M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique. Je prends la parole sur cet article 4 en espérant pouvoir aller très vite ensuite dans mes avis rendus sur les multiples amendements visant l'article 4 ou tendant à insérer des articles additionnels après l'article 4. Autrement dit, permettez-moi d'être un peu long maintenant pour m'autoriser à être bien plus bref ensuite.
Le débat qui a eu lieu dans le cadre de ces prises de parole liminaires montre bien les enjeux qui nous opposent. Il laisse augurer de notre capacité, ou non, à converger in fine vers un budget qui pourrait être voté largement, malgré des désaccords de fond importants sur un sujet aussi essentiel que la fiscalité des entreprises.
Je m'exprime devant vous en tant que ministre, alors que j'ai été parlementaire depuis 2017, président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, puis ministre et vice-président de la chambre basse.
Dans ce cadre, j'ai porté la politique de baisse de la taxation des sociétés depuis 2017, qui nous a conduits, pour le dire de manière simple, à diminuer progressivement le taux d'imposition sur les sociétés de 33 % à 25 %, nous remettant ainsi dans la compétition européenne.
Toutefois, je m'exprime aussi devant vous en tant que ministre, qui a déposé un projet de loi budgétaire qu'il assume et dans lequel la surtaxe de l'imposition sur les grandes sociétés que nous avions votée l'année dernière est prolongée pour l'année prochaine à hauteur de 4 milliards d'euros. Cela veut dire tout de même que les entreprises concernées paieront moins d'impôt sur les sociétés en 2026 qu'en 2025, puisque nous passerions d'une surtaxe de 8 milliards d'euros à une surtaxe de 4 milliards d'euros.
Nous avons fait ce choix parce que nous avons considéré que, dans ce budget, il fallait opérer un redressement important de nos finances publiques. D'une part, nous y croyons ; d'autre part, nous sommes sensibles à l'équation politique qui existe aujourd'hui en France et aux aspirations, parfois contradictoires, que nous devons faire converger – c'est notre rôle à tous –, à savoir lever plus d'impôts ou faire moins de dépenses.
Le Gouvernement a donc choisi de déposer un budget dans lequel l'effort en dépenses primaires est réparti pour environ un tiers sur les prélèvements et pour deux tiers sur les dépenses. Certains estimeront sans doute que nous devrions faire porter l'effort davantage sur l'un que sur l'autre, et inversement, mais cette répartition nous a semblé équilibrée.
À partir du moment où l'on souhaite un effort équilibré entre impôts et dépenses, il faut choisir les prélèvements dont la modification sera la moins inefficace possible. Or, aujourd'hui, il nous semble préférable de surtaxer les entreprises qui font des bénéfices, plutôt que de recourir à des impôts qui seront moins efficaces ou qui frapperont directement les classes moyennes.
Nous avons donc suivi cette logique pour construire l'équilibre global du budget. Nous nous sommes appuyés sur l'instrument qui nous semble le moins inefficace de tous et qui permet de faire contribuer de manière exceptionnelle les grandes entreprises gagnant de l'argent – tant mieux pour elles !
Monsieur Rietmann, je vous rassure, l'exception ne devient pas la règle ; même si elle se répète, elle doit rester une exception. J'insiste d'ailleurs sur le fait que nous avons décidé de diminuer de moitié cette contribution exceptionnelle.
Encore une fois, ce que nous proposons nous semble être un dispositif équilibré entre l'impôt et les dépenses, efficace en matière de recettes et acceptable in fine – je l'espère en tout cas –, par une majorité de sénateurs et de députés quand le texte arrivera à la dernière étape de son examen.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émettra un avis défavorable sur les amendements de suppression de l'article, ainsi que sur les amendements qui visent à complexifier le dispositif.
Par avance, j'indique que je donnerai aussi un avis défavorable sur la majeure partie des amendements visant à introduire un article additionnel après l'article 4, parce qu'ils tendent, chacun selon ses nuances, à complexifier le système. Celui-ci est en réalité très simple : dans le cadre de l'impôt sur les sociétés, nous demandons une surtaxe aux grandes entreprises et, pour ainsi dire, cela s'arrête là.
Ces précisions ayant été apportées, monsieur le président, je serai bref pour rendre les avis du Gouvernement. C'est un engagement de ma part, que je tiendrai.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L'amendement n° I-2 est présenté par M. Husson, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° I-45 rectifié bis est présenté par MM. Capus, Malhuret et Laménie, Mmes Bourcier et Bessin-Guérin, MM. Brault, Chasseing et Chevalier, Mme L. Darcos, M. Grand, Mme Lermytte et MM. V. Louault, A. Marc, Médevielle, Pellevat, Rochette, L. Vogel et Wattebled.
L'amendement n° I-153 rectifié ter est présenté par Mme Lavarde, MM. Darnaud, Rietmann et Retailleau, Mme Aeschlimann, MM. Anglars, Bacci, Bazin et Belin, Mmes Bellamy, Bellurot, Belrhiti et Berthet, MM. E. Blanc, J.-B. Blanc, Bonhomme et Bonnus, Mmes Borchio Fontimp et V. Boyer, MM. Brisson, Bruyen, Buffet, Burgoa, Cadec et Cambon, Mmes Canayer, Carrère-Gée et Chain-Larché, MM. Chaize et Chatillon, Mme Ciuntu, M. Daubresse, Mme de Cidrac, MM. de Legge, de Nicolaÿ et Delia, Mmes Demas, Deseyne, Di Folco, Drexler, Dumas, Dumont, Estrosi Sassone, Eustache-Brinio et Evren, MM. Favreau et Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mmes F. Gerbaud et Gosselin, MM. Gremillet et Grosperrin, Mmes Gruny, Imbert, Jacques, Josende et Joseph, M. Klinger, Mme Lassarade, MM. D. Laurent, Le Gleut, Le Rudulier et H. Leroy, Mmes Lopez et Malet, MM. Mandelli et Margueritte, Mme P. Martin, M. Meignen, Mme M. Mercier, M. Michallet, Mme Micouleau, M. Milon, Mmes Mouton et Muller-Bronn, M. Naturel, Mme Nédélec, MM. Paul, Paumier, Pernot, Perrin et Piednoir, Mme Pluchet, M. Pointereau, Mmes Primas et Puissat, MM. Rapin, Reynaud, Rojouan, Saury, Sautarel et Savin, Mme Schalck, MM. Séné, Sido, Sol, Somon et Szpiner, Mmes Valente Le Hir et Ventalon et MM. C. Vial et J.P. Vogel.
L'amendement n° I-1120 rectifié est présenté par MM. Kern et Levi, Mme Billon et MM. Fargeot et Bonneau.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur général, pour présenter l'amendement n° I-2.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Cet amendement est déjà défendu. J'apporterai néanmoins deux éléments de précision complémentaires.
Tout d'abord, monsieur le ministre, nous devions passer d'un rendement de 8 milliards d'euros en 2025 à zéro. Vous dites que vous avez divisé ce rendement de moitié, de 8 milliards à 4 milliards d'euros, mais vous l'avez ensuite réaugmenté de 50 % à l'Assemblée nationale. Autrement dit, nous arrivons finalement à 6 milliards d'euros. Je ne m'y retrouve plus ! Je préfère la solution qui consiste à passer de 8 milliards d'euros à zéro ; au moins, les choses sont claires.
Ensuite, pour expliquer la situation un peu plus concrètement, sans citer de noms, il existe en France de grandes entreprises, ou des groupes, qui travaillent dans la coopération ou dans le mutualisme.
Ces entreprises appliquent un principe de partage de la valeur assez différent de celui des autres sociétés pour la rémunération globale de leurs salariés, car telle est leur philosophie. Or elles se trouveraient frappées de plein fouet, d'autant qu'elles exercent uniquement sur le territoire national.
Pour ces entreprises, produire en France aurait donc un effet assez négatif. Par conséquent, mieux vaut choisir de supprimer totalement cette taxe pour redonner du souffle aux entreprises dans leur capacité à créer de la richesse : nous en aurons besoin si nous voulons éviter de trop fiscaliser.
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour présenter l'amendement n° I-45 rectifié bis.
M. Emmanuel Capus. Ce matin, j'ai cru que nous étions bloqués dans un mauvais scénario inspiré par le film Un Jour sans fin. Hier, nous avons passé notre journée à voter de nouveaux impôts ; et ce matin, voilà que nos collègues de l'Union Centriste veulent à nouveau créer une contribution exceptionnelle.
Je tiens à vous remercier, monsieur le rapporteur général, car mon amendement de suppression est identique au vôtre : enfin, nous allons cesser de créer de nouveaux impôts !
Premièrement, qu'est-ce qui n'est pas clair dans l'expression « contribution exceptionnelle » ? Il s'agit d'une contribution qui est exceptionnelle, donc temporaire. Je vous remercie, monsieur le président Rietmann, de l'avoir rappelé.
Puisque cette contribution a un caractère temporaire, le respect de la parole publique nécessite que nous nous y tenions et que nous ne demandions pas des efforts exceptionnels chaque année aux grandes entreprises. D'autant plus que chacun sait – le président Rietmann l'a rappelé – que celles-ci forment un ensemble économique comportant de nombreux sous-traitants, de sorte que, si on les frappe, c'est l'ensemble de la chaîne de production qui sera touchée.
Deuxièmement, je le rappelle, et il faut le souligner, voire le marteler : ce n'est pas en créant des impôts que nous résoudrons les problèmes de notre pays ; c'est en diminuant la dépense publique. Il faut donc se concentrer sur la baisse de la dépense publique.
Troisièmement, nous avons déjà des impôts extrêmement élevés par rapport à ceux qui pèsent sur les entreprises dans le reste de l'Union européenne, notamment. Il faut donc impérativement et rapidement réduire la dépense publique et diminuer les impôts.
C'est la raison pour laquelle je vous propose, au travers de cet amendement identique à celui de M. le rapporteur général, de supprimer cette contribution exceptionnelle et temporaire. (M. Marc Laménie applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour présenter l'amendement n° I-153 rectifié ter.
Mme Christine Lavarde. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° I-1120 rectifié n'est pas soutenu.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour explication de vote.
Mme Florence Blatrix Contat. Nous sommes en effet depuis hier dans Un Jour sans fin, celui des baisses de recettes. Dans la Haute Assemblée, on nous rappelle souvent à la responsabilité : celle de stabiliser notre dette et d'atteindre un déficit représentant 3 % du PIB.
Or que constate-t-on depuis hier ? L'article 3 visant à lutter contre l'optimisation a été complètement vidé de son contenu par la majorité sénatoriale, ce qui a affaibli les recettes. En outre, la modification de l'impôt sur la fortune immobilière représente une diminution de son rendement de 600 millions d'euros, comme Mme la ministre l'a indiqué.
Mes chers collègues, alors que vous avez déjà sensiblement baissé les recettes hier, vous souhaitez aujourd'hui priver l'État de 4 milliards d'euros de recettes encore. Pourtant, nous le savons, depuis 2017, la part des dépenses dans le PIB est stable, et ce sont les recettes qui ont diminué. Vous ajoutez encore à la facture, qui risque d'être salée à l'issue de l'examen du texte au Sénat.
Pour en revenir à l'impôt sur les sociétés, son taux est de 25 %. Toutefois, l'Insee a rappelé encore très récemment que les grandes entreprises paient moins d'impôts que les PME : leur taux d'imposition est effectif de 14,3 %, en partie du fait de l'optimisation – nous savons, en effet, que leur impôt est régressif.
Il serait donc complètement irresponsable de se priver de la recette de cette surtaxe exceptionnelle. Cet impôt pèse non sur la production, mais sur des entreprises qui sont rentables et qui peuvent contribuer à l'effort national.
M. Victorin Lurel. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Roland Lescure, ministre. Je précise, à l'attention de Mme la sénatrice Blatrix Contat, que la raison pour laquelle les grandes entreprises paient en moyenne moins d'impôts que les PME, c'est qu'elles investissent davantage en pourcentage de leur chiffre d'affaires.
Tout cela est donc économique et absolument pas lié à une optimisation, quelle qu'elle soit.
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, pour explication de vote.
M. Grégory Blanc. Tout d'abord, ce que prévoit l'article a pour effet de dégrader le déficit. Je m'étonne donc qu'il puisse y avoir, dans cette assemblée, une volonté de dégrader massivement les finances publiques de la France. Cela ne me paraît pas responsable.
Ensuite, le débat porte en réalité sur la façon dont est construit cet impôt. Sur ce sujet, j'ai déposé un amendement que je ne pourrai sans doute pas défendre, car l'arithmétique de l'hémicycle fait que la discussion s'arrêtera là.
Je suis heureux d'entendre M. le rapporteur général expliquer que cet impôt est contre-intuitif. J'avais déposé un amendement en ce sens, l'année dernière, dont Christine Lavarde semble avoir repris la logique. Il s'agissait de dire que cet impôt, dans sa construction, est contraire à la défense du made in France, parce qu'il consiste à taxer les entreprises sur la base du chiffre d'affaires qu'elles réalisent en France, et uniquement sur cette base. Or il me semble qu'il faudrait le faire selon une autre méthode de calcul.
L'année dernière, j'avais proposé que le calcul se fasse en tenant compte du chiffre d'affaires mondial, de façon que de grandes entreprises comme TotalEnergies – ou Michelin, qui avait annoncé qu'elle délocalisait son usine du Maine-et-Loire –, ne puissent plus passer entre les mailles du filet. Mais M. le rapporteur général et le Gouvernement m'ont expliqué que cela n'était pas possible et que le dispositif que j'avais travaillé avec des fiscalistes ne valait rien.
Monsieur le ministre, je me permets de vous interpeller : il faut, dans la navette, que nous changions le mode de calcul.
La taxe sur le chiffre d'affaires en France doit s'appliquer en prenant comme indicateur non pas le chiffre d'affaires mondial, mais un autre indicateur qui est prévu dans le code des impôts, à savoir celui de la masse salariale en France rapportée à la masse salariale mondiale. En effet, si on la fonde sur cet indicateur, la taxe pénalisera moins les entreprises qui font le choix de produire en France, comme EDF ou Orange, et pèsera davantage sur les entreprises françaises qui font le choix de la délocalisation.
Je voulais attirer votre attention sur ce point.
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour explication de vote.
M. Thierry Cozic. Monsieur le rapporteur général, je serai très clair avec vous : je ne comprends pas que vous souhaitiez supprimer cet article. Dois-je vous rappeler que, dans l'Histoire, les dispositions de ce type ont toujours été portées par la droite ? De Nicolas Sarkozy, en 2012, en passant par Michel Barnier, l'an dernier, à chaque fois, elles émanaient de votre famille politique.
Vous êtes en train de solder la sortie catastrophique de votre président de parti sur le dos des Français. (Mme Christine Lavarde et M. Laurent Somon protestent.)
Ne venez pas nous parler de responsabilité et de sérieux budgétaires après un tel amendement ! D'ailleurs, mes chers collègues centristes, vous ne pouvez pas vous associer à une telle suppression. Que la droite s'adonne à une forme de surenchère pour donner des gages à ce qu'elle estime être lucratif pour son électorat est une chose, mais ce n'est tout de même pas votre position, me semble-t-il.
Mme Christine Lavarde. C'est une vision de l'économie différente !
M. Thierry Cozic. Il me semble que nous devrions nous accorder, sur toutes les travées de cet hémicycle, pour reconnaître qu'une contribution des très grandes entreprises, telles que les grandes banques ou les grands énergéticiens, est nécessaire dans le moment particulièrement difficile que nous connaissons, afin de combler les trous de ce budget.
Je rappelle que les entreprises ont besoin de services publics dans le domaine de la recherche, de l'enseignement, de l'accompagnement des enfants ou du soutien à l'innovation. Elles reçoivent sans doute cinq à dix fois plus que le montant de leur contribution.
Enfin, monsieur le ministre, vous n'avez certes rien à voir avec cet amendement de suppression, mais je voudrais tout de même vous dire que, si nous avons ce débat, c'est parce que vous avez décidé, l'an dernier, que cette contribution serait exceptionnelle. Je me permettrai de reprendre les propos du député Mattei, qui dit souvent qu'annoncer une mesure en la qualifiant d'exceptionnelle, c'est encourager son contournement. Le résultat est très clair ce matin.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Mon collègue vient de le rappeler, nous sommes dans une situation exceptionnelle. Nous n'allons pas dresser le bilan des raisons pour lesquelles nous nous trouvons dans une telle situation, mais, dans un tel contexte, choisir de ne pas solliciter et mettre à contribution les grandes entreprises serait – c'est d'ailleurs le cas – totalement incompréhensible pour nos concitoyens.
Je veux surtout rappeler ce que l'un de mes collègues a mentionné tout à l'heure : on croit toujours que la France est le pays où les entreprises seraient le plus taxées et que la situation y serait quasi invivable.
M. Olivier Rietmann. C'est bien le cas !
M. Guillaume Gontard. Or, si l'on reprend calmement les chiffres, en Allemagne le taux d'imposition des entreprises est de 15,8 % et atteint 29,8 % si l'on ajoute l'impôt qui s'applique à l'échelon régional, soit un niveau supérieur à celui de la France. Telle est la réalité, bien loin de ce que nous avons tendance à croire.
En outre, la France est le deuxième pays au monde à avoir connu la plus forte régression de son taux légal d'impôt sur les sociétés, qui a diminué de 2,6 % entre 2020 et 2021. Cela aussi, c'est une réalité.
Par conséquent, le contexte n'est pas du tout celui que vous essayez de nous décrire. En fait, ce que vous tentez de nous expliquer, c'est la théorie du ruissellement. On nous refait le coup du ruissellement ! Autrement dit, les grandes entreprises ruisselleraient sur les plus petites, ce qui permettrait à ces dernières de fonctionner. Mais ce n'est absolument pas la réalité. (M. Olivier Rietmann proteste.)
Certains de mes collègues ont déjà mentionné l'inversion de la taxation des plus grandes entreprises par rapport aux plus petites. Mais surtout, que demandent les petites entreprises, les PME et les artisans, sinon des services publics et des collectivités capables de les accompagner ? Ils réclament une structuration des territoires, pour pouvoir s'implanter et pour passer des caps complexes et difficiles.
Ce ruissellement ne se fera pas naturellement. Il est par conséquent tout à fait normal que les grandes entreprises contribuent à aider ce tissu économique local.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, on ne peut pas me soupçonner de ne pas vouloir chasser la fraude et l'optimisation. C'est d'ailleurs ce que nous faisons au groupe Union Centriste.
Toutefois, il y a un principe qui compte, et nous l'avons entendu ce matin : c'est le respect de la parole donnée. Lorsque le Gouvernement affirme qu'il s'agit d'une contribution exceptionnelle, le respect de la parole donnée doit s'appliquer à l'égard des entreprises. C'est important.
Par conséquent, cher Emmanuel Capus, je continue de chasser l'optimisation et la fraude, comme vous le savez, mais en l'espèce, je voterai l'amendement de M. le rapporteur général.
M. Olivier Rietmann. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Premièrement, de quoi parlons-nous ? Non pas de l'ensemble des entreprises, mais de 450 d'entre elles, qui réalisent un chiffre d'affaires supérieur à un milliard d'euros, avec un taux différencié au-delà de trois milliards d'euros. Il ne s'agit donc pas du petit tissu économique de nos territoires.
Deuxièmement, pourquoi la droite elle-même a-t-elle proposé cette mesure l'an dernier ?
Tout d'abord, parce que ces entreprises sont les mêmes que celles qui pratiquent le rachat d'actions, versent des dividendes importants et touchent des aides publiques, car, dans leur grande majorité, elles disposent de l'ingénierie nécessaire pour concourir à l'ensemble de ces aides. C'est donc une question de justice fiscale et sociale qui se pose, et cela à une large échelle dans notre pays.
Ensuite, c'est parce que nous parlons des 450 plus grandes entreprises, qui ont recours à tous les schémas d'optimisation fiscale. Pardonnez-moi de vous le dire, monsieur le ministre, mais elles paient un taux différencié non pas parce qu'elles investissent plus, mais parce qu'elles recourent massivement à l'optimisation fiscale. Certaines très grandes entreprises paient même 0 % d'impôt et, en moyenne, ce taux est inférieur à 15 %. Telle est la réalité ! Je rappelle que, pour les seules entreprises du CAC 40, on dénombre 63 filiales dans les paradis fiscaux.
Dans ce contexte, il est nécessaire que nous ayons un impôt. Je partage ce point de vue avec la droite sénatoriale : au lieu de débattre d'une contribution exceptionnelle, nous devrions en réalité instaurer un impôt très régulier (M. Grégory Blanc approuve.), car il y a un besoin de visibilité. Oui, la question mérite d'être posée.
Cependant, alors que cet impôt existe et que le Gouvernement prévoit de le maintenir en divisant la contribution par deux, monsieur le rapporteur général, vous proposez de la supprimer. Qui paiera alors les 8 milliards d'euros manquants ?
La compensation consistera à faire peser la charge sur les classes populaires, qui sont déjà étranglées, tandis que vous continuerez à laisser de très grandes entreprises engranger des marges énormes, sans les taxer. Cela pose problème, mais c'est votre choix politique, et vous devez l'assumer.
M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann, pour explication de vote.
M. Olivier Rietmann. En 2016, le taux de l'impôt sur les sociétés était de 33 %, et le montant des sommes collectées s'élevait à 60 milliards d'euros. En 2024, il était de 25 % et le montant des sommes collectées dépassait 80 milliards d'euros. (M. Emmanuel Capus approuve.)
M. Thierry Cozic. Il faut prendre en compte l'inflation !
M. Olivier Rietmann. Plus on diminuera les coûts, les charges et les normes – autant de boulets attachés aux entreprises –, plus il y aura de création de richesses et plus les prélèvements et la collecte d'impôts seront importants.
En outre, il faut que nous soyons attentifs au message que nous adressons. En effet, nous avons besoin que nos entreprises investissent, mais les investisseurs étrangers sont aussi très importants.
Or quel message leur envoyons-nous quand nous leur disons : « Venez investir en France. Non seulement vous devrez respecter bien plus de normes qu'ailleurs, mais, si vous gagnez de l'argent, vous serez taxés, comme c'est le cas partout ailleurs, et en plus vous serez surtaxés » ? Je crois qu'un tel message n'est pas très encourageant pour ceux qui envisagent de venir investir en France ou y installer des entreprises, alors que nous en avons tellement besoin.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Comme souvent, il y a du vrai dans tous les propos. Je crois que personne dans cet hémicycle ne considère que la taxation des entreprises puisse aller de soi et qu'il ne faut pas y réfléchir.
Toutefois, nous sommes dans le contexte particulier d'une crise budgétaire et nous recherchons des solutions. Quelles que soient celles que nous proposons, elles ne sont jamais bonnes pour telle ou telle raison, d'ailleurs parfaitement audible – ce n'est pas le sujet.
J'aimerais toutefois rappeler que, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, sous le gouvernement Barnier, nous avions adopté en commission et en séance une mesure prévoyant une contribution de 8 milliards d'euros pour l'année et de 4 milliards d'euros l'année suivante.
M. Thierry Cozic. Exactement !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Nous l'avions votée, ici même, et les 8 milliards d'euros ont été prélevés. (M. Grégory Blanc approuve.) En revanche, les 4 milliards d'euros prévus pour l'année suivante n'ont pu l'être, parce que le budget a été voté en retard, en 2025. Il ne pouvait pas y avoir d'effet rétroactif, et la mesure n'a pu être conservée.
Par conséquent, nous ne faisons que réintroduire une mesure qui a déjà été votée ici – je veux simplement le rappeler. Les 4 milliards d'euros ont déjà été votés dans cette assemblée, certes, non pour le budget 2026, mais pour le budget 2025. Il faut donc bien comprendre comment cette mécanique s'est mise en place. À l'époque de Michel Barnier, vous aviez approuvé la mesure. Aujourd'hui, vous êtes contre. Il y a tout de même une certaine contradiction dans cette affaire.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos I-2, I-45 rectifié bis et I-153 rectifié ter.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 69 :
| Nombre de votants | 341 |
| Nombre de suffrages exprimés | 320 |
| Pour l'adoption | 202 |
| Contre | 118 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'article 4 est supprimé et les amendements nos I-941, I-1431, I-154 rectifié bis et I-156 rectifié bis, les amendements identiques nos I-1430 et I-1908, les amendements nos I-46 rectifié bis, I-2510 rectifié bis et I-1366 et les amendements identiques nos I-155 rectifié bis et I-1121 rectifié n'ont plus d'objet.
Après l'article 4
L'amendement n° I-1272, présenté par M. Savoldelli, Mme Cukierman, M. Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :
Après l'article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre III du titre Ier, de la 1ère partie du livre Ier du code général des impôts est complété par une section XVII… ainsi rédigée :
« Section XVII…
« Contribution additionnelle sur les bénéfices des maîtres d'œuvre de défense et leurs sous-traitants de rang un »
« Article 235 ter… – I. – Il est institué, au titre des exercices clos à compter du 31 décembre 2025, une contribution additionnelle sur les bénéfices des entreprises dont l'activité principale consiste en la production, l'entretien, la recherche, le développement ou la commercialisation de matériels de guerre, d'armes, de munitions et de leurs éléments définis aux 1° et 2° du I de l'article L. 2331-1 du code de la défense, lorsque leur chiffre d'affaires consolidé excède 400 millions d'euros.
« Sont également assujettis à cette contribution leurs sous-traitants de premier rang, au sens de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975.
« Est réputée activité principale toute activité pour laquelle le chiffre d'affaires consolidé provenant desdites activités représente au moins 20 % du chiffre d'affaires consolidé total de l'entreprise ou du groupe.
« II. – L'assiette est constituée par le bénéfice imposable déterminé selon les règles de l'impôt sur les sociétés, avant imputation des déficits, réductions, crédits d'impôt et créances fiscales de toute nature. Lorsque ces activités sont exercées par l'intermédiaire de filiales, succursales, sociétés en participation ou coentreprises, la contribution est assise sur le résultat d'ensemble déterminé et la plus-value nette d'ensemble définis aux articles 223 B et 223 D, incluant la quote-part des bénéfices des entités détenues ou contrôlées au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce.
« Le taux de la contribution sur la fraction du bénéfice imposable est fixé à :
« 1° 33 % pour la fraction inférieure ou égale à 400 millions d'euros ;
« 2° 37 % pour la fraction comprise entre 400 millions d'euros et un milliard d'euros ;
« 3° 41 % pour la fraction excédant un milliard d'euros.
« Lorsque la part du chiffre d'affaires provenant des activités de défense excède 40 % du chiffre d'affaires consolidé total, les taux mentionnés ci-dessus sont majorés de 15 points.
« III. – La contribution est admise en déduction de l'assiette de l'impôt sur les sociétés.
« IV. - Les réductions et crédits d'impôt ainsi que les créances fiscales de toute nature ne sont pas imputables sur la contribution exceptionnelle.
« V. - La contribution exceptionnelle n'est pas admise dans les charges déductibles pour la détermination du résultat imposable.
« VI. - La contribution exceptionnelle est établie, contrôlée et recouvrée comme l'impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à ce même impôt.
« VII. - La contribution exceptionnelle est payée spontanément au comptable public compétent au plus tard à la date prévue au deuxième alinéa du 2 de l'article 1668 du code général des impôts pour le versement du solde de liquidation de l'impôt sur les sociétés. »
La parole est à M. Pierre Barros.


