Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. le rapporteur général applaudit également.)
M. Michel Canévet. Madame la présidente, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, clairement, le groupe Union Centriste aurait bien entendu préféré que la commission mixte paritaire fût conclusive. De fait, il était souhaitable que le Parlement parvînt à un accord. Cependant, notre groupe ne considère pas l'échec de la CMP comme une défaite. Pourquoi ? Parce que le Sénat a pu arrêter un budget ; c'est l'Assemblée nationale qui n'a pas été en mesure de le faire. Dès lors, il était difficile que les deux chambres parviennent à un accord, seule l'une d'entre elles ayant réussi à fixer des orientations. Aussi, il ne faut pas y voir une défaite.
Quelle a été l'approche des élus centristes, au Sénat comme à l'Assemblée nationale ?
Notre première préoccupation était d'assurer la plus grande stabilité fiscale possible et d'éviter d'accabler les entreprises d'impositions de toute nature.
Le deuxième point de vigilance de notre groupe portait sur la justice fiscale. À cette fin, il importe tout particulièrement que l'administration soit dotée des moyens nécessaires à la lutte contre l'évasion fiscale, contre ceux qui ne s'acquittent pas des impôts dont ils sont redevables.
Nous souhaitions aussi, bien sûr, que ce budget permette de réaliser un certain nombre d'économies qui nous apparaissent indispensables. En effet, comme chacun ici peut le constater depuis de nombreuses années, notre pays vie clairement au-dessus de ses moyens, et cela ne peut pas continuer : nous ne pouvons persister à être le plus mauvais élève de la classe européenne.
Nous avons pris des engagements vis-à-vis de nos partenaires au sein de l'Union européenne quand nous avons mis en place la monnaie unique ; ces engagements doivent être respectés. Or nous ne le faisons pas : alors que tous nos voisins parviennent à respecter les règles qui ont été fixées, la France en est particulièrement éloignée.
La commission mixte paritaire a échoué. Dans de telles circonstances, que prévoit la Constitution ? Son article 47 dispose que, « si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours » – ce délai expire dans quelques heures –, le Gouvernement peut faire entrer en vigueur le budget par ordonnance. Pourquoi alors le Gouvernement ne procède-t-il pas ainsi ? Puisque certains considèrent qu'il est absolument essentiel de nous doter d'un budget, ces dispositions le permettent expressément. Le groupe Union Centriste estime en tout état de cause que l'on doit se ménager la possibilité de recourir à cet article si l'on estime que la situation le mérite.
Dans votre propos liminaire, madame la ministre de l'action et des comptes publics, vous avez affirmé ne pas dramatiser le recours à une loi spéciale. Je partage votre attitude : il ne faut absolument pas dramatiser la situation ! La loi spéciale permettra de continuer à fonctionner, ce n'est pas forcément quelque chose d'inconvenant. Mon collègue Vincent Delahaye me disait même tout à l'heure : « Mieux vaut peut-être la loi spéciale qu'un mauvais budget. »
M. Michel Canévet. Mais si, madame la ministre, on peut tout à fait partager cette position, car un mauvais budget n'apporterait aucune réponse positive aux besoins de notre pays.
En l'occurrence, que dit ce projet de loi spéciale ? Simplement, l'on organise les dépenses pour 2026 sur la base de celles qui ont été votées l'année précédente, pour l'exercice 2025.
Poussons l'analyse un peu plus loin. L'on peut convenir que nous avons besoin de faire des économies. Ces dernières années, nous nous sommes montrés incapables d'adopter des budgets équilibrés. Cela ne peut pas continuer : comme je l'ai expliqué, il nous faut respecter nos engagements européens.
Dès lors, vous comprendrez mieux pourquoi j'estime qu'il ne faut pas dramatiser le recours à une loi spéciale. En effet, celle-ci n'est pas génératrice de dépenses supplémentaires. Cessons donc de faire peur à nos concitoyens à cet égard ! Ce n'est pas parce qu'il y aura cette loi spéciale que l'on va dépenser plus. Au contraire, ce texte permettra, sans doute, de cadrer un peu plus les dépenses.
Ce matin, en commission des finances, madame la ministre, vous rappeliez que, si ce texte devait être appliqué toute l'année 2026, nous pourrions réaliser des économies de l'ordre de 40 milliards, voire de 50 milliards d'euros.
Mme Cécile Cukierman. Ce n'est pas une fin en soi !
M. Michel Canévet. C'est bien ce que vous avez dit, madame la ministre : j'étais présent ! De fait, 40 milliards ou 50 milliards d'euros, cela représente environ deux points de PIB ; ces économies ramèneraient donc le déficit autour de 3 % du PIB, l'objectif même que nous devons atteindre rapidement.
Face aux errements que nous avons connus, ces dernières années, sur les questions budgétaires, il faut peut-être prendre le taureau par les cornes et…
M. Xavier Iacovelli. Supprimer le Parlement ?
M. Michel Canévet. … admettre que, si nous voulons réellement que notre situation financière s'améliore à court terme, nous devons prendre des décisions qui permettent d'y aboutir.
Pour notre part, en tant que membres du groupe Union Centriste, nous estimons que des efforts d'économies bien plus importants sont nécessaires. C'est dans cet esprit que nous voterons ce projet de loi spéciale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, pour la deuxième année consécutive, nous avons recours à une procédure que les rédacteurs de notre Constitution avaient imaginée devoir être exceptionnelle.
Notre régime parlementaire rationalisé est censé reposer sur un bicamérisme d'équilibre et de responsabilité. Or, depuis 2024, l'esprit de responsabilité a délaissé de trop nombreux bancs de l'Assemblée nationale ; voilà pourquoi nous nous retrouvons, de nouveau, sans budget ce 23 décembre.
L'examen du projet de loi de finances pour 2026 n'a pas été parfait au Sénat non plus – il s'en faut même de beaucoup. Les membres du groupe Les Indépendants n'ont d'ailleurs pas voté la première partie de ce budget, tant les impôts nouveaux, votés par la gauche et une partie de la droite et du centre, étaient nombreux.
La montée en puissance des crédits de nos armées est vitale pour la protection de notre territoire, c'est-à-dire, demain, pour la protection de nos enfants. Plus qu'à toute autre politique, les sénateurs de mon groupe sont attachés à ce que nous financions le réarmement, même si celui-ci est encore trop timide.
C'est pour financer ce réarmement, préserver les crédits de la diplomatie et engager un rééquilibrage public-privé pour lequel nous nous sommes battus que nous avons voté, lundi dernier, l'ensemble de ce projet de loi de finances, tout imparfait qu'il soit.
L'échec de la commission mixte paritaire et la présentation du projet de loi spéciale que nous nous apprêtons à voter mettent en péril notre réarmement et la bonne conduite budgétaire de notre pays.
Je le dis solennellement : nous aurions pu parvenir à un accord en commission mixte paritaire. Il nous suffisait de réajuster le texte voté par le Sénat, de lui ôter ses quelques malfaçons et de baisser, de 8 milliards à 10 milliards d'euros seulement, les dépenses les moins essentielles. Nous aurions ainsi pu nous approcher un peu de la seule bonne conduite budgétaire à tenir : moins de dépenses, moins d'impôts et plus d'activité !
Au lieu de cela, la gauche a demandé 10 milliards d'euros de dépenses supplémentaires et 10 milliards d'euros d'impôts nouveaux, enterrant définitivement tout espoir d'un compromis en commission mixte paritaire.
Après avoir obtenu la suspension de la réforme des retraites, la gauche aurait pourtant pu, à son tour, faire un pas en avant pour arracher le compromis. Cette même gauche a couru, entre 2022 et 2024, derrière les bottes de Jean-Luc Mélenchon, en espérant récolter un peu de lumière de son aura populiste. (M. Rachid Temal s'exclame.)
M. Thomas Dossus. Hors sujet !
Mme Vanina Paoli-Gagin. Nous avions cru, cette année, percevoir un changement de stratégie : peut-être, en se transformant en gauche de gouvernement, ces partis auraient-ils pu convaincre les Français de les soutenir en 2027. Mais cette mue annoncée ne s'est pas concrétisée, et l'approche des élections municipales a visiblement fait primer l'intérêt de ces partis sur celui du pays ; je le regrette profondément.
Le moment que nous vivons est donc important. Pour la deuxième année consécutive, l'Assemblée nationale n'est parvenue à rien en matière budgétaire : pas d'accord sur la partie « recettes » ; pas même d'examen de la partie « dépenses ». Les excès des uns et des autres n'ont rien produit, sinon plus de populisme et d'antiparlementarisme dans notre pays.
Cette loi spéciale nous coûtera cher, contrairement à ce que j'ai pu entendre dire. Il n'y aura pas de réajustement budgétaire, dans un sens comme dans l'autre. Ainsi des crédits de nos armées : ils n'évolueront pas tant qu'une loi de finances pour 2026 ne sera pas votée.
Il est donc primordial que la responsabilité des femmes et des hommes d'État redevienne le leitmotiv du débat budgétaire que les deux chambres reprendront en janvier. Cette fois-ci, l'Assemblée nationale n'aura pas d'autre choix que d'adopter le projet de loi de finances. J'appelle chaque parlementaire à redevenir fidèle à son mandat de représentant du peuple, plutôt que de son parti ou de son candidat pour 2027. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)
Dès le 1er janvier 2026, la fiscalité et les dépenses sociales augmenteront, du fait de l'accord conclu, à l'Assemblée nationale, avec la gauche sur les retraites et la CSG (contribution sociale généralisée). Cette erreur est faite. Le temps est maintenant venu, pour la gauche, de parvenir à un accord avec la droite et le centre sur la réduction du déficit au moyen d'une baisse des dépenses.
Mes chers collègues, comme vous tous, les sénateurs du groupe Les Indépendants voteront ce projet de loi spéciale. Il appartiendra ensuite aux parlementaires et au Gouvernement de prendre leurs responsabilités au mois de janvier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Annick Girardin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Madame la présidente, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, l'histoire financière de notre pays est riche d'enseignements, à condition que l'on prenne le temps de la regarder sans complaisance.
Cette histoire nous rappelle notamment que la responsabilité budgétaire est parfois jugée moins à l'aune des faits qu'à celle des rapports de force. Jacques Cœur, grand argentier de Charles VII, en fit l'amère expérience.
À la sortie de la guerre de Cent Ans, alors que l'État était au bord de la banqueroute, sa monnaie instable et ses recettes fiscales mal structurées, c'est Jacques Cœur qui permit à la monarchie de retrouver sa solvabilité, de financer une armée permanente et de restaurer l'autorité du roi.
Pourtant, il fut condamné pour de prétendues malversations financières, au terme d'un procès profondément inéquitable, où l'on confondit sa réussite personnelle avec une faute politique et où l'excellence même de sa gestion devint un grief contre lui.
Jacques Cœur fut sanctionné non pour avoir mal géré les finances du royaume, mais pour avoir incarné, trop visiblement sans doute, une réussite devenue politiquement dérangeante.
Ce détour par l'histoire n'a rien d'anecdotique, mes chers collègues : ce qui est arrivé à Jacques Cœur hier arrive au Sénat aujourd'hui ! (Rires et exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Oui, mes chers collègues, un mauvais procès a été intenté à notre assemblée.
M. Rachid Temal. À la droite sénatoriale, plutôt !
Mme Christine Lavarde. On a fait porter au Sénat la responsabilité d'un déficit public porté à 5,3 % du PIB, alors même que les faits, les chiffres et la chronologie des décisions racontent une tout autre histoire.
M. Rachid Temal. Ah, enfin la vérité ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mme Christine Lavarde. Ce procès a encore été instruit cet après-midi, à l'Assemblée nationale, par le Premier ministre, qui y a accusé le Sénat de souffrir d'un certain « jetlag »… Le Sénat, mesdames, monsieur les ministres, n'est pas en décalage horaire : il est à l'heure des comptes ! Le Sénat n'est pas une chambre de seconde zone, éloignée des réalités comme des responsabilités. Notre modèle institutionnel est bicaméral, et le Sénat y a toute sa place, avec ses exigences, sa stabilité et son sens des responsabilités !
M. Laurent Somon. Bravo !
Mme Christine Lavarde. Alors, pourquoi la commission mixte paritaire a-t-elle échoué cette fois, alors que sa composition politique est strictement identique à celle de la CMP qui, en février dernier, avait abouti sur le budget 2025 ?
M. Rachid Temal. La composition du Gouvernement a changé, elle !
Mme Christine Lavarde. La réponse est claire : en renonçant à employer l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, le Gouvernement s'est rendu dépendant d'un soutien socialiste qui lui est devenu indispensable, et ce à tout prix, y compris au prix d'un budget déraisonnable.
Alors même qu'il était possible d'élaborer en CMP un texte équilibré et responsable, conforme aux positions économiques du socle commun, la volonté du Gouvernement d'aller chercher, coûte que coûte, l'appui du Parti socialiste nous a conduits dans une impasse. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Si ce n'est pas la droite qui est coupable, c'est la gauche !
Mme Christine Lavarde. Le compromis est certes une vertu démocratique, mais un compromis ne peut pas être une compromission. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Quelle radicalité !
Mme Christine Lavarde. Le budget ne peut pas être l'assurance vie d'un gouvernement.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 a déjà été adopté au prix du sacrifice de l'une des trop rares réformes structurelles issues des quinquennats d'Emmanuel Macron. Faudrait-il désormais que nous adoptions un projet de loi de finances qui porte à près de 33 % le taux de l'impôt sur les sociétés (IS), avec une surtaxe de 6 milliards d'euros ? Ce serait enterrer une autre réforme majeure, l'abaissement à 25 % du taux de l'IS, qui était destiné à aligner la France sur les standards européens en matière de compétitivité fiscale. Si tel devait être le cas, ce serait sans nous, car le groupe Les Républicains n'a qu'une seule boussole : l'intérêt supérieur de la Nation. Nous ne dévierons pas de ce cap !
Revenons-en maintenant aux faits. Le Sénat a examiné le projet de loi de finances pour 2026 avec sérieux et responsabilité. Il a fait des choix assumés, conformes à la ligne constante de la majorité sénatoriale : soutenir l'activité économique, préserver le pouvoir d'achat et refuser une pression fiscale excessive. (M. Thomas Dossus s'exclame.)
Ainsi, notre assemblée a voté des baisses de fiscalité de près de 7 milliards d'euros par rapport à la copie initiale du Gouvernement. Ces choix n'ont rien d'irresponsable. (Exclamations sur les travées des groupes GEST et SER.) Ils traduisent une vision économique cohérente, fondée sur la compétitivité et la croissance. Cette vision, mes chers collègues de gauche, je constate que vous ne la partagez pas.
M. Rachid Temal. C'est la démocratie !
Mme Christine Lavarde. Oui, mon cher collègue, c'est la démocratie : je développe notre vision ; vous aurez le temps de présenter la vôtre ensuite. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Conscient des contraintes qui pèsent sur nos finances publiques, le Sénat n'a pas ignoré la nécessité de compenser ces baisses de fiscalité. Il a donc proposé près de 6 milliards d'euros de baisses de dépenses. Toutefois, du fait des aléas de la séance publique, la baisse de crédits figurant dans notre copie finale n'a été que de 4 milliards d'euros. Je reconnais que cela a conduit à une dégradation limitée (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.) du déficit, qui passerait de 4,7 % à 4,9 % du PIB. Voilà la réalité de la « copie sénatoriale » : rien de plus, rien de moins !
M. Rachid Temal. Surtout moins !
Mme Christine Lavarde. Le déficit de 5,3 %, c'est la facture du Gouvernement ! Cette aggravation résulte de décisions prises par le Gouvernement lui-même, au travers de transferts et d'ajustements de dépenses massifs,… (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
M. Olivier Paccaud. Il faut assumer !
Mme Christine Lavarde. … en miroir du budget de la sécurité sociale. En effet, ces transferts visaient notamment à compenser les réformes relatives à l'exonération des heures supplémentaires et aux allégements généraux, mais également la suspension de la réforme des retraites et le dégel intégral des prestations sociales, concessions assumées par l'exécutif dans le cadre du PLFSS.
Ces choix peuvent être débattus politiquement, mais ils doivent être assumés financièrement. Faire porter au Sénat la responsabilité d'un déficit résultant de décisions gouvernementales relève d'une contre-vérité manifeste. C'est rejouer, sous une autre forme, le procès fait à Jacques Cœur : désigner un responsable commode pour éviter d'assumer ses propres arbitrages.
M. Olivier Paccaud. C'est la stratégie du bouc émissaire !
Mme Christine Lavarde. Surtout, mes chers collègues, comment pourrait-on sérieusement blâmer l'action sénatoriale au regard de nos prérogatives constitutionnelles ?
Le Sénat n'est pas le Gouvernement. Il ne l'a jamais été et ne saurait s'y substituer. Il n'a pas la responsabilité des choix initiaux qui structurent un budget : choix de réforme, choix de priorité, arbitrages entre politiques publiques, etc. (M. Rachid Temal s'exclame.)
M. Christian Cambon. Très bien !
Mme Christine Lavarde. Cette responsabilité incombe au seul Gouvernement. On ne peut pas à la fois revendiquer la maîtrise de l'agenda et des orientations budgétaires et reprocher au Parlement de ne pas avoir corrigé à lui seul l'ensemble de leurs conséquences financières.
Le Sénat n'a ni les outils, ni les services, ni les données dont dispose l'exécutif. Nous n'avons pas accès, crédit par crédit, à une lecture exhaustive et opérationnelle des lignes budgétaires. Nous ne disposons pas des administrations centrales capables d'identifier avec précision les dépenses les moins productives ou les marges d'efficience mobilisables à court terme. Exiger du Sénat qu'il compense à due proportion les transferts à la sécurité sociale par des réductions de dépenses équivalentes, c'est lui demander d'exercer des responsabilités qui ne sont pas les siennes.
M. Rachid Temal. La magie de Noël !
Mme Christine Lavarde. C'est précisément pour ces raisons que la commission mixte paritaire existe. Elle est non pas un théâtre d'accusations, mais un lieu de compromis. Le Gouvernement aurait pu et aurait dû chercher un point d'atterrissage avec la majorité sénatoriale. Il aurait pu proposer des baisses de dépenses supplémentaires, comme l'a suggéré le rapporteur général, à hauteur des transferts faits vers le PLFSS, construites sur la base de ses propres analyses et de ses propres données. Il aurait pu ouvrir la discussion, négocier, arbitrer. Il ne l'a pas fait. Il est resté muet. Puis, il a accusé.
L'échec de la commission mixte paritaire ne résulte donc ni d'une obstruction sénatoriale ni d'une quelconque irresponsabilité budgétaire de notre assemblée. Il résulte d'un refus du Gouvernement d'assumer pleinement son rôle.
M. Rachid Temal. Un gouvernement avec des ministres LR !
Mme Christine Lavarde. Le Premier ministre a beau jeu, pendant cette même discussion générale, et donc avec un certain décalage horaire, d'esquisser une feuille de route.
Mes chers collègues, la loi spéciale pour le budget de 2026 que nous examinons présentement est le symptôme de cette situation.
Elle va garantir la continuité de l'État, et nous allons la voter par sens des responsabilités. Elle repose sur une stricte nécessité : permettre à l'administration de fonctionner sans anticiper ni préempter les choix budgétaires qui relèvent du débat parlementaire à venir.
Cette loi spéciale revêt une importance toute particulière s'agissant des collectivités territoriales. Elle garantit la continuité du versement des dotations. Toutefois, et il faut le dire avec clarté, elle n'efface en rien les inquiétudes des collectivités. Elle ne règle ni la question de la dynamique de leurs ressources ni celle de l'évolution de leurs charges, notamment sociales. Elle ne préjuge pas non plus des choix que le Gouvernement entend faire en matière de fiscalité locale, de simplification ou de participation des collectivités à l'effort de redressement des finances publiques.
M. Laurent Somon. C'est essentiel !
Mme Christine Lavarde. Mes chers collègues, en votant cette loi spéciale, le Sénat va une nouvelle fois agir avec sens des responsabilités. Il va protéger la continuité de l'action publique, sécuriser les finances locales et préserver les collectivités territoriales d'une instabilité préjudiciable.
Mais ce vote ne vaut ni quitus politique ni renoncement. Il appelle au contraire à un retour rapide à un débat budgétaire respectueux des compétences de chacun, fondé sur la transparence des chiffres, la loyauté des échanges et la recherche d'un compromis équilibré.
Comme Jacques Cœur, le Sénat a été attaqué non pour ses erreurs, mais pour sa rigueur. Et comme toujours, l'Histoire finira tôt ou tard par donner raison aux faits. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. C'est beau…
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc réunis à la veille du réveillon de Noël. Et ce simple constat est un aveu d'échec : un échec collectif, un échec partagé.
Car si nous sommes là ce soir, c'est avant tout parce que nous avons été incapables de nous mettre d'accord.
M. Rachid Temal. La magie de Noël !
M. Xavier Iacovelli. Pour la première fois depuis le début de la Ve République, le pouvoir nous appartenait véritablement. La responsabilité de doter la France d'un budget reposait sur nos épaules : pas sur celle du Gouvernement, pas sur celle d'un exécutif surpuissant ; sur les nôtres ! Et quand je dis « les nôtres », je parle de l'ensemble du Parlement. Et qu'avons-nous fait de cette responsabilité historique ? Nous l'avons manquée.
Ne nous réfugions pas derrière des procédures parlementaires. La vérité, mes chers collègues, est que nous avons encore été incapables de trouver le chemin du compromis.
M. Olivier Paccaud. Si vous voulez vous renier, reniez-vous !
M. Francis Szpiner. Il est fait pour être ministre !
M. Xavier Iacovelli. Et cette défaillance est due à l'ensemble des groupes parlementaires : ceux qui ont refusé le moindre pas de côté, ceux qui ont préféré des positions maximalistes contre l'intérêt du pays, ceux qui ont fait passer leurs ambitions personnelles avant l'urgence actuelle.
La situation n'est satisfaisante pour personne. Elle alimente l'incertitude et fragilise notre crédibilité financière, alors même que les Français, les collectivités et les acteurs économiques ont besoin de visibilité et de stabilité.
Les Français nous observent. Ils voient nos divisions. Ils entendent nos postures. Surtout, ils attendent nos actes. Et que leur proposons-nous aujourd'hui ? Une loi spéciale.
M. Olivier Paccaud. Ce n'est pas nous qui proposons une loi spéciale !
M. Xavier Iacovelli. C'est une solution de dernier recours. Une loi spéciale, monsieur Canévet, chers collègues, ce n'est pas un budget. C'est un pansement sur une fracture ouverte. C'est simplement un moyen pour gagner du temps, en espérant que chacun trouve désormais le chemin d'une convergence et de la raison.
Mes chers collègues, le groupe RDPI regrette vivement que la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2026 n'ait pas permis de dégager un accord.
Mais, fidèles à notre ligne de responsabilité, nous demeurons pleinement disposés à rechercher des compromis pour permettre l'adoption d'un budget dans les meilleurs délais.
Soyons lucides : le budget qui émergera dans les prochaines semaines ne conviendra parfaitement à personne. Il ne sera ni celui de la gauche…
M. Olivier Paccaud. Celui du PS !
M. Xavier Iacovelli. … ni celui de la droite, et encore moins celui du bloc central.
M. Rachid Temal. Ou de ce qu'il en reste !
M. Xavier Iacovelli. Monsieur Temal, où est la Nupes ? Où est le Nouveau Front populaire ?
M. Rachid Temal. Je ne sais pas de quoi vous parlez !
M. Xavier Iacovelli. Je ne suis pas certain que vous soyez aujourd'hui en meilleure posture que les autres groupes politiques de cet hémicycle.
Chacun devra pouvoir voter pour l'intérêt supérieur du pays. Car l'intérêt du pays, c'est la stabilité.
M. Olivier Paccaud. La stabilité, ce n'est pas la paralysie !
M. Xavier Iacovelli. L'intérêt du pays, c'est de préserver notre crédibilité. L'intérêt du pays, c'est d'éviter le chaos budgétaire, dont personne ne sortirait gagnant, à part peut-être ceux qui surfent sur ce chaos depuis des années.
M. Olivier Paccaud. Bien sûr…
M. Xavier Iacovelli. Les grands débats de société seront tranchés en 2027. Les Français choisiront. Ils débattront, et ils départageront nos visions. Ils arbitreront nos projets. Mais, aujourd'hui, ils nous ont confié une responsabilité cardinale : assurer la continuité de l'État. Je ne doute pas que le Sénat, dans sa sagesse, adoptera ce projet de loi spéciale. J'en appelle à la clairvoyance, au sérieux et au sens des responsabilités de chacun.
Tous les groupes doivent désormais consentir à faire un pas vers l'autre pour tracer ce chemin partagé. Le Gouvernement doit faire aussi un pas en prenant en compte les attentes du Sénat, et réciproquement.
Cessons les postures politiques et les lignes rouges soi-disant indépassables. Démontrons que nous savons nous élever au-dessus de nos divergences partisanes quand l'intérêt national l'exige. Et tentons de nous satisfaire parfois de petites victoires au lieu d'avoir une grande défaite pour tous, à commencer par les Français.
Dans cet esprit, le groupe RDPI se tient à la disposition du Premier ministre, du Gouvernement (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)…
M. Olivier Paccaud. Quelle surprise !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. C'est une bonne nouvelle…
M. Xavier Iacovelli. … et de toutes les forces politiques, afin de contribuer activement à la construction des conditions d'une solution rapide et responsable pour le pays.
Mes chers collègues, cet échec ne doit pas être définitif. Il peut devenir le point de départ d'un sursaut : un sursaut de responsabilité, un sursaut de volonté, un sursaut de raison.
Dans cette attente, le groupe RDPI votera en faveur de ce projet de loi spéciale.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, une fois n'est pas coutume, nous voilà réunis pour voter en urgence ce projet de loi spéciale, afin que notre pays ne sombre pas dans les turpitudes américaines du shutdown.
Ce texte n'appelle en lui-même aucune remarque particulière. Il est une simple rustine budgétaire sur le pneu déjà bien crevé qu'est le PLF 2026.
Au passage, je tiens à souligner que rien dans la Constitution ou la loi organique n'autorise le Gouvernement à procéder de la sorte. La loi spéciale est réservée à deux cas de figure. Le premier est celui où le PLF n'a pas été déposé en temps utile pour pouvoir être promulgué avant le 31 décembre ; dans ce cas, le projet de loi spéciale doit être déposé avant le 19 décembre. Le second est celui où la loi de finances fait l'objet d'une censure totale par le Conseil constitutionnel. Il n'aura échappé à personne qu'aucune de ces conditions n'est réunie.
Mais passons : après huit années de macronisme, nous sommes habitués à voir le pouvoir prendre tant de libertés avec la Constitution et défendre sa vision toute personnelle de l'État…
Je souhaiterais plutôt revenir sur les raisons qui poussent le Gouvernement à déposer un tel texte pour la deuxième année consécutive.
En substance, Emmanuel Macron nous avait dit que s'il n'appelait pas la gauche, pourtant arrivée en tête des dernières législatives, au pouvoir, c'était au nom de la « stabilité ».