Mme Sophie Briante Guillemont. Puisque nous confions au Gouvernement le soin de décider qui, du ministère de l'intérieur ou du ministère de la justice, aura à mettre en œuvre ce nouveau registre, nous proposons la mise en place d'une interconnexion avec le casier judiciaire national automatisé, ce qui implique de prévoir expressément une dérogation au code de procédure pénale.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Olivier Bitz, rapporteur. Avis favorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. Cet amendement a pour objet d'autoriser l'interconnexion entre le casier judiciaire national automatisé et le répertoire national des personnes inéligibles.

Si nous comprenons l'intérêt juridique d'un tel dispositif, cette mesure nécessite des expertises complémentaires et un travail beaucoup plus approfondi entre les ministères de l'intérieur et de la justice.

C'est pourquoi nous nous en remettons à la sagesse du Sénat, en cohérence avec la position du Gouvernement sur l'ensemble de cette proposition de loi.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Bitz, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 11

Supprimer cet alinéa.

II. – Alinéa 12

1° Au début

Insérer la référence :

« IV. –

2° Remplacer les mots :

de ces

par le mot :

des

3° Après le mot :

informations

insérer les mots :

nécessaires à la tenue et à la mise à jour du répertoire national des personnes inéligibles 

La parole est à M. le rapporteur.

M. Olivier Bitz, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer la disposition relative aux modalités de transmission des informations contenues dans le répertoire, qui relève du pouvoir réglementaire.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 5, présenté par M. Bitz, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 14

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

.... – Le second alinéa de l'article L. 301 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le second alinéa du I de l'article L. 45-2 est applicable. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Olivier Bitz, rapporteur. Cet amendement tend à garantir l'effectivité des dispositions de la proposition de loi en prévoyant de façon expresse l'application de l'obligation de consultation du répertoire par les autorités compétentes pour recevoir les déclarations de candidature, et ce en ce qui concerne l'élection des sénateurs de nos départements, sujet auquel nous sommes évidemment très sensibles.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. Cet amendement ainsi que les deux suivants sont un peu de même nature. Il importera d'avancer sur ces différents points, mais, en cohérence avec notre position générale sur le texte, nous nous en remettrons, sur cet amendement n° 5, à la sagesse du Sénat.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 6, présenté par M. Bitz, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. – Après l'alinéa 14

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

.... – L'article 13 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le second alinéa du I de l'article L. 45-2 du code électoral est applicable. »

II. – Alinéa 15

Remplacer la référence :

I

par les mots :

présent article

La parole est à M. le rapporteur.

M. Olivier Bitz, rapporteur. Cet amendement est quasiment similaire au précédent, mais il concerne cette fois-ci les représentants au Parlement européen.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. Cet amendement est tout de même quelque peu différent du précédent : nous en demandons le retrait ; à défaut, nous y serons défavorables.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 3 rectifié bis, présenté par Mme Briante Guillemont, M. Bilhac, Mme M. Carrère, MM. Daubet, Fialaire, Gold et Grosvalet, Mme Guillotin, MM. Laouedj et Masset, Mme Pantel, MM. Roux et Ruelle, Mmes Renaud-Garabedian et Jouve et M. Cabanel, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 14

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

…. – La loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France est ainsi modifiée :

1° Au premier alinéa du I de l'article 15, après la première occurrence du mot : « titre » , sont insérés les mots : « , le second alinéa du I de l'article L. 45-2 » ;

2° Le deuxième alinéa de l'article 46 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le second alinéa du I de l'article L. 45-2 du code électoral est applicable. »

La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.

Mme Sophie Briante Guillemont. Cet amendement de coordination vise à prévoir l'application des dispositions de la proposition de loi à l'élection des représentants des Français établis hors de France.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Olivier Bitz, rapporteur. Mme l'auteure de la proposition de loi a déjà tout expliqué : avis favorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié bis.

(L'amendement est adopté.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Je vais mettre aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi.

Je rappelle que le vote sur l'article vaudra vote sur l'ensemble du texte.

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Comme je l'ai indiqué lors de mon intervention liminaire, mon groupe est totalement favorable à ce texte. Aussi, je ne prends la parole que pour regretter la position du Gouvernement.

Sur un tel sujet, qui relève de la responsabilité de l'État, c'est le ministère de l'intérieur qui aurait dû prendre l'initiative. Or c'est le Parlement qui a dû pallier l'inaction du Gouvernement par l'intermédiaire de l'une de nos collègues. Dans ces conditions, je ne comprends pas pourquoi Mme la ministre s'est contentée d'émettre des avis de sagesse, alors même que les délais fixés pour la mise en place de ce nouveau répertoire ne sont vraiment pas insurmontables.

C'est extrêmement décevant de la part du ministère de l'intérieur, qui, de mon point de vue, n'est pas tout à fait à la hauteur des enjeux sur cette question. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont, pour explication de vote.

Mme Sophie Briante Guillemont. Je partage les propos de Marie-Pierre de La Gontrie

Madame la ministre, nos débats ont démontré que cette proposition de loi était transpartisane et qu'elle était l'objet de grandes attentes. Or M. le rapporteur et moi-même avons constaté que, depuis la publication du rapport de la Cour des comptes, cette initiative n'avait débouché sur aucune avancée de la part du ministère de l'intérieur et du ministère de la justice. Il est désormais de votre responsabilité de faire prospérer ce texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SER et Les Républicains.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi visant à créer un fichier national des personnes inéligibles.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. Mes chers collègues, je constate que la proposition de loi a été adoptée à l'unanimité des présents. (Applaudissements.)

Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante,

est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Anne Chain-Larché.)

PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer un répertoire national des personnes inéligibles
 

5

 
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89
Article unique (début)

Protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89

Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89, présentée par M. Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues (proposition n° 551 [2024-2025], résultat des travaux n° 92, rapport n° 91).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. « Et tout compte fait quel type de violence pouvait [être] imposé dans un État où le droit était solidement ancré, […] où chaque citoyen croyait sa liberté et l'égalité des droits garanties par la Constitution solennellement jurée ? […]

« Ancrés dans notre vision du droit, nous croyions à l'existence d'une conscience morale […], européenne, universelle, et nous étions convaincus qu'il y avait un certain degré d'inhumanité qui s'éliminait une fois pour toutes devant l'humanité.

« Comme j'essaie ici d'être aussi honnête que possible, je dois reconnaître que chaque fois […] nous n'avons pas cru possible un centième ni même un millième de ce qui allait faire irruption quelques semaines plus tard. »

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces lignes sont tirées d'un livre qui hante la conscience européenne : Le Monde d'hier de Stefan Zweig. Ces mots marquent une sidération, celle que l'on ressent face à la fin brutale des certitudes, face à la vitesse de déliquescence de principes qui semblaient intangibles.

Nous avons l'impression que notre démocratie est intangible, et pourtant… Le droit a la force de cette apparence. Il fait advenir ce qui n'est pas. Il donne l'illusion d'une solidité à toute épreuve, mais cette solidité est conditionnelle. Tous les textes principiels peuvent être remis en question, y compris celui de la Constitution.

L'inquiétude sur la solidité des normes démocratiques n'est pas une affaire du passé. L'institut V-Dem de l'université de Göteborg, en Suède, publie régulièrement un rapport sur l'état de la démocratie dans le monde. Alors que, il y a vingt ans seulement, plus de la moitié de la population mondiale vivait dans un régime démocratique, l'équilibre bascule aujourd'hui. À la fin du mois de décembre 2023, 71 % de la population mondiale vivait dans une autocratie, contre 48 % dix ans plus tôt ; quarante-cinq pays étaient « en voie d'autocratisation », alors que dix-neuf seulement progressaient sur la voie démocratique, soit trois fois moins qu'il y a trente ans.

La démocratie recule moins du fait de coups d'État ou d'invasions armées que par une érosion intérieure des droits fondamentaux. Tous les indicateurs – liberté d'expression, liberté d'association, sincérité du scrutin électoral – sont au rouge, tant et si bien que la situation de la démocratie dans le monde est pire que celle que nous avons connue dans les années 1930.

Les dérives autoritaires viennent de tous les camps politiques. Sur le continent américain, le Venezuela est prisonnier du régime autoritaire de Nicolas Maduro, qui ne survit que par la violence ; aux États-Unis, Donald Trump outrepasse ses prérogatives constitutionnelles, écrasant un Congrès qui s'est rendu lui-même impuissant, tout en organisant une chasse aux migrants qui touche même les étrangers installés de longue date.

En Europe, en Hongrie et en Pologne, les partis populistes de droite ont instauré et instaurent encore, par touches successives, des mesures illibérales : contrôle des médias publics, restriction des droits fondamentaux, notamment ceux de la presse, remise en cause du droit à l'avortement.

L'illibéralisme n'est pas une rupture extérieure au constitutionnalisme libéral, mais un phénomène interne à celui-ci : des gouvernements élus utilisent le droit et le langage des libertés pour justifier des politiques liberticides. Ils détournent les principes de l'État de droit pour légitimer un pouvoir sans contrepoids, invoquant la souveraineté nationale ou l'efficacité politique pour affaiblir la garantie des droits.

En quelques années, la Hongrie est ainsi passée d'un constitutionnalisme à l'allemande à un régime où la Cour constitutionnelle est diminuée et placée sous contrôle politique. Ce n'est pas le seul régime populiste dont l'essor a remis en cause de manière fondamentale les cours constitutionnelles : à la marginalisation hongroise, d'autres, en Pologne ou aux États-Unis, ont préféré la capture.

Dans notre pays cette tentation illibérale s'incarne notamment dans une proposition de loi constitutionnelle du Rassemblement national (RN) intitulée « Citoyenneté-Identité-Immigration ».

Cette proposition de loi constitutionnelle dépasse largement le cadre annoncé d'un simple « référendum sur l'immigration », qui n'est qu'un écran de fumée. Présentée comme un texte technique, destiné à combler un prétendu vide constitutionnel, elle n'est ni plus ni moins qu'une tentative de redéfinir la nature même de notre régime républicain, en modifiant près de 20 % de la Constitution.

Le texte en question instaurerait ainsi la « priorité nationale », une discrimination légale envers les étrangers, y compris réguliers, et les binationaux ; il limiterait l'accès de ces catégories aux prestations sociales et aux emplois publics, restreindrait le regroupement familial et supprimerait le droit du sol. En outre, il placerait la Constitution au-dessus des traités internationaux, privant tous les citoyens de recours devant les juridictions européennes et, tout particulièrement, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

Il ne s'agit pas, comme le prétendent ses auteurs, d'un « bouclier constitutionnel », mais bien plutôt d'une bombe à fragmentation qui ferait voler en éclats les fondements démocratiques de notre État de droit.

Ce texte vise à instaurer une nouvelle Constitution de type plébiscitaire consacrant la « priorité nationale », la xénophobie d'État et le nationalisme identitaire. Sous couvert de souveraineté nationale, il isolerait juridiquement la France et affaiblirait la protection des droits et libertés.

Au cœur du dispositif proposé se situe le concept d'« identité française », à la fois omniprésent et jamais défini. Supposément menacée, cette identité devient un principe constitutionnel flou, instrumentalisé pour justifier la fermeture migratoire, la primauté du droit national et le repli culturel, ce qui ouvre la voie à une dérive autoritaire fondée sur une conception idéologique de la « francité ».

En bref, pour reprendre un titre du sociologue François Dubet, il s'agit d'une proposition adaptée au « temps des passions tristes ».

Elle se distingue surtout par sa manière de faire. Prenant le prétexte d'un précédent historique malheureux et déjà illégal, ses auteurs entendent détourner un article de la Constitution consacré au référendum législatif, l'article 11, pour réviser la Constitution, alors qu'en l'espèce seul l'article 89 doit être utilisé.

Le but est donc de détruire les principes constitutionnels de l'intérieur. Ce choix est funeste, non seulement pour notre régime politique, mais également pour la France.

Une Constitution est un acte fondateur par lequel une société se constitue un socle de valeurs et décide de l'ordre sociétal voulu. Cela va bien au-delà de la simple organisation des pouvoirs publics.

La place de la Constitution au sommet de l'ordre juridique explique pourquoi il doit être difficile de modifier ce texte, qui ne peut ni ne doit être assimilé à une loi ordinaire. Tel est bien le choix qu'a fait le constituant de 1958, en ne faisant figurer qu'un seul article – l'article 89 – dans le titre XVI, intitulé « De la révision ».

Tenter de passer par l'article 11, alors que l'article 89 existe, n'est pas indifférent. On vise ici à effacer le rôle du Conseil constitutionnel comme celui des deux assemblées.

La proposition de loi constitutionnelle que je vous soumets, avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, a donc une finalité toute simple : boucher la porte dérobée qui existe au sein de nos institutions et simplement confirmer que seul l'article 89, à l'exclusion de tous les autres, doit servir à réviser notre texte constitutionnel.

Cette précision est d'autant plus nécessaire que nous ne faisons pas face à une seule menace. Dans un contexte international de dérive illibérale généralisée, tout président élu – de gauche, du centre, ou de droite – pourrait avoir la tentation de contourner nos institutions par le biais de l'article 11.

Une précision s'impose cependant. Il est clair que, si n'importe quel parti extrémiste arrivait au pouvoir, il pourrait appliquer son programme, mais il devrait respecter les règles institutionnelles et constitutionnelles.

En fait, c'est l'ambiguïté du principe de souveraineté nationale qui est exploité : né de la Révolution comme fondement de la démocratie et de la citoyenneté, ce principe peut aussi dériver vers l'exclusion. Gérard Noiriel a montré que, lors de chaque crise majeure, un même réflexe est réactivé en France : on désigne les étrangers comme responsables des difficultés du pays. Depuis la fin du XIXe siècle jusqu'à aujourd'hui, la « préférence nationale » sert de réponse politique aux angoisses sociales : protection du « travail français » en 1880, quotas et exclusions dans les années 1930, puis durcissement des politiques migratoires dans les années 1980.

Or ce réflexe est à rebours de ce que nous sommes. Depuis deux cents ans, les droits se développent en France : les droits-libertés, d'abord, déjà reconnus par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, puis les droits-créances, introduits dans notre droit positif par le préambule de la Constitution de 1946.

La constitutionnalisation de la préférence nationale et la fermeture de notre pays détruiraient cet édifice. Honnêtement, ce n'est pas à la hauteur de ce que nous sommes.

Oui, mes chers collègues, notre pays est bien plus que cela. « La France est une composition », a dit Mona Ozouf. Elle est bien loin du discours de l'extrême droite ou de la droite extrême, qui glorifient une France éternelle qui n'a jamais existé tout en oubliant les ajouts géographiques, les adjonctions comme les retraits de territoire. Reconnaître la pluralité des identités françaises, c'est s'inscrire en faux contre l'enfermement et la sécession identitaires ; c'est donner une chance à notre pays.

Notre texte a été conçu pour protéger la Constitution. Si je suis favorable au référendum d'initiative populaire (RIP) comme à son potentiel élargissement, le référendum d'initiative citoyenne (RIC), la mise en œuvre des outils référendaires ne peut se faire sur la base de l'émotion, sauf à céder au risque plébiscitaire, en donnant plus de pouvoir à un Président de la République qui en a déjà trop. (M. Joshua Hochart s'exclame.)

C'est pourquoi je vous demande, mes chers collègues, de prendre la mesure du risque qui pèse sur notre démocratie et de contribuer, ensemble, à la sauvegarder. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'objet du texte que nous examinons aujourd'hui est annoncé avec clarté dans son intitulé même : « protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89 ».

Comme son auteur, notre collègue Éric Kerrouche, l'a lui-même exposé à l'instant, cette initiative s'inscrit dans le cadre d'enjeux politiques tout à fait contemporains, sur lesquels je reviendrai.

Cependant, l'objet de cette proposition de loi constitutionnelle nous renvoie à une vieille querelle juridique, celle qu'avait provoquée le général de Gaulle en ayant recours, en 1962, à l'article 11 de la Constitution pour modifier celle-ci.

Le sujet est bien connu ; je ne m'étendrai donc pas outre mesure sur le contexte et me bornerai à quelques rappels.

La Constitution comporte un article spécialement consacré à sa révision, l'article 89. Il dispose que l'initiative de la révision « appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement ». Pour que le texte de révision soit adopté, il faut ensuite qu'il soit voté dans les mêmes termes par les deux assemblées.

Pour entrer en vigueur, le texte doit enfin faire l'objet d'une approbation définitive. Deux cas de figure se présentent alors.

S'il s'agit d'un projet de loi constitutionnelle, le Président de la République a le choix : il le fait approuver soit par référendum, soit par le Congrès, qui se prononce à la majorité des trois cinquièmes – c'est de loin le cas le plus fréquent.

S'il s'agit en revanche d'une proposition de loi constitutionnelle, comme le texte qui nous est soumis aujourd'hui, celle-ci ne peut entrer en vigueur que si le Président de la République décide de la soumettre au référendum. Il faut d'ailleurs bien garder cela à l'esprit lorsque, comme aujourd'hui, nous avons à débattre d'un tel texte.

Toujours est-il qu'en 1962 le général de Gaulle a eu recours à un autre article de la Constitution – l'article 11 – pour faire adopter une loi modifiant celle-ci. Il s'agissait, en l'occurrence, de modifier le mode d'élection du Président de la République, de façon à ce que celui-ci soit élu au suffrage universel direct.

Rappelons que l'article 11 a pour objet le référendum législatif. Il permet au Président de la République, sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées, de soumettre au référendum « tout projet de loi » portant sur une série de matières limitativement énumérées, parmi lesquelles figure « l'organisation des pouvoirs publics ».

Le général de Gaulle s'était appuyé sur l'ambiguïté de cette formulation pour utiliser l'article 11 à des fins de révision constitutionnelle. La régularité du recours à cette procédure avait toutefois d'emblée fait l'objet d'un avis négatif du Conseil d'État.

Surtout, cet usage de l'article 11 avait été perçu comme une stratégie de contournement du Parlement. Il avait ainsi suscité une forte opposition des deux assemblées – aussi bien le Sénat, sous la présidence de Gaston Monnerville, que l'Assemblée nationale, qui vota la censure du gouvernement Pompidou.

Néanmoins, le projet fut bien soumis au référendum et fut adopté par le peuple. Le Conseil constitutionnel s'étant jugé incompétent pour contrôler des lois référendaires, le texte a pu entrer en vigueur. Ainsi, depuis 1965, le Président de la République est effectivement élu au suffrage universel direct.

M. Olivier Paccaud. Tant mieux !

Mme Lauriane Josende, rapporteure. Depuis lors, la Constitution n'a plus jamais été modifiée via l'article 11. La seule autre tentative en ce sens, à nouveau de la part du général de Gaulle, en 1969, s'est soldée par un échec.

Par la suite, vingt-trois révisions constitutionnelles ont eu lieu, toutes par la voie de l'article 89 et toutes, sauf une, au moyen d'une approbation par le Congrès.

Dans ces conditions, pourquoi, et de quoi, « protéger la Constitution » ?

La réponse à ces questions nous a été donnée par M. Kerrouche à l'instant. Il s'agit en vérité de s'opposer au projet, publiquement affiché par le Rassemblement national, de recourir de nouveau à l'article 11 pour réviser la Constitution, dans l'hypothèse où son candidat remporterait l'élection présidentielle. Cette révision aurait pour objet l'inscription dans la Constitution d'un principe dit de « priorité nationale », ainsi que d'autres mesures liées à son programme en matière d'immigration et de droit des étrangers – notre collègue les a rappelées.

J'en viens maintenant à l'analyse de la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd'hui et aux raisons pour lesquelles la commission des lois l'a rejetée.

Tout au long des travaux que j'ai menés au nom de la commission des lois, je me suis posé, au fond, deux questions.

D'abord, une question juridique : le dispositif proposé permet-il d'atteindre l'effet recherché par ses auteurs ?

Ensuite, une question politique : est-il opportun pour le Sénat d'adopter ce texte, dans le contexte politique actuel ?

Il nous faut répondre par la négative à ces deux questions : premièrement, la proposition de loi constitutionnelle est juridiquement inefficace ; deuxièmement, elle est politiquement contre-productive.

Commençons par la première question, juridique, et la raison pour laquelle cette proposition de loi constitutionnelle est juridiquement inefficace.

Ce texte, mes chers collègues, ne fait que consacrer une interprétation qui est déjà celle de l'écrasante majorité de la doctrine, ainsi que celle du Conseil d'État. Cette lecture est claire : l'article 89 constitue la seule voie régulière de révision de la Constitution. La doctrine le dit aujourd'hui ; elle le disait déjà en 1962. À cette aune, la présente proposition de loi constitutionnelle ne produit pas d'effet juridique particulier.

Mais il faut aller plus loin. En pratique, ce texte ne permettrait pas d'empêcher un Président de la République de recourir une nouvelle fois à l'article 11 pour introduire dans l'ordre juridique des dispositions de valeur constitutionnelle – en tout cas pas davantage que la rédaction actuelle de la Constitution.

Formellement, aussi déroutant que cela puisse paraître d'un point de vue juridique, c'est une loi ordinaire qui avait modifié la Constitution en 1962 et non une loi « constitutionnelle », comme sont toujours intitulés les textes adoptés sur le fondement de l'article 89. Cela ne l'a pas empêchée d'entrer en vigueur, parce que le Conseil constitutionnel – je l'ai rappelé – ne contrôle pas les lois référendaires.

Or le dispositif proposé est dépourvu de toute incidence sur le régime juridictionnel des actes du Président de la République, comme d'ailleurs sur les compétences du Conseil constitutionnel.

Rien dans la rédaction proposée ne permettrait donc d'empêcher un Président de procéder de la même façon qu'en 1962. C'est pourquoi cette proposition de loi constitutionnelle, qui est présentée comme un « rempart institutionnel » par ses auteurs, ne serait en pratique qu'une barrière de papier.

M. Joshua Hochart. Il faut le dire au PS !

Mme Lauriane Josende, rapporteure. Certes, mes chers collègues, certains d'entre vous pourraient considérer que cela reste mieux que rien, ou encore arguer : « Cela va mieux en le disant. »

Mme Lauriane Josende, rapporteure. La commission ne partage pas ce point de vue.

Cette proposition de loi constitutionnelle est juridiquement inefficace, je l'ai montré. Mais ce n'est pas la seule ni même la principale raison pour laquelle je vous invite, au nom de la commission, à la rejeter. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)

Dès lors que le texte ne produit pas d'effet juridique particulier, la seule question qui compte est celle du message politique que nous enverrions par nos votes.

Or, d'un point de vue politique, cette proposition de loi constitutionnelle est assurément contre-productive.

Je préfère le dire ici clairement : à titre personnel, je partage sincèrement l'objectif des auteurs de ce texte. Je ne défends en aucun cas le projet de révision constitutionnelle défendu par le Rassemblement national. Toutefois, ce n'est pas sur ce projet que je m'exprime aujourd'hui au nom de la commission, mais sur cette proposition de loi constitutionnelle ci et uniquement sur elle.

En l'adoptant, mes chers collègues, quel message enverrions-nous donc ?