Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, rapporteur pour avis. (M. Patrick Kanner applaudit.)
M. Didier Marie, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution européenne que nous examinons vise à inviter le Gouvernement à saisir la Cour de justice de l'Union européenne, afin de faire obstacle à la ratification de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur, conformément aux prérogatives que lui confèrent les traités.
Cette demande repose sur trois griefs majeurs.
En premier lieu, la Commission a manifestement outrepassé le mandat qui lui avait été confié par le Conseil. En scindant l'accord et en substituant un accord de partenariat à un accord d'association, elle a choisi une architecture juridique permettant de contourner le vote à l'unanimité des États membres et la ratification des parlements nationaux.
Une telle manœuvre, qui s'apparente à un passage en force, méconnaît les exigences de loyauté institutionnelle et l'équilibre des compétences entre les institutions européennes. La question de la compatibilité de l'accord de libre-échange avec les traités mérite à l'évidence d'être tranchée par le juge européen.
En deuxième lieu, l'introduction d'un mécanisme de rééquilibrage à la demande des pays du Mercosur ouvre la voie à une remise en cause directe des politiques environnementales, sanitaires et de protection des consommateurs de l'Union. En raison de son champ d'application ambigu et potentiellement extensible, un tel mécanisme pourrait devenir un instrument de pression pour empêcher l'Union d'appliquer des politiques publiques pourtant légitimes, voire pour la contraindre à y renoncer.
Il s'agit là d'une menace inacceptable pour notre souveraineté réglementaire. Une telle perspective paraît en outre difficilement conciliable avec les objectifs des traités en matière de développement durable et de protection de la santé.
Enfin, l'accord soulève de sérieuses interrogations quant au respect du principe de précaution. Alors que les écarts normatifs entre l'Union et les pays du Mercosur sont patents, un allègement des contrôles sanitaires et phytosanitaires est prévu, sans que des garanties suffisantes soient apportées. Le principe de précaution est évoqué, mais il est vidé de sa portée, ce qui expose l'Union à des contentieux susceptibles d'entraîner le retrait de mesures protectrices pourtant essentielles.
Au regard de ces éléments, les trois moyens invoqués à l'appui d'une saisine de la Cour de justice nous apparaissent fondés. Cette saisine constitue le dernier levier juridique et politique nous permettant de défendre nos intérêts stratégiques, de préserver nos standards sanitaires et environnementaux et de traduire en acte l'opposition maintes fois réitérée de la France à l'accord, tel qu'il a été négocié. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Nicolas Forissier, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l'attractivité. Madame la présidente, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous permettre de discuter de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur à l'occasion de l'examen de la proposition de résolution européenne présentée par plusieurs d'entre vous.
Il s'agit d'un sujet extrêmement important pour le Gouvernement, pour le Parlement, mais aussi pour l'ensemble de nos concitoyens et, singulièrement, dans le moment que nous vivons, pour nos agriculteurs et nos agricultrices.
Cet accord s'inscrit dans la thématique plus large du commerce international.
Ainsi que je l'ai indiqué lors de chacun de mes échanges avec des parlementaires, avec nos concitoyens ou avec des chefs d'entreprise, je souhaite favoriser un dialogue nourri et régulier avec le Parlement, avec les filières et la société civile, pour que nous travaillions ensemble à définir une stratégie internationale qui nous permette de valoriser au mieux nos nombreux intérêts commerciaux à l'exportation, tout en protégeant nos filières sensibles, avec un esprit de conquête, sans naïveté, mais avec opiniâtreté. Voilà en tout cas l'esprit dans lequel je travaille, sur la demande du Premier ministre.
Le contexte international dans lequel nous évoluons actuellement est particulier. Le multilatéralisme est fragilisé, l'ordre international se redessine, les tensions sont fortes. Comme je le dis souvent, le commerce international connaît des mouvements de plaques tectoniques extrêmement risqués ; nous devons rester d'autant plus lucides.
Durant cette période de bouleversements, le renforcement de nos partenariats et la diversification de nos échanges doivent contribuer à réduire nos dépendances les plus critiques et à offrir à nos entreprises de nouvelles sources de croissance. À cet effet, les anciens liens d'amitié qui unissent l'Europe aux pays d'Amérique latine font depuis longtemps de ceux-ci des candidats naturels à un traité.
Je le dis en tant que ministre délégué chargé du commerce extérieur, parce que c'est mon devoir, mais aussi parce que ce point me semble trop peu abordé : les inquiétudes quant à l'impact d'accords de commerce sur certaines filières sont légitimes – le sujet est essentiel –, mais ne perdons jamais de vue les nombreux avantages de ces accords pour notre économie, pour nos entreprises, en particulier pour nos petites et moyennes entreprises (PME) et nos petites et moyennes industries (PMI).
En ce qui concerne l'accord d'échange avec le Mercosur, nous devons évidemment prendre en compte les garanties demandées par certaines filières extrêmement sensibles. Permettez-moi tout de même de le rappeler, pour les filières du lait, du fromage, des vins, des spiritueux et plus globalement, pour notre industrie et les services, l'accès aux marchés publics de ces pays comporte évidemment des bénéfices, qu'il faut prendre en compte pour apporter une analyse équilibrée.
La nécessité d'aller vers des accords de commerce internationaux repose au fond sur deux objectifs : diversifier nos marchés et nos exportations, mais aussi sécuriser l'avenir de nos entreprises et de nos filières. Nous ne pouvons pas être trop dépendants de certains marchés ; encore une fois, il faut aller à la conquête.
Dans ce contexte, de tels accords sont donc utiles, mais la démarche doit nécessairement s'inscrire dans le cadre de relations équilibrées, dans le respect de nos intérêts stratégiques, de la soutenabilité de ces accords et de la protection des consommateurs.
Je le dis avec fermeté : il serait inenvisageable d'accepter un accord commercial que nous jugerions ne pas répondre à ces exigences. (M. Yannick Jadot s'exclame.) Le Gouvernement ne perdra jamais de vue cette condition. Je le dis sans aucune ambiguïté : il n'est pas envisageable de favoriser les intérêts de certaines filières au détriment d'autres, a fortiori des filières agricoles.
M. François Bonhomme. C'est bien !
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. La position de la France sur l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur a été constante depuis l'annonce de la conclusion des négociations il y a un an. L'accord, tel qu'il a été conclu à Montevideo en décembre 2024, n'est pas acceptable en l'état. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je le répète sans cesse, me semble-t-il : cette position est claire, sans ambiguïté et partagée par tous les membres du Gouvernement depuis désormais plus d'un an.
Mme Valérie Boyer. Je suis rassurée ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Notre boussole est claire : la défense de nos intérêts, notamment la protection de nos filières agricoles.
J'entends les interrogations, mais certains commentateurs laissent entendre que la France aurait renoncé et qu'elle se serait résignée face à l'offensive de la Commission visant à conclure cet accord. Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est tout l'inverse : depuis plus d'un an, la France a porté un message de fermeté non seulement auprès de la Commission, mais aussi auprès de tous nos partenaires du Mercosur. Nous avons surtout activement mobilisé l'ensemble des États membres partageant nos réserves – d'ailleurs, certains membres de la Haute Assemblée l'ont rappelé avant moi.
Le Président de la République, le Premier ministre et les ministres concernés ont mené des démarches nombreuses et intenses pour peser sur la Commission et exprimer clairement notre position et nos attentes. Nous avons par exemple adopté avec l'Italie, l'Autriche et la Hongrie en juin 2025, puis avec la Pologne en juillet 2025, des déclarations ministérielles conjointes pour adresser à la Commission un message clair sur notre position et nos attentes.
Depuis le départ, notre stratégie repose sur un objectif simple et clair : nous assurer que, en aucun cas, un accord que nous jugerions inacceptable et qui exposerait nos filières agricoles en les laissant sans protection ne puisse être adopté.
Dans ce cadre, la France a formulé trois demandes précises qui répondent chacune à une préoccupation spécifique : premièrement, protéger les filières agricoles européennes de tout risque de déstabilisation ; deuxièmement, s'assurer que les produits importés respectent les mêmes normes que celles qui sont imposées aux produits européens pour des raisons sanitaires, phytosanitaires ou environnementales ; troisièmement, renforcer les contrôles sanitaires et phytosanitaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le sais pour vous avoir entendu à la tribune, ces préoccupations sont les vôtres. Permettez-moi donc d'y revenir un peu plus en détail.
Pour ce qui concerne la première exigence, celle de protéger les filières agricoles européennes, nous ne pouvons pas accepter qu'un accord commercial provoque des perturbations du marché européen, en particulier dans certaines filières sensibles.
Nous devons nous prémunir contre les risques de hausse massive et soudaine des importations qui porteraient préjudice et causeraient des dommages irréversibles à nos filières agricoles – je le dis d'autant plus que j'ai construit toute ma vie politique dans un terroir d'élevage et un bassin allaitant, et que je suis, comme nombre d'entre vous le savent, très sensible aux questions agricoles.
Les filières en question sont, dans le projet d'accord de l'Union européenne avec le Mercosur, protégées par des quotas d'un volume limité. Ce n'est toutefois pas suffisant. Il est indispensable de disposer de mécanismes qui permettent de réagir si de tels risques se matérialisent malgré les quotas : c'est le principe des clauses de sauvegarde.
Dans le cadre spécifique de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur, nous avons considéré – nous avons été clairs et depuis longtemps – que le dispositif contenu dans l'accord ne convenait pas. En effet, nous l'avons dit et répété, il n'offrait pas un niveau de protection suffisant pour certaines de nos filières agricoles sensibles.
Par conséquent, nous avons exigé que le dispositif soit renforcé pour les produits agricoles. La Commission a proposé, en octobre dernier, un projet de règlement renforçant nettement la clause de sauvegarde bilatérale pour les produits agricoles sensibles. Il s'agit d'un progrès concret, fruit du travail mené par la France.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai bien remarqué les réserves, voire le scepticisme que votre proposition de résolution contient quant à la portée réelle et à l'efficacité de cet instrument. C'est pourquoi je souhaite, si vous le permettez, vous le présenter brièvement et vous exposer son intérêt pour nous.
La clause de sauvegarde contenue dans l'accord, juridiquement contraignante pour toutes les parties – y compris pour les pays du Mercosur –, définit un cadre relativement large dans lequel des mesures de sauvegarde peuvent être prises. Tout l'enjeu, en pratique, est de laisser une certaine marge d'interprétation dans l'appréciation de l'existence ou non d'un préjudice et dans le déclenchement d'une enquête.
Autrement dit – ceux d'entre vous qui ont travaillé sur ces sujets le comprennent –, l'enjeu est de savoir dans quelles conditions la Commission européenne se saisira ou non de cette possibilité offerte par l'accord, et si la Commission prendra rapidement les mesures qui s'imposent. Évidemment, en cas de perturbation d'une filière et donc de risque de dommages irrémédiables, le délai de réaction est absolument essentiel. Il s'agissait d'ailleurs d'un point de préoccupation majeure pour la France.
Le projet de règlement répond à plusieurs carences, en proposant quatre éléments protecteurs pour nos filières agricoles. Le premier est une surveillance fine des marchés et de l'impact de l'accord sur les filières, à l'échelle non seulement de l'Union européenne, mais aussi de chaque État membre individuellement. Le but est de détecter d'éventuelles perturbations de marché sur les volumes ou sur les prix, en particulier au-delà de 10 % de variation – j'y reviendrai.
Sur ce point, le Gouvernement a été à l'écoute de nos éleveurs. Nous avons obtenu de la Commission qu'elle s'engage à prendre en compte les demandes de modification de la nomenclature douanière, de façon à suivre précisément la situation de certains segments sensibles de la production française. Je songe notamment à l'aloyau, pièce de bœuf à forte valeur ajoutée, qui constitue la principale préoccupation de la filière bovine en France,…
M. Pascal Allizard, rapporteur. Sans doute !
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. … mais aussi aux filets de volaille. Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, cela suppose d'abord une évolution des codes douaniers.
Le deuxième élément protecteur est de permettre à la Commission d'ouvrir une enquête à la demande non seulement d'un État membre, mais aussi de toute personne physique ou morale agissant au nom des filières de l'Union.
Le troisième élément est le suivant : lorsque certains critères quantitatifs de prix et de volume importés sont remplis, le lancement d'enquêtes formelles de la Commission pour vérifier la réalité des éventuelles perturbations de marché se fera sans délai, ce qui devrait largement faciliter l'ouverture d'enquêtes par la Commission. Cela n'est pas souvent précisé, le calcul des évolutions de volume ou de prix pouvant conduire à déclencher une enquête et à faire cesser les importations sera réalisé en années glissantes et non pas d'une année sur l'autre.
Enfin, quatrième élément protecteur, en cas de perturbations avérées de produits sensibles, les délais de réaction seront très courts : des mesures de sauvegarde provisoires seront mises en place dans un délai de vingt et un jours, et l'enquête sera conclue en quatre mois. Loin de la procédure habituelle, la clause de sauvegarde comprend des éléments garantissant la rapidité des décisions.
Dit plus simplement, ce projet de règlement permet d'encadrer strictement, voire d'automatiser la pratique de la Commission européenne et de s'assurer qu'aucune perturbation ne sera laissée sans réponse rapide.
Cet élément nouveau témoigne que nos préoccupations et celles de nos partenaires commencent à être entendues. Nous sommes actuellement en train de nous assurer de la pleine opérationnalité du dispositif, de sa robustesse et de son activation facile. C'est une condition nécessaire pour permettre une protection effective des filières agricoles européennes.
J'ajoute que le Parlement européen, réuni en séance plénière, vient tout juste d'adopter un compromis, il y a un peu plus de deux heures, ce qui permettra au trilogue, c'est-à-dire au Conseil, au Parlement et à la Commission, de reprendre leurs travaux.
Dans le texte issu du compromis adopté par le Parlement, deux éléments importants s'ajoutent à ceux que je viens de rappeler.
Tout d'abord, le texte est renforcé, dans la mesure où le seuil de déclenchement des évolutions, en volume comme en prix, est réduit de 10 % à 5 %. La maille est ainsi considérablement resserrée, en réponse à une demande de la France. C'est une très bonne nouvelle.
Ensuite, les obligations de la Commission sont également renforcées. Dans la rédaction qu'il a retenue, le Parlement a remplacé la faculté laissée à la commission d'adopter des mesures définitives, exprimée par le verbe pouvoir, par une obligation, exprimée par le verbe devoir. Là encore, les clauses de sauvegarde sont donc renforcées.
Nous demandons donc que le projet de règlement ainsi amendé, qui prévoit l'abaissement des seuils quantitatifs avant le déclenchement des enquêtes, le renforcement de la surveillance et le raccourcissement des délais de mise en œuvre, soit adopté rapidement, en tout état de cause avant toute expression du Conseil de l'Union européenne.
Toutefois, cette avancée, même si elle est utile et nécessaire, ne sera pas suffisante. Nous l'avons redit en conseil des ministres la semaine dernière : le compte n'y est toujours pas !
M. Yannick Jadot. C'est sûr !
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. J'ai bien entendu Mme Dominique Estrosi Sassone évoquer des clauses de sauvegarde Potemkine, mais, madame la sénatrice, ce qualificatif est de moins en moins vrai. Et si vous avez des doutes et des inquiétudes, je voudrais vous rassurer. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
La deuxième demande de la France est que les normes environnementales, sanitaires et phytosanitaires imposées aux producteurs européens soient également respectées par les produits importés. Nous retrouvons cette vieille demande dans les débats depuis très longtemps : je me souviens qu'il en était déjà question au Sénat lors de l'examen du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux il y a vingt ans, alors que j'étais secrétaire d'État à l'agriculture.
M. François Bonhomme. Justement !
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Je suis donc sensible à ces questions.
Les normes environnementales, sanitaires ou phytosanitaires imposées aux producteurs européens doivent être également respectées par les produits importés. C'est le sujet des mesures miroirs, qui relèvent autant du bon sens que d'une exigence d'équité.
Il n'est pas soutenable de continuer d'importer des produits alimentaires traités avec des pesticides ou des médicaments vétérinaires prohibés en Europe, c'est-à-dire produits dans des conditions interdites à nos producteurs.
M. Guillaume Chevrollier. Tout à fait !
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Pour le bien de tous, nous avons choisi de nous passer de tels produits en raison de leurs conséquences négatives pour l'environnement et la santé. Nous ne voulons donc plus de cette incohérence. C'est une demande extrêmement forte de la France.
C'est aussi une exigence d'équité : nos normes environnementales et sanitaires, légitimes, perdraient tout leur sens si elles entraînaient une hausse des importations de produits qui ne les respecteraient pas.
La France demande donc à la Commission européenne une réponse à la hauteur des enjeux. Concrètement, nous lui demandons de légiférer dans les plus brefs délais en faveur d'un meilleur alignement des normes sanitaires et environnementales par l'intégration de mesures miroirs.
M. François Bonhomme. Aux alouettes ! (Sourires.)
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Entendons-nous bien : il s'agit non pas de « clauses miroirs », ainsi que le projet de résolution du Sénat le laisse entendre, mais de « mesures miroirs ».
Très sincèrement, il me semble bien plus intéressant de disposer de mesures miroirs, car celles-ci ne s'appliquent pas uniquement à l'accord de commerce avec le Mercosur, mais à l'ensemble des produits importés par l'Union européenne de tous les pays tiers.
Nous avons d'ailleurs déjà adopté de telles mesures miroirs : la plus ancienne concerne le bœuf aux hormones et date de 1996. Mais l'on pourrait aussi mentionner, plus récemment, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, la lutte contre la déforestation importée, ou encore la lutte contre le travail forcé.
Nous demandons à la Commission de proposer de nouvelles mesures sans délai. Il est notamment nécessaire de réviser le règlement européen concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux d'origine végétale et animale. Nous demandons une application systématique de la limite de détection des résidus pour les substances actives non autorisées en Europe, ce qui fait écho à des demandes régulièrement formulées par le Sénat.
Il est également nécessaire d'être plus ferme sur les activateurs de croissance. Nous avons activement contribué à l'interdiction d'importer dans l'Union d'animaux ou de produits d'origine animale ayant reçu des produits antimicrobiens à des fins de croissance ou d'augmentation de rendement, dont l'application, je le rappelle, est prévue pour le 3 septembre 2026 – les choses sont donc déjà actées.
En cohérence avec cette mesure miroir, nous œuvrons auprès de la Commission européenne pour interdire l'importation d'animaux et de produits d'origine animale ayant été traités avec des additifs antimicrobiens.
Toutefois, tout ce que je viens d'évoquer – encore une fois, il s'agit de demandes précises et fortes de la France – n'aurait pas de sens si des contrôles sanitaires robustes n'étaient pas mis en place pour garantir la pleine application de l'ensemble des règles européennes.
La troisième demande essentielle de la France est ainsi de renforcer considérablement les contrôles sanitaires et phytosanitaires, à l'arrivée aux frontières de l'Union, mais également dans les pays exportateurs, au moyen d'audits menés sur place.
J'ai toujours plaidé pour un renforcement massif des audits sur pièces et sur place, pour des raisons évidentes d'efficacité du contrôle. En effet, un contrôle des produits à leur arrivée en Europe, dans un port ou dans un frigo, est très différent d'un contrôle des procédures d'élevage et des substances éventuellement interdites.
Ce renforcement des contrôles suppose des moyens, pour apporter des résultats transparents, ainsi que des mesures rapides et fermes en cas de non-conformité.
La Commission doit s'assurer du respect effectif des normes européennes dans les produits agricoles importés et protéger le consommateur européen. Je le rappelle, les normes européennes visant à protéger le consommateur sont valables pour tous, peu importe la provenance des produits ou l'existence d'un accord de libre-échange : pas d'OGM, pas d'hormones de croissance, pas de résidus de pesticides interdits dans l'Union européenne.
Je le dis donc au nom du Gouvernement, et avec force : nous attendons de la Commission, non pas seulement qu'elle fasse des annonces, mais qu'elle propose rapidement un plan d'action détaillé, accompagné de propositions législatives, afin d'avancer vers la mise en place d'une force européenne de contrôle sanitaire, que souhaite de longue date le Président de la République. La Commission a fait de premières annonces sur le sujet la semaine dernière ; nous les examinons, en restant exigeants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est uniquement à l'aune de progrès concrets et mesurables sur ces trois sujets – renforcement de la protection des produits agricoles sensibles, mesures miroirs, contrôles sanitaires et phytosanitaires – que la France arrêtera sa position définitive sur l'accord. Force est de le constater, je le répète, que, à ce stade, le compte n'y est pas. (Exclamations sur les travées des groupes GEST et Les Républicains.)
L'ensemble du Gouvernement, le Premier ministre et le Président de la République continuent de travailler quotidiennement à l'obtention de résultats tangibles, concrets et efficaces au service de nos concitoyens et de nos agriculteurs.
Enfin, je souhaite en venir à la question posée par cette proposition de résolution : notre plan d'action doit-il comporter une saisine de la Cour de justice de l'Union européenne ?
M. Pascal Allizard, rapporteur. Nous y arrivons enfin !
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai bien entendu vos préoccupations et je comprends votre démarche. Je ne vous le cache pas, celle-ci concourt très clairement à l'effort global permettant de faire comprendre les principes défendus par la France, mais aussi par d'autres pays, pour imposer des obligations à la Commission européenne.
Toutefois, à ce stade, très concrètement, le Gouvernement ne trouve pas qu'il soit nécessaire ou urgent de saisir la Cour de justice de l'Union européenne. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin. Mais la signature est prévue dimanche prochain !
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Non pas que l'interrogation ne soit pas légitime sur cet accord ; mais nous devons, dans l'immédiat, être efficaces et obtenir des résultats concrets. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yannick Jadot manifeste son ironie.)
Je pèse mes mots : une saisine pour avis de la Cour de justice de l'Union européenne par la France ne serait pas suspensive ; elle n'empêcherait pas un vote du Conseil sur l'accord.
M. François Bonhomme. Il aurait lieu l'année prochaine !
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Ce qui guide l'action du Gouvernement, c'est bien d'obtenir en tout état de cause des résultats tangibles et concrets sur le fond.
M. Yannick Jadot. Voilà qui inspire confiance… (Sourires sur les travées du groupe GEST.)
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. De même, comme je le soulignais précédemment, la Commission a fait de premières annonces sur les contrôles et les mesures miroirs qui font écho à nos préoccupations. Mais, encore une fois, la France ne pourra se prononcer que sur la base d'éléments concrets, précis et opérationnels, et non sur le fondement de simples annonces.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il est sain que nous ayons ce débat. Encore une fois, j'entends la demande que vous faites par cette proposition de résolution, et je ne fais qu'exprimer la position du Gouvernement en l'état.
M. Yannick Jadot. Nous voulons débattre !
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Il n'est d'ailleurs pas du ressort du Gouvernement, compte tenu de la procédure, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne.
Peut-être le Parlement européen le fera-t-il une fois la procédure engagée. Notre objectif et notre travail à court terme, encore une fois, consistent à peser sur la Commission et à entraîner nos partenaires européens pour obtenir des résultats extrêmement concrets.
M. Yannick Jadot. C'est reparti !
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. En l'état, les conditions ne sont pas réunies pour un quelconque vote du Conseil de l'Union sur une autorisation de signature de l'accord avec le Mercosur.
Comme les sujets agricoles constituent un enjeu prioritaire, nous continuerons de défendre, comme nous l'avons toujours fait, notre statut de grande puissance agricole.
M. François Bonhomme. Belle acrobatie !
M. Nicolas Forissier, ministre délégué. Cette démarche passe d'ailleurs – vous y êtes aussi sensible, j'en suis certain – par un investissement particulier dans la négociation du cadre financier pluriannuel de la politique agricole commune (PAC) 2028-2034, lors de laquelle nous défendrons le maintien des objectifs et des enveloppes budgétaires allouées à la PAC, ainsi que la préservation du caractère commun de cette politique, à savoir une application identique des normes dans l'ensemble des États membres de l'Union.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telle est la position du Gouvernement ; j'espère vous avoir fourni des précisions sur des développements parfois très récents.
Le Gouvernement entend le message du Sénat ; nous sommes à l'écoute, moi tout particulièrement. Pour autant, la priorité absolue est de travailler ensemble pour obtenir que la Commission non seulement fasse des annonces, mais aussi propose une évolution concrète quant aux engagements que nous lui demandons de prendre, afin que la France fasse éventuellement évoluer sa position à l'égard de l'accord entre le Mercosur et l'Union européenne. (M. François Patriat applaudit.)
M. Yannick Jadot. Merci M. Patriat ! (Sourires.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Exception d'irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Cadic et Meignen, d'une motion n° 2 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application des articles 34, 52 et 88-4 de la Constitution, et de l'article 44, alinéa 2 du règlement du Sénat, le Sénat déclare irrecevable la proposition de résolution européenne relative à l'accord de partenariat entre l'Union européenne et le Mercosur, (n° 157, 2025-2026) comme contraire à la Constitution, et décide qu'il n'y a pas lieu d'en poursuivre la délibération.
La parole est à M. Olivier Cadic, pour la motion.