EXAMEN DES ARTICLES

CHAPITRE V
DROIT À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
PAR L'ÉDUCATION ET LA CULTURE
Article 74

Objectif national d'accès de tous à la culture,
à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs

I. Commentaire du texte du projet de loi

Cet article figure en tête du chapitre 5 du titre II du projet de loi consacré à l'égalité des chances par l'éducation et la culture. Il érige en objectif national l'accès de tous à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs.

A la lecture de l'exposé des motifs du projet de loi, cette disposition relève de deux des orientations conférées au projet de loi par le gouvernement selon une distinction qui, au demeurant, peut laisser songeur. D'une part, elle traduit la volonté de garantir l'accès aux droits fondamentaux en affirmant le principe de l'accès de tous à la culture. D'autre part, elle participe de la logique de prévention des exclusions, en promouvant l'égalité des chances par le sport, les vacances et les loisirs.

Outre le fait que cette dualité de préoccupations ne ressort pas de la rédaction proposée par le gouvernement, votre rapporteur souligne le caractère purement déclaratif de cette disposition qui pourrait avoir à la rigueur sa place dans une loi d'orientation si elle était accompagnée d'un dispositif normatif substantiel. Or, force est de constater, et nous l'avons déjà souligné dans l'exposé général, que le chapitre 5 du projet de loi ne comporte, outre cet article, qu'une seule disposition législative relative à la culture et qui, au demeurant, ne constitue que la transcription dans la loi d'une jurisprudence récente du Conseil d'Etat.

Par ailleurs, cet article apparaît redondant avec l'article premier qui précise déjà que la loi " tend à favoriser l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l'emploi, du logement, de la protection de la santé, de la justice, de l'éducation, de la formation et de la culture, de la vie familiale et de la protection de l'enfance ". On peut, en outre, s'interroger sur le terme d' " objectif national " utilisé par le texte de l'article 74 alors que celui d' " objectif prioritaire " est retenu à l'article 36 pour l'accès aux soins pour tous qui est considéré par l'exposé des motifs, à l'image de l'accès de tous à la culture, comme un droit fondamental.

On se contentera, en guise d'appréciation, de citer Portalis : " la loi ordonne, permet ou interdit ".

Quoi qu'il en soit, la multiplication des textes de principe rend difficile d'innover en la matière. En effet, le principe affirmé par l'article 74 se superpose tant à des normes de valeur constitutionnelle qu'à des dispositions législatives.

Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 proclame comme particulièrement nécessaires à notre temps les deux principes suivants : la Nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs " (onzième alinéa) et " garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture " (treizième alinéa).

Le Conseil constitutionnel a considéré que ces principes ont une valeur constitutionnelle en vertu de leur inscription dans le préambule de 1946 auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958. Néanmoins, il leur a conféré une portée limitée, en précisant qu' " il incombe, au législateur comme à l'autorité réglementaire, conformément à leurs compétences respectives, de déterminer, dans le respect des principes posés par ces dispositions, les modalités concrètes de leur mise en oeuvre " (décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997 à propos du onzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946). Pour l'heure, aucune disposition législative n'a été annulée par le Conseil constitutionnel sur leur fondement. Le Conseil d'Etat, quant à lui, a également reconnu la valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Sous réserve de la théorie de la loi écran, la jurisprudence récente semble s'orienter vers une application directe de ses dispositions. Si une telle évolution est logique pour le treizième alinéa qui constitue une déclinaison du principe d'égalité, elle mérite d'être notée pour le onzième alinéa (cf. CE, 7 mars 1990, Union nationale des associations familiales).

Au-delà de ces dispositions constitutionnelles, des textes législatifs comportent d'ores et déjà des dispositions de même nature que celles proposées par l'article 74. On peut citer l'article premier de la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives qui précise que les activités physiques et sportives " sont un élément fondamental de l'éducation, de la culture et de la vie sociale " et que " leur développement est d'intérêt général et leur pratique constitue un droit pour chacun quels que soient son sexe, son âge et ses capacités ou sa condition sociale ". On rappellera également qu'aux termes de l'article premier de la loi n° 88-20 du 6 janvier 1988 relative aux enseignements artistiques " les enseignements artistiques contribuent à l'épanouissement des aptitudes individuelles et à l'égalité d'accès à la culture ".

Votre rapporteur souligne, à cet égard, qu'il serait préférable de s'attacher à appliquer les lois en vigueur plutôt que de poser de nouveaux principes à la valeur incertaine. En effet, alors que l'école est le lieu privilégié pour garantir aux enfants une égalité des chances dans le domaine culturel, la loi relative aux enseignements artistiques, comme votre commission l'a souligné au demeurant à maintes reprises, n'est encore que partiellement mise en oeuvre.

Le deuxième alinéa de l'article 74 énumère les collectivités et organismes impliqués dans la mise en oeuvre de cet objectif national. L'Etat, les collectivités territoriales, les organismes de protection sociale et les associations, contribuent à sa réalisation. L'accès de tous à la culture, à la pratique sportive et aux loisirs n'est donc pas de la seule responsabilité de l'Etat. A l'évidence, la réalité de la politique culturelle comme celle de la politique de la jeunesse et des sports, fondées sur un large partenariat avec les associations et une implication grandissante des collectivités territoriales, le prouvent. Par ailleurs, nous rappellerons que le préambule de 1946 attribuait à la Nation -et non uniquement à l'Etat- la responsabilité des principes garantissant l'égal accès de tous à la culture et aux loisirs.

II. Texte adopté par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a précisé que l'accès de tous à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs permet de garantir l'exercice effectif de la citoyenneté, disposition plus déclarative que normative et sur le sens de laquelle on peut s'interroger.

Par ailleurs, elle a complété l'article 74 afin de lui conférer une utilité minimale consistant à énoncer en termes généraux les différentes mesures d'accompagnement du projet de loi destinées à garantir l'accès à la culture et l'égalité des chances par le sport et le tourisme. Celles-ci sont contenues dans le programme de prévention et de lutte contre les exclusions présenté par le gouvernement.

A cette fin, dans un énoncé qui ne se veut pas limitatif, l'Assemblée nationale a précisé, en premier lieu, que la réalisation de l'objectif national passe par :

- le développement de la formation dans le secteur de l'animation et des activités périscolaires ;

- l'organisation d'activités sportives hors du temps scolaire ;

- la sensibilisation des jeunes qui fréquentent les structures de vacances et de loisirs collectifs aux questions de société ;

- et le développement des hébergements touristiques à caractère social familial et par l'organisation du départ en vacances des personnes rencontrant des difficultés pour en assurer le coût financier.

Votre rapporteur ne peut que souscrire à ces intentions en espérant qu'elles se traduiront par des mesures concrètes. Il remarque, par ailleurs, qu'elles correspondent dans de nombreux cas à des dispositifs expérimentés depuis longtemps.

En second lieu, l'Assemblée nationale a complété l'article 74 afin de préciser que les collectivités et organismes visés au second alinéa peuvent mettre en oeuvre des programmes d'action concertés pour l'accès aux pratiques artistiques et culturelles, ce qui n'est pas à proprement parler une nouveauté. Elle a précisé également que les établissements participant au service public de la culture financés par l'Etat s'engagent à lutter contre les exclusions. Cette précision recueille l'assentiment de votre rapporteur qui considère que les initiatives prises en ce domaine par les établissements culturels doivent être généralisées.

III. Position de la commission

Votre commission a adopté trois amendements à cet article.

Le premier complète la rédaction du premier alinéa afin de préciser que l'objectif national est constitué par l'égal accès de tous à la culture et aux loisirs. En effet, l'accès de tous à la culture et aux loisirs doit s'exercer dans le respect du principe d'égalité, ce dernier pouvant, au nom de l'équité, justifier, comme l'ont admis les jurisprudences constitutionnelles et administratives, des discriminations positives afin de garantir l'égalité réelle, c'est-à-dire une véritable égalité des chances. Votre commission souligne à cet égard que cette modification n'est pas une innovation dans la mesure où le treizième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 posait déjà le principe de " l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture " .

Le deuxième amendement propose une nouvelle rédaction du deuxième alinéa de cet article. Outre des modifications de forme, elle tend à apporter une amélioration de fond en rappelant que les enseignements artistiques dispensés dans les établissements scolaires contribuent, comme le précisait la loi n° 88-20 du 16 janvier 1988 précitée, à l'égalité d'accès à la culture. En effet, votre commission, regrettant l'application encore très imparfaite de cette loi, souhaite affirmer son attachement au rôle que peuvent jouer les enseignements artistiques dans le développement des aptitudes individuelles et dans la démocratisation de la culture, deux objectifs qui ne peuvent que contribuer à la lutte contre les exclusions. Elle considère, en effet, qu'en dépit de ses lacunes en ce domaine, l'école doit demeurer le lieu privilégié pour assurer l'égalité des chances et lutter contre la transmission de génération en génération des situations d'exclusion.

Le troisième amendement modifie la rédaction du troisième alinéa de l'article 74 afin de préciser de manière plus explicite que les établissements culturels financés par l'Etat ont pour obligation de lutter contre les exclusions.

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