Mme Florence Blatrix Contat. Cet amendement du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vise à réguler le régime des sociétés mère-filles, qui est une source particulière de l’érosion des bases imposables en matière d’impôt sur les sociétés pour les groupes disposant de filiales hors de l’Union européenne (UE).
À cet effet, il tend à limiter le jeu des déductions de bases imposables en réintégrant les résultats des filiales étrangères lorsque celles-ci sont établies dans des pays hors Union européenne.
Nous proposons donc de limiter l’actuel régime des sociétés mère-filles aux pays de l’Union européenne et à remettre en place, pour les autres pays et les filiales situées hors UE, un mécanisme de crédits d’impôt plafonnés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Je ne suis pas sûr, loin de là, que cet amendement tende à favoriser l’attractivité de notre pays vis-à-vis des entreprises…
J’émets donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° I-2217 rectifié, présenté par MM. Dossus et G. Blanc, Mme Senée, MM. Benarroche, Dantec, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° À l’article 160 quater, après la première occurrence du mot : « prévues » sont insérés les mots : « à l’article 19 quaterdecies de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération ou » ;
2° L’article 210 D est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après le mot : « visée », sont insérés les mots : « à l’article 19 quaterdecies de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération ou » ;
b) À la fin de la première phrase du a, les mots : « de production » sont supprimés ;
c) À la première phrase du b, après le mot : « dans », sont insérés les mots : « les excédents d’exploitation ou » ;
d) Le dernier alinéa est ainsi modifié :
- Après le mot : « mentionné », sont insérés les mots : « au dernier alinéa de l’article 19 quaterdecies de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 et » ;
- Le mot : « précitée » est supprimé.
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Cet amendement, issu des propositions d’ESS France, vise à harmoniser le régime fiscal applicable aux sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC). Son principal objet est de lever un frein fiscal qui empêche de nombreuses entreprises de se transformer en SCIC.
Le problème soulevé est le suivant : le cadre législatif tend à aligner les modalités de transformation en SCIC sur celles des sociétés coopératives participatives (Scop). L’Autorité des normes comptables (ANC) a d’ailleurs appliqué le même régime aux SCIC qu’aux Scop en ce qui concerne l’écart de valorisation.
Toutefois, le code général des impôts n’ayant pas suivi cette logique d’harmonisation, ce traitement fiscal constitue un frein considérable à la transformation vers le modèle coopératif d’intérêt collectif.
Cet amendement vise à combler cette lacune en étendant aux SCIC le régime de report de taxation déjà applicable aux Scop, notamment en insérant les références aux articles 164 R et 210 D du code général des impôts. Ce report de taxation permet de décaler l’imposition des plus-values jusqu’à la cession ultérieure des actifs ou leur réintégration progressive, sans affecter le taux ni la base d’imposition.
En adoptant cet amendement, nous pouvons mettre en cohérence notre droit fiscal, faciliter les transformations d’entreprises vers des modèles plus solidaires et soutenir concrètement le développement de l’économie sociale et solidaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. La commission s’en remet à l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre. Je comprends la volonté des auteurs de cet amendement, mais attention : le régime favorable dont bénéficient les Scop a pour objet de faciliter la reprise de leur entreprise par les salariés, tandis que les SCIC peuvent être détenues par des entreprises ou par des institutions.
M. Thomas Dossus. Ou par des collectivités !
M. Roland Lescure, ministre. Il est donc question de grandement élargir un dispositif qui risque ensuite de coûter cher et de manquer la cible. Si j’entends que l’on souhaite favoriser la reprise d’une entreprise par ses salariés, cet amendement tend à ratisser beaucoup trop large.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, son avis sera défavorable.
M. le président. L’amendement n° I-1448 rectifié bis, présenté par MM. Barros, Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa du I de l’article 216 du code général des impôts est ainsi modifié :
1° À la première phrase, le taux : « 5 % » est remplacé par le taux : « 10 % » ;
2° À la seconde phrase, le taux : « 1 % » est remplacé par le taux : « 5 % ».
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Aux cours de nos discussions ont souvent été invoqués, à juste titre d’ailleurs, l’avis du Conseil d’État ou celui du Conseil constitutionnel.
Je vous signale donc que le Conseil d’État a rappelé que les dispositions de l’article 216 du code général des impôts n’ont pas pour seul objet de neutraliser la déduction, en frais généraux, des charges afférentes à des titres de participation dont les produits sont exonérés. Selon sa décision n° 490792, elles visent également à « soumettre à cet impôt […] une fraction des produits de participations bénéficiant du régime des sociétés mères ».
Cet amendement tend à relever les quotes-parts de frais et charges sur les dividendes intragroupes et les plus-values de cession dans le cadre du régime dit mère-filles et d’intégration fiscale. Pour le dire simplement, on ne peut pas spéculer sur le dos de la solidarité nationale.
Ces dispositifs permettent à des détenteurs de capitaux de bénéficier d’exonérations quasi totales. Les taux sont faibles – 5 % –, et descendent dans certains cas à 1 %. Ainsi, des dividendes et des plus-values de plusieurs millions d’euros échappent presque totalement à l’impôt. Pendant ce temps, nos concitoyens – les travailleurs, les familles… – paient pleinement leur contribution. Cette situation est injuste.
Cet amendement vise donc à relever ces taux à 10 % pour les dividendes et à 5 % pour les plus-values. Ces taux me semblent raisonnables. Ils ne constituent pas une sanction : ils rétablissent une imposition effective. Ce rééquilibrage interviendrait en faveur du financement des services publics, de l’éducation, de la santé et de la transition écologique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Cet amendement est contraire au droit de l’Union et vise à instaurer une double taxation.
J’émets donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre. Comme M. le rapporteur général, le Gouvernement est défavorable aux nombreux amendements visant le régime mère-filles.
Au-delà de la question du respect du droit européen, soyons attentifs à maintenir l’attractivité de la France ! Ce dispositif nous permet de conserver sur notre territoire des sociétés mères, qui ont des filiales partout dans l’Union européenne, en leur évitant la double taxation.
Le quota de 5 % que nous pouvons taxer figure déjà dans le droit français. Tout taux supérieur non seulement serait contraire au droit européen, mais mettrait en danger les sièges sociaux présents en France.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, son avis sera défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° I-1448 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° I-188 rectifié, présenté par Mme Blatrix Contat, M. Montaugé, Mme Le Houerou, MM. Bourgi, Ros, Devinaz et Redon-Sarrazy, Mme Matray, MM. Fichet, Pla, Ziane et Bouad, Mme Bélim et MM. P. Joly, Féraud et Tissot, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 3° du I de l’article 216 du code général des impôts, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque la société mère ne justifie pas d’une activité économique effective autre que la gestion d’un portefeuille de participations :
« 1° La quote-part pour frais et charges mentionnée à la première phrase du deuxième alinéa du présent I est portée à 15 % ;
« 2° La quote-part pour frais et charges mentionnée à la seconde phrase du même alinéa est portée à 10 %. »
La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. Cet amendement vise à répondre à une préoccupation largement partagée dans cet hémicycle : préserver l’esprit du régime mère-filles, tout en mettant un terme à des pratiques d’optimisation qui, aujourd’hui, s’écartent clairement de sa vocation économique.
Cet amendement vise non pas à remettre en cause l’existence du régime, mais à corriger un angle mort devenu problématique. Son principe est simple : lorsque la société mère n’exerce aucune activité économique réelle autre que la détention d’un portefeuille de participations, la quote-part pour frais et charges est relevée à 15 % et 10 %. Il s’agit donc non pas d’une hausse générale, mais d’un recentrage ciblé, conforme en particulier à la directive 2011/96/UE.
Chacun le constate, le régime mère-filles est devenu l’un des outils les plus utilisés pour stocker indéfiniment des dividendes dans des holdings passives. D’ailleurs, l’Institut des politiques publiques (IPP) l’a rappelé en 2023 : une part croissante des revenus des contribuables les plus aisés provient du capital, souvent logé dans ces structures où il échappe durablement à l’impôt effectivement acquitté par les particuliers.
Ces dividendes peuvent être ensuite mobilisés via des crédits lombards ou financer des dépenses patrimoniales dans un cadre sociétaire. Autant de pratiques qui n’ont rien à voir avec l’objectif initial du régime.
Il s’agit donc ici de corriger une pratique d’optimisation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Le dispositif anti-abus existe déjà. Celui que vous proposez, chère collègue, serait d’ailleurs de moindre portée.
La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, son avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Blatrix Contat, l’amendement n° I-188 rectifié est-il maintenu ?
Mme Florence Blatrix Contat. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° I-646 rectifié, présenté par MM. Jacquin, Cozic, Kanner et Raynal, Mmes Blatrix Contat, Briquet et Espagnac, MM. Éblé, Féraud, Jeansannetas et Lurel, Mmes Artigalas, Bélim et Bonnefoy, M. Bourgi, Mmes Brossel et Canalès, MM. Chaillou et Chantrel, Mmes Conconne et Daniel, MM. Darras, Devinaz, Fagnen, Fichet et Gillé, Mmes Harribey et G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Linkenheld, M. Marie, Mme Matray, MM. Mérillou et Michau, Mme Monier, M. Montaugé, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Pla et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, MM. Roiron, Ros, Temal, Tissot, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber, Ziane et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 1° du 1 de l’article 39 du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Au sein de chaque entreprise, est déterminé un plafond de rémunération correspondant à vingt fois la rémunération moyenne du décile des salariés à temps plein dont la rémunération est la plus faible. Pour chaque salarié et chaque associé, la fraction de rémunération supérieure à ce plafond n’est pas prise en compte pour le calcul des dépenses de personnel déductibles en application du présent 1°. Il en va de même des charges sociales afférentes à cette fraction de rémunération supérieure au plafond précité. La rémunération s’entend comme l’ensemble des rémunérations directes et indirectes du salarié ou associé. »
La parole est à Mme Isabelle Briquet.
Mme Isabelle Briquet. Cet amendement du groupe socialiste vise à encadrer les salaires, sur une échelle de 1 à 20.
Dès 2013, l’OCDE s’est inquiétée de l’écart croissant des rémunérations entre salariés et dirigeants au sein de l’entreprise. Selon une étude réalisée la même année par la fédération des syndicats américains (AFL-CIO), la rémunération moyenne d’un dirigeant d’entreprise américaine était ainsi 354 fois supérieure à la rémunération moyenne d’un salarié.
Si la France ne connaît pas de situation aussi extrême, du fait notamment du niveau des minima sociaux et de l’État providence, la progression constante de cet écart de rémunération et la concentration croissante des revenus autour du Smic témoignent des mêmes dynamiques.
La question de la limitation de l’écart maximal de rémunération se pose donc tout à fait naturellement, d’autant plus que la rémunération des dirigeants des grandes entreprises publiques est d’ores et déjà limitée à 450 000 euros bruts par an.
S’il s’agit d’une bonne mesure, le fait qu’elle soit centrée sur les dirigeants peut occulter le niveau des rémunérations de certains cadres n’ayant pas ce statut. En 2013, François Brottes, alors président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, relevait par exemple que 330 salariés d’EDF disposaient d’une rémunération supérieure au PDG de cette entreprise.
Alors que les inégalités augmentent et que l’inflation ronge les budgets de nos concitoyens, nous proposons ainsi d’encadrer les rémunérations au sein de l’entreprise sur la base d’un écart-type, afin que les rémunérations les plus élevées au sein de l’entreprise tirent les plus faibles vers le haut.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Il s’agit ici d’un marronnier.
Surtout, je vous sais, chers collègues socialistes, attachés aux libertés, comme tout un chacun dans cet hémicycle. Je trouve donc cette proposition d’instaurer une forme d’économie administrée, qui est contraire aux aspirations d’un grand nombre de nos concitoyens, quelque peu surréaliste…
L’avis de la commission sur cet amendement est donc tout à fait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° I-1446 rectifié est présenté par MM. Barros, Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
L’amendement n° I-2220 rectifié est présenté par MM. Dossus et G. Blanc, Mme Senée, MM. Benarroche, Dantec, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 209 du code général des impôts est complété par un XI ainsi rédigé :
« XI. – Toute personne morale ayant une activité en France est imposable à hauteur du ratio de son chiffre d’affaires réalisé sur le territoire national ramené à son chiffre d’affaires mondial, le calcul de ces chiffres d’affaires national et mondial incluant également le chiffre d’affaires des entités juridiques dont elle détient plus de 50 % des actions, parts, droits financiers ou droits de vote. Cette imposition garantit que le taux d’imposition de la part des bénéfices mondiaux imposée en France sera égal à 25 %.
« 1. Le calcul de l’assiette d’imposition est corrigé en fonction de la comparaison entre les deux ratios suivants :
« a) Le ratio du chiffre d’affaires réalisé en France par rapport au chiffre d’affaires mondial, le calcul de ces chiffres d’affaires national et mondial incluant également le chiffre d’affaires des entités juridiques dont elle détient plus de 50 % des actions, parts, droits financiers ou droits de vote ;
« b) Le ratio du bénéfice réalisé en France par rapport au bénéfice mondial, le calcul de ces bénéfices national et mondial incluant également le bénéfice des entités juridiques dont elle détient plus de 50 % des actions, parts, droits financiers ou droits de vote.
« Si le ratio calculé au a s’avère inférieur, avec un écart d’au moins 0,05, au ratio calculé au b, l’administration fiscale corrige le montant des bénéfices déclarés par la personne morale en France, de façon que le ratio calculé au même b devienne égal au ratio calculé au a.
« 2. Pour la détermination de l’impôt dû sur l’assiette corrigée en application du 1 du XI du présent article, l’administration fiscale :
« a) Calcule l’écart en pourcentage entre le montant total des impôts sur les bénéfices acquittés à l’échelle mondiale et le montant total qui résulterait d’une taxation à 25 % de l’ensemble des bénéfices à l’échelle mondiale ;
« b) Applique un coefficient de majoration à l’impôt dû en France égal au pourcentage calculé au a.
« 3. Les dispositions du 1 du XI du présent article ne sont pas applicables si la différence entre les ratios mentionnés à ses a et b résulte de transactions qui ne peuvent être regardées comme constitutives d’un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française. »
La parole est à M. Pierre Barros, pour présenter l’amendement n° I-1446 rectifié.
M. Pierre Barros. Cet amendement vise à introduire dans le droit fiscal français une méthode unitaire d’imposition, fondée sur la répartition des bénéfices des multinationales en fonction d’indicateurs objectifs : chiffre d’affaires, emplois, actifs.
En effet, la méthode actuelle, la fameuse « pleine concurrence », est devenue une fiction. On fait semblant de croire que deux filiales d’un même groupe se comportent comme deux entreprises indépendantes. On fait semblant de penser que les prix de transfert reflètent un marché. Et on fait semblant de disposer des moyens administratifs de contrôler tout cela.
En réalité, même l’OCDE reconnaît des difficultés. Dans son rapport de 2018 sur l’action 10 du Beps (Base Erosion and Profit Shifting – érosion de la base d’imposition et transfert des bénéfices), figure cette observation : « La méthode actuelle suppose un degré d’information, de comparabilité et de symétrie statistique que les administrations fiscales ne peuvent malheureusement atteindre. » Le même rapport souligne que, dans les groupes hautement intégrés, « les contributions sont si interreliées qu’il devient impossible de les évaluer isolément ».
Autrement dit, l’OCDE reconnaît noir sur blanc l’échec opérationnel de sa propre doctrine de pleine concurrence pour déterminer les prix des transferts. Je comprends que certains puissent y être attachés, mais la poursuite de cette doctrine se fait au détriment de l’efficacité et de notre base fiscale.
C’est pourquoi nous proposons d’introduire dans le droit fiscal français une méthode unitaire d’imposition pour les très grandes entreprises.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour présenter l’amendement n° I-2220 rectifié.
M. Thomas Dossus. Cet amendement vise à mettre fin à une anomalie du droit fiscal international, qui permet aux multinationales de dissocier le lieu de leurs bénéfices déclarés de leur activité économique réelle.
Le transfert artificiel de bénéfices induit une perte annuelle de recettes fiscales pour la France de l’ordre de 36 milliards d’euros. Globalement, on estime que 40 % des bénéfices des multinationales sont transférés dans des paradis fiscaux à l’heure actuelle.
Face au constat de l’insuffisance du contrôle fiscal, des solutions internationales doivent être trouvées. Pour l’heure, ces solutions n’existent pas. Nous voulons donc permettre à la France de prendre unilatéralement des mesures pour assurer une imposition minimale plus ambitieuse des multinationales, en fonction de leur activité économique réelle sur le territoire.
Cette taxe, je le rappelle, pourrait rapporter plus de 20 milliards d’euros et permettrait de lutter contre la distorsion fiscale inacceptable qui prévaut entre les PME et les grands groupes internationaux.
M. le président. L’amendement n° I-1480 rectifié bis, présenté par MM. Savoldelli, Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 209 du code général des impôts, il est inséré un article 209-… ainsi rédigé :
« Art. 209-… – I. Par dérogation à l’article 209 du code général des impôts, lorsqu’une personne morale réalisant une activité imposable en France au sens du I détient, directement ou indirectement, plus de 50 % des actions, parts, droits financiers ou droits de vote d’une entité établie ou domiciliée dans un État ou territoire non coopératif au sens de l’article 238-0 A, ou dans un État ou territoire avec lequel la France n’est liée par aucune convention fiscale comportant une clause d’assistance administrative permettant l’échange de renseignements, elle est imposable en France sur une fraction de ses bénéfices mondiaux déterminée par le ratio entre :
« a) Le ratio du chiffre d’affaires réalisé en France par rapport au chiffre d’affaires mondial, le calcul de ces chiffres d’affaires national et mondial incluant également le chiffre d’affaires des entités juridiques dont elle détient plus de 50 % des actions, parts, droits financiers ou droits de vote ;
« b) Le ratio du bénéfice réalisé en France par rapport au bénéfice mondial, le calcul de ces bénéfices national et mondial incluant également le bénéfice des entités juridiques dont elle détient plus de 50 % des actions, parts, droits financiers ou droits de vote.
« Si le ratio calculé au a s’avère inférieur, avec un écart d’au moins 0,05, au ratio calculé au b, l’administration fiscale corrige le montant des bénéfices déclarés par la personne morale en France, de façon que le ratio calculé au même b devienne égal au ratio calculé au a.
« II. – Pour la détermination de l’impôt dû sur l’assiette corrigée en application du 1 du XI du présent article, l’administration fiscale :
« a) Calcule l’écart en pourcentage entre le montant total des impôts sur les bénéfices acquittés à l’échelle mondiale et le montant total qui résulterait d’une imposition à 25 % de l’ensemble des bénéfices à l’échelle mondiale ;
« b) Applique un coefficient de majoration à l’impôt dû en France égal au pourcentage calculé au a.
« 3. Les dispositions du 1 du XI du présent article ne sont pas applicables si la différence entre les ratios mentionnés à ses a et b résulte de transactions qui ne peuvent être regardées comme constitutives d’un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française. »
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Cet amendement ayant pour objet la fiscalité des multinationales, ses dispositions comportent une dimension internationale. Il s’agit donc d’un amendement d’appel, dont l’objet est de dire qu’il faut aider la France.
Mme de Montchalin, qui était parmi nous ce matin, a été ambassadrice de la France auprès de l’OCDE et sait par conséquent très bien à quel point il est difficile de faire avancer certains États sur ce sujet.
Nous proposons une méthode unitaire sur la fiscalité des multinationales, que d’autres États appliquent déjà. Celle-ci se limite à trois critères. Sont visés : les États et territoires non coopératifs ; ceux avec qui la France ne dispose d’aucune convention fiscale ; enfin, ceux qui refusent de coopérer dans le cadre des procédures d’échanges d’informations.
En somme, cet amendement a pour objet de créer un rapport de force normatif, pour aider la France à convaincre ses partenaires à l’échelle internationale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Je formulerai deux observations.
D’une part, n’oublions pas que la réflexion menée à l’OCDE et longuement débattue a abouti à l’instauration d’un impôt minimum mondial, au taux de 15 %.
D’autre part, la proposition qui nous est faite au travers de ces amendements est tout simplement inapplicable, puisqu’elle méconnaît ou, devrais-je dire plutôt, enjambe les 125 conventions fiscales qui lient la France à d’autres pays.
J’émets donc un avis défavorable.