Mardi 26 février 2013

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Séparation et régulation des activités bancaires - Audition de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances

La commission procède à l'audition de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances sur le projet de loi n° 365 (2012-2013) de séparation et de régulation des activités bancaire.

M. Philippe Marini, président. - Le projet de loi de réforme bancaire a été adopté par l'Assemblée nationale le 19 février dernier avec quelques modifications par rapport au texte initial. Le Sénat l'examinera en commission des finances, sur le rapport de Richard Yung, le 12 mars prochain, puis en séance publique à compter du 20 mars. Deux commissions s'en sont saisies pour avis : la commission des affaires économiques a nommé Yannick Vaugrenard rapporteur pour avis, la commission des lois devrait nommer le sien demain matin.

Nous avons tenu deux tables rondes sur les principaux aspects du texte. Le titre Ier porte sur la séparation, ou plutôt le cantonnement, des activités ; le titre II, sur la résolution, c'est-à-dire la gestion des faillites bancaires. Le projet de loi comporte de nombreuses autres dispositions plus ou moins techniques : les députés ont beaucoup travaillé, ajoutant pas moins de 33 articles additionnels aux 26 du texte initial...

M. Joël Bourdin. - En effet !

M. Philippe Marini, président. - Parmi les nouveaux sujets dont le Sénat devra se saisir : la présence des banques dans les paradis fiscaux ; l'encadrement des emprunts des collectivités territoriales, ce qui nous conduira à évoquer une nouvelle fois la question de Dexia et des lignes de crédit jugées toxiques ; le plafonnement des commissions d'intervention, à réserver à une clientèle fragile ou à généraliser ; la liquidation de l'Etablissement public de réalisation et de défaisance (EPRD), qui met un point final à l'affaire du Comptoir des entrepreneurs.

Au ministre d'exposer maintenant les grandes lignes du texte et de dire quels choix le Gouvernement souhaite faire partager à la représentation nationale.

M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances. - L'ambition de ce projet emblématique est de reprendre la main face aux dérives de la finance, de répondre aux causes profondes de la crise financière, de renforcer le contrôle politique et démocratique d'un secteur qui fait depuis l'objet d'une défiance certaine : voilà un effort assumé de régulation, de moralisation et de contrôle. L'Assemblée nationale l'a voté la semaine dernière à la confortable majorité de 315 pour et 161 contre, les groupes communiste et UDI s'abstenant, tandis qu'une quinzaine de voix UMP se joignaient à celles des socialistes, des radicaux et des écologistes. Ce résultat traduit la qualité d'un débat, serein et constructif ; une cinquantaine d'amendements, de tous les groupes, ont été adoptés, les échanges ont été exemplaires. Je souhaite qu'ils soient de la même qualité au Sénat.

Notre devoir collectif est de tout faire pour éviter que les errances qui ont entraîné la crise de 2008 se reproduisent, que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

C'est la conjonction de trois facteurs qui a provoqué la déflagration de 2008 : une mauvaise compréhension et une mauvaise gestion des risques ; des incitations perverses pour les acteurs de la finance, liées à l'aléa moral qui voit in fine les Etats garantir sans contrepartie les risques excessifs pris par les banques, et les déresponsabilise ; une approche de la régulation trop axée sur les comportements individuels et pas assez sur les déséquilibres globaux et systémiques.

Parce que nous ne pouvons nous résoudre à l'impuissance, le projet s'attaque aux activités spéculatives des banques, notamment en matérialisant la promesse de campagne de François Hollande de séparer les activités des banques utiles à l'investissement et à l'emploi de leurs opérations spéculatives. La réforme protège les épargnants, mais aussi les contribuables, qui ne doivent plus être les premiers sollicités pour sauver un établissement en faillite. Elle instaure un contrôle efficace et préventif des risques. Enfin, elle renforce la protection des clients, à commencer par les plus fragiles.

Cette réforme s'inscrit dans une dynamique européenne : l'Allemagne a déjà légiféré, la Grande-Bretagne le fera courant 2013 et le rapport Liikanen est actuellement soumis à l'examen du commissaire Michel Barnier.

Ce projet de loi met en oeuvre l'engagement du président de la République de séparer les activités utiles au financement de l'économie et à l'emploi des activités spéculatives des banques, en changeant à la fois les structures et les comportements. « Cantonnement », « filialisation », « séparation » sont synonymes de « mise en quarantaine » des activités spéculatives menées pour compte propre. Les banques devront à l'avenir créer une filiale ad hoc, soumise à une règlementation prudentielle stricte, et y isoler ces activités. Cette filiale sera capitalisée et financée de manière autonome : la banque ne pourra pas utiliser les dépôts des épargnants pour financer - ou même sauver - sa filiale, quitte à la condamner. L'Assemblée nationale a en outre étanchéifié la filialisation ; les Anglais parlent, eux, d'électrifier la clôture - ring-fence - qu'ils élèvent entre les activités. Cette filiale n'aura ni le même nom ni la même gouvernance que la maison-mère et l'Etat ne pourra pas recapitaliser une filiale en résolution. Les dispositions sur la filialisation sont, à présent, solides.

Seront ainsi isolées les activités qui ont concentré le gros des pertes des banques françaises pendant la crise. Les autres feront l'objet d'un encadrement très précis et d'une surveillance étroite de la part de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

Durant le débat parlementaire, le Gouvernement a expliqué de manière convaincante ses choix quant à la structure des banques. Certains auraient voulu séparer les banques d'investissement des banques commerciales, par un Glass-Steagall Act à la française. Les consultations que j'ai opérées ont débouché sur une quasi-unanimité. Nous n'avons pas voulu fragiliser le modèle français, qui mêle banque d'investissement et banque de dépôt. Je ne suis pas sûr que créer ex nihilo des Goldman Sachs ou des Morgan Stanley à la française soit de bonne politique...

Il y avait un curseur à placer sur la tenue de marché. Certains députés, certains responsables de la Fédération bancaire française (FBF) redoutaient que les filiales cantonnées soient trop petites, ce qui leur ferait perdre de la crédibilité. Le débat a été éclairé à l'échelle européenne, le commissaire Michel Barnier expliquant que cette activité de tenue de marché ne pouvait être considérée comme purement spéculative. L'Assemblée nationale a adopté un texte très équilibré, définissant l'activité de tenue de marché et donnant au ministre des finances le pouvoir de fixer un seuil à partir duquel les activités de tenue de marché pourront être filialisées. La spéculation a diminué dans nos banques depuis 2008, les filiales seront donc plus petites ; si elle reprenait demain, le ministre aurait le pouvoir de créer des filiales plus importantes. Bref, c'est un mécanisme adaptable qui me paraît tout à fait pertinent.

Le projet de loi vise à changer les structures mais aussi les comportements. Les dispositions relatives à la résolution des banques en difficulté sont un complément indispensable du volet séparation ; elles ont été jugées solides par tous les députés.

Le texte s'attaque à l'aléa moral, qui est l'une des causes de la crise, les contribuables venant secourir des banques même fautives. Le volet résolution se résume par la formule : qui faute paye, en ajoutant que qui faute ne doit plus pouvoir décider.

Le projet de loi dote l'ACPR de vrais pouvoirs d'intervention dans la banque même : le superviseur pourra transférer ou céder d'office tout ou partie de ses actifs, nommer un administrateur provisoire ou créer une banque-relais en vue d'une cession. L'objectif est de protéger les déposants et les contribuables en autorisant les autorités publiques à prendre la main lorsque c'est nécessaire.

Afin de réaligner les responsabilités et les pertes, l'ACPR pourra faire peser les pertes d'une banque d'abord sur ses actionnaires et sur ses créanciers plutôt que sur les épargnants ou les contribuables. L'aléa moral étant aussi celui des dirigeants, l'ACPR pourra les révoquer. Le président de la commission des finances a évoqué Dexia ; il y a d'autres exemples plus récents, comme le Crédit Immobilier de France (CIF) auquel les parlementaires et moi-même sommes sensibles. Si j'avais eu, ou mes prédécesseurs, de tels outils à travers l'ACPR, nous aurions pu davantage mettre en cause les responsabilités effectives et éviter une fuite en avant.

Dernier rempart, le Fonds de garantie des dépôts et de résolution sera porté de 2 à 10 milliards d'euros d'ici 2020. Ces dispositions vont considérablement accroître la régulation du système financier.

Autre apport majeur de l'Assemblée nationale : l'instauration d'une obligation de transparence des activités des banques, pays par pays, paradis fiscaux inclus. Nous aurons une législation de pointe, unique au monde. Les banques devront ainsi publier, dès l'exercice 2013, une liste de leurs filiales et des activités qu'elles mènent dans chaque pays du monde ainsi que, de manière agrégée, le produit net bancaire et les effectifs en personnel. La mesure était attendue et certains auraient voulu aller plus loin encore. Je souhaite pour ma part que l'on en reste là : on risquerait de fragiliser nos banques en les contraignant à mettre sur la place publique des informations sensibles qui profiteraient avant tout à leurs concurrents.

Troisième axe : le contrôle efficace et préventif des risques. Les dispositions contre le risque systémique ont été approuvées sur tous les bancs. L'ACPR voit ses structures et ses compétences renforcées. Ainsi, chaque établissement bancaire devra préparer un plan préventif de résolution, un testament bancaire qui sera validé par l'ACPR.

Le projet de loi créé une nouvelle autorité, le Conseil de stabilité financière (CSF), chargé de la prévention et de la surveillance des risques systémiques et doté de vrais pouvoirs d'intervention, juridiquement contraignants, que n'avait pas le Conseil de régulation financière et du risque systémique (COREFRIS). Il pourra imposer aux banques des exigences de fonds propres supplémentaires, encadrer la politique d'octroi de crédit des banques pour éviter les bulles spéculatives. L'Assemblée a en outre enrichi la gouvernance du CSF, avec l'instauration d'un objectif de parité et un contrôle accru par le Parlement.

L'ACPR pourra interdire à un établissement des activités présentant des risques excessifs - mesure qui aurait été bien utile dans le cadre de tel ou tel sinistre bancaire... Sur ce point, le débat à l'Assemblée nationale a été constructif, exhaustif, consensuel.

Dernier axe de ce projet de loi, la protection des clients et en particulier des plus fragiles. J'ai tenu à ce que la loi intègre cette dimension « consommateur et citoyen » pour éviter qu'elle apparaisse éloignée des préoccupations de nos concitoyens.

Le texte plafonne les commissions d'intervention que les banques prélèvent par exemple en cas de chèque sans provision. Le montant moyen de ces commissions est de 8 euros, mais parfois bien supérieur : elles peuvent atteindre 200 à 300 euros par mois pour les plus précaires. Le projet proposait un plafonnement pour les populations qui connaissent des difficultés financières. L'Assemblée nationale l'a étendu à l'ensemble des clients avec un double plafond, mensuel et par opération. Préservons cet équilibre et veillons à ne pas pénaliser les banques dont le réseau maille nos territoires face à des banques dématérialisées. Je n'ai pas voulu un texte qui fait mal aux banques pour le plaisir, mais un texte qui préserve le financement de notre économie et en même temps moralise et contrôle.

Le texte comporte des dispositions concernant l'assurance emprunteur, facilite le recours à la procédure du droit au compte pour ceux qui n'ont pas accès à un compte bancaire et simplifie la procédure en matière de surendettement. L'Assemblée nationale a souhaité qu'il mette en oeuvre des mesures du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, avec notamment la création d'un Observatoire de l'inclusion bancaire. Les banques devront se doter de mécanisme de détection précoce des difficultés financières de leurs clients.

Dernier apport de l'Assemblée nationale, le projet de loi interdit pour l'avenir aux collectivités locales de recourir aux emprunts structurés, du type de ceux qui sont devenus toxiques.

Le texte a été bien construit, en liaison avec les professionnels et les syndicats, puis enrichi par l'Assemblée nationale. Je suis ouvert à vos amendements, car il reste des espaces d'amélioration, notamment sur le trading haute fréquence ou les produits dérivés sur matières premières agricoles. Nous pourrons aussi reparler des paradis fiscaux ou des frais bancaires.

Ce projet de loi s'inscrit dans une perspective européenne. Précurseur, il est très proche du rapport Liikanen et du texte allemand et pas si éloigné du texte britannique. C'est un texte solide, constructif, résultant d'un travail parlementaire de qualité que je souhaite poursuivre au Sénat.

M. Philippe Marini, président. - Merci monsieur le Ministre d'avoir décrit l'épine dorsale de ce texte, à laquelle l'Assemblée nationale a rajouté quelques vertèbres.

M. François Marc, rapporteur général. - Je salue la clarté de l'exposé du ministre et la cohérence de ce texte. Nous le disons depuis 2008, il faut renforcer la régulation, améliorer l'encadrement et la maîtrise des activités.

Pouvez-vous nous dire deux mots de l'état de santé des banques, monsieur le Ministre ? Le Crédit agricole a annoncé une perte de 6 milliards d'euros sans que les marchés financiers s'en émeuvent outre mesure...

La lutte contre la spéculation, la transparence et la protection des épargnants répondent à une attente forte. À Bruxelles, certains estiment que ce texte vient peut-être trop tôt et qu'il aurait mieux valu attendre que tout soit calé à l'échelle européenne. Il est important de rappeler pourquoi il y a urgence à agir. Ce texte est équilibré, il n'est pas timoré, sa portée sera importante ; les personnes que nous avons auditionnées ont conscience qu'il constitue une avancée nécessaire.

Quelques questions toutefois. Fallait-il étendre le plafonnement des commissions d'intervention à la clientèle qui ne peut être qualifiée de fragile ? Quelles seront les incidences d'une telle mesure, notamment en matière d'emploi dans les agences bancaires situées dans les territoires connaissant déjà des difficultés économiques ?

À l'initiative de Christian Eckert, son rapporteur général, l'Assemblée nationale a encadré les opérations d'emprunt des collectivités locales. Y aura-t-il un contrôle de légalité sur les emprunts souscrits ?

J'ai cru comprendre que le Sénat pourrait jouer un rôle dans l'émergence de la future agence de financement des collectivités locales. Quelle sera notre marge de manoeuvre ?

Enfin, il faut aller plus loin dans la régulation des activités spéculatives sur les matières premières agricoles. Nous essaierons d'apporter quelques améliorations sur ce terrain pour assainir les pratiques actuelles.

M. Richard Yung, rapporteur. - Ce texte a fait l'objet à l'Assemblée nationale d'un débat long et de qualité, qui a vu l'adoption de nombreux amendements. Au Sénat désormais d'apporter sa contribution - je ne doute pas qu'elle sera de qualité. Nous travaillons déjà avec vos collaborateurs, monsieur le Ministre, pour préciser certains points et envisager des amendements. Le débat commence. Nous auditionnons aussi bien des banquiers que des associations de consommateurs. Ce texte est très attendu par l'opinion, car tout Français possède un compte bancaire.

L'Assemblée nationale a consacré beaucoup de temps au titre Ier qui traite de la séparation des activités. Les députés ont défini la tenue de marché. Ils ont également prévu un pouvoir d'appréciation nouveau du ministre, ce qui apporte flexibilité et intelligence au système sur la question de la tenue de marché.

Ce dispositif bien construit diffère de celui des Anglais, qui cantonnent les banques de dépôt et de crédit aux particuliers et aux PME, seuls à bénéficier de la garantie de l'Etat. Pour empêcher que des banquiers rusés ne contournent le système, les Anglais électrifient la clôture : l'autorité de supervision pourra prendre complètement en main la banque qui ne respecterait pas la règle. Aux États-Unis, la sanction est plus brutale encore : véritable coup de hache, la règle Volcker interdit toute une série d'activités. Toutefois, cela fait deux ans que les mesures d'application du texte sont en discussion - elles représentent des centaines de pages et la liste d'exceptions au principe général de l'interdiction s'allonge tous les jours...

Notre système se rapproche davantage des préconisations du rapport Liikanen, qui sert de base aux propositions européennes. L'Allemagne se dote pour sa part d'un système assez proche du nôtre.

Je pense que le débat au Sénat portera moins sur ce sujet que sur la résolution. Non sur l'autorité, qui est un progrès, mais sans doute sur les mécanismes d'appel des différents types de garanties, pour les dettes junior comme pour les dettes senior.

Nous aurons aussi un débat sur la protection des consommateurs, à la fois sur l'assurance-emprunteur et sur les commissions dites d'intervention. Ces dernières représentent une part importante du produit net bancaire : les banques tirent une recette significative des défauts de paiement des plus fragiles... Il nous faudra trouver une solution intelligente qui respecte le texte de l'Assemblée nationale tout en y introduisant, peut-être, une certaine flexibilité.

Trading haute fréquence et matières premières agricoles seront également au menu. Et j'étudierai, par ailleurs, les autres propositions qui viendront de tous mes collègues.

M. Philippe Marini, président. - L'Assemblée nationale a introduit un article obligeant les banques à publier pour chaque pays le nom de leurs entités et la nature de leurs activités. Cette transparence, qui a pour fonction d'identifier les activités dans les États dérégulés et autres paradis fiscaux, ne va-t-elle pas contraindre les banques françaises à rendre publiques des informations sensibles en termes de compétition internationale ? Traduit-elle l'échec du système de l'OCDE et du système français, mis en place en 2009, pour lutter contre les paradis fiscaux, qui reposaient sur une liste d'États et de territoires non coopératifs ?

Le groupe mixte Assemblée nationale-Sénat sur les conséquences de la crise financière a traité en juin 2011 du marché des matières premières. Un article additionnel, introduit par le Gouvernement à l'Assemblée nationale, renforce utilement la sanction en cas d'abus de marché sur les contrats dont le sous-jacent est une matière première. Ne faudrait-il pas également progresser en termes de régulation de tels marchés ? Quel avenir pour le Marché à terme des instruments financiers (MATIF), le marché réglementé parisien, si les entreprises de marché connaissent de nouvelles restructurations capitalistiques ? Le MATIF représente un savoir-faire français qu'il faut valoriser ou du moins préserver. Qu'en pensez-vous ? Enfin, l'encadrement prévu pour les marchés de matières premières par la directive MIF II est-il suffisamment ambitieux ? Pouvez-vous nous rappeler les positions défendues par la France et l'état des négociations ?

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Suite à la crise financière, un certain nombre d'agents économiques avaient besoin d'être rassurés : les contribuables, les acteurs du monde économique, les consommateurs. Les contribuables le seront par les explications données par le ministre : les outils de contrôle seront plus stricts qu'auparavant. En cas de difficulté financière d'un établissement bancaire, les actionnaires et créanciers seront en première ligne, le fonds de garantie des dépôts - qui passe de 2 à 10 milliards d'euros - en deuxième ligne. Reste que le système financier français repose sur quatre grandes banques, jugées systémiques, dont le chiffre d'affaires cumulé représente trois fois le PIB. Malgré les garde-fous, peut-on être sûr que le contribuable ne sera pas sollicité en cas de faillite de l'une d'elles ?

Il faut également rassurer le monde économique. Les PME et les entreprises de taille intermédiaire se demandent si la réforme facilitera leur accès au crédit.

Ce texte renforce également les droits des consommateurs. Le montant des commissions d'intervention oscille, selon les banques, entre 5 et 15 euros par opération. Certains, notamment les plus fragiles, paient parfois plusieurs centaines d'euros par mois. Ces commissions représentent une recette de 1,8 milliard d'euros pour les banques : par quoi seront-elles remplacées ? Attention à ne pas créer je ne sais quelle usine à gaz pour compenser les droits nouveaux accordés aux plus fragiles : il faut trouver un juste milieu en privilégiant l'efficacité, pour les consommateurs et pour le système bancaire.

J'ai participé à la commission d'enquête sur la fuite des capitaux et des actifs hors de France : l'évasion fiscale représente le montant du remboursement des intérêts de la dette française chaque année ! La Suisse et le Luxembourg ne figurent pas sur la liste des États non coopératifs, or ils concentrent l'essentiel de l'évasion fiscale française... En imposant aux banques la transparence pour chaque pays, le projet de loi évite cet écueil.

M. Pierre Moscovici. - Je remercie François Marc pour ses appréciations laudatives. Ce texte est en effet équilibré. Gardons-nous de tout catastrophisme : le secteur bancaire français est globalement robuste, sa qualité est reconnue ; il a fait l'objet d'une évaluation par le Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre des SAP (Structural Adjustment Programs). La solvabilité et la liquidité des banques françaises se sont améliorées. Restent des éléments de fragilité, à commencer par leur dépendance à l'égard des marchés pour se refinancer. Cela justifie d'autant plus la formule pragmatique que nous avons retenue : des banques de dépôt sans accès au marché seraient extrêmement vulnérables.

La conjoncture pèse incontestablement sur les résultats du Crédit agricole ou de la Société générale. Sans constituer une vulnérabilité systémique, cela les conduit à réduire leurs coûts. Nous sommes attentifs à la situation de nos banques « à réseau ». Notre modèle de banque universelle, très implantée sur nos territoires, importe aux élus locaux que nous sommes.

Le Gouvernement avait proposé un plafonnement des frais pour les populations fragiles : c'était ma préoccupation centrale. L'Assemblée nationale a étendu ce plafonnement à tous les clients et à toutes les commissions d'intervention. A vous d'intervenir, sachant qu'il s'agit d'un enjeu économique important pour les banques : le chiffre de 1,8 milliard d'euros, qui a été évoqué, est le bon. On peut déplorer cette structure de financement, quoique notre rôle ne soit pas de porter des jugements moraux mais de nous assurer que le système financier fonctionne. Ayons aussi en tête la situation de l'emploi. Je vous invite à chercher un équilibre respectant l'objectif du Gouvernement. Un plafond unique risque d'être trop bas pour certains et trop haut pour d'autres : mieux vaut laisser la détermination des montants à la discrétion du pouvoir réglementaire.

Pourquoi intervenons-nous si tôt ? En fait, ce n'est pas si tôt : la procédure européenne est en cours, Michel Barnier présentera un texte à la Commission européenne, laquelle sera renouvelée après les élections européennes. Cela nous renvoie en 2014. Nous ne sommes pas les seuls : l'Allemagne et la Grande Bretagne agissent aussi. Nous avons tenu compte des travaux du groupe Liikanen. Sur la tenue de marché, nous avons des positions plus proches de celles du commissaire européen Michel Barnier que de celles du président Erkki Liikanen, alors que le groupe était plutôt divisé : Louis Gallois, qui en était membre, s'était par exemple prononcé contre l'idée de filialiser la totalité de la tenue de marché, ce qui est également la position du commissaire européen et de la Banque centrale européenne (BCE). Enfin, c'était un engagement majeur du candidat élu à la présidence de la République.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - On en est loin !

M. Pierre Moscovici. - J'ai présenté à Dijon il y a quelques mois un plan d'action contre les emprunts toxiques des collectivités locales. Il s'agissait de créer une cellule nationale d'aide au diagnostic et à la gestion des risques, d'offrir des solutions d'accompagnement aux collectivités décidant de se retirer de ces emprunts, d'inciter le secteur bancaire à offrir des refinancements de ces prêts pour les désensibiliser. En outre, un mécanisme spécifique d'aide a été mis en place par la dernière loi de finances. Enfin, l'interdiction introduite dans la loi à l'initiative du rapporteur général de l'Assemblée nationale emporte logiquement la possibilité pour les préfets à déférer devant le tribunal administratif des décisions de souscription à un emprunt structuré : il y aura évidemment un contrôle de légalité.

Je remercie Richard Yung pour le travail approfondi qu'il a accompli et pour sa présentation, qui est congruente avec la mienne. L'agence de financement des collectivités locales a été l'objet de discussions très constructives avec les associations d'élus, qui nous ont fait converger vers une structure à statut de société. Le Gouvernement présentera un amendement au Sénat pour que les collectivités locales puissent y participer. Cela diversifiera leurs sources de financement, en s'ajoutant à la nouvelle banque publique créée par la Caisse des dépôts et consignations, la Banque postale et l'Etat - la Société de financement local (SFIL) - , à la nouvelle enveloppe de vingt milliards d'euros ouverte sur les Fonds d'épargne que le Président de la République a annoncée et aux ressources nouvelles de la Banque européenne d'investissement, dont la capital a été augmenté récemment. Comme le secteur bancaire a convenablement coopéré en 2012, il n'y aura pas insuffisance d'offre pour les collectivités locales.

Comme l'a évoqué Yannick Vaugrenard, il y a une forme d'échec de la procédure de lutte contre les paradis fiscaux consistant à évoquer des territoires non coopératifs. Leur liste, très restreinte, n'est pas forcément pertinente. C'est pourquoi l'Assemblée nationale a souhaité procéder autrement et faire en sorte que les informations délivrées soient suffisantes pour identifier les territoires dans lesquels les banques implantent des boîtes aux lettres. Je ne souhaite pas aller plus loin et ne vous engage pas à le faire : les critères retenus suffisent à identifier les situations suspectes. Ne livrons pas des informations superflues de notre point de vue, mais qui pénaliseraient nos banques par rapport à leurs concurrents. L'accord trouvé à l'initiative du groupe écologiste me paraît bon. Pour des raisons de pragmatisme, je suis défavorable à la publication des impôts acquittés et des résultats. Je suis un réformiste : il faut parfois savoir avancer pas à pas... Du reste, nous sommes déjà à l'avant-garde internationale sur ce point. La parole de la France doit être forte, car c'est surtout au niveau international que des progrès sont possibles.

Comment progresser dans la régulation du marché des matières premières agricoles ? Les entreprises de marché font l'objet d'opérations capitalistiques. Je suis très sensible au devenir d'Euronext et attaché au maintien d'une bourse située à Paris et offrant à l'économie française un outil utile. Je serai particulièrement attentif cette année ; le MATIF doit rester au sein d'Euronext, à Paris.

La France a adopté une position ambitieuse sur la directive MIF II, en particulier pour les matières premières agricoles : nous défendons le principe d'un large pouvoir de contrôle par les autorités de marché, qui doivent pouvoir limiter les positions prises par les opérateurs financiers.

Je ne peux pas vous promettre que l'Etat ne devra plus jamais venir au secours d'une banque. Le fonds de garantie a beau être de taille substantielle, il n'est pas à la hauteur d'un éventuel sinistre d'une banque systémique. Nous devrons de toute façon empêcher une faillite trop risquée pour l'économie. Mais nous souhaitons inverser la logique actuelle et engager d'abord les créanciers, les actionnaires, le fonds de garantie des dépôts, pour diminuer d'autant l'exposition des pouvoirs publics. Cette inversion aura un effet dissuasif sur la spéculation, en supprimant l'aléa moral. La séparation des activités les plus risquées vise à minimiser le risque de faillite des banques.

La logique du texte est de consolider notre système bancaire, et de recentrer les banques sur leur coeur de métier, qui est le financement de l'économie et la distribution du crédit. A l'initiative de l'Assemblée nationale, plusieurs amendements ont été adoptés pour rééquilibrer la relation entre les banques et les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME), avec notamment l'obligation d'une contractualisation des crédits, une obligation en matière de trésorerie dont on sait qu'elle est souvent trop peu formalisée. Ce texte ne saurait toutefois résumer la politique du Gouvernement en matière de financement des PME, qui comporte aussi une institution financière nouvelle, la Banque publique d'investissement (BPI), des instruments nouveaux, des garanties de trésorerie à hauteur de 500 millions d'euros, le financement du crédit d'impôt-recherche et du crédit d'impôt compétitivité-emploi qui vient d'être finalisé : ce texte n'est qu'un élément d'une ambition globale nouvelle.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Premier des trois aspects du texte, le renforcement de l'autorité prudentielle s'inscrit dans le prolongement du travail de la précédente majorité, il ne me pose aucun problème. Le plafonnement des frais pour les consommateurs est aussi une bonne chose. La séparation des activités va dans le sens de l'histoire, mais vous n'allez pas assez loin. Nous sommes d'ailleurs très loin de l'engagement de François Hollande... La directive européenne qui viendra sans doute à l'automne ira bien au-delà, j'en suis convaincue. Je m'inquiète en revanche de l'absence d'union bancaire européenne. Nous partons en éclaireurs, sans doute trop tôt, ce qui fragilise nos banques à l'étranger : la disposition sur les paradis fiscaux expose vraiment nos entreprises. N'êtes-vous pas allé trop loin ?

M. Christian Bourquin. - Une curiosité : on entend dire que ce texte toucherait une part très réduite de l'activité des banques. Pourriez-vous nous donner quelques chiffres sur celle-ci et nous éclairer sur l'état de santé de nos principales banques ?

M. Joël Bourdin. - Vous avez évoqué l'assurance-emprunteur. Pourrions-nous avoir une idée de la rentabilité de ces assurances ? Ce sont des produits joints, qu'il faudrait sans doute disjoindre, comme semblait le souligner notre rapporteur. Dans les dossiers de surendettement, il me semble que l'assurance des emprunts disparaît lors de la restructuration des dettes, ce qui pourrait mettre en risque les surendettés. Est-ce exact ?

M. Francis Delattre. - Faute d'être emblématique, ce texte pourra être utile. On parle toujours de protéger le contribuable mais, que je sache, celui-ci n'a nullement été mis à contribution en 2008. Les prêts consentis par l'Etat ne lui ont-ils pas été remboursés, capital et intérêts ? C'est traditionnellement la Banque de France qui organise le contrôle et la régulation du système bancaire. Certaines dispositions de ce texte donnent l'impression que le ministère des finances cherche à reprendre un peu la main. Le gouverneur de la Banque de France reste-t-il le régulateur supérieur ? Il y a crise bancaire quand les banques ne se prêtent plus entre elles. Quelles sont les dispositions de ce texte destinées à surmonter ce type de crise ?

La définition du paradis fiscal est de plus en plus floue. L'OCDE nous a dit que soixante États jouaient le jeu et échangeaient les informations utiles pour lutter contre l'évasion fiscale. Ces informations sont-elles exploitables en France ?

Mme Marie-France Beaufils. - Pendant la crise, les banques ont cherché à justifier leurs opérations spéculatives par le besoin de liquidité pour financer l'économie. Les opérations spéculatives que vous proposez de filialiser représentent, aux dires de Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale, seulement 1,5 % de l'ensemble des activités. Est-on à la hauteur du risque couru en 2008, et qui pourrait se reproduire ? Par ailleurs, pour surmonter les difficultés de mise en oeuvre du droit au compte, ne conviendrait-il pas, au-delà des améliorations apportées par l'Assemblée nationale, de définir un droit universel à l'ouverture de compte, avec des services qui devraient être mis à disposition gratuitement ?

M. Pierre Moscovici. - Je note les points d'accord de Marie-Hélène Des Esgaulx, comme ses réticences. Comment pourrait-on aller à la fois trop et pas assez loin ? Notre approche ambitieuse et pragmatique est en phase avec ce qui se fait ailleurs dans l'Union européenne. Je suis fier que la France soit à l'avant-poste de l'union bancaire. Celle-ci a accompli des progrès considérables ces derniers mois : accord sur la supervision bancaire, qui doit être mis en oeuvre, négociations sur la résolution et les garanties des dépôts.

Si j'avais pensé qu'il fallait aller plus loin dans l'intérêt de notre secteur bancaire, je n'aurais pas hésité sur la taille des filiales. J'ai rencontré fréquemment la Fédération bancaire française, les associations de consommateurs, et les syndicats. Tous m'ont recommandé de préserver notre modèle de banque universelle. Que mettre dans les filiales ? Que représente vraiment le cantonnement des activités spéculatives ? Les chiffres évoqués viennent des banques. Nos définitions ne sont pas les mêmes, et je parlerais plutôt de 3 % du produit net bancaire là où Frédéric Oudéa évoque 1,5 %. Aussi avons-nous donné aux autorités de régulation des pouvoirs très étendus pour qu'elles puissent faire véritablement le ménage.

Pourquoi les filiales seraient-elles réduites ? Parce que les banques françaises ont considérablement limité leurs activités spéculatives après la crise. Le texte est fait pour s'adapter à toutes les situations. Un amendement, que les banques ont critiqué avant de l'accepter, donne au ministre le pouvoir de faire grossir ces filiales, dès lors qu'il sera démontré qu'une partie des activités de tenue de marché devient spéculative. Nous tapons juste : en 2006, les activités risquées pouvaient représenter jusqu'à 25 % du chiffre d'affaires des activités de marché. Aujourd'hui, cela représente 10 %.

C'est vrai, en 2008, le système bancaire français était robuste. Deux sociétés ont été mises en place par l'Etat : la Société de financement de l'économie française, qui a prêté aux banques 77 milliards d'euros, et la Société de prise de participation de l'Etat (SPPE), qui leur a prêté 19,75 milliards d'euros, dont le remboursement intégral est achevé depuis le 23 mars 2011. Un milliard d'euros a été investi par la SPPE dans Dexia sous forme d'actions ordinaires, et l'Etat a apporté sa garantie à cette banque. Le bilan patrimonial de ces opérations, hors Dexia, est positif, avec 1,4 milliard d'euros de recettes nettes.

J'ai dit en quoi le pouvoir du ministre était renforcé par le texte. Mais, pour répondre à la question de Francis Delattre, le gouverneur de la Banque de France reste l'acteur central du dispositif. Ne voyez en aucun dans cette réforme une volonté du ministère des finances de prendre sa place...

M. Francis Delattre. - Toute sa place ?

M. Pierre Moscovici. - Sa place ! Le gouverneur de la Banque de France préside l'ACPR à laquelle seront adossés les services en charge de la résolution : il est responsable de ce secteur. N'ayez aucune inquiétude. Si Bercy joue son rôle, la supervision revient bien à la banque centrale.

J'ai veillé à chaque étape à la coordination avec les banques. Ce projet ne les enchante sans doute pas, mais elles pourront vivre avec - ce dont je n'ai aucune honte. Mon but n'a jamais été de les empêcher de vivre, mais bien de mener une réforme politique qui aille dans le sens de l'histoire tout en préservant un système de financement efficace.

Je me procurerai les chiffres que me demande Joël Bourdin. Le but du projet de loi est de disjoindre : pour un crédit de 150 000 euros à 3,75 % sur vingt ans, une assurance à 0,36 %, coûtera onze mille euros. Si la concurrence fait baisser ce montant à 0,30 %, l'économie est de 1 500 euros : ce n'est pas négligeable dans la situation actuelle - en ce cas la concurrence est vertueuse. La question sur la restructuration des dettes et l'assurance emprunteur est technique : je puis déjà vous dire qu'un plan de surendettement n'a pas vocation à revenir sur le bénéfice d'un contrat. Une certaine vigilance est en revanche de mise pour le consommateur s'il procède à un rachat de crédit pour restructurer sa dette - même si le cadre juridique a été récemment renforcé dans ce domaine.

Quelle solution alternative ne serait pas au détriment de nos banques ? Votre collègue Pierre-Alain Muet a déclaré à l'Assemblée nationale qu'il était logique pour les Américains de faire du Volker, pour les Britanniques de faire du Vickers, et pour nous de faire du Liikanen : il y a un modèle continental de banque universelle avec ses faiblesses et ses forces, c'est le nôtre. Il n'y a pas un système idéologique pour la planète, il faut tenir compte des réalités. Ce que nous avons fait est à l'image du système bancaire français. Aller plus loin serait dommageable, aller moins loin serait insuffisant.

Notre dispositif actuel en matière de droit au compte est efficace. Grâce à lui, les clients qui n'ont pas de compte peuvent bénéficier d'un compte et d'un ensemble de services gratuits : le service bancaire de base. Nous pouvons aller plus loin, et proposer une offre de services adaptée aux clients qui connaissent des difficultés financières : la gamme de paiements alternatifs. Cependant, généraliser le principe de gratuité des services liés au droit au compte me semble inopportun : cela fragiliserait ce droit au détriment des plus fragiles.

Le débat au Sénat sera essentiel, dès le passage du texte en commission.

M. Philippe Marini, président. - Merci. Nous verrons si un consensus émergera au Sénat, ou une approbation large. Ce n'est pas à exclure sur un tel texte. Tout dépendra de ce qui nous sera proposé, en particulier sur quelques points, comme le plafonnement des commissions : l'étendre trop largement au-delà des agents économiques fragiles ne peut que créer des problèmes pour les banques.

Mercredi 27 février 2013

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

La commission auditionne M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, suite au dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

M. Philippe Marini, président. - Monsieur le Premier président, vous étiez venu le 13 février dernier présenter solennellement le rapport public annuel de la Cour des comptes devant un hémicycle particulièrement rempli, signe des temps mais aussi de l'impact tout à fait réel de ce rapport. Je vous propose de mener ce matin une réunion interactive : après votre intervention liminaire revenant de façon globale sur la consolidation budgétaire de notre pays, le rapporteur général vous interrogera, ainsi que plusieurs de nos rapporteurs spéciaux. Je salue les présidents de la première chambre, Raoul Briet, de la deuxième chambre, Gilles-Pierre Levy, de la troisième chambre, Patrick Lefas, les présidentes des cinquième et septième chambres, Anne Froment-Meurice et Evelyne Ratte, ainsi que Jean-Marie Bertrand, rapporteur général - fonction qui existe aussi à la Cour ! - et Jean-Philippe Vachia, président de la formation inter-juridictions chargée des finances locales.

La contrainte des 3 % de déficit effectif doit-elle être mise au placard ? Ou alors doit-elle être maintenue parallèlement à celle du solde structurel, notion macroéconomique certes moins mobilisatrice et moins facile à expliquer à l'opinion publique mais retenue par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et par la récente loi organique, relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques ?

Que peut-on attendre du Haut Conseil des finances publiques créé par la loi organique, dont vous assurerez la présidence ? Sera-t-il seulement chargé d'apprécier la sincérité des prévisions du Gouvernement ou bien sera-t-il un jour amené à formuler des recommandations en faveur d'autres hypothèses que celles retenues par l'exécutif ? De quels moyens disposera-t-il pour assurer une mission aussi évolutive ? C'est une instance paritaire et vous avez procédé il y a quelques jours à un tirage au sort avec de nombreux témoins ; le procès verbal en fait foi.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - Ayant déjà eu le plaisir de présenter notre rapport public annuel en séance publique le 13 février, je ne reviendrai pas sur les 45 sujets dont il traite. Je suis très heureux que nous ayons cet échange car, si nous dressons des constats et si - comme le législateur l'a souhaité - nous formulons des recommandations, c'est bien entendu aux décideurs politiques que revient le dernier mot.

Comme l'indique le rapport, le redressement des comptes engagé en 2011 s'est poursuivi en 2012 par un effort structurel très important : il faut remonter aux années à celui des années 1993 et 1994 pour trouver un effort comparable ; l'amélioration de 1,9 % du PIB prévue pour 2013 est sans précédent. Quant à l'objectif de 3 %, il a peu de chances d'être atteint compte tenu des incertitudes pesant sur la prévision de croissance de 0,8 % et sur les recettes et les dépenses. Ce n'est pas pour autant qu'il doit être mis eu placard. Nous considérons simplement qu'à partir du moment où le TSCG et la loi organique ont mis en avant un objectif de solde structurel, il revient aux responsables politiques de préciser quelle pondération ils comptent donner à ce solde effectif par rapport au solde structurel. La Cour ne recommande pas de mesures supplémentaires visant à atteindre à tout prix l'objectif des 3 %. Mais il est très important que l'effort structurel envisagé pour 2013 soit bien accompli, d'où la nécessité de lever les incertitudes pesant sur les dépenses comme sur les recettes.

Alors que l'essentiel de l'effort porte sur les recettes, nous estimons nécessaire que la dépense soit davantage sollicitée. C'est tout à fait possible, comme notre rapport public annuel tend à le démontrer à la suite de nombreux autres rapports publics. Les dépenses publiques de la France - reflets de nos choix collectifs - comptent parmi les plus élevées au monde, de même que nos prélèvements. Or les évaluations - hélas trop peu nombreuses - dont nous disposons, démontrent que l'efficacité des politiques publiques ne dépend pas du niveau de dépenses. Les responsables politiques disposent donc de marges de manoeuvre sans pour autant remettre en cause ce que l'on appelle le modèle social français. Il faudrait en particulier veiller à ce que les politiques publiques se concentrent effectivement sur ceux qui doivent en être les cibles. Car, là où il paraît nécessaire d'arroser quelques fleurs, nous avons tendance à arroser tout le jardin.

M. Philippe Marini, président. - Et il n'est pas besoin de le faire avec de l'eau potable !

M. Didier Migaud. - Je vois que vous avez le sens des économies... Ces exemples ne concernent pas seulement l'Etat mais aussi ses opérateurs, les collectivités territoriales et la sécurité sociale.

Le Haut Conseil des finances publiques sera prochainement mis en place. La parité n'y sera pas totale puisque les deux membres de droit - le Premier président de la Cour des comptes et le directeur général de l'Insee - sont aujourd'hui des hommes. Ce principe sera en revanche vérifié pour les magistrats - deux hommes et deux femmes - que je vais désigner et pour les personnalités qualifiées nommées par le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale, les présidents des commissions des finances des deux assemblées ainsi que par le président du Conseil économique, social et environnemental. J'ai tiré au sort qui du président du Sénat ou du président de votre commission des finances devra désigner un homme et qui devra désigner une femme. J'ai fait de même pour l'Assemblée nationale. Autre raison du non respect de la parité dans un premier temps : le sort a décidé que le président du Conseil économique, social et environnemental devait désigner un homme. Comme vous l'avez souhaité, nous procéderons à un deuxième tirage au sort pour définir la durée des mandats de chacun puisque ce Haut Conseil devra être renouvelé par moitié au bout de deux ans et demi. Le tirage désignera les titulaires de mandats de trente mois et de cinq ans, étant entendu que dans l'ensemble, la parité devra là aussi être respectée. Le président du Conseil économique, social et environnemental devra ainsi désigner une femme la prochaine fois qu'il devra procéder à une nomination.

Tout ceci résulte de la loi organique que vous avez votée. Les nominations des personnalités devraient être effectuées avant ce soir et nous pourrons les rendre publiques dans les prochains jours. Il reviendra ensuite à votre commission des finances d'auditionner les personnes désignées par le président du Sénat et par celui de la commission. Ces auditions devraient intervenir dans la semaine du 10 mars.

M. Philippe Marini, président. - Le 13 mars au matin, s'agissant du Sénat.

M. Didier Migaud. - Une première réunion d'installation du Haut Conseil devrait intervenir le 21 mars et la première saisine de cet organe devrait concerner le projet de programme de stabilité qui doit être adressé par le Gouvernement français à la Commission européenne d'ici le 30 avril. Il faudra donc que l'avis soit rendu d'ici le 15 avril.

Le texte organique a bien précisé les missions de ce Haut Conseil, organe indépendant placé auprès de la Cour des comptes : il donne un avis sur les hypothèses macro-économiques retenues par le Gouvernement dans le programme de stabilité, les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale ainsi que sur les conséquences qu'il en tire, par exemple quant à l'élasticité des recettes par rapport à ces hypothèses. Il donnera également un avis sur le respect de la trajectoire de redressement des finances publiques. Il ne s'agit que d'un avis, la décision revenant au final au Parlement.

Je ferai en sorte que le Haut Conseil exerce pleinement ses missions. Je ne peux en revanche pas vous répondre complètement sur la façon dont les avis seront formulés. J'en parlerai aux membres de cette instance, mais rappelons que l'on n'attend pas d'elle qu'elle produise des rapports. Il nous reviendra de définir de quelle façon ces avis pourront être les plus utiles possibles au Gouvernement et au Parlement.

M. François Marc, rapporteur général. - Merci pour votre exposé et pour le rapport très conséquent sur lequel les sénateurs ne vont pas manquer de se pencher.

A quel niveau évaluez-vous le déficit public de 2012 au sens du pacte de stabilité ? Quid du traitement comptable de Dexia ? Dans votre rapport, vous estimez que sa prise en compte comme une dépense au sens de la comptabilité nationale aurait un impact sur le solde de 2012, alors que, selon le dossier de presse du Gouvernement sur le collectif de fin d'année, « la décision d'Eurostat sur le traitement en comptabilité nationale de cette opération de recapitalisation et sur son année de rattachement n'est pas encore connue ». Quels éléments conduisent la Cour des comptes à rattacher cette opération de l'exercice 2012 ?

Pour 2013, quelles seront, d'après vous, les recettes les plus susceptibles d'être inférieures aux prévisions, pour quelles raisons et dans quelles proportions ? En dépense, qu'en sera-t-il des aléas relatifs aux contentieux fiscaux et aux mesures nouvelles ?

Vous considérez - je cite - que « l'effort structurel pour 2013 est déséquilibré : il repose pour moins de 25 % sur la maîtrise des dépenses et pour plus de 75 % sur des hausses de prélèvements obligatoires ». Cette affirmation a largement fait débat parmi les sénateurs, d'autant que son bien-fondé économique ne va pas de soi. Les estimations économétriques habituelles - en particulier celles du modèle économétrique de simulation et d'analyse générale de l'économie (Mésange) du Trésor - suggèrent en effet que, si à long terme une réduction des dépenses ne réduit pas le PIB, c'est le contraire à court terme. La stratégie du Gouvernement, consistant à faire porter principalement l'effort sur les dépenses entre 2013-2017 tout en le concentrant sur les recettes en 2013 - où la croissance devrait être nulle - paraît donc la plus adaptée. Le Gouvernement a retenu le meilleur levier possible au regard de notre objectif de croissance. La Cour des comptes s'appuie-t-elle sur des travaux économétriques pour contester cette stratégie ? Faire porter l'effort pour 2013 essentiellement sur les dépenses n'augmenterait-il pas inutilement les risques de croissance négative, rendant encore plus difficile la réduction du déficit ? Quelles pistes de réduction des dépenses publiques vous semblent-elles les plus prometteuses ?

M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». - Je partage votre constat selon lequel les fonds d'urgence ne suffiront pas à résoudre les difficultés des départements. Vous proposez un renforcement de la péréquation au niveau départemental, notamment pour le fonds de péréquation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et pour le fonds départemental de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Cela semble d'autant plus justifié que les modifications des règles relatives au fonds de péréquation des DMTO apportées par la loi de finances pour 2013 inquiètent les départements les plus pauvres : les Bouches-du-Rhône bénéficient de millions supplémentaires, tandis que la Creuse ou le Cantal en perdent deux. Le critère du potentiel financier vous semble-t-il l'indicateur de richesse le plus pertinent, alors que depuis la réforme de la taxe professionnelle, y sont intégrées des compensations, y compris virtuelles ? Le revenu par habitant constitue-t-il pour vous un indicateur synthétique de charges ? Dans la perspective de nouvelles restrictions des dotations de l'Etat, comment parvenir à un classement de richesses sur lequel nous pourrons fonder des péréquations horizontales ?

M. Jean Germain, rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». - Vous avez indiqué devant le Sénat que, selon la Cour, il existait des marges de manoeuvres importantes dans les communes et les intercommunalités. Ce jugement est recevable quoique discutable.

Vous poursuivez par une proposition de réallocation d'une partie de la fiscalité locale entre départements et bloc communal consistant en un échange entre DMTO et foncier bâti afin de dégager des marges pour les finances départementales. Ce faisant, n'excédez-vous pas les compétences de la Cour ? N'empiétez-vous pas sur celles du comité des finances locales (CFL) ? Sur le fond, cette proposition, est-elle conciliable avec le doublement de la diminution des dotations de l'Etat, qui risque de peser essentiellement sur cet échelon ? Je rappelle que les collectivités territoriales réalisent une grande partie de l'investissement public civil. Lorsque l'on aborde ces questions, il faut donc le faire en cohérence avec nos objectifs de croissance, de création d'emplois et de constructions de nouveaux logements.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». - A la suite de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté de décembre dernier, le Gouvernement a annoncé une revalorisation du revenu de solidarité active (RSA) de 10 % sur 5 ans. Comment faire, alors que l'équilibre financier de nombre de départements est particulièrement fragile ?

Dans quelle mesure cette revalorisation bénéficiera-t-elle au RSA « activité » ? Répondra-t-elle aux critiques de votre rapport quant au faible impact de ce dernier sur le taux de pauvreté ?

Votre constat s'applique-t-il au RSA « jeunes », dispositif qui n'a pas réussi à décoller ? Des problèmes spécifiques expliquent-ils l'échec de cette prestation ?

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial de la commission « Culture ». - Dans votre rapport, la Fondation du Patrimoine est décrite comme un « organisme juridiquement hybride, largement financé par des fonds publics » : voilà une définition intéressante... Vous estimez que la Fondation a répondu aux objectifs de sa mission, dans la mesure de ses moyens, selon des modalités d'actions originales et dans des conditions de gestion satisfaisantes. Pensez-vous que ce modèle singulier soit transposable à d'autres domaines de politique publique ? Vous regrettez néanmoins que, du fait de son régime juridique, la dépense publique de la Fondation reste mal cernée dans son montant et peu lisible dans son fléchage. Comment améliorer cette situation et, notamment, l'information du Parlement ?

Le rapport public comporte une insertion plus critique sur les suites données à votre contrôle de 2010 sur le centre des monuments nationaux (CMN) réalisé à la demande de notre commission des finances dans le cadre de l'article 58-2° de la LOLF.

Vous estimez que les réformes intervenues sont insuffisantes : l'établissement public n'a pas pris en compte la réforme du régime de la domanialité publique de 2008 et sa gestion reste encore insuffisamment rigoureuse. Une incertitude préjudiciable demeure en outre quant au champ d'action du CMN et la sous-consommation des crédits d'entretien et de restauration perdure, malgré quelques progrès constatés récemment.

Quelles sont selon vous les causes de cette inertie ? La tutelle exerce-t-elle pleinement ses missions ? La réponse de la ministre est-elle de nature à vous rassurer quant à la mise en oeuvre prochaine des réformes préconisées et à une remobilisation de cette tutelle ? Comment expliquer l'absence durable de contrat avec l'Etat ? Quel serait le niveau adéquat et réaliste des ressources propres du Centre ? Enfin, que seraient de bons indicateurs de performance ?

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial de la mission « Culture ». - Le cinéma est en bonne santé en particulier grâce au Centre national du cinéma (CNC). Mais les finances de ce dernier sont encore plus florissantes puisqu'il dispose de 750 millions de réserves, ce qui dans la période actuelle, fait figure d'anomalie. Comment faire évoluer le financement du CNC ?

M. Didier Migaud. - Pour répondre au rapporteur général, le traitement comptable de l'opération Dexia ne relève pas de la compétence de la Cour mais de celle de l'Insee sous le contrôle d'Eurostat. Nous avons en revanche estimé qu'elle se rattachait à l'exercice 2012 puisqu'aussi bien le vote de la loi de finances rectificative qui a ouvert les crédits nécessaires, l'assemblée générale de Dexia qui a approuvé l'augmentation du capital et le versement de l'État ont eu lieu en décembre 2012. Le dossier de presse du Gouvernement avait sans doute été préparé avant que l'on ne sache si l'opération serait réalisée pour la fin de l'année.

Nous avons écrit que le déficit pour 2012 devrait être proche de l'objectif de 4,5 %, un déficit supérieur n'étant cependant pas exclu du fait de recettes plus faibles que prévues. La Commission européenne retient une estimation à 4,6 % du PIB et le déficit public mesuré selon les normes de la comptabilité nationale sera publié par l'Insee à la fin du mois de mars. Il est pour l'heure difficile d'être plus précis d'autant que selon la décision prise de l'Insee et d'Eurostat sur Dexia, le solde pourrait varier de 0,2 point de PIB.

La poursuite coûte que coûte de l'objectif des 3 % pourrait avoir des effets négatifs trop importants sur la croissance dans une conjoncture économique durablement dégradée en France et chez nos partenaires européens. Le raisonnement symétrique vaut pour les périodes de forte croissance, car l'on y atteint plus facilement ses objectifs de solde sans avoir à prendre de mesures de redressement à long terme. On ne peut donc pas se contenter de raisonner en termes de déficit effectif ; il faut prendre en compte le solde structurel, comme le traité européen et la loi organique le prévoient. A charge pour les décideurs politiques de déterminer le poids relatif de chacun de ces objectifs.

La Cour estime que les recettes publiques, fiscales et sociales, de 2013, seront inférieures aux prévisions du projet de loi de finances. Ce sera tout d'abord le cas si la croissance n'est pas au rendez-vous des 0,8 % car un demi-point de croissance en moins réduit les recettes publiques de 4 à 5 milliards d'euros. Ensuite, la prévision pour 2013 repose sur des élasticités de prélèvements obligatoires à l'évolution de leurs assiettes vraisemblablement trop optimistes, en particulier pour l'impôt sur les sociétés ; la différence pourrait là aussi être de 4 milliards d'euros. Des recettes fiscales de 2012 - notamment la TVA - inférieures aux prévisions pourraient avoir un effet en base sur celles de 2013, encore difficile à évaluer. Ces observations valent aussi pour les recettes de la sécurité sociale. Autre facteur d'incertitude sur les recettes fiscales : le chiffrage des mesures nouvelles et le coût en 2013 des contentieux fiscaux communautaires qui vient s'imputer sur les remboursements et les dégrèvements.

S'agissant des recettes non fiscales, les dividendes des entreprises publiques pourraient être inférieurs aux prévisions.

Les contentieux que j'évoquais représentent aussi un aléa en matière de dépenses. Le coût du contentieux relatif au précompte inscrit dans la loi de programmation des finances publiques est de 1,8 milliard d'euros en 2013, alors qu'il était de 200 millions en 2012. Celui relatif aux organismes de placements collectifs en valeurs mobilières (OPCVM) devrait coûter 1,8 milliard en 2013 contre 1,5 milliard en 2012. Si les décisions du Conseil d'État de décembre 2012 sur le premier contentieux ont été finalement plus favorables que prévus, la direction générale des finances publiques n'était pas, début février, en mesure d'en tirer toutes les conséquences financières.

Pour ce qui concerne le contentieux relatif aux OPCVM, les remboursements prévus en 2012 sont reportés en 2013 et ceux prévus pour 2013 seront vraisemblablement reportés en 2014. Le rapport sur l'exécution budgétaire de 2012 reviendra sur cette question.

J'en arrive aux principaux aléas sur les dépenses. L'indemnisation du chômage fait l'objet d'une divergence d'estimations entre Bercy, qui prévoit une augmentation des indemnisations de 1,8 % et l'Unedic qui, pour sa part, s'attend à une progression des indemnisations de 8 %, soit un décalage de l'ordre de 2 milliards d'euros.

En outre, un prélèvement supplémentaire de 800 millions d'euros a été ajouté par amendement en loi de finances en faveur de l'Union européenne et des dépenses non encore budgétées devront être couvertes pour financer le plan pauvreté et les contrats de génération.

Les prévisions de dépense des collectivités locales sont toujours difficiles à établir, des aléas pouvant les affecter à la hausse, comme à la baisse.

Compte tenu de ces incertitudes, la Cour des comptes appelle à une stricte vigilance et à des mesures d'ajustement tout au long de l'année, afin de concrétiser les efforts structurels prévus en loi de finances initiale. Nous reviendrons sur cette question en juin à l'occasion de la présentation de notre rapport sur les perspectives des finances publiques.

Le déséquilibre entre les efforts portant sur les recettes et ceux sur les dépenses est réel : en 2011, les efforts portent entièrement sur les prélèvements obligatoires. En 2012 et en 2013, ces efforts portent à 75 % sur les prélèvements obligatoires et à 25 % sur les dépenses.

M. Philippe Marini, président. - La baisse des dépenses étant plus douloureuse, on trouve toujours de bonnes excuses !

M. Didier Migaud. - Et les effets sont moins immédiats.

M. Raoul Briet, président de la 1ère chambre. - Nous ne nous fondons pas sur des modèles macroéconomiques pour élaborer nos analyses. Les modèles macroéconomiques ne distinguent pas de manière binaire les dépenses d'un côté et les recettes de l'autre. Les effets macroéconomiques de la réduction de certaines dépenses sont équivalents à ceux de certaines hausses de prélèvements obligatoires. Une pesée sur les dépenses sociales ou une augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG) ont macroéconomiquement les mêmes impacts. Comme l'OCDE, nous constatons que les ajustements budgétaires les plus efficaces et les plus durables sont ceux qui portent plutôt sur les dépenses que sur les recettes.

La France rencontre des problèmes de déficits publics et la compétitivité est grevée par les prélèvements. Les marges de manoeuvre en matière de prélèvements sont donc réduites.

Enfin, notre niveau de dépenses publiques est l'un des plus élevé de l'OCDE, mais nous n'avons pas de contrepartie en termes d'efficacité des politiques publiques à hauteur de cette deuxième place en matière de dépenses. L'efficience de la dépense publique pourrait donc encore s'améliorer.

M. François Marc, rapporteur général. - Nous avons créé le Haut Conseil des finances publiques en l'adossant à la Cour des comptes. Ce Haut Conseil pourra s'appuyer sur des modèles économétriques et il devra motiver ses avis sur le PIB potentiel. De manière générale, sa méthodologie devra être fiable. Sur quels critères vous fondez-vous pour estimer que la politique du Gouvernement n'est pas la plus équilibrée ? J'ai indiqué qu'il y avait une volonté d'équilibrage à long terme entre la dépense et les recettes mais que, à court terme, le modèle Mésange démontrait que l'effet récessif était plus faible dans les cas des recettes.

M. Didier Migaud. -Le Haut Conseil sera à même de vérifier cela, mais les propos des uns et des autres ne se contredisent pas en ce qui concerne le long terme.

M. Jarlier m'a interrogé sur la situation des départements. Comme on pouvait s'y attendre, l'effet de ciseau est réel entre des dépenses qui progressent vite alors que les recettes stagnent. Les dépenses sociales continuent à s'accroître : elles représentent à elles seules un peu plus de la moitié des charges réelles. Les recettes au titre des droits de mutation à titre onéreux diminueraient de 800 millions en 2012, alors qu'elles avaient fortement augmenté en 2011.

L'épargne brute, qui avait progressé entre 2099 et 2011, décroît de 5,55 %. La contraction des investissements se poursuit : près de 19 % de moins en trois ans et les chiffres de 2012 confirment les analyses précédentes.

Concernant la redistribution des ressources en fonction des niveaux de collectivités, nous proposons de transférer les droits de mutation à titre onéreux des départements vers le bloc communal en contrepartie du transfert d'une part de la taxe sur le foncier bâti vers les départements. Cette réforme ne réduirait pas les ressources du bloc communal, mais nous estimons qu'il serait utile d'augmenter la part modulable de la fiscalité des départements, puisque leur fiscalité indirecte représente plus de la moitié de leurs ressources. En jouant sur ces droits de mutations, leur capacité fiscale en serait renforcée.

A long terme, la dynamique des DMTO pourrait être plus avantageuse pour le bloc communal. Quelle est la légitimité de la Cour des comptes à formuler de telles propositions ? Nous ne décidons rien, mais nous nous permettons de vous présenter des pistes, étant bien entendu que le Parlement décide. N'y voyez nulle concurrence avec le Comité des finances locales, d'autant que nos missions ne sont pas comparables.

M. Jean-Philippe Vachia, président de la formation inter-juridictions chargée des finances locales. - Nous avons proposé de renforcer la péréquation pour les départements, péréquation qui n'est déjà pas négligeable, notamment grâce au fonds de péréquation des DMTO. Très rapidement, nous avons buté sur les notions de potentiels fiscaux et financiers. Si la définition est la même, la composition diffère profondément, et des différences de classements apparaissent. Nous ne proposons pas de nouvelles définitions ou de nouvelles compositions du potentiel fiscal ou financier, mais il faudra bien revoir ces critères qui ne répondent plus aux besoins actuels et qui ne permettent pas de redistribuer judicieusement les ressources entre les départements.

Nous constatons la montée en puissance du critère de revenu, la loi de finances pour 2013 ayant intégré ce critère au calcul des versements du fonds DMTO. Au-delà, les critères de répartition ne sont plus les mêmes pour les fonds DMTO et CVAE. Une troisième série de critères devrait être pris en compte, à savoir les charges relatives aux allocations universelles de solidarité. En croisant ces critères, il serait possible de déterminer des niveaux de fragilité. Nous n'avons pas de formule toute faite à vous proposer, mais il serait bon que la direction générale des collectivités locales (DGCL) fasse tourner ses modèles afin que revenus et charges soient pris en compte pour déterminer les péréquations verticales et horizontales.

M. Didier Migaud. - Le plan quinquennal de lutte contre la pauvreté prévoit une augmentation du barème du RSA, ce qui aura une incidence sur toutes les composantes de cette allocation. Je rappelle que beaucoup de personnes qui pourraient bénéficier du RSA ne le perçoivent pas, en dépit de la réflexion menée sur une meilleure articulation entre le RSA et la prime pour l'emploi (PPE). Le RSA « socle » est à la charge des départements : bien qu'aucune estimation officielle ne soit disponible, la revalorisation annoncée par le Premier ministre pourrait coûter 180 millions d'euros en année pleine, revalorisation compensée par l'Etat, même si les modalités de financement n'ont pas encore été arrêtées. Si la compensation annoncée n'avait pas lieu, il est bien évident qu'il en résulterait des tensions supplémentaires sur les finances des départements.

Pour le RSA « activité » et pour le RSA « jeunes », nous faisons le même constat, à savoir que le nombre de bénéficiaires est extrêmement réduit par rapport au public visé. Une meilleure articulation entre le RSA et la PPE est donc indispensable.

M. Patrick Lefas, président de la 3ème chambre. - Comme l'a dit Yann Gaillard, la Fondation du patrimoine est une structure juridique hybride puisqu'il s'agit d'une fondation de statut privé, créée par la loi en 1996 et placée sous contrôle de la Cour des comptes. La gouvernance de cette structure originale est entre les mains des fondateurs qui, après leur mise de fonds initiale, n'ont plus apporté de cotisations additionnelles. Enfin, la Fondation du patrimoine délivre des agréments et dispose, depuis 2003, d'une recette propre grâce au produit des successions en déshérence. Le Gouvernement devrait vous présenter à l'automne prochain un projet de loi sur le patrimoine ; vous aurez donc l'occasion de vous pencher une nouvelle fois sur ce dossier.

Entre 2002 et 2011, 18 000 projets de rénovation ont été menés à bien, dont 14 000 privés et 4 000 publics. Ce modèle singulier est-il transposable aux monuments historiques ? Le problème tient au fait que, chaque année, 400 monuments supplémentaires sont portés à l'inventaire national ou régional, ce qui entraîne des avantages fiscaux importants mais aussi des obligations non négligeables. L'outil fondation est utilisé dans d'autres domaines de l'action publique, notamment en matière de coopération scientifique et pour les fondations partenariales. Il est effectivement légitime que la représentation nationale soit mieux informée dans la mesure où cette fondation bénéficie d'une recette affectée.

Vous aviez demandé un rapport sur le Centre des monuments nationaux : nous vous l'avons remis à l'automne 2010 et nous assurons son suivi. Nous avions émis des critiques à l'époque à l'égard de la tutelle mais aussi de la direction générale de l'établissement : le Gouvernement en a tiré les conséquences en nommant un nouveau président. Faut-il reprendre le mouvement amorcé de transfert de monuments nationaux aux collectivités locales ? Mais comment mutualiser pour assurer le financement des travaux de restauration ? De tous les établissements publics culturels, c'est celui qui a les ressources propres les plus élevées et il convient de poursuivre dans cette voie. Le chantier de restauration prioritaire concerne le dôme du Panthéon. La crise interne et le transfert des emplois entre les Drac et le centre des monuments nationaux avaient retardé les décisions.

M. de Montesquiou nous a interrogés sur la situation du cinéma, mais cette question n'est pas traitée dans le rapport annuel. En revanche, un rapport sur le financement du CNC a été rédigé et le Gouvernement en a tiré les conséquences puisque le fonds de roulement a été amputé.

M. Philippe Marini, président. - Tout juste ébréché...

M. Patrick Lefas. - Le fonds de garantie versé chaque année à l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles a été contrôlé : il n'y aura désormais plus de versement du fonds de garantie car l'étiage est suffisant.

Nous reviendrons sur ce sujet dans un rapport thématique sur l'ensemble des problématiques du cinéma, qu'il s'agisse des soutiens, des crédits d'impôt, des obligations d'achat, des obligations règlementaires, du CNC ou des aides aux collectivités locales.

M. Philippe Marini, président. - Merci pour toutes ces précisions.

M. Christian Bourquin. - Des économistes européens et français estiment que pour sortir de la crise, il faut investir. Pour votre part, vous prônez toujours plus d'austérité, ce qui s'apparente à une purge. Vous estimez que le niveau des dépenses de l'Etat et des collectivités locales est trop élevé, mais qui dit dépenses publiques, dit investissements, ce que vous ne semblez pas prendre en compte, alors que 70 % des investissements publics sont effectués par les collectivités.

La région que je préside a beaucoup investi - 44 % de son budget - pour sortir de la crise. Comment expliquez-vous les différences d'analyses entre les économistes et les experts de la Cour des comptes ?

M. Jean-Claude Frécon. - Vous n'abordez pas dans votre rapport les engagements hors bilan de l'Etat. Nous vous avons demandé un rapport sur cette question au titre de l'article 58-2 que vous devriez nous remettre début mai. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Francis Delattre. - Nous avions dit, naguère, que nous ne partagions pas les analyses de notre rapporteur général : l'augmentation des prélèvements sur les entreprises ne nous semblait pas être de nature à relancer la croissance. Plutôt que 0,8 % du PIB en 2013, nous serons proches de zéro... Le Gouvernement prétend qu'avec le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), les charges des entreprises seront allégées mais, pour 2013, cette mesure sera neutre pour les finances publiques. Un ministre a dit que la Banque publique d'investissement (BPI) allait intervenir, mais est-ce le rôle de cette banque de faire des avances aux entreprises ? Enfin, comment trouver les 10 milliards d'euros pour financer ce dispositif en régime de croisière.

M. Philippe Dallier. - Le Gouvernement précédent avait asséché les ressources du 1 % logement pour financer l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH), puis avait autorisé le 1 % logement à emprunter 3 milliards d'euros auprès de la Caisse des dépôts pour financer la politique du logement. Que pensez-vous de cette « délocalisation » de la dette ? Certains ont également préconisé le recours à l'emprunt pour financer l'ANRU II.

Il y a quelques années, la Cour des comptes avait lancé deux référés à l'encontre de l'EPAD du fait du manque de transparence dans la comptabilité de cet établissement public et de la nécessité de séparer ce qui relevait de l'aménagement de ce qui relevait de la gestion des équipements publics que cet établissement avait créé au fil du temps. Même si des efforts ont été faits, puisqu'un établissement public local destiné à gérer ces équipements publics, dénommé assez ironiquement Defacto, a été créé, il semble que le transfert de tous ces équipements n'ont pas encore été réalisés car les collectivités - qui bénéficient de la manne financière versée par les entreprises de la Défense - s'y opposent, prétextant qu'il faut remettre en état ces équipements et la voirie avant tout transfert. Dans le tome II, consacré aux suites réservées aux contrôles de la Cour des comptes, ce sujet est marqué dans la série des points orange. Pourquoi pas en rouge ?

M. Edmond Hervé. - Je veux rendre hommage à votre sens éthique et au rôle de la Cour des comptes. En outre, je salue votre travail avec les chambres régionales des comptes, qui connaissent bien les réalités du terrain.

Tout d'abord, une certitude scientifique : il n'y a aucune corrélation entre le niveau des prélèvements obligatoires, la croissance et l'emploi. Cette loi est constante depuis 50 ans, qu'il s'agisse de la France mais aussi d'autres pays comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon ou l'Allemagne.

Deuxième certitude, politique celle-là : le temps où l'on distinguait fiscalité de l'Etat, fiscalité des collectivités et fiscalité sociale est révolu. N'oublions pas que le deuxième ou troisième budget de l'Etat est consacré aux collectivités locales et que 30 % des ressources de la sécurité sociale proviennent des impôts. Les notions de pacte, de contrat, de négociations sont donc essentielles.

Un des engagements du candidat François Hollande portait sur le rapprochement de l'impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée (CSG), ce qui est essentiel tant pour des raisons de justice fiscale que de compétitivité. En outre, les départements et les communes bénéficieraient de cette réforme au travers de la taxe d'habitation. En 1990, il avait été question d'instaurer une taxe départementale sur les revenus, idée qui avait été assassinée par certains de nos collègues et par de hauts fonctionnaires qui qualifiaient cette taxe de poll tax, ce qui démontrait leur ignorance. La Cour travaille-t-elle sur le rapprochement et l'extension de ces assiettes ?

Enfin, nous aurons beau avoir les ressources suffisantes, sans esprit d'entreprendre et sans optimisme, nous n'y arriverons pas. Prenons donc garde à nos propos !

M. Serge Dassault. - Je vous félicite pour votre excellent rapport et je me désole que le Gouvernement n'en tienne aucun compte. A mots prudents, vous évoquez la remontée des taux d'intérêt, ce qui ne semble gêner personne. Quand cela arrivera, on s'apercevra que la politique menée par le Gouvernement mène la France au désastre, mais il sera trop tard et notre pays sera en cessation de paiement, comme la Grèce. Il ne faudra pas compter sur l'Europe pour nous venir en aide ; elle n'en aura pas les moyens. Plutôt que de mener une politique de gauche, c'est à droite qu'il faut aller pour motiver les entrepreneurs et éviter qu'ils aillent payer leurs impôts ailleurs.

M. Jean-Paul Emorine. - La perspective de 3 % de déficit par rapport au PIB pour 2013 est en train de s'éloigner alors que la croissance est atone. Or, un pays sans croissance s'appauvrit. Je reviens sur quelques chiffres que j'ai cités la semaine dernière lorsque nous avons reçu le directeur des études fiscales de l'OCDE. Avec 46 % du PIB, notre pays a le plus fort taux de prélèvements obligatoires et certains, au Gouvernement, voudraient aller encore plus haut. Les dépenses publiques, pour leur part, se montent à 56 % du PIB, alors qu'aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, cette proportion n'est que de 41 %. Or, dix points de différence, cela représente 200 milliards d'euros. Il faut faire des économies, mais ce sont souvent les dépenses en faveur de l'investissement et des collectivités territoriales qui sont gelées.

Dans un article de 2012, le candidat François Hollande avait écrit : « La dépense publique atteint 56 % de la richesse nationale. Elle était de 52 % il y a cinq ans. Vit-on mieux pour autant ? Non. Il faut faire mieux en dépensant moins ». Quelles solutions préconisez-vous ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - En 2012, la question de la dette publique a été au centre du débat : il s'agit désormais du premier poste de dépenses publiques qui équivaut au rendement de l'impôt sur le revenu. En 2011, la dette s'élevait à 86 % du PIB et en 2012 à 89,9 % du PIB. Cette année, le seuil des 90 % devrait être allègrement franchi, seuil considéré par les économistes comme dangereux. Or, votre rapport n'y consacre pas de développement particulier. Pourquoi ?

M. Yannick Botrel. - Les départements sont dans une situation extrêmement difficile, du fait de transferts de charges mal compensées, qu'il s'agisse des trois allocations, des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) ou des personnels. La Cour dit qu'il faut éviter les cofinancements d'investissements entre les départements et les régions ou entre les départements et l'Etat. Cela ne revient-il pas à remettre en cause la clause de compétence générale ?

Vous avez également affirmé que la réallocation de la fiscalité devait être neutre pour l'Etat. Si c'est le cas et si cette réallocation profite aux départements, cela implique que le bloc communal sera pénalisé.

M. Didier Migaud. - Ce n'est pas la Cour des comptes qui a fixé les objectifs de Maastricht ni le respect des déficits effectifs ou structurels, monsieur Christian Bourquin. Elle se contente de dresser des constats à partir d'objectifs fixés par les responsables politiques européens ou nationaux, même si elle peut avoir des idées sur les principes d'équilibre des comptes publics. L'objectif de 3 % de déficit par rapport au PIB ne sera vraisemblablement pas atteint mais l'effet structurel des mesures prises est déjà très important, même si je me suis interrogé sur la capacité de la France à respecter ces efforts structurels.

L'endettement d'un pays mesure-t-il ses investissements ? Si tel était le cas, la France figurerait sur le podium des pays investisseurs, ce qui n'est malheureusement pas le cas. L'endettement d'un pays n'équivaut pas non plus à des dépenses supplémentaires en matière de recherche ou d'innovation. Bref, l'endettement croissant est loin d'être gage d'augmentation de l'investissement productif. Pour investir, il est nécessaire de maîtriser les dépenses de fonctionnement, y compris celles des collectivités locales.

En outre, la Cour s'interroge sur la pertinence de certaines dépenses d'investissement. Ainsi en est-il lorsque deux stations d'épuration sont construites côte à côte ou lorsque deux gares de TGV, coûtant 70 millions d'euros chacune, se trouvent à 20 kilomètres l'une de l'autre. Je pourrais multiplier les exemples... C'est pourquoi il convient d'examiner à chaque fois la pertinence exacte des investissements.

M. Philippe Marini, président. - En tant qu'ancien rapporteur de la LOLF, ne pensez-vous pas que celle-ci a eu des effets profondément pernicieux, dans la mesure où la présentation des crédits par mission a éclipsé le débat sur les crédits par nature. A l'inverse, les investissements sont clairement identifiés dans le budget de chaque collectivité locale. Cela dit, est-il possible de remettre en cause ce qui s'apparente à une vache sacrée ?

M. Didier Migaud. - Je ne partage pas votre point de vue, car les dépenses d'investissement de l'Etat figurent dans les annexes de la loi de finances. En outre, on a toujours buté sur une définition précise des dépenses d'investissement.

M. Philippe Marini, président. - Ce sont celles qui s'amortissent !

M. Didier Migaud. - Chaque fois que la question a été posée aux parlementaires, des réponses différentes ont été obtenues.

Cela dit, les dépenses d'investissement peuvent être utiles, à condition qu'elles aillent de pair avec la maîtrise des dépenses de fonctionnement. Nous avons aussi invité les pouvoirs publics à hiérarchiser les priorités dans les schémas nationaux d'infrastructure ferroviaires et routières.

Monsieur Frécon, le rapport sur les engagements hors bilan de l'Etat est en cours de rédaction et nous vous le présenterons début mai, avec des comparaisons internationales.

Vos questions, monsieur Delattre, ne relèvent pas de la compétence de la Cour des comptes : seul le Haut Conseil pourra donner son avis sur les hypothèses de croissance retenues par le Gouvernement. Le pacte pour la compétitivité et l'emploi, ainsi que le CICE, voulus par le Gouvernement, n'ont pas encore été étudiés par la Cour mais ce sera chose faite dès qu'ils entreront en vigueur.

Action logement a effectivement été autorisée à emprunter 3 milliards auprès de la Caisse des dépôts, avec la garantie de l'Etat, monsieur Dallier. Cette débudgétisation de la construction de logements ne correspond pas aux attentes de la Cour, puisque ce recours à l'emprunt va permettre à l'Etat de la faire financer sans solliciter de moyens budgétaires, mais cela s'appelle une débudgétisation, comme pour l'ANRU et l'ANAH. Le fait d'autoriser Action logement à utiliser ces fonds sous forme de subventions et non de prêts signifie que cet organisme ne disposera pas d'actifs en contrepartie des prêts qu'il va contracter auprès de la Caisse des dépôts ni de produits pour rembourser sa dette, ce qui est problématique. Si l'Etat garantit des emprunts dont il anticipe qu'ils ne seront pas remboursés, cela augmentera les engagements hors bilan de l'Etat.

Mme Evelyne Ratte, présidente de la 7ème chambre. - M. Dallier nous a interrogés sur l'Epad. La Cour a apprécié qu'une de ses recommandations récurrentes sur la séparation des activités d'aménagement et d'exploitant de cet établissement public soit enfin suivie d'effet. L'établissement s'est donc recentré sur sa mission d'aménageur en se donnant les moyens de mieux l'exercer, en élaborant un plan de renouveau du site et en s'intégrant dans toutes les discussions sur le projet du Grand Paris.

Cette réforme n'a pas encore abouti totalement et c'est pourquoi notre appréciation est marquée d'orange. Les opérations de transfert des équipements à Defacto se sont opérées depuis 2008 dans des conditions ambigües, d'où des contentieux entre les deux établissements et de fortes incertitudes sur les équilibres financiers de l'Epad. C'est pourquoi il faut aller jusqu'au bout de la démarche et régler définitivement les conditions de partage.

Présidence de M. Jean-Claude Frécon, vice-président

M. Didier Migaud. - Nous poursuivrons, monsieur Hervé, notre collaboration avec les chambres régionales des comptes, ce qui nous permettra d'avoir une appréciation plus exacte de la situation des finances locales. Il est en effet de plus en plus nécessaire d'avoir une vision globale des finances publiques, qu'il s'agisse de l'Etat, des collectivités territoriales ou de la sécurité sociale. Nous poursuivrons donc notre travail commun, dans le respect bien sûr de l'indépendance de chacun. Comme vous, nous appelons de nos voeux le meilleur pilotage possible des comptes publics et une gouvernance appropriée, ce qui n'est pas toujours le cas. Il est donc indispensable que les évaluations des politiques publiques se fassent dans les meilleures conditions possibles. En revanche, la Cour n'a pas travaillé sur le rapprochement de l'impôt sur le revenu et de la CSG. Le Conseil des prélèvements obligatoires pourrait se pencher sur ce dossier sensible. Dans une vie antérieure, je me suis d'ailleurs exprimé sur ce sujet.

M. Dassault et Mme Des Esgaulx ont rappelé la sensibilité de nos comptes publics à tout alourdissement des taux d'intérêt que nous payons pour financer notre dette qui dépassera, cette année, 90 % du PIB et qui va encore s'accroître en 2014. Une augmentation d'un point du taux d'intérêt coûterait au budget de l'Etat 2,5 milliards d'euros la première année, 8,5 milliards d'euros au bout de cinq ans et 14 à 15 milliards d'euros au bout de dix ans, ce qui constituerait autant de marges de manoeuvre en moins pour investir. Nous devons donc être extrêmement vigilants à l'égard du ratio taux d'endettement - PIB et tout faire pour réduire notre dette.

Yannick Botrel m'a interrogé sur la clause de compétence générale : ce n'est pas à la Cour des comptes de se prononcer mais aux élus, qui seront d'ailleurs appelés à le faire prochainement. Nous ne pouvons que vous inviter à clarifier ces compétences. La clause de compétence générale va-t-elle dans le bon sens ?

M. Jean Germain. - Non !

M. Didier Migaud. - L'organisation territoriale mériterait certainement d'être revue.

Il ne m'appartient pas, M. Emorine, de commenter les propos du Président de la République, même lorsqu'il s'est exprimé en tant que candidat. Notre pays connaît certes un fort taux de dépenses publiques et le rapport coût - efficacité de ces dépenses n'est pas toujours démontré, d'où la nécessité d'évaluations constantes. Il ne suffit pas d'augmenter les moyens pour qu'une politique publique soit efficace, sinon la France serait en première place.

Nous devons donc nous interroger sur la répartition et sur l'organisation de ces moyens. Je souhaite qu'en juin nous puissions vous présenter des pistes d'économies possibles tant au niveau de l'Etat que pour les comptes sociaux afin d'alimenter vos débats. Nous sommes persuadés que l'on peut faire mieux avec moins.

M. Jean-Claude Frécon, vice-président. - Merci, monsieur le Premier président, pour toutes ces précisions. Une fois de plus, vous avez pu constater l'intérêt de nos collègues pour votre rapport.