M. Francis Szpiner. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre !

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

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Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2026 n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.

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Dossier législatif : projet de loi spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances
Article 1er

Loi spéciale prévue par l'article 45 de la Lolf

Adoption définitive d'un projet de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, adopté par l'Assemblée nationale (projet n° 248, rapport n° 249).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un peu plus de deux mois, le 14 octobre, Amélie de Montchalin et moi-même avions l'honneur de présenter en conseil des ministres un projet de loi de finances pour l'année 2026.

Près de deux mois plus tard, donc, on peut reconnaître que la méthode inédite annoncée par le Premier ministre a permis au débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 de se tenir et d'aboutir au vote et à l'adoption de ce texte. Cette réussite crée un précédent et trace une voie pour les futurs débats budgétaires.

En revanche, reconnaissons aussi que les discussions à l'Assemblée nationale n'ont pas permis d'aller au bout de l'examen du projet de loi de finances pour 2026. L'Assemblée nationale n'a pas pu examiner la seconde partie du texte ni définir le budget qu'elle souhaitait. Elle a même plutôt défini un budget qu'elle ne souhaitait pas, puisque la première partie a été quasi unanimement rejetée par les députés.

De votre côté, vous avez rejeté le projet de loi de financement de la sécurité sociale, voté et adopté par l'Assemblée nationale, mais vous avez adopté un budget. Même si nous avons pu avoir quelques désaccords sur le résultat de ce budget, je dois reconnaître qu'il a été longuement et bien débattu au sein de votre assemblée.

L'échec de la commission mixte paritaire de vendredi dernier relève sans doute de divergences politiques, mais aussi, et surtout, du travail quelque peu inachevé de la navette parlementaire sur le projet de loi de finances. Nous apprenons en marchant, notre culture politique évolue : prenons donc ces quelques jours, ces quelques semaines supplémentaires, pour réussir à trouver un compromis budgétaire, comme le font de nombreuses autres démocraties.

Je me permets cependant de vous mettre en garde, car je vois poindre ici ou là – peut-être moins ici que là – une certaine accoutumance à la loi spéciale. Dire que le monde va s'écrouler avec la loi spéciale serait mentir, évidemment ; mais dire que nous pouvons nous en contenter plus que quelques jours ou quelques semaines serait un déni de réalité.

La loi spéciale nous offre simplement le temps nécessaire pour prolonger les débats et nous permettre d'aller au terme de l'examen du texte. J'ai déjà eu l'occasion de le dire, c'est une roue de secours qui permet de faire quelques kilomètres avant de pouvoir changer le pneu et repartir de plus belle.

Dans notre situation, le projet de loi spéciale est un passage obligé. C'est un court texte d'une quinzaine de pages, qui comprend trois articles : le premier permet de continuer à lever l'impôt, le deuxième de garantir les ressources nécessaires au bon fonctionnement de nos collectivités locales et le troisième d'autoriser l'État à continuer d'émettre de la dette afin d'assurer la continuité des services publics et de son action.

Je précise que l'adoption de ce texte n'équivaut pas à la reconduction du budget de l'année dernière. La mise en œuvre de la loi spéciale, ainsi que des décrets de services votés, revient à ouvrir le minimum de crédit que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement.

Je rappelle d'ailleurs que la loi spéciale ne peut pas modifier les barèmes d'impôt ni prolonger les dispositifs fiscaux de l'année précédente. Le Conseil d'État a été très clair sur ce point dans son avis rendu l'année dernière sur la loi spéciale de l'époque. Il l'a rappelé dans son avis sur le présent projet de loi.

En outre, la loi spéciale interdit tout investissement nouveau, comme le soutien aux sous-traitants automobiles de toutes les régions, qui sont en profonde transformation, le soutien aux secteurs aéronautiques avec le Conseil pour l'aéronautique civile (Corac), le soutien aux premiers ordinateurs quantiques français – on est en avance sur ces sujets, reconnaissons-le, et continuons à accélérer. Le guichet MaPrimeRénov' est lui aussi suspendu, cela a fait l'objet de longues explications.

Évidemment, les investissements supplémentaires dans nos forces armées, en faveur desquels vous avez très largement voté dans le cadre d'un débat organisé au titre de l'article 50-1 de la Constitution la semaine dernière, sont aussi suspendus.

Enfin, élément très important pour nous toutes et nous tous, le prolongement de la garantie de l'État à l'Agence française de développement (AFD) pour la Nouvelle-Calédonie et le fonds de garantie « émeutes » sont aussi suspendus.

Il faut donc accélérer pour mettre un terme à cette situation, en raison des incertitudes importantes liées à cette solution provisoire.

La première incertitude porte sur les finances publiques et le niveau de déficit lui-même. La loi spéciale limite évidemment les hausses résultant de dépenses discrétionnaires, mais elle ne limite en rien les hausses tendancielles. On est ainsi tenté de laisser se développer le mauvais gras et de réduire le bon gras, mais, en définitive, il s'agit toujours de gras, c'est-à-dire d'un déficit public qui, si la situation était amenée à se prolonger, pourrait paradoxalement augmenter – en tout cas, il ne diminuerait pas.

La deuxième incertitude tient à la croissance. Nos chefs d'entreprise, nos concitoyens, tant qu'ils n'ont pas de budget, tant qu'ils n'en connaissent pas les dispositions fiscales, vont retenir leurs investissements, dans l'appareil productif pour les entreprises ou dans le logement pour nos concitoyens.

La troisième incertitude concerne le financement de la dette de l'État. Pour l'instant, tout va bien, si j'ose dire. Les taux d'intérêt auxquels nous empruntons sont relativement contenus en écart par rapport aux taux consentis à l'Allemagne, mais vous l'avez vu récemment, ces taux ont fortement augmenté, risquant d'obérer d'autant les charges de financement de l'État.

Pour toutes ces raisons, nous devrons nous réveiller le 1er janvier avec la même obsession qu'en nous couchant le 31 décembre : faire adopter un budget pour la France. Il nous revient de finaliser rapidement nos travaux. Nous reprendrons le travail à l'Assemblée nationale en début d'année, là où vous l'avez arrêté, afin de converger au mois de janvier, nous l'espérons, vers un budget qui puisse être adopté du fait des échéances financières, des échéances économiques, mais aussi des échéances électorales qui sont devant nous.

Nous devons poursuivre nos efforts pour maintenir le déficit sous les 5 % du PIB, seuil qui nous permet de rester sur la trajectoire qui nous ramène en dessous de 3 % à l'horizon 2029 et nous permet enfin de commencer à stabiliser notre dette.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cet objectif est ambitieux ; il est atteignable, j'en suis convaincu. C'est notre devoir de l'atteindre.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la commission mixte paritaire qui s'est réunie vendredi dernier pour débattre du projet de loi de finances pour 2026 s'est avérée non conclusive. Le Gouvernement en a donc pris acte et, en conséquence, a présenté aujourd'hui un projet de loi spéciale qui nous accorde collectivement quelques jours supplémentaires afin de donner au plus vite un budget à la France.

C'est en effet une nécessité vitale pour notre pays, car, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, une loi spéciale n'est pas un budget. Ce n'est pas non plus un choix politique ; c'est plutôt un non-choix, ce qu'un pays comme le nôtre ne peut se permettre. Enfin, c'est un service minimum qui a été pensé dans le cadre d'un processus budgétaire à l'arrêt, mais c'est un texte qui ne répond au fond ni aux urgences ni aux exigences des Français.

En effet, ce service minimum correspond à des risques maximums. Certains, à l'Assemblée nationale, m'ont reproché de dramatiser la loi spéciale. Je dois vous dire que je ne la dramatise pas, mais qu'il est utile d'être transparent sur ce qu'elle présente comme possibilités, mais aussi comme risques.

Le principal risque, c'est que cette loi ne résout rien au fond et ne nous permettra pas de répondre réellement aux urgences des Français ; elle ne nous permettra pas d'investir ; elle nous permettrait à la limite de laisser le pays immobile, mais je crois que personne ici ne le souhaite.

Vous le savez, un service minimum n'a de sens que s'il est très court dans le temps. Du provisoire qui dure n'est pas ce que nous souhaitons offrir à notre pays, nous tous qui souhaitons être des responsables politiques. Il serait même indigne d'un grand pays comme la France de se contenter du minimum et du provisoire.

La loi spéciale, vous le savez, ne comporte que trois articles : un premier, qui permet de prélever les impôts existants ; un deuxième, qui reconduit les prélèvements sur recettes au bénéfice des collectivités territoriales dans les conditions de la loi de finances pour 2025 ; et un troisième, qui autorise les opérations d'emprunt et la gestion de la dette. En résumé, le strict minimum et le service de la dette.

Ce régime budgétaire du minimum aura des conséquences très concrètes, très perceptibles dès le 1er janvier. Je ne veux pas non plus les dramatiser, mais il me semble utile d'être transparente.

Première conséquence, cette loi spéciale acte de facto l'arrêt des investissements nouveaux. Cela aura des conséquences, notamment pour le ministère des armées, qui ne pourra pas passer les commandes nouvelles, pourtant cruciales, dans le climat de montée des tensions géopolitiques que nous connaissons trop bien ; de même, les ministères de la justice et de l'intérieur seront freinés dans leurs investissements. Néanmoins, je veux rassurer les entreprises, notamment celles qui fournissent ces ministères : tous les engagements passés seront tenus – je pense en particulier à notre porte-avions, qui a déjà fait l'objet d'engagements, lesquels seront honorés.

Deuxième conséquence, la loi spéciale n'autorise pas les dépenses dites discrétionnaires. L'ensemble des aides qui ne sont pas des dispositifs de guichet encadrés par un texte réglementaire ou un texte de loi ne peuvent être versées par l'État et ses opérateurs. Je pense notamment aux engagements que certains voudraient voir être pris pour leur rénovation énergétique grâce à MaPrimeRénov'. Là aussi, je tiens à rassurer les Français, tous les dossiers déjà déposés et déjà validés feront l'objet des paiements attendus.

La troisième conséquence est le gel des recrutements publics, avec, à la clé, 4 000 postes prévus dans les ministères régaliens qui ne seront pas pourvus immédiatement, sauf si les concours ont déjà été lancés. Sont également menacés 8 800 nouveaux recrutements du ministère de l'éducation nationale par un nouveau concours au niveau de la licence pour former différemment nos enseignants ; ce concours ne pourra pas être lancé si nous ne disposons pas de crédits supplémentaires, et donc si nous n'avons pas un vrai budget.

Contrairement à ce que certains pensent, la loi spéciale et les services votés ne sont pas mécaniquement source d'économies pour les finances publiques, puisqu'aucune réforme structurelle ne peut être mise en œuvre en l'absence de budget ; ils ont même un impact négatif sur les recettes de l'État.

La seule manière de réduire durablement le déficit, c'est bien d'avoir un budget voté, que le Gouvernement met en œuvre, exécute, comme on dit. L'an dernier, la commission mixte paritaire avait conclu que la cible de déficit était de 5,4 % du PIB et Éric Lombard, puis Roland Lescure, et moi-même avons passé l'année à tenir cet objectif de déficit.

Pour éviter le désordre, évidemment, l'État sera là. Pour gérer les urgences, l'État sera là aussi. Heureusement, la loi spéciale le permet, qu'il s'agisse des catastrophes climatiques – j'ai une pensée, ce soir, pour nos compatriotes de l'Hérault, qui font face à des crues – ou sanitaires – j'ai également une pensée pour nos agriculteurs. Évidemment, la loi spéciale ne remet absolument pas en cause notre engagement pour lutter contre la dermatose nodulaire contagieuse, que ce soit pour financer la politique de vaccination et les indemnités d'abattage ou pour le déploiement du fonds d'urgence.

Mais nous ne pouvons pas nous contenter de gérer les urgences pendant une année. Les Français attendent mieux : ils attendent non pas le minimum, mais le maximum.

Alors, il me semble que, si la trêve de Noël arrive, cette trêve ne peut pas être la trêve du compromis ni la grève du compromis. Nous devons nous mettre en ordre de marche pour que chaque jour de loi spéciale, qui sera un jour de trop, soit si possible le dernier.

Un chemin de compromis, on le sait, a été trouvé avec le Sénat sur le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2025 ; il a également été trouvé à l'Assemblée nationale sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Je crois qu'un tel chemin peut et doit être trouvé sur le projet de loi de finances. C'est une ardente obligation de donner à la France un budget.

Vous trouverez, vous le savez, le Gouvernement, le Premier ministre, Roland Lescure et tous les ministres à votre disposition – je remercie également Françoise Gatel d'être présente ce soir,…

M. Rachid Temal. Ça change tout ! (Sourires.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre. … alors que nous avons encore à travailler sur le sujet des collectivités locales.

Au fond, ce qui est devant nous, c'est un exercice et une exigence de responsabilité et de sérieux budgétaires, mais c'est surtout une exigence de respect envers les Français. Les Français vous ont indirectement, mais fermement, élus, et ils ont demandé au Gouvernement d'agir ; c'est par respect pour eux que nous devons remettre ce texte sur le métier dès le mois de janvier, pour donner à la France, par respect pour les Français, un budget. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour un rappel au règlement.

M. Loïc Hervé. Madame la présidente, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes le 23 décembre, il est dix-neuf heures quarante-trois et nous sommes en pleine procédure d'adoption d'un projet de loi spéciale.

Or M. le Premier ministre, non pas depuis Houston, mais depuis Matignon, est en train de tenir une conférence de presse – déjà terminée, me semble-t-il – pour expliquer ce qu'il attend de cette loi spéciale. Cet après-midi, il était à l'Assemblée nationale ; ce soir, il n'est pas au Sénat. Je voudrais souligner que l'on ne peut pas, même à quelques heures de Noël, faire de telles mauvaises manières au bicamérisme. On peut aussi respecter les deux chambres du Parlement et laisser intervenir le vote de la loi avant de faire tout commentaire sur ce que l'on peut en espérer. (Applaudissements.)

M. Franck Dhersin. Quel mépris !

Mme la présidente. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'année dernière, à peu près à la même date, mais dans des conditions différentes, nous nous retrouvions pour examiner le premier projet de loi spéciale présenté au Parlement depuis quarante-cinq ans. En effet, notre pays, pour la première fois depuis quarante-cinq ans, donc, n'avait pas été en mesure de se doter d'un budget pour l'année à venir en raison de la motion de censure adoptée le 4 décembre 2024 par l'Assemblée nationale.

À l'époque, c'était un grand saut dans l'inconnu. En effet, nous ne savions ni quand ni comment nous parviendrions à voter un budget, la configuration de l'Assemblée donnant lieu à une fragmentation des groupes politiques.

Pourtant, nous avons finalement réussi à adopter un budget, promulgué – la date n'est pas anodine – le 14 février 2025 ! J'insiste sur le fait que c'est un travail collectif qui nous a permis d'y parvenir. Chacun a tenu sa place et œuvré pour parvenir au même objectif.

Une majorité de centre droit, au sein de la commission mixte paritaire, s'est unie pour avancer vers un texte commun, que nous avons négocié sérieusement et longuement, dans un esprit d'ouverture, avec David Amiel, qui était alors rapporteur de la commission mixte paritaire pour l'Assemblée nationale. Nous sommes parvenus à un texte, adopté en CMP, en moins de deux jours, le 31 janvier 2025.

Le succès de l'adoption du PLF 2025 a tenu également à l'investissement du gouvernement de François Bayrou, à l'époque, pour doter notre pays d'un budget. Ce gouvernement s'est attelé à déterminer les conditions d'un accord de non-censure avec les socialistes, afin que les conclusions de notre CMP soient adoptées dans les mêmes termes par les deux assemblées.

M. Rachid Temal. Très bon choix !

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Nous avons donc doté notre pays d'un budget en 2025. Il s'agissait d'ailleurs d'un budget de redressement, qui a permis à la France d'afficher une amélioration significative du solde public entre 2024 et 2025. C'est un motif de satisfaction, ainsi que j'ai eu l'occasion de le souligner lors de l'examen du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2025.

Mais alors, puisque nous avions réussi en janvier, que s'est-il passé en décembre ? (Mme Sophie Primas sourit.) Puisque nous avions éclairé le chemin une première fois et prouvé qu'il était possible, dans notre configuration politique, de donner un budget au pays, que nous a-t-il manqué cette fois-ci ?

En effet, le Sénat n'a pas changé depuis la CMP du mois de janvier.

M. Olivier Paccaud. Le Gouvernement, si ! Et sa méthode !

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. La composition de l'Assemblée nationale n'a pas changé non plus. J'ai cette fois travaillé et négocié avec Philippe Juvin, rapporteur général à l'Assemblée nationale, en vue de la CMP, qui restait dominée par une majorité de centre droit.

J'ai mis, comme à mon habitude, toute mon énergie, au nom du Sénat, à reproduire ce que nous avions fait avec succès en janvier, c'est-à-dire donner un budget à notre pays pour 2026 et éviter la loi spéciale que nous examinons aujourd'hui. Nous avons ainsi négocié pendant de nombreuses heures, avec Philippe Juvin, avant même que le projet de loi de finances ne soit voté au Sénat.

De toute évidence, nous n'avons pas réussi à reproduire le précédent de janvier. Je vous le demande, monsieur, madame les ministres : que nous a-t-il manqué pour y parvenir ?

M. Thomas Dossus. Des recettes !

M. Michel Canévet. Et donc des impôts ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Certainement pas de temps. Du temps, nous en avons eu, et nous l'avons exploité. C'est ainsi au terme de vingt heures de travail que nous nous sommes mis d'accord sur 259 des 263 articles du texte en discussion.

Ce qui nous a manqué, c'est un gouvernement qui souhaite reproduire les conditions d'adoption du budget 2025.

Ce qui nous a manqué, c'est un gouvernement prêt à négocier avec les socialistes, comme en janvier, les conditions d'un accord de non-censure sur une copie de CMP de centre droit.

Ce qui nous a manqué, c'est un gouvernement qui propose des économies pour parvenir à un objectif de solde public raisonnable. Or, madame, monsieur les ministres, vous m'avez dit que vous n'aviez aucune économie à proposer pour bâtir un compromis de CMP. Cette position va d'ailleurs à rebours des déclarations publiques que vous aviez faites, y compris dans l'enceinte de notre hémicycle.

Madame la ministre, vous m'avez même proposé une unique voie pour parvenir à un accord : près de 10 milliards d'impôts supplémentaires. Je vous confirme que la majorité sénatoriale ne veut pas emprunter ce chemin.

Surtout, cette situation aurait pu être évitée si le Premier ministre avait exposé les conditions d'un atterrissage possible de la CMP en choisissant de mettre en œuvre un article de la Constitution expressément prévu pour faire face à la situation politique, et qui a d'ailleurs fait ses preuves en janvier pour doter la France d'un budget dans le calme, la sérénité et la clarté. Le Premier ministre s'y résoudra peut-être, mais en attendant, nous aurons perdu du temps, des marges de redressement et de la crédibilité.

Je crains que cela ne se traduise, comme dans le cas de la loi de financement de la sécurité sociale, par davantage de fiscalité, de dépense publique, de déficit et de dette.

Ce projet de loi spéciale résulte de l'application conjointe des articles 47 de notre Constitution et 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf). Comme l'année dernière, mais pour des raisons différentes, les circonstances – un budget déposé dans les temps, mais qui n'a pas été adopté avant la fin de l'année – ne correspondent pas, strictement, aux cas de figure des procédures d'urgence prévues dans ces textes.

Cependant, l'application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, pour une telle situation, est assez claire : « Il appartient, de toute évidence, au Parlement et au Gouvernement, dans la sphère de leurs compétences respectives, de prendre toutes les mesures d'ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale. »

Rappelons l'objet de ce texte : il prévoit les mesures d'ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale – tout cela, mais rien que cela. La vie nationale doit en effet se poursuivre, mais toutes les mesures qui ne seraient pas strictement nécessaires à cette continuité n'ont pas leur place dans ce texte.

Le projet de loi spéciale – et c'est sa nature – est très court, car il se limite au strict nécessaire. Il comporte trois articles et l'Assemblée nationale n'y a apporté qu'une simple modification rédactionnelle. Il prévoit ainsi d'autoriser la perception des impôts pour 2026, de reconduire l'affectation des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales et de l'Union européenne et, enfin, d'autoriser l'État à emprunter.

Parce que ces articles me paraissent nécessaires et suffisants, et que la priorité est de rassurer les Français en garantissant la continuité de la vie nationale, la commission des finances vous propose d'adopter ces trois articles sans aucune modification. Ainsi, le Sénat pourra voter, dès ce soir, un texte conforme à celui qui a été adopté aujourd'hui par l'Assemblée nationale. Je pense en effet que l'intérêt supérieur du pays doit prévaloir.

Cependant, au-delà de ce texte, je veux interroger le Gouvernement : quel chemin nous permettra de doter la France d'un budget en 2026 ?

Nous avons tout entendu ces dernières semaines, et jusqu'à ces derniers jours.

Ainsi, le Gouvernement aurait souhaité que la CMP soit conclusive, ou, finalement, qu'elle soit reportée de quelques jours, ou jusqu'au mois de janvier.

Par ailleurs, le Gouvernement aurait envisagé l'utilisation d'ordonnances dites négociées, dont on a bien du mal à comprendre la nature juridique. Puis il est apparu que le Gouvernement aurait réfléchi à recourir aux ordonnances prévues par l'article 47 de la Constitution.

Enfin, nous apprenions que le Gouvernement envisageait – surprise ! – l'usage de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Encore une fois, nous avons attendu, entre vendredi matin et hier soir, de connaître les intentions du Gouvernement, pour finalement examiner ce texte dans une certaine urgence, puisque seulement vingt-quatre heures se sont écoulées entre sa présentation en conseil des ministres et son adoption définitive.

Or, pendant que le Gouvernement se livre à ces atermoiements et que ce flou incompréhensible règne, des agriculteurs attendent des solutions aux différentes crises qu'ils traversent et des entreprises s'apprêtent à passer de nouvelles semaines sans savoir quelle surtaxe d'impôt sur les sociétés elles devront payer ni si la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) baissera réellement en 2026 – car nous avons aussi entendu des rumeurs à ce sujet. Quel sera le barème de l'impôt sur le revenu en 2026 ? Quand nos forces armées pourront-elles bénéficier des crédits supplémentaires que nous souhaitons presque tous, ici, leur donner, et que nous avons d'ailleurs votés au Sénat ?

Ainsi, mesdames, messieurs les ministres, je crains que la modification de l'objectif de déficit public, désormais fixé à 5 %, contre 4,7 % dans la version initiale, ne se traduise par une dégradation historique des comptes de la sécurité sociale, au regard du PLFSS, ainsi que par une énième augmentation de la fiscalité pesant sur notre économie, au regard du PLF. Or ce n'est ni ce que les Français attendent ni ce que nous souhaitons. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. - Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Raphaël Daubet.

M. Raphaël Daubet. Madame la présidente, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, investissements bloqués, suspension du guichet MaPrimeRénov', coup d'arrêt au régime dérogatoire de la taxe d'apprentissage à Saint-Pierre-et-Miquelon : la France devrait passer en mode dégradé à partir du 1er janvier 2026.

La loi spéciale autorise le pays à tourner au ralenti. Pour la deuxième année consécutive, nous aurons substitué la continuité administrative à la décision politique.

Il s'agit donc non plus d'une péripétie, mais bien d'un symptôme de l'enlisement dans lequel la crise politique nous plonge depuis la dissolution.

Nous devons tirer trois messages de cette situation.

Premièrement, cette loi spéciale est une défaite : la nôtre, celle du Parlement.

Le Parlement, qu'on le veuille ou non, est un chaudron où bouillonnent les idées politiques. En l'absence de force majoritaire, rien ne le prédispose à faire surgir ce fameux compromis dont tout le monde rêve. Il est possible, et même souhaitable, qu'une majorité fasse des compromis vis-à-vis de l'opposition – je préfère d'ailleurs parler de concessions. Mais dans l'état de fragmentation du paysage politique, la possibilité d'un compromis général repose sur la responsabilité de chacun d'entre nous et sur notre capacité à renoncer à certaines de nos exigences : il s'agit, finalement, d'assumer la tension qui en découlera à l'égard de notre fidélité à des valeurs ou à l'égard de nos engagements électoraux.

La loi spéciale nous renvoie à nos propres limites.

Le RDSE a pris acte de l'échec de la CMP, malgré la volonté des rapporteurs généraux. On trébuche sur un désaccord à 9 milliards d'euros, à répartir entre recettes et dépenses : il nous semblait qu'un tel obstacle pouvait être surmonté…

Au fond, la difficulté est non pas de voter un budget, mais de prendre des décisions douloureuses : taxer ou couper, dans un contexte de stagnation économique et d'appauvrissement de l'État qui ne nous laisse malheureusement pas d'autre choix. En effet, nous sommes incapables, collectivement, de trouver le chemin du redressement industriel, agricole et économique.

Face à cette réalité, le jeu des postures et des ambitions est dangereux.

Deuxièmement, un message clair semble adressé au Gouvernement : avec la loi spéciale, nous entrons dans une zone dangereuse, qui est désormais votre moment, mesdames, messieurs les ministres. L'impuissance du Parlement étant actée, le temps des réjouissances s'achève : vous devez reprendre la barre avec dignité. Le 49.3 redevient l'instrument de prédilection que chacun appelle de ses vœux – c'est cocasse –, mais aussi l'arme à double tranchant qui peut nous priver à la fois de budget et de gouvernement, si l'atterrissage du texte rate.

Vous avez donc une lourde responsabilité – et mon groupe vous souhaite de réussir.

Troisièmement, les circonstances envoient un message de vérité à nos concitoyens. La complexité des débats budgétaires tient à toutes les difficultés que nous traversons, mais aussi à la chance que nous avons de vivre en démocratie, dans un pays où tous les choix sont discutables et âprement discutés.

Malgré ce chahut, la France n'est pas à l'arrêt.

Nous voterons cette loi spéciale, dans l'espoir qu'un budget soit adopté le plus rapidement possible. (Mme Véronique Guillotin applaudit.)