Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d'abord remercier le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, en particulier Monique de Marco, d'avoir demandé l'inscription à l'ordre du jour de nos travaux de cette proposition de loi.

Ce texte a une histoire. Je voudrais, dans un premier temps, rendre hommage à son instigateur, Pierre Dharréville, ancien député communiste des Bouches-du-Rhône, qui, dès 2022, a élaboré des dispositions législatives avec les artistes auteurs et leurs organisations représentatives.

À la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale, ce travail collectif en faveur d'un revenu de continuité pour les artistes auteurs a pris la forme d'une nouvelle proposition de loi, déposée en 2024 par notre collègue députée communiste de Saint-Saint-Denis, Soumya Bourouaha.

Notons que cette proposition de loi a été cosignée par 121 députés socialistes, insoumis et écologistes, ainsi que par des députés du socle gouvernemental et même par un député Les Républicains : c'est dire si le sujet du revenu de continuité des artistes auteurs transcende les chapelles politiques.

Les artistes auteurs subissent une discontinuité de revenus et une protection sociale très insuffisante, puisque l'ouverture des droits aux prestations maladie, maternité, invalidité et décès est conditionnée à la justification de ressources supérieures à 600 Smic horaires sur l'année.

Face à cette précarité, l'idée de créer un revenu de continuité pour les artistes auteurs vise à protéger ces derniers durant les périodes dites d'inactivité.

Ces derniers jours, nous avons observé un emballement médiatique autour de la publicité d'Intermarché Le Loup mal aimé, qui prend la forme d'un film d'animation. Elle atteindra bientôt 1 milliard de vues et devrait être l'occasion de porter toute notre attention aux métiers des artistes auteurs.

Cette victoire de la créativité humaine sur l'intelligence artificielle est due au studio d'animation montpelliérain Illogic. Ce succès, digne d'un conte de Noël, est surtout le résultat d'un processus de création qui, pendant un an, a mobilisé des dizaines d'artistes auteurs.

Pourtant, durant cette période, la création du court-métrage n'a ouvert aucun droit ni à l'assurance maladie, ni à l'assurance chômage, ni à la retraite. C'est la raison pour laquelle de nombreux artistes auteurs ont plusieurs activités, pour essayer d'en tirer un revenu et toucher des droits sociaux.

Si nous voulons réellement soutenir la création artistique en France, nous devons instaurer ce revenu de remplacement indispensable.

Les artistes auteurs d'œuvres littéraires, graphiques, dramatiques, musicales, chorégraphiques, audiovisuelles, cinématographiques, plastiques et photographiques ont en commun d'être couverts par une protection sociale insuffisante.

Ce texte est une première étape pour la reconnaissance de leur métier et l'amélioration de leur couverture sociale. Notre groupe, pour aller plus loin, avait initialement déposé des amendements visant à porter le montant du revenu de remplacement au niveau du Smic brut et à abaisser le seuil d'activité requis de 300 à 600 heures de référence, sur une période de trente-six mois, au lieu de douze.

Nous regrettons que ces amendements aient été déclarés irrecevables, car ils nous auraient permis d'avoir un débat sur le niveau de ressources et de revenus qui est indispensable pour vivre dignement, en tenant compte des périodes d'inactivité.

Pour financer l'extension de la protection sociale des artistes auteurs, le texte prévoit de mettre à contribution les diffuseurs publics. L'un des amendements que nous examinerons vise à mettre en place une contribution spécifique pour les diffuseurs qui utilisent des œuvres tombées dans le domaine public, ce qui nous semble également une source de financement pertinent.

Si nous partageons l'idée de mettre à contribution ceux qui font un usage dérégulé de l'intelligence artificielle, nous sommes plus dubitatifs vis-à-vis de la solution retenue par cette proposition de loi.

En tout état de cause, des recettes existent et peuvent être collectées, si l'on veut se donner les moyens de promouvoir la création culturelle dans notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Ronan Dantec. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « en France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées ! » Vous vous rappelez tous ce slogan des années 1970. Je vous propose pour ma part de le moderniser : « en France, nous n'avons pas beaucoup de terres rares, mais nous avons des auteurs ! »

Aujourd'hui, les intelligences artificielles, qui sont nourries de toutes les créations disponibles, prospèrent. Dès lors, la capacité de fournir et de maîtriser les matériaux socles dont ces technologies vont ensuite s'inspirer est un enjeu majeur.

Par définition, les auteurs ont la manie de faire des phrases ; c'est d'ailleurs une chose qu'ils ont en partage avec les marins. (Sourires.) Ils produisent ce minerai vital à notre influence et à notre rayonnement dans ce monde numérique dont nous n'avons évidemment pas encore pris toute la mesure.

Or, force est de le constater, les auteurs producteurs ne bénéficient pas dans notre société d'une protection sociale à la hauteur de leur rôle stratégique. Ils sont des dizaines de milliers à subir quotidiennement des obstacles administratifs, sociaux et économiques, qui affectent directement leur liberté de création et leur sécurité.

Je ne suis pas sûr, madame la ministre, que le sentiment ou l'ivresse de liberté et l'absence de subordination à tout système suffisent à leur bonheur. En effet, les artistes auteurs sont confrontés à des structures de gestion de la sécurité sociale qui, en raison de leur fragmentation et de leurs incohérences, nuisent à l'égalité de traitement, ainsi qu'à la clarté de leurs droits.

Moi qui connais les artistes auteurs, je puis vous dire qu'ils sont nombreux aujourd'hui à pleurer leur retraite disparue, ce qui est un scandale absolu !

Au moment où les secteurs culturels réalisent près de 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires et assurent 650 000 emplois directs, il est paradoxal que ceux qui créent et font vivre cette immense richesse culturelle ne bénéficient pas d'un cadre social protecteur à la hauteur de leurs contributions.

La rémunération des artistes auteurs est soumise au cycle de la création et de la diffusion ; en conséquence, elle ne peut être linéaire.

Ce constat, largement documenté par différents rapports, démontre que l'absence d'un statut social adapté alimente une précarité structurelle des métiers créatifs : absence de couverture pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, absence de droits au chômage, inégalité dans la constitution des droits à la retraite et faibles ressources en l'absence d'activité rémunérée.

Les députés ont montré que deux tiers des artistes auteurs connaissent, d'une année sur l'autre, jusqu'à 25 % de variations de revenu. En instaurant un revenu de remplacement, cette proposition de loi offre une solution forte et concrète pour assurer la continuité des revenus des artistes auteurs, afin que ceux-ci puissent vivre dignement de leur création et bénéficier d'un socle social équitable et stable.

La culture française n'est pas une commodité : elle fait partie de notre identité, en plus de participer à notre rayonnement international et à notre cohésion sociale.

Il est donc de notre responsabilité collective, au Sénat et à l'Assemblée nationale, de garantir que celle ou celui qui consacre sa vie à l'art et à l'écriture ne soit pas contraint de renoncer à sa vocation seulement parce que son cadre social ignore sa spécificité.

Mes chers collègues, c'est le pays de Beaumarchais qui a inventé les droits d'auteur et la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), en 1851. Près de cent soixante-quinze ans plus tard, le pays de Victor Hugo – notre grand auteur, dont la médaille nous regarde, quoique cette image tienne un peu de l'IA –, s'honorerait à répondre à cet enjeu.

C'est pourquoi je vous invite à soutenir cette proposition de loi, pour que la France réaffirme, par des actes, son attachement à protéger nos artistes auteurs, qui façonnent notre patrimoine vivant et balisent notre futur. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui touche à un sujet à la fois sensible et essentiel : la situation économique et sociale des artistes auteurs. Elle s'inscrit dans une réflexion désormais largement partagée sur la précarité structurelle de nombreux métiers de la création, que les crises récentes, les mutations numériques et le développement de l'intelligence artificielle ont encore accentuée.

Cette fragilité tient tout d'abord à une réalité souvent méconnue : les artistes auteurs ne sont pas rémunérés pour leur travail de création en tant que tel. Contrairement à d'autres professions, leur activité ne suscite des revenus qu'au moment de la diffusion ou de l'exploitation des œuvres, par l'intermédiaire de diffuseurs.

Ainsi, les temps de conception, de recherche, d'écriture ou de composition, pourtant au cœur même de l'acte créatif, ne sont pas, dans la majorité des cas, reconnus économiquement. Il en résulte une situation particulièrement fragile : lorsqu'aucune œuvre n'est pas diffusée ou exploitée, l'artiste auteur ne perçoit aucune ressource liée à son activité, en dehors, le cas échéant, des dispositifs de solidarité de droit commun.

À cette précarité structurelle s'ajoutent des modes de rémunération souvent déséquilibrés. Les artistes auteurs dépendent largement de leurs éditeurs ou diffuseurs, tant pour la mise en circulation des œuvres que pour le versement effectif des droits. Les retards de paiement, l'opacité de certains mécanismes et l'asymétrie des relations contractuelles accentuent cette dépendance.

Cette situation contraste avec la place centrale qu'occupent les artistes auteurs dans notre économie culturelle. Ils constituent le socle même de secteurs qui produisent une richesse économique significative et participent pleinement au rayonnement intellectuel, social et territorial de notre pays.

C'est pourquoi la majorité des sénateurs du groupe du RDSE voit dans cette proposition de loi une avancée légitime. Ce texte s'inscrit en effet dans la continuité des droits déjà ouverts aux artistes auteurs, qui sont affiliés au régime général pour la maladie, la retraite ou la famille, mais exclus de tout mécanisme de revenu de remplacement.

Cette réflexion n'est d'ailleurs pas isolée. Le rapport de la mission flash de l'Assemblée nationale, comme certaines recommandations européennes, invite à mieux protéger les artistes, considérés comme des travailleurs à part entière, car ils sont confrontés à des risques professionnels spécifiques.

Plusieurs de mes collègues, tout en partageant l'objectif, expriment quelques réserves sur les moyens proposés. Celles-ci portent d'abord sur la nature même du dispositif. L'assurance chômage repose historiquement sur la notion de perte involontaire d'emploi. Or l'activité artistique obéit à des logiques différentes : elle est marquée par l'aléa de la création et de la diffusion, plus que par une rupture du contrat de travail.

Ainsi, introduire un revenu de remplacement dans ce cadre soulève une question de principe.

Par ailleurs, des doutes subsistent sur la définition du périmètre des bénéficiaires. En effet, comment tenir compte de la grande diversité des pratiques, des parcours et des niveaux de revenus, sans créer d'effets d'aubaine ? Un travail approfondi sur le statut même des artistes auteurs, associant l'ensemble des acteurs concernés, demeure un préalable indispensable.

Enfin, la question du financement appelle à la prudence : les estimations de coûts varient sensiblement, les recettes nouvelles restent incertaines et les réserves exprimées par l'Unédic ne peuvent être ignorées, dans un contexte budgétaire particulièrement contraint.

Malgré ces questionnements légitimes, le groupe du RDSE, bien qu'il soit partagé, reste dans sa majorité favorable à cette proposition de loi, considérant qu'elle est un appel. Madame la ministre, mes chers collègues, il est temps de nous préoccuper de ce sujet ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)

Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à quelques pas d'ici, en traversant le jardin du Luxembourg, nous pouvons lire, gravés sous la statue de Charles Baudelaire, quelques vers de son poème Les Phares, par lequel il rend hommage à l'art et, plus particulièrement, aux artistes, aux créateurs. Il y cite Léonard de Vinci, Rembrandt, Michel-Ange et Delacroix, dont le nom résonne en ces lieux plus qu'ailleurs, jusque sous la voûte de notre bibliothèque.

Nous partageons tous, sur ces travées, cette admiration et cette reconnaissance pour l'art et, à travers lui, pour les artistes. Pour Baudelaire, la création, « […] cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge », est le « […] meilleur témoignage / Que nous puissions donner de notre dignité ».

De manière plus contemporaine et terre à terre, la dignité s'aborde également sous l'angle économique, celui de la précarité des auteurs. Tel est l'objectif affiché de cette proposition de loi.

La précarité des artistes auteurs est en effet un sujet sérieux. Le rapport Racine rappelait que leur système de rémunération repose quasi exclusivement sur le versement de droits d'auteur, en aval du processus de création.

Ainsi, 408 000 personnes sont affiliées au régime des artistes auteurs, mais seule une minorité d'entre elles exerce réellement à titre professionnel. Parmi elles, 187 000 perçoivent moins de l'équivalent de 100 Smic horaires par an et seuls 10 % atteignent le revenu médian en France.

Nous partageons ce diagnostic ; toutefois, la réponse apportée par la proposition de loi n'en traite pas les causes premières ; elle n'aborde ni les déséquilibres contractuels avec les diffuseurs ni la faiblesse des rémunérations issues des droits d'auteur. Le texte contourne ces obstacles pour instaurer, en lieu et place, un revenu de remplacement.

Or un tel mécanisme risque d'aggraver les causes originelles en créant de toutes pièces un amortisseur étatique.

La précarité des artistes s'explique d'abord par un déséquilibre entre l'offre et la demande. Le régime des artistes auteurs connaît un nombre croissant d'entrants, qui a doublé depuis 2020, tandis que la capacité de diffusion ne progresse pas au même rythme.

Augmenter les droits sociaux est certes légitime, mais créer un revenu de continuité risque mécaniquement d'accroître encore l'offre, la filière devenant plus attractive aux yeux d'auteurs considérant que leur activité est économiquement plus viable qu'auparavant.

Dans le même temps, le secteur subit une transformation rapide liée à l'intelligence artificielle générative. Les diffuseurs peuvent désormais produire, ou préproduire, des contenus à moindre coût, ce qui réduira incontestablement la demande.

Paradoxalement, cette évolution pourrait constituer une opportunité, pour les auteurs affirmant une véritable singularité, de renforcer leur valeur ajoutée. La récente publicité d'Intermarché, largement commentée ces dernières semaines, en est une illustration : sa force tient précisément à sa différence face à une production standardisée par l'intelligence artificielle.

À cela s'ajoute un risque de fragilisation économique du secteur. Les diffuseurs ne sont pas tous de grands groupes ; figurent parmi eux de petits labels, des galeries émergentes, des festivals locaux ou des maisons d'édition spécialisées qui fonctionnent avec des marges très réduites.

Or la proposition de loi prévoit une cotisation de 4,05 %, soit près de trois fois le niveau actuel. Cette hausse de charges impactera automatiquement les auteurs : elle se traduira par moins de contrats, moins de revenus et, à terme, par une réduction de la création d'œuvres nouvelles. Nous nous trouverions alors dans un cercle vicieux où l'offre serait stimulée par des fonds publics tandis que la demande se contracterait davantage.

Un troisième enjeu réside dans le glissement de l'assistance vers la suppléance. Il est vrai qu'en période de creux, inhérente au processus créatif, les artistes auteurs ne perçoivent pas d'indemnités de chômage, mais seulement des minima sociaux. À l'image des jeunes entrepreneurs, ces créateurs peuvent aujourd'hui bénéficier, en cas de rupture de revenus, du RSA ou de l'ASS. Ces dispositifs sont imparfaits, mais ils ont le mérite d'offrir un filet de sécurité.

Les trois quarts des artistes auteurs gagnant moins de 10 000 euros par an, la logique initiale de l'assurance chômage risque de s'en trouver modifiée. Le revenu de remplacement n'est plus conçu comme une réponse à un événement exceptionnel, mais comme la norme d'un modèle reposant essentiellement sur une rémunération variable et différée. Cette forme de revenu universel artistique pourrait ainsi aisément nous conduire à craindre une déresponsabilisation partielle de l'auteur.

Se pose également la question de la liberté artistique. L'art n'est-il pas la plus belle expression de la liberté ?

De Beaumarchais aux lois révolutionnaires de 1791 et 1793, le droit d'auteur a été construit pour garantir l'indépendance du créateur, précisément parce que celui-ci n'est ni un salarié, ni un fonctionnaire, ni un prestataire de services publics, mais un artiste libre.

En alignant les artistes auteurs sur la logique du salariat, la proposition de loi modifie profondément cette philosophie. Puissions-nous faire nôtre cette formule de John Fitzgerald Kennedy : « L'art est le fruit de la créativité des gens libres. »

Enfin, nous ne serions pas la France si nous n'ajoutions pas à ce texte une dose de bureaucratie : pilotage par l'Unédic, mise en œuvre par France Travail, déclaration et contrôle du nombre d'heures de création… La rapporteure suggérait même la création d'un nouveau comité Théodule : une commission chargée d'attester la pratique professionnelle des arts du demandeur. À la dépendance économique envers les diffuseurs s'ajouterait alors une dépendance administrative envers l'État, assortie d'une complexité accrue.

Pour toutes ces raisons, et tout en partageant pleinement l'objectif de lutte contre la précarité des artistes auteurs, nous considérons que cette proposition de loi n'actionne pas le bon levier. Au contraire, elle risque de déséquilibrer davantage le secteur. Aussi, le groupe Union Centriste votera majoritairement contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi de notre collègue Monique de Marco, visant à créer un revenu de remplacement au bénéfice des artistes auteurs.

L'intention est louable. Dans leur grande majorité, ces derniers disposent de ressources aléatoires, dépendant de la fréquence de l'acte de création, mais surtout de la diffusion de leurs œuvres, laquelle est seule génératrice de droits d'auteur ou de revenus.

Soyons cependant réalistes : l'indépendance matérielle à laquelle ils sont nombreux à aspirer et la croyance selon laquelle tout artiste ou créateur pourrait vivre entièrement de son activité relèveraient d'un changement total de paradigme, en transformant les intéressés en auteurs salariés.

Conscient de leur précarité, le législateur a progressivement consolidé leur protection sociale. La loi du 31 décembre 1975 relative à la sécurité sociale des artistes auteurs constitue de ce point de vue un texte fondateur, puisqu'elle assure aux auteurs d'œuvres littéraires, dramatiques, musicales, chorégraphiques, audiovisuelles, cinématographiques, graphiques, plastiques et photographiques l'affiliation au régime général de la sécurité sociale. Sont ainsi couverts les risques liés à la maladie, à la maternité, à l'invalidité et au décès, ainsi que les risques vieillesse et famille.

Certes, ce régime de sécurité sociale est encore perfectible. Ainsi, il pourrait être judicieux d'ouvrir de nouveaux droits ; à ce titre, madame la ministre, je vous remercie de vos annonces.

En effet, aucune cotisation ne permet aux artistes auteurs de disposer d'une couverture pour les maladies et accidents professionnels ; seule la souscription d'une assurance volontaire auprès de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) permet d'ouvrir des droits à cet égard.

Par ailleurs, chacun garde en mémoire la gestion erratique de ce régime qui a pu conduire à des situations dramatiques. Une étape majeure de sa structuration a toutefois été franchie avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026, qui recentre la sécurité sociale des artistes auteurs (2S2A) sur sa mission de représentation des assurés et sur la définition des orientations en matière d'action sociale, tout en confiant à l'Urssaf du Limousin un rôle en matière d'affiliation et de collecte des cotisations.

Est-il utile d'aller plus loin dans la consolidation de leur situation sociale et matérielle ? Faut-il, comme le suggère notre collègue Monique de Marco, assurer aux artistes auteurs une indemnisation pour le temps passé à la création et, par voie de conséquence, un revenu de remplacement, au risque de les assimiler à des salariés ? Les membres du groupe Les Indépendants ne considèrent pas que la voie proposée ici pour les sortir de la précarité soit pertinente. J'ajoute que toutes les organisations professionnelles ne partagent pas les solutions envisagées pour répondre à leur situation.

Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) a, quant à lui, conclu dans le cadre de ses travaux relatifs au contrat de commande qu'une intervention législative visant à l'édification de solutions générales à portée transversale serait inopportune.

Les situations sont en effet extrêmement diverses d'un secteur à l'autre, pour des auteurs qui évoluent dans cinq branches professionnelles différentes, représentant aujourd'hui près de soixante métiers.

Qui plus est, rapprocher leur statut professionnel, reposant sur la spécificité de leur mode de rémunération, le droit d'auteur, de celui du salarié serait particulièrement dangereux, car un tel mouvement sous-tendrait l'instauration d'un lien de subordination et d'un encadrement particulièrement fort de la commande. Il existe donc un risque réel que le droit d'auteur soit relégué au second plan, derrière des mécanismes relevant exclusivement du salariat.

Or l'ensemble des avancées sociales pour les artistes auteurs se sont toujours fondées sur le respect des principes fondamentaux du droit d'auteur, notamment la liberté de création et l'absence de tout lien de subordination. Ces considérations doivent continuer de prévaloir.

En outre, le modèle avancé par la proposition de loi, reposant sur un financement exclusif du revenu de remplacement par une contribution spécifique à la charge des diffuseurs, s'avère problématique. Ces derniers auront-ils tous la capacité de prendre en charge cette cotisation, dont le coût est estimé à près de 1 milliard d'euros ?

Il y a fort à parier que, si ce dispositif devait être mis en œuvre, nous assistions à une diminution significative du montant des droits versés ainsi qu'à un reflux important du nombre de commandes ou de productions.

En conclusion, si nous considérons que cette proposition de loi pose de bonnes questions, elle apporte des réponses inadaptées qui pourraient bien se retourner contre les artistes auteurs eux-mêmes. Gardons-nous, en particulier, de fragiliser le droit d'auteur et le modèle vertueux de la gestion collective.

Il existe bien d'autres moyens de revaloriser la situation des auteurs. La proposition de loi que j'ai déposée avec ma collègue Sylvie Robert, et qui constitue la première réforme globale du contrat d'édition depuis 1957, a justement pour finalité première de reconnaître à sa juste valeur le travail de création.

Avec ce texte qui sera, nous l'espérons, madame la ministre, prochainement inscrit à l'ordre du jour du Sénat avec le soutien du ministère, nous entendons agir sur plusieurs leviers : création d'un minimum garanti de droits définitivement acquis aux auteurs, rémunération proportionnelle par paliers en fonction des ventes réalisées et reddition des comptes deux fois par an.

C'est donc avec la certitude que la proposition de loi examinée aujourd'hui ne répond pas aux attentes formulées ni à l'efficacité requise que le groupe Les Indépendants se prononcera contre ce texte.

Pour autant, je tiens à saluer sincèrement l'engagement de notre collègue Monique de Marco dans ce combat. (M. Francis Szpiner applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny.

Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Monique de Marco nous permet d'évoquer aujourd'hui les difficultés rencontrées par les artistes auteurs en raison d'un statut peu protecteur et de revenus irréguliers.

Cette initiative s'inscrit dans une réflexion plus large, engagée en 2020 avec le rapport de Bruno Racine intitulé L'auteur et l'acte de création, et qui s'est poursuivie par le Plan auteurs 2021-2022, puis par le dépôt de plusieurs propositions de loi et les travaux d'une mission flash à l'Assemblée nationale, qui vient de rendre ses conclusions.

Un même constat nous alerte, celui d'une paupérisation croissante de l'ensemble des créateurs n'ayant pas accès au régime des intermittents du spectacle. Cela concerne une trentaine de professions, telles que celles d'écrivain, de traducteur, de scénariste, de compositeur, de plasticien ou de photographe.

Les revenus des artistes auteurs sont, par nature, irréguliers et discontinus, car ils dépendent de contrats ponctuels souvent espacés dans le temps ; les intéressés connaissent donc des périodes sans ressources entre deux activités rémunérées.

Par ailleurs, le droit d'auteur, source principale de revenu de ces créateurs, rémunère l'exploitation de l'œuvre, mais non le travail créatif en amont. En l'absence d'activité rémunérée, l'artiste auteur ne perçoit aucune ressource autre que les minima sociaux. Ainsi, au moins 10 000 d'entre eux dépendent du RSA, dispositif qui constitue certes un filet de sécurité, mais qui s'avère inadapté à leur réalité.

Selon les chiffres issus de la mission flash, 43 % des artistes auteurs vivent sous le seuil de pauvreté et plus de 60 % d'entre eux gagnent moins que le Smic annuel.

La présente proposition de loi vise ainsi à instaurer une allocation de remplacement afin de garantir aux artistes auteurs une continuité de revenus entre deux périodes d'activité. Intégrés dans la caisse commune de l'assurance chômage, ceux-ci percevraient, pendant douze mois, une allocation ne pouvant être inférieure à 85 % du Smic, soit environ 1 200 euros, à condition de justifier d'un revenu équivalent à au moins 300 heures de Smic annuel.

Le coût de ce dispositif pour le régime n'est pas estimé par la proposition de loi, mais il pourrait avoisiner 1 milliard d'euros, si l'on se fonde sur les données communiquées par l'Unédic ; le ministère de la culture évoque, pour sa part, le chiffre de 800 millions d'euros. Un tel coût n'est évidemment pas envisageable pour l'assurance chômage au regard de la situation budgétaire actuelle.

Aussi, l'autrice du texte a-t-elle tenté de reporter cette charge sur les diffuseurs, c'est-à-dire les personnes physiques ou morales qui rémunèrent le créateur en vue de diffuser, d'exploiter ou d'utiliser son œuvre. Une part de la contribution sociale généralisée (CSG) dont s'acquittent déjà les artistes auteurs viendrait compléter cette ressource.

L'équilibre ne pouvant être atteint de la sorte, la rapporteure a proposé en commission plusieurs solutions, qui n'ont pas été adoptées.

Il s'agirait, pour résumer, de mieux cibler les artistes concernés et de durcir leurs conditions d'éligibilité afin de réduire le nombre de bénéficiaires. Par ailleurs, les deux ressources envisagées initialement auraient été relevées à 5 % pour les diffuseurs et à 2 % pour les artistes auteurs.

Cela n'étant toujours pas suffisant, deux contributions auraient été créées, visant les entreprises utilisant l'intelligence artificielle ou exploitant des œuvres du domaine public.

Si notre groupe partage la préoccupation de soutenir la création et les artistes auteurs, nous sommes néanmoins défavorables aux dispositifs proposés.

En premier lieu, et fondamentalement, le régime d'assurance chômage est réservé aux salariés liés à leur employeur par un contrat de travail afin d'assurer leur protection en cas de perte involontaire d'emploi. Tel n'est pas le cas des artistes auteurs, qui sont des travailleurs indépendants, exerçant leur activité sans lien de subordination envers un employeur et ne perdant pas involontairement leur emploi.

En second lieu, la rapporteure a elle-même noté la difficulté à déterminer le public bénéficiaire. Le cumul d'activités est massif chez les artistes auteurs, rendant ardue l'identification de ceux qui vivent exclusivement de leur œuvre. Envisager la création d'une commission pour délivrer des attestations ne réglera pas ce problème.

Troisièmement, je relève l'incertitude concernant le coût du dispositif, laquelle découle en partie de la difficulté à fixer le champ des personnes concernées. Il me semble que les besoins de financement sont appréciés de façon approximative, voire déséquilibrée : le montant versé aux artistes auteurs, 85 % du Smic, serait manifestement disproportionné par rapport au seuil d'éligibilité de 300 heures travaillées, soit moins d'une heure par jour, qui apparaît bien moindre que celui qui est exigé de tous les autres allocataires du régime d'assurance chômage.

Enfin, quatrième point, le financement du dispositif repose sur des augmentations d'impôts, auxquelles notre groupe ne peut être favorable.

Concernant, plus particulièrement, la contribution des diffuseurs, je tiens à relayer l'inquiétude des organisations professionnelles d'artistes auteurs qui redoutent la fragilisation de leur environnement que celle-ci pourrait emporter.

La proposition de loi n'est accompagnée d'aucune étude d'impact, mais certaines professions font déjà face à de nombreuses difficultés, telles que la baisse des commandes, l'exploitation des œuvres en ligne ou la concurrence de l'intelligence artificielle. Certains diffuseurs n'auront donc pas la capacité de supporter cette charge. Dans le cas des éditeurs de musique, par exemple, une nouvelle contribution fragiliserait la gestion collective et pourrait se répercuter, in fine, sur la rémunération des auteurs.

Vous avez proposé, madame la rapporteure, de solliciter les grands acteurs du numérique, les plateformes et les développeurs d'intelligence artificielle générative. L'intention est compréhensible, puisque ceux-ci représentent une menace pour les auteurs, dont ils utilisent le travail. Cependant, l'absence de cadre européen et la difficulté de mise en œuvre ne permettent pas, selon nous, de retenir cette option.

En conclusion, la mise en place d'un dispositif de continuité des revenus pour les artistes auteurs temporairement privés de ressources nous semble reposer sur trop d'incertitudes et présenter trop de risques. La réflexion doit se poursuivre avec l'ensemble des acteurs de la création pour trouver d'autres pistes d'amélioration de leurs conditions matérielles d'existence.

Nous serons donc particulièrement attentifs à vos propositions, madame la ministre, nous avons bien entendu votre souhait de lancer des inspections à ce sujet.

Donner aux artistes auteurs les moyens de créer, c'est donner à la culture issue de l'intelligence humaine les moyens d'exister. Notre groupe, vous l'aurez compris, ne votera pas pour autant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

(M. Pierre Ouzoulias remplace Mme Sylvie Robert au fauteuil de la présidence.)