Mme la présidente. Mes chers collègues, je constate que la proposition de loi a été adoptée à l'unanimité des présents.

Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à quinze heures quarante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Articles 5 et 6 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à simplifier la sortie de l'indivision et la gestion des successions vacantes
 

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la continuité des revenus des artistes auteurs
Article 1er

Continuité des revenus des artistes auteurs

Rejet d'une proposition de loi modifiée

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, la discussion de la proposition de loi visant à garantir la continuité des revenus des artistes auteurs, présentée par Mme Monique de Marco et plusieurs de ses collègues (proposition n° 107 rectifiée [2024-2025], résultat des travaux de la commission n° 207, rapport n° 206).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Monique de Marco, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Monique de Marco, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c'est avec beaucoup d'émotion que je vous présente aujourd'hui cette proposition de loi visant à instaurer une continuité de revenus pour les artistes auteurs.

Avec beaucoup d'émotion, parce que je mesure l'importance de ce texte pour l'ensemble des personnes concernées : les artistes, les autrices, qui sont écrivains, dramaturges, musiciens, sculpteurs, scénaristes, photographes, plasticiens, commissaires d'exposition ou auteurs de bandes dessinées. Je les appellerai ici les créatrices et les créateurs.

Ces créatrices et ces créateurs sont à l'origine de la présente proposition de loi. Il faut ici commencer par rendre hommage à leur formidable organisation et à toute leur détermination face à l'indifférence institutionnelle.

Au travers de tout le territoire, une volonté s'est mise en mouvement. Quelle que soit l'issue de nos débats aujourd'hui, elle ne s'arrêtera pas là. Elle prendra vite le chemin de l'Assemblée nationale, où la même proposition de loi, déposée sur l'initiative de Pierre Dharréville, a été cosignée par 121 députés.

Mes chers collègues, comment ne pas être sensibles à la nature de leur revendication ?

Cette revendication, c'est simplement réparer une injustice sociale qui leur est faite ; c'est simplement reconnaître la dignité des travailleurs.

Pour cela, nous souhaitons leur permettre d'accéder à un revenu de remplacement lorsqu'ils sont temporairement privés de ressources. Ces moments-là, toutes les créatrices et tous les créateurs en connaissent dans leur carrière. Et faute d'un dispositif adapté, beaucoup les traversent dans la solitude et l'indifférence étatique.

Dans cette population de travailleurs peu armés à l'action administrative, le non-recours à des aides sociales est courant. Certains dépendent ponctuellement du revenu de solidarité active (RSA) pour vivre ; ils étaient 10 000. D'autres dépendent de l'allocation de solidarité spécifique (ASS).

Personne ne peut contester la précarité du statut d'artiste auteur en France. À moins d'être bien nés, les plus grands génies ont connu des passages à vide et, parfois, la misère.

Il y a cinquante ans, presque jour pour jour, l'adoption d'une loi votée à l'unanimité à l'Assemblée avait permis un premier alignement des droits sociaux des artistes auteurs sur les salariés. Il est troublant de constater comment, près d'un demi-siècle plus tard, la nécessité de poursuivre l'alignement du régime social des artistes auteurs sur le régime général ne fait plus évidence.

Pourtant, en 1975, le ministre du travail de l'époque, Michel Durafour, n'avait aucun problème à assimiler les artistes auteurs à des salariés sur le plan social : « Très souvent, en effet, par le biais des contrôles que subit l'artiste ou des commandes qu'il reçoit de la part de ceux qui diffusent ses œuvres, son statut apparaît comme étrangement proche de celui des salariés.  »

Le même jour, le secrétaire d'État à la culture Michel Guy abondait dans son sens : « La première condition de la liberté de l'artiste, dans le monde où nous vivons, implique le ferme rejet de ce mythe, que le siècle dernier a trop complaisamment répandu, de l'artiste libre et heureux dans la misère. L'artiste doit désormais, dans tous les domaines, jouir des mêmes droits et se soumettre aux mêmes obligations que les autres citoyens. »

Mes chers collègues, dans quel siècle vivons-nous ? La semaine dernière, la commission des affaires sociales a rejeté les propositions d'amendement de Mme la rapporteure, notre collègue Anne Souyris. La commission de la culture n'a même pas été invitée à se prononcer.

Les arguments que j'ai lus dans le rapport de la commission sont les suivants.

Tout d'abord, on s'oppose à faire entrer ces travailleurs dans l'Unédic en considérant que d'autres réponses seraient « plus adaptées ». Je me demande bien lesquelles…

Je voudrais rappeler un élément très simple à nos collègues qui siègent au sein de la commission des affaires sociales : en réalité, la majorité des artistes auteurs participent déjà à l'Unédic, soit en tant que salariés – en effet, 46,5 % des artistes auteurs sont également salariés –, soit en tant qu'intermittents du spectacle, comme c'est le cas notamment des compositeurs-interprètes et des auteurs-réalisateurs.

Leurs cotisations et les cotisations employeurs dont ils sont à l'origine abondent donc les comptes de l'Unédic. Et toutes et tous participent au financement de l'Unédic en s'acquittant de la contribution sociale généralisée (CSG). Il y a tout de même quelque chose de paradoxal à vouloir leur refuser l'accès à l'assurance chômage, alors qu'ils la financent.

Cette proposition de loi a donc deux objets : d'une part, permettre à celles et à ceux qui ne disposent d'aucun revenu de remplacement de bénéficier d'un filet de sécurité équivalent ; d'autre part, limiter le nombre de guichets administratifs et le coût de gestion que nécessiterait un autre système, comme la création d'une caisse autonome.

C'est d'ailleurs la même logique de simplification et d'efficacité qui a guidé le Gouvernement dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, en transférant les missions de la sécurité sociale des artistes auteurs à l'Urssaf, après tout de même quarante ans de dysfonctionnements. Tirons donc les leçons du passé.

Je voudrais également revenir sur l'argument selon lequel un revenu de remplacement devrait être réservé aux travailleurs involontairement privés d'emploi.

Pour répondre à cette inquiétude, je souhaite que soit inscrite dans le dispositif une règle simple : lorsque les bénéficiaires sont privés de ressources, ils doivent pouvoir s'engager dans des actions de recherche artistique, de recherche de diffuseurs ou d'exploitants commerciaux ou dans des activités accessoires à leur activité artistique.

Cette proposition de loi n'est pas, comme j'ai pu le lire, une atteinte au droit d'auteur. Au contraire ! L'un des amendements proposés vise précisément à garantir que le revenu de remplacement ne porte pas atteinte à la rémunération des actes de création protégés par un contrat. Il s'agit aussi de faire en sorte que les contrats respectent les minimums garantis non amortissables sur les droits d'auteur.

J'en viens au financement. Je comprends les inquiétudes exprimées s'agissant des prélèvements obligatoires supplémentaires que cela ferait peser sur les diffuseurs.

Gardons tout de même à l'esprit que, actuellement, les diffuseurs cotisent à un taux très dérogatoire des cotisations patronales pour le financement de la sécurité sociale. Ce taux est seulement de 1,1 %. Aujourd'hui, ils contribuent moins au régime social des artistes auteurs qu'ils diffusent qu'à celui des salariés qu'ils recrutent. Comment le justifier ?

J'ai souvent entendu au cours des auditions que l'économie de l'art et des lettres est une « économie des extrêmes » : la plus grande richesse y côtoie une grande précarité.

Ce constat concerne aussi les diffuseurs. Je pense que, lorsque le texte poursuivra sa route, avec ou sans l'approbation du Sénat, la situation des petits diffuseurs devrait être mieux prise en compte. Leur modèle économique est plus fragile que les autres, et l'article L. 382-4 du code de la sécurité sociale devrait être réécrit en ce sens.

Je propose enfin d'ajouter deux sources de financement.

La première, la plus naturelle, me semble-t-il, est une cotisation sur les entreprises exploitant l'intelligence artificielle générative. J'ai lu avec beaucoup d'attention la proposition de mes collègues concernant la création d'une présomption d'exploitation d'œuvres par l'intelligence artificielle. J'espère que nous nous rejoindrons sur ce point.

Une autre proposition, plus ambitieuse, était défendue par Victor Hugo au congrès littéraire de 1878. Elle revient à instaurer une cotisation sur l'exploitation des œuvres des artistes morts, afin que les morts contribuent à aider les vivants. Je pense que personne ici ne peut suspecter Victor Hugo de vouloir attenter aux droits d'auteur !

Je voudrais remercier celles et ceux qui, à gauche, mais aussi au centre et à droite, ont mis de côté les postures partisanes pour venir ajouter leur nom à cette démarche.

Madame la ministre, mes chers collègues, j'ajouterai un dernier mot pour vous convaincre : écoutez l'immense attente de ces créateurs et ces créatrices, qui contribuent au rayonnement culturel et économique de la France, afin que l'on ne puisse plus dire, comme Honoré de Balzac en son temps : « D'où vient donc, en un siècle aussi éclairé que le nôtre paraît l'être, le dédain avec lequel on traite les artistes, poètes, peintres, musiciens, sculpteurs et architectes ? »

Cette proposition de loi doit ouvrir la voie. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K. – Mmes Laure Darcos et Sonia de La Provôté applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Anne Souyris, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons vise à créer, comme l'a souligné Mme de Marco, un revenu de remplacement au bénéfice des artistes auteurs. Ce sujet fait l'objet, et il n'a pas fini de le faire, d'une intense activité parlementaire.

Plusieurs propositions de loi en ce sens ont été déposées à l'Assemblée nationale, et les députées Soumya Bourouaha et Camille Galliard-Minier viennent de rendre les conclusions de leur mission d'information sur la mise en place d'une continuité de revenus pour les artistes auteurs.

Je veux donc tout d'abord remercier notre collègue Monique de Marco d'avoir déposé ce texte et de permettre au Sénat de ne pas rester en marge de ces débats importants.

Les éléments de constat étayant cette proposition de loi font, je pense, consensus.

S'il faut garder à l'esprit que l'activité des artistes auteurs recouvre beaucoup de secteurs artistiques et suppose des niveaux de revenus différents, leur mode de rémunération se trouve par essence aléatoire. Il dépend non pas du travail fourni ou du temps consacré au processus de création, mais de la vente ou de l'exploitation de l'œuvre, notamment au travers des droits d'auteur reconnus par le code de la propriété intellectuelle.

Il en découle une grande instabilité, ainsi qu'une relative imprévisibilité des revenus. Deux tiers des artistes auteurs avaient subi en 2022 une variation annuelle de revenus supérieure à 25 %. En conséquence, les artistes auteurs n'ont pas d'autre choix que d'occuper par ailleurs des emplois, souvent qualifiés d'alimentaires.

Les artistes auteurs bénéficient depuis 1975 d'un régime de protection sociale toujours en cours de consolidation. Leur sécurité sociale, à laquelle 400 000 personnes sont affiliées actuellement, ne couvre pas le risque contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, par exemple. Surtout, ils sont exclus du régime d'assurance chômage, et ils ne peuvent bénéficier que de l'ASS et du RSA, dont les montants très faibles ne sont évidemment pas satisfaisants.

Forte de ce constat, notre collègue Monique de Marco a déposé une proposition de loi visant à créer un revenu de remplacement pour ce public.

Dans cette perspective, l'article 1er prévoit la création d'une contribution spécifique, à la charge des diffuseurs d'œuvres, au moins équivalente aux contributions chômage du régime général, soit 4 %. Le rendement d'une telle contribution est estimé à au moins 120 millions d'euros par an.

Nous proposerons, dans la suite des débats, d'autres sources de financement afin d'équilibrer ce régime nouvellement créé.

L'article 2, quant à lui, crée dans le code du travail une disposition relative au versement d'un revenu de remplacement par France Travail, dont le montant serait proportionnel à celui du revenu antérieur. Afin d'assurer un niveau minimum de rémunération, ce dernier connaîtrait cependant un plancher fixé à 85 % du Smic.

Les auditions que j'ai conduites ont confirmé l'attente forte d'une grande partie du secteur. Elles ont également montré que ce dispositif, pour être accepté et soutenable, devait encore évoluer.

Ces évolutions, qui seront défendues par notre collègue de Marco, ont trois objectifs : garantir un régime protecteur, renforcer le rôle du dialogue social et, enfin, assurer l'équilibre financier et ainsi la pérennité du dispositif.

Premièrement, le présent texte vise à mieux cibler l'éligibilité, en permettant aux partenaires sociaux d'ajuster le seuil de revenus antérieurs, dans les limites prévues par le législateur.

Il nous semble par exemple qu'un seuil fixé à 900 Smic horaires concentrerait le régime sur les artistes auteurs qui ne cherchent pas par ailleurs à exercer une autre profession. Environ 20 000 personnes pourraient être concernées, ce qui représente une dépense avoisinant les 220 millions d'euros.

Pour ce public, le montant du revenu pourrait être proportionné au revenu antérieur, avec une garantie plancher maintenue à 85 %. En revanche, un seuil dérogatoire d'ouverture des droits fixé à 308 Smic horaires pourrait être maintenu pour les jeunes diplômés, qui sont particulièrement exposés à la précarité en sortie d'école.

Notons que, dans les promotions 2017-2021, quelque 56 % des diplômés de l'École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) de Paris gagnent moins de 15 000 euros par an.

Nous estimons souhaitable de créer une commission composée de représentants d'artistes auteurs, spécifiquement chargés d'attester de l'éligibilité des demandeurs au revenu de remplacement, notamment eu égard au caractère professionnel de leur pratique artistique.

Nous nous inspirerions ainsi du modèle retenu en Belgique, à l'issue d'une réforme de 2022 qui tient ses promesses.

Les bénéficiaires du revenu de remplacement devraient par ailleurs justifier d'actes positifs et répétés de développement, de diffusion ou d'exploitation de leurs œuvres, afin de satisfaire aux exigences de recherche d'emploi de France Travail. Il s'agit de maintenir une responsabilisation des bénéficiaires, tout en adaptant le droit à la situation des artistes auteurs.

Deuxièmement, il convient de renvoyer davantage au dialogue social. La détermination du régime applicable au revenu de continuité serait légitime, puisque le revenu de versement serait financé par l'Unédic, grâce aux nouvelles ressources créées.

Les règles spécifiques appliquées aux artistes auteurs en vue de l'attribution du revenu seraient définies par accord entre les organisations représentatives des artistes auteurs et des diffuseurs.

Cet accord serait annexé à la convention d'assurance chômage et déterminé selon une trajectoire financière arrêtée par les organisations syndicales et patronales interprofessionnelles. Cela répondrait à certaines inquiétudes exprimées sur la place du paritarisme dans ce nouveau régime.

Troisièmement, la question du financement est centrale. Les dépenses projetées excédant les recettes prévues, il serait possible d'agir sur plusieurs leviers.

En commission, j'avais proposé d'instaurer une contribution des artistes auteurs eux-mêmes, dans une logique de mutualisation du risque, à l'instar du régime de l'intermittence.

Par ailleurs, il est souhaitable de relever la contribution destinée aux diffuseurs à 5 %, ce qui reste largement inférieur au régime de l'intermittence. Toutefois, cela prend en compte la fragilité du modèle économique de certains diffuseurs indépendants.

Au reste, la manière dont l'intelligence artificielle (IA) vient percuter les écosystèmes de la création contemporaine nous invite à ne pas éluder une mise à contribution des plateformes et des entreprises qui y recourent. Ces dernières utilisent en effet les œuvres d'artistes auteurs sans contribuer au financement de la sécurité sociale qui leur est propre, alors même que la production qui en résulte fait parfois concurrence à des œuvres proposées par des diffuseurs soumis à contribution.

La mise en place d'une contribution, en plus de financer le revenu que nous vous proposons, permettrait de surcroît de rétablir une égalité de ces publics devant les charges publiques.

Plus généralement, il me faut souligner que ce dispositif est à l'équilibre sur le plan financier, voire excédentaire. Ainsi, la proposition de loi répond à une crainte que vous auriez légitimement eue à l'esprit.

En définitive, le texte, amendé, me paraît à la fois souhaitable, utile et nécessaire. Il ne vise ni à faire entrer les artistes auteurs dans le salariat ni à remettre en cause leur mode de rémunération.

Il ne règle d'ailleurs pas, à lui seul, toutes les causes de précarité des artistes auteurs. Mais il permet de corriger une injustice majeure, de façon soutenable pour nos finances publiques.

Depuis 1975, le législateur n'a cessé de renforcer les droits sociaux des artistes auteurs. Le Sénat a soutenu cette consolidation progressive. Après les avoir reconnus comme assurés sociaux, il nous appartient désormais de leur reconnaître pleinement la qualité de travailleurs, ainsi que la protection contre la perte de revenus qui en découle.

Or la commission des affaires sociales n'a pas adopté la proposition de loi, considérant qu'elle ne recourt pas au levier adéquat pour lutter contre la précarité des artistes auteurs. C'est donc le texte initial que nous examinons aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie Mme de Marco de nous offrir l'occasion d'échanger sur un sujet sensible, qui, comme vous le savez, reçoit l'attention constante du ministère de la culture : soutenir la création en garantissant à ses auteurs les meilleures conditions pour mener leur activité.

Depuis 2021, le ministère de la culture déploie le plan Auteurs, adopté à la suite du rapport de Bruno Racine, afin d'améliorer les conditions de création des artistes auteurs.

De nombreuses avancées ont été obtenues en matière d'accès aux droits sociaux, de clarification du régime social, de rémunération et de représentativité. À ce jour, douze mesures du plan sont pleinement mises en œuvre, tandis que trois d'entre elles sont en cours de finalisation. Je pense notamment au déploiement, par le ministère de la culture, d'un portail numérique regroupant les informations utiles aux artistes auteurs concernant leurs droits.

Pour autant, des marges de progression demeurent, et le Gouvernement est évidemment mobilisé pour apporter des réponses aux enjeux persistants.

C'est d'ailleurs pourquoi je me suis engagée, dès 2024, à ce que l'application de la réforme du revenu de solidarité active (RSA) prenne en compte les spécificités des artistes auteurs. Nous y sommes parvenus avec le soutien du ministère du travail, de France Travail et de l'Assurance formation des activités du spectacle (Afdas).

Cela se traduit notamment par un dispositif d'accompagnement particulier, qui, bénéficiant des financements du ministère de la culture, est effectivement mis en œuvre depuis le mois de juin dernier, sur l'ensemble du territoire, grâce à l'action de professionnels spécifiquement formés.

Nous devrons d'ailleurs, d'ici à la fin de l'année 2026, en faire le bilan. C'est pour ce motif que le Gouvernement a défendu, à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), adopté définitivement avant-hier, une réforme de la sécurité sociale des artistes auteurs. Celle-ci permet désormais de clarifier la répartition des compétences avec l'Urssaf et d'octroyer de nouvelles compétences à l'association agréée, notamment en matière de consultation préalable à tout projet de texte réglementaire ou de texte législatif relatif à la protection sociale des artistes auteurs.

Malgré ces avancées majeures, toute initiative visant à accorder une protection sociale supplémentaire aux artistes auteurs ne peut être considérée comme louable.

Les études le montrent : la population des près de 350 000 artistes auteurs, qui est très composite eu regard aux métiers exercés, à la nature des œuvres produites et aux secteurs d'activité, est aujourd'hui exposée à de fortes disparités de revenus artistiques.

Le rapport remis au début de la semaine par le ministère de la culture sur la situation des artistes auteurs en 2023 confirme les constats déjà formulés sur la faiblesse des revenus artistiques, en considérant l'ensemble de la population dès le premier euro de revenu artistique perçu.

L'art n'est pas la seule activité des artistes auteurs, puisque 67 % d'entre eux perçoivent au moins un revenu d'une autre activité. En restreignant l'analyse aux artistes auteurs professionnels, dont la rémunération est moins équivalente à 600 fois le Smic horaire brut, on constate que leur revenu annuel moyen s'élève à 36 400 euros.

De fortes disparités de revenus sont néanmoins constatées sur cette population. Il nous faut donc définir la meilleure manière de traiter les enjeux qui tiennent aux conditions de rémunération et de lutter contre la faiblesse des revenus.

Je regrette de vous le dire, madame la sénatrice de Marco : c'est le seul point sur lequel nous pourrions nous retrouver.

Votre proposition de loi revêt une dimension un peu démagogique, à laquelle je ne peux adhérer, en ce qu'elle prévoit d'octroyer une protection assimilable à un revenu universel, dont le coût est à ce stade estimé à 800 millions d'euros.

Il n'est pas possible de soutenir une telle mesure sans se préoccuper très sérieusement, en particulier en ce moment, ni des conditions de financement ni des conséquences du texte sur les conditions dans lesquelles les artistes auteurs exercent leur activité.

En tant que ministre de la culture, ma priorité est de garantir la vivacité du tissu créatif, notamment au travers d'une juste reconnaissance du travail des créateurs et de la valeur de leur activité. C'est donc sur la base d'un diagnostic un peu plus fin que je voudrais proposer d'autres voies de résolution des problèmes évoqués.

La priorité est de veiller à ce que notre action ait toujours un effet sur le réel : ne formulons pas de promesses dont nous savons qu'elles ne seront pas tenues ! Il y a d'ailleurs beaucoup d'imprécisions dans les différents diagnostics posés par l'auteure du texte et par Mme la rapporteure. C'est sûrement la raison pour laquelle cette proposition de loi tombe un peu à côté.

Pour justifier votre texte, vous indiquez que « les artistes auteurs souffrent d'une rémunération insuffisante pour couvrir l'ensemble du cycle de création » et qu'il faudrait en conséquence créer un revenu de remplacement. Vous dites encore qu'« il faut garantir la continuité des revenus des artistes auteurs en créant un revenu de remplacement, afin de permettre la sécurisation des activités lors des périodes de recherche et de création. »

Or il faut absolument écarter l'idée que, en créant une assurance chômage, on lutte contre des rémunérations toujours trop faibles. Cela ne fonctionne pas comme cela, ni pour les salariés ni pour les indépendants. Il est donc illusoire de penser que cela puisse fonctionner dans le secteur de la création.

Les niveaux de rémunération sont liés à l'économie des secteurs, à la répartition de la valeur ajoutée créée et au rapport de force entre artistes, auteurs, producteurs et diffuseurs.

D'importants progrès ont été réalisés depuis 2021, notamment dans les secteurs de la musique, du cinéma et de l'audiovisuel, avec cinq accords interprofessionnels signés, ainsi que dans le secteur du livre.

Des progrès restent à accomplir pour le livre, nous ne l'ignorons pas ; sachez que les discussions se poursuivent. À cet égard, je salue la proposition de loi relative au contrat d'édition qui a été déposée par vos collègues députés.

Le secteur des arts visuels et de la photographie constitue également une économie distincte, pour laquelle les politiques de soutien de l'État sont essentielles et portent leurs fruits.

Par ailleurs, l'existence de très hauts revenus dans chaque secteur est non pas le signe d'une inégalité inacceptable entre les auteurs, mais la conséquence du succès. Nous le savons tous, si le succès peut être éphémère ou tardif, il est une donnée inhérente au secteur, de même que la valeur artistique peut être, pour un temps au moins, différente de la valeur économique de l'œuvre.

Face à ces réalités, la réponse ne peut consister en la mise en place d'un revenu universel artistique, qui transformerait les 350 000 Français ayant diffusé un produit qualifié d'œuvre originale en fonctionnaires de l'art subventionnés par l'assurance chômage !

Il faut, à l'inverse, que les auteurs soient mieux rémunérés, mais cela passe par des négociations avec les producteurs et les diffuseurs, qu'ils soient publics ou privés. Je n'exclus pas d'ailleurs que ce champ économique, qui est l'une des priorités du plan Auteurs, puisse être renforcé par un texte législatif. Mais j'observe que votre proposition de loi reste silencieuse sur ce point.

En un mot, les auteurs veulent être payés avant tout pour leurs œuvres, qu'elles soient achetées ou diffusées : c'est là que réside la véritable reconnaissance de leur travail. Un revenu de remplacement n'est donc absolument pas adapté.

En outre, il faut écarter l'idée que les auteurs doivent être payés à l'heure, comme les salariés d'une entreprise, ou qu'il faudrait rémunérer le temps préalable à la création, car il serait à l'origine de la discontinuité des revenus.

Les artistes auteurs ne sont pas des salariés. Au contraire, ils sont assimilables à des indépendants, justement parce qu'ils sont indépendants. Le corollaire de cette liberté, c'est que leurs œuvres leur appartiennent et que celles-ci sont protégées par le droit d'auteur.

En les rapprochant des salariés par la création d'une assurance chômage, vous les placeriez en situation de subordination, face à des acteurs défendant des intérêts totalement divergents. Ce serait aussi demander à la Nation de leur payer de maigres indemnités en échange de potentielles cessions de droits de plus en plus léonines, qui finiront par alimenter les intelligences artificielles.

Pour l'ensemble de ces motifs, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi.

Pour conclure, sachez que mes collègues Jean-Pierre Farandou, Amélie de Montchalin et moi-même avons confié à l'inspection générale des affaires culturelles (Igac), à l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et à l'inspection générale des finances (IGF) une mission d'expertise visant à déterminer les réponses susceptibles d'être apportées à quatre enjeux : l'inégalité de rémunération entre les femmes et les hommes parmi les artistes auteurs – oui, cela existe ! –, la couverture sociale contre les risques spécifiques à l'activité professionnelle, la gestion des aléas de rémunération liés au cycle de création et le risque de sortie de métier.

Cette mission interinspections devra rendre ses conclusions d'ici à la fin du mois d'avril 2026. Nous attendons d'elle des préconisations concrètes pour améliorer et protéger l'activité des seuls artistes auteurs professionnels, pourvu qu'une analyse ait été menée sur ses dimensions juridiques, budgétaires, économiques et sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)