Présidence de Mme Anne Chain-Larché

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures.)

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Après l'article 69 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2026
Avant l'article 66 (début)

Loi de finances pour 2026

Suite de la discussion d'un projet de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2026, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale (projet n° 138, rapport n° 139, avis nos 140 à 145).

Nous poursuivons l'examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.

SECONDE PARTIE (suite)

MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

Aide publique au développement

Compte de concours financiers : Prêts à des États étrangers

Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte spécial « Prêts à des États étrangers ».

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Aide publique au développement » verra ses crédits diminuer de 700 millions d'euros en 2026, après avoir subi une baisse de plus de 2 milliards d'euros en 2025. Je le dis comme je le pense : cette mission est littéralement brutalisée par des coupes qui risquent de nous confronter, si l'on persiste dans cette voie, à une situation d'insoutenabilité budgétaire.

La déstabilisation du volume des crédits a, en effet, des conséquences importantes que chacun doit avoir à l'esprit.

Ces contractions budgétaires, appliquées sans préparation, mettent les administrations à rude épreuve, les contraignant à revoir dans l'urgence leurs programmations, leurs partenariats et leurs engagements. Cette désorganisation a pour effet d'ébranler aussi le modèle économique des opérateurs.

Ce qui est particulièrement inquiétant, c'est que ces coupes budgétaires particulièrement brutales interviennent dans un contexte de bouleversements des équilibres mondiaux, d'instabilité politique intérieure et d'absence de doctrine et de stratégie.

Pour la première fois, en 2025, la France n'a pas pu honorer certains de ses engagements multilatéraux. Le risque réputationnel pour notre pays est très grand.

Je vous le demande, mes chers collègues, car nombre d'entre nous ont eu à gérer des collectivités par le passé : quelle institution publique peut être correctement pilotée si elle ne dispose pas de perspectives pluriannuelles et si elle subit de tels retournements de situation budgétaire ?

Par ailleurs, la multiplication des crises et leur inscription dans le temps déstabilisent de nombreux États bénéficiaires pour lesquels l'assistance internationale est cruciale. L'effondrement de la sécurité et de la santé dans ces pays multiplie les risques pour l'Europe, notamment pour la France, qu'ils soient sanitaires, migratoires ou sécuritaires.

À cet égard, la diminution de 41 % du montant de notre aide humanitaire amputera considérablement nos capacités d'action face aux crises, au Soudan ou à Gaza par exemple.

Sachez-le, une nouvelle baisse stopperait directement un projet de soutien à la population ukrainienne, le projet Espoirs de la Croix-Rouge au bénéfice du Liban, de la Palestine et de la Syrie ou encore l'extension de l'hôpital Saint-Joseph à Jérusalem. Ce sont là des exemples concrets.

J'insiste donc pour que les décisions budgétaires tiennent compte à la fois de l'importance du volet diplomatique et humanitaire de notre action extérieure, mais aussi de son volet économique et de la nécessité de procéder à une actualisation réfléchie de notre stratégie. Sans quoi les remèdes pourraient être pires que les maux.

Je tiens enfin à rappeler que le recul de l'aide publique au développement en France ne constitue en rien une exception, dans un environnement international en profonde mutation, où cette politique publique est remise en cause, tant dans son architecture financière que dans ses présupposés politiques.

Mes chers collègues, le monde dans lequel nous vivons traverse une période de ruptures, où la montée des nationalismes et des souverainismes, exacerbée par la compétition entre les puissances, met en danger les logiques de coopération, de paix et de solidarité.

Dans ce contexte, j'appelle à porter un regard lucide sur l'aide au développement.

Sans doute cette politique publique n'a-t-elle pas réussi à convaincre de son utilité et de son efficience, mais je crois que nous avons le devoir, au-delà des critiques, de nous y intéresser et de réfléchir à son avenir. Celle-ci doit avoir sa place aux côtés de la politique de défense, dans une logique de complémentarité, dans le cadre de partenariats stratégiques globaux, que nous devons bâtir. Nous devons également identifier les limites du bilatéralisme : si l'on peut être tenté de penser que celui-ci est mieux à même de servir directement les intérêts de la France, il ne répondra pas à tous les défis.

À l'heure où le cadre multilatéral vole en éclats, je suis persuadé qu'un nouveau système surgira demain et que les États les plus visionnaires sont déjà à l'œuvre pour faire advenir cette recomposition. Soyons de ceux-là ! Ne cédons pas aux élans de notre époque.

En brisant un outil dont l'utilité est pourtant reconnue, nous nous priverions d'un levier indispensable dans un environnement stratégique incertain. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Michel Canévet, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vient de l'indiquer à l'instant mon collègue Raphaël Daubet, la mission « Aide publique au développement » voit ses crédits diminuer de 700 millions d'euros. Il faut rappeler qu'entre 2017 et 2023 ils ont progressé de 40 % en volume.

Dans un contexte budgétaire dégradé, il n'est pas illégitime de s'interroger sur le volume et la qualité de nos dépenses publiques.

En tout état de cause, le montant des crédits de la mission demeurera supérieur, en volume, de 20 % à celui qu'il a atteint en exécution en 2017, et l'écart est même de 53 % si l'on retraite les contributions à la politique européenne de développement qui sont, désormais, intégrées dans le prélèvement sur recettes du budget de l'État en faveur de l'Union européenne.

Je rappelle que l'augmentation importante des moyens de la politique de développement a présenté deux limites principales. Ce sera mon premier point.

En premier lieu, le quasi-doublement des moyens de la mission s'est accompagné d'une rigidification croissante des dépenses. Le caractère pluriannuel de certaines contributions multilatérales et de plusieurs dépenses bilatérales, telles que les bonifications des prêts de l'Agence française de développement (AFD), contribue à limiter les marges de manœuvre budgétaires pour les années à venir.

C'est particulièrement vrai pour le programme 110 « Aide économique et financière au développement », au sein duquel la direction générale du Trésor s'est efforcée de limiter les engagements. Selon les données que nous avons reçues, les restes à payer de l'AFD représentaient toutefois un total de 19 milliards d'euros à la fin de l'année 2024.

En second lieu, la trajectoire de notre aide publique au développement au cours des années passées entraîne un risque de sous-exécution des crédits et de dispersion géographique et thématique des dépenses.

Ainsi, 124 pays et entités territoriales bénéficient de versements de la part de la France au titre de l'aide bilatérale, alors qu'ils ne sont par exemple que trente à bénéficier d'une telle aide de la part de la Suède. L'aide publique au développement bilatérale de la France représente en moyenne 5 % de l'aide publique au développement reçue par les bénéficiaires.

Enfin, en ce qui concerne l'aide multilatérale, la Cour des comptes estime que la France a contribué au financement de 271 entités multilatérales en 2023, parfois pour des sommes modiques et peu efficaces. Un travail a été engagé par vos services pour synthétiser la situation, monsieur le ministre.

Je suis également convaincu que la politique de développement comporte des axes d'amélioration, qui sont d'ailleurs amorcés dans ce projet de budget. Ce sera mon second point.

Ainsi, la redéfinition du montant des crédits de l'aide au développement doit être l'occasion de mieux préciser nos objectifs et notre doctrine d'utilisation de ces instruments.

En particulier, nous avons identifié trois volets d'action.

Tout d'abord se pose la question du ciblage de la politique de développement. L'aide est aujourd'hui dispersée géographiquement, ce qui entraîne un risque de saupoudrage et de diminution de nos efforts.

Il me semble que nous devrions choisir, dans les prochains mois, entre une concentration de l'aide sur une liste de pays jugés prioritaires en fonction de leurs besoins et de nos intérêts stratégiques ou le maintien de l'universalité de nos versements.

Ensuite, il nous paraît indispensable de poursuivre dans la voie du renforcement de notre aide bilatérale. Il est nécessaire que le Gouvernement finalise une doctrine d'articulation entre le canal bilatéral, le canal multilatéral et le canal européen, qu'il faut également mobiliser en matière d'aide au développement. Nous devons aussi nous interroger sur l'opportunité de poursuivre notre engagement dans certains grands fonds verticaux, dont la plus-value n'est pas assurée.

Enfin, il importe de mieux évaluer cette politique. Nous espérons que la commission créée à cette fin y contribuera.

Pour conclure, j'indique que la commission des finances a déposé un amendement de réduction des crédits de 200 millions d'euros.

Sous réserve de l'adoption de cet amendement, la commission vous propose d'adopter les crédits de la mission « Aide publique au développement » et ceux du concours financier « Prêts à des États étrangers ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly, en remplacement de M. Christian Cambon, rapporteur pour avis.

M. Patrice Joly, en remplacement de M. Christian Cambon, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je prends la parole en lieu et place de mon collègue rapporteur pour avis Christian Cambon, qui ne peut pas être présent aujourd'hui, car il participe au congrès de l'Association internationale de l'eau à Bangkok.

L'évolution des crédits de la mission « Aide Publique au développement » reflète assez fidèlement l'état d'un monde où chaque pays se concentre désormais sur ses propres intérêts de court terme et ne se projette plus vers une prospérité partagée.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a toujours défendu l'aide au développement, pas uniquement par excès de morale ou de vertu, mais bien parce que celle-ci représente moins des dépenses que des investissements, utiles aussi bien aux populations qu'à notre influence et à nos intérêts de long terme.

J'ajoute qu'à l'heure où nous entendons lutter contre l'immigration illégale, il serait paradoxal de ne pas aider les pays de départ à fournir à leurs citoyens les conditions d'une vie digne, qui les maintiendra plus sûrement dans leurs territoires. En effet, on reste plus facilement chez soi quand il y a de l'eau, des médecins et des perspectives d'emploi !

La nouvelle diminution de 16 % des crédits de la mission prévue cette année, concomitante du mouvement de retrait des grands pays développés que l'on observe de la part de l'Europe comme de l'Amérique du Nord, constitue une nouvelle étape dans la perte volontaire d'influence de ce que l'on appelait, il n'y a pas si longtemps, « l'Occident ».

Ne nous y trompons pas cependant, la nature a horreur du vide et la baisse de notre aide sera certainement compensée, selon d'autres modalités, par nos grands compétiteurs, plus enclins à avoir une vision de long terme en la matière.

J'entends parfaitement qu'il est nécessaire, pour notre pays, de redresser ses finances publiques sinistrées. De ce point de vue, la mission « Aide publique au développement », dont les crédits ont diminué de 2 milliards d'euros en deux ans, a été plus mise à contribution que toute autre dans le budget général.

Je pense que ce mouvement doit maintenant cesser, car notre aide publique au développement (APD) a avant tout besoin de lisibilité et de prévisibilité – c'était d'ailleurs justement l'objet de la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

Débattons de nos priorités – par thèmes, par zones géographiques, etc. –, mais ne laissons pas les institutions internationales et les ONG apprendre avec surprise, avec trois mois de préavis, que les moyens que nous leur octroyons seront très inférieurs à leurs prévisions les plus pessimistes. In fine, l'incertitude a aussi un coût et nous le paierons tôt ou tard.

Enfin, monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer où en est la procédure de nomination du futur directeur général de l'AFD, le bras armé de l'État en matière d'APD ? De même, quand sera signé le prochain contrat d'objectifs et de moyens de l'Agence ? Voilà des domaines où l'incertitude aurait pu être limitée !

La commission des affaires étrangères a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Patrice Joly, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m'exprime désormais en mon nom.

La réduction des crédits de la mission « Aide publique au développement », dont nous débattons aujourd'hui, s'inscrit dans la continuité des cinq coupes successives réalisées durant ces deux dernières années.

Si le projet de loi de finances était voté en l'état, la diminution totale des crédits serait de près de 37 % en seulement deux ans et leur montant tomberait à un peu plus de 3 milliards d'euros, contre plus de 5 milliards d'euros auparavant.

Parmi tous les postes budgétaires, celui de la solidarité internationale est le plus sévèrement touché. Les premières victimes sont celles qui ont déjà le moins : les populations les plus pauvres.

Cette rupture contredit nos engagements internationaux ainsi que la promesse, inscrite dans la loi de programmation de 2021, de consacrer 0,7 % de notre richesse nationale à aider les pays vulnérables.

Les aides multilatérales sont particulièrement affectées, puisque l'enveloppe qui leur est accordée baisse de 22 %, alors que les défis sont globaux – réchauffement climatique, gestion des flux migratoires, crise sanitaire... – et nécessitent une gouvernance mondiale.

L'aide bilatérale est recentrée sur l'urgence, ce qui n'empêche pas les montants de notre aide humanitaire de subir une baisse historique de 41 % en 2026 – ils auront été réduits des deux tiers depuis 2024 !

En nous concentrant sur l'immédiat, nous abandonnons l'éducation, la santé et les systèmes sociaux, essentiels à la reconstruction des sociétés sur le long terme.

L'Agence française de développement illustre cette dérive. Depuis trois ans, elle fonctionne sans contrat d'objectifs et de moyens et voit ses marges de manœuvre s'effondrer : ses crédits de paiement ont baissé de 31 % ; sa dotation est passée de 145 millions d'euros à 100 millions d'euros.

Faute de moyens, elle se transforme peu à peu en une banque d'investissement pour pays solvables, délaissant les plus pauvres. Ceux qui dépendent le plus de notre solidarité, les pays les moins avancés (PMA), seront donc les premiers frappés.

Ce désengagement nourrit un repli nationaliste, qui laisse penser que tout pourra être réglé à l'intérieur de nos frontières. Dans notre pays, ce repli ne peut qu'alimenter le populisme.

La France se détourne des responsabilités collectives. Les plus vulnérables, à l'étranger comme parmi nos citoyens, en subissent les conséquences.

Pourtant, il existe des financements solidaires, comme la taxe de solidarité sur les billets d'avion ou la taxe sur les transactions financières, qui ont été créés pour garantir un financement stable et prévisible des aides au développement. Une hausse minime de 0,1 point du taux de la taxe sur les transactions financières, pour le porter au même niveau que celui qui est appliqué en Grande-Bretagne, aurait rapporté plus de 600 millions d'euros, soit l'équivalent des économies imposées à l'aide publique au développement cette année. En refusant cette mesure, nous avons laissé passer une opportunité concrète.

Mes chers collègues, l'aide publique au développement n'est pas un luxe. Elle favorise l'accès à l'eau, à l'éducation, à la santé, soutient l'émancipation économique et démocratique, et renforce les sociétés civiles. Notre tissu associatif, au travers d'ONG extraordinaires, constitue un formidable vivier de compétences et d'innovation, capable de transformer ces financements en actions concrètes sur le terrain. Elle protège aussi nos intérêts : en l'absence de soutien, les fragilités s'agrègent, les tensions s'exacerbent et les crises deviennent plus fréquentes et coûteuses, y compris pour nous.

Dans un monde exposé à des risques systémiques, l'aide publique au développement est un outil stratégique indispensable pour bâtir la stabilité, soutenir des sociétés résilientes et protéger nos intérêts. Ce débat dépasse les chiffres : il y va d'une vision du monde, d'une conception de la solidarité et d'une certaine idée de la France.

C'est pourquoi, comme les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je voterai contre les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE.)

Organisation des travaux

Mme la présidente. Avant de donner la parole aux orateurs des groupes, je vous indique, pour la bonne information de tous, que quarante-six amendements sont à examiner sur cette mission.

La conférence des présidents a fixé la durée maximale de la discussion à une heure quarante-cinq.

Toutefois, compte tenu de l'organisation de la journée, nous pourrions prévoir trente minutes de discussion supplémentaires, pour terminer son examen aux alentours de seize heures quinze, avant de passer à l'examen de la mission « Action extérieure de l'État ».

Au-delà, conformément à l'organisation de nos travaux décidée par la conférence des présidents, et en accord avec la commission des finances, la suite de l'examen de cette mission sera reportée à la fin des missions de la semaine.

Par ailleurs, la conférence des présidents, qui s'est réunie le mercredi 3 décembre, a décidé que, lorsque le nombre d'amendements déposés ne paraît pas pouvoir garantir leur examen serein dans les délais impartis, le temps de parole pour présenter un amendement serait fixé, sur proposition de la commission des finances, à une minute.

S'agissant de la présente mission, pour tenir les délais, compte tenu du nombre d'amendements déposés et du temps imparti à l'examen de cette mission, il conviendrait d'examiner quarante-trois amendements par heure, ce qui est élevé.

Aussi, afin de nous donner toutes les chances de terminer aujourd'hui l'examen de cette mission, et en application de la décision de la conférence des présidents, les durées d'intervention seront fixées à une minute.

Aide publique au développement (suite)

Compte de concours financiers : Prêts à des États étrangers (suite)

Mme la présidente. Dans la suite de notre discussion, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d'intervention générale et celui de l'explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.

La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en quelques années, rappelons-le, notre dette publique a bondi, passant de 2 000 milliards à 3 300 milliards d'euros. Nos marges de manœuvre budgétaires sont désormais non seulement très réduites, mais aussi très contraintes.

Alors que notre pays doit poursuivre un effort exigeant de redressement de ses comptes publics, nous examinons aujourd'hui les crédits de la mission « Aide publique au développement ».

Le projet de budget de cette mission pour 2026, tel qu'il est présenté, traduit un double impératif : tenir notre ligne de responsabilité et continuer d'assumer les devoirs de la France, dans un monde où les crises, plus que jamais, rejaillissent sur notre sécurité, mais aussi sur notre économie.

Ce budget s'établit à 4,43 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 3,67 milliards d'euros en crédits de paiement, soit des baisses respectivement de 13,6 % et de 16,1 % par rapport à 2025.

Cette évolution est dans la continuité de l'effort entrepris depuis deux ans. Néanmoins, si l'on s'inscrit dans le temps long et que l'on retraite les crédits en fonction de l'évolution de l'inflation et du périmètre de la mission, on constate que l'enveloppe de cette dernière demeure globalement stable en volume depuis 2017.

Il s'agit donc non pas d'un effondrement, mais plutôt d'un rééquilibrage de l'aide apportée par la France. Celui-ci est nécessaire tant par la situation budgétaire du pays que par l'évolution internationale. Il est indispensable de rendre notre action plus ciblée, plus lisible, mais aussi plus utile.

Nous le savons, mes chers collègues, les crises internationales finissent toujours par nous rattraper et nous atteindre.

Le Sahel s'enlise dans une instabilité profonde. Ces derniers mois, la situation sécuritaire s'est encore aggravée. Des attaques meurtrières ont eu lieu, telle celle qui a été menée par des groupes armés le 19 juin contre Banibangou, au Niger, qui a causé la mort de plusieurs dizaines de soldats.

Par ailleurs, la crise de la mer Rouge, même si elle a cessé de faire les gros titres, continue d'avoir de lourdes conséquences sur le commerce mondial. Au mois de septembre dernier, les Houthis ont ainsi revendiqué l'attaque du pétrolier Scarlet Ray. La pression demeure forte et contraint de nombreuses compagnies à contourner le canal de Suez par le cap de Bonne-Espérance.

Dans un monde d'interdépendance, ne pas agir serait irresponsable. Nous devons toutefois agir mieux. Notre aide publique au développement gagnerait, à cet effet, à être davantage concentrée et alignée pour être plus efficace.

Notre aide bilatérale est aujourd'hui très dispersée. Le risque de dilution est réel. En outre, seulement 24 % de notre aide parvient aux pays les moins avancés.

Il est difficile de justifier que la Chine soit la principale bénéficiaire du Fonds pour l'environnement mondial.

Pour remédier à cette situation et veiller à une meilleure efficacité, le projet de loi de finances pour 2026 vise à recentrer nos moyens sur les actions bilatérales, qui représenteront 65 % de notre aide l'an prochain.

Cette orientation correspond à ce que nous défendons depuis longtemps. Il convient d'aider là où cela a du sens, là où l'effet est maximal, tout en veillant à ce que l'aide soit protégée de toute captation par des acteurs hostiles.

La France a toujours su développer des liens directs avec les acteurs locaux en s'appuyant, cela a été dit, sur la société civile et sur les ONG.

Malgré une baisse relative, mais nécessaire, notre aide publique continue d'être orientée vers les crises les plus aiguës et ses axes essentiels demeurent sanctuarisés. Ce choix reste conforme à nos valeurs, à notre responsabilité internationale et aux attentes de nos concitoyens.

Dans le contexte de la coopération et de la lutte contre le narcotrafic, l'aide au développement est aussi un levier indispensable pour faire refluer les vagues du narcotrafic et de la criminalité organisée qui, vous le savez tous, mes chers collègues, submergent nos territoires. Monsieur le ministre, pour actionner votre plan visant à « éradiquer le mal à la racine », il importe de doter l'AFD des moyens de ses ambitions, afin qu'elle puisse notamment offrir aux producteurs exploités par les mafias un moyen de sortir par le haut de cette situation, en développant des cultures de substitution.

Ce budget clarifie les choix et préserve l'essentiel. Il promeut la cohérence de notre politique extérieure et la stabilité internationale, ce qui est l'intérêt direct de la France.

Soutenir ce budget, c'est affirmer que, dans ces temps difficiles, la France doit être capable de tenir son rang, tout en régénérant ses finances publiques.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de l'adoption des crédits de cette mission. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le contexte économique que nous connaissons, l'aide publique au développement a perdu plus d'un tiers de ses moyens. En 2026, ses crédits baisseront encore de 16 %. Au total, ces derniers auront diminué de 2 milliards d'euros depuis 2024.

Cette tendance n'épargne personne : l'OCDE prévoit ainsi une baisse mondiale de l'APD de l'ordre de 10 % à 18 % d'ici à 2027. Les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la Suède suivent le même mouvement.

Dans ce contexte, cette aide doit devenir plus lisible, plus efficace et plus cohérente avec les intérêts de la France.

Ainsi, selon les données qui ont été transmises aux rapporteurs spéciaux, l'APD française – canal bilatéral et canal multilatéral confondus – est répartie entre 141 pays et territoires. Concernant notre aide bilatérale, 124 pays et entités territoriales bénéficient de versements de la part de la France.

Parmi les dix premiers bénéficiaires de notre aide figurent, comme les rapporteurs l'ont relevé, la Côte d'Ivoire, le Maroc, l'Égypte, le Sénégal, mais aussi l'Algérie, qui a perçu plus de 140 millions d'euros en 2024.

Ce « partenariat » – les guillemets s'imposent – doit nous conduire à nous interroger, lorsque l'on sait que l'État algérien refuse de coopérer pleinement en ce qui concerne les retours de ses ressortissants ou la délivrance des laissez-passer consulaires, tout en réprimant la liberté d'expression et en muselant les voix dissidentes.

Les cas récents sont éloquents : Boualem Sansal a ainsi été embastillé pendant presque un an pour avoir critiqué le régime ; le journaliste français Christophe Gleizes a été condamné à sept ans de prison pour avoir interviewé un sportif kabyle. Ces arrestations témoignent d'un climat où les libertés sont contraintes, tandis que des régions comme la Kabylie subissent des pressions et des atteintes aux droits individuels et cultuels.

Comment justifier que la France continue de financer un pays où les droits fondamentaux ne sont pas respectés et qui refuse de reprendre ses ressortissants, y compris les plus dangereux ?

Si nous utilisons de l'argent public, c'est-à-dire l'argent des Français, nous devons avoir des exigences fermes, en matière de coopération migratoire, de délivrances de laissez-passer consulaires, de respect des libertés et, si j'osais, je dirais de respect et de réciprocité.

Ce débat n'est pas nouveau. Lors de l'examen de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, le Sénat a adopté des amendements identiques de Muriel Jourda et de moi-même, afin de rétablir la cohérence sur ce sujet. Il s'agissait de permettre de refuser l'octroi de visas de long séjour aux ressortissants de pays ne coopérant pas en matière de délivrance des laissez-passer consulaires, et d'inscrire dans la loi que la politique migratoire de développement devait tenir compte de la lutte contre l'immigration irrégulière.

Nous avions rappelé un fait éclairant : les restrictions de visas décidées en 2021 s'étaient accompagnées d'une multiplication par seize des retours forcés vers l'Algérie, puisque leur nombre était passé de 34 à 557. En moins d'un an, cette politique a fonctionné ; dès lors, son abandon interroge.

Dans un contexte où nous demandons des efforts à tous, il n'est plus acceptable que les États qui refusent de coopérer en matière migratoire bénéficient de l'APD française, sans condition.

Nous devons assumer une politique du donnant-donnant : l'aide doit bénéficier à ceux qui coopèrent et conditionnée, modulée, voire suspendue pour ceux qui refusent.

La mise en œuvre de cette logique est nécessaire, légitime et attendue. L'aide publique au développement doit être plus efficace et plus stratégique. Il s'agit aussi de restaurer l'influence internationale de la France et de faire en sorte que cette politique, rendue utile et cohérente, soit acceptable par nos concitoyens.

Mes chers collègues, la générosité n'interdit pas la lucidité. La solidarité n'exclut pas la responsabilité. La France n'a pas à financer ceux qui refusent de coopérer. Refondons notre politique d'aide sur les principes de clarté, de cohérence, de réciprocité et de respect ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)