Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, les écrans et les réseaux sociaux sont devenus, pour une partie de notre jeunesse, un environnement total, parfois un enfermement, avec des conséquences que l'on ne peut plus ignorer ni minimiser.
Conçues pour capter et retenir l'attention, les applications jouent sur les mécanismes de la dopamine, de la récompense immédiate et de la répétition compulsive. Elles poussent l'enfant à une mono-exposition réduite à quelques centres d'intérêt et pouvant aller jusqu'à l'obsession.
Les études comme les témoignages de terrain convergent : on voit apparaître des comportements addictifs, des troubles de l'attention, une altération profonde du sommeil, une accentuation de l'anxiété et parfois, chez des préadolescents déjà fragiles, des passages à l'acte dramatiques, pouvant aller jusqu'au suicide, souvent encouragés par des contenus qui confortent leur mal-être.
Nous savons aussi que l'exposition non raisonnée aux écrans, dès le plus jeune âge, peut perturber la construction du langage, la relation à l'autre, et nourrir des symptômes qui s'apparentent, dans certains cas, à des troubles du spectre autistique, même si la science appelle ici à beaucoup de prudence.
À ces risques s'ajoutent ceux liés aux phénomènes d'ingérence ou de radicalisation, religieuse ou politique, qui trouvent dans les réseaux un terreau idéal.
Face à cela, nous ne pouvons plus nous contenter de slogans sur le bon usage des écrans. C'est une prise de conscience collective que le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) appelle de ses vœux, et que chacun ici doit assumer.
Pour ma part, j'ai proposé que nous allions plus loin encore, en déposant, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, un amendement visant à interdire la détention d'un smartphone par un enfant de moins de 16 ans, car, sans apprentissage du discernement, cet outil devient une arme qui peut être utilisée contre d'autres, mais qui peut aussi se retourner contre son possesseur. Il s'agit certes d'une proposition radicale, mais qui est à la hauteur de ce qui est en jeu. La question, en effet, est la suivante : devons-nous combattre toutes les applications ou plateformes qui enfreignent la loi, ou bien leur support ? Faut-il s'en prendre à l'arme ou aux munitions ?
Dans ce contexte, le groupe RDPI tient à remercier très sincèrement l'auteure et rapporteure de ce texte, Catherine Morin-Desailly, ainsi que l'ensemble des membres de la commission de la culture pour la qualité du travail qu'ils ont accompli.
Cette proposition de loi s'inscrit dans un continuum d'initiatives : je pense notamment à la loi du 3 août 2018 relative à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire, mais aussi aux réflexions européennes qui sont en cours sur l'instauration d'un âge minimal d'accès aux réseaux sociaux ou encore aux lignes directrices que la Commission européenne vient de publier sur la protection des mineurs en ligne.
Cette proposition de loi fait écho également à la mobilisation de l'exécutif. Le Président de la République a clairement exprimé sa volonté de durcir les règles en évoquant une interdiction d'accès aux réseaux sociaux avant l'âge de 15 ou 16 ans. Il a annoncé un projet de loi consacré à cet enjeu.
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui relève d'une approche que notre groupe juge équilibrée.
Il renforce la formation de tous les adultes référents – professionnels de la petite enfance, de l'éducation nationale, acteurs du périscolaire, etc. –, afin de leur donner les moyens de comprendre les risques et de proposer des solutions alternatives concrètes aux écrans.
Il encadre l'usage des appareils numériques dans les structures de la petite enfance et dans les établissements scolaires, publics comme privés sous contrat. Les règles en la matière devront être inscrites dans les projets éducatifs et dans les règlements intérieurs.
Il prévoit enfin l'organisation d'une campagne nationale de sensibilisation annuelle et structurée associant l'Arcom, la Cnil et les ministères concernés, afin de délivrer un message clair et cohérent à toutes les familles du pays.
Nos enfants sont notre avenir. La France ne peut pas être timide. Sur cet enjeu, elle doit jouer un rôle moteur. Dans un monde où les grandes plateformes mondialisées structurent le temps, l'attention et parfois les émotions de nos adolescents, notre responsabilité est de fixer des limites, d'offrir des repères et de dire ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas.
Pour toutes ces raisons, parce que cette proposition de loi va dans le sens d'une protection plus forte de notre jeunesse, parce qu'elle complète utilement les instruments déjà adoptés, le groupe RDPI votera en sa faveur.
Mme la présidente. La parole est à M. David Ros. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Alexandre Basquin applaudit également.)
M. David Ros. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de saluer et de féliciter Catherine Morin-Desailly pour le dépôt de cette proposition de loi visant à protéger les jeunes de l'exposition excessive et précoce aux écrans et aux réseaux sociaux.
Ce texte s'inscrit dans le prolongement de multiples travaux qui ont été menés depuis 2018 dans cette assemblée. Ces derniers étaient, comme vous l'avez dit, souvent précurseurs et utiles dans le débat public.
Les récentes prises de position médiatiques du Président de la République, des ministres chargés du numérique et de l'intelligence artificielle, ainsi que des ministres présents au banc du Gouvernement ce matin, démontrent, s'il en était besoin, la pertinence de nos travaux et, par conséquent, l'intérêt de cette proposition de loi.
De plus, les auditions menées par notre rapporteure, par leur nombre et leur qualité, ont illustré à quel point l'attente des acteurs concernés était grande. L'expertise et les témoignages de ces derniers ont permis de valider, voire d'enrichir le texte initial.
Sur le fond, cette proposition de loi présente un double intérêt : celui, bien sûr et principalement, comme nous le verrons par la suite, de protéger les plus jeunes face à un usage excessif des écrans et des réseaux sociaux, mais aussi celui, par effet miroir, de pousser les adultes à s'interroger sur leurs propres pratiques numériques.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Tout à fait !
M. David Ros. Le cœur du texte concerne donc les plus jeunes, celles et ceux qui seront les citoyens de demain. Il était nécessaire de les protéger face à l'exposition excessive aux objets numériques en tant que tels, mais aussi face aux contenus véhiculés par les objets équipés d'intelligence artificielle ou via les réseaux auxquels ils peuvent être connectés.
À travers les six articles de la proposition de loi, son auteure jongle, avec une dextérité remarquable, entre interdiction, sensibilisation, prévention et formation.
Il serait en effet dérisoire, inefficace, voire contre-productif, d'adopter un texte uniquement marqué d'interdits et de sanctions.
De même, il serait illusoire de vouloir bannir l'usage des nouvelles technologies et de leur armada de logiciels dans le cadre de l'apprentissage de nos enfants. Ce serait surtout une erreur, tant les aspects positifs, innovants et stimulants de ces outils en matière de pédagogie et de développement personnel sont par ailleurs illimités.
Nous voici donc une nouvelle fois confrontés, comme à chaque nouvelle révolution technologique majeure, au débat sur la lumière et l'ombre, ou sur la séparation du bon grain de l'ivraie.
M. Stéphane Piednoir. Quel poète !
M. David Ros. Si vous me le permettez, à vrai dire, c'est là que réside tout l'intérêt de cette proposition de loi, car un consensus scientifique net et indiscutable se dégage quant au caractère néfaste des écrans et des réseaux sociaux sur la santé des enfants et des adolescents, en ce qui concerne le sommeil, la fatigue visuelle, la concentration, l'irritabilité, l'anxiété, voire la dépression, l'obésité.
Il est donc indispensable de mobiliser les professionnels et les familles dans les structures d'accueil des enfants de moins de 6 ans par le biais des règlements intérieurs des établissements – c'est l'objet de l'article 1er.
Il faut également organiser des consultations et des actions de prévention dans les services départementaux de la protection maternelle et infantile (PMI) – c'est l'objet de l'article 2.
L'article 3 prévoit une sensibilisation de l'ensemble de la classe d'âge des enfants de moins de 18 ans, sur le fondement des connaissances scientifiques et des études disponibles. Cela participe à cette volonté d'éclairer les futurs citoyens de la Nation.
Cette sensibilisation positive devrait aussi être, selon les termes de l'article 4, étendue au champ des activités périscolaires. Les enseignants et les étudiants devraient suivre une formation obligatoire sur la maîtrise et le bon usage des outils et des ressources numériques.
Ces éléments d'acculturation, entre un usage excessif et un usage raisonné, permettent d'envisager sereinement et efficacement l'appropriation de ces questions de sensibilisation au sein des établissements d'enseignement scolaire, au travers notamment de leurs règlements intérieurs. C'est l'objet de l'article 5.
Enfin, les ministères chargés de l'éducation nationale, de la santé et du numérique sont invités, par l'article 6, à organiser chaque année des campagnes de sensibilisation.
Dans la même veine, je défendrai, au nom du groupe socialiste, un amendement visant à souligner le rôle fédérateur que doit jouer le ministère de l'éducation nationale en la matière.
Le texte tel qu'il est rédigé nous semble équilibré, cohérent et applicable. Ce sera a fortiori le cas si nos amendements sont adoptés.
Il ne règle pas, bien sûr, la question des risques et des méfaits inhérents au développement des usages excessifs des objets numériques et des écrans connectés, et il ne fera pas disparaître les dangers liés aux réseaux sociaux, en particulier ceux qui ont trait au cyberharcèlement, mais il a le mérite de faire évoluer le cadre législatif.
Ainsi, en cette fin d'année 2025, ce texte est un cadeau fort à propos sous le sapin législatif. (Mme Annick Billon s'exclame.)
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Belle image !
M. David Ros. Il contribuera, s'il est adopté, à éveiller la conscience de nos jeunes sur les risques liés à une exposition excessive et précoce aux écrans et aux réseaux sociaux, à aider ces derniers à devenir des citoyens éclairés, à développer leur sens critique vis-à-vis du flux permanent d'informations et de sollicitations numériques, dont il est souvent bon et utile de savoir se protéger.
En effet, mes chers collègues, savoir se servir de ces technologies, c'est aussi savoir s'en passer !
Ce texte permettra à notre jeunesse de se guider avec maîtrise dans le nouveau monde numérique en devenir, et non de devenir maîtrisée dans un monde numérique qui serait son nouveau guide…
Pour conclure, et pour lever le suspense addictif lié à notre position finale,…
M. Stéphane Piednoir. Un suspense insoutenable !
M. David Ros. … le groupe socialiste donnera à son vote une exposition maximale (Exclamations amusées sur les travées du groupe SER.), une exposition mûrie et non précoce : il votera en faveur de ce texte à l'unanimité ! (Ah ! et applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes GEST, UC et LR. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alexandre Basquin.
M. Alexandre Basquin. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, depuis un an, onze familles françaises ont assigné TikTok en justice, accusant à raison l'application d'exposer les enfants à de nombreuses vidéos qui font la promotion du suicide, de l'automutilation ou encore des troubles alimentaires.
Malheureusement, des jeunes filles en sont mortes : Marie, Emma, Charlize, Pénélope, Lilou. Je ne les connaissais pas, mais permettez-moi, mes chers collègues, d'avoir une pensée pour elles en cet instant.
C'est dire l'ampleur du sujet et, par conséquent, l'ampleur de notre responsabilité collective face à un monde numérique qui est devenu un monstre numérique.
Mon groupe salue l'initiative qui sous-tend cette proposition de loi ; il la votera à l'unanimité.
En effet, en matière d'exposition aux écrans et aux réseaux sociaux, il est nécessaire de miser sur la formation des professionnels de santé et de l'enseignement, comme sur la prévention des familles, et ce, sans culpabiliser quiconque et en n'oubliant jamais de pointer du doigt la responsabilité des plateformes.
Nous le constatons tous autour de nous : l'utilisation des réseaux sociaux et des agents conversationnels fait des ravages, qui ne cessent de se multiplier.
Une étude publiée en octobre dernier montre que 600 000 cas de dépression chez les jeunes Français sont liés à un usage excessif des réseaux sociaux – 600 000 cas, j'y insiste, mes chers collègues !
Comment pourrait-il en être autrement, quand les plateformes sont prêtes à tout pour capter notre attention, qui est devenue une marchandise précieuse, négociable, monétisable ?
Elles agissent dans le plus grand mépris et de manière insupportable, à l'image de TikTok, dont l'algorithme toxique met en avant les messages les plus radicaux et les plus choquants. YouTube, Meta, Snapchat, X ne sont pas en reste, tout comme les agents conversationnels – ChatGPT en tête –, dont l'usage est massif chez les jeunes, notamment en tant que soutien émotionnel.
Rappelons-le, derrière les réseaux sociaux et l'intelligence artificielle générative ne se trouvent qu'une poignée de multimilliardaires, dont le seul but est d'engranger toujours plus de profits, en exploitant nos données personnelles et en monétisant notre attention. Nos enfants sont malheureusement devenus pour eux une cible privilégiée. Il ne faut jamais l'oublier !
Tout cela est dénoncé actuellement par le Président de la République dans son tour de France sur le thème de la démocratie et des réseaux sociaux, et c'est tant mieux.
C'est pourtant ce même président qui a reçu avec faste les dirigeants de la tech, qui n'a pas donné suite aux recommandations émises par la commission chargée d'évaluer l'impact de l'exposition des jeunes aux écrans, qu'il avait pourtant lui-même mise en place. C'est ce même président, enfin, qui a inauguré en mai dernier les bureaux parisiens de Snapchat…
Nous ne pouvons plus nous satisfaire du double langage et des contradictions !
Alors, disons-le, cette proposition de loi va dans le bon sens, même si elle traite plus les conséquences du phénomène que ses causes.
Il nous semble important d'aller encore plus loin pour la sécurité de nos enfants. Je salue, à cet égard, le gouvernement australien qui a eu le courage d'interdire les réseaux sociaux aux moins de 16 ans.
La puissance publique doit s'emparer plus que jamais du numérique et mettre un terme au discours pernicieux imposé par les géants de la tech, qui nous racontent que leurs avancées technologiques seraient forcément source de bien-être social. Je n'en suis pas du tout convaincu !
Voilà un récit digne du roman Le Meilleur des mondes, d'Aldous Huxley, dans lequel les citoyens sont incités à consommer une drogue qui les aiderait à lutter contre les maux de la vie en société… Étant donné le développement des réseaux sociaux aujourd'hui, nous n'en sommes vraiment pas loin !
J'ose le dire, je suis un peu à contre-courant : je n'ai pas de réseaux sociaux, je ne les utilise pas, et j'ai une vision critique de ces outils.
Je pense, sans vouloir donner de leçon à quiconque, que nous devons arrêter cette machine infernale qui déshumanise. Si nous voulons développer de véritables solutions alternatives à l'usage des écrans et de ces outils technologiques, nous devons avoir le courage de remettre de l'humain et du sens dans les services publics, dans toutes les structures collectives, notamment dans celles qui interviennent auprès des enfants et des adolescents. Telle devrait être notre démarche collective, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mathilde Ollivier. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, l'examen de cette proposition de loi intervient à un moment décisif, celui où notre société prend enfin la mesure de l'impact massif des écrans et des réseaux sociaux sur la vie, la santé et le développement de nos enfants.
Depuis vingt ans, l'exposition des plus jeunes aux écrans n'a cessé de croître. Les chiffres sont sans appel : le temps passé devant un écran est de près d'une heure et demie par jour en moyenne pour les enfants de plus de 3 ans, de deux heures et demie pour ceux qui entrent en sixième. Un enfant sur trois de moins de 3 ans mange devant un écran…
Les études montrent, de manière convergente, les effets négatifs de telles situations pour les enfants : sommeil dégradé, acquisition du langage entravée, risque accru de surpoids, perte d'attention.
Pour les adolescents, l'alerte est semblable : ils souffrent d'addictions, d'altération de leur santé mentale ; ils sont exposés à des contenus violents ou dégradants, à de la désinformation.
Ces constats démontrent qu'il est urgent d'agir.
Cette proposition de loi met enfin la prévention au cœur du débat public.
Oui, il est indispensable d'accompagner, d'éduquer et de protéger.
Oui, il est de notre responsabilité collective de donner des repères aux parents, aux professionnels et aux enfants eux-mêmes. Il est temps de réduire les inégalités, car, nous le savons, l'exposition aux écrans varie fortement selon l'origine sociale et le niveau de diplôme des parents.
Madame la rapporteure, votre engagement sur ce sujet date d'il y a plusieurs années. Je salue votre constance, qui a conduit au dépôt de ce texte et à son examen en séance ce matin. Bravo pour le travail de fond mené de manière intense ces dernières semaines dans un calendrier législatif compliqué.
Vous avez su améliorer utilement le texte à la suite des nombreuses auditions que vous avez organisées.
Sur votre initiative, la commission de la culture a ainsi remplacé la notion d'« usage excessif » par celle d'« usage non raisonné », qui apparaît plus pertinente et adaptée pour ne pas limiter le champ du texte à la question du temps d'écran, ce qui permettra d'adopter une approche différenciée selon les usages.
De même, la commission a renforcé les obligations incombant aux établissements qui accueillent de jeunes enfants, en prévoyant qu'ils doivent mener une « politique de soutien à la parentalité promouvant les alternatives aux écrans ».
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires (GEST) soutient pleinement ces avancées.
Vous l'aurez compris, madame la rapporteure, nous partageons les objectifs que vous visez au travers de cette proposition de loi, mais nous souhaitons également être une force de proposition pour l'enrichir.
C'est tout le sens de nos amendements.
Avant l'âge de 3 ans, et même de 6 ans, la priorité devrait être donnée à la limitation stricte de l'usage des écrans. Nous proposons donc de renforcer l'accompagnement des familles pour les informer sur les solutions alternatives concrètes à l'usage des écrans et leur fournir des conseils pratiques.
En ce qui concerne les adolescents, la prévention devrait intégrer une véritable éducation aux usages, afin de leur faire comprendre les mécanismes addictifs, le fonctionnement des algorithmes et les enjeux de la citoyenneté numérique.
Enfin, je terminerai mon propos en rappelant que, si ce texte répond à un impératif de santé publique, il ne peut toutefois se substituer à une politique globale et cohérente sur le numérique et l'utilisation des réseaux sociaux dans notre société, qui aurait pu et dû être impulsée par le Gouvernement de la start-up nation.
Les travaux de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs montrent à quel point les dangers sont profonds et systémiques.
Les annonces successives du Président de la République et les initiatives parlementaires du bloc présidentiel s'apparentent davantage à des effets d'annonce qu'à une stratégie lisible et à la hauteur des risques.
Nous le disons clairement : un projet de loi complet, ambitieux et transversal sur l'usage du numérique et des réseaux sociaux dans notre pays est nécessaire. Nous avons besoin d'un texte qui traite des plateformes, de la régulation, de l'addiction, des données personnelles et des droits numériques des citoyens, quel que soit leur âge.
Il convient bien sûr que ces ambitions soient aussi défendues avec force à l'échelon européen, afin de protéger les droits de nos concitoyens, particulièrement à l'heure actuelle, alors que les pressions extérieures sont fortes.
Cette proposition de loi apporte une pierre utile et nécessaire à l'édifice. Le groupe Écologiste, Solidarité et Territoires la votera et nous déposerons des amendements pour l'enrichir. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER, CRCE-K et UC. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ahmed Laouedj. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Ahmed Laouedj. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, en Seine-Saint-Denis, l'un des départements les plus jeunes de France, les écrans sont omniprésents dès la petite enfance, non pas par choix, mais par nécessité, par contrainte sociale et, parfois, faute de solutions alternatives.
C'est précisément dans ces territoires que les effets d'une exposition non maîtrisée des enfants se font sentir plus tôt et plus durement.
Oui, mes chers collègues, les constats sont aujourd'hui bien étayés. Les travaux scientifiques convergent pour établir qu'une exposition intensive, précoce ou inadaptée peut altérer le développement cognitif et émotionnel des enfants, perturber les cycles de sommeil et fragiliser durablement les capacités d'attention et d'apprentissage.
Les professionnels de santé observent aussi une augmentation continue des demandes de diagnostic et de prise en charge, dans un contexte où les structures médico-psycho-pédagogiques sont déjà fortement sollicitées.
Cette situation est d'autant plus préoccupante que les usages numériques apparaissent désormais très tôt dans l'enfance, dans un environnement technologique qui évolue plus rapidement que les capacités d'accompagnement des familles.
À cet enjeu sanitaire s'ajoutent des risques sociaux et comportementaux désormais bien identifiés.
Les plateformes numériques reposent sur des architectures de services et des mécanismes algorithmiques conçus pour maximiser l'engagement des usagers et prolonger leur temps d'exposition.
Cette logique favorise le développement d'usages répétitifs et difficilement maîtrisables, en particulier chez les mineurs exposés à des phénomènes de dépendance comportementale, de cyberharcèlement ou de contenus inadaptés.
Dans ce contexte, la prévention ne peut reposer exclusivement sur les familles. Bien souvent, celles-ci ne maîtrisent ni la conception des services qu'elles utilisent ni les mécanismes techniques qui structurent les usages.
Les outils de contrôle parental existants, même s'ils sont utiles, demeurent hétérogènes, contournables et souvent mal adaptés à l'âge ou à la maturité des enfants.
Une réponse fondée uniquement sur la responsabilité individuelle revient à laisser les familles seules face à des acteurs économiques puissants.
Le texte qui nous est soumis procède donc d'un constat lucide. Il ne vise pas à interdire ni à moraliser, mais à organiser une réponse publique plus cohérente.
Le renforcement de la formation des professionnels constitue à cet égard un levier opérationnel essentiel.
L'objet du texte est d'améliorer les capacités de repérage des situations à risque et de mieux informer les familles, sans créer de contraintes excessives.
L'inscription de ces enjeux dans les projets éducatifs et le règlement intérieur des établissements contribuera également à améliorer la lisibilité des règles relatives à l'usage des écrans et à harmoniser, dans un souci de cohérence, les messages adressés aux enfants, aux parents et aux personnels. Ces messages participent à la diffusion d'une culture partagée de prudence numérique, fondée sur l'accompagnement plutôt que sur l'interdiction systématique.
L'information du public constitue enfin un axe structurant de la prévention. Le renforcement de la visibilité des messages, notamment sur les équipements numériques, vise à rééquilibrer le contenu de l'information disponible, qui est aujourd'hui largement dominée par les discours commerciaux, et à rappeler les enjeux sanitaires associés à certains usages.
Pour conclure, ce texte ne saurait être considéré comme un aboutissement. Il constitue une étape utile, en ce qu'il tend à structurer une politique de prévention et d'accompagnement, qui est aujourd'hui nécessaire, tout en appelant à poursuivre la réflexion.
La question de l'accès des mineurs à certains réseaux sociaux en fonction de l'âge devra être abordée dans un cadre national et européen cohérent.
Nous voulons que la politique de prévention ne reste pas cantonnée à l'accompagnement des familles, mais concerne aussi les conditions mêmes de l'offre numérique.
C'est dans cet esprit de continuité et de responsabilité que le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi qu'au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu'au banc des commissions.)
Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer l'implication constante de notre collègue Catherine Morin-Desailly, auteure et rapporteure de cette proposition de loi sur l'accès des enfants aux écrans.
L'hyperconnexion subie par les enfants et ses effets sur leur développement et leur avenir ont été démontrés.
Une récente synthèse de Santé publique France fait état de données signifiantes. En 2022, les enfants âgés de 3 à 5 ans passaient en moyenne une heure et vingt-deux minutes par jour devant les écrans. La moitié des enfants possédaient un smartphone avant d'être en âge d'entrer au collège. Près d'un enfant sur deux de moins de 13 ans utilisait les réseaux sociaux.
L'étude met également en évidence les disparités sociales : les enfants des familles les moins diplômées passent plus de temps devant les écrans et disposent plus souvent d'appareils personnels. On constate que 55 % des enfants âgés de 6 à 8 ans dans les familles les moins diplômées passent plus de deux heures par jour en moyenne devant un écran, alors qu'ils ne sont que 20 % dans ce cas dans les autres familles.
Plusieurs textes d'initiative parlementaire ont été adoptés pour lutter contre ce qui apparaît clairement comme un danger pour nos enfants. Je pense notamment à la loi du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne. Toutefois, en l'absence de décret d'application et faute de l'aval de la Commission européenne, elle n'est pas appliquée.
Cette nouvelle proposition de loi apparaît donc comme un impératif de santé publique.
Déclinée en sept articles, elle prévoit de former les enseignants, les professionnels de santé, du secteur médico-social et de la petite enfance, d'informer les parents, notamment par l'intermédiaire des services de la protection maternelle et infantile (PMI).
Elle vise aussi à sensibiliser les consommateurs par des mentions sur les emballages, des campagnes de communication, ou des actions de sensibilisation destinées aux enfants de moins de 18 ans.
Enfin, parce que l'exemple vient des adultes, le texte prévoit que les établissements recevant des enfants, à savoir les écoles, les garderies, les crèches, devront définir des règles de bon usage de l'outil numérique.
Former, informer, sensibiliser : telles sont les mesures préconisées par l'auteure de ce texte pour protéger les jeunes. Ces pistes sont à privilégier, tout autant sans doute que l'instauration d'une interdiction d'accès aux écrans : celle-ci est souhaitable quand les moyens techniques permettent de la mettre en œuvre.
C'est pourquoi nous serons attentifs à ce qui se passe en Australie, où, depuis le 10 décembre, les adolescents de moins de 16 ans ont l'interdiction d'utiliser les réseaux sociaux.
Hélas, il semble difficile d'interdire les écrans quand ils sont au cœur de nos vies, quand les enfants ont souvent une maîtrise des outils informatiques qui leur permet de contourner les règles. La difficulté ne doit cependant pas nous amener à renoncer.
L'auteure de ce texte établit, à juste titre, un parallèle avec le rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat : Porno : l'enfer du décor. Selon un sondage d'avril 2018, évoqué dans ledit rapport, les constats étaient les suivants : deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers des enfants de moins de 12 ans étaient déjà exposés à des contenus pornographiques.
Selon une enquête de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), publiée en 2022, ce sont quelque 2,3 millions de mineurs qui fréquentaient déjà chaque mois des sites pour adultes – un chiffre en augmentation de 36 % en cinq ans.
Bien que l'industrie pornographique véhicule une image très dégradée, qu'il faut combattre, de la femme, nous ne pouvons évidemment pas interdire ces sites.
Toutefois, il est de notre responsabilité de protéger nos enfants en restreignant l'accès de ces sites au seul public adulte.
Des outils inspirés des recommandations du rapport de la délégation aux droits des femmes ont été mis en place depuis sa publication en 2022. Je pense notamment à la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, dite loi Sren. Celle-ci impose à certains sites internet, tels que ceux ayant un caractère pornographique, de contrôler l'âge des visiteurs, par la mise en place d'un système robuste et protecteur, que l'on appelle le double anonymat. C'est une avancée en faveur de la protection des enfants.
Cette loi gagnerait aussi en efficacité avec l'application effective du programme relatif à l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars). Malheureusement, les séquences qui y sont consacrées, même si elles sont obligatoires, d'une durée de trois heures par an et par niveau – ce qui équivaut d'ailleurs au temps passé par un enfant de 3 ans devant un écran en deux jours ! – ne sont encore que trop peu dispensées.
Tout comme nous l'avons fait pour la pornographie, nous devons protéger les jeunes de l'exposition excessive et précoce aux écrans et de la dépendance au numérique.
Ce texte constitue une étape importante qui permet d'agir concrètement.
De notre capacité collective à former, informer, sensibiliser, éduquer les enfants face à ces dangers dépendra l'avenir de notre société. Si nous vivons dans une société de l'hyperconnexion, nous voulons avant tout une société hyperconnectée avec le réel, faite de relations sociales plus que de réseaux sociaux.
Pour cela, il faut, je le répète, former, informer, sensibiliser. Le groupe Union Centriste soutient et votera bien entendu cette proposition de loi de notre collègue Catherine Morin-Desailly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Marie-Do Aeschlimann applaudit également.)