M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. Cédric Perrin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Mireille Jouve applaudit également.)
M. Cédric Perrin. « L'aveuglement d'une nation qui refuse de voir monter la menace prépare toujours les défaites les plus lourdes », écrivait le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames les ministres, mes chers collègues, il y a quatre jours, le Sénat a adopté les crédits de la mission « Défense ». Nous avons ainsi confirmé notre soutien sans faille à la défense nationale, aux hommes et aux femmes qui servent sous le drapeau de la France, et à tous ceux qui travaillent pour notre base industrielle et technologique de défense.
Que ce soit pour la LPM de réparation défendue par Florence Parly en 2018, ou pour celle que vous avez vous-même présentée en 2023, monsieur le Premier ministre, le Sénat a toujours été au rendez-vous, dans un consensus républicain qui approchait l'unanimité.
Le Sénat soutient l'effort de défense, il soutient nos armées ; c'est un fait bien établi.
Alors, quel peut être l'objet de ce débat, nouveauté venue se greffer sur le processus institutionnel normal, qui repose sur les lois de finances, d'une part, et sur les lois de programmation militaire, d'autre part ?
Monsieur le Premier ministre, sur ces questions qui font consensus dans notre assemblée, vous nous invitez à engager un débat politique. Le groupe Les Républicains ne se dérobera pas à cette invitation, car, sur le sujet, nous sommes au clair : c'est dans notre ADN politique !
Vous demandez au Parlement de prendre position sur la « stratégie de défense nationale », sur les « moyens supplémentaires » et, enfin, sur les « efforts industriels à engager ». Discutons donc de ces sujets vitaux pour la Nation, quoique nous les ayons déjà largement abordés la semaine dernière en validant l'augmentation de 6,7 milliards d'euros des crédits ouverts sur la mission « Défense » pour 2026.
Monsieur le Premier ministre, nous vous proposons de faire de ce temps un moment utile et, à cette fin, d'échanger de façon franche et directe.
Depuis son élection en 2017, le Président de la République a mis un terme à la saignée et augmenté, significativement et de façon continue, les moyens de la défense nationale ; nous lui en donnons acte.
Cependant, à de nombreuses reprises, le Sénat a eu à déplorer le manque de transparence sur un certain nombre de points concrets. Nous nous sommes efforcés d'y remédier dans les lois de programmation militaire de 2018 et 2023 ; il n'en reste pas moins qu'à plusieurs reprises la communication l'a emporté sur l'exactitude.
C'est ainsi que le Président de la République a lancé dans le débat le terme d'« économie de guerre », pur affichage qui a nourri la confusion sans accélérer la production, si ce n'est récemment et sur des points limités.
C'est ainsi également que sont apparus miraculeusement, dans le périmètre de la LPM en vigueur, 13 milliards d'euros de non-crédits qui ont largement contribué à ce que notre programmation militaire se trouve aujourd'hui sous-financée. Aussi faut-il, d'une part, l'abonder par des surmarches et, d'autre part, l'actualiser.
Nous espérons que cette actualisation sera sincère et exhaustive. Surtout, elle devra nous permettre, cette fois, d'avoir l'indispensable débat sur la masse et le format des armées, donc sur le modèle d'armée que nous voulons, tous sujets que le Gouvernement n'a pas voulu traiter en 2023, sans doute par crainte de leurs implications budgétaires.
Seulement, aujourd'hui, la réalité du monde nous rattrape : la situation géopolitique se dégrade de façon continue et les digues du droit, rempart contre l'appétit des puissances expansionnistes, tombent les unes après les autres.
Est-ce à dire que nous plongeons dans l'inconnu ? Pas du tout : c'est précisément le contraire.
Le monde qui est devant nous n'est pas inconnu : c'est celui dans lequel les peuples, jusqu'au XXe siècle, ont toujours vécu. Je veux parler d'un monde où la force prime sur le droit et où ne survivent que les sociétés qui sont prêtes à défendre leur liberté et leurs droits contre les appétits de leurs voisins.
Pourtant, combien de bonnes âmes – certaines sincères, d'autres simplement subverties par le narratif de nos adversaires – voudraient détourner les yeux de cette réalité historique !
Voyez les réactions insensées qu'ont suscitées les propos tenus devant les maires par le chef d'état-major des armées (Cema), qui ne faisait pourtant que relayer auprès des élus locaux les conclusions de la revue nationale stratégique, document publié dès le 13 juillet dernier.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Cédric Perrin. Oui, faisons de ce débat organisé à la demande du Gouvernement un moment utile ! Parlons à nos compatriotes qui se laissent charmer par les sirènes d'une politique d'apaisement avec la Russie, parlons à nos partenaires européens qui croient que l'on pourra calmer Donald Trump en cédant à toutes ses foucades !
La vérité que l'histoire nous enseigne, c'est que les intentions les plus pacifiques n'ont jamais prémuni personne contre la guerre.
La confusion règne dans les esprits, sous les effets combinés, d'une part, de la déstabilisation de nos sociétés par la mondialisation de la propagande et les ingérences de nos adversaires et, d'autre part, des ruptures technologiques de la société de l'information – les générations à venir la renommeront peut-être : « société de la désinformation » ! Plus que jamais, dans ce contexte, il convient d'écouter les chercheurs, de donner la parole à ceux qui ont lu et qui ont écrit plutôt qu'à ceux qui tweetent, qui buzzent et qui clashent !
Au cœur de la guerre froide, voici ce que répondait Julien Freund aux propos pacifistes que lui objectait Jean Hyppolite lors de la soutenance de sa thèse : « Vous pensez que c'est vous qui désignez l'ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d'ennemis, nous n'en aurons pas, raisonnez-vous. Or c'est l'ennemi qui vous désigne. Et s'il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d'amitié : du moment qu'il veut que vous soyez l'ennemi, vous l'êtes. »
La réponse à la première question que pose le Gouvernement, sur la politique de défense nationale, est donc la suivante : oui, il faut prendre au sérieux les Russes ou les Américains quand ils affirment publiquement qu'ils entendent faire de l'Europe une proie condamnée à subir et à payer le tribut – les Chinois, eux, ont la finesse de ne pas affirmer publiquement cette vision des choses, qu'ils partagent entièrement.
Le tribut que ces puissances attendent de l'Europe prend des formes diverses.
Pour les Russes, ce serait l'acceptation d'une restauration de l'empire soviétique, ce qui est lourd de menaces pour l'Ukraine, bien sûr, mais aussi pour les États baltes, la Moldavie et, plus généralement, les pays de l'Europe orientale.
Pour les Américains, ce serait l'acceptation de droits de douane déséquilibrés, l'obligation de payer pour la garantie de sécurité, sous la forme d'achats toujours plus importants de matériel militaire américain – jusqu'à 70 %, voire 80 %, des achats de défense européens ! –, voire la revendication stupéfiante de territoires européens, comme le Groenland.
Pour les Chinois, enfin, ce serait l'acceptation d'une prise en main des infrastructures civiles, de télécommunications ou de transport, et la consommation des masses de produits industriels que la Chine peine de plus en plus à écouler aux États-Unis.
Tous ces pays, rejoints en cela par d'autres acteurs de moindre rang, joignent à ces revendications une ingérence constante dans la vie institutionnelle, le débat public et les processus démocratiques des sociétés européennes ; s'y ajoutent l'espionnage, qu'il soit économique ou de renseignement, et la lutte cyber.
Dans ce monde de loups, cessons d'être des agneaux ! Refusons ce destin de soumission que d'autres entendent écrire pour l'Europe ; refusons de payer tribut !
Le Président de la République a eu raison de dire, dans son discours du 13 juillet dernier, que pour être respecté il faut être craint. Encore faut-il s'en donner les moyens, ce qui m'amène à la deuxième partie de mon propos, que je consacrerai aux moyens de notre stratégie de défense nationale.
« La sécurité ne s'hérite pas : elle se construit, elle s'organise, elle se prépare. En 1939, nous n'étions ni unis ni prêts. » Voilà ce qu'affirmait le général de Gaulle, nous exhortant à apprendre des erreurs du passé, lors de son allocution du 3 novembre 1959 à l'École de guerre. Constatons, madame la ministre, que nous avons les mêmes références ! (Sourires.)
M. Cédric Perrin. Oui, devant ce retour à un monde de confrontations, il nous faut d'urgence accroître notre effort de défense !
On pourrait rappeler le combat homérique que le Sénat a dû livrer, en 2023, pour arracher au Gouvernement et à l'Assemblée nationale ne seraient-ce que quelques centaines de millions d'euros pour 2024 et 2025. La suite nous a donné raison, ô combien !
Les moyens supplémentaires sont bien sûr indispensables. Notre collègue Dominique de Legge a eu l'occasion de souligner, lors de l'examen de la mission « Défense » du projet de budget pour 2026, que même avec la surmarche prévue nous resterons très loin des taux d'efforts pour la défense qui avaient cours pendant la guerre froide.
Si ces moyens supplémentaires sont à nos yeux indispensables – je tiens à le répéter –, nous affirmons en revanche deux exigences, qui devront se traduire dans la loi d'actualisation de la LPM annoncée pour 2026.
D'une part, il faudra, cette fois, que soient abordés les vrais sujets de fond, en particulier le modèle d'armée et le format des armées. Après nous avoir dit en 2023 que ce n'était pas le sujet, vous avez vous-même reconnu, monsieur le Premier ministre, qu'il nous manquait plusieurs dizaines d'avions et trois frégates. Nous saluons votre évolution sur ce sujet, mais tout cela devra aussi être traité dans la loi d'actualisation.
D'autre part, il vous faut revoir le rôle que vous entendez réserver au Parlement, qui a jusqu'à présent été tenu à la marge de ce débat.
Je ne nie nullement les réalités institutionnelles qui découlent de la Constitution de 1958, mais il reste que, depuis 2017, dans sa pratique, l'exécutif tient le Parlement pour quantité négligeable, voire contournable ; cela n'est pas propre aux questions de défense. C'est cette conception du pouvoir qui nous a conduits dans l'impasse institutionnelle où nous nous trouvons, impasse que symbolise l'existence même du débat que nous avons aujourd'hui.
À cet égard, il faudra que le service militaire volontaire qui vient d'être annoncé soit clairement défini et budgété, pour qu'il ne rogne pas sur les autres besoins de nos armées et qu'il ne finisse pas, comme le service national universel (SNU), au rang des opérations de communication mal ficelées !
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Cédric Perrin. Monsieur le Premier ministre, le groupe Les Républicains soutient l'accroissement de notre effort de défense, mais il vous avertit : plus de moyens supposent davantage de contrôle. Soyez sans illusions quant à l'attitude du Sénat sur ce point ! C'est ce qu'attendent les Français, et nous ne décevrons pas leur attente.
J'en viens au dernier volet de mon propos, consacré à l'indispensable réarmement industriel.
La période des « dividendes de la paix » nous a fait baisser la garde non seulement sur le format de nos armées, mais aussi sur les capacités de production de notre industrie de défense.
S'ajoute à cela l'effroyable désindustrialisation de la France depuis les années 1980. Cette désindustrialisation s'explique en partie par la mondialisation et les transformations de nos sociétés occidentales, mais elle tient aussi, pour une large part, à une idéologie mortifère voyant dans l'industrie un fait du passé et faisant des services l'horizon de toute prospérité économique.
Ce mode de pensée est absurde et nous en payons aujourd'hui le prix : chômage, dévitalisation de nos territoires, perte de compétitivité.
Nous en payons un autre prix, plus dangereux encore, qui tient à nos faibles capacités à basculer, s'il en était besoin, vers une industrie de guerre ; nous ne disposons en effet que de peu de capacités industrielles civiles convertibles, s'il le fallait, en capacités industrielles de défense.
Par conséquent, augmenter les crédits du ministère des armées ne suffit pas ; un projet global est nécessaire, intégrant la capacité de notre société à faire face en cas de choc : il nous faut donc un réarmement industriel et un réarmement moral qui tournent le dos à l'esprit de renoncement et de défaite, c'est-à-dire, en définitive, un sursaut politique.
Celui-ci devra s'exprimer dans la loi d'actualisation de la LPM. Un très important volet normatif sera indispensable pour revenir, notamment, sur le maquis des contraintes abusives qui pèsent sur les industries de défense et sur l'innovation, tout comme sur nos armées, d'ailleurs.
Naturellement, il conviendra de remettre sur le métier l'ouvrage, largement engagé par le Sénat, du financement des entreprises de la BITD, PME (petites et moyennes entreprises) et ETI (entreprises de taille intermédiaire) en particulier.
Il faudra également repenser le fonctionnement de la direction générale de l'armement (DGA). Depuis plusieurs années, le Sénat demande davantage d'agilité et de réactivité, notamment dans les processus de captation des innovations. Il est impératif aussi de mieux entendre les utilisateurs, c'est-à-dire nos forces armées. Nous aurions sans doute évité bien des erreurs – je pense aux drones – si l'exécutif avait davantage écouté le terrain.
En conclusion, monsieur le Premier ministre, je reviens à la question posée : puisque vous nous invitez, au terme de ce débat, à répondre par oui ou par non, le groupe Les Républicains votera oui.
Oui à un redressement de notre effort de défense ; oui à une prise de conscience quant au monde qui nous attend ; oui à une riposte aux ingérences, aux manipulations de l'information et aux menaces hybrides ou militaires ; oui pour que l'esprit français, qui a tant compté dans l'avènement des Lumières, se réveille enfin et donne une vraie chance à la paix, en préparant la guerre.
Oui à une France forte au sein d'une Europe souveraine, qui assume enfin ses droits et refuse de se laisser dévorer vivante par les grandes puissances ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP. – Mme Mireille Jouve applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames les ministres, je commencerai mon intervention par un mot : enfin ! Enfin un débat sur la défense nationale en application de l'article 50-1 de la Constitution, suivi d'un vote.
Il est bien vrai qu'il nous faut régulièrement sortir des discussions exclusivement budgétaires ; il est bon de commencer par la stratégie avant d'aborder le budget.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle mon groupe avait sollicité un tel débat : au regard de l'actualisation de la revue nationale stratégique, des enjeux liés au sommet de l'Otan à La Haye et de la situation stratégique globale, nous considérions cette discussion comme indispensable, et ce d'autant plus que la loi de programmation militaire avait été un peu décalée dans le temps. Il est bel et bien souhaitable de parler de stratégie plutôt que de budget.
Monsieur le Premier ministre, vous nous invitez à répondre à la question suivante : approuvons-nous le principe d'une augmentation du budget de la défense pour soutenir la montée en puissance plus rapide de nos forces armées dès 2026 ?
Au fond, sommes-nous d'accord pour ajouter une surmarche de 3,5 milliards d'euros à la trajectoire inscrite dans la LPM ? Je rappelle qu'une augmentation de 3,2 milliards d'euros était déjà programmée pour 2026, ce qui porte bien la hausse par rapport à 2025 à 6,7 milliards d'euros. La question est d'importance, s'agissant d'un montant élevé.
Toutefois, avant d'en débattre, permettez-moi de parler un peu de la doctrine ; ce préalable est nécessaire, vous en conviendrez. Je ne citerai pour ma part ni le général de Gaulle (Exclamations amusées sur les travées du groupe SER.) ni Pierre Messmer,…
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Quel dommage !
M. Rachid Temal. … qui sont vos maîtres à penser, je le sais, monsieur le Premier ministre.
La doctrine de mon groupe s'inspire d'un autre illustre grand Français, Jean Jaurès, et particulièrement de son ouvrage de 1911, L'Armée nouvelle, d'une actualité saisissante.
Voici ce qu'il écrivait : « Comment porter au plus haut, pour la France et pour le monde incertain dont elle est enveloppée, les chances de la paix ? Et si, malgré son effort et sa volonté de paix, elle est attaquée, comment porter au plus haut les chances de salut, les moyens de sa victoire ? » C'est exactement le sujet qui nous occupe aujourd'hui.
Nous, socialistes, sommes pour la paix, pour le droit international, pour le multilatéralisme. C'est pourquoi nous prônons une défense nationale puissante, faisant de la dissuasion conventionnelle et nucléaire la pierre angulaire de sa stratégie, avec pour priorité, bien sûr, la capacité de défendre la France, nos concitoyens et nos intérêts vitaux en cas d'attaque.
Cette doctrine fut celle du président François Mitterrand avec Charles Hernu, du Premier ministre Lionel Jospin avec Alain Richard, ou encore du président François Hollande avec Jean-Yves Le Drian. Elle demeure la nôtre.
Je tiens également à rendre hommage à nos forces armées, à ces femmes et à ces hommes qui, comme vous l'avez dit, madame la ministre, choisissent de s'engager, parfois jusqu'au sacrifice suprême, pour défendre notre pays et nos compatriotes. Je salue leur professionnalisme, qu'ils opèrent dans l'Hexagone, dans les outre-mer ou à l'étranger, sous le drapeau français, sous mandat de l'ONU ou dans le cadre d'opérations de l'Union européenne ou de l'Otan.
L'année 2025 marquera, je le crois, un changement de paradigme, voire un changement de monde.
Nous quittons l'équilibre post-1945, qui apparaît a posteriori rassurant : la fin des « dividendes de la paix » sonne le retour des « empires contrariés ». Ceux-ci font de la puissance de feu le nouvel alphabet des relations internationales. Cette année historique doit faire évoluer notre vision, tant elle affecte notre stratégie de défense.
J'observe d'abord une mutation profonde et durable chez nos principaux alliés, les États-Unis d'Amérique. Ne pensons pas qu'il suffirait d'attendre la fin du mandat de Donald Trump pour que tout redevienne comme avant : la mutation est beaucoup plus profonde, me semble-t-il.
L'avantage, avec les Américains, c'est qu'ils annoncent la couleur : en février dernier, le vice-président déclarait explicitement qu'il fallait changer les régimes en Europe et soutenir à cet effet les partis d'extrême droite en France, en Allemagne ou au Royaume-Uni, afin de bâtir une Europe vassalisée.
La récente revue stratégique américaine confirme cette vision : un camp occidental, incluant une Europe vassalisée, mais aussi la Russie, doit contenir l'autre camp, piloté par la Chine. Il faut avoir en tête cette vision, qui explique notamment l'attitude de l'administration américaine à l'égard des Russes, appelés à intégrer un grand ensemble occidental.
La volonté du président américain, que traduit cette stratégie, est bien de vassaliser toujours davantage la France et l'Europe.
Se pose dès lors le problème du changement d'alliance en Ukraine : nous avons vu que les États-Unis étaient capables de couper le robinet des armes et du renseignement à l'Ukraine, mettant en péril sa capacité à se défendre, donc la vie de ses citoyens.
Je réaffirme tout notre soutien au président Zelensky, aux forces armées et à la population ukrainiennes, qui combattent Poutine.
Comme vous l'avez rappelé, madame la ministre, depuis 1999, Poutine n'a fait que des guerres : Caucase, Moyen-Orient, Afrique, Ukraine. Il a rompu les accords de 1991, puis ceux de 2014.
M. Rachid Temal. Il s'agit bien, en effet, de sa deuxième guerre contre l'Ukraine. Sans accord sur les conditions de la paix, une troisième guerre menacerait l'Ukraine, ne le perdons pas de vue.
Je salue l'action du président Macron sur la coalition des volontaires, mais il faut aussi mobiliser les moyens financiers nécessaires.
La Russie est aujourd'hui la seule puissance à être passée en économie de guerre. Elle est certes vassalisée par la Chine, mais demeure puissante ; et tout le monde s'accorde à dire qu'elle le sera davantage en sortant de la guerre qu'elle ne l'était en y entrant. Comme le disait Napoléon, les États font la politique de leur géographie : la Russie restant en Europe, nous n'échapperons de toute façon pas à la question de notre rapport avec elle.
Je n'oublie pas la Chine, qui assume de porter un nouvel ordre mondial. L'accueil réservé au président Macron par Xi Jinping en témoigne : quand le premier a voulu évoquer les relations entre la Chine et la Russie, le second lui a rétorqué : « On ne parle pas de ça. » Cette fin de non-recevoir en dit long sur les perspectives des mois à venir.
J'ai aussi à l'esprit les conflits qui s'ourdissent à l'ombre de l'arme nucléaire, entre l'Inde et le Pakistan ou entre Israël, puissance nucléaire non officielle, et l'Iran, qui est au seuil de le devenir. Il y aurait beaucoup à dire également sur la « starification » du drone.
Je pourrais évoquer la fin de la Françafrique – ou la fin de la France en Afrique –, vraie question de fond, ou encore le Moyen-Orient, entre espoir et chaos.
Quant au terrorisme, il s'affirme comme une arme dans une guerre asymétrique. Alors que nous célébrons les dix ans des attentats de Charlie Hebdo et du Stade de France – j'en sais quelque chose –, force est de constater que, dans la compétition internationale, le terrorisme est désormais ouvertement utilisé comme une arme de guerre à grande échelle. Pour ceux qui en doutaient encore, le 7 octobre sonne comme une preuve définitive.
L'échec de la COP laisse présager l'intégration de la dimension climatique dans les futurs conflits, via la question de l'eau, par exemple, entre autres sujets.
Un mot sur l'Otan : si cette alliance est importante et doit être maintenue, l'accord conclu récemment prévoit une dépendance accrue aux achats d'armes américaines ; nous devons nous atteler à ce problème.
Concernant l'Europe, je partage ce qui a été dit, tout en soulevant une objection : lorsque la présidente de la Commission nous explique qu'il va falloir acheter des armes américaines pour négocier des exemptions de droits de douane, convenons que cela ne fait guère avancer nos intérêts. Dès lors, la France est seule, l'Europe est seule ; nous devons en tirer les conséquences.
Il faut rassembler le pays, renforcer nos armées, associer la Nation, et relever, à cette fin, quatre défis majeurs.
Le premier défi est politique. Il est impératif que le Parlement soit mieux associé aux décisions prises dans le domaine militaire ; le Président de la République doit cesser sa politique des annonces – souvenons-nous de l'échec du service national universel (SNU), de sa proposition de mobiliser la coalition internationale contre Daech dans la lutte contre le Hamas, ou de ses propos sur la « mort cérébrale » de l'Otan. Le domaine réservé n'interdit pas l'association du Parlement ; l'un n'exclut pas l'autre.
Nous devons également regarder en face les partis et les médias qui ont fait le choix d'adopter le narratif de nos concurrents.
Par ailleurs, la baisse des dotations des affaires étrangères est une mauvaise nouvelle, car la diplomatie participe, au même titre que les armées, du domaine régalien.
Le deuxième défi est budgétaire. Nous disons oui à l'effort, mais non au prix du sacrifice de notre modèle social. La question des recettes est donc incontournable si nous voulons tenir nos objectifs. Le 1,5 milliard d'euros retranché par le Sénat du plan France 2030 pendant l'examen du projet de loi de finances pourrait avoir son utilité pour financer les priorités dont nous sommes en train de parler…
Le troisième défi est industriel. Je pense au système de combat aérien du futur (Scaf) : peut-être faut-il concevoir un système interopérable comprenant plusieurs avions de combat différents plutôt qu'un seul, afin de répondre aux besoins opérationnels de nos armées comme de celles de nos alliés, mais également, demain, de mieux vendre ce que nous aurons développé.
Je passe sur le sujet de la dissuasion nucléaire, qui mériterait de longs développements.
Le quatrième défi tient à la résilience de la Nation et au rapport entre citoyens et armées ; je formulerai à cet égard plusieurs propositions.
Puisque nous disposons d'une revue nationale stratégique actualisée, je souhaite que soient organisés dans le pays, d'ici à l'été prochain, plusieurs débats de présentation et d'échange. De même, sur le plan industriel, on pourrait imaginer une obligation pour les grands groupes d'investir 5 % dans les start-up du secteur. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)
Il est temps par ailleurs de mettre enfin en place la politique nationale tant promise contre les ingérences étrangères. Nous avons fait un rapport sur ce sujet avec Dominique de Legge ; nos préconisations méritent d'être considérées.
Pour ce qui concerne le rapport entre armées et Nation, il convient désormais de nous accorder sur ce que doit être le service national, car le sujet fait débat. La coordination entre armée professionnelle, réserve opérationnelle et service volontaire doit notamment faire l'objet d'une définition claire – ce chantier est devant nous.
Une question matricielle demeure : celle de la nouvelle architecture de défense. La France doit en rester le pilier, car la défense est une compétence nationale, et non communautaire. L'exercice de cette compétence n'est évidemment pas sans rapport, malgré tout, avec l'Otan, ni avec la construction d'un pilier européen – ou issu de la réunion de volontés européennes – au sein de cette alliance, ce qui pose la question de l'intervention de l'Union européenne dans ce champ.
Cela étant, il nous faudra également bâtir des accords avec des partenaires du Sud, afin de sortir d'une logique exclusivement européenne ou occidentale dans laquelle certains voudraient nous enfermer.
Monsieur le Premier ministre, pour répondre concrètement à votre question, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera oui. (Ah ! sur des travées des groupes INDEP et UC.)
Mme Cécile Cukierman. Allez, à la guerre !
M. Rachid Temal. Il ne s'agit pour autant ni d'un chèque en blanc ni d'un blanc-seing.
Vous aurez tout le loisir de vous exprimer, madame Cukierman !
Mme Cécile Cukierman. Je le ferai, ne vous inquiétez pas !
M. Rachid Temal. Chacun connaît vos obédiences, qui ne sont pas les nôtres, et toutes les expressions doivent être respectées.
Pour ma part, je considère que les belligérants sont au Kremlin et à la Maison-Blanche, et non à l'Élysée ou au Sénat ! C'est là une différence entre nous.
Mme Cécile Cukierman. Je ne crois pas !
M. Rachid Temal. Ce vote est l'expression d'un soutien ferme aux armées en même temps qu'un message adressé à nos concitoyens : il s'agit de réaffirmer notre doctrine de souveraineté nationale.
Ce « oui » vise aussi à ce que le Parlement soit pleinement associé à la réflexion sur la future loi de programmation militaire. Ainsi seulement construirons-nous une programmation utile à notre pays et susceptible de renforcer nos capacités de défense, conformément au vœu de Jean Jaurès. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Raphaël Daubet et Mme Micheline Jacques applaudissent également.)
(M. Pierre Ouzoulias remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)