Présidence de Mme Anne Chain-Larché
vice-présidente
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Exposition excessive et précoce aux écrans et méfaits des réseaux sociaux
Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à protéger les jeunes de l'exposition excessive et précoce aux écrans et des méfaits des réseaux sociaux, présentée par Mme Catherine Morin-Desailly et plusieurs de ses collègues (proposition n° 744 [2024-2025], texte de la commission n° 202, rapport n° 201).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, auteure de la proposition de loi et rapporteure.
Mme Catherine Morin-Desailly, auteure de la proposition de loi, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui marque une étape importante d'un long processus, auquel de nombreuses personnes, dans cet hémicycle et en dehors, ont contribué par leur volonté, ce dont je les remercie.
J'ai une pensée particulière à cet instant pour l'ancienne députée Caroline Janvier, avec laquelle j'avais beaucoup échangé sur ce sujet.
Il y a urgence à légiférer : par rapport à la situation qui prévalait voici quelques années, les effets d'une utilisation non raisonnée des écrans sont désormais bien identifiés.
Les données de la cohorte Elfe (étude longitudinale française depuis l'enfance) montrent que les enfants de 2 ans passent déjà une heure par jour devant un écran quand la durée d'exposition est de deux heures environ chaque jour chez les 7-9 ans. Une étude Ipsos-Centre national du livre de 2024 indique par ailleurs que les 16-19 ans, eux, sont plus de cinq heures par jour devant les écrans… C'est évidemment considérable !
Les risques sanitaires d'une telle surconsommation d'écrans sont aujourd'hui bien établis : troubles du sommeil, avec des effets majeurs sur de nombreux aspects de l'état de santé des enfants, affections des yeux, ou encore aggravation du surpoids et de l'obésité.
Les écrans peuvent aussi entraîner des retards d'acquisition et des troubles du langage, mais aussi provoquer des troubles de l'écriture engendrant une moindre maîtrise du geste scripteur.
En matière de santé mentale, de nombreuses études ont par ailleurs démontré les effets délétères des réseaux dits sociaux sur les plus vulnérables.
Un rapport d'Amnesty International intitulé Poussé.e.s vers les ténèbres montre ainsi comment certaines pratiques éditoriales et algorithmiques de TikTok renforcent l'anxiété et la dépression.
Par ailleurs, les travaux scientifiques mettent de plus en plus en lumière les effets de la « technoférence » – un terme emprunté à Serge Tisseron, que nous avons auditionné lors de nos travaux préalables – chez les enfants de 0 à 3 ans, c'est-à-dire l'interposition systématique d'un écran entre les parents et leurs enfants, qui prive ces derniers des échanges directs nécessaires à leur développement.
À ces effets s'ajoutent ceux qui sont dus à l'explosion de l'intelligence artificielle : désinformation, fausses informations, hypertrucages, biais et discriminations.
Deux tiers des enfants américains échangeraient ainsi quotidiennement avec un prétendu « compagnon » numérique, et ce phénomène risque de gagner la France.
Les dangers liés à un usage non maîtrisé des écrans et de tout autre outil technologique dépassent largement les seuls aspects sanitaires.
Une étude récente de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) auprès des 11-17 ans identifie ainsi six grands types de risques : l'hyperconnexion – 88 % des adolescents y sont exposés –, qui nuit aux autres activités et au sommeil ; l'exposition aux contenus dégradants, choquants, haineux, violents et les incitations aux troubles alimentaires ; les défis dangereux ; le cyberharcèlement ; les interactions avec des adultes mal intentionnés ; et le fléau de la cyberpornographie, sur lequel le Sénat a déjà beaucoup travaillé ; enfin, les arnaques en ligne.
Malgré toutes ces alertes, le problème persiste. J'y vois deux causes principales.
Premièrement, tel le pharmakon de Platon, le numérique permet aussi, malgré toutes ses dérives, des progrès indéniables. Faire mine d'ignorer qu'il est désormais partie intégrante de notre existence n'aurait aucun sens : les enfants et les adolescents utilisent aussi les écrans pour faire leurs devoirs ou pour accéder à la culture. Pouvoir communiquer avec leurs pairs permet à certains, dont la vie familiale est chaotique, de préserver un espace de dialogue et de liberté.
Le numérique a également permis des progrès en matière d'inclusion, comme en témoignent les applications dédiées aux personnes en situation de handicap. Ainsi, nous sommes face à l'éternel problème de la séparation entre le bon grain et l'ivraie.
Deuxièmement, la responsabilité des plateformes est évidente et centrale. Celles-ci ne cessent d'innover pour rendre leurs applications plus addictives et de nourrir leur modèle, fondé sur l'économie de l'attention et sur la publicité.
Je pense en particulier à l'évolution généralisée des réseaux sociaux vers les médias sociaux, caractérisés par des séquences vidéo à défilement infini, alimentées par des algorithmes gavés de données personnelles.
Comme nous l'avons constaté lors des travaux de la commission d'enquête sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence, dont le rapporteur était notre collègue Claude Malhuret, les plateformes tiennent un discours parfaitement schizophrénique.
D'un côté, elles prétendent multiplier les initiatives pour rendre leurs réseaux sociaux plus sûrs et moins addictifs. De l'autre, elles ne peuvent nier que leurs algorithmes sont élaborés spécialement pour ne jamais lâcher leurs jeunes et moins jeunes utilisateurs.
Ce rapide tour d'horizon des principaux dangers des écrans montre que nous avons été précurseurs en nous emparant de cette question il y a plusieurs années, à un moment où le scepticisme dominait encore.
Dès 2018, dans un rapport d'information de la commission de la culture, j'évoquais en effet la nécessité d'apprendre à se servir des écrans, mais aussi d'apprendre à s'en passer…
Depuis, nous avons construit, pierre après pierre, un édifice juridique visant à protéger les enfants et les adolescents des risques liés aux écrans.
Par voie d'amendement, j'ai ainsi introduit dans la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, avec le soutien de Jean-Michel Blanquer, l'obligation, pour les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé), de former étudiants et enseignants à la maîtrise des outils et technologies numériques, ainsi qu'à leur usage pédagogique.
Puis, en 2021, dans un rapport sur la proposition de législation européenne sur les services numériques, ou Digital Services Act (DSA), rédigé avec ma collègue Florence Blatrix Contat, nous plaidions pour un renforcement des exigences européennes, notamment l'interdiction de la publicité pour les enfants. Cette dernière bataille est désormais gagnée.
La loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique est ensuite venue concrétiser plusieurs autres orientations issues de ces travaux.
Je salue les efforts menés parallèlement par de nombreux acteurs du monde de la santé, de la petite enfance et de l'éducation, mus par la volonté de ne pas laisser notre jeunesse désarmée face à ces dérives.
Des associations comme e-Enfance aux professionnels de la santé, pédiatres et orthophonistes, en passant par le réseau Canopé, la communauté éducative ou encore les collectivités territoriales au travers notamment des services de la protection maternelle et infantile (PMI), les initiatives ont été très nombreuses et souvent remarquables. Nous avons d'ailleurs entendu l'ensemble de ces acteurs, qui nous ont tous soutenus dans notre démarche.
Forts de ces travaux, nous pouvons désormais proposer une approche plus systémique.
Comme vous le savez, l'essentiel du cadre juridique en la matière relève du niveau européen, les textes de référence étant le règlement général sur la protection des données (RGPD) et, surtout, le règlement sur les services numériques (RSN).
En son article 28, ce dernier impose aux plateformes de « garantir un niveau élevé de protection de la vie privée, de sûreté et de sécurité des mineurs ».
L'Arcom, chargée de mettre en musique ces obligations, nous a fait valoir qu'elle donnait actuellement la priorité à plusieurs actions auprès des plateformes. Il s'agit en particulier de vérifier que la mise en place d'environnements dédiés aux mineurs est effective. La Commission européenne a ouvert des enquêtes à ce sujet. L'Arcom nous a ainsi indiqué que, contraintes et forcées, les plateformes commençaient à bouger.
La compétence principale étant exercée en la matière par l'Union européenne, j'ai déposé en juin dernier, le même jour que le présent texte, une proposition de résolution européenne sur la protection des mineurs en ligne, avec le soutien du président Jean-François Rapin, que je tiens ici à remercier, tout comme la rapporteure de ce texte, Brigitte Devésa.
Cette résolution appelle précisément l'Union européenne à mieux protéger les mineurs dans l'espace numérique, en accentuant la pression sur les plateformes. Elle souligne aussi clairement la nécessité de définir un âge minimal d'accès aux réseaux sociaux au niveau européen ou, à défaut, au niveau national.
Sur cette question de l'âge, vous savez que la loi du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, dite loi Marcangeli, n'est jamais entrée en application du fait de l'opposition de la Commission européenne.
Or, depuis le dépôt de cette résolution, la situation a changé. En juillet dernier, la Commission a publié des lignes directrices ambitieuses pour l'application des dispositions du RSN protégeant les mineurs.
Il y est en effet indiqué que le recours à un dispositif de vérification de l'âge est approprié « lorsque [...] le droit national [...] prescrit un âge minimum pour accéder [...] à une plateforme en ligne ». La Commission européenne a ainsi ouvert la possibilité, pour chaque État membre, de fixer un âge minimal d'accès aux réseaux sociaux. Elle a également dévoilé un prototype d'application dédiée à la vérification de l'âge, aujourd'hui en cours d'évaluation, en partenariat avec certains pays membres.
Nous avons sollicité sur cette question l'expertise de l'Arcom et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). L'accélération du débat au niveau communautaire, avec la prise de position du Parlement européen le 26 novembre dernier, autant que la multiplication d'initiatives en ce sens ces dernières semaines, nous ont convaincus de proposer aujourd'hui, dans le prolongement de nos travaux, un amendement qui permette de réfléchir ensemble à cette question de l'âge minimal d'accès aux réseaux dits sociaux.
Le dispositif de cet amendement aura bien sûr vocation à évoluer au cours de la navette parlementaire pour prendre en compte les nouveaux éléments qui seraient portés à notre connaissance, notamment sur le plan de sa conformité au droit communautaire.
Il a aussi pour objet de ménager la possibilité de la fixation d'une limite d'âge harmonisée au niveau européen, pour éviter une cacophonie qui compliquerait singulièrement sa mise en œuvre.
Notre initiative se veut donc conforme à la position exprimée par le Parlement européen, qui plaide pour la mise en place d'un dispositif d'autorisation parentale entre 13 et 16 ans. J'y reviendrai au moment de la discussion des articles.
Au-delà de la seule question de l'âge, nous entendons promouvoir, au travers de cette proposition de loi, une approche plus systémique du sujet, en misant fortement sur la formation et sur la sensibilisation de l'ensemble des professionnels concernés.
Les auditions que nous avons conduites font apparaître un réel besoin dans ce domaine. Il s'agit en somme de consolider une culture du numérique, en coopération avec l'ensemble des acteurs de l'enfance et de l'adolescence, et de la faire partager aux parents et à leurs enfants, loin de toute culpabilisation.
C'est dans cette optique que la commission a modifié le texte, ajoutant aux actions de prévention aux risques la promotion d'un usage raisonné du numérique, ainsi que des solutions alternatives aux écrans.
Le texte prévoit également d'inscrire dans les règlements intérieurs des établissements accueillant des enfants de moins de 6 ans des mesures encadrant l'usage des appareils numériques en présence des enfants. En effet, si les crèches ont déjà proscrit les écrans, des usages résiduels subsistent.
La proposition de loi introduit par ailleurs dans les missions de la PMI la prévention des risques liés aux écrans. Ce service départemental, fréquenté par un large public, y compris par les familles les plus modestes, est en effet un levier précieux pour sensibiliser les parents à cette question dès la grossesse.
Enfin, l'article 3 prévoit que les mesures de prévention sanitaire et sociale bénéficiant à tous les mineurs à intervalles réguliers incluent une sensibilisation à ces risques.
Pour l'ensemble de ces dispositions, la commission a substitué à la notion d'usage excessif celle d'un usage non raisonné, car la première formule réduisait le problème des écrans à une question de durée d'exposition. Or certains effets négatifs peuvent se manifester très rapidement ; inversement, certains usages peuvent apporter un réel bénéfice sur le plan culturel ou relationnel.
Ces actions de formation et de sensibilisation devront notamment traiter la question complexe de l'accès différencié selon l'âge. La formule des « 3-6-9-12 » de Serge Tisseron reste une référence importante. Des représentants de pédiatres ont même préconisé une exposition quasi nulle avant l'âge de 6 ans.
Par ailleurs, il existe une fragilité particulière chez les adolescents âgés de 13 à 16 ans. L'ensemble de ces éléments devront être pris en compte dans les actions de formation rendues obligatoires par le texte.
La deuxième partie de la proposition de loi concerne l'éducation nationale. Ce volet éducatif est né d'une double ambition. D'une part, il me semble essentiel d'élaborer une stratégie commune autour de tous les temps de l'enfant. D'autre part, il faut adapter la formation des enseignants afin de tenir compte des évolutions des usages numériques.
À ce sujet, je rappelle la nécessité que cette formation soit effective dans les Inspé. Je n'ai de cesse de le rappeler aux différents ministres depuis 2019. Certes, il peut être tentant de déléguer à des entreprises privées la formation des personnels de l'éducation nationale et de nos élèves au motif que ce sont elles qui connaissent le mieux les outils qu'elles commercialisent, ou encore de miser sur l'autorégulation des plateformes. Toutefois, les pouvoirs publics ne peuvent se dessaisir de ces questions essentielles.
L'article 4 traduit la nécessité d'une prise en compte de la place des écrans dans tous les temps de l'enfant, qu'ils soient scolaires ou périscolaires, dans le cadre d'une démarche cohérente entre l'ensemble des intervenants.
L'article 5 permet quant à lui de définir, dans les projets d'école et d'établissement, une vision partagée de l'école à l'heure du numérique. Il s'agit ainsi de fédérer la communauté éducative autour de cet objectif.
Cela permet aussi d'associer les collectivités territoriales à la discussion. Mes chers collègues, nous savons combien celles-ci jouent un rôle important dans l'équipement numérique des établissements et des élèves, notamment au lycée.
Les collectivités doivent néanmoins avoir conscience qu'un tel équipement n'est pas anodin ; elles doivent participer aux réflexions sur les usages. Le choix du tout-numérique qu'ont fait certaines régions implique en effet la présence d'un écran dans la chambre des jeunes. Or nous avons tous des téléphones portables ou des tablettes : qui parmi nous n'a jamais eu son attention détournée par une notification ou par la réception d'un message, alors même qu'il était en train de lire un document important ? Il en va de même pour les enfants…
Monsieur le ministre, il me semble également essentiel que l'éducation nationale clarifie sa doctrine sur l'utilisation des outils et des technologies numériques : d'un côté, elle appelle à une pause numérique dans les collèges, mais, de l'autre, les agendas papier disparaissent au profit de Pronote.
En commission, nous avons également étendu la portée de ce texte aux établissements privés sous contrat, qui scolarisent près de deux millions d'élèves.
Enfin, l'article 6 permet d'ancrer dans la loi la campagne de sensibilisation organisée chaque année par l'Arcom sur les dangers de l'exposition aux écrans et d'y associer la Cnil, ainsi que les ministères chargés de l'éducation nationale, de la santé et du numérique.
Les chaînes de télévision et les radios ont en effet pour obligation de diffuser des spots d'information autour d'un contenu imposé par l'Arcom. Il est important de mobiliser l'ensemble des ministères, en particulier celui de l'éducation nationale, pour utiliser par exemple comme support des applications comme Pronote ou Ma classe numérique. Cette campagne dure actuellement quatre jours. Elle doit être plus longue, plus intense et régulière.
Mes chers collègues, la présente proposition de loi complète l'édifice juridique européen et national que nous construisons progressivement pour combattre les effets néfastes du développement de l'écosystème numérique et de ses technologies sur les enfants et les adolescents.
Au fil du temps, nous sommes passés, devant le numérique, d'une attitude émerveillée, parfois quelque peu naïve, à une posture plus critique et plus exigeante.
Grâce au droit européen qu'il nous appartient aujourd'hui de parfaire, nous faisons avancer les choses. Tâchons surtout d'être intransigeants avec les fournisseurs de contenus, qui restent les grands responsables des méfaits des réseaux dits sociaux. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, INDEP, Les Républicains et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. Madame la présidente, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission de la culture, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d'abord remercier le groupe Union Centriste de l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour de votre assemblée.
Ce texte soulève des enjeux bien documentés. Les données scientifiques comme les retours de terrain des professionnels sont unanimes : l'exposition précoce et excessive des enfants et des adolescents aux écrans est facteur de fragilisation du lien social et d'altération de la santé mentale, et peut peser durablement sur le développement des enfants.
C'est pourquoi l'action publique reflète une prise de conscience progressive et traduit une mobilisation collective depuis maintenant plusieurs années.
À cet égard, je veux saluer le rôle précurseur du Parlement et singulièrement du Sénat, qui a su, dès 2018, poser des jalons décisifs au travers de propositions de loi visant, par exemple, à interdire les téléphones portables à l'école.
Le Gouvernement agit aussi, selon une ligne claire : nous souhaitons mieux accompagner les professionnels et les familles, en intervenant à trois niveaux : sur l'information et la prévention ; sur l'environnement des enfants ; et sur la capacité d'agir des professionnels.
Le premier axe, l'information et la prévention auprès des parents, passe par des repères simples et partagés de tous. À cet égard, le carnet de santé remis à chaque famille rappelle désormais des principes clairs : pas d'écrans avant l'âge de 3 ans ; un usage occasionnel et encadré jusqu'à 6 ans ; et une attention particulière à porter au sommeil, aux interactions sociales et à l'activité physique.
Ces informations sont complétées par des ressources dédiées et des courriels ciblés à destination des parents de très jeunes enfants, qui prennent la forme de fiches pratiques et de messages pédagogiques rappelant les repères d'âge, les effets des écrans sur le développement, ainsi que des conseils concrets pour préserver le sommeil, les interactions sociales et l'activité physique.
L'information passe également par la valorisation des initiatives locales : c'est ce que font par exemple les caisses d'allocations familiales (CAF) avec le label « P@rents, parlons numérique ».
Mais l'information, c'est aussi l'information des enfants eux-mêmes. Nous préparons actuellement, avec Santé publique France, une campagne nationale qui s'adressera directement aux 6-12 ans.
Le deuxième axe de notre politique est l'action directe sur l'environnement des enfants. Comme vous le savez, depuis le 3 juillet dernier, l'exposition aux écrans est interdite aux enfants de moins de 3 ans dans tous les lieux d'accueil du jeune enfant.
Dans le cadre scolaire, une pause numérique a été instaurée au collège et le téléphone y est interdit depuis la rentrée 2025.
Les travaux scientifiques sont en cours, notamment sur la question de la majorité numérique, comme l'illustrent le rapport Enfants et écrans : à la recherche du temps perdu de Servane Mouton et Amine Benyamina, mais également les réflexions engagées par nos voisins européens ou d'autres États extra-européens, qui sont confrontés aux mêmes enjeux.
Troisième et dernier axe, la capacité d'agir des professionnels : d'ici à 2026-2027, nous mettrons en œuvre une offre structurée de formation continue à destination des professionnels de santé non médicaux.
Cette formation contre l'addiction aux écrans et aux réseaux sociaux visera notamment à comprendre les mécanismes neuropsychologiques à l'œuvre dans l'usage excessif des écrans, à repérer les situations à risques et à outiller les professionnels pour prévenir, accompagner et orienter les publics, notamment les jeunes et leurs familles. Elle favorisera l'acculturation de tous les professionnels.
En la matière, nous travaillons en lien étroit avec l'éducation nationale et son ministère, qui jouent un rôle central dans l'éducation aux médias et à l'information.
Au regard de ces enjeux, l'initiative qui sous-tend cette proposition de loi mérite d'être saluée. Ce texte vise à consolider, à structurer et à rendre lisibles des actions déjà engagées, en leur offrant un cadre législatif clair. Surtout, il affirme une idée simple, mais essentielle : l'exposition aux écrans est un déterminant de santé à part entière.
C'est dans cet esprit que ce texte peut trouver pleinement sa place dans notre arsenal de prévention en santé publique.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale. Madame la rapporteure, vous êtes reconnue pour votre engagement de longue date sur la question de l'exposition des enfants et des adolescents aux écrans, ce dont je vous remercie.
Nous avons ce combat en commun. Par la constance et la qualité de vos travaux, vous avez beaucoup contribué à structurer le débat public et à imposer durablement la notion de sobriété numérique dans les politiques publiques et, plus généralement, dans le débat démocratique.
L'objectif est clair : protéger les plus jeunes des risques liés à une exposition précoce et excessive aux écrans et aux réseaux sociaux.
La proposition de loi que vous présentez aujourd'hui s'inscrit pleinement dans cette perspective. Elle prolonge des réflexions déjà engagées et a nourri très concrètement les travaux du Gouvernement, notamment au sein de l'éducation nationale.
Nous partageons totalement le diagnostic sur lequel elle repose. Toutes les études montrent que l'exposition excessive aux écrans peut affecter durablement le développement de nos enfants.
Elle affecte tout d'abord leur santé. Vous avez évoqué, comme Stéphanie Rist à l'instant, les troubles du sommeil qu'elle occasionne. Elle affecte aussi leurs apprentissages. Une étude scientifique internationale récente montre ainsi que, chez un enfant de 3 ans, un temps d'écran supérieur à quatre heures détériore de 56 % le taux d'attention par rapport à la moyenne des enfants non exposés aux écrans.
À ces constats s'ajoutent les risques liés aux comportements sur les réseaux sociaux, notamment le cyberharcèlement – nous avons également ce combat en commun – et l'exposition à des contenus inadaptés. Une action publique structurée devient donc de plus en plus nécessaire.
C'est dans ce cadre que nous avons souhaité engager notre action, en privilégiant une démarche claire, cohérente, mais aussi collective. Comme sur d'autres sujets, en effet, l'école ne peut pas tout faire toute seule.
La question implique également les familles, qui se sentent parfois démunies, ainsi que les acteurs du numérique, qui, à l'inverse, ne se sentent pas suffisamment démunis. (Sourires au banc de la commission.) Elle implique encore les professionnels de santé, les collectivités territoriales et les autorités de régulation, singulièrement l'Arcom et la Cnil – hier, j'ai d'ailleurs signé avec cette dernière une convention sur l'éducation au numérique.
Mes priorités en la matière sont au nombre de trois : il faut à la fois limiter l'exposition, éduquer au bon usage des écrans et proposer des activités sociales de substitution.
Pour ce qui est de la première priorité, à savoir la réduction de l'exposition des enfants aux écrans, notre doctrine est simple : à l'école maternelle, la règle doit être la proscription de tout écran individuel, sauf cas particulier, comme celui d'enfants en situation de handicap pour lesquels l'écran serait une aide à l'acquisition du geste scripteur.
Cette exigence se prolonge à l'école élémentaire et au collège, où les usages numériques sont strictement encadrés et où l'expérimentation de l'interdiction du téléphone portable a été généralisée. Elle est désormais respectée.
Comme vous le savez, nous souhaitons également, conformément aux orientations définies par le Président de la République, engager un travail sur la limitation des usages du téléphone au lycée, en vue, là encore, de protéger nos jeunes.
La deuxième priorité est bien sûr d'éduquer aux écrans sans les subir. Veillons en effet à ne pas basculer de l'autre côté et à considérer que, par nature, le numérique ou l'écran serait nocif.
En réalité, le cœur du sujet n'est pas tant technologique qu'éducatif. Il s'agit de former à des usages responsables et à l'esprit critique, en apprenant à nos élèves à lire, à comprendre le monde, à questionner les contenus et, tout simplement, à développer leurs capacités à douter et à s'interroger, le tout de manière technologiquement neutre, si j'ose dire.
Je ne sais pas ce que seront les écrans dans vingt ou trente ans. Je sais en revanche que nos générations étaient suffisamment armées pour en avoir un usage raisonné le jour où elles y ont été exposées. Dans le fond, nous devons préparer nos jeunes à faire face non seulement à la déferlante actuelle, mais également, et au-delà, aux nouveaux outils qui bouleverseront leur vie future.
La troisième priorité consiste bien sûr à développer des solutions alternatives aux écrans, en recréant des espaces de sociabilité « normaux » ou physiques. Il suffit d'assister à une sortie d'établissement pour constater que, désormais, les élèves passent plus de temps sur leurs écrans qu'à discuter entre eux.
Pour y parvenir, nous devons avoir une action extrêmement résolue en matière d'éducation artistique, culturelle, sportive et associative, et promouvoir d'autres formes d'écrans. Comme vous le savez, nous menons ce combat autour du dispositif « Ma classe au cinéma ». L'objectif est de transformer l'égoïsme du petit écran en expérience sociale, intellectuelle et esthétique du grand écran.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Très bien !
M. Edouard Geffray, ministre. Madame la rapporteure, plusieurs des orientations que vous défendez sont évidemment déjà prises en considération. Vous avez évoqué la formation des enseignants à la sobriété numérique, qui est inscrite dans les plans de formation des Inspé depuis 2019.
Vous savez également que, du côté des élèves, un dispositif tel que Pix, un parcours progressif qui débute dès la fin du primaire et s'achève au lycée, permet d'obtenir des certifications qui sont obligatoires en troisième et en terminale. Tous les élèves sans exception les obtiennent, d'autant que, désormais, elles sont intégrées à Parcoursup.
Quant au contrôle parental, il a été renforcé par la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d'accès à internet. La coopération avec l'Arcom a pour objet notamment de lutter contre les contenus inappropriés.
L'enjeu, maintenant, est de donner aux mesures que comporte la présente proposition de loi le degré de normativité approprié pour garantir leur mise en œuvre dans les projets éducatifs territoriaux et les projets d'établissement.
Il s'agit de faire en sorte que les initiatives locales qui sont couronnées de succès s'insèrent dans ce nouveau cadre et ne s'en trouvent pas entravées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la rapporteure, nous souscrivons donc aux objectifs comme à l'ambition qui sous-tendent cette proposition de loi. C'est dans cet esprit que nous travaillerons aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)

