises causées par le recul de nos capacités de production dans le domaine sidérurgique, ainsi que les cortèges de licenciements qui ont plongé nombre de familles dans la difficulté et ont contraint des villes à s'engager dans des conversions interminables et aléatoires.
Se désintéresser de ce sujet reviendrait à faire preuve de désinvolture quand on sait que la filière sidérurgique, à Fos-sur-Mer, représente 4 000 emplois. Une telle attitude serait d'autant plus condamnable que cette implantation industrielle, deuxième site sidérurgique français, est le fruit d'une histoire qui serait bien trop longue à retracer ici.
Le secteur sidérurgique fait aussi l'objet, pour les années à venir, d'importantes perspectives d'investissement liées à la décarbonation, car nous devons nous adapter aux conséquences du dérèglement climatique. Il est aussi au cœur de ce que l'on appelle notre souveraineté économique.
C'est pourquoi je partage les interrogations et inquiétudes qui ont conduit à l'élaboration du texte que nous examinons aujourd'hui. Elles sont légitimes et appellent une attention particulière.
Toutefois, je ne peux m'empêcher de vous faire part de ma perplexité. « Nationalisation » : pour des oreilles bercées par les douces rengaines du libéralisme, il s'agit d'un gros mot. Pour d'autres, en revanche, le terme est un totem scandé lors de chaque discussion où il est question de maîtrise de nos politiques industrielles.
Dans le cadre des échanges qui ont précédé le rejet de ce texte par la commission des finances, j'ai eu la désagréable impression de revivre un film, si je puis m'exprimer ainsi, qui a suscité bien des querelles lors du quinquennat de François Hollande. C'est fort regrettable, et je crains que nous ne donnions le spectacle d'élus ravivant ad nauseam la querelle des Anciens et des Modernes.
À l'heure où l'exécutif et le Parlement sont en quête de milliards pour lutter contre une dette qui fragilise notre pays, nous sommes en présence d'un cas d'école avec cette proposition de loi relative à la situation d'ArcelorMittal. Chacun affûte ses arguments : les auteurs du texte ont raison de tirer la sonnette d'alarme de l'emploi ; le rapporteur, lui, n'est pas en reste, puisqu'il rappelle que toute réponse doit être apportée au niveau européen si l'on veut protéger le secteur sidérurgique.
Hélas, je crains que cela ne soit insuffisant pour calmer l'inquiétude des sidérurgistes qui peuvent estimer que, derrière cet argument, se cache l'antienne du « ce n'est pas nous, c'est Bruxelles ! »…
Je reste convaincue que les passes d'armes convenues autour du terme « nationalisation » nous font passer à côté d'un point essentiel : les 200 milliards d'euros d'aides publiques aux entreprises et les quelque 300 millions d'euros dont a bénéficié ArcelorMittal en 2023. Ces aides sont nécessaires. Soit ! Mais si le coût d'une nationalisation est pharaonique, celui des aides publiques versées aux entreprises, sans l'assurance de préserver durablement notre souveraineté, sans la garantie du maintien de l'emploi, le tout accompagné du chantage permanent exercé par celles-ci – je fais référence à l'article du journal Le Monde de ce matin –, l'est tout autant.
Il faut évaluer ces aides publiques, les réglementer et légiférer pour mieux les contrôler. Il convient de savoir à quels investissements elles contribuent, quels emplois elles permettent de créer ou de préserver, quelles stratégies elles encouragent. Il s'agirait là d'une démarche plus fructueuse. Il importe aussi de rappeler aux entreprises bénéficiaires, qui licencient abusivement en jouant de leur position, la célèbre saillie de Margaret Thatcher : « I want my money back ! »
Cela étant, je voterai pour ma part contre ce texte. Mes collègues du groupe du RDSE useront, eux, de leur liberté de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet.
M. Michel Canévet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste tient à remercier les membres du groupe CRCE-K d'avoir inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour de leur espace réservé, un texte d'ailleurs cosigné par les membres d'autres groupes.
En effet, la question de l'industrialisation de la France est absolument majeure, et ce débat va nous donner l'occasion de réfléchir à l'avenir de notre industrie, plus particulièrement à l'avenir du secteur sidérurgique.
Mon groupe n'est pas opposé aux nationalisations. J'en veux pour preuve que nous avons approuvé la nationalisation intégrale d'EDF l'an passé. Certes, nous aurions préféré que les personnels puissent acquérir une part plus significative du capital de l'entreprise – disons-le clairement – pour tirer les fruits de son expansion, mais nous ne sommes pas par principe opposés à un tel processus. Cet engagement témoigne de notre attachement à un État fort, qui se préoccupe des véritables facteurs de croissance économique dans les territoires, c'est-à-dire, ici, de nos filières énergétiques, qui sont cruciales pour notre industrie.
Le groupe Union Centriste est particulièrement sensible au sort de la filière sidérurgique. On le sait en effet, en 1951, l'Europe s'est construite, pour le plus grand bien de tous, sur les bases de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA). C'est à partir de cette organisation et de ses quelques pays fondateurs que s'est forgé l'esprit européen et que s'est développée l'Europe telle que nous la connaissons aujourd'hui. Cela montre bien l'importance de l'acier et explique notre intérêt pour cette question.
Comme l'a très bien expliqué le rapporteur, nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation paradoxale : d'un côté, la production mondiale d'acier est largement excédentaire, ce qui nous expose à un problème de compétitivité ; de l'autre, ArcelorMittal, acteur non négligeable de la filière sidérurgique, emploie 15 000 salariés en France sur une quarantaine de sites différents. On sait que la filière sidérurgique est indispensable pour l'industrialisation de notre pays : doit-on pour autant, face à toute nouvelle difficulté, envisager la nationalisation des entreprises fragilisées, c'est-à-dire proposer systématiquement que l'État en prenne seul la direction ?
Nous estimons qu'il faut y réfléchir à deux fois avant de s'engager dans une telle voie. En effet, nous pourrions être amenés à engager des montants considérables, alors même que nous sommes dans l'obligation de réduire nos dépenses publiques.
Face à un déficit public colossal, nous n'avons pas d'autre choix que de réduire nos dépenses, contrairement à ce que soutiennent certains de nos collègues députés – on le voit bien en ce moment – qui veulent toujours taxer davantage. Nous estimons au contraire que le levier de l'impôt doit être mobilisé avec mesure, car la surtaxation conduit inévitablement à l'indécision des acteurs économiques, qui hésitent alors à investir et à s'engager en faveur du développement du pays. C'est pourtant indispensable : la croissance de la France passera notamment par la reconnaissance de la valeur travail – il faut se retrousser les manches pour faire de la France un pays prospère dans lequel chaque habitant puisse vivre heureux.
Avant d'envisager la nationalisation d'ArcelorMittal et, donc, d'investir massivement, malgré le risque que fait courir le recours systématique à la puissance publique, devenue une sorte de « panier sans fond » pour sauver les entreprises déficitaires, il nous faut bien réfléchir. (Mme Catherine Belrhiti approuve.) On s'expose, sinon, à un certain nombre de désillusions : je pense à la hausse des déficits et, donc, à la possible incapacité de l'État à mener, demain, des politiques publiques, un rôle auquel nous tenons bien évidemment tous. Soyons prudents à ce sujet !
Monsieur le ministre, les membres du groupe Union Centriste sont particulièrement sensibles à la question de la réindustrialisation de la France. Nous espérons, puisque vous avez été nommé il y a quelques jours, que vous pourrez mener une action déterminée en la matière. Nous en avons bien besoin ! La tâche ne sera pas facile, il faut bien le reconnaître.
Les entreprises doivent pouvoir gagner en compétitivité et, donc, être davantage performantes au niveau international. Cela implique, selon nous, de baisser les charges. Nous espérons donc que des propositions en ce sens seront formulées lors de l'examen du projet de loi de finances.
Quoi qu'il en soit, la majorité des membres du groupe Union Centriste ne soutiendront pas la nationalisation d'ArcelorMittal.
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi de nos collègues communistes visant à nationaliser les actifs français de l'entreprise ArcelorMittal.
Le texte prévoit tout simplement que l'État rachète les actifs français d'une entreprise sidérurgique mondiale. Une fois l'État devenu propriétaire, il deviendrait aussi sidérurgiste au travers d'une société publique que nos collègues proposent de baptiser « Société Nationale de l'Acier ».
Bien que l'idée paraisse surprenante, elle n'est pas nouvelle. Dans les années 1980, en France, les communistes ont poussé leurs alliés socialistes à cette même politique de nationalisation. À l'époque, l'industrie sidérurgique était en situation de surcapacité de production au niveau mondial, ce qui a provoqué une chute du cours de l'acier et l'arrêt de nombreux hauts fourneaux.
Après que le secteur a été sous perfusion publique durant plusieurs années, François Mitterrand a décidé de le nationaliser en 1982. Treize années plus tard, lorsque l'entreprise Usinor-Sacilor est reprivatisée, l'État sidérurgiste n'a pas pu empêcher les transformations que la filière a connues à l'échelon mondial.
En quelques années, dans ce secteur, le nombre de salariés est passé de 95 000 à 38 000 en France, et la productivité a tout simplement doublé. La « casse sociale » que les socialistes voulaient éviter a malgré tout eu lieu. Sans compter que cette politique nous a coûté extrêmement cher : en vingt ans, 100 milliards de francs de subventions publiques ont été engloutis, dont 80 milliards de francs pour un accompagnement social en complet décalage avec les besoins de l'économie de l'époque. Des départs anticipés à 55 ans, voire à 50 ans, ont été rendus possibles ; l'État a payé des congés de formation de deux ans : il a ainsi diminué le temps de travail d'ouvriers qui étaient pourtant en âge de produire.
Voici ce qui nous attend, mes chers collègues, si nous essayons de reconduire une telle politique publique. D'abord, la nationalisation va nous coûter une somme exorbitante dont nous ne disposons pas. L'Institut La Boétie, le think tank des Insoumis, estime que cette nationalisation ne nous coûterait que 4 milliards à 6 milliards d'euros : une bagatelle à l'époque où nous sommes ! Ensuite, il nous faudra investir massivement pour rénover l'appareil de production sidérurgique, pour faire en sorte qu'il pollue moins à l'avenir, en passant du charbon à l'électricité. Enfin, il nous faudra de toute façon payer la facture sociale que la rénovation de l'appareil productif engendrera. Si mes calculs sont bons, nous aurons en quelque sorte payé trois fois au lieu d'une…
L'examen de cette proposition de loi intervient dans un contexte tout à fait similaire à celui des années 1970 et 1980. La Chine produit des quantités pharaoniques d'acier très pollué, ce qui entraîne une surproduction mondiale.
Les mêmes causes entraînent les mêmes conséquences : le cours de l'acier plonge – il a presque été divisé par deux depuis octobre 2021 – et de nombreux hauts fourneaux sont éteints.
Nous sommes, finalement, dans une situation identique. Il nous faut, de plus, prendre en compte les impératifs climatiques, puisque la sidérurgie est l'industrie la plus polluante de France, bien que nous produisions un acier bien plus « vert » que celui de nos amis chinois.
Notre pays ne dispose ni d'importants gisements, ni d'une énergie à bas coût, et encore moins d'une main d'œuvre quasiment gratuite. Ces atouts, l'URSS en bénéficiait, mais elle a tout de même échoué. Le résultat du dirigisme économique soviétique, nous le connaissons : l'industrie sidérurgique a englouti des milliards de roubles au détriment des autres secteurs, comme l'alimentation. Cette industrie a pollué plus et produit moins que ses concurrentes, pour une qualité inférieure.
L'alternative que nous devons résoudre est simple : soit nous utilisons des milliards fictifs pour nous approprier par la force une entreprise qui n'est pas à vendre, soit nous utilisons cet argent à bon escient, au service de notre souveraineté industrielle.
L'industrie sidérurgique française a, comme le reste de l'industrie, besoin de protection contre les distorsions de concurrence, notamment celles dont bénéficient les aciers chinois. Il lui faut retrouver de la compétitivité grâce à une fiscalité équivalente à celle dont bénéficient ses concurrents mondiaux et nous devons l'accompagner dans le verdissement de sa production par des investissements publics très ciblés.
Tels sont les véritables enjeux qui s'imposent à nous et auxquels nous devons apporter une réponse.
Cette réponse est attendue par les salariés d'ArcelorMittal comme par ceux de l'entreprise Novasco dans le Nord, la Loire et la Moselle, dont la situation particulièrement préoccupante m'a été rapportée par ma collègue Marie-Claude Lermytte.
Les sénateurs du groupe Les Indépendants – République et Territoires s'opposeront à l'adoption de cette proposition de loi qui obéit, selon eux, à une logique d'un autre temps.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (M. Laurent Burgoa applaudit.)
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'enjeu que représente ArcelorMittal est éminemment stratégique pour notre industrie ; notre collègue Arnaud Bazin, dont je salue la qualité du rapport, l'a rappelé.
L'industrie, et en particulier l'industrie lourde, connaît depuis plusieurs décennies des turbulences et des fermetures qui affectent durement nos territoires. C'est en connaissance de cause que je vous en parle, car je suis élue en Moselle, dans un bassin minier et sidérurgique autrefois prospère où les nombreuses fermetures de sites ont occasionné de graves souffrances pour les populations locales.
Je souhaite, du fait de mon ancrage territorial au cœur du bassin sidérurgique lorrain, vous parler en particulier du site ArcelorMittal Florange.
L'usine sidérurgique de Hayange-Florange est un immense complexe sidérurgique situé dans la vallée de la Fensch et pourvoyeur de près de 4 000 emplois.
Vous vous souvenez certainement de la visibilité médiatique dont ont bénéficié les hauts fourneaux de Florange lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 2012. Lorsque le ministre Arnaud Montebourg avait mis sur la table le sujet de la nationalisation, le front syndical n'était pas uni à cet égard ; je me souviens notamment de la prise de position de la CFE-CGC du site, qui y était opposée. En mai dernier, le coordinateur de ce syndicat au sein d'ArcelorMittal a maintenu cette position, arguant que cette entreprise était par trop intégrée au marché européen et mondial.
La nationalisation ratée, en 1981, d'Usinor, l'ancêtre d'ArcelorMittal, a marqué les esprits.
Concernant cette proposition de loi, il faut regarder la réalité en face. Nous sommes confrontés à un déséquilibre du marché de l'acier en Europe, avec une baisse de la demande européenne couplée à une concurrence féroce des aciers importés. On observe, par ailleurs, une spécialisation dans les aciers automobiles haut de gamme, alors que le marché de l'automobile est fluctuant, ainsi qu'une concurrence de l'offre mondiale – l'acier chinois à bas coût, par exemple, bénéficie de la situation –, et un manque d'investissement dans l'outil industriel.
Passer d'un actionnariat privé à un actionnariat public n'aura aucun impact sur les grands équilibres commerciaux du monde. Comment espérer, en cette période économique et financière perturbée pour la France, que l'État puisse investir massivement ?
Les auteurs de cette proposition de nationalisation voudraient apporter « la » solution. Cependant, n'oublions pas qu'ArcelorMittal est une multinationale qui répond à des enjeux de profitabilité et de rentabilité sur un marché concurrentiel.
Quelques jours après l'annonce par la Commission européenne de son plan acier, ArcelorMittal annonçait la suppression de centaines d'emplois en France. Le 17 septembre dernier, le groupe se retirait d'un projet de construction d'une usine de production de chaux vive à Dunkerque, replongeant le site dans l'incertitude. Enfin, nous avons appris avant-hier que les syndicats étaient appelés à se prononcer, le 7 novembre prochain, sur un plan social visant à supprimer 636 postes.
D'un côté, l'entreprise doit faire face à des enjeux financiers ; de l'autre, il convient que les pouvoirs publics répondent aux enjeux humains et sociaux occasionnés par cette situation. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)
Un État stratège, avec une vision pluriannuelle et organisée à l'échelle nationale, pourrait apporter une réponse. C'est par une vision globale et de long terme que nous maintiendrons la pérennité des sites. Bien que la décarbonation soit un horizon souhaitable, tâchons, par exemple, de ne pas « surnormer ». Le groupe du Parti populaire européen (PPE), au Parlement européen, dénonce à juste titre depuis des années un poids normatif excessif pesant sur l'industrie européenne, ce qui la fragilise dans le cadre d'un marché global.
C'est aussi à l'échelle européenne que nous pouvons trouver des solutions.
La Commission européenne a proposé, au début du mois d'octobre, un mécanisme de réduction des quotas d'importation en franchise de douane, ainsi que le rehaussement à 50 % des droits hors quotas. C'est un bon début, même si cela aurait dû être fait plus tôt.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin.
M. Stéphane Fouassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis d'une proposition de loi ambitieuse sur le papier, mais périlleuse dans les faits : elle vise la nationalisation des actifs d'ArcelorMittal en France.
Ses auteurs veulent, disent-ils, garantir la souveraineté industrielle, sauver des emplois et accélérer la transition écologique. Qui pourrait être contre ces objectifs ? Mais encore faut-il choisir les bons outils. Or cette proposition de loi, malgré les intentions affichées, emprunte une voie qui n'est ni réaliste, ni efficace, ni responsable. Soyons lucides : elle est juridiquement fragile, économiquement intenable et politiquement contre-productive.
D'abord, sur le plan juridique : nationaliser n'est pas interdit par la Constitution, à condition que cela réponde à une nécessité publique impérieuse. Mais ici, quelle est l'urgence ?
ArcelorMittal est une entreprise solide qui emploie 15 000 personnes en France, autant qu'il y a cinq ans. Elle investit, parfois trop lentement sans doute, mais elle le fait. Sa situation n'est pas celle d'EDF en 2023, confrontée à une crise énergétique majeure. La « nécessité publique impérieuse » n'est donc pas démontrée. Et si l'on y ajoute une indemnisation incertaine, puisque l'on veut en déduire les aides publiques reçues, le risque de censure constitutionnelle est avéré.
Sur le plan économique, c'est encore plus clair : nationaliser les seuls sites français d'un groupe mondial reviendrait à créer un monstre économique non viable. ArcelorMittal fonctionne à l'échelle internationale : le minerai vient du Brésil et du Canada, la transformation se fait en France et au Luxembourg, la vente en Allemagne, en Italie ou ailleurs. Isoler la partie française reviendrait à couper le moteur du reste du véhicule.
En conséquence, cette nationalisation aurait pour effet d'affaiblir la rentabilité de cette entreprise, et l'État se retrouverait seul à financer des pertes structurelles et à porter le coût colossal de la décarbonation, soit entre 5 milliards et 8 milliards d'euros. Et pour quel résultat ? Un acier « vert » aujourd'hui invendable, faute de clients prêts à en payer le prix.
Ensuite, politiquement, cette proposition de loi envoie un très mauvais signal : quel investisseur étranger voudra encore s'implanter en France si, demain, on peut décider de nationaliser unilatéralement ses sites ? Cette logique de défiance relève non pas du patriotisme économique, mais du repli industriel, et elle ruinerait tous les efforts que nous faisons depuis des années pour rendre la France attractive et compétitive.
Mme Cécile Cukierman. On voit ça…
M. Stéphane Fouassin. Je veux aussi rappeler quelques points d'histoire.
Le Royaume-Uni a nationalisé sa sidérurgie dans les années 1960. Résultat : des milliards engloutis, une productivité en berne, des fermetures d'usines et des dizaines de milliers d'emplois perdus.
Chez nous, la nationalisation d'Usinor-Sacilor dans les années 1980 a certes permis d'éviter la faillite, mais elle a coûté très cher et s'est terminée par une privatisation en 1995, avant la création d'Arcelor.
Alors oui, ArcelorMittal doit faire plus pour ses salariés, pour ses sites, pour la décarbonation. Oui, les aides publiques pourraient être conditionnées à des engagements fermes. Mais la réponse au problème posé réside non pas dans l'étatisation pure et simple, mais dans le dialogue, la transparence, la régulation et l'investissement conjoint dans l'industrie de demain.
En somme, cette proposition de loi n'est pas une bonne solution : elle flatte l'émotion, mais ignore la réalité économique. Si elle était adoptée, elle fragiliserait notre crédibilité industrielle et notre sécurité juridique, tout en coûtant des milliards aux contribuables. C'est pourquoi le groupe RDPI votera contre ce texte.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous n'en doutions pas !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Mme Audrey Linkenheld applaudit.)
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste, je tiens à remercier nos collègues du groupe CRCE-K d'avoir pris l'initiative de ce débat consacré à l'avenir de la filière sidérurgique française et, plus largement, à la question de notre souveraineté industrielle.
Parler d'acier, c'est parler de ce que nous sommes : une Europe forgée dans le feu des hauts fourneaux, une France bâtie sur le travail industriel et la fierté ouvrière. Rappelons-le, la Communauté européenne du charbon et de l'acier, fondée en 1951, fut le socle du projet européen. Elle liait la production d'acier et de charbon non seulement pour reconstruire nos économies, mais aussi pour garantir la paix.
Soixante-dix ans plus tard, la sidérurgie européenne traverse une crise importante. Entre 2014 et 2023, la production d'acier sur notre continent a chuté de 20 %, entraînant la perte de 8 % des emplois directs du secteur. L'Europe ne représente plus que 6,8 % de la production mondiale, contre plus de 9 % il y a dix ans, tandis que l'Asie concentre désormais près de 74 % des volumes produits.
Cette érosion tient à trois causes majeures : le ralentissement de la construction et de l'automobile, qui absorbent plus de la moitié de la demande d'acier européenne ; le coût de l'énergie, quatre fois plus élevé qu'aux États-Unis pour le gaz et deux fois plus qu'en Chine pour l'électricité ; et enfin la surcapacité mondiale, entretenue par la Chine qui produit plus de la moitié de l'acier mondial et pratique un dumping via des pays tiers.
C'est dans ce contexte qu'ArcelorMittal a annoncé la suppression de plus de 600 emplois en France, menaçant l'avenir de ses quarante sites. Et ce, après avoir réalisé 718 millions d'euros de bénéfices au cours du seul premier trimestre 2025, perçu 298 millions d'euros d'aides publiques, qui s'ajoutent aux 850 millions d'euros déjà versés par la France, et distribué 9 milliards d'euros de dividendes à ses actionnaires depuis 2020.
Comment accepter qu'un groupe ayant bénéficié de la solidarité nationale se comporte comme un investisseur opportuniste, sans égard pour l'emploi, les territoires ou les engagements pris ? Je pense aujourd'hui aux salariés de Dunkerque, Florange, Basse-Indre, Mardyck, Mouzon, Desvres et Montataire, aux familles, aux sous-traitants, à ces territoires entiers suspendus à des décisions prises à des milliers de kilomètres d'ici.
De nombreuses propositions sont aujourd'hui sur la table : nationalisation des sites stratégiques, mise sous gestion publique temporaire, prise de participation de l'État, ou encore conditionnement strict des aides publiques. Ces pistes, proposées par différentes forces politiques et par les organisations syndicales, méritent toutes d'être examinées sans tabou.
Mes chers collègues, nous considérons sur ces travées que le grand péché de notre époque est d'avoir cru que le marché pouvait tout structurer, en tout temps, en tout lieu et en toute matière. Nous ne sommes pas hostiles à l'économie de marché, mais nous affirmons que l'État doit faire respecter la parole donnée, garantir la continuité industrielle, redevenir un stratège, et non pas demeurer un spectateur.
Après la nationalisation des Chantiers de l'Atlantique et la reprise en main d'EDF, cette proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national nous invite à tirer les leçons de plusieurs décennies d'aveuglement industriel et de désarmement public. Elle nous offre, en réalité, l'occasion de rouvrir un débat de fond : celui du rôle de l'État dans la planification et la défense de nos intérêts stratégiques, parmi lesquels figure l'acier.
Face à des multinationales qui s'affranchissent de toute responsabilité territoriale, il faut des règles, des contreparties, des conditions. Les aides publiques doivent être conditionnées à des engagements clairs et opposables en matière d'investissement, d'emploi et de décarbonation.
Au-delà du cas d'ArcelorMittal, c'est la cohérence même de notre politique industrielle qu'il faut interroger. Depuis vingt ans, la France navigue d'un plan à l'autre – France Relance, France 2030 –, sans jamais définir de stratégie claire sur ce qu'elle veut produire, où, et comment.
Bien entendu, la réponse doit aussi être européenne. Après des années de naïveté, l'Union semble enfin décidée à défendre son industrie sidérurgique face à la concurrence déloyale. La clause de sauvegarde sur les importations va dans le bon sens, mais elle ne saurait suffire. L'Europe doit désormais s'armer d'une stratégie industrielle claire et ambitieuse.
Cela implique d'imposer une réciprocité normative : tout produit entrant sur le marché européen doit respecter les mêmes règles sociales, environnementales et sanitaires que celles qui sont imposées à nos entreprises. Cela implique aussi de réserver une part de la production locale dans les marchés publics européens, à l'image de l'Inflation Reduction Act (IRA) américain.
La désindustrialisation n'a pas seulement fragilisé notre économie. Elle a transformé nos territoires, fracturé nos sociétés, nourri le sentiment d'abandon et la défiance politique. Dans ces bassins où l'usine faisait lien social, la fermeture d'un site, c'est souvent la fermeture d'un avenir. C'est pourquoi la réindustrialisation n'est pas un objectif économique : c'est un impératif social et territorial.
Mes chers collègues, nous le savons tous ici, la discussion que nous entamons aujourd'hui ne tranchera pas le débat qui peut nous opposer, à gauche ou à droite de cet hémicycle. Pour autant, je considère que cette proposition de loi peut nous permettre de retrouver l'esprit qui, un temps, nous a rassemblés autour de choix stratégiques pour la souveraineté et l'indépendance de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani.
Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sidérurgie mondiale est en crise : la production d'acier dépasse largement la demande, la croissance chinoise s'essouffle, mais Pékin continue de subventionner massivement ses aciéries et, aux États-Unis, les politiques protectionnistes de Trump ont fermé des débouchés entiers.
Pendant que d'autres planifient, protègent, la France semble avoir choisi la passivité. ArcelorMittal, géant privé aux profits colossaux, joue avec notre outil industriel comme on déplace des pions sur un échiquier.
Cette situation n'est pas nouvelle. Depuis des années, ArcelorMittal ferme, réduit, délocalise. Présidents et ministres se succèdent sur des sites menacés, oubliant que derrière les mots « restructuration », « plan social », « rationalisation », il y a des visages : ceux de Dunkerque, Florange, Gandrange, Hayange, Reims, Denain… La liste est loin d'être exhaustive. Des femmes et des hommes qui, depuis des décennies, forgent le métal de notre pays et que Mittal s'apprête, une fois encore, à reléguer dans le silence des friches au travers de 636 suppressions de postes en France, dont 400 dans la production.
Je rappelle qu'ArcelorMittal dispose de 17,6 milliards d'euros de fonds propres, qu'entre 2021 et 2024 ce groupe a dégagé 32,6 milliards de dollars de bénéfices et redistribué 13,2 milliards de dollars aux actionnaires. En France, en 2023, il a perçu 392 millions d'euros d'aides publiques, tout en continuant à exercer un véritable chantage à l'emploi.
Cette situation n'est pas une anomalie : c'est le produit d'un modèle dans lequel les aides publiques servent à enrichir les actionnaires sans aucune contrepartie sociale, industrielle ou environnementale. Le rapport du Sénat sur les aides publiques aux entreprises l'a démontré : 211 milliards d'euros sont distribués chaque année aux entreprises sans contrôle ni conditions.
Alors, que l'on ne vienne pas nous dire que « l'argent n'existe pas » ! Il existe, il circule, mais il nourrit la rente plutôt que la production, en laissant des déserts économiques et sociaux. Et ainsi, l'État finance la casse de notre outil productif et accepte que des secteurs aussi stratégiques que la sidérurgie soient soumis aux seuls impératifs financiers d'un groupe privé. Ce secteur est stratégique, comme en a conclu un rapport du Sénat en 2019, car l'acier est la fondation de notre économie – pensons à l'automobile, au nucléaire, à l'aéronautique !
Pis, lorsque les hauts fourneaux ferment, ce ne sont pas seulement notre souveraineté et la continuité des chaînes de valeur qui se brisent ; ce sont des vies, des familles, des identités territoriales. Qui sait quelle est la vie des jeunes de la vallée de la Fensch, maintenant que les hauts fourneaux y sont éteints ? Qui agit contre le déracinement ou le kilométrage à rallonge pour accéder à l'emploi, après avoir versé une larme en lisant les romans de Nicolas Mathieu ?