Mme Corinne Imbert, rapporteure. Cet amendement tend à abaisser, dans les zones FRR, le seuil démographique permettant d’autoriser la création de nouvelles officines pharmaceutiques de 2 500 à 1 000 habitants.
J’ai proposé un amendement visant à étendre l’expérimentation des antennes de pharmacie, ce qui devrait permettre de répondre à la préoccupation des auteurs de cet amendement. Pour aller plus loin, je proposerai aussi de pérenniser en droit la notion d’antenne.
Certains territoires – le sujet des officines est très sensible depuis quelques mois – sont confrontés à un manque d’attractivité pour que les officines s’implantent ou survivent. Certaines ferment faute d’atteindre un équilibre économique dans les zones les plus isolées.
La priorité est de soutenir le maillage officinal existant sans le déstabiliser par la création de nouvelles officines. Je propose donc une solution différente de celle prévue par les auteurs de l’amendement, fondée sur le développement des antennes dans les communes de moins de 2 500 habitants, dispositif qui me paraît plus adapté à la situation.
J’émets donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Stéphanie Rist, ministre. J’entends la volonté d’abaisser à 1 000 habitants le seuil de création. Une multiplication d’officines dans des communes de moins de 1 000 habitants risquerait toutefois de déstabiliser le maillage territorial.
Les pharmaciens, comme les médecins, ont connu le numerus clausus : leur démographie actuelle est basse, avec davantage de départs à la retraite que d’installations. Le seuil de 2 500 habitants permet, selon nous, de préserver le maillage territorial. Ce risque justifie une demande de retrait.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour explication de vote.
Mme Nadia Sollogoub. Nous connaissons tous la situation des officines et nous savons que certaines d’entre elles sont extrêmement fragiles économiquement, parce qu’il n’y a plus de médecin ou en raison de difficultés financières.
L’objet de cet amendement ne consiste nullement à encourager la création d’officines dans des secteurs où elles ne seraient pas viables. Un pharmacien qui envisagerait une installation procéderait, de toute évidence, à une étude de marché.
Si je soutiens cet amendement, c’est uniquement pour offrir une faculté, car des situations très particulières peuvent justifier la réouverture d’une pharmacie. Les antennes constituent une excellente réponse, mais elles ne suffisent pas toujours.
Je pense à une petite commune de la Nièvre, Fours, qui compte 1 000 habitants, où la pharmacie a fermé. Depuis, le maire, qui est infirmier, a réussi à faire revenir quatre médecins. Une crèche ouvrira bientôt, une maison de retraite existe déjà. Or, si un jour une pharmacie souhaitait rouvrir, ce ne serait pas possible.
Il s’agit donc simplement de préserver cette possibilité, de laisser ouverte une porte pour des cas très particuliers, lorsqu’une occasion se présenterait pour permettre le retour d’une pharmacie viable dans une commune d’au moins 1 000 habitants.
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.
M. Cédric Vial. Il s’agit d’un sujet important. Je rappelle que l’interdiction d’installer une pharmacie dans une commune de moins de 2 500 habitants remonte au gouvernement Pétain : près de quatre-vingts ans se sont écoulés.
Aujourd’hui, la France compte un peu moins de 35 000 communes, dont 32 300 ont moins de 2 500 habitants. Autrement dit, on ne peut créer une pharmacie que sur environ 2 500 communes, contre 32 300 où cela est impossible, hors situations préexistantes.
Après la loi de 2017, une ordonnance de 2018 prévoyait des assouplissements pour les communes comprises entre 2 000 et 2 500 habitants. Nous avons attendu plus de sept ans pour que le décret d’application soit publié. Les décrets sont sortis, mais ils sont complètement inopérants. Je ne citerai personne, mais les forces en présence lors de la concertation qui a duré tout ce temps – l’ordre comme certains syndicats – ont obtenu des conditions telles que la mesure législative ne peut produire aucun effet.
Un assouplissement s’impose, car certains territoires présentent des situations particulières. Pour autant, je ne suis pas convaincu par la mesure proposée dans cet amendement.
Je rappelle toutefois que nous avons déjà débattu au Sénat de ce sujet et que nous avons voté en faveur d’une approche fondée non plus sur la commune, mais sur le bassin de vie, ce qui paraît logique.
J’ai déposé une proposition de loi en 2022, elle a été reprise en 2024 par Maryse Carrère et le groupe du RDSE et ce texte instituant un seuil de 3 500 habitants par bassin de vie a été voté par notre assemblée. Notre approche est donc tout à fait sérieuse. Dans le droit actuel, deux communes de 2 000 habitants contiguës, dépourvues de pharmacie, n’ont pas le droit d’en ouvrir une, alors qu’une commune de 2 500 ou 3 500 habitants y est autorisée. Cette incohérence appelle une évolution.
Il faudra assouplir les règles. La mesure présentée ici n’est pas efficace, nous y reviendrons lors de l’examen des propositions de Mme Imbert, mais le sujet mérite d’être débattu.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Fichet. La question du seuil d’ouverture des pharmacies doit être manipulée avec beaucoup de précautions.
Il ne faudrait pas laisser croire que des pharmacies pourraient avoir une activité économiquement viable dans des territoires dépourvus de médecins, alors que leur activité dépend environ à 60 % des ordonnances et à 40 % de la parapharmacie. Sans médecin à proximité, les officines vivotent ou se retrouvent en grande difficulté. C’est un vrai problème.
Les antennes de pharmacie paraissent constituer une piste, mais la question de leur financement demeure entière. Dans le domaine de la santé, compétence régalienne, on propose d’installer dans les zones désertées des médecins juniors ou des antennes de pharmacie, puis on sollicite les collectivités en leur demandant d’aménager les locaux, de financer le matériel, etc. Parfois, on promet d’examiner ensuite comment compléter le dispositif… Or nombre de collectivités n’ont pas les moyens d’assumer de tels investissements, qui peuvent, qui plus est, se révéler éphémères. Les médecins juniors peuvent venir une fois, puis ne plus revenir !
Toute cette construction me semble déjà en péril : les maîtres de stage manquent, les locaux aussi ; dans les communes rurales, on ouvre des internats ruraux qui ne trouvent pas de clients. Il faut donc être très attentifs à tous ces sujets.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Bourguignon, pour explication de vote.
Mme Brigitte Bourguignon. Je soutiens l’amendement de M. Delcros, même si nous défendrons tout à l’heure un amendement de repli qui a recueilli l’assentiment de la commission.
La situation qui a été décrite diffère de celle que je connais dans mon département : un porteur de projet privé ne peut pas ouvrir de pharmacie dans une commune de 2 500 habitants, car une officine se situe à 8 kilomètres. Pour le maire, la situation reste très difficile à entendre, alors qu’il a fait construire une maison de santé. On lui répond que, de toute façon, l’ordre des pharmaciens s’opposera à l’installation, qu’il y aura des conflits et des recours, lesquels empêchent systématiquement la réalisation des projets. C’est insensé. Tout cela crée une situation pour le moins compliquée dans les territoires.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Le sujet est complexe et je ne souhaite pas que, par la voie d’un amendement voté un dimanche après-midi, l’on remette en cause l’équilibre et la répartition des officines dans notre pays.
L’accès aux soins constitue naturellement le cœur du débat. Certaines situations particulières existent, comme celle évoquée par Nadia Sollogoub, dans quelques communes.
J’ai l’impression que les officines, dont on se moquait un peu dans le passé, deviennent un enjeu politique en vue des élections municipales. (Mme Brigitte Bourguignon fait un signe de dénégation.) Le sujet est important. Chacun d’entre vous a été sollicité dans son département par des pharmaciens confrontés, vous le savez, madame la ministre, à des difficultés économiques liées à l’arrêté relatif au plafond des remises sur les médicaments génériques.
Je veux bien que l’on ouvre des officines dans des lieux isolés, mais ce seraient des structures avec un faible chiffre d’affaires et des conditions d’exercice contraignantes. Une officine ne peut pas fermer plus de soixante-douze heures d’affilée : sans remplaçant ni adjoint – et lorsqu’on réalise un petit chiffre d’affaires, on n’a pas d’adjoint –, on ne peut pas s’arrêter ni prendre de congés. Il faut garder cela à l’esprit.
Les jeunes pharmaciens diplômés recherchent de la qualité de vie ; ils n’acceptent plus d’être corvéables à merci comme on pouvait l’être autrefois quand on exerçait dans un petit village. Il faut garder toutes ces évolutions en tête.
Même s’il existe des communes de moins de 2 500 habitants où un pôle santé s’est créé grâce à l’initiative des élus, ces questions méritent d’être étudiées à tête reposée. Les pharmaciens ne sont pas de simples pions. Tout cela mérite une concertation avec les représentants de la profession.
Les autorisations d’ouverture d’une officine sont de la compétence des agences régionales de santé. L’ordre et les syndicats émettent un avis consultatif. Nous avons souvent vu des avis défavorables de ces derniers, puis un avis favorable de l’ARS. J’ai des exemples en tête.
Il faut donc se garder de modifier les règles au détour d’un amendement, un dimanche après-midi.
Mme Anne-Sophie Romagny. Ce n’est pas une raison !
M. Martin Lévrier. Supprimons les amendements du dimanche après-midi ! (Sourires.)
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Il convient de respecter une profession que l’on regardait parfois de loin, avec l’idée qu’elle ne courait aucun risque – ce n’est plus le cas. Il y a un enjeu d’aménagement du territoire. Nous parlerons tout à l’heure de la visibilité des structures d’accès aux soins : la croix verte clignote, mais nous avons perdu 5 000 officines sur le territoire national. Il faut se poser des questions.
Je rappelle que la loi autorise aujourd’hui l’installation d’une officine dans une commune de moins de 2 500 habitants par transfert ou regroupement, dès lors que celle-ci dessert un certain bassin de population. Nous retrouvons là la notion de bassin de vie évoquée par Cédric Vial. Cette possibilité existe dans le droit actuel.
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet, pour explication de vote.
Mme Martine Berthet. Je souhaitais rappeler que, en dehors des créations, la voie du transfert de licence demeure ouverte. Il n’est pas envisageable de remettre en cause le maillage officinal, qui a largement démontré son efficacité.
Les officines traversent aujourd’hui de réelles difficultés économiques. Autoriser des créations supplémentaires, alors que certaines pharmacies ferment et qu’un transfert de licence peut suffire, me paraît moins judicieux que de s’en tenir à la situation actuelle.
Il faut surtout développer et généraliser le système des antennes, qui constitue, à mon sens, la meilleure solution pour les territoires comme pour l’équilibre économique.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Je comprends l’objet de l’amendement : dans certains cas très spécifiques, l’idée de créer une pharmacie peut sembler pertinente. Nous légiférons toutefois de manière globale.
Le tissu des officines se fragilise, c’est indéniable. Les organisations professionnelles l’expliquent clairement et Corinne Imbert l’a rappelé. La réponse passe notamment par la création d’antennes. Ce n’est certes pas parfait, mais créer une officine dans un lieu où il n’y en a plus impose d’examiner les raisons de cette disparition. Il ne faut pas, par ailleurs, fragiliser le tissu des officines environnantes.
L’offre de soins repose sur des équilibres précaires : dès que l’on modifie un élément, on menace l’ensemble, d’autant que le dispositif existant n’est pas non plus en bon état. Je m’en tiendrai donc à la solution actuelle, qui consiste à développer des antennes plutôt qu’à modifier la règle de création des officines.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Dans mon département, deux pharmacies ont transféré leur licence vers des officines proches, ce qui laisse désormais une zone d’environ 25 kilomètres sans pharmacie. Il paraît difficile de recréer une officine là où les précédentes ont fermé, mais le service doit être maintenu.
Il faudrait envisager que ceux qui rachètent une pharmacie et transfèrent la licence soient tenus de conserver une antenne afin d’éviter un éloignement excessif pour la population.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon, pour explication de vote.
M. Laurent Somon. À l’instar de Mme la rapporteure et de M. Jomier, je suis très inquiet à l’idée de démultiplier les pharmacies. Nous constatons la fragilité des officines, notamment en milieu rural, où elles dépendent étroitement des maisons médicales.
Les maisons médicales pluriprofessionnelles et les pharmacies ne doivent pas devenir des enjeux électoraux municipaux : il s’agit d’un aménagement territorial majeur, qui doit être piloté par les départements, par l’ARS ou par toute autorité en mesure d’assurer une véritable offre de proximité. Tel est l’objectif que nous devons viser en priorité.
L’ouverture aux plus petites communes comporte un risque : dans les zones rurales, de petits commerces et des supermarchés se développent là où les grands groupes ne s’implantent plus. Il faut donc faire attention : en fragilisant les pharmacies, nous ouvririons la porte à la financiarisation du secteur. Cette brèche favoriserait, demain, l’entrée d’acteurs de la grande distribution cherchant des opportunités pour attirer le public, non seulement avec de la pharmacie, mais aussi avec d’autres activités qui n’ont rien à voir avec la santé publique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Le débat est effectivement complexe. Nous serions plutôt favorables à ce que cet amendement poursuive son chemin dans la navette parlementaire. À défaut, ce sujet ne pourra plus être abordé d’ici à la fin de l’examen de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Le seuil de 2 500 habitants peut être questionné comme tout seuil. Cela me rappelle, bien que ce soit un autre sujet, celui imposé pour la création des communautés de communes, qui a parfois abouti à des entités sans aucun rapport avec un bassin de vie. Il faut se méfier des chiffres trop abrupts.
Au fond, le véritable sujet, c’est le modèle économique des pharmacies d’officine. Le mouvement important des pharmaciens après l’abaissement des remises, consécutif à l’alerte sur le dépassement de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), montre que ce modèle évolue.
J’entends l’argument selon lequel une pharmacie ne vit pas sans médecins. À l’inverse, heureusement qu’il reste une officine dans certains territoires : le pharmacien constitue parfois le dernier professionnel de santé auquel la population peut s’adresser.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Bien sûr !
Mme Céline Brulin. Par ailleurs, le secteur de la grande distribution revient régulièrement dans ce débat.
Je plaide donc auprès de vous, madame la ministre, pour que cet amendement poursuive son parcours parlementaire et pour que nous engagions collectivement une réflexion sur le rôle et les missions des pharmacies d’officine. Elles assument des tâches croissantes. Des rémunérations forfaitaires doivent sans doute être développées et réévaluées, notamment pour certaines activités. Nous sommes à l’aube de profonds changements.
Mme la présidente. La parole est à M. Khalifé Khalifé, pour explication de vote.
M. Khalifé Khalifé. Je souhaite apporter un témoignage sur les quotas. Je viens d’un département, la Moselle, régi par le régime local, où le ratio applicable aux officines est de 3 500 habitants et non de 2 500. Lors de la crise de cet été, nous avons constaté qu’aucune pharmacie, sur les 725 communes du département, n’était en difficulté, à l’exception d’une, déjà fragile auparavant.
Il semblerait donc que le seuil de 3 500 habitants soit le plus pertinent. En attendant d’aller plus loin, je soutiens le système des antennes proposé par notre rapporteure.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1002 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 50 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 340 |
| Pour l’adoption | 111 |
| Contre | 229 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures dix.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 1191 est présenté par Mmes Brulin, Apourceau-Poly, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
L’amendement n° 1390 est présenté par Mmes Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 21
Insérer deux alinéas ainsi rédigés
…° Après l’article L. 4131-6, il est inséré un article L. 4131-6-… ainsi rédigé :
« Art. L. 4131-6-…. – Dans les zones dans lesquelles le niveau de l’offre de soins est particulièrement élevé, définies par arrêté du directeur général de l’agence régionale de santé, le conventionnement d’un médecin libéral en application de l’article L. 162-5 du code de la sécurité sociale ne peut intervenir qu’en concomitance avec la cessation d’activité libérale d’un médecin exerçant dans des conditions équivalentes dans la même zone. Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. » ;
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 1191.
Mme Cathy Apourceau-Poly. L’article 21 reprend les mesures du pacte de lutte contre les déserts médicaux pour améliorer l’accès aux soins. Nous considérons que ces mesures sont nettement insuffisantes pour répondre aux difficultés rencontrées par nos concitoyens pour accéder à un médecin.
Nous proposons de consolider l’article 21, en dotant notre pays d’un mécanisme de régulation de l’installation des médecins dans les zones à forte densité médicale.
Cet article prévoit de renforcer l’accès aux soins sur les territoires, y compris le soir et le week-end. Pour atteindre cet objectif, nous proposons de conditionner l’installation dans certaines zones à forte densité médicale au départ d’un médecin de cette même zone.
Selon un sondage de l’institut Odoxa de juin 2025, les difficultés d’accès aux soins ont progressé de 9 % en un an : 84 % des Français rencontrent des difficultés pour obtenir un rendez-vous rapide chez un médecin spécialiste et 41 % connaissent le même problème pour voir rapidement un médecin généraliste.
Alors que 87 % de la population vit dans un désert médical, il nous semble indispensable de sortir du dogme de la liberté d’installation qui, avec le numerus clausus et la casse de l’hôpital public, a largement participé aux difficultés d’accès aux soins.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris, pour présenter l’amendement n° 1390.
Mme Anne Souyris. Par cet amendement, nous proposons, à l’instar du groupe CRCE-K, d’instaurer un conventionnement sélectif à l’installation des médecins dans les zones à forte densité médicale.
C’est une proposition soft, qui va moins loin, sur le plan de la régulation de l’installation, que la proposition de loi dite Garrot ou même que celle de Philippe Mouiller que nous avons examinée au printemps dernier.
Il s’agit de répondre à un enjeu essentiel : limiter la poursuite de la concentration de l’offre de soins au bénéfice d’une plus juste répartition territoriale, en prévoyant que le conventionnement d’un médecin libéral dans les zones où le niveau de l’offre de soins est particulièrement élevé ne puisse intervenir que concomitamment à la cessation d’activité d’un praticien exerçant dans des conditions équivalentes au sein de la même zone.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Ces amendements s’inspirent d’une disposition que nous avons soutenue dans le cadre de la proposition de loi dite Mouiller visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires.
Cette mesure vise à conditionner l’installation d’un médecin libéral en zone surdense à la cessation concomitante d’activité d’un autre médecin.
Les amendements présentés s’en distinguent toutefois sur plusieurs points.
Ils ne prévoient aucun mécanisme dérogatoire, lorsque le médecin qui projette de s’installer dans une zone surdense s’engage à exercer en zone sous-dense, ce que nous avions prévu dans la proposition de loi Mouiller.
Je souhaite que cette proposition, adoptée par le Sénat, avance à l’Assemblée nationale. Le Gouvernement avait d’ailleurs engagé la procédure accélérée sur ce texte ; je pense que nous pouvons raisonnablement espérer qu’il aboutisse.
Par ailleurs, il me semble que ces amendements seraient censurés par le Conseil constitutionnel, car la mesure ne relève pas du champ de la loi de financement de la sécurité sociale.
Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Stéphanie Rist, ministre. J’ai entendu dire que la liberté d’installation était un dogme qu’il fallait battre en brèche. Mais c’est l’opposé d’un dogme !
Mathématiquement, on ne peut pas répondre par de la régulation à une pénurie qui touche 90 % de notre territoire. Si nous avions beaucoup de médecins, je ne verrais pas d’inconvénient à cette proposition. En l’occurrence, la mesure me paraît inefficace et même de nature à aggraver la situation.
Au reste, je ne sais pas si cet article est le lieu pour débattre de ce sujet.
Quoi qu’il en soit, je suis très défavorable à ces deux amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat, pour explication de vote.
M. Simon Uzenat. Madame la ministre, nous connaissons vos positions, qui sont assez « raccord » avec celles de la majorité sénatoriale. Notre divergence de vues est réelle.
Pour notre part, nous considérons que c’est lorsqu’il y a pénurie qu’il faut réguler, afin de limiter les écarts et les inégalités. L’histoire nous l’a clairement démontré.
Madame la ministre, je suis au regret de vous rappeler que nombre de nos concitoyens vivent aujourd’hui dans des territoires abandonnés par les professionnels de santé, alors même que ces derniers sont, de fait, rémunérés en grande partie par de l’argent public.
Au demeurant, en admettant votre argument, la régulation des autres professions de santé devrait tomber. Or à quoi assistons-nous ces dernières années, si ce n’est à une montée en puissance de la régulation de l’installation des professionnels de santé ? Il n’y a pas de raison que les médecins y échappent. Cela se fait d’ailleurs dans d’autres pays de l’Union européenne, que l’on ne peut pas soupçonner d’être des économies administrées… Les choses sont très claires !
J’y insiste, on voit bien que les mesures incitatives ne fonctionnent pas, que tout l’argent qui a été dépensé l’a été en vain.
À un moment donné, la puissance publique doit envoyer un message clair, à la fois aux professionnels de santé et à nos concitoyens. Ces derniers attendent légitimement de pouvoir bénéficier des mêmes droits que les autres et de ne pas être considérés comme des citoyens de seconde zone, reçus dans des cabinets secondaires par des médecins qui changent tous les quatre matins – quand ils viennent jusque-là – et qui, au mieux, sont présents, sur la base du volontariat, deux jours par mois. Une telle situation n’est pas acceptable, madame la ministre !
Nous sommes bien conscients qu’il n’y a pas de solution magique et que le chemin est long, mais nous devons assumer et revendiquer une régulation de l’installation des médecins. J’ajoute que les auteurs de ces amendements proposent un format relativement souple. De fait, il s’agit d’une disposition très mesurée ; il pourrait y avoir des solutions beaucoup plus drastiques.
Nous souhaitons que les choses puissent avancer. L’Assemblée nationale a proposé un chemin.
Mme la présidente. Il faut conclure.
M. Simon Uzenat. Il nous faut maintenant l’emprunter.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Stéphanie Rist, ministre. Je vais essayer de développer quelques arguments pour conforter ma position.
Nous dressons le même constat : ce dont les patients ont besoin dans nos territoires, c’est, en premier lieu, d’un médecin généraliste traitant.
La première raison pour laquelle une régulation, telle qu’elle est proposée, ne serait pas bonne est que, contrairement à d’autres métiers – on peut penser, par exemple, aux enseignants –, le jeune médecin que l’on contraindra d’une façon ou d’une autre à s’installer dans un endroit où il ne veut pas aller a la possibilité de choisir d’autres modes d’exercice, si tant est qu’il veuille rester médecin…
Il pourra choisir l’un des nombreux postes disponibles dans les établissements de santé – hôpital ou clinique. Il pourra choisir un autre secteur, par exemple médecin de la sécurité sociale ou du travail. Il pourra aussi aller exercer à l’étranger, y compris dans un pays voisin, puisque, partout dans le monde, la démographie médicale est trop faible.
La première raison pour laquelle votre solution ne sera pas efficace est donc que le médecin peut faire autre chose.
Par ailleurs, vous évoquez les autres secteurs régulés, comme les officines. Or nous constatons que, en raison du numerus clausus qui est l’un des facteurs explicatifs des difficultés toujours croissantes dans nos territoires, la régulation – le débat que nous venons d’avoir sur les officines a pourtant montré qu’elle était poussée et bien organisée – ne fonctionne pas dès lors que la démographie n’est pas favorable.
Je vais m’en tenir à ces deux raisons.
Vous dites, monsieur Uzenat, qu’il faut un message clair, mais ce n’est pas un message de vérité que ces amendements envoient à nos concitoyens. Leur dispositif paraît constituer une solution, mais je suis profondément convaincue que leur adoption aggraverait en fait la situation.