Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Sophie Briante Guillemont. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui les crédits de la justice, une mission longtemps négligée dans le budget de l'État, alors même que les Français y accordent une immense importance. Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen se réjouit de voir ses crédits rehaussés d'environ 3 % en 2026, pour atteindre 13 milliards d'euros.
Cette hausse profite largement à l'administration pénitentiaire, ce qui n'est pas une surprise. Celle-ci traverse une crise profonde, avec une densité carcérale qui dépasse désormais 135 %. Derrière cette moyenne se cachent des situations plus graves encore, certains quartiers atteignant une surpopulation proche de 200 %. Cette situation est délétère pour tout le monde : pour les détenus, d'abord – doublement du nombre de matelas au sol en un an, soit presque 6 000 désormais, insalubrité, absence d'intimité, mobilier dégradé –, pour les agents, ensuite, confrontés à une montée des violences au cours des dernières années.
Les études sont claires : des conditions de détention indignes augmentent le risque de récidive et rendent la réinsertion plus difficile. L'enfermement comme unique horizon ne peut donc être la solution, ni pour la dignité des détenus, ni pour la sécurité des agents, ni pour nos finances publiques, car cette politique a un coût, environ 350 000 euros par place de prison.
Oui, construire des places est nécessaire, mais cela ne suffira pas. Le rapporteur pour avis l'a d'ailleurs rappelé, le plan visant à créer 15 000 places est déjà caduc. D'autres solutions doivent donc être examinées. La Commission nationale consultative des droits de l'homme propose, par exemple, un mécanisme contraignant de régulation carcérale : au-delà d'un certain seuil, chaque entrée serait compensée par une sortie encadrée ou un aménagement de peine.
L'objectif n'est évidemment pas de vider les prisons, mais de réserver l'enfermement aux personnes réellement dangereuses et d'accompagner les autres à l'extérieur. Cette nécessité est d'autant plus criante que la majorité des détenus souffrent d'un trouble psychiatrique ou d'une addiction. Est-ce une solution à discuter ? Ce qui est certain, c'est que la France doit regarder ce qui fonctionne ailleurs et engager une réflexion profonde sur le sens de la peine. Mon groupe appelle le Gouvernement à le faire et à chercher des solutions structurelles. Certaines pistes ont déjà été évoquées, car la situation actuelle ne peut plus durer.
Un mot à présent sur la justice judiciaire. Ce budget nous offre plutôt une bonne nouvelle : la trajectoire de la loi d'orientation et de programmation est respectée. Le schéma d'emploi est positif, avec 286 nouveaux postes de magistrat et 342 postes de greffier. Pourtant, malgré ces efforts, que nous saluons, la France reste très loin des standards européens, comme cela a déjà été dit. Pour rappel, notre pays compte onze magistrats pour 100 000 habitants, alors que la moyenne européenne tourne autour de vingt-deux. La situation est tout aussi préoccupante pour les greffiers et les procureurs. Les recrutements prévus permettront à peine de sortir la tête de l'eau.
Je veux maintenant évoquer l'article 46 du PLF, même s'il a déjà été voté. Cet article pose le principe selon lequel tout ou partie des frais d'enquête pénale seront à la charge des personnes condamnées. Certes, les frais de justice sont élevés et pèsent de plus en plus lourd sur le budget. Il est toutefois regrettable que d'autres mesures d'économie, également recommandées dans le récent rapport sénatorial, n'aient pas été privilégiées en premier lieu. Les personnes condamnées paient déjà un droit fixe de procédure, qui a été doublé en février dernier. Cette nouvelle charge pourrait, à notre sens, avoir un effet négatif sur l'indemnisation des victimes et nuire à l'exercice des droits de la défense.
Enfin, je désire évoquer la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ. Monsieur le garde des sceaux, vous l'avez vous-même qualifiée d'administration en grande difficulté. Parent pauvre de la mission « Justice », elle occupe pourtant une place déterminante dans notre politique pénale et elle est confrontée à des phénomènes de plus en plus lourds : actes violents commis par des enfants, recrutements par des organisations criminelles, prostitution de mineurs.
Dans ce contexte, certaines évolutions budgétaires surprennent. Les crédits alloués à la mise en œuvre des décisions judiciaires diminuent, alors que le volume des mesures prononcées augmente. Le même constat s'impose pour le milieu ouvert, où la charge de travail explose tandis que les effectifs de terrain reculent. Or plusieurs centaines d'ETP ont été créés pour des fonctions d'encadrement, au détriment de postes éducatifs de terrain qui ont été supprimés.
Dans ces conditions, il était prévisible que le climat social au sein de la PJJ se détériore. Comme l'a indiqué Laurence Harribey, le sentiment de délaissement des agents et des associations impliquées est immense. Le directeur de la PJJ a toutefois annoncé son intention de flécher les 70 nouveaux postes prévus en 2026 vers le milieu ouvert, ce qui est une bonne nouvelle. Je ne doute pas que la commission des lois veillera à sa juste application.
Malgré les graves réserves que j'ai formulées, le groupe du RDSE votera les crédits de cette mission pour valider l'augmentation globale du budget et les créations de postes. Nous tenons pour conclure à saluer l'ensemble des rapporteurs pour la qualité de leurs travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Olivia Richard. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera les crédits de la mission « Justice ». Voilà qui est dit.
J'ai écouté les rapporteurs présenter les chiffres et conclure que, malgré des points d'attention et des réserves, votre ministère verrait ses moyens préservés. C'est déjà beaucoup en cette période de disette budgétaire, et je remercie nos collègues pour leur travail éclairant.
Ce débat est l'occasion d'évoquer des chiffres. Ceux qui ont retenu mon attention sont issus du remarquable rapport À vif des magistrats Éric Corbaux et Gwenola Joly-Coz, qui a été évoqué tantôt. En 2025, 24 % des personnes suivies par l'administration pénitentiaire sont des auteurs de violences intrafamiliales – VIF –, soit près de 65 000 personnes. Un quart d'entre elles sont en prison. En 2024, 30 % des personnes incarcérées l'étaient pour des violences conjugales ou sexuelles, ce qui représente 25 000 hommes. Un jour de prison coûtant 105 euros, la société dépense 800 millions d'euros par an pour le traitement judiciaire de ces violences. Et nous ne parlons là que des violences intrafamiliales, à l'exclusion des violences sexuelles.
Au strict minimum, d'après ce que nous savons compter, les violences sexuelles coûtent plus d'une douzaine de milliards d'euros par an à la société française. Ce chiffre inclut l'estimation de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants – Ciivise –, qui avait chiffré à près de 10 milliards d'euros annuels les dépenses pour les enfants victimes d'inceste, dont 7 milliards d'euros de dépenses publiques directes, le reste incluant les conséquences à long terme. Il faut rapporter ces chiffres à ce que l'on sait du très faible taux de condamnation des violences sexuelles. Seulement 3 % feraient l'objet d'une condamnation, étant donné le très faible taux de plainte et celui, à l'inverse, considérable de classements sans suite.
Je parle sous le contrôle de Dominique Vérien, non seulement parce qu'elle a le bon goût de présider notre délégation aux droits des femmes et qu'elle a une expertise certaine sur l'organisation de la justice, mais encore parce que, en tant que coautrice du rapport Rouge VIF, elle est à l'origine de la création des pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales, les pôles VIF.
Éric Corbaux et Gwenola Joly-Coz estiment qu'il faudra en venir à des magistrats spécialisés dans ce domaine. Avant d'en arriver là, il faut monter en puissance sur les pôles, dont les fonctionnements sont trop hétérogènes. La formation continue, encore et toujours, doit être obligatoire pour celles et ceux qui s'engagent dans ces dispositifs si particuliers. Il n'est pas admissible que cette étape importante soit encore freinée par manque de formation. En cette matière, comme dans toutes les spécialités du droit, la formation doit être un prérequis.
Dans leur rapport sur le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes, nos collègues rapporteurs budgétaires Arnaud Bazin et Pierre Barros ont affirmé que le sexisme, « qui procède d'une représentation du monde fondée sur l'inégalité entre les hommes et les femmes, considérée comme naturelle, est à l'origine des violences ».
La France, disent à leur tour les deux magistrats auteurs du rapport, n'a pas fait sa révolution du genre, la justice non plus. Ils invitent leurs collègues réservés à se saisir d'une grille de lecture utile professionnellement et porteuse de sens humainement.
Pourquoi parler autant de VIF dans cette discussion préalable à l'examen des crédits de la mission ? Parce que, je le redis, elles représentent 25 % des condamnations. Il y a en outre des sujets communs avec la lutte contre les trafics et les addictions, thème cher à notre assemblée.
Alors que notre délégation aux droits des femmes débute ses travaux sur les mouvements masculinistes, force est de constater que la tendance n'est pas rassurante. Aujourd'hui, une centaine d'influenceurs propulsés par les algorithmes des réseaux sociaux parlent à des dizaines de milliers d'hommes, de tous âges et de toutes conditions. On leur explique comment être un homme meilleur, un « vrai », comment les droits des femmes menacent ceux des hommes, comment l'égalité est déjà là et que, par conséquent, les revendications féministes sont infondées ; que celles-ci sont allées trop loin, au point de déposséder les hommes, qui seraient désavantagés par les institutions, au point que la masculinité serait aujourd'hui en crise et qu'il faudrait lutter pour son épanouissement.
Pour ce faire, certains proposent, contre espèces sonnantes et trébuchantes, des méthodes quasi magiques pour séduire ou reprendre le contrôle de sa vie. Ils vous expliquent qu'ils ont pris la « pilule rouge » et que, maintenant, ils se rendent compte à quel point les femmes sont manipulatrices et vénales, qu'il faut se respecter et donc ne pas approcher celles qui auraient eu un trop grand nombre d'amants. Cela s'appelle le body count : au-delà d'un certain nombre – cinq –, la femme ne sécréterait plus les hormones qui permettraient de s'attacher à quiconque et il faudrait donc les éviter comme la peste.
Enfin, comme de toute façon les femmes gagnent moins, parce qu'elles n'ont pas d'ambition, mieux vaut qu'elles arrêtent complètement de travailler. Elles seront ainsi disponibles pour s'occuper de la maison et accueillir l'homme fatigué qui rentre le soir après sa journée de travail. Pas la peine non plus qu'elles conduisent, pas possible qu'elles sortent avec des copines… Les hommes se convainquent entre eux que nous, les femmes, serons beaucoup plus heureuses ainsi.
Certains appellent à punir les femmes qui ne seraient pas heureuses ainsi ; d'autres, au meurtre. Quelques-uns ont failli passer à l'acte et commettre des attentats ciblant des femmes parce qu'elles sont femmes. Ces gens, ces groupes sont soutenus par des mouvements politiques très bien financés, alors que nous manquons cruellement de moyens.
Mes chers collègues, ce débat budgétaire m'inspire cette approche : les violences intrafamiliales et sexuelles basées sur le genre nous coûtent très cher. Nous n'avons tout simplement pas les moyens de continuer ainsi. Ce n'est certainement pas par un amendement que nous allons y remédier. Il faudrait même être vraiment naïf pour s'imaginer qu'un bout de réforme de plus, une circulaire de plus nous permettrait de changer l'ordre des choses. Mais bien nommer ces violences, revoir toute la réponse civile et pénale de façon claire, cohérente et coordonnée, avec une nouvelle grille de lecture fondée sur le constat du caractère sexiste des violences, pourrait en revanche faire la différence.
Je le dis en écho à beaucoup de parlementaires qui se sont investis en soutien à la coalition des associations féministes. Je le dis aussi en écho au travail de ces deux magistrats, qui vous ont fait des propositions concrètes, monsieur le garde des sceaux. Je le dis en espérant que la réforme ambitieuse que vous nous proposerez peut-être, avec Aurore Bergé, n'oubliera pas les victimes françaises établies à l'étranger, que je représente aussi ici ; je ne représente pas que les victimes, évidemment.
Il est indispensable de leur permettre d'avoir un accès au droit, ce qui n'est actuellement pas possible, sauf à Singapour, où vous vous êtes rendu, monsieur le ministre. Vous y avez rencontré maître Chloé Vialard, avocate au barreau de Paris, qui y vit et y travaille. Elle vous a présenté le dispositif de soutien aux victimes françaises de violences intrafamiliales, élaboré en partenariat avec le barreau de Paris, le barreau singapourien et l'ambassade de France. Ce modèle unique, nous voulons le dupliquer et espérons pouvoir compter sur votre soutien.
Les victimes françaises résidant à l'étranger souffrent en effet de facteurs de vulnérabilité supplémentaires liés à l'isolement et à la dépendance. D'autres sont soumises à des coutumes dont il faut pouvoir les protéger. L'extraterritorialité de notre droit devrait nous permettre d'accompagner ces femmes.
Je conclurai par cette citation inspirante qui nous a été livrée hier par la chercheuse Céline Morin : « La justice est le visage public de l'amour. » Je n'ai pas totalement saisi le sens de cette phrase, mais je suis ouverte aux interprétations que vous pourrez me proposer ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Louis Vogel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, selon les sondages, entre 70 % et 80 % des Français considèrent notre justice comme laxiste. Pourtant, contrairement à ce que laissent penser ces sondages, la politique pénale se durcit d'année en année.
Les lois créant de nouvelles infractions sont de plus en plus nombreuses ; le quantum des peines prévues par ces lois est de plus en plus lourd ; les peines prononcées sont de plus en plus sévères ; la durée de détention est de plus en plus longue, le nombre de détenus de plus en plus important.
Parallèlement, les moyens alloués à la justice augmentent sensiblement d'une année sur l'autre. Le projet de loi de finances pour 2026 consacre 13,1 milliards d'euros de crédits de paiement à la mission « Justice », soit une progression de 3 % par rapport à 2025. Ces crédits ont augmenté d'un tiers en euros constants en dix ans, et la dynamique se poursuit.
Pourtant, la crise de confiance entre les Français et leur justice perdure, car les délais de jugement sont encore beaucoup trop longs. En 2023, il fallait près de vingt mois entre le pourvoi en cassation et l'arrêt de la Cour, seize mois entre l'introduction d'un appel et le jugement de la cour, douze mois entre le début de la procédure et le jugement de première instance. Sachez même, mes chers collègues, que pour un divorce contentieux, il vous en coûtera au minimum deux ans.
Cette crise perdure aussi car les délais d'exécution des peines sont encore beaucoup trop longs. Pour les peines de plus d'un an d'emprisonnement, le délai moyen est de huit mois. Elle perdure enfin à cause de la surpopulation carcérale, qui empêche la prison de faire son office à la fois de sécurisation de la population et de réinsertion des détenus.
Il faut donc aller plus vite et plus loin. Tout d'abord, la masse salariale de la justice doit suivre le contentieux, qui augmente régulièrement. Cela vaut bien sûr pour les magistrats et les greffiers, mais aussi pour tous les autres professionnels nécessaires au bon fonctionnement de la justice. Certes, le budget actuel permet le respect de la trajectoire de recrutement en 2026, avec la création de 1 600 emplois supplémentaires, dont 660 pour les juridictions et 855 pour l'administration pénitentiaire, mais il ne permet pas d'assurer cette trajectoire à moyen terme. En outre, il faut rendre les carrières attractives. La question des grilles indiciaires est posée, et il faudra honorer les promesses faites par le ministère de la justice.
Les investissements dans le numérique inscrits au projet de loi de finances pour 2026 sont des éléments positifs. L'interconnexion entre le logiciel Cassiopée et le fichier des antécédents judiciaires permettra de libérer plus de 123 000 heures de travail, ce qui est énorme.
Enfin, comme je l'ai souligné lors de la présentation du rapport sur l'administration pénitentiaire, la politique d'exécution des peines et la politique pénale nécessitent, pour être pleinement efficaces, un renforcement de l'administration pénitentiaire, en particulier des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip). Il faut véritablement rééquilibrer le système. C'est la voie que nous devons tout d'abord, emprunter.
L'année dernière, notre groupe avait exprimé une inquiétude forte : celle de voir la trajectoire budgétaire de la loi de programmation ne pas être respectée. Aujourd'hui, nous nous félicitons que le projet de loi de finances pour 2026 la préserve. Ce n'était pas assuré d'avance.
Cette stabilité envoie un message clair à tous ceux qui servent la justice. Pour autant, les contraintes financières qui pèsent sur notre pays ne vont pas disparaître. Nous devons en profiter pour mener une réflexion approfondie sur les objectifs et les moyens de notre politique pénale ; c'est le prochain chantier du garde des sceaux.
Parce que le projet de budget pour 2026 consolide les avancées de ces dernières années sans remettre en cause cette loi de programmation, le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra les crédits de la mission « Justice ». (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains. – M. Michel Masset applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadine Bellurot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nadine Bellurot. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui les crédits de la mission « Justice ». Je salue le travail de nos excellents rapporteurs spéciaux.
Malgré l'état de nos finances publiques, la préservation du budget de la justice judiciaire permet, cela a été souligné, de respecter la trajectoire budgétaire établie par la loi d'orientation et de programmation. Elle assure la poursuite de la politique de recrutement ambitieuse entamée par la Chancellerie, la revalorisation des professions judiciaires et les progrès numériques tant attendus.
Le ministère a su contenir la hausse de ses dépenses liées aux frais de justice et à l'aide juridictionnelle, qui ont pendant longtemps durement comprimé ses marges de manœuvre. Il faudra poursuivre ces efforts. Actuellement, ils ne suffisent pas pour remédier aux défaillances que la justice a accumulées depuis plusieurs années, notamment en matière de projets immobiliers et de recrutements tant attendus. Et je signale et regrette que, pour 100 euros de dépenses publiques, la justice ne représente que 80 centimes !
Malgré ces améliorations, force est de constater la défiance des citoyens envers l'institution judiciaire. Ils jugent la réponse pénale inadaptée face à la récidive, qui se chiffre à 70 % en France, et à la perte du sens de l'autorité et de la sanction, notamment chez les mineurs.
Voilà qui m'amène, monsieur le garde des sceaux, à évoquer l'exécution des peines – nous avons fait référence à d'excellents rapports de nos collègues –, leur sens et les dysfonctionnements structurels de l'administration pénitentiaire. Cette dernière a de plus en plus de mal à assurer sa mission première d'exécution des décisions de justice. Diverses actualités ont malheureusement illustré les failles de notre système, et nous devons tous le regretter.
Face à la crise de la surpopulation carcérale, qui dépasse 135 %, l'administration a du mal à garantir la sécurité de ses agents. Les faits de violences physiques ou verbales contre le personnel ont augmenté de 57 % entre 2020 et 2024, pour un total de plus de 32 000 recensés. Et je veux ici apporter tout mon soutien et ma reconnaissance aux personnels pénitentiaires pour leur engagement.
Il est prévu la création de 1 000 équivalents temps plein (ETP) en 2026. J'espère, monsieur le garde des sceaux, que la seconde école de l'administration pénitentiaire que vous souhaitez mettre en place pourra voir le jour avant ce recrutement. Mais ce n'est pas sûr…
À ce propos, je profite de l'occasion pour vous demander l'installation d'un centre de formation régional à Châteauroux, faute d'avoir une prison de haute sécurité à Saint-Maur.
Dans votre lettre du 1er décembre adressée aux agents pénitentiaires, vous détaillez une série de mesures de sécurisation des établissements. Elles sont évidemment bienvenues.
Le plan 15 000 places n'est qu'à mi-parcours, avec un peu plus de 5 000 places nettes créées. Pour amener la densité carcérale à 100 %, il manque près de 22 000 places. L'investissement de près de 500 millions d'euros de nouvelles autorisations d'engagement en 2026 dans la création de places est appréciable, même si ce n'est pas suffisant.
Je veux donc vous dire, monsieur le garde des sceaux, mon soutien pour la création des 3 000 places de prison modulaires d'ici à 2027. Ces établissements offriront une solution rapide et adaptée pour les détenus dits du bas du spectre. Pourriez-vous nous indiquer si les délais seront tenus ?
J'ai également noté votre annonce concernant le déblocage urgent de 29 millions d'euros d'ici à la fin de l'année pour engager des travaux « majeurs et rapides » dans six prisons françaises, afin d'y remettre « l'ordre républicain ». Je veux saluer votre volontarisme.
J'appelle, en plus d'un sursaut d'autorité carcérale, à un choc pénal, avec une réforme de fond en remettant la victime au cœur du dispositif.
Le rôle de l'État est de protéger la société des délinquants et des criminels.
De ce point de vue, je reconnais l'engagement pris au travers de votre instruction de replacer les victimes au centre du système judiciaire. C'est une mesure que j'ai défendue et que je soutiens.
Pourriez-vous également nous préciser le calendrier de votre projet visant à assurer une sanction utile, rapide et effective, et nous en dire un peu plus ?
Aujourd'hui, le code pénal et les procédures pénales sont devenus beaucoup trop complexes, voire contradictoires et sources de contentieux. Cette réforme est donc attendue par les magistrats, par les greffiers, par les agents et par les policiers. En tant qu'ancien ministre de l'intérieur, vous en savez quelque chose. Ce qui empêche les crimes, ce n'est point la rigueur des peines ; c'est la certitude de la peine.
Le groupe LR votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Quelle surprise !
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Narassiguin. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je m'exprime en remplacement de Christophe Chaillou, qui est retourné dans le Loiret à la suite de la liquidation de Brandt.
En complément de l'intervention de Marie-Pierre de La Gontrie, je concentrerai mon propos sur les deux programmes qui concernent l'exécution des décisions pénales et l'accompagnement des publics sous main de justice : le programme182, « Protection judiciaire de la jeunesse », et le programme 107, « Administration pénitentiaire ».
J'aborderai en premier lieu la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ce programme connaît une situation singulière, monsieur le garde des sceaux. Vous l'avez rappelé devant la commission des lois du Sénat le 12 novembre dernier : la PJJ est l'administration qui est aujourd'hui « la plus en difficulté ». Nous partageons ce constat de « grande détresse » des agents, confrontés à une jeunesse plus violente, souvent victime elle-même, et à une perte de sens de leur mission.
Or le projet de loi de finances pour 2026 prévoit une quasi-stabilité des moyens, avec une progression des crédits de paiement limitée à 0,77 %. Si nous notons la création de 70 ETP, ce volume apparaît modeste au regard de la situation des services de milieu ouvert et des besoins d'encadrement.
Dans ce contexte, l'annonce, le 26 novembre dernier, d'un moratoire sur les projets de nouveaux centres éducatifs fermés (CEF) constitue un signal d'ajustement qui nous semble nécessaire. Cela confirme ce que nous disons depuis longtemps : le modèle actuel s'essouffle.
Cette annonce doit cependant trouver sa traduction budgétaire immédiate. Or le texte qui nous est soumis conserve 6,3 millions d'euros de crédits destinés à l'investissement immobilier pour ces structures.
C'est la raison pour laquelle notre groupe a déposé un amendement visant à redéployer ces crédits d'investissement vers le fonctionnement. L'objectif est précis : renforcer les moyens alloués à l'enseignement et à l'encadrement éducatif dans les structures existantes. Il s'agit de privilégier la qualité de la prise en charge sur l'extension du parc.
Par ailleurs, les difficultés rencontrées par le logiciel Parcours, dont le coût final s'élève à 23 millions d'euros, ne sont pas anecdotiques. Au-delà de l'aspect financier, l'absence d'un outil statistique fiable prive le Parlement d'une capacité d'évaluation précise de l'efficacité des mesures éducatives. Il est indispensable que le ministère s'investisse davantage dans la maîtrise d'ouvrage de ces projets structurants.
Au-delà de la seule PJJ, l'examen conjoint de ces deux programmes révèle une logique transversale, sur laquelle nous souhaitons exprimer nos réserves.
Qu'il s'agisse des mineurs ou des majeurs, l'équilibre budgétaire proposé nous semble consacrer une part trop importante aux dépenses immobilières, au détriment parfois des moyens humains dédiés à la réinsertion.
Nous ne méconnaissons pas les impératifs de sécurité ni la nécessité de moderniser un parc immobilier vieillissant. Les conditions de travail des agents pénitentiaires doivent être une priorité, et les mesures indemnitaires prévues vont dans le bon sens. Cependant, la modernisation de la justice ne saurait se résumer à la livraison de mètres carrés supplémentaires.
Ce déséquilibre est particulièrement notable pour l'administration pénitentiaire. Le budget du programme 107 est marqué par une hausse très significative, de 31,7 %, des crédits d'investissement, en faveur notamment de la poursuite du plan 15 000 places et de la sécurisation des établissements.
Si la résorption de la surpopulation carcérale est un objectif que nous partageons, l'expérience démontre que l'accroissement du parc ne suffit pas, à lui seul, à endiguer le phénomène.
De même, si le schéma d'emplois prévoit 855 créations de postes, ceux-ci sont presque mécaniquement absorbés par l'ouverture des nouveaux établissements pénitentiaires. Ils ne permettent donc pas de renforcer le taux d'encadrement dans les prisons existantes ni de donner un nouveau souffle aux Spip. Les crédits d'intervention, qui financent notamment la lutte contre la pauvreté en détention et le tissu associatif concourant à la réinsertion, demeurent stables à un niveau modeste, en l'occurrence 15 millions d'euros.
La capacité des Spip à accompagner efficacement les personnes passées sous main de justice, notamment en milieu ouvert, reste un point de vigilance majeur. L'efficacité de la peine et la prévention de la récidive reposent avant tout sur la qualité du suivi humain.
Ce projet de budget présente des avancées indéniables en matière de moyens globaux et acte certaines prises de conscience, notamment sur la justice des mineurs. Il assure la continuité du service public dans un contexte budgétaire contraint.
Néanmoins, il ne répond qu'imparfaitement aux enjeux structurels de la réinsertion et du sens de la peine.
Compte tenu de ces éléments, et sous réserve de l'adoption de notre amendement, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s'abstiendra sur les crédits de ces programmes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)