Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Ma chère collègue, votre groupe avait déposé en première lecture une motion analogue ; la réponse de la commission ne vous surprendra donc pas.
Vous avez plusieurs fois affirmé qu'il fallait sauver notre modèle de protection sociale. Et, si nous devions voter sur ce seul point, nous serions unanimes : nous voulons tous le sauver !
Mais s'agit-il encore, aujourd'hui, d'un « modèle » ? On peut, au fond, remettre ce terme en cause, parce que ce modèle – tel qu'il avait été pensé – reposait sur des conditions bien particulières.
Or la situation a complètement changé. D'abord, les départs à la retraite étaient plus tardifs, et le temps passé à la retraite plus court. Ensuite, le taux de natalité a baissé au niveau que nous connaissons, si bien que la population active diminue encore. Quand, il y a quelques mois, nous parlions de 1,6 actif pour un retraité, nous sommes désormais à 1,4 – et ce taux continue de chuter.
En réalité, il faut parler non plus d'un « modèle » social français, mais d'un « système ». Et ce système, lui, doit être entièrement revu.
Si l'on devait mesurer notre système social au thermomètre de votre appréciation, c'est vrai : cela ne donnerait pas envie. Pourtant, de l'extérieur, beaucoup nous disent que le modèle français n'est tout de même pas si mauvais, j'en veux pour preuve que certains viennent se faire soigner en France. Il convient donc de tenir des propos mesurés et de se garder de la caricature.
Selon l'article 44 du règlement du Sénat, l'objet d'une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité est « de faire reconnaître que le texte en discussion […] est contraire à une disposition constitutionnelle ». Or les trois arguments à l'appui de votre thèse d'une inconstitutionnalité du PLFSS pour 2026 ne sont pas convaincants.
Le premier est le fait que la fixation du taux de croissance de l'Ondam à 3 % remettrait en cause le droit à la protection de la santé, reconnu par l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946. Or ce taux de 3 % correspond peu ou prou à ce qui est observé depuis vingt ans, comme je l'ai rappelé. Cela équivaut, sur une longue période, à une augmentation de l'Ondam au même niveau que celle du PIB en valeur. Je rappelle, en outre, que la France est le quatrième pays où les dépenses de santé, en proportion du PIB, sont les plus élevées. On ne peut donc pas dire qu'il y ait la moindre remise en cause.
Le deuxième argument, qui concerne la contribution exceptionnelle de 1 milliard d'euros, reviendrait à fragiliser le principe même d'une prise en charge par l'employeur, ce qui ne paraît pas justifié.
Enfin, sur le troisième argument, qui porte sur le décalage d'une génération de la réforme des retraites, nous avons suffisamment exprimé, les uns et les autres, nos désaccords.
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 116 :
| Nombre de votants | 344 |
| Nombre de suffrages exprimés | 263 |
| Pour l'adoption | 18 |
| Contre | 245 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a déposé une motion tendant à opposer la question préalable au présent texte.
Certains y verront une manière de clore rapidement un débat épuisé. Cependant, fidèles à leur tradition, les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen ne la voteront pas, privilégiant le débat, comme à chaque fois, car c'est ainsi que le Parlement exerce pleinement sa mission.
Certes, des divergences, qualifiées d'insurmontables par Mme la rapporteure générale, subsisteraient : l'augmentation de la contribution sociale généralisée sur le capital, la suppression du gel des prestations ou encore la suspension de la réforme des retraites, caprice symbolique. Ces désaccords expliquent largement l'impasse dans laquelle nous nous trouvons.
Mais ce texte comporte aussi d'importants points d'accord et des avancées concrètes. Je pense, en particulier, au renforcement de la prévention en matière de vaccination, ainsi qu'aux mesures visant à encourager l'installation des médecins dans les zones sous-denses. C'est également le cas du maintien de l'exonération de cotisations salariales des revenus des apprentis et de la préservation des tickets-restaurant, chèques-vacances et autres avantages sociaux et culturels, qui n'ont pas été soumis à une hausse de la fiscalité.
Nous saluons, par ailleurs, l'instauration du congé supplémentaire de naissance, ainsi que les mesures destinées à mieux reconnaître les carrières des femmes dans le calcul des pensions. Voilà autant de dispositions qui, modestement, mais concrètement, amélioreront la vie de nos concitoyens.
L'Ondam, quant à lui, progresse de 3 %. Nous ignorons encore comment cet effort significatif sera financé, mais il faut reconnaître que ce soutien supplémentaire, notamment pour nos hôpitaux, est nécessaire pour faire face au coût élevé des progrès médicaux.
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen n'ignore pas les limites du texte, qu'il s'agisse de la version issue de l'Assemblée nationale ou de celle du Sénat. Dans sa grande majorité, il ne cautionne ni l'une ni l'autre.
Nous regrettons, par exemple, le rétablissement du réseau France Santé, dont l'utilité reste incertaine, ou encore la suppression de la taxe sur les sucres ajoutés dans les produits destinés aux très jeunes enfants.
Cependant, nous sommes aussi conscients du fait que notre responsabilité est de permettre à la France de ne pas commencer l'année 2026 sans loi de financement de la sécurité sociale, sans visibilité et avec un déficit hors de contrôle.
Cet impératif prend une dimension particulière cette année, alors que nous célébrons les 80 ans de la sécurité sociale. Quatre-vingts ans d'un pacte républicain, qui a permis d'apaiser les fractures sociales, de protéger les familles, d'accompagner ceux qui vivent la maladie, le handicap, la vieillesse. Il s'agit d'un modèle né d'un esprit de reconstruction et d'un immense élan de solidarité nationale, qui doit continuer à nous inspirer.
Toutefois, ce modèle est aujourd'hui en danger. Comme le rappelait Aristide Briand, « la politique est l'art de concilier le désirable avec le possible ». Or cet exercice est, aujourd'hui, plus exigeant que jamais. Le déficit des comptes sociaux reste abyssal, mais une absence de texte nous conduirait vers une loi spéciale et un manque de 30 milliards d'euros.
Je le répète : ce budget n'est pas parfait, mais il garantit l'essentiel : la continuité des prestations, la capacité de notre système de santé à être financé et un déficit ramené à 19,4 milliards d'euros, ce qui est loin d'être satisfaisant, mais ce qui reste toujours mieux que l'incertitude et l'errance budgétaire.
Mes chers collègues, ce que nous défendons aujourd'hui, c'est la continuité de notre modèle social, dans un cadre budgétaire imparfait, mais nécessaire.
L'Assemblée nationale s'engage sur la voie de la sagesse ; voilà qui mérite d'être encouragé…
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour saluer le travail de la commission des affaires sociales et de sa rapporteure générale, Élisabeth Doineau. Notre collègue a été à l'initiative d'un travail précis, didactique, pédagogique, animé par une pointe d'humour so british, sérieuse, sans se prendre au sérieux. Ainsi, chaque sénatrice et sénateur dispose d'un niveau d'information sur le PLFSS de nature à permettre un débat sérieux et argumenté. Merci, chère Élisabeth Doineau.
Mes chers collègues, mettons fin au suspense : le groupe Union Centriste votera la motion tendant à opposer la question préalable. En effet, pourquoi poursuivre un débat stérile, dont le scénario est écrit d'avance et qui aurait, au fond, un parfum d'obstruction ? Ce n'est pas conforme à l'esprit de responsabilité cher au Sénat, à sa majorité et au groupe Union Centriste, qui est notre marque de fabrique.
Cette question préalable n'est donc ni un renoncement ni une esquive ; elle est la condition d'une fin de parcours maîtrisée et lisible pour tous. Il s'agit, selon nous, d'un choix responsable, l'objet de cette discussion générale étant précisément de rendre publique la position de chaque groupe sur ce PLFSS.
C'est d'ailleurs dans cet esprit de responsabilité que nous avons travaillé, dès le premier trimestre 2025. Sous l'impulsion de notre président Gérard Larcher, le Sénat a ainsi élaboré des propositions, présentées au Premier ministre de l'époque, François Bayrou, en juillet dernier. C'est sur cette base responsable que le Sénat et sa majorité ont conduit les débats lors de la première lecture du PLFSS.
Quels étaient nos convictions, nos principes, nos boussoles, madame la ministre ? Il est bon de le rappeler.
Le premier principe est la nécessité de la régulation et de la maîtrise de la dépense sociale, notamment de santé et de retraite, car elle ne peut continuer de croître plus vite que notre produit intérieur brut, sous peine d'appauvrir le pays, mais aussi les Françaises et les Français. Il convient de garder à l'esprit que la France a le plus haut niveau de dépenses publiques et sociales de l'OCDE. Ce niveau excessif finit par étouffer le pays, par désespérer les entrepreneurs et les créateurs, par remettre en cause le consentement à l'impôt et aux taxes et, finalement, par fragiliser – c'est tout le paradoxe – la sécurité sociale. Cela est de nature à compromettre notre avenir et risque de nous rendre incapables de faire face aux menaces extérieures.
Le deuxième est de limiter les déficits du PLFSS à quelque 17 milliards d'euros, dont je rappelle qu'il s'agit de l'objectif initial du Gouvernement. Cela équivaut tout de même à plus de 500 euros de déficit pour chacun des 30 millions de foyers français.
Le troisième principe est de refuser, toujours au nom de l'esprit de responsabilité, l'augmentation de la dette, ou plutôt son utilisation comme variable d'ajustement.
Enfin, le quatrième principe est de considérer que la France ne peut s'en sortir que si nous créons plus de richesses, ce qui passe inéluctablement par l'investissement et l'augmentation de la quantité de travail, d'où la proposition de douze heures supplémentaires de travail par an, rémunérées et faisant l'objet de cotisations. Tels sont, en quelques mots, les piliers du PLFSS voté par le Sénat et transmis à l'Assemblée nationale.
Disons-le clairement : la version votée par cette dernière chambre, fruit du fameux compromis, surtout vanté par le Gouvernement et le parti socialiste, est de nature totalement différente. Sur ce sujet, nous avons mené, en commission des affaires sociales, un débat honorable et intéressant, où chacune et chacun s'est exprimé selon ses convictions.
Annie Le Houerou a vanté les mérites du PLFSS transmis au Sénat en nouvelle lecture, saluant la suspension de la réforme des retraites, l'augmentation de la CSG sur certains revenus du capital et l'abandon de l'année blanche. Bref, une forme d'appel à la dépense sur tous les tons, chaque prodigalité obtenue étant brandie par les socialistes comme une victoire, chaque largesse concédée par le Gouvernement étant revendiquée comme un progrès et une avancée décisive vers le compromis.
C'est sans doute ce même constat qui a fait dire à Raymonde Poncet Monge en commission, sans ambages, mais toujours avec sincérité, que si son camp avait gagné la bataille des dépenses, il avait perdu celle des recettes, justifiant ainsi l'abstention gênée du groupe Écologiste et Social à l'Assemblée nationale.
Ce constat étant terriblement juste, la conclusion à en tirer devient donc lumineuse : la vraie bataille perdue lors de l'examen de ce PLFSS, c'est celle du déficit et de la dette. Or le problème, et je le dis avec gravité, est qu'elle est perdue non par un groupe politique, mais par la France et les Français.
En réalité, la chanson socialiste que le Gouvernement met en musique, c'est celle-ci : « Dépensons, dépensons : nos enfants paieront ! » (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Oui, mes chers collègues, c'est bien de cela qu'il s'agit, de manière aussi crue : dépensons, dépensons, nos enfants paieront ! Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, avec ses 24 milliards d'euros de déficit, car c'est là le vrai montant, équivaut à plus de 700 euros de dette supplémentaire par foyer français sur une année.
Ce PLFSS, qui tend à faire croire aux Français qu'il ne faut pas produire plus pour faire face aux réalités démographiques et au vieillissement, est en réalité une victoire à la Pyrrhus qui annonce, je le crains, de lourdes défaites à venir et de gros nuages noirs : les questions budgétaires, une crise financière, qui se produira un jour ou l'autre, et la fragilisation de la sécurité sociale. (Mme Laurence Harribey s'exclame.)
Parce que nous refusons de chanter avec vous : « dépensons, dépensons, nos enfants paieront », nous n'irons pas plus loin dans le débat et voterons la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte.
Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, depuis toujours, le groupe Les Indépendants – République et Territoires compte, parmi ses priorités, la préservation de notre système de protection sociale, unique au monde.
Malheureusement, au regard du budget voté mardi par l'Assemblée nationale, il est évident que c'est la survie même de ce système qui est en jeu. En effet, le déficit consenti par les députés n'offre aucune perspective de redressement : on se contente de ralentir la dégradation, sans jamais l'enrayer.
Certes, ce déficit est inférieur aux 24 milliards d'euros votés en première lecture. Mais cette amélioration n'est qu'une illusion : elle tient à un simple transfert budgétaire de 4,5 milliards d'euros vers l'État. Cela ne règle rien et, de toute façon, il faudra bien combler ce trou dans le cadre du projet de loi de finances.
Dans tous les cas, nous restons très loin des 14,6 milliards d'euros proposés par le Sénat.
Nous remercions Mme la rapporteure générale et l'ensemble des rapporteurs de branche pour leur travail considérable.
Les choix opérés par une majorité de députés se traduisent mécaniquement par plus de dépenses et plus de prélèvements, mais n'aboutissent pas à une réforme structurelle permettant d'améliorer durablement nos comptes sociaux. Ainsi, la solution miracle adoptée consiste à dépenser plus. Certains s'en réjouissent, d'autres s'en consolent. C'est navrant.
En ce qui nous concerne, nous avons de quoi être profondément désarçonnés. Ces dernières semaines, nous avons constaté : la suspension de la réforme des retraites, la création d'une surtaxe sur les plans d'épargne en actions (PEA), les comptes-titres et certains livrets bancaires, la suppression de l'augmentation du temps de travail rémunéré, la suppression du gel des minima sociaux et un quasi-doublement de l'Ondam, certes bienvenu, mais sans financement correspondant.
La question qui s'impose est simple : comment ces mesures seront-elles financées ? La réponse l'est tout autant : elles ne le seront pas.
Nous accumulons des dépenses nouvelles, alors que nos recettes stagnent. Le déficit cesse d'être un accident pour devenir un mode de fonctionnement. Espérons qu'il ne devienne pas une tradition.
L'approche que nous avions défendue était pragmatique et rationnelle : commencer par examiner quelles dépenses peuvent être réduites ou optimisées, avant de décider d'augmenter les prélèvements.
Mes chers collègues, interrogeons-nous. Pourquoi, en France, avons-nous ce réflexe pavlovien d'ajouter des taxes dès que les dépenses deviennent incontrôlables ?
Notre pays est déjà l'un des champions mondiaux des prélèvements obligatoires. Chacun sait que ces derniers finissent par asphyxier la croissance et, mécaniquement, les recettes mêmes que l'on cherche à augmenter.
Nous avons bien conscience que la réduction des dépenses, à elle seule, ne suffit pas : il est indispensable d'agir sur les recettes.
C'est la raison pour laquelle nous avions proposé une augmentation du temps de travail rémunéré. C'était une solution plus équilibrée : davantage de revenus pour les Français, davantage d'activité pour les entreprises, davantage de recettes pour la sécurité sociale. Cette logique est bien plus vertueuse que le recours obsessionnel à de nouveaux prélèvements.
Nous sommes également ouverts à un débat sur la TVA sociale.
Au-delà de ces propositions et de ces ajustements, il est temps de recouvrer la vue et de fixer un cap clair. Allez savoir pourquoi, tout cela me rappelle La Guerre des boutons. Désolée, c'est mon côté un peu décalé, mais loin de moi l'idée de dire « si j'aurais su, j'aurais pas venu ». (Sourires. – Mme Laure Darcos applaudit.)
Par principe, nous ne votons pas les motions tendant à opposer la question préalable, car nous privilégions toujours le débat parlementaire et refusons de réduire le rôle du Sénat dans le processus d'élaboration du budget. Cependant, au vu du contexte inédit dans lequel nous nous trouvons, la majorité des membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires s'abstiendront.
Mes chers collègues, je ne vous surprendrai pas en disant ceci : nous serons dans une situation très aggravée l'année prochaine.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. C'est une certitude !
Mme Marie-Claude Lermytte. Il faut prendre les choses comme elles sont, car on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités, disait le général de Gaulle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, dans un contexte où notre système de protection sociale traverse des défis majeurs, le groupe Les Républicains du Sénat a pris ses responsabilités, en première lecture, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Avec rigueur, lucidité et sens de l'intérêt général, nous avons profondément amélioré le texte initial et je veux aujourd'hui rappeler clairement notre position.
Nous avons contribué à restaurer la crédibilité budgétaire de ce projet de loi. Alors que la version issue de l'Assemblée nationale creusait le déficit de la sécurité sociale à plus de 24 milliards d'euros, le Sénat l'a ramené à 17,6 milliards d'euros pour 2026, soit au plus près de l'objectif fixé initialement par le Gouvernement.
Ce geste n'est pas symbolique, c'est une condition indispensable pour préserver durablement notre modèle social, car un système social affaibli par les déficits est un système qui n'aide plus personne.
Nous avons rétabli l'équilibre entre justice sociale et responsabilité financière. Nous avons accepté de débattre de la question de l'indexation des prestations sociales. C'est une décision difficile, certes, mais elle est essentielle pour éviter que la dérive des dépenses ne compromette l'ensemble de la sécurité sociale.
Pour autant, nous avons agi avec discernement : les retraites les plus modestes et l'allocation aux adultes handicapés ont été protégées. C'est cela, notre méthode : la responsabilité sans renier la solidarité.
Nous avons également supprimé des mesures que nous jugions inadaptées ou injustes, comme l'élargissement du périmètre des franchises médicales, qui aurait pénalisé les patients sans apporter de garantie en termes d'accès aux soins.
Dans le même temps, nous avons rétabli la contribution sur les complémentaires santé, parce qu'il est normal que chacun contribue à l'équilibre du système et que les acteurs les mieux armés participent à l'effort collectif.
Nous avons aussi conservé une disposition importante : l'extension de la déduction de cotisations patronales sur les heures supplémentaires pour les entreprises de plus de 250 salariés. Cette mesure pragmatique favorise l'activité et le travail sans créer de nouveaux déséquilibres.
Fidèles à nos convictions, nous nous sommes opposés à toute hausse de la pression fiscale pesant sur les entreprises comme sur nos concitoyens. Nous avons rejeté l'augmentation du taux de la CSG patrimoniale ou encore l'instauration d'un forfait social sur les compléments de salaire.
Nous avons également souhaité renforcer la lisibilité du texte en refusant des mesures qui relèvent davantage de l'organisation du système de santé. Je pense notamment à la création du label France Santé, qui se rapproche plus d'une opération de communication plutôt que d'une réelle amélioration de l'accès aux soins.
Nous avons, par ailleurs, fait le choix de soutenir les professionnels de santé plutôt que de les stigmatiser. Je songe notamment aux articles 24 et 24 bis qui donnent au directeur de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) et au Gouvernement le pouvoir de réduire unilatéralement les tarifs dans les secteurs où serait constatée une rentabilité jugée excessive.
Permettez-moi de récuser fermement le terme de « rente » employé par le Gouvernement à l'égard des professionnels de santé. (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)
M. Olivier Rietmann. Bravo !
M. Alain Milon. Fonder une politique de baisse des prix uniquement sur un critère de rentabilité nous semble non seulement injuste, mais aussi contre-productif.
Nous le savons, les coups de rabot successifs fragilisent les structures indépendantes, déjà soumises à de fortes contraintes. Ils ouvrent la voie au rachat de cabinets par de grands groupes, qui sont les seuls capables d'absorber la pression tarifaire.
En voulant réguler à l'excès, on finit en réalité par accroître la financiarisation du secteur. Et ce sont les professionnels de proximité, ceux qui maintiennent un maillage indispensable dans nos territoires, qui en paieront le prix.
En matière de politique du médicament, nous avons défendu l'innovation thérapeutique pour les patients. Nous avons refusé le référencement de certains médicaments qui pourraient voir leur remboursement ou leur accès encadrés. Un tel dispositif fragiliserait le tissu de l'industrie pharmaceutique en France, accroîtrait les tensions d'approvisionnement et, à terme, conduirait à une augmentation des prix.
Plus généralement, la politique du médicament ne peut plus être enfermée dans une logique budgétaire annuelle.
Vous l'avez compris, en première lecture, nous avons cherché à corriger un projet que nous estimions fragile dans ses équilibres, trop imprécis dans ses objectifs et insuffisamment ambitieux dans sa capacité à relever les défis de notre système de santé.
Aujourd'hui, nous sommes réunis pour une nouvelle lecture du PLFSS après l'échec de la commission mixte paritaire. Cet échec, chacun doit le reconnaître, résulte de visions profondément divergentes entre les deux chambres.
Le Gouvernement a appelé les parlementaires à plus de responsabilité. Nous aurions aimé que le Gouvernement prenne aussi les siennes.
Force est de constater que ce PLFSS est synonyme de renoncement. Le Gouvernement propose de suspendre la réforme des retraites, qui devait rapporter 8 milliards d'euros d'ici à 2028. Pourquoi ? Pour accorder un ou deux trimestres supplémentaires à quelques générations.
Je le dis avec gravité, ce choix est une erreur profonde. Derrière un geste en apparence généreux se cache une réalité brutale : la mise en danger de l'équilibre d'un système qui repose sur la solidarité entre les générations.
Est-il juste de faire peser un tel coût sur nos enfants et nos petits-enfants ? Est-il responsable d'alourdir la dette publique, alors que notre pays est déjà lourdement endetté ?
La vérité, c'est que reculer aujourd'hui, c'est créer les injustices de demain. C'est envoyer un message dangereux : celui que les réformes difficiles peuvent toujours être abandonnées, au détriment de l'intérêt général.
Ce texte alourdira par ailleurs les charges qui pèsent sur nos entreprises et menacera directement l'emploi.
Il instaure un malus sur les cotisations sociales pour les entreprises jugées insuffisamment engagées en faveur de l'emploi des seniors et réduit les allégements de cotisations patronales dans les branches où les salaires sont inférieurs au Smic.
Il alourdit également les charges pesant sur les ménages. Après avoir laissé disparaître la quasi-totalité des mesures d'économies, le Gouvernement soutient une hausse de 1,5 milliard d'euros de la CSG sur les revenus du capital, instaurant ainsi une distinction pour le moins contestable entre les bons et les mauvais revenus du capital.
J'en viens à l'Ondam, dont vous affichez, mesdames, monsieur les ministres, une progression de 3 %. Vous promettez de « financer les priorités de notre système de santé, sans renoncer à la mise en place d'économies structurelles ». Mais lesquelles ?
Concrètement, que comptez-vous faire en 2026 ? J'ai parlé de « renoncement » au sujet de la réforme des retraites. J'emploierai le même terme pour votre gestion du déficit.
Les faits sont têtus : nous sommes passés d'un PLFSS à –17,6 milliards d'euros à un texte à –24 milliards d'euros. Et encore, ce chiffre est maquillé : vous affichez un déficit en trompe-l'œil, artificiellement ramené sous les 20 milliards d'euros en allant chercher 4,6 milliards d'euros dans le budget de l'État.
Soyons clairs : ces 4,6 milliards d'euros, vous ne les trouvez pas par magie. Il s'agit d'une dette, et donc d'impôts supplémentaires.
Le plus grave dans tout cela est votre incohérence. Quand nous vous proposions de tels transferts en première lecture, vous les refusiez au motif que cette politique relevait de l'État et que, de ce fait, son rendement devait revenir à l'État. Aujourd'hui, vous changez de discours.
Ce que vous faites ne relève ni de la réforme ni du courage, c'est un report. Et ce sont les générations futures qui en paieront le prix.
Mes chers collègues, nous sommes face à un choix de vérité et de responsabilité. Nous avons montré qu'il était possible d'être responsables sans être injustes, justes sans être imprudents.
C'est cette voie d'équilibre et de sérieux que nous continuerons de suivre et de défendre. C'est la raison pour laquelle nous refuserons ce PLFSS issu de l'Assemblée nationale en adoptant la motion tendant à opposer la question préalable proposée par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, il est bien confortable, en première lecture, de bâtir au Sénat un PLFSS tellement marqué à droite qu'il ne laisse aucune place au compromis avec l'Assemblée nationale ; confortable de faire des propositions que l'on sait inapplicables quand on n'est pas aux responsabilités ; confortable de se laver les mains du débat en cherchant à l'interrompre avant son terme, plutôt que d'affronter la difficulté de la négociation et de la responsabilité budgétaire. Bref, il est confortable de faire peser sur les autres ce que l'on n'a pas eu le courage de tenter.
Qu'il y ait des divergences profondes est incontestable ; qu'elles justifient de fermer la porte au débat, aucunement. La responsabilité commande de débattre jusqu'au bout d'un texte aussi structurant pour les Français.
La motion présentée conteste notamment la trajectoire du déficit issue de la nouvelle lecture de l'Assemblée nationale et dénonce le rétablissement de dispositions comme la suspension de la réforme des retraites de 2023 ou la majoration de la CSG sur les revenus du capital.
Nous n'ignorons pas la réalité du déficit social, qui demeure préoccupant. Il relève d'un choix de lucidité et de transparence, mais il souligne aussi que, malgré les efforts consentis, ce PLFSS n'est pas encore à la hauteur des besoins des Français ni de l'ambition que nous devons donner à notre modèle social.
Il aurait fallu pour cela plus de travail commun et un Sénat prêt à élever le niveau de controverse et de consensus.
Nous aurions collectivement gagné à ce que la Haute Assemblée relève le défi, d'autant que le texte issu de l'Assemblée nationale reprend une part significative des apports sénatoriaux : confirmation du transfert de dette vers la Cades, retour sur certains transferts de CSG aux départements, meilleure sécurisation de l'équilibre général.
Ce texte ne correspond ni au projet initial du Gouvernement ni aux demandes complètes d'aucun groupe ; c'est en revanche un compromis, qui permet de continuer à avancer vers un déficit social soutenable.
Pour ma part, je me réjouis du maintien de l'exonération de charges sociales sur les salaires des apprentis, mesure qui maintient un accompagnement solide en faveur de ces derniers.
Je le dis et le redis, mettre fin à l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale reviendrait à renoncer à améliorer encore ce compromis, alors même que les Français attendent de leur Parlement des solutions et non des postures. Ils veulent que nous décidions, que nous les protégions, que nous tenions le cap de l'intérêt général plutôt que nous cédions aux intérêts partisans.
Fidèle à la démarche de responsabilité promue par le Président de la République et le Gouvernement, le groupe RDPI estime que son devoir est de débattre du fond du PLFSS, non de se soustraire à sa responsabilité par une motion de procédure.
Le compromis est non pas un slogan, mais une méthode, celle de notre Premier ministre, que je salue. Notre groupe a pourtant bien essayé, en première lecture, d'appliquer cette méthode, qui marque enfin le début du commencement d'un réapprentissage collectif de la controverse et du compromis.
Appeler à gouverner par la discussion plutôt que par le réflexe de la contrainte est une démarche qui redonne sens au travail parlementaire, à la confrontation argumentée et à la recherche patiente de majorités de projets.
Ce fut le rôle du Sénat que de la mettre en œuvre, mais il semblerait que ce dernier s'égare sur d'autres chemins. J'ai déjà eu l'occasion de le dire, le Sénat n'est pas une île. Nous fêtons les 80 ans de la sécurité sociale. Si nous restons enfermés dans nos couloirs confortables, nous nous approcherons – nous serons tous responsables de notre petite lâcheté – de la première année de sa commémoration.
Madame la rapporteure générale, j'ai bien écouté votre intervention. Je ne doute pas un instant que, comme notre groupe et afin de continuer à rechercher le meilleur compromis, vous voterez contre cette motion tendant à opposer la question préalable. (Sourires au banc des commissions.)