Mme la présidente. La parole est à M. Alain Cazabonne. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Alain Cazabonne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis les années 1960, la France entretient une longue tradition d'aide publique au développement.
Avec 14,3 milliards d'euros alloués à cette politique en 2024, soit 0,48 % de son revenu national brut, la France se place au-dessus de la moyenne des pays membres du Comité d'aide au développement de l'OCDE – 0,33 % –, mais en deçà de l'engagement international de 0,7 %.
Cette aide, qui a des retombées positives sur les pays les plus défavorisés, repose sur la conviction que la prospérité et la stabilité des nations sont intrinsèquement liées et que notre avenir commun dépend de notre capacité à œuvrer pour un monde juste et équitable.
Lorsque j'avais 12 ou 13 ans, j'ai entendu un discours du président Kennedy à l'ONU.
M. Rachid Temal. Un grand président !
M. Alain Cazabonne. Oui, un très bon président !
Il terminait son discours par ces mots : si notre société n'est pas capable d'aider la multitude des pauvres, elle ne pourra jamais sauver le petit nombre des riches.
M. Rachid Temal. Cela n'a pas suffi !
M. Alain Cazabonne. Vous voyez que ce problème existe depuis de nombreuses années…
Depuis deux ans, la réduction significative des crédits de la mission « Aide publique au développement » met en péril cette vision. Pour 2026, les crédits demandés au titre de cette mission s'élèvent à 4,43 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 3,67 milliards en crédits de paiement, soit une baisse respective de 13,6 % et de 16,1 %.
En 2021, nous avons voté de manière quasi unanime la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, qui fixe l'objectif de consacrer 0,7 % du RNB à l'aide au développement en 2025. L'échéance a finalement été reportée à 2030 et cet objectif risque, malheureusement, d'être décalé une nouvelle fois.
Je le regrette, car notre politique en matière d'aide au développement s'affiche ainsi ambiguë et ambivalente. Nous adoptons des textes qui portent une ambition forte, mais les crédits que nous votons ensuite chaque année ne sont pas à la hauteur.
Ayant su que, jeune encore, je me destinais à faire de la politique, un pêcheur du bassin d'Arcachon m'a fait cette réflexion : « Quand tu seras "là-haut", tu leur expliqueras que les engagements, les promesses, c'est comme les anguilles, on les prend facilement ; ce qui est difficile, c'est de les tenir ! » Je constate souvent qu'il avait assez raison. (Sourires.)
À l'avenir, si nous devons nous prononcer sur des textes qui définissent des objectifs pluriannuels, nous devrons veiller à nous donner les moyens de les tenir jusqu'au bout.
Bien que je déplore naturellement la diminution sans précédent des crédits de la présente mission, je suis également conscient que nous devons faire face à l'incertitude budgétaire. La France doit faire des économies, le gouvernement actuel s'y est engagé et tous les acteurs doivent contribuer à l'effort national. Nous ne sommes d'ailleurs pas le seul grand pays donateur qui, confronté à des difficultés budgétaires, a réduit le montant de ses engagements internationaux.
C'est aussi dans ce contexte que nous attendons la première évaluation de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, instaurée par la loi du 4 août 2021, puisque ses modalités de fonctionnement ont été fixées, par décret, début 2025. (Mme Nathalie Goulet s'exclame.)
M. Rachid Temal. Quatre ans après !
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Alain Cazabonne. Cette commission aura un rôle éminent…
M. Rachid Temal. Une blague !
M. Alain Cazabonne. … à jouer pour l'avenir budgétaire de l'APD et aurait pu partager son expertise sur la hausse, puis la contraction des moyens destinés à cette politique.
Naturellement, le groupe Union Centriste votera ces crédits.
M. Rachid Temal. Tout ça pour ça ? C'était bien, sauf la fin… Kennedy a bien changé ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Ruelle. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Luc Ruelle. Madame le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rarement une mission aura subi en si peu de temps des réductions aussi brutales que celles qui sont imposées à l'aide publique au développement.
Après les coupes successives de 2024 et 2025, c'est la troisième année où la France se détourne de la trajectoire fixée par la loi de programmation du 4 août 2021.
Quatre ans après son adoption, le constat est d'ailleurs sévère : moins d'un tiers des dispositions prévues ont été mises en œuvre, les outils de coordination, de transparence et d'évaluation restent inaboutis et le rapport annuel n'a été transmis que deux fois.
Les baisses prévues dans ce budget sont extrêmement préoccupantes. Derrière ces lignes budgétaires, ce sont des vies, des programmes essentiels pour la santé, l'éducation, l'accès à l'eau, qui sont menacés. C'est aussi un signal de retrait envoyé à nos partenaires, mais surtout à nos concurrents.
L'aide publique au développement est non pas un luxe idéologique, mais un outil de stabilité, d'influence et de présence internationales. Au moment où les États-Unis ont suspendu une grande partie de leurs programmes, où le Royaume-Uni a considérablement diminué les siens, la France devrait consolider sa position. Au contraire, notre recul progressif ouvre un espace géopolitique dont d'autres puissances s'emparent sans hésiter – pays du Golfe, Russie… –, sans compter des acteurs privés qui refaçonnent les équilibres dans des régions essentielles à notre sécurité collective.
Se priver de cet outil d'influence, c'est accepter que demain, dans le Sahel, dans la Corne de l'Afrique, au Proche-Orient, dans l'Indo-Pacifique, d'autres imposent leurs normes, leurs réseaux, leurs récits, leurs intérêts, au détriment des nôtres.
C'est pourquoi je me félicite que Dominique de Legge ait déposé des amendements visant à limiter ces coupes et à rétablir une cohérence stratégique ; je les soutiendrai. J'y insiste, ces amendements n'ont aucun impact budgétaire : ils ont seulement pour objet de redéployer des crédits très limités à l'échelle de la mission, mais qui sont déterminants pour les organisations de solidarité internationale. Par cohérence, j'appelle à ne pas voter les amendements qui auraient pour effet de réduire encore davantage les crédits de cette mission.
Affaiblir l'aide publique au développement, ce n'est pas seulement réduire un effort de solidarité ; c'est renoncer à un outil stratégique de politique étrangère.
M. Guillaume Chevrollier. Tout à fait !
M. Jean-Luc Ruelle. C'est surtout prendre le risque d'un retrait, dont le coût futur en matières sécuritaire, économique, humaine, sera bien supérieur aux économies immédiates. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en trois minutes, je ne pourrai rien faire d'autre que livrer un témoignage.
J'ai passé dix ans à la commission des affaires étrangères. J'ai donc vu évoluer les tentatives d'évaluation de notre aide publique au développement, notamment avec les nombreux amendements de l'excellent président d'alors, Christian Cambon, qui essayait désespérément d'agir en ce sens.
Monsieur le ministre, je ne fais pas du tout partie de ceux qui estiment qu'il faut travailler sur « la Corrèze avant le Zambèze ». En revanche, il faut beaucoup mieux évaluer et cibler notre action.
Aussi, je vous propose de mieux travailler, par le biais de la coopération décentralisée, sur un sujet cher au groupe Union Centriste, en particulier à Raphaël Daubet, président de la commission d'enquête créée à cet effet : la criminalité organisée. À ce titre, l'État doit lutter plus efficacement contre les filières d'émigration clandestine : 50 millions de victimes, 150 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 5 milliards à 7 milliards d'euros de blanchiment en Europe.
Nous devons également faire porter nos efforts sur la lutte contre la contrefaçon, qui représente 2,5 % du commerce mondial, soit 467 milliards d'euros, et ne concerne pas uniquement Gucci ou Prada. Nous sommes bientôt à Noël, nous parlons donc des jouets, mais encore des médicaments, des pièces détachées pour les automobiles ou les avions. Évidemment, je ne peux passer sous silence le narcotrafic et le trafic d'or, qui pourrit l'Afrique. Rien que l'année dernière, on a dénombré plus de 2 569 tonnes d'or africain trafiquées. À 100 ou 120 euros le gramme, cet argent fait beaucoup de dégâts autour de lui.
Je reviens à la lutte contre le narcotrafic. Je proposerai tout à l'heure un amendement visant à flécher des crédits vers la lutte contre la criminalité organisée.
Enfin, monsieur le ministre, comme je l'ai dit au début de mon intervention, je vous propose de mieux mettre à contribution la coopération décentralisée. Là, nous pouvons cibler des opérations avec la quasi-certitude d'avoir en face de nous un interlocuteur digne de confiance.
Je conclus en évoquant la coopération avec les fondations privées, telles que la Gates Foundation ou la Clinton Foundation, structures dont les moyens dépassent parfois ceux des États. Sur ce point, nous pouvons faire beaucoup plus en France. Certes, il faut mettre le drapeau français partout où nous intervenons, mais ces fondations ont une force de frappe, une liberté, une souplesse et une réactivité que l'État n'a peut-être pas.
Il ne s'agit donc pas forcément de demander plus de moyens : nous voulons surtout plus de contrôle et plus d'évaluation. Un opérateur d'État n'est pas un Ovni dans notre organisation financière et budgétaire ; il doit rendre des comptes – et c'est bien ce que nous essayons de mettre en place aujourd'hui.
Puisque nous avons le dos au mur en ce qui concerne nos moyens budgétaires, nous espérons que cette nouvelle forme d'évaluation permettra plus d'efficacité. C'est, en tout cas, ce qu'espèrent les membres du groupe UC, qui voteront ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Else Joseph. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Else Joseph. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Aide publique au développement » se trouve à l'intersection entre les préoccupations internationales et les enjeux nationaux : d'un côté, un contexte marqué par un recul de l'aide publique au développement et le désengagement des États-Unis, de l'autre, une situation nationale qui exige un effort de redressement des finances publiques.
Malgré une baisse de l'aide au développement dans le monde entier, particulièrement en Europe, la France reste le cinquième bailleur de fonds et sa générosité est exceptionnelle dans un contexte compliqué.
Cette tradition de soutien, la France l'honore, mais se trouve confrontée à des choix.
Dans tous les cas, c'est la souveraineté de la France qui est en jeu, car des finances publiques dégradées nuisent aussi à son indépendance. L'action de la France doit cependant être préservée et la diplomatie d'influence prendre toute sa place.
Pour autant, la quadrature du cercle face à laquelle nous sommes doit devenir cercle vertueux.
La voix de la France reste entendue et même attendue.
Notre aide doit se faire en fonction de priorités stratégiques et géographiques. Nous ne pourrons pas aider tout le monde. Aussi, il convient d'identifier et d'anticiper ce qui est vraiment prioritaire. Nous aurons besoin de visibilité, tout en gardant une certaine confidentialité.
Monsieur le ministre, comment réorienter habilement et efficacement l'aide publique au développement, si cela est vraiment nécessaire ? Comment définir les priorités dans un monde où celles-ci sont nombreuses et où il faut trancher ? Comment associer le Parlement, dans un domaine fortement soumis à l'exécutif et nécessairement présidentialisé ? Un dialogue avec les assemblées est nécessaire, particulièrement avec le Sénat, qui suit tout ce qui se passe dans le monde. En témoigne l'activité soutenue de nos groupes d'amitié.
Il y a bien sûr la question des moyens.
La réorganisation de l'Agence française de développement (AFD) est sur la table. Cet organisme constitue un acteur majeur de notre politique de coopération et de développement. Comment l'aider à s'interroger sur son modèle, à la lumière de ce qu'ont dit nos rapporteurs, notamment sur son pilotage, qui semble insuffisant ?
Le programme 110 « Aide économique et financière au développement » retrace les crédits confiés à Bercy pour la mise en œuvre de l'aide publique au développement. Ils sont en baisse.
La diminution se fait sous contrainte, car les engagements pluriannuels doivent être respectés. La gestion devient complexe et sensible, puisqu'il y a des restes à payer.
Enfin, l'aide humanitaire est un sujet aussi sensible. Elle subit une baisse, mais les économies ne sont jamais garanties lorsque survient une crise internationale et que notre pays vient au secours de réfugiés à travers le monde.
L'aide publique au développement reste l'une des voix de la France. Notre action dans ce domaine doit être préservée, mais également réorientée. C'est cela qui est en jeu.
Monsieur le ministre, comment faire des économies tout en étant prêt à intervenir en cas de crise grave dans une région du monde ? Comment préserver des marges d'action en cas d'urgence ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères fait beaucoup avec peu de moyens. Nous animons l'un des réseaux diplomatiques les plus importants du monde par son envergure, avec l'équivalent de la dotation de l'Opéra de Paris et avec les effectifs de la métropole de Toulouse.
Ce ministère est au rendez-vous, lorsqu'il s'agit de redresser les comptes publics.
M. Rachid Temal. Ah !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Nous sommes en effet convaincus que notre capacité d'influence à l'extérieur dépend de la force de nos muscles à l'intérieur, en particulier de notre muscle budgétaire.
C'est la raison pour laquelle, sollicités par le Premier ministre, nous nous sommes tenus aux objectifs qui nous avaient été fixés. Nous ferons notamment 435 millions d'euros d'économies sur le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » par rapport à la loi de finances initiales pour 2025, ce qui représente un tiers des dépenses pilotables. C'est en tout cas le projet de budget que nous vous soumettons.
Certains d'entre vous l'ont souligné, nous pouvons espérer que les moyens de ce ministère, en particulier ceux de l'aide publique au développement, puissent, le moment venu, lorsque les difficultés financières auront été surmontées, se reconstituer de manière à permettre à la France de retrouver une forme d'influence. Cependant, l'honnêteté m'oblige à vous dire, au moment où s'ouvrent nos débats, que des coupes supplémentaires qui pourraient être examinées ici emporteraient inévitablement des conséquences de taille.
M. Rachid Temal. Comme l'an dernier !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. L'aide publique au développement est une responsabilité particulière de la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Pour des raisons de morale autant que de statut, notre pays a vocation à agir dans le champ humanitaire et dans l'aide au développement. C'est aussi une manière pour la France de défendre ses intérêts en matière migratoire, de lutter contre la criminalité organisée et le narcotrafic, de développer son attractivité et l'accès à d'autres marchés ou encore de prévenir et de lutter contre les pandémies.
Il est illusoire de considérer que seules des réponses nationales peuvent protéger les Françaises et les Français de risques liés aux épidémies, au trafic de drogue ou au terrorisme.
Notre capacité à endiguer ces menaces dépend des leviers d'action dont nous disposons et l'aide publique au développement, entendue au sens large, est …
M. Rachid Temal. En baisse !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. … sans doute le principal de ces leviers.
Vous avez déjà souligné, monsieur le sénateur, que ces moyens étaient en baisse et je souhaite expliquer pourquoi des baisses supplémentaires entraîneraient des conséquences très lourdes.
Les crédits de la mission « Aide publique au développement », qu'il vous est proposé d'adopter, s'élèvent pour 2026 à 3,7 milliards d'euros en crédits de paiement, ce qui représente une baisse significative de 700 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2025, …
M. Rachid Temal. Après 2 milliards !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. … et de 2 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2024.
Comment ces 700 millions d'euros sont-ils répartis ? Nous prévoyons une baisse de 435 millions d'euros, soit environ 60 % de la baisse totale, sur le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », de 223 millions d'euros sur le programme 110 « Aide économique et financière au développement » et de 45 millions d'euros sur le programme 365 « Renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement ».
Ainsi, la ventilation des 435 millions pris sur le programme 209, ce qui représente une baisse de 25 % de ses crédits, a été établie selon une méthode que j'ai eu l'occasion de présenter devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Nous donnons la priorité aux dépenses d'investissement sur les dépenses de fonctionnement. Au sein des dépenses de fonctionnement, nous donnons la priorité au ministère sur les opérateurs et aux opérateurs sur les contributions. Au sein des contributions, nous donnons la priorité aux contributions bilatérales sur les contributions multilatérales.
Cela se traduit par une diminution de 206 millions d'euros des fonds consacrés à l'aide humanitaire, de 116 millions d'euros de la contribution versée à l'Agence française de développement et de 55 millions d'euros destinés au fonds Équipe France (FEF) – je précise qu'il s'agit d'un fonds mis à la disposition des ambassadrices et des ambassadeurs pour mettre en œuvre des projets en fonction de nos intérêts et, évidemment, des particularités des pays dans lesquels ils nous représentent.
C'est donc une économie très importante qui est demandée au programme 209. Si nous allions plus loin, nous risquerions de nous heurter à plusieurs écueils.
D'abord, puisque nous avons déjà demandé à l'AFD toutes les économies possibles dans le champ de ses dépenses pilotables, nous serions conduits à retirer aux ambassadrices et aux ambassadeurs leurs moyens d'action, le fameux FEF, qui leur permettent, par exemple au Brésil, de lancer un programme de coopération dans la lutte contre l'immigration clandestine ou, en Colombie, d'accompagner un projet de soutien à la réforme rurale pour lutter contre le narcotrafic. Nous les priverions du levier qui leur permet d'exercer de manière déconcentrée leurs fonctions de chef de poste.
Ensuite, nous serions obligés de réduire encore les moyens de notre aide humanitaire. Ce serait moins d'aide humanitaire pour Gaza, pour l'Ukraine, pour le Soudan, pour la République démocratique du Congo, pour le Liban et la Syrie, pour l'Arménie, pour le Sénégal ou pour Madagascar. Ces reculs constitueraient bien évidemment une atteinte à notre influence dans ces pays, puisque, comme d'aucuns l'ont rappelé, là où nous nous retirons, d'autres viennent prendre notre place.
Enfin, si des économies supplémentaires étaient demandées, non seulement nous devrions retirer des instruments de financement à nos ambassadrices et nos ambassadeurs, non seulement nous serions amenés à baisser nos contributions à l'aide humanitaire, quand se multiplient les foyers de crise, mais, en plus, nous serions obligés d'éteindre ou presque le guichet qui permet aux ONG de financer leurs projets d'aide au développement, alors que 10 000 emplois sont d'ores et déjà en jeu dans de grandes institutions comme Médecins du Monde, Handicap International ou Forum Réfugiés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il nous faut veiller à ne pas déstabiliser un édifice qui s'est d'ores et déjà rationalisé pour répondre à la demande d'économies qui lui a été faite.
Vous le savez, l'aide publique au développement en dons, c'est-à-dire le programme 209, est désormais beaucoup plus orientée et ciblée pour atteindre les objectifs fixés par le Gouvernement : la lutte contre la criminalité organisée, la lutte contre la désinformation, en tout cas contre les atteintes portées dans le champ des perceptions contre l'image de la France, la lutte contre l'immigration irrégulière.
De surcroît, l'aide publique au développement en dons est désormais contrôlée, puisque la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, dont la création a été votée, sur votre initiative, lors de l'examen de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, est désormais constituée. Le Sénat y est représenté par Marie-Arlette Carlotti et Hugues Saury, elle se réunira le 17 décembre prochain.
M. Rachid Temal. Quatre ans après !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Bien sûr, il y a encore des progrès à faire en matière d'évaluation et de pilotage de l'aide publique au développement, mais nous avons besoin de cet instrument pour préserver non seulement la capacité de la France à rayonner, mais aussi son aptitude à défendre les intérêts de nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. François Patriat applaudit également.)
aide publique au développement
Mme la présidente. Nous allons procéder à l'examen des crédits de la mission « Aide publique au développement », figurant à l'état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission / Programme |
Autorisations d'engagement |
Crédits de paiement |
Aide publique au développement |
4 426 081 560 |
3 669 036 500 |
Aide économique et financière au développement |
1 352 435 000 |
1 289 107 524 |
Renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement |
100 000 000 |
100 000 000 |
Solidarité à l'égard des pays en développement |
1 129 960 856 |
1 541 928 976 |
Restitution des « biens mal acquis » |
0 |
0 |
Fonds de solidarité pour le développement |
1 843 685 704 |
738 000 000 |
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° II-1, présenté par M. Husson, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d'engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Aide économique et financière au développement |
|
100 000 000 |
|
100 000 000 |
Renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement |
|
|
|
|
Solidarité à l'égard des pays en développement |
|
100 000 000 |
|
100 000 000 |
Restitution des « biens mal acquis » |
|
|
|
|
Fonds de solidarité pour le développement |
|
|
|
|
TOTAL |
|
200 000 000 |
|
200 000 000 |
SOLDE |
- 200 000 000 |
- 200 000 000 |
||
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. De nombreux orateurs ont déjà évoqué cet amendement de la commission des finances visant à réaliser une économie supplémentaire de 200 millions d'euros sur deux des programmes qui touchent l'aide publique au développement.
Monsieur le ministre, vous nous parlez de risque d'affaiblissement. Nous avons aujourd'hui le choix entre laisser la France s'affaiblir par la dégradation dramatique des comptes de notre pays et ne plus être en mesure, demain ou après-demain, de financer quoi que ce soit et faire en sorte de cibler notre action pour que la France puisse continuer de rayonner en conservant sa capacité d'influence. Certains d'entre vous, mes chers collègues, ont semblé se ranger derrière la commission, ce dont je les remercie.
Enfin, monsieur le ministre, je vous propose d'essayer d'améliorer les relations entre votre ministère et Bercy pour que vous soyez en mesure d'apporter au Parlement des éléments objectifs sûrs, ce qui évitera de provoquer des tensions au sein de nos assemblées. Il y va de notre responsabilité collective.
Mme la présidente. L'amendement n° II-858 rectifié, présenté par MM. Mellouli, Gontard, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus et Fernique, Mme Guhl, M. Jadot, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d'engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Aide économique et financière au développement |
|
700 000 000 |
|
700 000 000 |
Renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement |
|
|
|
|
Solidarité à l'égard des pays en développement |
700 000 000 |
|
700 000 000 |
|
Restitution des « biens mal acquis » |
|
|
|
|
Fonds de solidarité pour le développement |
|
|
|
|
TOTAL |
700 000 000 |
700 000 000 |
700 000 000 |
700 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
||
La parole est à M. Akli Mellouli.
M. Akli Mellouli. Je ne comprends pas pourquoi cet amendement est en discussion commune avec celui de la commission des finances, puisqu'il vise à augmenter le budget de 700 millions euros. Je précise que je le retirerai sans doute au profit de l'amendement n° II-1699 de Ronan Dantec.
Je me suis rendu sur le terrain avec Bernard Jomier – pour parler d'un sujet, il est bon d'aller voir sur place comment les choses se passent. Ainsi, nous avons pu constater le travail accompli au Kenya contre les épidémies, ainsi que les moyens mobilisés. Un euro investi dans l'aide au développement a un effet de levier de 12 euros. Par conséquent, retirer 1 euro de l'APD revient en réalité à priver les bénéficiaires de l'aide de 12 euros. Il faut bien prendre la mesure de ce que nous votons. Aujourd'hui, 26 millions de personnes sont menacées de maladies graves.
Je le répète, depuis le covid, chacun sait que les virus ne connaissent ni barrière ni frontière. J'appelle donc mes collègues à retrouver leur part d'humanité et de responsabilité, pour éviter que ces épidémies ne se propagent à notre pays. En protégeant les autres, c'est nous-mêmes que nous protégeons.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Michel Canévet, rapporteur spécial. La commission émet évidemment un avis favorable sur l'amendement du rapporteur général et un avis défavorable sur l'amendement de M. Mellouli, qui en est le contrepoint.
Tout à l'heure, M. Mellouli a déclaré qu'il s'agissait d'une baisse sans précédent. Non. Nous sommes encore au-dessus des crédits consacrés à l'aide publique au développement en 2017. Ce n'est donc pas sans précédent.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je tiens à éclairer le Sénat avant qu'il ne s'apprête à voter.
Le ministère a montré toute sa bonne volonté à participer au redressement des finances publiques. En pourcentage de son budget, qui, je le disais, n'est pas très important, il figure parmi les ministères qui ont restitué le plus dans cet exercice budgétaire.
Pour l'année à venir, concernant la mission « Aide publique au développement » au sens large, ce sont déjà 700 millions d'euros qui sont rendus.
Lorsque ces économies nous ont été demandées, nous avons cherché où des gisements pouvaient se trouver.
En particulier, nous avons imaginé pouvoir, au moins temporairement, le temps que les comptes publics se redressent, chercher ces économies du côté de l'Agence française de développement (AFD), l'opérateur qui a la responsabilité de la mise en œuvre de la politique de développement. Nous sommes donc allés au bout de ce qui est pilotable au sein de l'AFD, en réduisant ses crédits de 116 millions d'euros, sur les 435 millions d'euros pris sur le programme 209.
Pour tout dire, jamais je n'aurais prélevé 206 millions d'euros d'économies sur l'aide humanitaire, si j'avais pu le faire sur un autre poste – je n'ai pas trouvé.
C'est pourquoi, après avoir sollicité des économies sur l'AFD, sur le fonds Équipe France, qui est à la main des ambassadrices et des ambassadeurs, tout en maintenant une capacité – certes modeste, mais pas nulle – pour eux d'agir, je n'ai eu d'autre choix que de rendre des crédits qui auraient dû être destinés à l'aide humanitaire.
Autant dire que nous avons fait, en quelque sorte, tous les fonds de tiroirs de ce programme 209. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement de la commission des finances, même si je comprends bien que le rapporteur général cherche dans toutes les missions les économies disponibles.