Mercredi 26 juin 2013

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis

La commission demande tout d'abord à se saisir pour avis du projet de loi n° 1015 (AN - XIVème législature) relatif à la consommation, sous réserve de son examen par l'Assemblée nationale et de sa transmission, et nomme Mme Michèle André rapporteure pour avis sur ce texte.

Séparation et régulation des activités bancaires - Examen des amendements au texte de la commission

La commission procède ensuite à l'examen des amendements au texte n° 682 (2012-2013) élaboré par la commission sur le projet de loi n° 643 (2012-2013), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, de séparation et de régulation des activités bancaires (deuxième lecture).

M. Philippe Marini, président. - Nous examinons d'abord l'amendement du rapporteur.

Article 22

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° FINC-1 est de coordination.

L'amendement n° FINC-1 est adopté.

M. Richard Yung, rapporteur. - Je précise dès à présent que les amendements nos 7, 8, 9, 10, 11, 46 et 48 méconnaissent la règle de l'entonnoir.

M. Philippe Marini, président. - En vertu de l'article 48 du règlement du Sénat, les amendements présentés en deuxième lecture sont irrecevables s'ils proposent une modification ou une adjonction sans relation directe avec une disposition restant en discussion.

Les amendements nos 7, 8, 9, 10, 11, 46 et 48 sont déclarés irrecevables.

Article 4 bis A (supprimé)

M. Richard Yung, rapporteur. - En première lecture, nous avions donné un avis défavorable à un amendement similaire au n° 12. Le Parlement est libre d'organiser les débats qu'il entend, y compris sur les paradis fiscaux.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 12.

Article 4 bis

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 33 rend l'obligation de transparence « pays par pays » applicable en France dès 2014, c'est-à-dire avec un an d'avance sur le calendrier européen établi par la directive « CRD IV ». Anticiper ces obligations désavantagerait les entreprises et les banques françaises : avis défavorable, ainsi qu'à l'amendement n° 41, qui a le même objet.

M. Aymeri de Montesquiou. - C'est du bon sens.

La commission émet un avis défavorable aux amendements n° 33 et 41.

M. Richard Yung, rapporteur. - Les amendements nos 13 et 14 rétablissent le texte adopté par les députés, que notre commission avait pourtant modifié. La modification rédactionnelle proposée limiterait la portée de l'obligation faite aux banques et aux entreprises, j'y suis opposé.

La commission émet un avis défavorable aux amendements n° 13 et 14.

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 23 ajoute la publication des schémas d'optimisation fiscale aux six composantes de l'obligation de publicité et de transparence instaurée par le projet de loi. Une noble ambition...

M. François Marc, rapporteur général. - Une intention louable !

M. Richard Yung, rapporteur. - L'optimisation fiscale consiste à utiliser les possibilités offertes par certaines législations fiscales nationales. En toute hypothèse, ce n'est pas illégal. Il est souvent difficile de distinguer entre ce qui relève de la bonne gestion et de l'optimisation. De surcroît, l'obligation proposée par cet amendement pèserait seulement sur les banques françaises, ce qui n'est pas dans nos intérêts. Inutile, enfin, de faire la publicité à des pratiques que la morale réprouve.

M. Aymeri de Montesquiou. - Les exigences de vertu doivent être modérées...

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 23.

M. Richard Yung, rapporteur. - La règle de transparence « pays par pays » pour les entreprises deviendra applicable lorsqu'une règle équivalente sera adoptée au niveau européen. L'amendement n° 15 supprime cette précision. Or le texte ne fait que transposer par anticipation le cadre adopté par le Conseil européen et le conseil pour les affaires économiques et financières : pour adapter son application en France, il est nécessaire de maintenir cette conditionnalité. Avis défavorable, ainsi qu'à l'amendement n° 30, qui va dans le même sens.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 15 et 30.

Article 4 quinquies B

M. Richard Yung, rapporteur. - L'alinéa 8 de l'article 4 quinquies B interdit aux banques de détenir des stocks physiques de matières premières agricoles « dans le but d'exercer un effet significatif sur le cours des marchés de ces matières premières agricoles ». L'amendement n° 34 remplace cette condition par un seuil fixé par l'Autorité des marchés financiers (AMF). J'y suis défavorable : fixer ce seuil trop bas limiterait exagérément les opérations dans lesquelles les stocks de matières premières servent de collatéral, et le fixer trop haut dissimulerait des spéculations. Tenons-nous en à l'intention de manipuler les cours, que l'AMF et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) préciseront au cas par cas.

M. Philippe Marini, président. - Vous avez raison : les choses sont plus claires ainsi. Laisser l'AMF fixer un seuil pour chaque matière première n'est pas réaliste.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 34.

Article 4 decies

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 3 rectifié impose la publicité des rémunérations dans tous les établissements de crédit, y compris les caisses régionales des groupes coopératifs ou mutualistes. Je demande son retrait, car l'article 4 decies comprend déjà des avancées significatives dans ce domaine : les assemblées générales d'actionnaires seront consultées...

M. Aymeri de Montesquiou. - Voilà ce qui est important !

M. Richard Yung, rapporteur. - ... ex post - en Allemagne elles peuvent depuis la semaine dernière opérer un contrôle ex ante -, et le rôle des comités de rémunération a été précisé.

M. François Marc, rapporteur général. - Je serais heureux de suivre les débats sur ce point en séance. Les cadres de haut niveau circulent naturellement entre les sociétés cotées et les établissements coopératifs ou mutualistes.

M. Roland du Luart. - Tout à fait.

M. François Marc, rapporteur général. - Pourquoi les traiter différemment ?

M. Richard Yung, rapporteur. - Entendu. Demandons l'avis du Gouvernement.

La commission décide de s'en remettre à l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 3 rectifié.

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 31 prévoit que l'assemblée générale des actionnaires d'une banque établit le plafond annuel des rémunérations fixes. Je demande son retrait, car le texte introduit déjà un certain nombre de règles relatives aux rémunérations, dans leur partie fixe comme dans le rapport entre fixe et variable. Aller plus loin nous rapprocherait d'un régime d'économie administrée.

M. Roland du Luart. - Absolument.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 31.

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 32, comme le n° 16, est satisfait : la loi introduit un critère de proportion entre la partie fixe et la partie variable de la rémunération des hauts cadres. La règle sera par défaut d'un pour un, et de deux pour un lorsque l'assemblée générale des actionnaires l'autorisera.

La commission demande le retrait des amendements nos 32 et 16.

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 4 rectifié interdit la distribution de stock-options et d'actions gratuites au sein des entreprises du secteur bancaire. Le plafonnement de la part variable des rémunérations le rend superfétatoire : je demande son retrait. Au demeurant, l'évolution de la fiscalité a rendu ces produits moins attractifs.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 4 rectifié.

Article 11

M. Richard Yung, rapporteur. - Le projet de loi dote le Haut Conseil de stabilité financière du pouvoir de demander aux banques d'accroître leurs fonds propres ou de modifier les ratios de liquidités qu'elles doivent respecter. L'initiative de telles décisions revient toutefois au gouverneur de la Banque de France. L'amendement n° 35 l'élargit aux personnalités nommées par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat ainsi que par le ministre chargé de l'économie. J'y suis défavorable.

M. Roland du Luart. - Le gouverneur de la Banque de France est indépendant : pourquoi partager ses pouvoirs avec des personnalités politiques ?

M. Richard Yung, rapporteur. - En effet. Et il dispose de toute l'information nécessaire.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 35.

M. Richard Yung, rapporteur. - Le Haut Conseil de stabilité financière peut fixer des conditions à l'octroi de crédit en vue de prévenir l'apparition de bulles spéculatives. L'amendement n° 19 élargit les objectifs assignés à cette mission. J'y suis défavorable, car favoriser des crédits répondant à des critères économiques, sociaux et environnementaux revient à la Banque de France et aux banques.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 19.

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 25 est de transparence : les informations relatives aux conflits d'intérêts des personnalités qualifiées membres du Haut Conseil de stabilité financière seraient rendues publiques sur Internet.

M. Albéric de Montgolfier. - Cela me semble à la limite du législatif et du réglementaire. De plus, le vrai problème réside moins dans la publicité des avis du Haut Conseil que dans l'utilisation qu'en fera le Gouvernement.

M. Richard Yung, rapporteur. - Ce n'est sans doute pas du domaine législatif.

M. Philippe Marini, président. - Rien n'interdira au Haut Conseil de publier un communiqué. S'il est pleinement indépendant, il le fera, selon les modalités de son choix.

M. Richard Yung, rapporteur. - Son président en décidera.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 25.

Article 11 ter

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 24 interdit aux collectivités territoriales de souscrire des emprunts en devises. Nous avons débattu de ce sujet en première lecture. L'article 11 ter encadre les conditions d'emprunts en devises. Certes, ces contrats ont mis de nombreuses collectivités en difficulté, notamment du fait d'emprunts en franc suisse. Pour autant, cela ne justifie pas d'interdire ces pratiques : certaines bénéficient de conditions de taux favorables, notamment les collectivités frontalières ; d'autres encore disposent de revenus en devises. De plus, l'article 11 ter les oblige à souscrire un contrat d'échange de devises, ce qui annule le risque de change. Avis défavorable, ainsi qu'à l'amendement n° 27, par coordination.

La commission demande le retrait des amendements nos 24 et 27.

Article 14

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 49 du Gouvernement est long mais assez simple. Il étend le contrôle de l'ACPR à l'honorabilité et à la compétence des dirigeants et administrateurs de tous les organismes d'assurance. Le sujet était encore pendant lors de la première lecture. Depuis, le Gouvernement et les professionnels se sont mis d'accord : contrairement à ce qui prévaut dans le secteur bancaire, la nomination d'un administrateur d'organisme d'assurance ne sera pas notifiée à l'ACPR. Cette dernière ne pourra intervenir qu'à la suite d'un contrôle ou à la réception d'une information mettant en cause la capacité de l'administrateur à remplir sa fonction.

L'appréciation de l'ACPR sur la compétence des administrateurs sera en outre proportionnée à leurs attributions : le contrôle exercé sur le président d'un conseil d'administration ou d'un comité d'audit sera par exemple plus appuyé que sur un administrateur dépourvu de mandat exécutif. Comme pour les établissements de crédit, il sera tenu compte de l'expérience acquise, mais les caisses locales dépourvues d'agrément seront exclues du dispositif. J'y suis favorable.

M. François Marc, rapporteur général. - L'extension du pouvoir de l'ACPR est légitime dès lors que l'on clarifie la situation des banques mutualistes. Elles sont parfois en concurrence avec les sociétés d'assurance : toutes doivent être soumises aux mêmes exigences, y compris en termes de formation pour les administrateurs des caisses régionales.

M. Philippe Marini, président. - Le dispositif est-il spécifique aux groupes mutualistes ?

M. Richard Yung, rapporteur. - Non, il est le même pour tous, sociétés d'assurance ou groupes mutualistes, à l'exception du premier niveau de caisses locales.

M. Philippe Marini, président. - Cela paraît équilibré.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 49.

M. Richard Yung, rapporteur. - Les amendements nos 29 rectifié, 38 et 39 sont analogues : ils soustraient les administrateurs des caisses régionales mutualistes au contrôle de l'ACPR. C'est pourtant nécessaire pour assurer la qualité de la gouvernance des organes régionaux des banques mutualistes, dont certaines pèsent jusqu'à 400 ou 500 milliards d'euros de bilan, pour un total représentant près de 2 000 milliards d'euros. Nous ne parlons pas de petites entités !

M. Jean Arthuis. - L'exposé des motifs mentionne la condition de client administrateur. N'y a-t-il pas là un conflit d'intérêts ?

M. Philippe Marini, président. - Je partage l'avis du rapporteur : cette proposition est insuffisamment protectrice. A responsabilités égales, les règles d'honorabilité, de compétence et d'expérience doivent être les mêmes. L'exigence de protection des établissements et des titulaires de mandats l'exige.

M. Albéric de Montgolfier. - Nous avons déjà eu ce débat en première lecture. Les administrateurs des banques mutualistes, c'est leur spécificité, sont élus parmi leurs sociétaires : ils n'ont donc pas la même expérience que les dirigeants des banques cotées.

M. Philippe Marini, président. - Nous parlons d'expérience en tant que membre d'un organe collégial, et non de dirigeant. Nous venons de traiter la question dans le secteur des assurances avec l'amendement précédent.

M. Richard Yung, rapporteur. - Nous en reparlerons en séance.

M. Jean-Paul Emorine. - Certaines banques ont des résultats très bons au niveau régional et nettement moins au niveau national : cela démontre que les sociétaires sont tout à fait à même d'entendre leurs dirigeants sur l'activité des banques régionales.

La commission émet un avis défavorables aux amendements nos 29 rectifié, 38 et 39.

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 40 dispose que lorsqu'un poste est laissé vacant à la suite d'une opposition de l'ACPR, les dispositions légales relatives à une éventuelle suppléance s'appliquent, ce qui est parfaitement redondant.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 40.

Article 17

M. Richard Yung, rapporteur. - En première lecture, l'Assemblée nationale a plafonné les commissions d'intervention perçues par les banques en cas d'incident de paiement. Au Sénat, un amendement de Jean-Pierre Caffet a instauré un second plafond protégeant les clientèles les plus fragiles, sur lequel les députés sont revenus en deuxième lecture. L'amendement n° 21 fait dépendre la commission d'intervention du montant de l'opération financière concernée, ce qui est contraire à l'objectif poursuivi : d'une part, les commissions d'intervention rémunèrent l'analyse d'une situation financière personnelle, ce qui justifie qu'elles soient en partie fixes ; d'autre part, les incidents peuvent porter sur des montants élevés, par exemple un loyer. Maintenir le caractère forfaitaire de ces commissions est plus protecteur des clients fragiles.

M. François Marc, rapporteur général. - Je souscris à votre analyse. Si le dispositif proposé par cet amendement profite au client pour des petites sommes, les factures sont parfois bien plus importantes.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 21.

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 45 supprime le double plafond. Par cohérence, j'y suis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 45.

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 22 oblige les banques à proposer une gamme de moyens de paiement alternatifs au chèque aux personnes bénéficiaires d'un certain nombre d'allocations sociales. L'idée est bonne, mais sa mise en oeuvre paraît complexe. D'une part, l'amendement vise six allocations : il en oublie peut-être. D'autre part, les banques n'ont pas nécessairement connaissance des allocations perçues par leurs clients : les interroger semble trop inquisitorial, voire stigmatisant.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 22.

M. Philippe Marini, président. - Je rappelle que les amendements nos 46, 11, 8, 9, 10 et 7 ont été déclarés irrecevables en application du 5 et du 6 de l'article 48 du règlement du Sénat.

Article 18

M. Richard Yung, rapporteur. - L'amendement n° 20 interdit la perception de frais bancaires sur des comptes inactifs, que l'on appelle aussi dormants.

M. Philippe Marini, président. - Ceux des riches ! S'ils laissent dormir leur argent, c'est qu'ils n'en ont pas besoin.

M. Richard Yung, rapporteur. - J'y suis défavorable : même inactif, un compte doit être géré ; cela à un coût, qu'il est normal de couvrir, du moment que les frais perçus restent raisonnables.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 20.

M. Philippe Dallier. - Mon amendement n° 1 précise les délais dont le respect est imposé aux banques pour répondre à une demande de substitution d'assurance emprunteur au moment de la conclusion d'un prêt : je propose de remplacer les dix jours ouvrés par huit jours calendaires.

M. Richard Yung, rapporteur. - Les amendements nos 5, 17, 36 et 42 sont analogues. Je demande leur retrait : le délai de dix jours ouvrés protège l'emprunteur et permet aux banques de traiter correctement les dossiers. Le projet de loi initial ne faisait mention d'aucun délai. Nous devons à Jean Desessard l'instauration d'un double délai de six jours ouvrables pour la réponse et huit pour l'émission de l'offre modifiée. En deuxième lecture, les députés ont simplifié le mécanisme en lui substituant un délai unique de dix jours. L'équilibre atteint satisfait les associations et les professionnels de la banque.

La commission demande le retrait des amendements nos 1, 5, 17, 36 et 42.

M. Philippe Dallier. - L'amendement n° 2 autorise l'emprunteur à renégocier le contrat d'assurance associé à son prêt immobilier. La loi le laisse théoriquement choisir son assurance, mais on sait que la banque fait souvent pression sur lui pour qu'il accepte celle, pas toujours plus avantageuse, qu'elle lui propose. L'emprunteur doit pouvoir, chaque année, dénoncer le contrat, charge à lui d'en souscrire un autre pour le capital restant à rembourser. D'aucuns ont dénoncé la complexité d'un tel mécanisme pour les banques. Il ferait pourtant jouer la concurrence et baisser des taux aujourd'hui très élevés, parfois sans raison véritable.

M. Richard Yung, rapporteur. - Cet amendement est sympathique. Cela étant, les primes d'assurance résultent d'une forme de mutualisation entre un jeune en bonne santé et un sénateur approchant de la sagesse... Cet aspect des choses détermine les conditions de l'équilibre économique et financier : on ne peut l'éluder. Le Gouvernement a commandé un rapport sur la question, qui doit être rendu avant le 1er janvier 2014. Attendons-le avant d'aller dans le sens d'un amendement, auquel je ne suis au demeurant pas hostile.

M. Philippe Dallier. - Je le défendrai en séance. Je comprends les difficultés qu'il pose, mais les arguments des banques ne sont guère convaincants : même si le coût des contrats peut s'en ressentir, globalement, l'emprunteur fera une meilleure affaire. Il faut faire jouer la concurrence.

M. Philippe Dominati. - Il me semble que, lors du projet de loi sur le crédit à la consommation, un amendement analogue à celui de Philippe Dallier avait été discuté. Il était possible de renégocier l'assurance. La loi sur le crédit à la consommation qui s'annonce comprendra sans doute une disposition similaire. Il serait bon d'harmoniser les dispositifs d'assurance pour les prêts.

M. Richard Yung, rapporteur. - Les conditions proposées lors de la renégociation dépendent de la situation individuelle de l'emprunteur. Les clients à bon risque auront une meilleure prime, les emprunteurs les plus fragiles paieront plus cher. Il faut prendre en compte cette dimension sociale.

M. Philippe Dallier. - Le souscripteur d'un contrat qui a des problèmes de santé supporte dès le départ des coûts d'assurance plus élevés. C'est à lui de chercher un contrat au coût inférieur. Adoptons cet amendement, cela fera évoluer les choses.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 2, 6 rectifié, 18, 37, 43 et 47 rectifié.

M. Philippe Marini, président. - Je rappelle que l'amendement n° 48 a été déclaré irrecevable en application du 5 et du 6 de l'article 48 du règlement du Sénat.

Article 31

M. Richard Yung, rapporteur. - Avec l'amendement n° 26, la publication de l'arrêté au Journal officiel de la liste des fonds et ressources économiques transférés aux mécanismes successeurs du fonds de développement pour l'Irak aurait valeur de quittance. L'arrêté est publié au Journal officiel, pourquoi lui conférer valeur de quittance ? C'est redondant, ou cela relève d'une intention que je ne décèle pas. Avis défavorable.

M. Philippe Marini, président. - Peut-être pouvons-nous demander l'avis du Gouvernement ?

M. Richard Yung, rapporteur. - D'après mes informations, il ne serait pas favorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 26.

La commission adopte les avis suivants :

TITRE Ier BIS

TRANSPARENCE ET LUTTE CONTRE LES DÉRIVES FINANCIÈRES

CHAPITRE Ier. - LUTTE CONTRE LES PARADIS FISCAUX
ET LE BLANCHIMENT DE CAPITAUX

Article 4 bis A

Débat annuel sur la liste des paradis fiscaux

(Supprimé)

Auteur

Avis de la commission

12

M. Éric Bocquet

Défavorable

Article 4 bis

Transparence des activités bancaires pays par pays

Auteur

Avis de la commission

33

M. Pierre-Yves Collombat

Défavorable

41

M. Jean-Vincent Placé

Défavorable

13

M. Éric Bocquet

Défavorable

23

Mme Nathalie Goulet

Défavorable

14

M. Éric Bocquet

Défavorable

15

M. Éric Bocquet

Défavorable

30

M. Pierre-Yves Collombat

Défavorable

CHAPITRE II. - RÉGULATION DU MARCHÉ DES MATIÈRES PREMIÈRES

Article 4 quinquies B

Obligation d'information de détention d'instruments
portant sur des matières premières agricoles

Auteur

Avis de la commission

34

M. Pierre-Yves Collombat

Défavorable

TITRE Ier TER

ENCADREMENT DES RÉMUNÉRATIONS DANS LE SECTEUR BANCAIRE

Article 4 decies

Encadrement de la rémunération des dirigeants des établissements de crédit

Auteur

Avis de la commission

3 rect.

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Avis du Gouvernement

31

M. Pierre-Yves Collombat

Défavorable

32

M. Pierre-Yves Collombat

Demande de retrait

16

M. Éric Bocquet

Demande de retrait

4 rect.

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Demande de retrait

CHAPITRE III. - DISPOSITIONS TRANSITOIRES

TITRE III

SURVEILLANCE MACRO-PRUDENTIELLE

Article 11

Création du conseil de stabilité financière

Auteur

Avis de la commission

35

M. Pierre-Yves Collombat

Défavorable

19

M. Éric Bocquet

Défavorable

25

Mme Nathalie Goulet

Défavorable

TITRE III BIS

ENCADREMENT DES CONDITIONS D'EMPRUNT DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET DE LEURS GROUPEMENTS

Article 11 ter

Encadrement des conditions d'emprunt des collectivités territoriales et de leurs groupements

Auteur

Avis de la commission

24

Mme Nathalie Goulet

Demande de retrait

27

Mme Nathalie Goulet

Demande de retrait

CHAPITRE II. - DISPOSITIONS RELATIVES À L'AUTORITÉ DE CONTRÔLE PRUDENTIEL ET DE RÉSOLUTION

Article 14

Contrôle de l'ACPR sur les instances dirigeantes des entités soumises à son contrôle

Auteur

Avis de la commission

49

Le Gouvernement

Favorable

29 rect.

M. Joël Guerriau

Défavorable

38

M. Albéric de Montgolfier

Défavorable

39

M. Jean Desessard

Défavorable

40

M. Jean Desessard

Demande de retrait

Article 14 bis AAA

Communication d'informations entre l'ACPR, l'AMF et la DGCCRF

TITRE VI

PROTECTION DES CONSOMMATEURS ET EGALITE ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

CHAPITRE Ier. - MESURES DE PROTECTION DES PARTICULIERS
ET DE SOUTIEN À L'INCLUSION BANCAIRE

Article 17

Plafonnement des frais d'incident et offre de services bancaires pour la clientèle
en situation de fragilité

Auteur

Avis de la commission

21

M. Éric Bocquet

Défavorable

45

M. Éric Bocquet

Défavorable

22

M. Éric Bocquet

Défavorable

Article additionnel après l'article 17

Auteur

Avis de la commission

46

M. Éric Bocquet

Irrecevable (article 48 alinéas 5 et 6 du Règlement du Sénat)

Articles additionnels après l'article 17 bis B

Auteur

Avis de la commission

11

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Irrecevable (article 48 alinéas 5 et 6 du Règlement du Sénat)

8

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Irrecevable (article 48 alinéas 5 et 6 du Règlement du Sénat)

9

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Irrecevable (article 48 alinéas 5 et 6 du Règlement du Sénat)

10

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Irrecevable (article 48 alinéas 5 et 6 du Règlement du Sénat)

7

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Irrecevable (article 48 alinéas 5 et 6 du Règlement du Sénat)

CHAPITRE II. - ASSURANCE-EMPRUNTEUR

Article 18

Assurance-emprunteur

Auteur

Avis de la commission

20

M. Éric Bocquet

Défavorable

1

M. François-Noël Buffet

Demande de retrait

5

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Demande de retrait

17

M. Éric Bocquet

Demande de retrait

36

M. Pierre-Yves Collombat

Demande de retrait

42

M. Jean Desessard

Demande de retrait

2

M. François-Noël Buffet

Défavorable

6 rect.

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Défavorable

18

M. Éric Bocquet

Défavorable

37

M. Pierre-Yves Collombat

Défavorable

43

M. Jean Desessard

Défavorable

47 rect.

M. Éric Bocquet

Défavorable

CHAPITRE V. - MESURES DE SIMPLIFICATION

Article additionnel après l'article 21

Auteur

Avis de la commission

48

M. Éric Bocquet

Irrecevable (article 48 alinéas 5 et 6 du Règlement du Sénat)

TITRE VIII

TRANSFERTS D'ACTIFS FINANCIERS

Article 31

Transfert aux mécanismes successeurs du fonds de développement pour l'Irak des avoirs détenus par l'ancien régime irakien sur le territoire français

Auteur

Avis de la commission

26

Mme Nathalie Goulet

Défavorable

Gestion par les services de l'Etat d'informations relatives à la détention d'un compte à l'étranger par un ministre - Communication

Puis la commission entend une communication de M. Philippe Marini, président, sur la gestion par les services de l'Etat d'informations relatives à la détention d'un compte à l'étranger par un ministre.

M. Philippe Marini, président. - Comme je m'y étais engagé lors de notre réunion du 23 avril, je vous présente une communication relative aux contrôles sur pièces et sur place que j'ai effectués au ministère de l'économie et des finances à la suite de la démission du précédent ministre du budget. J'espère clôturer ainsi les investigations que j'ai réalisées. Je ne souhaite évidemment pas faire doublon avec les autres procédures en cours, qu'elles soient fiscales, judiciaires ou devant l'Assemblée nationale. Mon but est d'examiner le fonctionnement de la machine administrative face à un problème de ce type. Le sujet étant sensible, j'éviterai les polémiques inutiles et m'en tiendrai à la froideur des informations administratives.

Je me suis rendu deux fois dans les locaux de la direction générale des finances publiques (DGFIP) : une première fois le 11 avril, en compagnie du président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, M. Carrez ; une seconde fois le 30 mai, plus discrètement, puisque je n'avais informé que le directeur de cabinet de M. Moscovici, le directeur général des finances publiques et le rapporteur général François Marc. Lors de cette deuxième visite, j'ai d'abord posé des questions complémentaires aux représentants des divers services engagés dans la gestion de ce dossier, puis j'ai souhaité avoir accès à la liste des notes transmises par la DGFIP au ministre entre décembre 2012 et mars 2013 ainsi qu'aux correspondances électroniques entre responsables de l'administration et entre ces responsables et le cabinet.

Même si certains des éléments que j'ai recueillis sont couverts par le secret fiscal, ces investigations n'avaient rien de policier : j'ai simplement consulté la liste des notes et balayé, au moyen de quelques mots clés, la messagerie électronique de l'un des fonctionnaires. Mes investigations auraient été plus méthodiques si j'avais, comme la commission d'enquête de l'Assemblée nationale entendu faire la lumière sur des faits. Mon objectif, plus modeste, est de recueillir des éléments sur la manière dont les services du ministère de l'économie et des finances ont géré les informations relatives à la détention d'un compte bancaire à l'étranger par leur ministre de tutelle, afin d'en dégager des enseignements et de formuler des préconisations. Mon information demeure incomplète.

Cette affaire peut être abordée sous trois angles : les relations entre l'autorité politique et l'administration dans la gestion des dossiers individuels ; le fonctionnement de notre réseau de conventions fiscales ; l'articulation entre les procédures fiscales et les procédures judiciaires.

Depuis la démission du ministre Cahuzac et la première de mes visites à Bercy, intervenue huit jours plus tard, le contexte a changé en France, en Europe et même dans le monde : en France, le Gouvernement a présenté un paquet de textes destinés à mieux lutter contre la fraude fiscale ; en Europe et au sein du G20, la lutte contre la fraude fiscale est devenue une priorité, le principe de l'échange automatique d'information étant désormais très largement partagé - nous reviendrons sur ces évolutions lors de notre réunion du 3 juillet avec l'OCDE, la direction de la législation fiscale, ainsi que l'ambassadrice d'Autriche en France.

Je vous renvoie aux comptes rendus des auditions de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale pour le détail des faits. Le 4 décembre 2012, Mediapart publie un article intitulé « Le compte suisse du ministre du budget Jérôme Cahuzac ». Le lendemain, à l'Assemblée nationale, M. Cahuzac nie vigoureusement détenir un tel compte. Le même jour, Mediapart révèle un enregistrement datant de 2000 dans lequel une voix, attribuée à Jérôme Cahuzac, déclare notamment : « Moi, ce qui m'embête, c'est que j'ai toujours un compte ouvert à l'UBS ». La même voix ajoute : « mais il n'y a plus rien là-bas, non ? ». Ces articles évoquent le transfert du compte ou des avoirs vers Singapour.

Les mesures prises à la suite de ces informations par l'administration fiscale semblent désormais bien documentées. A l'initiative du directeur général des finances publiques, une muraille de Chine est mise en place. Le ministre du budget signe le 10 décembre une note par laquelle il demande à ne plus recevoir documents ni informations relatifs à sa situation fiscale personnelle et à la banque UBS. Dès le 11 décembre 2012, en application de cette procédure, une note relative à la banque UBS est adressée à M. Moscovici et non à M. Cahuzac. Le 14 décembre 2012, le pôle gestion fiscale sud-ouest de la direction régionale des finances publiques de la région Île-de-France adresse à M. et Mme Jérôme Cahuzac, en application des dispositions de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, une demande d'identification de comptes bancaires ouverts, clos ou utilisés à l'étranger. La question porte sur les années 2006 à 2012. La réponse doit parvenir « si possible dans un délai de trente jours ». Cette procédure n'est pas contraignante. Le 11 avril, le directeur général des finances publiques nous a indiqué ne pas avoir informé M. Moscovici de sa mise en oeuvre ; il l'a confirmé devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Le 24 janvier 2013, sur instruction de M. Moscovici, le chef du service du contrôle fiscal adresse à son homologue suisse une demande d'assistance administrative. La réponse parvient le 31 janvier. Elle est transmise le lendemain à la police judiciaire.

Alors que, à la suite des révélations de Mediapart, une bonne part de la classe politique fait part de son incrédulité, la DGFIP prend l'affaire au sérieux. Un élément d'explication réside sans doute dans le fait que, à cette date, l'examen de la situation fiscale du ministre Cahuzac n'est pas achevé en raison de la nécessité d'obtenir certaines précisions. Je ne sais pas quelles ont été les informations transmises par la DGFIP à M. Moscovici ou son cabinet : je n'ai pas trouvé de note écrite, ni de courrier électronique dans l'échantillon auquel j'ai eu accès. J'ignore en particulier quand M. Moscovici a été informé du courrier adressé le 14 décembre à M. Cahuzac et lui demandant d'identifier ses comptes ouverts à l'étranger, les avoirs figurant sur ces comptes et le cas échéant les revenus de source étrangère y afférents. Je ne sais pas non plus si M. Moscovici était tenu informé jour après jour de l'absence de réponse du contribuable.

La version officielle consiste à présenter cette procédure, et l'absence de réponse du contribuable dans le délai de trente jours, comme des non-événements : dès lors que M. Cahuzac niait tous les jours publiquement détenir un compte à l'étranger, comment imaginer qu'il fournirait des informations à l'administration fiscale dans le cadre d'une procédure non contraignante ? Selon l'administration, l'objectif de cette procédure était de purger les voies internes afin de rendre juridiquement possible une demande d'assistance administrative à la Suisse.

D'un point de vue administratif, ce raisonnement est convaincant. Il en va différemment sur le plan politique. M. Moscovici a donné instruction d'adresser à la Suisse une demande d'assistance administrative, qui a été transmise le 24 janvier. A cette date au plus tard, il devait donc savoir que les voies de procédure interne avaient été épuisées et que M. Cahuzac s'était abstenu de répondre dans le délai de trente jours.

Si l'on essaie de s'extraire des dates et des procédures, l'on peut penser que le fait que M. Cahuzac n'ait pas, dès réception du courrier le 14 décembre, répondu ou fait répondre qu'il ne détenait aucun compte à l'étranger et ne l'ait pas fait savoir sinon publiquement, au moins à son ministre de tutelle ou au chef du Gouvernement aurait dû constituer une alarme et conduire ces derniers à nourrir des soupçons. Il y a donc, entre la fin janvier et la démission de M. Cahuzac le 19 mars, une période de deux mois pendant laquelle les autorités du Gouvernement disposaient d'éléments sérieux leur permettant de demander des explications à M. Cahuzac et, le cas échéant, d'en tirer les conséquences. Je constate que la décision de M. Cahuzac de quitter le gouvernement n'a pas été l'effet de telles démarches, mais de l'ouverture le 19 mars d'une information judiciaire par le procureur de Paris, faisant suite à une enquête préliminaire ouverte dès le 8 janvier.

Pourquoi le ministre des finances a-t-il décidé de lancer la demande d'assistance administrative à la Suisse alors qu'une enquête préliminaire avait été ouverte le 8 janvier ? Devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, le procureur de Paris a jugé ce procédé inhabituel et l'a critiqué. Cela traduisait-il le souhait de poser des questions dont on pensait que les réponses seraient politiquement utiles ? Cela relevait-il, au contraire, du souhait d'établir la vérité ou bien du désir d'obtenir des éléments qui pourraient alimenter l'examen de la situation fiscale de M. Cahuzac ? Je ne dispose pas sur ce sujet d'éléments me permettant d'affirmer une conviction.

Le 24 janvier 2013, le chef du service du contrôle fiscal, M. Gardette, adresse à son homologue une demande d'assistance administrative en application de l'article 28 de la convention fiscale franco-suisse. Elle concerne le contribuable français Jérôme Cahuzac, l'établissement suisse UBS, les impositions dues au titre de l'impôt sur le revenu en 2010 et 2011 et de l'impôt de solidarité sur la fortune en 2010, 2011 et 2012. La lettre de transmission sollicite également, par dérogation à la convention fiscale et avec l'accord du contribuable et de la banque, une extension de la demande aux années 2006 à 2009, 2006 étant l'année la plus ancienne pour laquelle la prescription ne joue pas encore.

La demande a été minutieusement préparée. Les responsables du contrôle fiscal m'ont indiqué que, compte tenu de l'historique des demandes adressées à la Suisse, ils avaient rédigé la demande en évitant toutes les mentions qui auraient pu permettre aux Suisses de la juger non pertinente. Certains sujets n'ont été tranchés qu'au dernier moment. La volonté affirmée par les services du contrôle fiscal était de tout mettre en oeuvre et d'anticiper tous les arguments et les demandes pour obtenir des Suisses qu'ils acceptent de répondre au-delà de ce que permet la convention. Ils estiment donc qu'ils allaient très loin et que l'obtention d'une réponse constituait en elle-même une victoire.

Le ministre de l'économie et des finances a indiqué qu'il avait personnellement sensibilisé son homologue suisse à l'importance de cette demande. Le directeur général des finances publiques l'a évoquée avec son homologue à la veille de sa transmission. Le chef du service du contrôle fiscal a également été en contact avec son homologue, sans que l'on connaisse la teneur de leurs échanges. Les messages électroniques recueillis laissent penser que des contacts ont eu lieu entre les administrations fiscales, notamment par des conferences calls.

La demande me semble pouvoir être perçue comme restrictive. L'un des grands débats concerne l'interprétation de l'échange de lettres du 11 février 2010 entre la directrice de la législation fiscale française et son homologue suisse. La Suisse n'a accepté le principe de l'échange d'informations en matière fiscale que parce qu'elle était menacée d'être inscrite sur la liste des États non coopératifs. En 2009, le gouvernement suisse fournissait à son Parlement une interprétation restrictive de l'avenant à la convention franco-suisse: « à défaut des indications nécessaires permettant la désignation de la banque en sa qualité de détentrice des informations dans la demande de renseignements, il ne sera pas possible de transmettre les données bancaires ».

Une mention de l'échange de lettres du 11 février 2010 permet une interprétation plus souple de l'avenant, puisqu'il est indiqué que « dans le cas exceptionnel où l'autorité requérante présumerait qu'un contribuable détient un compte bancaire dans l'État requis sans pour autant disposer d'informations lui ayant permis d'identifier avec certitude la banque concernée, elle fournira tout élément en sa possession de nature à permettre l'identification de cette banque ». Cette clause de l'échange de lettres, que notre ancien collègue Adrien Gouteyron avait présentée comme une avancée lorsqu'il était rapporteur de cet avenant, aurait pu être utilisée dans la demande adressée à la Suisse, d'autant que la voix sur l'enregistrement précisait qu'il n'y avait « plus rien » sur le compte UBS dès 2000. Pourtant, pour les responsables du contrôle fiscal, il a dès l'origine été évident que la demande devait se limiter à la seule banque UBS. D'ailleurs, au-delà de l'affaire Cahuzac, cette faculté offerte par l'échange de lettres n'a jamais été utilisée. Je m'en suis vivement étonné.

Dans l'esprit des responsables du contrôle fiscal, il était suffisant de demander aux autorités suisses, au cas où un compte bancaire aurait été identifié mais aurait été transféré vers un autre État, de préciser l'État de destination de ce compte. Pourtant, les réponses adressées par Singapour semblent de meilleure qualité que les réponses suisses et il aurait pu être pertinent d'interroger directement cet État.

Des messages consultés montrent enfin que dans une première version Mme Patricia Cahuzac était aussi visée, ce qui n'est pas le cas dans le texte transmis à la Suisse.

Nous savons aujourd'hui que M. Cahuzac détenait, lorsqu'il était ministre, un compte bancaire à l'étranger. Au-delà des informations non vérifiées parues dans la presse, nous ne connaissons pas encore le circuit de ses avoirs à l'étranger, les dates de leurs différents mouvements ni les montants en cause.

La réponse des autorités suisses aux questions posées le 24 janvier parvient, dans un délai record, le 31 janvier, par fax, à la DGFIP. Elle est négative : M. Cahuzac n'a pas détenu de compte bancaire chez UBS. Un alinéa rendu public par le rapporteur de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale retient cependant immédiatement l'attention : « Au demeurant, la banque a précisé que sa réponse se fonde exclusivement sur les périodes temporelles limitées par la requête des autorités françaises ».

J'ai constaté que les services de la DGFIP, dès réception de la réponse, se sont eux-aussi interrogés sur l'a contrario ainsi ouvert : faut-il déduire de cette mention que la réponse aurait été différente si elle avait porté sur une autre période temporelle ? Dans les semaines qui ont suivi la réception de la réponse, la DGFIP a visiblement continué de faire l'exégèse de cette réponse. A plusieurs reprises, le directeur général lui-même a interrogé ses collaborateurs sur tel ou tel point de la réponse.

L'analyse officielle de cette intrigante mention est désormais qu'il faut l'analyser comme une mention légale standard, un disclaimer comme disent les anglo-saxons.

Pour ma part, il m'a semblé intéressant de comparer la réponse obtenue à cette demande d'assistance aux autres réponses fournies par la Suisse, et à celles fournies par Singapour. Je me suis donc fait communiquer l'ensemble des demandes adressées à la Suisse et à Singapour, ainsi que les réponses obtenues. La réponse obtenue dans l'affaire Cahuzac apparaît d'emblée comme singulière, tant par le délai de réponse très court que par l'insertion, unique, de la formule dont j'ai relevé la bizarrerie. On constate un contraste entre les échanges avec la Suisse et ceux avec Singapour. Les demandes à Singapour, peu nombreuses et toutes très précises, ont reçu des réponses également précises, la teneur de certaines d'entre elles laissant supposer que l'administration fiscale a pu ainsi disposer d'éléments nouveaux pour poursuivre son travail de contrôle.

En revanche, la Suisse répond peu, tard et mal. On peut se demander si une seule réponse de la Confédération a permis à un quelconque contrôle d'avancer. Face à cela, la réaction française semble être restée à un niveau administratif et non politique. J'ai eu accès à des échanges entre administrations fiscales. On en trouve des échos dans certains passages du jaune budgétaire relatif à notre réseau de conventions fiscales : « demeure un problème plus général dans la coopération administrative avec la Suisse, qui a contesté une part importante de nos demandes au motif qu'elles n'étaient pas `vraisemblablement pertinentes' pour l'application de la législation fiscale française, ce qui traduit de sa part une application erronée des standards de l'OCDE ».

De plus, la France n'a jamais essayé d'utiliser l'échange de lettres, pourtant considéré comme une avancée par la partie française négociatrice de l'époque. Il aurait été utile de tester rapidement l'attitude de la Suisse à cet égard et, éventuellement, de faire monter le sujet à un niveau politique. Quoi qu'il en soit, la réponse des Suisses aux 353 demandes effectuées sur UBS doit être considérée comme un test décisif de la volonté de coopérer de cet Etat.

Il est nécessaire de singulièrement renforcer le jaune sur les conventions fiscales, qui doit être beaucoup plus précis d'un point de vue qualitatif et non plus seulement quantitatif, État par État, et préciser le nombre de procédures qui ont pu suivre leur cours grâce à la coopération du partenaire.

Il importe d'appliquer véritablement la législation sur les États et territoires non coopératifs (ETNC) en réintroduisant les partenaires récalcitrants sur notre liste noire. Il faut se féliciter de ce que le ministre des finances ait inscrit dans le projet de loi sur la fraude fiscale une révision des critères de classification des ETNC, en ajoutant, à compter de 2016, celui de l'échange automatique d'information à celui de l'échange sur demande qui est retenu aujourd'hui. Cela étant, il faut s'étonner de ce que la liste de 2013 n'ait toujours pas été publiée, alors qu'elle l'est généralement en avril.

Nous devons faire remonter ces informations au niveau du Forum mondial afin que les États qui ne jouent pas le jeu rejoignent le plus vite possible les listes grise ou noire de l'OCDE ou fassent l'objet de nouveaux examens par le Peer Review Group. Ces examens suscitent en effet souvent des avancées dans les États les plus rétifs à l'échange d'information en matière fiscale.

A la suite de la réponse négative des autorités suisses, le dossier Cahuzac est passé à l'arrière-plan dans les médias, jusqu'à l'annonce le 19 mars de l'ouverture d'une information judiciaire et la démission consécutive du ministre le 19 mars. La procédure judiciaire s'est, elle, accélérée au mois de mars, avec l'envoi à la Suisse d'une demande d'entraide judiciaire le 12, la réception des résultats de l'expertise de l'enregistrement le 18, l'ouverture de l'information judiciaire le 19 et la réponse des autorités suisses quelques jours plus tard. J'ai aussi constaté, sans pouvoir en dire plus, que les services fiscaux continuent de travailler sur ce dossier.

Un prochain chantier pourrait consister à s'intéresser à l'articulation entre les procédures fiscales judiciaires. Cela nous renvoie aux débats que nous aurons lorsque nous examinerons le projet de loi relatif à la fraude fiscale, dont nous nous sommes saisis pour avis. Je tenais à présenter avant que nous n'entamions la discussion de ce projet une communication qui apure les diligences effectuées sur ce sujet, que pour ma part je souhaite refermer.

M. François Marc, rapporteur général. - Je vous remercie pour cette présentation très détaillée et très instructive du contrôle que vous avez effectué et des enseignements que vous en avez tirés sur la nécessité de faire évoluer notre coopération en matière d'échange d'information, notamment avec la Suisse. Je gage que nous nous inspirerons dans les semaines qui viennent de vos suggestions, à l'occasion, entre autres, de l'examen du texte sur la fraude fiscale.

Je retiens de votre présentation que la haute administration de Bercy ne semble pas avoir été instrumentalisée : elle a mené les diligences nécessaires et a opéré dans les conditions les plus satisfaisantes possibles.

Les réactions de l'administration, en tout cas, ne donnent pas lieu de s'inquiéter. Ensuite, M. Moscovici avait-il couvert son collègue ? Les résultats de votre contrôle sont rassurants sur ce point. Le ministre a respecté les étapes. Le reste donne lieu à interprétation politique et les perspectives sur Singapour constituent un autre sujet.

Vos investigations étaient nécessaires : elles nous dotent d'éléments pour mieux répondre aux exigences de l'avenir, et nous rassurent sur la probité du ministre.

M. Albéric de Montgolfier. - Vous vous en êtes tenu aux faits, sans nous livrer d'interprétation. Je comprends que la question posée à la Suisse avait été soigneusement préparée, notamment dans les dates de référence. La question, qui portait sur une période dont les enregistrements nous disaient qu'elle n'était pas concernée, conduisait donc à la réponse. Vous avez dit que de nombreux échanges téléphoniques ou par courriel avaient eu lieu pour préparer la question, que la réponse, très rapide, était venue juste avant le 1er février, date de l'entrée en vigueur en Suisse d'une nouvelle loi sur l'assistance administrative... On prépare autant une question pour avoir la réponse que l'on souhaite. Y a-t-il eu instrumentalisation ? La commission d'enquête nous le dira. La préparation de la question et la rapidité de la réponse, en tout cas, sont anormales.

M. Philippe Marini, président. - La date du 1er février est celle de mise en oeuvre, en Suisse, d'une nouvelle réglementation sur l'entraide administrative, qui est généralement présentée comme autorisant les demandes groupées conforme au standard international. Il faudrait nous documenter davantage pour déterminer si la réponse aurait pu être différente après cette date. C'est une question sérieuse car on ne peut pas ne pas relever cette coïncidence temporelle...

M. François Trucy. - Vous avez bien fait d'enquêter. Un acte de dissimulation fiscale par un contribuable français, fait minuscule, a d'importantes conséquences : ce que certains considéraient volontiers comme un sport national apparaît à présent à tous comme une offense au public. Réjouissons-nous ! Les tâtonnements pour améliorer la morale en politique sont inévitables.

La commission donne acte de sa communication à M. Philippe Marini, président.

Contrôle fiscal des entreprises multinationales - Communication

La commission entend enfin une communication de M. Philippe Marini, président, sur le contrôle fiscal des entreprises multinationales.

M. Philippe Marini, président. - La fiscalité des multinationales est un sujet auquel je m'intéresse de longue date mais qui est aujourd'hui au coeur de l'actualité d'une part, parce qu'il renvoie à la question des conséquences du développement de l'économie numérique sur le niveau des bases fiscales, d'autre part parce que les Etats traversent une crise des finances publiques et, dès lors, ne peuvent plus se permettre d'être passifs face aux « montages fiscaux agressifs » mis en place par les multinationales.

L'enjeu est donc de mettre fin aux pratiques abusives, et ce afin de s'assurer de la pérennité des recettes fiscales et du rétablissement d'une concurrence non faussée. Le maintien d'un haut degré de consentement à l'impôt est également en cause.

Je ne reviens pas sur les travaux en cours au G8 et à l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE). Nous les avons abondamment évoqués lorsque nous avons débattu de ma proposition de loi sur la fiscalité de l'économie numérique et nous y reviendrons le 3 juillet lorsque nous entendrons notamment Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE.

J'ai cependant la conviction que les discussions internationales prospéreront seulement si les États affirment leur volonté politique et mettent en oeuvre, au niveau national, tous les moyens dont ils disposent pour endiguer l'érosion des bases fiscales.

Dans cette perspective, j'ai procédé, au premier semestre de cette année, à une série de contrôles sur pièces et sur place dans les services de la direction générale des finances publiques (DGFiP) en charge du contrôle fiscal. J'ai consulté les dossiers fiscaux de plusieurs groupes multinationaux, appartenant à des secteurs économiques différents - entreprises industrielles ou de services, notamment dans le domaine de l'Internet, etc.. Ces dossiers révèlent les opérations et schémas fiscaux utilisés par les entreprises afin de réduire leur niveau d'imposition en France, mais aussi les difficultés rencontrées par l'administration fiscale dans l'exercice de ses missions de contrôle.

Premier point que je voudrais faire ressortir : les fondements de l'imposition des entreprises multinationales en France sont fragilisés.

Il faut rappeler que les bénéfices réalisés par une entreprise ayant son siège hors de France sont imposables dans notre pays lorsqu'ils résultent d'opérations constituant l'exercice habituel en France d'une activité. En bref, lorsque l'entreprise dispose d'un établissement stable sur le territoire français.

L'enjeu pour le contrôle fiscal consiste donc avant toute chose à établir la réalité d'un établissement stable en France. Pour cela il faut prouver que la filiale française fait l'objet d'une gestion indépendante en France ou que les opérations effectuées sur le territoire français forment un cycle commercial complet.

Avec le développement de l'économie numérique, les critères classiques de l'établissement stable - « des machines et des hommes » - ne sont plus opérants. Par ailleurs, les entreprises adaptent leur structure juridique de manière à ne pas remplir ces critères.

Deuxième point : il est nécessaire de renforcer les moyens matériels et juridiques du contrôle fiscal.

En effet, les instruments des services en charge du contrôle fiscal doivent être continument renforcés afin de s'adapter aux nouvelles pratiques des entreprises et, surtout, à la numérisation des données.

L'article L. 16 B du livre des procédures fiscales (LPF) prévoit un droit de visite et de saisie « en tous lieux, même privés » ; il s'agit de la procédure de visite domiciliaire. Celle-ci doit être autorisée par le juge judiciaire. Ce dispositif, qui a été complété ces dernières années par plusieurs lois de finances, présente en particulier l'intérêt de permettre la saisie de données informatiques.

L'administration fiscale a admis que, par le passé, elle s'était trouvée démunie face à des fraudeurs refusant de communiquer les codes d'accès à leurs données informatiques. C'est la raison pour laquelle, dans le cadre de la dernière loi de finances rectificative pour 2012, a été créée une sanction en cas d'obstacle à la saisie de pièces ou documents sur support informatique.

A titre d'exemple, la presse a révélé, à la fin de l'année dernière, que les agents de l'administration fiscale avaient procédé à une visite domiciliaire dans les locaux de Microsoft France. Lors de cette opération, des données informatiques avaient ainsi été saisies. De fait, l'examen des dossiers sur pièces et sur place donné une relation concrète du déroulement de la procédure.

L'administration s'organise aussi pour améliorer sa connaissance des enjeux, avec notamment la création d'un comité de politique fiscale internationale, associant aussi la direction générale du Trésor, et un comité stratégique de lutte contre la fraude fiscale, auquel participe la DGFiP mais aussi d'autres acteurs tels que les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf).

Néanmoins, le renforcement des moyens et des outils juridiques à la disposition des services du contrôle fiscal n'est pas suffisant et doit être complété par une modification des règles permettant de réprimer les pratiques abusives.

J'en arrive aux conclusions de mes contrôles, qui peuvent se résumer à la nécessité de faire évoluer les règles permettant de réprimer les pratiques abusives.

Les règles relatives aux prix de transfert, tout d'abord.

Il ressort des investigations conduites au cours des derniers mois que le premier levier d'optimisation des entreprises multinationales relève des prix de transfert et de la restructuration d'entreprises. À cet égard, certains groupes transfèrent des fonctions, des risques ou des actifs stratégiques dans des États à faible taux d'imposition, laissant en France des sociétés aux fonctions moins rémunératrices. Pourtant, la réalité économique de ces entreprises demeure généralement inchangée, la rémunération allouée à la France ne correspondant dès lors plus à la richesse qui y est produite.

Face à ces procédés abusifs, l'administration fiscale dispose de l'article 57 du code général des impôts (CGI). Celui-ci prévoit que les prix pratiqués entre entreprises d'un même groupe doivent être identiques à ceux opérés avec une entreprise indépendante. Ce dispositif fonde l'essentiel des redressements effectués s'agissant des grandes entreprises - les montants rappelés étaient de 2 milliards d'euros en 2009 et de 1,4 milliard d'euros en 2010.

Toutefois, il semble que le dispositif prévu par l'article 57 précité ait perdu en efficacité du fait des évolutions de la réalité économique. Tout d'abord, la concentration accrue des entreprises rend plus difficile la comparaison des prix exercés au sein d'un même groupe avec ceux pratiqués entre des entreprises indépendantes. Ensuite, les flux commerciaux portent de moins en moins sur des marchandises, mais concernent principalement des actifs incorporels qui sont facilement délocalisables tout en étant difficiles à évaluer par l'administration fiscale.

Le régime de l'abus de droit, ensuite.

Les pratiques d'optimisation abusives des grandes entreprises peuvent être appréhendées au titre du dispositif de l'abus de droit, précisé à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales (LPF). Si celui-ci n'est pas spécifique aux groupes multinationaux, il présente une grande utilité pour l'administration fiscale en la matière. En effet, depuis sa modification en 2008, la procédure de l'abus de droit permet de sanctionner les montages ayant pour but exclusif d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales en s'appuyant sur une application littérale des textes, mais contraire à l'intention de leurs auteurs. L'adaptabilité de cet instrument a été démontrée lorsque l'abus de droit a permis de réprimer les formes les plus sophistiquées de l'évasion fiscale des grandes entreprises, et notamment l'utilisation de dispositifs hybrides.

Cependant, celui-ci souffre d'une faiblesse majeure : l'administration doit démontrer le but exclusivement fiscal du schéma d'optimisation. Or, dans le cadre d'un montage international, il est rare qu'un groupe ne puisse démontrer l'existence d'un élément économique, aussi secondaire soit-il, faisant ainsi obstacle à l'application de l'abus de droit.

Par conséquent, alors qu'elles constituent des rouages essentiels de la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales des entreprises multinationales, les procédures applicables aux prix de transfert et à l'abus de droit présentent d'importantes lacunes.

C'est pourquoi j'envisage de déposer une proposition de loi faisant évoluer ces deux aspects notre législation :

- concernant les prix de transfert, je proposerai de modifier l'article 57 du CGI, qui a pour objet de lutter contre les transferts anormaux de bénéfices, afin d'introduire une présomption simple de transfert anormal de bénéfices en cas de transferts de fonctions et de risques hors de France. L'entité française conserverait, néanmoins, la possibilité de démontrer que cette renonciation à certaines fonctions est normale, dans la mesure où ce transfert aurait donné lieu à une contrepartie financière équivalente à celle qu'exigerait une entreprise indépendante pour accepter de perdre, de manière définitive, une source potentielle de bénéfices. Elle devrait également justifier, en fournissant les informations relatives à toutes les entités prenant part à ces transactions, y compris celles établies hors de France, le juste niveau de rémunération alloué à chacune d'elles ;

- concernant l'abus de droit, je proposerai de modifier l'article L. 64 du LPF de manière à renforcer la procédure en élargissant son champ d'application aux cas où les actes mis en cause répondraient à un motif essentiellement fiscal - et non plus exclusivement fiscal.

Ainsi, l'abus de droit permettrait de sanctionner les montages ayant pour but essentiel, et non plus exclusif, d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales en s'appuyant sur une application littérale des textes contraire à l'intention de leurs auteurs. La modification proposée reprend les principes posés par l'arrêt « Halifax » (affaire C-255/02) rendu le 21 février 2006 par la Cour de Luxembourg, qui s'appelait alors Cour de justice des Communautés européennes (CJCE).

M. François Marc, rapporteur général. - Merci pour cette très intéressante communication. Nous pourrons utilement, dans les prochaines semaines, prolonger cette réflexion que vous avez engagée à la lumière des travaux du G 20, notamment sur la question des prix de transfert.

En effet, les problèmes que vous avez soulevés rencontrent une préoccupation qui traverse de nombreux pays ainsi que les différentes forces politiques.

J'imagine donc qu'au-delà même de l'examen de la proposition de loi dont vous nous avez annoncé le prochain dépôt, nous serons amenés à accompagner une démarche qui ne se limitera pas à la France. Nous sommes en tout cas au coeur d'un sujet majeur, les pratiques contestables que vous avez relevées s'étant trop développés jusqu'à aujourd'hui.

M. Philippe Marini, président. - Je pense également qu'il y a lieu de poursuivre ce travail. D'ailleurs, dès la semaine prochaine, mercredi 3 juillet, la commission procèdera à une audition conjointe autour du thème de la coopération fiscale internationale face à l'érosion des bases fiscales, laquelle réunira Édouard Marcus, sous-directeur de la direction de la législation fiscale, Ursula Plassnik, ambassadeur d'Autriche en France et Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE. Ce travail de fond est souvent plus productif que certaines auditions spectaculaires...

M. Yann Gaillard. - J'aimerais savoir si nous coopérons avec nos collègues députés sur ces questions.

M. Philippe Marini, président. - J'ai été entendu par la mission d'information de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur l'optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international, dont Eric Woerth est le président et Pierre-Alain Muet le rapporteur. Nous avons alors échangé à propos de nos informations et de nos approches, dont j'ai pu constater qu'elles étaient convergentes.

M. Jean Germain. - Monsieur le président, vous avez évoqué la jurisprudence communautaire dans la fin de votre communication. Mais avez-vous eu connaissance d'une « jurisprudence » qui se dégagerait des accords qu'a pu conclure la DGFiP avec certaines grandes entreprises à l'occasion de contrôles fiscaux ?

M. Philippe Marini, président. - Mon angle d'approche était l'analyse du travail des agents de l'Etat en charge du contrôle fiscal, notamment en fonction de l'actualité, sur les rappels qu'ont récemment eu à subir certaines grandes entreprises. Aussi ai-je souhaité voir au fond de ces procédures et ai-je pu en savoir plus sur le modus operandi de l'administration, au cours de séance très concrètes, ce qui m'a permis de comprendre à la fois l'importance et la difficulté de la tâche. En revanche, je n'ai pas étendu mon examen à la notification, qu'il y ait accord ou contentieux.

A l'issue de mes travaux, je ne prétends donc pas à l'exhaustivité mais simplement à une meilleure vision des stratégies de contournement de certaines multinationales.

M. Philippe Dominati. - A mon tour de vous remercier, Monsieur le président.

Je pense qu'il serait intéressant de connaître le montant des ressources que laissent à l'Etat les multinationales que vous avez évoquées en termes d'impôts indirects. A mes yeux, avec le développement des activités numériques, je pense que la fiscalité directe va s'amoindrir à l'avenir, sans doute en prenant la forme d'une « flat tax ». Soyons conscients, en tout cas, qu'une loi ne peut pallier la concurrence fiscale entre Etat, la marge avec ce que nous appelons « l'évasion fiscale » étant parfois étroite.

En somme, ayons bien en tête que l'installation en France de telle ou telle grande entreprise a nécessairement des retombées en termes d'impôts indirects et en termes d'emplois, parfois très qualifiés. Ne nous en tenons donc pas à la seule fiscalité directe, sur laquelle nous ne sommes pas compétitifs.

M. Philippe Marini, président. - La question est bien celle de l'avenir de l'impôt sur les sociétés, différents concepts pouvant s'affronter sur ce sujet.

Je pense, pour ma part, que le maintien des recettes fiscales assises sur les bénéfices des entreprises constitue un enjeu très fort et pas seulement en France, comme le montrent les débats en Allemagne, au Royaume-Uni ainsi qu'aux Etats-Unis, comme l'a constaté la délégation du bureau qui s'y est rendu début mai. La question du consentement à l'impôt est absolument centrale.

S'agissant de la fiscalité indirecte, j'observe que la réglementation communautaire en matière de commerce électronique prévoit une période transitoire s'étendant de 2015 à 2019. Dans l'attente de cette échéance, le très fort développement de ce type de commerce ne se traduit que par de menues recettes en France, les grandes plateformes s'étant développées dans des pays à faible fiscalité, en particulier le Luxembourg. Je me demande d'ailleurs pourquoi le Gouvernement français n'exprime pas le souhait de raccourcir cette période transitoire, ne serait-ce qu'à titre de principe. Nous devrions nous affirmer là-dessus.

M. Jean Germain. - Vous avez évoqué le dépôt d'une proposition de loi sur l'abus de droit.

A titre personnel, j'aimerais que nous sortions du « concours Lépine » sur le thème « comment faire payer ceux qui viennent investir dans notre pays ? » En tout cas, il serait dangereux d'assimiler systématiquement optimisation fiscale et abus de droit. Ce n'est pas la même chose. D'ailleurs, tant le Conseil d'Etat que la Cour de justice de l'union européenne (CJUE) considèrent que le taux d'imposition maximal ne constitue pas la norme à atteindre par chacun. En revanche, chacun est évidemment tenu de respecter les règles en vigueur. Tel était l'esprit de ma précédente question relative aux transactions entre la DGFiP et les grandes entreprises.

Le sujet est complexe et nous devrions nous « mettre à niveau ». Néanmoins, prenons garde à ce que les entreprises n'imaginent pas que notre politique consiste à pourchasser toute forme d'optimisation fiscale, même légale. Sinon que diront ces entreprises au Président de la République et au Premier ministre quand ceux-ci leur vanteront les mérites de la France comme terre d'accueil de leurs investissements ?

M. Philippe Marini, président. - Pendant ce temps, l'hémorragie peut s'accélérer...

Mais nous pouvons poursuivre nos travaux, par exemple en organisant des auditions sur la notion de l'abus de droit, qui est évolutive et affaire de spécialistes.

La commission donne acte de sa communication à M. Philippe Marini, président.

Jeudi 27 juin 2013

- Présidence de M. Yvon Collin puis de M. Roland du Luart, vice-présidents -

Perspectives des finances publiques - Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

La commission procède à l'audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur les perspectives des finances publiques, conjointement avec la commission des affaires sociales.

M. Yvon Collin, président. - Nous accueillons M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, pour l'entendre, conformément à la tradition, sur le rapport qu'elle prépare, en application de la loi organique relative aux lois de finances, avant le débat d'orientation des finances publiques. Le rapport de la Cour des comptes est opérationnel, car il propose des pistes d'économies budgétaires, et prospectif, en développant différents scénarios d'évolution des comptes sociaux ; il accorde aussi une large place aux comparaisons internationales. Il intervient au moment où les autorités de l'Union européenne ont accordé à la France un délai jusqu'en 2015 pour ramener son déficit sous la barre des 3 % du produit intérieur brut (PIB). Comment concilier l'assouplissement de trajectoire du déficit effectif et le maintien d'une trajectoire exigeante de baisse du déficit structurel ? Quel est votre point de vue sur le débat politique qui émerge sur l'exécution 2013, et en particulier sur l'évolution des recettes ?

M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes. - Chaque année, la Cour des comptes remet au Parlement un rapport public sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui livre une analyse, à la fois rétrospective et prospective, de la situation des finances publiques de l'ensemble des administrations publiques (Etat, Sécurité sociale, collectivités territoriales) dont les dépenses représentent 56,6 % de la production nationale en 2012. Ce rapport, destiné à assister le Parlement dans son débat de juillet sur l'orientation des finances publiques, s'adresse aussi au citoyen. La Cour joue ainsi un rôle de vigie indépendante en matière de finances publiques.

Chaque année, ce rapport s'enrichit. L'an dernier, des développements détaillés sur la situation des finances publiques au moment de l'alternance avaient été ajoutés, en réponse à une demande du Premier ministre. Cette année, la Cour a attentivement examiné la situation des finances publiques à mi-année pour déterminer les risques pesant sur la fin de la gestion 2013. Il nous semble qu'il est de notre mission d'apporter au Parlement une analyse la plus complète possible sur le sujet avant que ne s'engage le débat d'orientation sur les finances publiques. La Cour relève à cet égard que les informations qui lui ont été transmises par le ministère des finances ont été moins complètes que l'an dernier.

La France a engagé depuis 2011 l'indispensable redressement de ses déficits publics. Des premiers résultats ont été obtenus. La moitié du chemin a bien été parcourue. Pour autant, si l'atonie de la croissance doit être naturellement prise en compte dans le calendrier du rééquilibrage de nos comptes, les efforts ne doivent en aucune manière être relâchés. La seconde moitié du chemin reste à parcourir et, selon les propres engagements du Parlement et du Gouvernement, elle doit consister, de façon quasi-exclusive, en un effort de réduction du poids de la dépense publique. Cela implique en 2014 et 2015 d'importantes réformes qui devront concerner tous les acteurs publics, et permettre de résorber en priorité les déficits des régimes de sécurité sociale. Tel est le message essentiel de ce rapport.

Depuis de nombreuses années la Cour prône une rupture avec plus de trois décennies de déséquilibre des comptes publics, qui ont conduit la dette, chaque année, à s'accroître pour atteindre 90,2 % du PIB fin 2012, alors que ce ratio était deux fois moindre en 1993 (46 %). Cet appel à un retour à l'équilibre structurel des comptes publics ne repose pas sur le seul attachement formel à des comptes à l'équilibre.

La souveraineté de la France, tout d'abord, est en jeu. Aussi longtemps que notre pays aura une dette élevée, il sera exposé au risque d'une hausse des taux d'intérêts. Jamais le niveau des taux n'a été aussi bas que ces derniers temps ; leur remontée, plus ou moins forte et rapide, est inéluctable ; on observe d'ailleurs, depuis quelques jours, la réapparition de tensions sur les marchés obligataires et un relèvement des taux lié aux perspectives de resserrement de la politique monétaire américaine. Si les taux augmentent d'1 %, la charge des intérêts pour l'État augmente de 2 milliards d'euros l'année suivante et de plus de 12 milliards d'euros au bout de dix ans. Le risque d'un emballement de la dette est réel et peut remettre en cause la souveraineté des Etats concernés. Notre pays a commencé à redresser sa crédibilité en matière de finances publiques, après une dizaine d'années de non-respect de ses engagements ; cette crédibilité reste fragile et doit encore être confortée. L'absence de redressement aurait un effet négatif plus important encore sur l'activité que celui des mesures de redressement. Il serait sanctionné par un alourdissement brutal des charges d'intérêt qui obligerait à mettre en place des politiques très restrictives.

Le retour à l'équilibre structurel des comptes contribuera, en outre, à rétablir la compétitivité de l'économie française. La charge d'intérêts des administrations publiques a atteint 52,2 milliards d'euros en 2012, plus du double de l'effort budgétaire consacré à la recherche et à l'enseignement supérieur. Elle retire à notre pays d'importantes marges de manoeuvre pour relever sur le moyen et long terme son potentiel de croissance. En s'attaquant aux déficits publics, on se donne les moyens de pouvoir remédier à terme au second déficit majeur dont souffre la France, son déficit de compétitivité.

Enfin, le stock de dette accumulé pose de façon croissante une question d'équité entre les générations. La plus grande partie de la dette accumulée correspond en effet très largement à des dépenses de fonctionnement et de transferts sociaux et non à des dépenses d'investissement qui auraient contribué à préparer l'avenir. Dès lors, rien ne justifie que leur charge soit transférée d'une génération sur l'autre.

Ainsi ce sont avant tout des considérations touchant à son intérêt national qui doivent conduire la France à redresser ses comptes publics, et non une contrainte venant de l'extérieur, même si celle-ci n'est pas sans réalité. Comme les mesures de redressement ont un effet négatif à court terme sur l'activité économique, la Cour considère qu'il est logique de viser des objectifs de déficit structurel, corrigé des effets des variations conjoncturelles de l'activité, parallèlement aux objectifs de déficit effectif. S'en tenir à ce seul dernier objectif obligerait à prendre des mesures de redressement, au fur et à mesure que les prévisions de croissance sont revues à la baisse, en ignorant l'effet négatif que ces mesures peuvent avoir sur la situation économique, effet d'autant plus accentué que les pays voisins conduisent de façon concomitante le redressement de leurs comptes.

Le traité européen du 2 mars 2012 prévoit que les engagements des différents Etats en matière de finances publiques sont exprimés en termes de solde et d'effort structurel, notions familières à la Cour, qui raisonne, depuis plusieurs années déjà, en termes de déficit structurel. Toutefois le Pacte de stabilité européen, mis en place au moment de l'entrée en vigueur de la zone euro, continue de reposer principalement sur des critères de solde effectif. Cette notion garde toute sa pertinence dans l'analyse des finances publiques car c'est le niveau du déficit effectif qui détermine l'accumulation de dette nouvelle. Les raisonnements en termes de déficit structurel et effectif sont complémentaires, le premier améliore le pilotage des finances publiques en assurant un meilleur dosage dans le temps des efforts de redressement, et le second permet d'en mesurer les résultats.

La Cour estime que la moitié du chemin de retour vers l'équilibre structurel a été parcourue. En 2010, plus des deux tiers du déficit public étaient indépendants de la crise et présentaient un caractère structurel. Le déficit structurel était alors d'environ 6 % du PIB. Il s'est réduit pour atteindre 4 % fin 2012 et devrait encore se réduire significativement en 2013.

J'en viens à l'analyse de l'année passée. L'effort de redressement des comptes a été très significatif en 2012. L'effort structurel, c'est-à-dire la somme des mesures nouvelles en recettes et de maîtrise des dépenses, a représenté 1,1 point de PIB, un niveau jamais atteint depuis les années 1995 et 1997, au moment de la qualification pour l'euro. Cet effort a été obtenu, en quasi-totalité, par des hausses de prélèvements obligatoires. Le rythme de croissance des dépenses publiques a été ralenti par rapport à la moyenne des années précédentes, pour atteindre 1 % en volume, c'est-à-dire en plus de l'inflation. L'objectif d'une croissance limitée à 0,4 % en volume n'a pas été tenu. Si les normes de dépenses de l'État ont été respectées, ainsi que celles concernant la sécurité sociale, la croissance des dépenses des collectivités territoriales a été plus rapide qu'anticipé, en particulier en matière de dépenses de fonctionnement.

Toutefois, cet effort structurel important ne s'est traduit que par une réduction limitée du déficit public, qui est passé de 5,3 % du PIB en 2011 à 4,8 % en 2012, en raison d'une nette dégradation de la conjoncture. La croissance était de 2 % en 2011 et a été nulle en 2012. La situation fin 2012 demeure préoccupante pour deux raisons principales : tout d'abord que le niveau de déficit est encore très éloigné de celui qui aurait permis de stabiliser la dette, soit 1,3 % du PIB. Dès lors, la dette a continué d'augmenter sur un rythme soutenu, puisqu'elle est passée de 85,8 % du PIB à 90,2 % en un an. Ensuite, malgré l'effort accompli, le déficit de la France se situe toujours au-dessus de la moyenne des pays de la zone euro, qui est de 4 % et de la moyenne de l'Union européenne, qui est de 3,7 %. En effet les autres pays ont consenti, dans la même période, un effort au moins équivalent à celui de la France. Elle n'a donc pas pu rattraper son retard relatif. Le déficit structurel de la France, ramené à 4 %, demeure deux fois plus important que celui de la zone euro, à 2,1 %. L'Italie a ramené son déficit structurel à 1,4% du PIB. L'Allemagne, quant à elle, est parvenue à dégager un excédent structurel. Dès lors, les trajectoires d'endettement de la France et de l'Allemagne continuent de diverger, la première augmentant le niveau de sa dette pendant que la seconde le réduit.

Ainsi, si notre pays a réduit son déficit structurel, ses finances publiques sont encore loin d'être assainies. Le niveau du déficit demeure très important : il représentait fin 2012 près de 100 milliards d'euros et 8,5 % des dépenses publiques : un mois de dépenses est financé par l'emprunt.

En 2013, l'effort de redressement programmé a été amplifié, pour atteindre 1,9 point de PIB. L'objectif de déficit public fixé à 3 % en loi de finances initiale a été révisé en avril dans le programme de stabilité à 3,7 %. Il pourrait néanmoins être assez sensiblement dépassé. La Cour a évalué le risque sur le produit des recettes et le niveau des dépenses.

S'agissant des recettes, deux formes de risques ont été identifiées. La première porte sur les prévisions de croissance du PIB. Le programme de stabilité table sur une croissance de 0,1 %, prévision qui demeure fragile. Si la dernière prévision de l'INSEE, moins pessimiste que celle de l'OCDE, se réalise, soit une diminution du PIB de 0,1 %, 2 milliards d'euros de recettes manqueront. Le déficit serait alors accru de 0,1 point de PIB. La seconde forme de risque concerne les hypothèses techniques dites d'élasticité, qui mesurent la façon dont le produit des recettes varie en fonction de la croissance. Or ces hypothèses avaient été surestimées dans le projet de loi de finances pour 2013. Elles ont été en grande partie révisées dans le programme de stabilité, mais des fragilités demeurent. Ainsi, la prévision de TVA suppose que les facteurs qui ont provoqué la baisse du produit de cet impôt en 2012 ne joueront pas en 2013. Hors révision de la croissance économique, les risques sur le produit des recettes pourraient atteindre jusqu'à 6 milliards d'euros, soit 0,3 point de PIB.

Selon la Cour, les objectifs de dépenses apparaissent réalisables. Elle a identifié, sur le champ de la norme en valeur, des risques de dépassement d'un ordre de grandeur habituel, soit entre 1 et 2 milliards d'euros, que les redéploiements et annulations de crédits peuvent couvrir. En 2012, 3,7 milliards d'euros avaient été annulés en cours de gestion. Au-delà de ces risques habituels, il convient de souligner l'importance de l'aléa que constitue le prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne, qui pourrait être majoré d'1,8 milliard d'euros. En sens inverse, des économies pourraient être constatées sur la charge d'intérêts de la dette. Dans le domaine social, si le rythme actuel de la dépense de soins observée se prolonge, les dépenses pourraient être inférieures de 500 millions d'euros à l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) voté, compensant, au moins pour partie, les risques qui s'attachent à une sous-estimation des dépenses des collectivités territoriales. L'objectif d'une croissance des dépenses publiques dans leur ensemble limitée à 0,9 % en volume, après 1 % en 2012, apparaît, sur la base des informations actuellement disponibles, atteignable.

Au total, la Cour considère que le nouvel objectif de déficit de 3,7 % du PIB retenu dans le programme de stabilité risque d'être dépassé en raison de prévisions de recettes qui demeurent trop optimistes. Il ne faut pas exclure l'hypothèse d'un déficit effectif se situant autour de 4 % du PIB.

Compte tenu de l'ampleur de l'effort programmé et de l'atonie de la croissance économique en 2012 et en 2013, la Cour considère qu'il n'y a pas lieu d'envisager des mesures de rééquilibrage en cours d'année. Elle prolonge en cela le raisonnement de nature structurelle qu'elle avait tenu à l'occasion du rapport public annuel de février dernier. En revanche, il convient que l'effort programmé, le plus important de l'histoire budgétaire récente, soit entièrement réalisé. La plus grande vigilance doit être portée au strict respect des objectifs de dépense.

La même logique de prise en compte de la conjoncture conduit à décaler dans le temps des objectifs de déficit effectif. Le programme de stabilité établi par le Gouvernement prévoit un déficit public inférieur à 3 % en 2014. En réalité, en reprenant les efforts structurels prévus dans le programme de stabilité, soit 1 point de PIB en 2014 et 0,6 point en 2015, mais en retenant des hypothèses plus prudentes en matière de croissance économique et de dynamique des recettes, ce ne serait qu'en 2015 que le déficit public serait ramené à 3 %. Cette analyse rejoint la proposition de recommandation formulée fin mai par la Commission européenne, sur le point d'être adoptée par le Conseil de l'Union européenne. Ce report de deux ans met en évidence le caractère déjà en partie dépassé du programme de stabilité d'avril. Plus fondamentalement, les trajectoires de soldes effectif et structurel de la loi de programmation des finances publiques apparaissent aujourd'hui en décalage manifeste, tant avec les résultats de l'exercice 2012 qu'avec les prévisions du programme de stabilité, en particulier pour 2013. Ces écarts posent la question d'une mise à jour de la loi de programmation qui doit constituer la référence principale en matière de conduite et de surveillance des finances publiques. Le desserrement du calendrier n'autorise aucun relâchement de l'effort structurel de réduction du déficit. L'effort programmé pour 2014 et 2015, soit 1,6 point de PIB au total, s'il est moins important que celui de la seule année 2013, représente une exigence forte, car il est prévu qu'il porte à 80 % sur les dépenses publiques, conformément aux objectifs fixés par le Gouvernement pour rester sur la trajectoire qu'il a tracée et sur laquelle le Parlement s'est prononcé en avril. Ce choix de privilégier désormais le levier des dépenses va dans le sens des préconisations de la Cour depuis plusieurs années. Il représente une rupture par rapport aux années passées, pendant lesquelles le redressement avait été réalisé, en quasi-intégralité, par des mesures de recettes nouvelles. En conséquence, le taux de prélèvements obligatoires a atteint 45 % du PIB en 2012, le niveau le plus élevé jamais atteint. Cette hausse, qui devrait se prolonger en 2013, s'est accompagnée d'une forte instabilité fiscale. Dans un contexte de concurrence entre Etats et de déficit de compétitivité et d'attractivité de notre territoire, il serait contreproductif d'augmenter encore sensiblement ce niveau. Le Gouvernement prévoit un freinage accentué de la dépense publique, dont la croissance en volume serait limitée à 0,4 % en 2014 et à 0,2 % en 2015. En dépit de ce freinage, le programme de stabilité prévoit des mesures significatives de hausse des prélèvements obligatoires à hauteur de 12 milliards d'euros, dont 5 milliards d'euros correspondraient à une compensation de la baisse du rendement de certaines mesures passées et 7 milliards d'euros à un surcroît net de recettes. La Cour estime que ces mesures devraient concerner surtout la sécurité sociale. Ces 7 milliards de mesures nouvelles en recettes en 2014, suivies par une stabilisation en 2015, sont à rapprocher des 33 milliards d'euros votés en 2013, aux 22 milliards d'euros en 2012 et aux 18 milliards d'euros en 2011. Elles devraient en priorité passer par une réduction du coût des niches fiscales et sociales.

Pour réaliser l'effort programmé, d'importantes économies sur la dépense publique devront être dégagées: 13 milliards en 2014, puis 15 milliards en 2015. Cependant, à ce stade, les réformes permettant une réduction du poids de la dépense publique ne sont, pour la plupart, qu'esquissées. La Cour estime que cette réduction est réalisable, si l'on agit rapidement. Prendre des mesures ayant un impact significatif dès aujourd'hui évitera de devoir prendre des mesures plus drastiques demain. Aucun acteur de la dépense publique ne doit par principe être écarté de la participation à l'effort. Les services de l'État et l'assurance maladie, pour lesquels les outils de pilotage de la dépense sont les plus développés, ont subi ces dernières années une contrainte plus forte que les autres acteurs, en particulier les opérateurs de l'État et les collectivités territoriales. Tous les acteurs sont concernés, toutes les formes de dépenses également. La maîtrise de la masse salariale est indispensable. Des économies sur les dépenses d'intervention, c'est-à-dire les subventions et les prestations sociales sont d'autant plus essentielles qu'elles représentent plus de la moitié de la dépense publique et qu'elles ont été peu concernées par les mesures prises jusqu'ici, notamment dans le cadre de la RGPP.

La maîtrise des dépenses passe par des réformes de fond. L'effort à venir est une occasion de rompre avec une culture qui met trop l'accent sur les moyens et pas assez sur les résultats obtenus. La France occupe en 2012 la deuxième place parmi les pays de l'OCDE en matière de dépenses publiques dans le PIB, avec 56,6 %, et se rapproche du Danemark qui occupe la première place. Mais notre pays figure bien plus rarement parmi les premiers lorsque les résultats de ses politiques publiques sont mesurés notamment pour le logement, la formation professionnelle, l'éducation nationale. Trop souvent en effet, le réflexe, lorsqu'il s'agit de régler un problème consiste à apporter des moyens nouveaux. Des dispositifs s'ajoutent aux anciens sans que ces derniers ne soient supprimés. De nombreux dispositifs sont peu suivis ; or, leur étude révèle souvent qu'ils sont insuffisamment ciblés. La tolérance envers ces effets d'aubaine, pour peu que l'objectif principal soit à peu près atteint, a longtemps empêché un nécessaire travail de rationalisation. La multiplication d'acteurs publics, dont les compétences se recoupent souvent, est en elle-même une source de dépenses. Il existe incontestablement d'importantes marges de progrès pour améliorer la performance des politiques publiques et des organismes publics, sans remettre en cause la qualité du service rendu ni les principes du modèle social français. Faire aussi bien, voire mieux, est possible, en dépensant moins. La démarche de recherche d'économies doit être comprise et utilisée comme une opportunité pour initier des réformes plus profondes, touchant à l'adaptation et à la modernisation des politiques publiques. La Cour a montré le mois dernier qu'une révision profonde des modes de gestion des enseignants améliorerait les résultats du système scolaire et répondrait mieux aux attentes des enseignants que la variation des effectifs. Elle a livré en janvier un rapport sur les politiques relatives au fonctionnement du marché du travail mettant en évidence que les dispositifs existants, d'indemnisation du chômage ou de formation professionnelle, ne bénéficiaient que peu à ceux qui en avaient le plus besoin. D'autres rapports de la Cour illustrent le contenu qui peut être donné à des réformes de fond : l'organisation des forces de sécurité, la politique en faveur du sport, les musées, le service de santé des armées, la psychiatrie, les services d'incendie et de secours, etc. Pour faciliter l'acceptation des choix, et réussir dans la conduite du changement, il est préférable que ces réformes structurelles résultent d'un diagnostic aussi partagé que possible. Pour cela, l'outil à privilégier est l'évaluation des politiques publiques, à laquelle concourent le Parlement, la Cour des comptes mais aussi le Gouvernement, par la démarche de modernisation de l'action publique, la MAP. Il est essentiel que les travaux engagés dans le cadre de la MAP aboutissent. Le retard pris dans la mise en place de ces réformes structurelles, le fait que la révision générale des politiques publiques (RGPP) n'apporte plus de nouvelles économies et l'ampleur des efforts à réaliser en 2014 et 2015 rendent nécessaire, à court terme, la mise en place de mesures transversales de freinage de la dépense publique, comme le gel de la valeur du point dans les fonctions publiques ou une moindre progression de l'ONDAM. Cela peut passer également par une moindre revalorisation de certaines prestations sociales, à l'exception des minima sociaux comme le minimum vieillesse ou le revenu de solidarité active. Ces revalorisations inférieures à l'inflation ou modulations pourraient concerner les pensions de retraite, les prestations familiales ainsi que les aides au logement. Pour préserver les retraités les plus modestes, cette mesure pourrait être modulée en fonction du niveau total des pensions perçues.

De telles mesures transversales produisent des effets rapides et substantiels. Elles seront d'autant mieux admises qu'elles seront temporaires et limitées, dans l'attente des indispensables réformes structurelles. Les décideurs doivent définir des priorités, effectuer des choix explicites, améliorer le ciblage de dispositifs qui touchent un trop large éventail de bénéficiaires, reconsidérer des politiques publiques qui n'atteignent pas leurs objectifs ou le font à un coût trop élevé. A cette fin, la Cour livre dans la cinquième partie de ce rapport un éventail de réformes possibles susceptibles de contribuer à la maîtrise des dépenses. Pour l'État, sont suggérées notamment un ciblage plus pertinent des dispositifs d'aide à la presse, d'aide aux buralistes, de certaines aides au logement ou de certaines dépenses dans le secteur de la formation professionnelle continue. La poursuite de la professionnalisation de la politique des achats de l'État entraînerait des économies substantielles. Sur la seule maintenance des équipements militaires, la Cour avait identifié 300 millions d'euros d'économies potentielles. Les coûts de gestion des services de l'État pourraient être encore allégés, par exemple en modernisant la gestion des pensions ou celle de l'impôt.

L'organisation des services déconcentrés de l'État peut encore être améliorée ; la Cour avait cité en janvier 2012 l'exemple des sous-préfectures. Elle livrera prochainement un rapport sur l'organisation d'ensemble des services territoriaux de l'État. L'organisation des services à l'étranger présente également des marges d'amélioration.

La maîtrise de la masse salariale de l'État, qui représente le tiers de ses dépenses, constitue naturellement un enjeu central. A effectifs constants, de nombreux facteurs contribuent à la hausse tendancielle de la masse salariale, estimée à 1,3 milliard d'euros. Il s'agit notamment des mesures catégorielles et de l'effet des avancements, appelé GVT positif. Pour tenir les objectifs de dépenses, le Gouvernement a prévu de limiter l'accroissement de la masse salariale à 300 millions d'euros par an à effectifs stables. Cela suppose de mener une politique salariale très rigoureuse qui combine le gel du point de la fonction publique ou une très faible revalorisation de celui-ci, une réduction importante des mesures catégorielles et un ralentissement des déroulements de carrière. Une telle option risque ainsi de priver l'État d'une grande partie des leviers d'une politique dynamique de gestion des ressources humaines. D'autres leviers peuvent être actionnés, notamment une réduction limitée des effectifs. La Cour présente plusieurs scénarios ; parmi ceux-ci figure par exemple le non-remplacement d'un départ à la retraite sur six, soit une réduction d'effectifs de 10 000 emplois à temps plein. Une telle réduction pourrait s'accompagner d'une augmentation de la durée effective du travail des agents, afin de limiter les conséquences sur la qualité des services publics rendus. Ces orientations valent également pour les fonctions publiques territoriale et hospitalière.

Les régimes de protection sociale doivent d'autant plus contribuer à la maîtrise des dépenses que leurs comptes s'inscrivent dans des perspectives non soutenables.

Les projections de la Cour, fondées sur les hypothèses actualisées du programme de stabilité et, pour les années suivantes, sur des hypothèses d'évolution de la masse salariale équivalentes à celles connues au cours des douze dernières années, font apparaître une dégradation de près de 10 milliards d'euros du solde du régime général de la sécurité sociale à l'horizon 2017. A politique inchangée, le régime général serait constamment déficitaire d'ici 2030, y compris la branche maladie. Le déficit de l'ensemble du système de retraite, d'1,6 % du PIB en 2030, serait plus élevé que celui envisagé par le Conseil d'orientation des retraites. Ces perspectives appellent des mesures de redressement rapides pour prévenir les déficits à venir, et des réformes plus structurelles pour contenir la croissance spontanée des dépenses.

Une réforme des modalités d'organisation et de prise en charge des transports sanitaires, ou une simplification du régime des indemnités journalières pour congé maladie entraîneraient des économies. S'agissant des retraites, plusieurs possibilités sont sur la table, comme la limitation des avantages familiaux accordés aux retraités, notamment la majoration de 10 % des pensions pour avoir élevé trois enfants, ou la réduction du coût de certaines niches sociales bénéficiant aux retraités. La Cour a aussi identifié la possibilité d'économiser un milliard d'euros dans les dépenses de personnels et de gestion administrative des caisses de sécurité sociale.

Enfin, les collectivités territoriales ont à participer à l'effort, leurs dépenses non liées aux transferts de compétences s'étant fortement accrues au cours des dernières années. La loi de programmation des finances publiques a prévu une stabilisation, puis une réduction d'une partie des concours financiers de l'État, qui représentent le quart des ressources des collectivités. Il convient de veiller à ce que cette diminution ne s'accompagne pas d'une hausse symétrique des impôts locaux. Un mécanisme de redistribution des ressources entre collectivités permettrait de ne pas pénaliser les plus fragiles. L'État pourrait accompagner cet effort d'une démarche de réduction du coût des normes qu'il leur impose. De nombreuses pistes d'économies existent pour les collectivités. Les mutualisations permises par le développement de l'intercommunalité sont encore loin d'avoir produit tous leurs effets bénéfiques. La masse salariale - effectifs, mesures catégorielles et déroulements de carrière - doit être mieux maîtrisée : elle a augmenté de 3,3 % en 2012 contre 2,4 % en 2011, alors que l'État a quasiment stabilisé cette dépense. La rationalisation de la gestion du patrimoine des collectivités, dont l'entretien coûte chaque année 3 milliards d'euros, dégagerait d'importantes économies. Certains postes de dépenses sont susceptibles d'être sensiblement réduits, comme la publicité et les relations publiques, pour 1,5 milliard d'euros.

Ainsi les réformes à venir constituent une opportunité pour moderniser l'action publique, clarifier des rôles tenus par chacun, évaluer des dispositifs pour mieux les cibler. Le redressement est possible sans les mesures drastiques d'austérité que d'autres pays ont parfois mises en place (fortes diminutions de prestations sociales ou de rémunérations). Cela suppose d'agir rapidement et de faire en sorte qu'aucun acteur ne soit exonéré de l'exigence collective d'un usage efficace et proportionné des moyens publics dont il dispose. Il appartient aux représentants du suffrage universel de définir ces choix, à partir de leurs objectifs et priorités. La Cour cherche à formuler des propositions pour que notre pays parcoure la seconde moitié du chemin du redressement des comptes qui reste devant lui et comble son déficit de compétitivité. Le sens final de cette action est le relèvement de la croissance de demain et la garantie de la cohésion sociale de notre pays.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. - Votre analyse contribue à éclairer le Parlement dans la perspective du débat d'orientation des finances publiques et de l'examen de la loi de règlement.

Avez-vous d'ores-et-déjà identifié des risques de dépassement des plafonds de crédits dans certaines missions, en raison de sous-budgétisations ou en raison de décisions coûteuses qui nécessiteraient un pilotage rigoureux ?

Quelle pourrait être l'incidence, sur la trajectoire des finances publiques, de la décision de Bruxelles d'accorder à la France un délai pour ramener son déficit sous la barre des 3% ? L'objectif demeure de revenir à l'équilibre en 2017.

La Cour des comptes regrette l'absence d'une gouvernance adaptée aux engagements européens qui couvre l'ensemble des administrations publiques et des collectivités territoriales. Quelles évolutions suggère-t-elle s'agissant de la structuration et de l'articulation des textes financiers ?

Enfin beaucoup souhaitent réduire les niches fiscales. Quelle méthode préconisez-vous : le rabot ou une baisse sélective ?

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - La Cour des comptes souligne la gravité de la situation des finances publiques ; les perspectives sont inquiétantes, notamment pour les finances sociales.

Que pensez-vous des mesures de réforme de la politique familiale annoncées, notamment de la baisse de 25 % du plafond du quotient familial ? Ces mesures seront-elles suffisantes pour rétablir l'équilibre de la branche Famille ?

Concernant les retraites, sur quelles variables joueriez-vous pour rétablir l'équilibre du régime général : taux de remplacement, âge de départ, indexation des pensions ?

La Cour présente différents scenarios d'évolution des comptes des différentes branches du régime général : dans le pire scénario l'évolution de la masse salariale retenue, variable essentielle dans la définition du niveau des produits du régime général, est de 3,1 %, alors que le taux moyen ces dernières années est de 1,5 %. Ce ralentissement implique-t-il une baisse tendancielle des produits de la Sécurité sociale ces prochaines années?

M. Didier Migaud. - Je ne saurais vous répondre sur les risques de dépassement par missions. Les services de Bercy ne nous ont pas fourni des informations aussi détaillées que l'an passé, le Gouvernement ayant considéré qu'il n'avait pas demandé un audit. Pourtant ce rapport est avant tout destiné au Parlement et un éclairage sur l'exécution en cours d'année est précieux.

M. Jean Arthuis. - Y a-t-il eu rétention d'information ?

M. Didier Migaud. - Les services de Bercy n'ont pas fait preuve de la même disponibilité que l'an passé.

M. Jean Arthuis. - Dissimulation !

M. Didier Migaud. - Espérons simplement que l'an prochain nous pourrons travailler dans de meilleurs conditions. Les risques que nous avons identifiés sont les mêmes que ceux que nous identifions chaque année - sous-budgétisation et dépassement de crédits. Ils représentent un à deux milliards d'euros. La réserve de précaution ou les gels de crédits décidés en loi de finances apparaissent suffisants pour y remédier. La seule interrogation concerne le prélèvement sur recettes pour l'Union européenne.

Les risques les plus importants se situent du côté des recettes. D'une part le calcul du Gouvernement est optimiste, d'autre part la croissance risque de ne pas s'élever à plus 0,1 %, comme prévu, mais plutôt à moins 0,1 % selon l'Insee. C'est pourquoi nous anticipons un déficit proche de 4 %, et non de 3,7 %, en 2013.

En reportant de deux ans de l'objectif de ramener le déficit sous la barre des 3 %, Bruxelles a tenu compte du principe de réalité et de la croissance atone. Mais cela ne signifie pas qu'il faille relâcher les efforts. La Cour des comptes ne considère pas que des efforts supplémentaires par rapport au programme de stabilité soient nécessaires mais juge qu'il convient de préciser les mesures qui seront prises pour réduire les dépenses en 2014 et 2015. Jusque-là l'effort a consisté en des hausses d'impôts. Le Gouvernement souhaite faire porter l'effort sur une réduction des dépenses structurelles, qui représentera deux tiers de l'effort en 2014, 80 % en 2015. Nous appelons de nos voeux ces mesures structurelles. D'ici-là des mesures immédiates de freinage des dépenses ou de modulation s'imposent : rabot, gel du point des fonctionnaires, etc. Plus les mesures structurelles seront prises tôt, plus les mesures de freinage de la dépense seront temporaires.

Aucun instrument équivalent à la loi de finances ou de financement de sécurité sociale ne retrace les objectifs et les engagements financiers des collectivités territoriales. Selon la Constitution, les collectivités territoriales s'administrent librement dans le respect des lois qui les réglementent. L'État dispose néanmoins de moyens d'action. La loi de programmation évoque un pacte de confiance et de responsabilité entre l'État et les collectivités territoriales ; il est essentiel de parvenir à un engagement contractuel de maîtrise des dépenses. L'État peut aussi modifier le niveau des dotations mais il ne doit pas augmenter les charges des collectivités territoriales par des transferts de compétence non compensés ou en imposant de nouvelles normes.

Concernant les niches fiscales ou sociales, au rabot ou au forfait, nous préférons une méthode sélective fondée sur une appréciation du rapport entre le coût et l'efficacité de chaque dispositif. Il faut développer l'évaluation. Nous proposons également de diminuer les niches dont les bénéficiaires sont aisés, comme les crédits d'impôts pour frais de garde, ou les dispositifs d'investissement outre-mer, peu efficaces et qui s'apparentent à des mécanismes d'optimisation fiscale.

Nous avons mentionné aussi la CSG des retraités au-delà d'un certain niveau de retraite, l'exonération d'impôts au profit des arbitres et des juges sportifs, l'exonération d'impôt sur le revenu pour les apprentis - qui est inopérante pour les apprentis d'origine modeste, puisqu'ils sont déjà non imposables -, l'abattement de 10 % pour frais professionnels des retraités, qui peut être progressivement ajusté, la différence de traitement, difficile à comprendre, entre les contrats collectifs de santé et de prévoyance, soumis à une taxe de 8 %, et la participation et l'intéressement qui sont taxés à 20 %. Vous n'avez plus qu'à décider !

M. François Marc, rapporteur général. - J'ai bien compris que vous n'étiez pas un adepte du rabot, mais plutôt du filet de pêche à grosses mailles, qui prend de gros poissons, ce qui serait, il est vrai, plus rentable...

M. Didier Migaud. - En effet. Il ne m'appartient pas de commenter les récentes décisions qui ont été prises en matière de politique familiale. Pour la branche Famille, il peut être pertinent de ne pas raisonner seulement en termes d'imposition mais aussi d'examiner le niveau de la dépense. L'effet sur les comptes publics serait différent. Nous avons souhaité alerter sur les perspectives de déficit des comptes sociaux : les hypothèses retenues par le COR et la commission Moreau sont optimistes au regard de l'expérience que nous avons. Nous avons chiffré l'écart et insisté sur l'urgence qu'il y a à traiter ce dossier. Il appartient aux responsables politiques de décider des mesures à adopter.

M. Raoul Briet, président de la première chambre. - Nous n'avons pas fait des projections par branche sur vingt ans, à législation constante, avec une progression de l'Ondam de 2,5 % et un niveau de prestations inchangé. Nous avons souhaité illustrer la sensibilité des besoins de financement à une modification, même réduite, des hypothèses macroéconomiques : le simple fait de substituer les hypothèses officielles du programme de stabilité, que le Haut Conseil avait considérées comme légèrement optimistes, à la projection utilisée pour élaborer la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 génèrerait 10 milliards d'euros de déficit supplémentaire pour le régime général en 2017. De même, le besoin de financement du système de retraites est très sensible aux hypothèses macroéconomiques. Plutôt que de présenter plusieurs scenarios, nous en avons privilégié un, qui correspond au scenario C du COR, et fait l'hypothèse que l'évolution de la masse salariale que nous avons connue depuis 2000 se prolongera après 2018.

M. Didier Migaud. - Cela reste optimiste !

M. Raoul Briet. - En effet. Cela donne une lecture différente de l'acuité des besoins de financement... La prudence impose de privilégier un tel scenario, qui n'est lui-même pas garantit. Le Haut Conseil des finances publiques conduit des travaux sur la croissance potentielle à l'issue de la crise. Il faudra installer un jour une homogénéité.

M. Yvon Collin, président. - Merci pour ces réponses. Quel jugement la Cour des comptes porte-t-elle sur l'augmentation du poids des dépenses publiques dans le PIB ? Existe-t-il un mouvement conjoncturel, ou un processus structurel, résultant du déficit de production par rapport au niveau potentiel ? Vous préconisez une baisse du niveau des dépenses publiques, et indiquez que cela suppose une réforme en profondeur des politiques publiques. Depuis la révision constitutionnelle, la Cour des comptes a des responsabilités en ce domaine. Comment les avez-vous organisées ? Cette évolution vous paraît-elle heureuse, au vu des canons théoriques qui veulent que l'évaluation des politiques publiques soit ouverte et reliée étroitement au processus de décision publique ? Une étude du Conseil des prélèvements obligatoire met en évidence la faiblesse du niveau d'imposition des grandes entreprises, et une autre fait le même constat pour les entreprises bancaires. Peut-on remédier à la faiblesse du taux d'imposition réel de ces entreprises ? N'y a-t-il pas là un gisement de recettes inexploité ?

M. Vincent Delahaye. - Merci pour cet exposé, que j'ai déjà entendu ce midi à la radio ! La qualité et la rigueur de votre analyse et de vos travaux clarifient la situation. J'espère que vos préconisations seront suivies. Je ne partage pas votre optimisme : nous sommes loin de la moitié du chemin. Je m'étais opposé à la décomposition du solde effectif en solde conjoncturel et solde structurel, pour intellectuellement séduisante qu'elle puisse paraître, car je pressentais que la première partie irait croissante et la seconde, décroissante, pour montrer que nos efforts sont importants mais que la conjoncture annule leurs effets. Le tableau que vous nous présentez confirme mes pressentiments : de 2011 à 2014 la composante conjoncturelle a augmenté, et la composante structurelle a diminué. L'atonie actuelle de la croissance est-elle conjoncturelle ? Je la considère comme structurelle, étant donné l'état de notre économie. Si vous la considérez comme conjoncturelle, quel serait notre déficit dans de meilleures conditions ? L'environnement international nous est-il vraiment plus défavorable qu'en 2008, pour que la composante conjoncturelle soit si élevée ?

M. Jean Arthuis. - Merci pour cet éclairage précis. Ce que vous nous avez dit est très grave. Le Gouvernement n'a pas été coopératif pour vous aider à lever le voile, ce qui me paraît contraire au processus vertueux enclenché par la Lolf, qui prévoyait l'éclairage du débat d'orientation budgétaire par les résultats de la loi de règlement. La rhétorique de la Cour ne tamise-t-elle pas l'éclairage que vous nous apportez ? Aucune décision n'est prise, alors que les déficits s'accumulent. Vous avez évoqué les niches fiscales pour l'outre-mer ; la presse se faisait ce matin l'écho d'un arbitrage du Premier ministre : une fois de plus, il ne va rien se passer. Tout va très bien, c'est du Ray Ventura ! Je souhaiterais un vrai débat sur ces niches fiscales, autour de données factuelles que nous fournirait la Cour des comptes.

Je me suis rendu récemment à Bruxelles avec Marc Massion. Les restes à liquider (RAL) s'élèvent à 240 milliards d'euros. Les chefs d'État et de Gouvernement viennent d'arrêter un cadre pluriannuel pour la période 2014-2020 comportant des autorisations d'engagement de 960 milliards d'euros et 908 milliards d'euros de crédits de paiement. L'écart va donc continuer à se creuser : la Cour ne devrait-elle pas dénoncer cette pratique ? En 2013 nous risquons de voir une progression très sensible de la contribution de chaque État membre, et notamment de la France : nous avons prévu quelque 20 milliards d'euros, il y aura certainement des lois de finances rectificatives dans le budget européen qui accroîtrons notre déficit de plusieurs milliards d'euros, surtout s'il faut aussi participer au comblement des déficits d'autres pays de la zone euro, comme Chypre.

Pour sortir de ce tamisage, qui nous rend tous plus ou moins complices, ne pourriez-vous faire observer au Gouvernement que le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) est une manière de reporter sur 2014 l'allègement des charges sociales de 2013 ? Les entreprises qui bénéficieront de ce crédit d'impôt pourront inscrire dans leur bilan 2013 une créance sur l'État d'à peu près 10 milliards d'euros - 20 milliards d'euros fin 2014 - mais l'État ne constatera pas sa dette ! Pour créer l'électrochoc nécessaire à ce qu'enfin la lumière que vous apportez suscite le courage de décider, ne soyez pas complice d'une atténuation du diagnostic.

Le déficit de l'Unedic, qui sera de l'ordre de 5 milliards d'euros en 2013, pèse sur le déficit public. La montée du chômage le creuse, mais il n'est jamais débattu par le Parlement, alors que l'État garantit la dette de l'Unedic, qui était de 15 milliards d'euros fin 2012. Ne pensez-vous pas qu'une loi organique devrait donner au Parlement la possibilité de se prononcer sur le déficit de l'Unedic et de faire pression sur les partenaires sociaux qui en sont gestionnaires ?

- Présidence de M. Roland du Luart, vice-président -

M. Francis Delattre. - Il est exceptionnel de vivre un moment de vérité : je salue celui-ci ! Nous avons fait la moitié du parcours, mais essentiellement en augmentant les impôts. Le problème de la réduction des dépenses publiques demeure entier : aucun chemin ne se dessine. Le CICE devait être financé à 50 % par des économies. Les ressources fiscales rentrent mal - le manque à gagner semble être de 5 à 7 milliards d'euros - et des dépenses nouvelles sont annoncées : un milliard d'euros pour les emplois aidés, le CICE, pour lequel la BPI va assumer cette année 2 milliards d'euros de financement pour le compte de l'État, et jusqu'aux crèches, il y a quelques jours, sans parler des incertitudes européennes. Vous êtes président du Haut Conseil des finances publiques, qui a été créé faute d'adopter la règle d'or. Ne croyez-vous pas qu'il est temps de demander au Gouvernement de nous présenter une loi de finance rectificative ? Ce serait bien dans l'esprit de la LOLF, dont vous avez été l'un des actifs promoteurs.

M. Philippe Dallier. - Les perspectives de croissance que vous annoncez ne sont guère réjouissantes. L'investissement des collectivités locales est en baisse, alors que nous sommes en année pré-électorale, où l'investissement atteint généralement un pic. Nombre de conseils généraux connaissent d'importantes difficultés et réduisent leurs investissements. Les communes et les intercommunalités, de même, anticipant les baisses de dotation et constatant la baisse de leurs recettes, ralentissent leurs investissements. Ce phénomène se prolongera sans doute en 2014 et en 2015. La Cour des comptes a-t-elle intégré dans ses prévisions l'impact de ces réductions de dépenses des collectivités locales ? Environ 70 % de l'investissement non militaire en France tient aux collectivités locales : si elles dépensent moins, l'impact sur la croissance sera réel.

L'État dialogue avec les grandes associations de collectivités locales : association des régions de France, association des départements de France, assemblée des communautés de France, association des maires de France... Les élus locaux ont-ils véritablement conscience que les décisions financières qu'ils prennent contribuent en partie à la situation financière du pays ? Face aux baisses de dotations, ils réagiront de différentes manières : compresser les dépenses de fonctionnement, augmenter les impôts locaux, ou la dette, ou réduire les investissements... Je n'ai pas l'impression qu'ils se sentent vraiment concernés. Sans remettre en cause la libre administration des collectivités locales, faut-il leur imposer de respecter certains critères, afin de maîtriser mieux les finances publiques ?

M. Joël Bourdin. - Nous avons eu un débat sur la sensibilité du déficit aux recettes et aux dépenses. Le Gouvernement a choisi les recettes, malgré l'opposition de certains qui souhaitaient que les dépenses soient d'abord diminuées. Au point où nous en sommes, ce qui peut infléchir le déficit, c'est la dépense. Connaît-on l'impact de certaines catégories de dépenses sur le déficit ? Faut-il passer, pour le réduire, par les dépenses sociales ? Par les dotations aux collectivités locales ? La croissance potentielle en France semble avoir baissé de 2 % à 1,2 %. Quel est le chiffre exact ?

M. Didier Migaud. - J'ai rappelé le niveau de la dépense publique en France : 56,6 %. Nous sommes le deuxième pays de l'OCDE, après le Danemark que nous allons peut-être dépasser dans les deux prochaines années. Mais nous sommes loin des premières places quand il s'agit d'efficacité et de qualité de l'action publique. D'autres pays, sans dépenser plus que nous, obtiennent de meilleurs résultats. Sans doute, notre culture du contrôle et de l'évaluation est insuffisante. Nous avons aussi tendance à résoudre chaque problème en accroissant les effectifs ou les moyens, ce qui n'est pas toujours la réponse la plus pertinente : il faut s'attaquer aussi aux problèmes d'organisation, de gestion, de répartition, pour obtenir de meilleurs résultats. Même en faisant porter l'effort structurel sur la dépense, celle-ci continue d'augmenter : notre objectif actuel est une croissance de 0,4 % en volume, c'est-à-dire supérieure à l'inflation. L'effort est réalisable, à condition de mener des réformes de fond, comme l'ont fait d'autres pays. Il faut mener la modernisation de l'action publique. Le Parlement doit se saisir de son pouvoir d'évaluation des politiques publiques, avec l'aide de la Cour des comptes.

Oui, les grandes entreprises utilisent des mécanismes d'optimisation fiscale. Le coût de la gestion des pensions, celui de la collecte peuvent être diminués. Nous suivons ces sujets de près. Le Haut Conseil des finances publiques s'est saisi de la question de la croissance potentielle, qui diffère considérablement selon les organismes d'études. Tout dépend de l'analyse de la crise et de son impact sur notre croissance potentielle : quelle perte définitive ? Les points de vue des économistes divergent. Il est intéressant d'avoir le solde effectif et le solde structurel : raisonner indépendamment de la conjoncture est utile, mais le solde effectif est celui qui nourrit la dette... La moitié du chemin aura été parcouru à la fin de l'année 2013, sous réserve que les engagements soient tenus. En effet, les services n'ont pas été aussi disponibles que l'an dernier. Cela ne nous a pas empêchés de faire notre travail et de vous apporter un éclairage. Ce rapport vous est d'autant plus utile pour préparer la loi de règlement qu'il comporte de premiers éléments sur l'exercice 2013 ; nous fournissons aussi une balance des risques, pour les recettes comme pour les dépenses, avec un regard impartial.

La Cour des comptes européenne a formulé des recommandations sur les sujets que vous avez abordés. Faut-il intégrer l'Unedic dans une loi plus générale de financement de la protection sociale ? Nos outils de gouvernance ne sont pas encore totalement adaptés à un pilotage du solde des administrations publiques. A vous d'utiliser votre droit d'amendement pour proposer des améliorations !

M. Jean Arthuis. - Nous le ferons !

M. Didier Migaud. - Il n'appartient pas à la Cour des comptes ou au Haut Conseil des finances publiques de se prononcer sur la pertinence d'un collectif budgétaire. Le Haut Conseil des finances publiques peut recommander des mesures des corrections, mais nous n'en sommes pas à ce stade. Nous évaluerons les hypothèses macroéconomiques du projet de loi initiale pour 2014, et apprécierons si la loi de finances est cohérente avec elles. Nous appelons à davantage de cohérence entre les textes qui fixent les objectifs : programme de stabilité, loi de programmation, lois de finances... Il serait utile qu'après que le Conseil européen aura acté des objectifs, la loi de programmation en tire les conséquences : quand chacun se fonde sur des références différentes, le débat est difficile.

L'investissement local a augmenté en 2012 et augmente en 2013. Mais toute dépense d'investissement n'est pas obligatoirement pertinente ! L'effort de maîtrise concerne aussi les collectivités territoriales. L'État doit-il les contraindre davantage ? Il peut être utile de prolonger la possibilité d'accords contractuels, mais les collectivités locales doivent se sentir concernées par la nécessité, pour la France, de tenir ses engagements. Il faut raisonner toutes administrations publiques confondues. La Cour n'a pas mesuré la sensibilité du déficit à différents types de dépenses. Les conséquences sont différentes sur l'activité et l'emploi, bien sûr ; tout dépend de la nature de l'économie réalisée et de l'ampleur du coup de rabot. Notre rapport sur l'éducation montre que des redéploiements de crédits aboutiraient à des meilleurs résultats de notre système éducatif : cela n'aurait pas d'impact sur l'emploi. Il y a des marges de manoeuvre grâce auxquelles nous pourrons revenir à l'équilibre en 2017, comme les pouvoirs publics s'y sont engagés.

La Cour des comptes reste à votre disposition.

M. Jean Arthuis. - J'ai rencontré récemment le président de la Cour des comptes européenne, qui m'a paru davantage préoccupé par la régularité des comptes que par leur sincérité.

M. Didier Migaud. - Par l'évaluation des politiques publiques, également.

M. Jean Arthuis. - Notre contribution au budget européen pour 2013 va être fortement réévaluée : c'est la dernière année du cadre budgétaire 2007-2014, au cours duquel nous avons poussé devant nous des autorisations d'engagement pour lesquelles il n'y avait pas de crédit de paiement. Il y a plus de 200 milliards d'euros de RAL !

M. Didier Migaud. - Nous en sommes conscients, et avons insisté sur cet aléa. Nous ne pouvons pas considérer qu'il s'agit d'une dépense exceptionnelle.

M. Roland du Luart, président. - La tension sur les marchés m'inquiète : en une semaine, les taux ont augmenté de 45 points de base. Depuis un an, ces taux étaient extrêmement bas. S'ils augmentent d'un coup de 150 ou 200 points de base, le déséquilibre de nos finances publiques s'aggravera sensiblement. Qu'en pensez-vous ?

M. Didier Migaud. - Les taux d'intérêt ont vocation à remonter dans les années à venir, c'est pourquoi nous appelons à maîtriser l'endettement : plus la dette est élevée, plus la charge de la dette est importante et sensible aux évolutions des taux. Cent points de base supplémentaire coûteraient 2 milliards d'euros supplémentaires la première année, et 12 milliards d'euros après dix ans. Il s'agit de sommes considérables, qui pourraient remettre en cause la capacité de l'État à agir. Les évolutions récentes des marchés sont une réaction excessive aux propos du président de la Réserve fédérale américaine. Vont-elles se poursuivre ? Pour l'année 2013, la France a fait la plupart de ses opérations. Il faut néanmoins surveiller cette situation, et respecter nos engagements.

M. Philippe Marini. - La Constitution comporte un article 40, qui limite, ce qui est une excellente chose, les initiatives dépensières des parlementaires. Par définition, une telle contrainte ne saurait exister à l'encontre du pouvoir exécutif. Je regrette cependant parfois qu'il n'existe pas une sorte de compteur des engagements. Indépendamment du budget, de la loi de règlement, des programmes de stabilité adressés à Bruxelles, il rassemblerait les paroles publiques susceptibles de se traduire par des dépenses. L'actualité montre que de tels engagements continuent à émailler la chronique : volume des contrats aidés, modifications de la gestion des rythmes scolaires - que les dépenses induites soient supportées par les communes ou par l'État -, suppression de la journée de carence dans la fonction publique... Toutes ces annonces ne correspondent pas à une inscription immédiate de crédits, mais si elles sont suivies d'effet, elles ne manqueront pas de se traduire par de nouvelles charges. Je regrette parfois qu'il n'existe pas une obligation, pour l'auteur de tels engagements, de préciser, en contrepartie, les réductions de dépenses ou les ressources supplémentaires par lesquelles les mesures annoncées seraient équilibrées. La Cour des comptes ne pourrait-elle pas tenir le compte de ces engagements non gagés ?

M. Didier Migaud. - Vaste sujet. Ce n'est pas dans les missions de la Cour des comptes, qui sont déjà nombreuses, ni dans celles du Haut Conseil des finances publiques. Cette question s'adresse plutôt au législateur, c'est-à-dire à vous-même, Monsieur le Président ! Le Parlement a l'occasion d'interroger les ministres ; il dispose aussi de la capacité de faire évoluer la législation, voire la Constitution...La Cour des comptes sait rester à sa place : nous faisons des constats, nous éclairons le débat par nos rapports, mais les décideurs, ce sont les responsables politiques.

M. Philippe Marini. - De la majorité !

M. Jacky Le Menn. - Vous l'avez eue longtemps !

M. Roland du Luart, président. - Merci pour cet éclairage, à la veille du débat d'orientation sur les finances publiques.