M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de l’immigration relève du cœur même des responsabilités régaliennes de l’État. Il s’agit de maîtriser nos flux migratoires, de garantir un asile digne et d’assurer l’intégration réussie de celles et de ceux qui ont vocation à rejoindre notre communauté nationale et à en respecter la culture, car, disons-le, il existe bel et bien une culture française.
L’année dernière, notre groupe avait exprimé une préoccupation forte face à la baisse des crédits. Nous considérions que réduire les moyens de l’État en période de forte pression migratoire envoyait un signal contraire à l’exigence de fermeté et d’efficacité que nos concitoyens attendent.
Pour l’année 2026, la trajectoire budgétaire change nettement. La mission enregistre une hausse importante des autorisations d’engagement de plus de 25 % et une progression des crédits de paiement, en cohérence avec la programmation annoncée, notamment dans le cadre du programme « Immigration et asile ».
Cette évolution reflète la prise de conscience que la maîtrise migratoire a un coût et que celui-ci doit être assumé.
Certes, à l’échelon européen, les flux se contractent légèrement, mais cette tendance ne se répercute pas encore en France. Nous continuons à faire face à une pression importante, avec une hausse de 8 % des demandes d’asile enregistrées en 2024. Et même si les chiffres de 2025 amorcent une légère baisse, ils traduisent un infléchissement encore fragile.
Dans ce contexte, nous devons veiller à ce que l’État dispose des moyens nécessaires pour répondre à la situation de façon équilibrée et lucide.
Aujourd’hui, seulement 10 % à 11 % des OQTF prononcées sont exécutées ; c’est une véritable fragilité de notre pays. Ce taux demeure trop faible et mine notre crédibilité.
Nous saluons les efforts entrepris, notamment le renforcement des effectifs. Nous nous félicitons également des effets produits par la loi du 26 janvier 2024, qui a étendu le champ des expulsions pour menaces à l’ordre public et permis de faire progresser le taux d’exécution jusqu’à 42 %.
Si nous n’augmentons pas significativement les capacités de rétention et ne parvenons pas à obtenir plus systématiquement des laissez-passer consulaires, nous resterons en deçà de l’objectif.
À ce titre, la montée en puissance des investissements dans les centres de rétention administrative, à hauteur de plus de 266 millions d’euros, va dans le bon sens. Nous devrons cependant veiller à ce que ces crédits soient effectivement consommés.
Les obstacles administratifs et fonciers ont retardé de trop nombreux projets par le passé.
L’un des volets les plus encourageants de cette mission est le renforcement des moyens de l’Ofpra pour raccourcir les délais de traitement. C’est là un point essentiel, car une décision de droit d’asile, qu’elle soit positive ou négative, doit être exécutée rapidement.
Nous saluons aussi la méthode qui consiste à améliorer l’efficacité administrative pour réduire les coûts, plutôt que de restreindre les droits.
Le pacte européen sur la migration et l’asile, qui entrera en vigueur en 2026, nécessite d’anticiper des dépenses nouvelles. Ainsi, près de 85 millions d’euros sont prévus pour cette seule année. C’est une étape importante ; la France ne peut pas répondre seule à une pression migratoire qui est structurellement européenne.
Les crises régionales, qu’elles surviennent en Afrique, au Moyen-Orient ou en Ukraine, montrent que les flux migratoires sont, de toute évidence, sensibles aux crises géopolitiques.
Les récents débats autour des politiques migratoires au sein de l’administration américaine rappellent également combien ces sujets se mondialisent rapidement.
Dans ce contexte, nos accords bilatéraux, notamment l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, devront sans doute être repensés pour renforcer notre capacité à maîtriser nos frontières et nos retours. Nous devrons aussi être plus vigilants sur les flux entrants, notamment en provenance de pays qui ne respectent pas les droits des femmes.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera ce budget, qui garantit une amélioration réelle de l’efficacité des éloignements, un traitement plus rapide des demandes d’asile et une intégration fondée sur l’exigence républicaine. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il m’incombe, au nom du groupe Les Républicains, de dire quelques mots du budget alloué aux politiques d’immigration, d’asile et d’intégration.
Je veux avant toute chose remercier la rapporteure spéciale et les rapporteurs pour avis de la clarté de leurs interventions, car elles nous permettent de mieux cerner ce budget. Celui-ci est largement inspiré du budget de votre prédécesseur, monsieur le ministre.
M. Olivier Bitz. Tant mieux !
Mme Muriel Jourda. Nous vous savons gré d’avoir la même lucidité que lui sur la question migratoire, ne serait-ce que parce que le délai dont vous disposiez pour élaborer ce budget était un peu serré.
Cette lucidité vous a conduit aussi à prévoir un certain nombre d’économies, imposées par le contexte budgétaire actuel, sans les faire pour autant peser sur les fonctions régaliennes de l’État, qui doivent être impérativement préservées.
J’indique d’emblée que le groupe Les Républicains émettra un avis favorable sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », car ce budget me semble préserver, dans l’ensemble, les fonctions régaliennes inhérentes à ces domaines.
J’évoquerai brièvement chacun de ces éléments, en commençant par l’immigration, qui comprend les flux réguliers et irréguliers.
S’agissant des premiers, nous constatons malheureusement que nous ne maîtrisons pas les entrées sur notre territoire comme nous le devrions. Cela constitue une difficulté majeure, j’y reviendrai.
Quant aux seconds, si le taux d’exécution des OQTF, que nous examinons toujours avec beaucoup d’intérêt, ne s’améliore pas sensiblement, nous observons une progression des éloignements en valeur absolue. Cette évolution résulte à la fois de la loi Immigration et Intégration, que le Sénat a largement remaniée, et d’une volonté politique accrue en faveur des retours, forcés comme volontaires. Il convient de poursuivre dans cette voie.
À cet égard, l’augmentation significative des crédits consacrés aux places en centres de rétention administrative constitue un point positif. Nous espérons ainsi rejoindre la trajectoire définie par la Lopmi, s’agissant de l’objectif de 3 000 places à l’horizon 2029. Il s’agit d’une bonne nouvelle, car le taux d’exécution des mesures d’éloignement est bien supérieur lorsque l’étranger est placé en rétention administrative plutôt que simplement visé par une OQTF. De ce point de vue, ce budget nous paraît favorable.
Les crédits consacrés à l’asile restent, quant à eux, globalement stables, ce qui démontre toutefois combien, à moyens constants, une politique différente permet d’obtenir des résultats. Cette nouvelle approche consiste à réaffecter les ressources aux personnels de l’Ofpra, qui devrait bénéficier de 48 équivalents temps plein supplémentaires. En réduisant les délais de traitement des demandes, nous diminuons ainsi en contrepartie le besoin en places d’hébergement et le montant de l’allocation pour demandeur d’asile à verser. Cela s’est déjà confirmé, et nous formons le vœu que cette stratégie vertueuse et pertinente soit poursuivie avec la même détermination.
Les crédits destinés à l’intégration sont reconduits à l’identique ou presque. Il s’agit de financer cette politique fondamentale, rempart de notre modèle universaliste contre le danger d’un basculement vers une société communautariste. Cette stratégie essentielle, dont les évolutions ont été largement détaillées par les orateurs précédents, doit désormais être appliquée avec vigueur. J’estime en effet que les résultats en la matière sont vitaux pour l’avenir de notre nation.
J’ajouterai trois observations quant à la construction de ce budget.
Premièrement, nous nous réjouissons que celui-ci s’aligne, peu ou prou, sur la trajectoire définie par la Lopmi, c’est très positif ; deuxièmement, au nom de la sincérité budgétaire, nous saluons l’intégration des crédits relatifs à la protection temporaire des déplacés ukrainiens, qui en étaient jusqu’alors exclus pour des raisons peu compréhensibles ; troisièmement, nous soutiendrons l’amendement des rapporteurs visant à plafonner les frais irrépétibles devant la CNDA. Ces frais grèvent anormalement le budget de l’Ofpra, dont les ressources seraient mieux employées pour ses missions prioritaires.
Il me reste quelques instants pour formuler une observation générale sur la politique migratoire, au-delà des seules considérations budgétaires.
Ce sujet fait souvent l’objet d’une hystérisation excessive. Pourtant, pour un État doté de frontières, la politique migratoire consiste simplement à définir qui entre sur son territoire, qui y reste et à quelles conditions, ainsi qu’à ne pas y maintenir ceux qui ne remplissent pas ces critères. Tel est le fonctionnement normal de tout pays doté de frontières.
Or la difficulté de la France réside dans l’absence d’une véritable politique migratoire, remplacée par une gestion complexe de multiples titres de séjour. Lors de nos travaux précédents, nous avions dénombré 186 types de titres différents, un chiffre proprement impensable. Il suffit aujourd’hui de remplir les conditions de l’un d’entre eux pour entrer. Nous devons impérativement passer à autre chose !
L’obstacle principal en la matière tient à l’interprétation actuelle de la Constitution, qui nous empêche de mettre en œuvre une autre politique, appuyée sur l’immigration choisie. Ce n’est pas un gros mot : les grands pays d’immigration, qui sont les plus attractifs, comme les États-Unis, le Canada ou l’Australie pratiquent une sélection en fonction de leurs besoins. Ce n’est pas incongru, nous devrions pouvoir faire de même, mais cela n’est pas possible actuellement.
La politique de l’asile doit également être revue. La moitié, environ, des demandeurs se voient refuser le statut de réfugié au terme de la procédure. Avec plus de 100 000 demandes par an, cela signifie qu’un nombre considérable d’individus se maintiennent sur le territoire sans avoir obtenu le statut sollicité. Il faudrait donc permettre de demander l’asile hors de nos frontières, afin de n’admettre sur le territoire national que les personnes éligibles selon nos règles.
Une telle évolution doit être préparée avec l’Union européenne. Vous l’aurez compris, il nous faut mener des réformes pour nous permettre de choisir notre politique migratoire ; à mon sens, l’Union européenne doit elle aussi faire de même.
Monsieur le ministre, je suis conscient que la configuration politique actuelle rend difficile l’obtention d’un large consensus parlementaire pour de telles réformes. Pour autant, la maîtrise de l’immigration est essentielle, tant pour notre pays que pour ceux que nous accueillons. C’est donc bien la mission que nous devons nous assigner.
En attendant, le groupe Les Républicains votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons pour examiner les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Pour 2026, ce budget s’établit à 2,16 milliards d’euros, en hausse de près de 4 % par rapport à l’exercice précédent. Cette évolution traduit avec « lucidité », pour reprendre le terme de la présidente de la commission des lois, la réalité de notre politique migratoire. Celle-ci repose sur trois impératifs indissociables : la maîtrise des flux, le renforcement de l’intégration des étrangers en situation régulière et la garantie de l’exercice du droit d’asile.
Cette progression budgétaire résulte d’abord d’un contexte exigeant. En 2024, la France a enregistré 153 715 demandes d’asile, soit une augmentation de 7,8 %. Elle occupe désormais le quatrième rang européen, derrière l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie. Face à cette pression, nous devons disposer d’outils administratifs solides, rapides et respectueux de nos engagements internationaux. Ce budget permet précisément cet effort d’adaptation.
Toutefois, notre politique migratoire ne se limite pas à la seule gestion de l’asile. Elle vise également à concilier l’attractivité économique et universitaire avec une maîtrise rigoureuse des flux.
Cette vision équilibrée se fonde sur une conviction : l’immigration légale constitue une richesse lorsqu’elle répond aux besoins de notre économie et de nos universités. À ce titre, la mobilité étudiante internationale représente un levier majeur d’attractivité : elle favorise la réussite des jeunes talents, soutient notre recherche et dynamise nos partenariats. Les initiatives engagées ces dernières années – passeport talent avec les visas French Tech, ou les stratégies Choose France et Destination France –, participent pleinement de cette dynamique d’innovation et de compétitivité.
Cet équilibre exige aussi de la fermeté, notamment à l’égard de l’immigration irrégulière, et plus encore des personnes menaçant l’ordre public. La loi Immigration et Intégration a ainsi renforcé nos capacités d’éloignement et simplifié les procédures.
Plus récemment, la loi du 11 août 2025 de programmation pour la refondation de Mayotte a apporté des réponses à la situation singulière de mon territoire face à la pression migratoire.
Pour 2026, les crédits de la mission permettront donc de financer, à Mayotte, l’aide au retour volontaire des étrangers en situation irrégulière et de préparer, d’ici à 2030, l’abrogation du titre de séjour territorialisé. Par ailleurs, la centralisation des reconnaissances de paternité à Mamoudzou permettra de lutter contre les reconnaissances frauduleuses.
Enfin, l’intégration demeure un pilier essentiel. Chaque année, plus de 100 000 personnes signent le contrat d’intégration républicaine (CIR), dont un tiers sont bénéficiaires de la protection internationale.
La loi du 26 janvier 2024 a rehaussé les exigences linguistiques : le niveau A2 est requis pour une carte pluriannuelle, le niveau B1 pour la carte de résident et le niveau B2 pour la naturalisation.
Cette exigence est légitime, la maîtrise du français constituant un puissant vecteur d’insertion. Je rappelle toutefois que l’intégration ne saurait se réduire à un niveau de langue ; elle implique aussi le respect de nos règles, la participation aux institutions sociales et l’adhésion au pacte républicain.
Les crédits pour 2026 traduisent une politique migratoire équilibrée, lucide et cohérente, conjuguant humanité et fermeté, attractivité et protection, exigence républicaine et respect du droit. C’est pourquoi notre groupe votera en faveur de leur adoption.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons pour examiner les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », lesquels affichent cette année une légère hausse de 3,8 %.
Je déplore toutefois que cet effort budgétaire se concentre quasi exclusivement sur la lutte contre l’immigration irrégulière, au détriment du volet « intégration » et de l’exercice du droit d’asile. Je relève par ailleurs que le budget pour 2025 s’inscrivait quant à lui en baisse, alors même que le ministre de l’époque, un certain Bruno Retailleau, avait érigé l’immigration en priorité.
Il n’y a rien d’étonnant quant au niveau des crédits qui nous sont soumis : ce projet de loi de finances pour 2026 constitue la traduction comptable de la loi Immigration et Intégration. Ce texte n’abordait l’intégration que dans son intitulé, puisqu’il renonçait dans son contenu à toute régularisation par le travail et, partant, à toute perspective réelle d’intégration.
Premièrement, je relève que les moyens alloués à la lutte contre l’immigration irrégulière augmentent fortement. Cela s’explique par la poursuite du plan visant à porter à 3 000 le nombre de places en CRA d’ici à 2027, une mesure dont la paternité revient, rappelons-le, à M. Éric Ciotti, qui a permis son inscription dans la Lopmi.
Or, comme le souligne régulièrement la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), la priorité devrait aller à l’entretien et à la réfection des locaux existants souvent vétustes et dans un état déplorable, plutôt qu’à des constructions nouvelles.
Les faits sont têtus : cette politique d’enfermement et d’éloignement ne fonctionne pas. Le nombre de personnes retenues augmente, les durées de rétention s’allongent, sans que les éloignements suivent. Le précédent gouvernement avait même tenté de porter cette durée à 210 jours, avant d’être censuré par le Conseil constitutionnel.
Outre les CRA, cette hausse des crédits finance les fameux – et honteux ! – locaux d’unités familiales à Mayotte, institués par la loi de programmation pour la refondation de Mayotte de 2025. Ces structures permettront la rétention de mineurs, faisant de ce département, à compter du 1er juillet 2028, le seul territoire français où des enfants seront enfermés dans des CRA. Nous continuerons de combattre cette mesure indigne, qui exposera inévitablement la France à des condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Deuxièmement, je note la stagnation des crédits alloués à la formation linguistique, alors que l’exigence d’un niveau A2 pour l’obtention d’un titre de séjour pluriannuel, inscrite dans la loi de 2024, entrera en vigueur le 1er janvier 2026. Une fois de plus, vous fixez des objectifs sans les assortir des moyens nécessaires. La rapporteure spéciale de la commission des finances reconnaît elle-même que le public concerné augmentera de 40 %, à budget constant.
Nous pouvons nous interroger : s’agit-il d’une volonté délibérée d’entraver l’intégration ? Ces milliers de personnes seront abandonnées à des formations à bas coût, à distance, via des modules numériques. Il s’agit d’une véritable usine à gaz, conçue pour décourager et opérer un tri.
Selon les propres évaluations du Gouvernement, seul un étranger sur deux atteindra le niveau requis. Quel intérêt y a-t-il à condamner l’autre moitié à la précarité d’un titre de séjour temporaire d’un an ? Cette situation empêche l’intégration durable et alourdit la charge de travail des préfectures, qui peinent déjà à traiter les demandes existantes.
Nous sommes également très inquiets de la nouvelle réduction du parc d’hébergement. Après la fermeture de 6 500 places en 2025, près de 2 000 disparaissent en 2026. Pourtant, vous n’adaptez toujours pas l’offre existante à la réalité des flux, marquée par une hausse de 44 % du nombre de femmes demandeuses d’asile en 2024. Ce changement de profil exige des hébergements adaptés et, surtout, sécurisés. La baisse est encore plus brutale pour les réfugiés ukrainiens, qui risquent de se retrouver à la rue.
Nous ne comprenons pas davantage la baisse des sommes consacrées à l’ADA. Avec un montant dérisoire de 6,80 euros par jour, cette aide ne permet pas à ses bénéficiaires de vivre dignement, ni même de se nourrir convenablement. Pourtant, vous comptez réaliser encore des économies sur ses crédits.
Ce budget ne présente que deux points positifs : d’une part, la création de 48 ETP à l’Ofpra, où les conditions de travail sont très dégradées et dont les agents sont épuisés par la pression sur les délais d’instruction ; d’autre part, le renforcement des moyens pour pallier les graves dysfonctionnements de l’Administration numérique pour les étrangers en France (Anef).
Nos deux amendements visant respectivement à ouvrir l’accès au marché du travail à l’ensemble des demandeurs d’asile et à porter la validité des documents provisoires de séjour à six mois au minimum ont été déclarés irrecevables. Nous comprenons mal ces décisions, car ces mesures entretenaient un lien direct avec le projet de loi de finances et auraient permis d’alléger les dépenses publiques.
Vous l’aurez compris, ce budget n’est pas satisfaisant. Déséquilibré, il privilégie le répressif sans faire preuve d’aucune volonté d’intégration des personnes migrantes dans notre société.
Il nous semble déconnecté du terrain et ne répond pas aux alertes des acteurs associatifs qui œuvrent au quotidien pour améliorer les conditions de vie des migrants. Pour toutes ces raisons, nous avons déposé plusieurs amendements. S’ils ne sont pas adoptés, nous voterons contre ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Guy Benarroche et Mme Sophie Briante Guillemont applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque année, l’examen de cette mission budgétaire soulève la même interrogation. Quelle politique migratoire souhaitons-nous pour notre pays : une politique guidée par la peur et l’obsession du soupçon, ou une politique fondée sur les droits, la dignité, l’accueil et l’intégration ?
Depuis plusieurs mois, monsieur le ministre, nous avons relevé dans vos déclarations certaines inflexions, une volonté affichée de rompre avec les outrances de votre prédécesseur, voire l’esquisse d’un discours plus ouvert sur les questions d’intégration.
Toutefois, l’examen minutieux de ce budget impose une évidence : par-delà les nuances de ton, vos choix politiques demeurent inchangés.
Ce budget ne marque aucun tournant ; au contraire, il prolonge des orientations anciennes, dont nous connaissons l’inefficacité, le coût et la brutalité. Comme lors des débats précédents, la même constante transparaît : la dégradation des conditions d’accueil et la priorité donnée à la répression.
Certes, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » progressent cette année de 3,83 %. Si cette hausse peut sembler positive de prime abord, elle ne traduit aucune ambition nouvelle : elle finance d’abord la répression, au détriment de l’intégration.
Il est d’ailleurs singulier d’entendre les tenants de l’orthodoxie budgétaire, prompts à affirmer qu’il n’y a d’argent ni pour les retraites ni pour les prestations sociales, trouver soudainement des ressources lorsqu’il s’agit de réprimer l’immigration.
Or ces choix représentent un coût, à la fois budgétaire et humain. Malgré ces moyens supplémentaires, la politique d’expulsion que vous fixez n’atteint pas ses objectifs, puisque seulement 11 % des OQTF sont exécutées. Ce chiffre révèle à lui seul l’illusion d’une ambition aussi démesurée que déconnectée du réel.
Ce budget témoigne d’une dérive profonde : vous appréhendez la politique migratoire comme un tableau Excel, fait d’objectifs chiffrés, de ratios et de courbes à redresser. Derrière ces chiffres, pourtant, il y a des vies humaines et cette déshumanisation emporte des conséquences concrètes : une dégradation continue de l’accueil, un accompagnement insuffisant et des atteintes répétées aux droits fondamentaux, notamment en matière d’hébergement.
Vous érigez ensuite l’accélération des procédures d’asile en priorité absolue. Si réduire les délais peut sembler légitime, vouloir aller plus vite à moyens constants ou insuffisants fragilise les droits fondamentaux : les demandeurs d’asile ne disposent plus du temps nécessaire pour constituer un dossier solide.
Cette politique épuise également les agents de l’Ofpra. Le manque de moyens, conjugué à la pression quantitative, les enferme dans une politique du chiffre et fragilise le droit d’asile au lieu de le protéger.
De surcroît, comme si tout cela ne suffisait pas, vous poursuivez l’extension de la rétention administrative en augmentant le nombre de places en CRA pour atteindre 3 000 à l’horizon de 2026. La même logique prévaut, alors que cette politique coûteuse et brutale n’a jamais démontré son efficacité.
Mes chers collègues, nous dénoncions déjà l’an dernier cette contradiction fondamentale : vous dites que l’immigration doit être mieux organisée, mais vous consacrez l’essentiel des moyens à la répression ; vous dites que l’intégration est essentielle, mais vous ne la financez pas ; vous dites que l’asile est un droit, mais vous réduisez de facto l’accès à ce droit. Rien n’a changé.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre les crédits de cette mission. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Guy Benarroche applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce budget traduit en termes comptables et financiers la vision globale du Gouvernement sur les étrangers.
Sans surprise, il s’inscrit dans la droite ligne – la ligne très à droite ! – des précédents gouvernements et reflète une série de fantasmes idéologiques sur un sujet aussi sérieux que sensible pour l’opinion publique.
Prétendre baisser la pression migratoire dans notre monde relève du déni. Êtes-vous sérieux lorsque vous affirmez de telles choses ? Considérez-vous réellement que nous allons diminuer les mouvements migratoires dans notre civilisation ?
La répétition est, dit-on, la base de la pédagogie : l’asile est un mécanisme de protection pour des personnes fuyant dangers et persécutions dans leur pays. Nous avons su réagir efficacement pour l’accueil des réfugiés ukrainiens, en instaurant une procédure spécifique.
Ce dispositif nous semble si naturel que nous nous étonnons qu’il ne soit pas appliqué à l’ensemble des demandeurs d’asile. Pourquoi ne pas leur permettre de travailler dès le dépôt de leur demande ? Pourquoi ne pas généraliser ces méthodes exceptionnelles, qui ont fait leurs preuves ?
Comme un gimmick, le Gouvernement diminue, pour la quatrième année consécutive, les crédits de l’allocation pour demandeur d’asile. Ces baisses successives – de 36 %, puis 10 %, puis 16 % – se poursuivent cette année, sans aucune corrélation avec le nombre de demandeurs. Vous l’avez d’ailleurs admis vous-même : celui-ci a encore augmenté de manière sensible.
Le Gouvernement érige en priorité la lutte contre l’immigration irrégulière. Dont acte. Pour ce faire, monsieur le ministre, vous ne marchez toutefois que sur une jambe. Comme mes collègues l’ont souligné, vous négligez totalement le volet intégration.
Cette dérive, au-delà de son aspect idéologique, s’opère au détriment de l’accompagnement des nouveaux arrivants et de l’accès aux droits des étrangers ; elle nuit à cette intégration que vous prétendez pourtant soutenir, à l’instar de vos prédécesseurs.
Un exemple criant en est la baisse de près de 2,5 millions d’euros des crédits affectés à l’hébergement des demandeurs d’asile, à rebours de la promesse formulée par le Président de la République à Orléans, en 2017 – le sort des promesses du président Macron relève toutefois d’un autre débat !
Une telle précarisation pousse les demandeurs d’asile vers l’hébergement d’urgence de droit commun ou dans les bras des marchands de sommeil. Nous condamnons ces pratiques, tout comme vous, mais il convient tout de même de faire preuve de cohérence.
La priorité du Gouvernement reste la construction effrénée de CRA. Certes, vous avez révisé vos ambitions à la baisse pour 2027, la parole ministérielle se heurtant à la réalité budgétaire, il devient évident que les annonces étaient irréalisables.
Je le répète, l’efficacité de la rétention est plus que limitée. Allonger sa durée n’améliore pas le taux d’exécution des mesures d’éloignement ; vous savez que seule la diplomatie permet de progresser en la matière. De plus, les éloignements forcés coûtent quatre fois plus cher que les mesures d’accompagnement au retour volontaire.
Le temps m’est compté, mais je pourrais évoquer le parcours semé d’embûches imposé aux étrangers : les obstacles administratifs – qu’il s’agisse d’obtenir un rendez-vous en préfecture ou de renouveler un titre de séjour – finissent par les placer dans l’illégalité, favorisant le travail dissimulé et la précarité statutaire. Cette irrégularité, nous la créons nous-mêmes par la complexité, voire l’impossibilité des démarches.
Je n’aborderai pas la formation, le sujet a déjà été traité.