Mercredi 19 mars 2014

- Présidence de M. Simon Sutour, président -

La réunion est ouverte à 14 h 35

Économie, finances et fiscalité - Séparation bancaire : proposition de résolution européenne portant avis motivé de M. Richard Yung

M. Simon Sutour, président. -Nous allons examiner la proposition d'avis motivé de notre collègue Richard Yung sur le « paquet législatif » de la Commission européenne qui tend à opérer une réforme structurelle des plus grandes banques de l'Union européenne.

Je rappelle que, lors de sa réunion du 26 février 2014, le groupe de travail sur la subsidiarité avait identifié plusieurs difficultés, notamment l'insuffisance de l'étude d'impact et le recours excessif à des actes délégués.

L'enjeu est important. Nous venons de légiférer sur la séparation des activités bancaires. Or ce dispositif risque d'être bouleversé, sans qu'il soit établi que la législation française est insuffisante ou inadaptée.

Je saisis cette occasion pour vous indiquer que la Commission européenne a répondu, le 13 mars, à l'avis motivé que le Sénat avait adopté sur le Parquet européen. Le seuil requis de parlements nationaux ayant été atteint, la Commission européenne a été obligée de réexaminer son texte. Elle a décidé de le maintenir en l'état. Mais, elle répond à nos arguments et indique qu'elle tiendra dûment compte des avis exprimés par les parlements nationaux au cours du processus législatif.

Il y a manifestement un désaccord sur la forme que doit revêtir ce Parquet européen. Mais je crois que nous pouvons relever la disponibilité qu'exprime la Commission pour poursuivre un dialogue politique avec les parlements nationaux. C'est l'intérêt de cette procédure de contrôle de la subsidiarité. Je vais donner la parole à Richard Yung.

M. Richard Yung. - Merci monsieur le Président. Nous parlons dans la forme plutôt que dans le fond de ce texte qui vient curieusement au mois de mars et qui devrait être examiné par le Parlement européen. De toute évidence ce ne sera pas le cas dans les semaines qui viennent. C'est donc plutôt un exercice pro forma. La question reviendra peut-être à la fin de 2014.

Il s'agit du problème de la réforme des banques trop grandes par rapport au PIB qui font courir un risque systémique qui a été déjà traité  en France. Il s'agit de la question de la séparation des activités de fonds propres et des activités commerciales. Les avis ne concordent pas sur ce débat. La loi française a offert une solution, l'Allemagne a choisi une voie assez proche, l'Angleterre une voie qui préserve la liberté d'action de la City. La loi Vickers en Angleterre consiste à isoler la partie commerciale des banques, tout le reste est laissé libre. Les Américains ont aussi un autre système sur lequel je ne reviendrai pas mais qui est plus difficile à mettre en oeuvre car c'est un système assez rigide. On ne peut pas dire que tel ou tel système est supérieur mais, en France, nous avons voulu tenir compte des particularités du système français.

La Commission avait commandé un rapport à M. Liikanen qui a fait des propositions intermédiaires entre les systèmes français et allemands. De cela, la Commission a tiré une proposition de règlement que nous examinons aujourd'hui. C'est un règlement d'application immédiate qui vise l'interdiction de la négociation pour compte propre et le transfert de certaines activités à une structure spécifique.

Nous sommes favorables à une législation européenne en la matière encore que nous venons en France de la faire. Mais là n'est pas le sujet.

La première observation porte sur l'étude d'impact de la Commission qui est très générale et peu argumentée quant au fond. Elle n'explique pas vraiment pourquoi on doit avancer dans la voie proposée, les risques que cela fait courir à l'économie. Pourquoi avoir une règle unique de séparation des activités car cela n'est pas une obligation en soi. On n'est pas convaincu de la nécessité d'avoir un règlement.

La deuxième observation est que ce règlement, curieusement, prévoit en quelque sorte l'exonération de l'application au Royaume-Uni. Alors qu'un règlement par nature est fait pour être appliqué à tout le monde ! C'est une première dans le domaine financier. Le règlement prévoit que le système exonéré doit répondre à certains critères, ceux de Vickers, et doit avoir une date de vote au 29 janvier 2014 ! Cela n'est pas acceptable et il y a d'ailleurs eu immédiatement une protestation conjointe de la France et de l'Allemagne.

Le troisième point est le recours abusif aux actes délégués y compris sur des sujets importants. C'est un sujet que nous avons déjà évoqué dans cette commission.

M. Simon Sutour, président. - Merci de ce rapport synthétique et complet issu du groupe de travail qui examine tous les textes soumis au titre de la subsidiarité. Dans ce contexte, nous nous sommes déjà prononcés sur le Parquet européen, le droit de grève sur les travailleurs détachés. Cet avis motivé s'adresse à la Commission mais le gouvernement français en sera bien sûr informé. Enfin, si un tiers des parlements de l'Union se prononce dans le même sens, la Commission devra réexaminer le texte.

Si elle est adoptée, cette résolution sera transmise à la commission des finances qui, nous le savons, partage notre préoccupation.

M. Aymeri de Montesquiou. - C'est toujours une grande satisfaction quand un homme de gauche connaît si bien le secteur bancaire. Dans la première partie qui traite de la séparation des activités bancaires, quel est le risque résiduel une fois que les activités spéculatives sont séparées des autres ? Ensuite, une règle unique n'apparaissant pas indispensable, dans quelle mesure la loi Vickers s'extrait-elle du cadre souple de la subsidiarité ?

M. Jean Bizet. - Monsieur le président, je trouve ce texte fondamental. Le fil conducteur en est de mieux financer le tissu des PME. Or, aux États-Unis, les PME vont sur le marché obligataire alors que ce n'est pas notre culture en Europe. De là découle tout l'intérêt d'avoir un système bancaire sécurisé en Europe. Je suis favorable à cet avis motivé et, je l'avoue, quelque peu surpris de certaines des positions de la Commission européenne sur ces questions.

M. Richard Yung. - En fait, il s'agissait pour la Commission de démontrer qu'elle utilisait les conclusions du rapport Liikanen. Si le sujet revient, il y aura d'ailleurs un débat assez long...

Les Américains prévoient une séparation brutale des activités  pour compte propre : il faut filialiser. Notre système est plus subtil car il dit que les banques commerciales peuvent continuer à mener des activités à condition qu'elles répondent aux besoins des clients. La discussion reste ouverte pour savoir quel est le meilleur système, les avis diffèrent.

M. Simon Sutour, président. - Nous auditionnerons le commissaire Barnier dans les prochaines semaines et pourrons l'interroger sur le sujet.

La proposition de résolution européenne portant avis motivé est adoptée à l'unanimité dans le texte suivant :

Proposition de résolution européenne portant avis motivé

La proposition de règlement COM (2014) 43 relatif à des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l'Union européenne prévoit, pour les grands établissements de crédits européens, l'interdiction de la négociation pour compte propre et l'obligation de cantonnement de certaines activités de négociation.

Le Sénat est favorable dans son principe à la démarche de la Commission qui doit viser à renforcer la stabilité financière et l'intégration des marchés financiers au sein de l'Union.

Vu l'article 88-6 de la Constitution,

Le Sénat fait les observations suivantes :

L'article 5 du protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité précise que « Les projets d'actes législatifs sont motivés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité » ;

Or, l'analyse d'impact qui accompagne la proposition de règlement n'est pas suffisamment développée en ce qui concerne :

- la nécessité et l'adéquation des mesures proposées au regard des objectifs de stabilité financière,

- la nécessité des mesures proposées et leur articulation avec les réformes adoptées ou en cours d'adoption,

- les incidences de la proposition sur le financement de l'économie européenne, sur la migration des activités interdites ou cantonnées vers le secteur financier non régulé et sur la compétitivité du secteur bancaire européen ;

L'insuffisance d'analyse ne permet pas de s'assurer que la Commission européenne a défini correctement le niveau d'action approprié, conformément aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ;

Les dérogations aux exigences de séparation des activités, telles qu'elles sont prévues à l'article 21 de la proposition de règlement, créent une inégalité de traitement entre les États membres et sont de nature à porter atteinte à l'intégration du marché financier européen ;

L'article 290 du traité sur le fonctionnement du l'Union européenne précise que les actes délégués complètent ou modifient « certains éléments non essentiels de l'acte législatif »

Or, la proposition de règlement prévoit un très grand nombre d'actes délégués, dont certains concernent des aspects essentiels du dispositif ;

L'abus quantitatif d'actes délégués et les matières concernées excèdent les dispositions de l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et ne sont donc pas conformes au principe de subsidiarité ;

Le Sénat estime, en conséquence, que la proposition de règlement COM (2014) 43 n'est pas conforme, dans sa rédaction actuelle, au principe de subsidiarité.

La séance est levée à 14 h 58.

- Présidence de M. Simon Sutour, président -

La séance est ouverte à 15 h 05.

Institutions européennes - Débat préalable au Conseil européen des 20 et 21 mars 2014

M. Simon Sutour, président. - L'ordre du jour appelle le débat préalable au Conseil européen des 20 et 21 mars 2014.

Mes chers collègues, ce débat préalable se déroule dans un cadre inhabituel, en raison de la suspension des travaux parlementaires en séance publique à l'approche des élections municipales, qui retiennent beaucoup d'entre nous dans leurs départements.

Le Conseil européen des 20 et 21 mars présente des enjeux importants et l'actualité préoccupante en Ukraine lui donne une consistance supplémentaire. C'est pourquoi j'ai tenu à ce que ce débat ait lieu.

Nous sommes attachés à ce rendez-vous, car il nous permet d'avoir un dialogue avec le Gouvernement sur les questions européennes. Le président du Sénat et la conférence des présidents ont bien voulu accepter qu'il soit organisé sous la forme d'une réunion de la commission des affaires européennes élargie à l'ensemble des sénateurs. Je remercie très sincèrement M. le ministre Thierry Repentin de sa disponibilité. Un compte rendu de nos débats - qui sont retransmis en direct sur le site du Sénat - sera publié au Journal officiel.

Bien sûr, la situation en Ukraine retient en priorité toute notre attention. Le 20 février, la commission des affaires européennes avait adopté à l'unanimité des conclusions exprimant notre très vive préoccupation devant les violences meurtrières en Ukraine. Nous avions tenu à manifester notre solidarité avec le peuple ukrainien, qui fait partie intégrante de l'espace européen. Nous avions par ailleurs regretté les divergences croissantes entre l'Union européenne et la Russie et souhaité - disant cela, je pense me faire le porte-parole fidèle de l'ensemble de mes collègues - qu'un dialogue apaisé puisse s'instaurer avec ce grand pays.

Cependant, depuis cette date, la tension a pris une forme nouvelle avec les événements qui se déroulent en Crimée. Nous ne pouvons admettre la mise en cause de l'intégrité territoriale de l'Ukraine, en violation des règles du droit international. Le référendum qui s'est tenu le 16 mars sur le rattachement de l'Ukraine à la Russie n'a aucune base légale. Le Conseil européen extraordinaire du 6 mars 2014 l'avait dit, malheureusement sans résultat. L'Union européenne doit réagir avec fermeté. Des premières mesures ont été arrêtées au Conseil européen du 6 mars, d'autres ont été retenues lors de la réunion du conseil Affaires étrangères qui a eu lieu lundi dernier. Nous ne pouvons accepter une situation qui fait peser une lourde menace sur la sécurité européenne.

Nous vous entendrons avec intérêt, monsieur le ministre, sur cette question. Au-delà de la réprobation qui s'est exprimée, le Conseil européen prendra-t-il des initiatives concrètes ? Qu'en est-il de l'accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne ?

La réunion du Conseil européen sera aussi une étape importante dans le processus du semestre européen. Notre débat offre donc l'occasion d'associer le Sénat à ce dernier. À cet égard, je remercie M. le rapporteur général de la commission des finances, François Marc, de sa présence parmi nous cet après-midi.

Le quatrième trimestre de 2013 a confirmé une reprise de la croissance tant dans la zone euro que dans l'Union à vingt-huit. Cette évolution est positive, mais demande à être consolidée. Il faut poursuivre l'assainissement des finances publiques. Tel est l'objectif que poursuit avec détermination le Gouvernement depuis deux ans. Il faut aussi promouvoir tous les outils pour soutenir la croissance et contribuer à la création d'emplois, en particulier pour les jeunes. Le Gouvernement agit dans ce sens : c'est tout l'enjeu du pacte de responsabilité annoncé par le Président de la République, et c'est aussi le message que la France porte depuis deux ans au niveau européen. Il doit être réaffirmé et concrétisé dans les politiques européennes, en utilisant tous les instruments disponibles. La récente communication de la Commission européenne montre que la stratégie Europe 2020 a été freinée par la crise. La compétitivité industrielle est à l'ordre du jour du Conseil européen ; nous souhaitons que soit engagée une démarche ambitieuse. Monsieur le ministre, que faut-il attendre du Conseil européen dans ces domaines ?

L'union bancaire est par ailleurs un volet essentiel pour remédier aux graves dysfonctionnements révélés par la crise. La mise en oeuvre de la supervision bancaire constitue un progrès considérable. Les modalités d'un mécanisme de résolution bancaire font l'objet de divergences fortes, en particulier avec le Parlement européen. Les négociations se poursuivent encore aujourd'hui : peut-on espérer un accord ?

Le climat et l'énergie sont aussi à l'ordre du jour du Conseil européen. Des progrès sensibles ont été réalisés pour traduire l'objectif des « 3x20 » en matière d'émissions de gaz à effet de serre, de développement des énergies renouvelables et d'efficacité énergétique. La vingt et unième conférence des parties pour la conclusion d'un accord mondial sur le climat se tiendra à Paris en 2015. La France, avec d'autres États membres, appuie l'objectif affiché par la Commission européenne d'une réduction d'au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Elle soutient aussi la mise en place d'un calendrier resserré pour que l'Union européenne adopte suffisamment tôt une position dans les négociations climatiques internationales, mais d'autres États membres sont plus réservés. Le Conseil européen peut-il permettre de rapprocher les points de vue ?

Enfin, le sommet Union européenne-Afrique qui se tiendra les 2 et 3 avril 2014 retient toute notre attention. Que peut-on en attendre ? La France est engagée au service de la paix et de la sécurité sur le continent africain. Nous rendons tous hommage à nos soldats, qui accomplissent une mission essentielle mais difficile. L'Union européenne a décidé d'envoyer une force militaire d'appui à la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine et à nos troupes présentes en République centrafricaine. Or les États membres semblent tarder à mettre les moyens nécessaires à disposition. Qu'en est-il à ce sujet ?

Je vais maintenant donner la parole à M. le ministre. À l'issue de son intervention, M. le rapporteur général de la commission des finances s'exprimera, puis un représentant de chacun des groupes politiques. Suivra un débat général, au cours duquel M. le ministre pourra répondre aux questions qui lui auront été posées.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. - Monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de participer, dans cette maison à laquelle je suis, vous le savez, très attaché, à ce débat préalable au Conseil européen des 20 et 21 mars prochain.

À l'heure où nous parlons, les conclusions de ce Conseil européen sont bien sûr encore en discussion entre les différents États membres. Hier, au cours du conseil Affaires générales, nous avons travaillé à la préparation de ce Conseil européen et aux différents points inscrits à son ordre du jour, sur lesquels je reviendrai.

Les enjeux sont cruciaux pour l'avenir des Européens - et même pour l'avenir de notre planète, le climat étant l'un des sujets majeurs du Conseil européen -, ainsi que pour la création des emplois du futur, eu égard à l'importance du volet industriel, qui n'est pas totalement disjoint de la question énergétique.

La politique industrielle et les objectifs en matière d'énergie et de climat sont donc les deux sujets essentiels inscrits à l'ordre du jour de ce Conseil européen qui clôturera aussi la première phase du semestre européen.

Cependant, le Conseil européen des 20 et 21 mars se tiendra dans un contexte particulier, l'actualité imposant aux chefs d'État et de Gouvernement d'aborder le sujet que vous venez de mentionner, monsieur le président, celui de la situation en Ukraine, laquelle n'a fait que s'aggraver au cours de ces derniers jours.

Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le président de la Fédération de Russie a signé hier un traité - c'est le terme employé - d'intégration de la Crimée à la Russie. Comme le Président de la République l'a indiqué hier, cet acte est intervenu après la tenue en Crimée d'un référendum illégal au regard tant du droit ukrainien que du droit international. C'est pourquoi la France et d'autres pays condamnent cette décision russe. Notre pays ne reconnaîtra donc ni les résultats du référendum organisé en Crimée le 16 mars dernier ni le rattachement de cette région d'Ukraine à la Russie.

Conformément à ce qui a été décidé par le Conseil européen extraordinaire du 6 mars dernier et compte tenu du fait que la Russie n'est pas entrée dans une logique de désescalade, le conseil Affaires étrangères d'avant-hier a adopté une liste de vingt et une personnes qui seront soumises à des sanctions, consistant en des gels d'avoirs et des interdictions de visas. Le même jour, en étroite concertation avec l'Union européenne, les États-Unis ont adopté des mesures similaires visant d'autres personnes.

Au travers de ces mesures, l'objectif est de sanctionner des responsables politiques ayant pris part à l'annexion de la Crimée par la Russie, tout en souhaitant laisser la porte ouverte au dialogue, comme Laurent Fabius l'a souligné à plusieurs reprises, à l'instar d'autres ministres des affaires étrangères de l'Union européenne.

Malgré cela, une nouvelle étape a été franchie hier par la Russie, ce qui va conduire le Conseil européen à donner, demain et après-demain, une autre réponse coordonnée entre les vingt-huit États membres de l'Union européenne.

Sur cette question, l'objectif du Conseil européen sera donc double.

D'une part, il s'agit d'afficher, à l'égard de la Russie, à la fois une fermeté unanime des vingt-huit pays de l'Union européenne et une ouverture au dialogue, car personne ne peut croire que, sans dialogue, y compris avec les autorités russes, une solution soit possible. Les chefs d'État et de Gouvernement de l'Union européenne décideront donc d'éventuelles mesures supplémentaires à la lumière des derniers développements. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous ne serez pas surpris d'apprendre que, sur cette question, des échanges auront encore lieu cet après-midi et demain entre les chefs d'État et de Gouvernement.

D'autre part, un certain nombre de décisions seront prises à l'égard de l'Ukraine, qui attend de l'Union européenne un soutien à la transition politique qu'elle est en train de conduire et aux réformes qu'elle va engager. Ce soutien se manifestera, lors du Conseil européen, par la signature des chapitres politiques de l'accord d'association auquel vous avez fait référence, monsieur le président. Ce sera naturellement un geste fort à l'égard du gouvernement intérimaire ukrainien, qui devra de son côté - cela lui sera redit - confirmer ses engagements en matière de réformes et de protection des minorités, notamment.

Nous pourrons ensuite signer le volet commercial de l'accord d'association, une fois que l'élection présidentielle en Ukraine aura eu lieu, c'est-à-dire avant la fin du mois de mai prochain. Auparavant, nous aurons déjà amorcé la mise en oeuvre unilatérale du volet commercial de cet accord pour aider l'Ukraine à surmonter ses difficultés économiques. L'aide européenne à l'Ukraine prendra aussi la forme d'un « paquet » de mesures d'assistance présenté par la Commission européenne ; cela figurera aussi à l'ordre du jour du Conseil européen. Ce « paquet » doit contribuer à la stabilisation et au développement du pays. L'Union européenne le prépare en liaison avec des institutions financières internationales telles que le FMI, la Banque européenne d'investissement, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, ainsi que d'autres grands partenaires bilatéraux ; je pense notamment aux États-Unis, au Canada et au Japon.

Avec cette crise internationale, l'actualité sera donc au centre du Conseil européen. Elle masquera sans doute, hélas ! les autres dossiers importants inscrits à l'ordre du jour, sur lesquels je souhaite maintenant revenir.

Le premier de ces dossiers est celui de la politique industrielle.

Il s'agit d'un enjeu fondamental dont l'Europe doit se saisir davantage et qui dépend fortement des avancées que nous obtiendrons sur le second point figurant à l'ordre du jour, à savoir l'énergie.

Les discussions s'appuieront sur la communication de la Commission européenne du 22 janvier dernier intitulée « Pour une renaissance industrielle », qui place en son coeur l'interdépendance entre notre politique industrielle et le développement de notre marché intérieur, l'accès de l'industrie aux financements, la promotion de la recherche-développement et de l'innovation.

C'est donc un sujet transversal et particulièrement structurant pour la préparation de l'avenir et la création des emplois de demain.

C'est dans ce cadre que la France milite pour que ce Conseil européen permette de doter les institutions européennes d'une véritable feuille de route.

En effet, il est crucial que l'Union européenne reconstruise une base industrielle solide, en adoptant une politique industrielle volontariste, à l'image de ce que font nos principaux partenaires. Il s'agit non seulement d'un impératif économique, au nom de la croissance et de l'emploi, mais aussi d'un impératif politique, au nom de la nécessaire souveraineté de l'Europe.

Sur le fond, nous sommes favorables à l'objectif de relèvement de la part de l'industrie à 20 % du PIB européen à l'horizon 2020 proposé par la Commission européenne. Afin de l'atteindre, il est nécessaire de mobiliser toutes les politiques européennes pertinentes. Cela vaut pour la politique de recherche et d'innovation, la politique énergétique et climatique, le marché intérieur, la politique de soutien aux PME, mais également la politique de concurrence et la politique commerciale.

Une attention particulière doit être accordée, dans ce cadre, à l'établissement d'un cadre européen propice à l'innovation, à la croissance et à l'emploi, tout en prenant en compte la nécessité de garantir des conditions de concurrence loyale pour nos entreprises dans la compétition mondiale.

Nous souhaitons - mais cela n'est en rien évident - que, sur cette question, le projet de conclusions du Conseil européen indique que le cadre applicable aux aides d'État doit être simplifié, notamment en relevant le seuil de minimis, et doit mieux tenir compte de l'avantage comparatif dont les entreprises des pays tiers, moins contraintes, peuvent bénéficier. Ce serait une inflexion très marquée par rapport à ce qui s'est fait jusqu'à présent.

Nous attendons également du Conseil européen de cette semaine qu'il souligne la nécessité de prendre des initiatives visant spécifiquement certains secteurs importants pour la croissance et l'emploi. À cet égard, la Commission européenne devrait poursuivre ses initiatives relatives à des secteurs traditionnels importants, dont l'automobile et la sidérurgie, mais également étendre cette approche à des secteurs d'avenir tels que les technologies vertes - énergies renouvelables, économie circulaire, technologies marines, etc. Nous devons également donner un nouvel élan aux secteurs industriels spécifiques sur lesquels le Conseil européen s'est penché en 2013 : l'énergie, le numérique et la défense.

L'énergie et le climat sont également à l'ordre du jour de ce prochain Conseil européen. Ce second point, qui sera traité vendredi, doit permettre de définir des orientations pour le futur cadre de l'Union européenne en matière énergétique et climatique pour l'après 2020 sur la base du « paquet » présenté par la Commission européenne le 22 janvier dernier.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j'attire votre attention sur le fait que, pour l'instant, c'est la prudence qui semble être à l'ordre du jour. Le texte actuel ne propose pas formellement d'endosser l'objectif de réduction de 40 % des rejets de gaz à effet de serre dans l'atmosphère d'ici à 2030 ; il prévoit plutôt un renvoi à la fin de l'année pour l'adoption d'une décision en la matière.

Notre position sur ce point est très claire : nous demandons que l'ambition européenne soit maintenue et nous saluons la communication de la Commission européenne sur ce sujet.

Nous oeuvrons donc pour améliorer le projet de conclusions du Conseil européen tant sur l'objectif que sur le calendrier d'adoption de l'engagement de l'Union européenne en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Il faudrait que le Conseil européen salue la communication de la Commission européenne du 22 janvier dernier en indiquant qu'elle constitue la base appropriée pour permettre à l'Union européenne d'endosser le plus tôt possible, avec comme perspective le sommet organisé par M. Ban Ki-Moon au mois de septembre prochain, l'objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne proposé par la Commission européenne. Nous avons également à l'esprit, bien sûr, le grand sommet climatique que la France a la responsabilité d'organiser à Paris en 2015.

Cela étant, nous ne sommes pas naïfs : nous savons que l'Union européenne ne pourra pas, par sa seule exemplarité, entraîner le reste du monde vers la conclusion d'un accord ambitieux en 2015. Toutefois, force est de constater que l'Union européenne a aujourd'hui un poids bien plus important que celui de ses émissions - 11 % du total mondial - dans les négociations internationales. Sans prétendre être les seuls moteurs, il nous revient de contribuer à l'effet d'entraînement nécessaire au sein de la communauté internationale.

Or si le prochain Conseil européen aboutissait à des conclusions légères sur cette question, ce serait un signal très négatif envoyé aux autres pays, alors même que ceux-ci réfléchissent actuellement à leurs propres engagements.

Il est par ailleurs crucial pour nos entreprises que l'Union européenne adresse dès à présent un signal politique fort aux investisseurs pour inscrire la transition énergétique dans la durée. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons tous que le marché carbone européen fonctionne. Or c'est précisément d'un nouvel objectif CO2 que ce marché a le plus besoin pour que le prix de la tonne de CO2, actuellement très bas, se réapprécie, rendant par là même le système effectif.

Enfin, nous souhaitons que le texte des conclusions affirme le besoin réel d'une flexibilité accrue pour les interventions publiques - ce qui inclut les aides d'État - dans le domaine des énergies renouvelables ou des industries énergo-intensives.

Par ailleurs, le Conseil européen clôturera le premier semestre européen.

Cette clôture se fera par l'endossement des objectifs qui devront présider à l'élaboration des documents nationaux que les États membres remettront à la Commission européenne d'ici à la fin du mois d'avril prochain et qui, comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, feront ensuite l'objet de propositions de recommandations-pays de la part de la Commission européenne.

Sur ce point, le projet de conclusions répond à nombre de nos attentes, car il rappelle le nécessaire équilibre entre discipline budgétaire et croissance, le besoin de restaurer les conditions du financement réel de notre économie, ainsi que la nécessité de lutter contre les conséquences sociales de la crise.

Le semestre européen ne doit pas se résumer à ces aspects, puisqu'il s'agit d'abord de définir des grandes orientations politiques, sur lesquelles les États doivent ensuite s'appuyer à l'échelon national.

Au-delà des trois grandes thématiques que j'ai développées, le Conseil européen reviendra sur des questions de fiscalité. Je pense que nous sommes très près d'aboutir. En effet, grâce aux avancées enregistrées lors du dernier conseil Ecofin, le Conseil européen devrait être en mesure de saluer un accord politique sur la directive concernant la fiscalité de l'épargne. Ce dossier était en discussion depuis sept ans et était jusqu'à présent bloqué par deux pays, l'Autriche et le Luxembourg. C'est donc un grand pas en avant ; nous progressons vers l'échange automatique d'informations fiscales. Il s'agit d'une demande forte de la France, que nous soutenons à l'échelon européen depuis dix-huit mois.

Puisque M. le président Sutour y a fait référence, j'ajouterai un dernier mot sur le sommet Union européenne-Afrique des 2 et 3 avril prochains. Celui-ci doit marquer une étape supplémentaire dans le renforcement de la relation entre l'Europe et le continent africain, et permettre de dégager de nouveaux axes de travail concrets.

Ce sommet sera sous-tendu par deux priorités.

La première priorité est, bien évidemment, la question de la sécurité sur le continent africain. À ce jour, nous nous efforçons encore d'obtenir des réponses suffisamment concrètes pour donner corps à l'engagement qui a été pris, notamment par Mme Ashton, de mettre sur pied un contingent européen qui soit à la hauteur des ambitions qu'elle avait elle-même fixées : environ 1 000 hommes. Nous n'en sommes pas encore là aujourd'hui, même si plusieurs centaines de soldats doivent intervenir au côté des troupes françaises et africaines.

La seconde priorité de ce sommet Union européenne-Afrique, c'est la question climatique. Dans la perspective du sommet qui se tiendra à Paris en 2015, nous souhaitons engager des négociations dans ce domaine avec le continent africain pour étudier la manière dont nous pouvons progresser ensemble vers l'adoption de mesures concrètes à cette échéance.

Voilà les quelques éléments d'information que je souhaitais vous communiquer, mesdames, messieurs les sénateurs.

M. Simon Sutour, président. - La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. - Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi que cela a été souligné, les événements dramatiques en Ukraine constitueront bien évidemment le principal sujet du Conseil européen et feront passer au second plan les autres points de l'ordre du jour, alors que cette réunion du mois de mars des chefs d'État et de Gouvernement est un moment important du semestre européen.

Les orientations arrêtées par le Gouvernement français en matière de renforcement de la compétitivité, de soutien à la création d'emplois et de lutte contre le chômage des jeunes sont pleinement en ligne, me semble-t-il, avec les priorités européennes. Toutefois, il faut le reconnaître, celles-ci restent assez générales et montrent le chemin qu'il nous reste à accomplir en matière de coordination des politiques économiques. Disant cela, je pense notamment à l'Allemagne, où les espoirs placés dans l'instauration d'un salaire minimum masquent en réalité une très nette modération de la hausse des salaires, qui ne va pas dans le sens d'un rééquilibrage au sein de la zone euro.

Je souhaiterais centrer mon intervention sur deux thèmes qui intéressent la commission des finances et qui constituent à mes yeux des marqueurs importants pour l'avenir de l'Union européenne et de la zone euro : il s'agit, d'une part, des avancées concernant l'union bancaire, plus particulièrement la mise en oeuvre d'un mécanisme de résolution unique, et, d'autre part, de l'échange automatique d'informations fiscales. S'agissant de ce dernier point, on pense bien sûr à la lutte contre la fraude fiscale, laquelle a fait tant de dégâts au cours des années passées.

Concernant le premier point, le Sénat a récemment adopté, au travers de sa commission des finances, une résolution de la commission des affaires européennes, présentée sur l'initiative de notre excellent collègue Richard Yung. Celle-ci invitait à s'assurer de l'efficacité du dispositif de résolution, du point de vue tant de sa gouvernance que de ses ressources. Elle demandait notamment que soient proposés un renforcement des pouvoirs de décision du comité exécutif du conseil de résolution et une procédure d'urgence, que les contributions au fonds de résolution unique ne créent pas de distorsions et prennent en compte les risques des établissements bancaires, enfin que la mutualisation des compartiments nationaux de ce fonds puisse être réduite à cinq ans.

Des négociations entre les différentes parties prenantes - le Conseil, la Commission et le Parlement européens - ont eu lieu. Il serait donc opportun, monsieur le ministre, que vous puissiez nous éclairer sur l'état de ces négociations et les chances qu'elles ont d'aboutir dans les prochains jours, mais aussi que vous nous exposiez la position défendue par le Gouvernement et nous informer sur la prise en compte de la résolution adoptée par notre assemblée.

J'en viens au second point, qui concerne les avancées en matière d'échange d'informations fiscales au sein de l'Union européenne. On sait très bien que l'opacité a été l'un des éléments déterminants des dysfonctionnements qui ont conduit à la crise financière.

Il semble que la révision de la directive relative à la fiscalité de l'épargne suscite à nouveau des espoirs, notamment depuis que le Luxembourg a annoncé la possible levée de son veto. Pourtant, les autorités de ce pays ont rappelé voilà quelques jours que leur accord était soumis à deux conditions : que l'Union européenne signe un accord sur l'échange automatique d'informations avec la Suisse et quatre autres pays tiers avant la fin de l'année, et que la réglementation se fasse sur la base d'un standard international unique. Là est la difficulté. À ce stade, les modalités définies par les États-Unis, par l'OCDE et par l'Union européenne divergent très clairement et les négociations avec les pays tiers n'ont pas vraiment dépassé le cap des manifestations de bonne volonté. Tout cela peut nous amener à nous interroger sur la portée de l'engagement du Luxembourg, mais aussi de l'Autriche, dans cette direction.

Monsieur le ministre, nous avons noté vos propos optimistes quant à la conclusion d'un accord en la matière, mais il serait intéressant que nous puissions être éclairés sur la position du Gouvernement. Alors que la France s'apprête à ratifier l'accord avec les États-Unis pour la mise en oeuvre du FATCA, la révision de la directive relative à la fiscalité de l'épargne et de la directive sur la coopération administrative permettra-t-elle d'instaurer ce fameux « FATCA européen » que plusieurs pays appellent de leurs voeux ? À défaut, faudra-t-il se résoudre à agir dans un cadre bilatéral et à adopter, entre pays volontaires, le futur standard de l'OCDE ?

Monsieur le ministre, la question est simple : l'action globale que nous appelons de nos voeux est-elle envisageable dans un délai raisonnable ou devra-t-on se résoudre à agir dans un cadre bilatéral ?

M. Simon Sutour, président. - La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe UMP.

M. Jean Bizet. - Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le prochain Conseil européen devait être essentiellement consacré aux problématiques financières et industrielles de l'Union européenne, mais, comme cela a été dit, la question de la situation en Ukraine s'est invitée brutalement et inévitablement dans le débat.

Vous me permettrez d'évoquer uniquement les deux premiers sujets. Je commencerai par soulever un point que ni vous-même, monsieur le ministre, ni le rapporteur général n'avez abordé, à savoir la mise sous surveillance renforcée de la France dès le 5 mars.

Monsieur le ministre, j'ignore si vous êtes inquiet, mais en tout cas Bruxelles et l'Europe tout entière le sont : la France, deuxième économie de la zone euro, se voit reprocher le niveau élevé de sa dette et son manque de compétitivité.

Les réformes structurelles annoncées n'ont pas été réellement engagées et il semble que les critères de Maastricht ne seront pas respectés à l'horizon 2014-2015, malgré le délai supplémentaire accordé par la Commission.

Si l'on examine la situation des autres États membres, l'Irlande et l'Espagne se retrouvent dans la même configuration ; seules la Croatie, la Slovénie et l'Italie sont dans une situation plus délicate encore.

Monsieur le ministre, j'aimerais savoir comment et dans quels domaines vous réaliserez les 50 milliards d'euros d'économies annoncés pour la période 2015-2017. La Commission européenne attend une réponse claire pour le 15 avril.

J'aimerais également savoir comment la France rétablira la compétitivité de son industrie, compte tenu du coût du travail dans notre pays - le plus élevé d'Europe - et de la rigidité du marché du travail.

Vous me répondrez sans doute que le pacte de responsabilité est là pour apaiser mes inquiétudes. (Sourires.) Je crains toutefois que vous ne puissiez me rassurer ni, plus encore, rassurer Bruxelles.

Permettez-moi de vous rappeler, sans malice ni cruauté aucune, ces récents propos du commissaire Olli Rehn : « En dépit des mesures prises pour relancer la compétitivité, on ne relève encore que de faibles indices d'un rééquilibrage. La France doit améliorer l'environnement de l'entreprise et renforcer la concurrence dans les services. Compte tenu des niveaux élevés des dépenses publiques, nous attirons l'attention de la France sur le fait qu'elle n'atteindra pas les objectifs fiscaux qu'elle avait fixés en juin. »

Pour ma part, je crains que les marchés ne finissent par douter de la volonté, de la capacité de la France à se réformer.

Je souhaite maintenant évoquer la question de la compétitivité industrielle.

La Commission européenne souligne que l'une des clés de cette compétitivité est le coût de l'énergie. Grâce à sa filière nucléaire, c'est précisément l'un des points sur lesquels la France dispose d'un réel avantage sur ses partenaires.

Je sais que ce sujet - je me tourne vers M. Gattolin - suscite l'émotion et est source de clivages, mais a-t-on le droit de faire fi de notre excellence dans ce domaine quand on sait que l'énergie nucléaire est vertueuse au regard des émissions de gaz à effet de serre ? Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l'heure que la France allait appuyer la proposition de la Commission de réduire de 40 % à un certain horizon les émissions de gaz à effet de serre. Je rappelle que, pour produire 1 kilowattheure d'électricité, la France émet seulement 75 grammes de CO2, quand l'Allemagne en émet sept fois plus, soit un peu plus de 580 grammes. Il ne faut pas l'oublier.

Je n'irai pas jusqu'à rappeler le coût de production du kilowattheure selon la source d'énergie utilisée ; pour m'en tenir à la problématique du nucléaire, je relèverai simplement que, en Allemagne, le prix du kilowattheure oscille entre 0,14 euro et 0,21 euro en fonction de la taille de l'entreprise, quand en France il est compris entre 0,07 euro et 0,12 euro. Dans l'industrie chimique, l'énergie représente 80 % des coûts...

Pour conclure, je rappellerai l'invitation à sortir de l'ambiguïté sur la problématique du nucléaire qu'a excellemment adressée au Gouvernement, le 25 février dernier, notre collègue Jean-Claude Lenoir, lors de l'examen de la proposition de résolution relative à la transition énergétique présentée par le groupe UMP. Je le fais, là encore, sans aucune malice, car il s'agit d'un sujet tout à fait transversal, qui ne devrait pas être source de clivage entre la droite et la gauche. D'ailleurs, dans nos familles politiques respectives, certains partagent les mêmes opinions en la matière. L'opposition, à laquelle j'appartiens, est tout à fait prête à vous épauler : nous ne pouvons pas faire fi de l'excellence de notre pays dans ce domaine.

Je remercie la commission des affaires européennes de m'avoir confié le soin de rédiger un rapport sur la nouvelle directive relative à la sûreté nucléaire, qui devrait parfaire celle de 2009. Monsieur le ministre, j'aimerais savoir si vous entendez donner toute sa place à la filière nucléaire dans l'équation fondamentale posée par la Commission en vue de la réindustrialisation de l'Europe et de la maîtrise du coût de l'énergie.

M. Simon Sutour, président. - La parole est à Mme Michelle Demessine, pour le groupe CRC.

Mme Michelle Demessine. - Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 20 et 21 mars prochain se tiendra dans un contexte de crise de la zone euro.

Cela a été dit, la croissance, la compétitivité et l'emploi seront les principales thématiques inscrites à l'ordre du jour. Les discussions permettront notamment d'aborder le sujet essentiel du coût de l'énergie dans la production et la compétitivité industrielles. Dans ce cadre, un débat d'orientation aura lieu sur la base de la communication de la Commission européenne en matière de climat et d'énergie.

Bien évidemment, comme à l'accoutumée, un point sera fait sur l'évolution de l'Union économique et monétaire, avec l'objectif d'évaluer les progrès d'ensemble réalisés dans la mise en oeuvre des recommandations pour chaque pays.

Par ailleurs, ce sera également l'occasion de dresser un bilan de l'avancement des travaux concernant la mise en oeuvre de la stratégie Europe 2020, qui vise à développer une croissance intelligente, durable et inclusive.

Si nous soutenons volontiers la démarche de recherche d'une croissance durable et intelligente, que nous estimons nécessaire au vu de la transition énergétique en cours, nous sommes, en revanche, beaucoup plus sceptiques sur les conclusions de ce Conseil européen en matière de bilan économique. Une fois de plus, les décisions seront prises aux dépens des spécificités et des intérêts des États.

Or, en matière d'énergie, c'est non seulement l'incidence sur l'environnement qu'il faut prendre en compte, mais également la portée sociale et économique inhérente à toute réflexion préalable aux transitions énergétiques.

Certes, il faut une énergie plus propre, mais il importe qu'elle soit accessible, produite et distribuée par des réseaux publics en dehors de toute concurrence libérale qui se ferait au détriment des consommateurs.

La définition même du développement durable, concept issu, en 1992, du rapport Brundtland, repose sur les trois piliers que sont l'économique, le social et l'écologique, soutenus par une gouvernance fondée sur la participation de tous les acteurs au processus de décision.

Nous sommes loin de telles considérations avec les décisions de la Commission européenne... Celle-ci souhaite imposer son orthodoxie libérale en dehors de toute prise en compte des spécificités nationales.

Non seulement l'ultra-libéralisation du secteur énergétique pourrait toucher durablement les ménages français, mais elle remettrait en cause la notion d'énergie comme bien universel. Il s'agit finalement d'imposer d'en haut des mesures déconnectées de toute réalité vécue par les citoyens.

Il en est de même pour les négociations relatives au traité transatlantique, dont on ne sait pas grand-chose et sur lesquelles aucun Parlement ni aucun citoyen n'a de droit de regard. Négocié dans le plus grand secret, ce traité, ardemment soutenu par les grandes multinationales, prévoit l'ouverture à la concurrence et la déréglementation de nombreux secteurs, notamment les services publics.

Bien que l'on nous répète que cela n'est pas, pour le moment, à l'ordre du jour - nous en doutons -, ce traité est une copie conforme de l'accord multilatéral sur l'investissement négocié entre 1995 et 1997, qui prévoyait déjà une libéralisation accrue des échanges à l'exclusion de toute barrière inscrite dans les législations nationales. Il bradera des pans entiers du secteur non marchand et présente donc un certain nombre de menaces pour les droits sociaux, l'emploi, l'environnement, l'agriculture, les droits civiques, la vie privée, la santé, la régulation financière et la démocratie. Nous sommes donc plus que sceptiques sur les effets positifs à attendre de ce traité transatlantique en termes d'emplois et de croissance.

Monsieur le ministre, pourriez-vous faire un point précis sur l'état des négociations, les mesures discutées et les dispositions protectrices prévues, afin de clarifier la situation ? Surtout, nous demandons un droit de regard du Parlement et des citoyens sur cet accord, qui est susceptible de modifier totalement notre paysage économique et social.

Par ailleurs, il est fâcheux de constater que la Commission européenne ne se gêne pas pour user de son droit de regard sur les États membres, notamment sur ceux qu'elle considère comme étant les mauvais élèves : avec certains indicateurs économiques dans le rouge, la France est désormais placée sous haute surveillance !

Le 5 mars dernier, la Commission européenne exprimait, par la voix de son commissaire aux affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, ses griefs contre la France : le coût du travail serait trop élevé dans notre pays, la dette publique ne cesse de gonfler et la compétitivité n'est pas au rendez-vous. Dans un communiqué, la Commission européenne explique que l'aggravation de déséquilibres macroéconomiques impose la mise en place d'une surveillance étroite et l'adoption de mesures politiques ambitieuses. En dénonçant le franchissement de la barre des 3 % par le déficit public français, la Commission européenne exerce, ni plus ni moins, une police budgétaire.

Les dirigeants européens réclament donc, sans surprise, une nouvelle casse sociale du système économique français, alors que la France est la deuxième économie de l'Europe. Cette ingérence de la Commission européenne dans les comptes publics de la France est une atteinte à la souveraineté nationale et relève d'un déni de démocratie de la part des institutions européennes.

Pourtant, la France a les moyens d'être compétitive et dispose de toutes les ressources, aussi bien humaines que technologiques, pour relever le défi de l'innovation et de la croissance. En ce sens, nous saluons la prise de position de M. le ministre chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, Benoît Hamon, qui a osé évoquer le coût du capital, quand seul le coût du travail est pointé du doigt pour expliquer une compétitivité prétendument trop basse.

Certains avancent que le manque de compétitivité de nos entreprises sur le marché international est dû au coût du travail dans notre pays et à nos acquis sociaux ; pourquoi, pour reprendre les termes de M. Hamon, ne pas examiner si la faiblesse des investissements n'est pas aussi la conséquence d'un coût du capital trop élevé ? N'est-il pas temps d'engager enfin de véritables discussions sur le coût du capital pour l'économie et la compétitivité françaises ?

De même, nous aimerions savoir, monsieur le ministre, ce qu'il en est des discussions sur la fameuse taxe sur les transactions financières. La création de cette taxe serait, nous dit-on, en bonne voie, mais elle ne cesse d'être reportée à plus tard. De plus, des exceptions seraient prévues. On peut légitimement s'interroger : face à la levée de boucliers des banques, la volonté politique ne va-t-elle pas encore céder ?

Enfin, le Conseil européen sera aussi l'occasion d'aborder le volet des relations extérieures de l'Union européenne. À cet égard, la situation ukrainienne nous impose de relever deux défis importants.

En premier lieu, l'Ukraine - unitaire ou coupée en deux - ne doit pas servir de zone tampon où Américains, Européens et Russes batailleraient pour sauvegarder leurs intérêts au détriment des Ukrainiens. Après plusieurs années de lutte contre l'oligarchie de la corruption, que ce soit celle du président Ianoukovitch, celle de son prédécesseur Viktor Iouchtchenko ou encore celle de la nouvelle faction au pouvoir, les Ukrainiens veulent un pays apaisé, démocratique, qui puisse enfin se concentrer sur son développement économique. L'Union européenne et la France doivent pleinement s'engager dans le soutien aux forces progressistes et démocratiques ukrainiennes.

En second lieu, il ne s'agit pas de prendre parti de façon unilatérale dans ce conflit géopolitique dans lequel préexistent des intérêts non seulement politiques, mais également économiques et énergétiques.

L'Union européenne et la France doivent travailler à remettre à plat au plus vite les négociations et les discussions avec la Russie, partenaire historique, afin d'élaborer une politique de voisinage dépassant les tensions et les ruptures du passé, que les résultats du référendum organisé dimanche dernier en Crimée n'ont fait qu'exacerber.

Les aspirations des anciens pays d'Europe centrale et orientale - les PECO - ne peuvent trouver de réponse complète ni auprès de la seule Union européenne ni auprès de la seule Russie, comme l'expliquent d'ailleurs nos collègues Simon Sutour et Jean Bizet dans leur rapport d'information.

Il nous revient d'encourager et de soutenir le processus démocratique, mais laissons au peuple ukrainien la liberté de se prononcer sur les questions d'intérêt national dont il est le seul garant.

Je conclurai mon propos en évoquant la tenue du quatrième sommet Union européenne-Afrique, les 2 et 3 avril prochain à Bruxelles. Ce sera l'occasion de resserrer les partenariats existants et de progresser vers une meilleure collaboration. Il est plus que nécessaire de tirer les leçons de l'échec de la conférence de Tripoli de 2010 et de redéfinir les partenariats stratégiques usés par le régionalisme et le manque de cohérence et de collaboration au sein de l'Union africaine. J'ai compris, monsieur le ministre, que ce sera aussi le moment de faire le point sur la participation européenne à l'intervention menée en Centrafrique. La mobilisation européenne, si laborieuse, continue à se faire attendre !

Telles sont les réflexions que le groupe CRC souhaitait verser au débat préalable au prochain Conseil européen.

M. Simon Sutour, président. - La parole est à Mme Bernadette Bourzai, pour le groupe socialiste.

Mme Bernadette Bourzai. - Ma préoccupation principale a trait au volet relatif au changement climatique et à l'énergie.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué que l'ordre du jour du Conseil européen risquait d'être perturbé en raison de l'actualité ukrainienne. On peut le regretter, mais celle-ci nous ramène néanmoins à la problématique que je souhaite évoquer - même si bien sûr elle la dépasse -, eu égard à l'importance des enjeux stratégiques, dans le domaine énergétique, pour la Russie et l'Union européenne, notamment les anciens pays de l'Europe centrale et orientale.

Vous avez souligné un problème de calendrier : certains pays ont la ferme volonté de prendre en compte les propositions de la Commission européenne, notamment l'objectif ambitieux de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, tandis que d'autres, majoritaires semble-t-il, sont beaucoup moins allants, l'Allemagne ayant quant à elle une position intermédiaire.

Dans ces conditions, pouvons-nous malgré tout espérer que l'Union européenne se dotera d'une stratégie commune avant la conférence sur le climat qui se tiendra à Paris en 2015 ? On le sait, dans ce type de négociations, ce sont surtout les appréciations nationales qui prévalent, et il ne sera pas aisé de parvenir à adopter une position commune face aux autres puissances mondiales, ce qui serait pourtant souhaitable.

Ma deuxième interrogation porte sur les propositions de la France en matière de réforme du système européen d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre. Le sujet est un peu technique, mais votre réponse nous éclairera sur la volonté de notre pays en la matière.

Par ailleurs, pourriez-vous nous donner des informations sur les conclusions du rapport Charpin, remis fin février, sur le paquet énergie-climat 2020 ? Je voudrais notamment en savoir davantage sur les modalités de la réforme du marché du carbone. Il s'agit là d'un point important, y compris sur le plan national.

Enfin, vous avez évoqué à juste titre la question des aides d'État dans le domaine de l'énergie. Les ministres français, allemand, italien et britannique compétents en la matière ont récemment adressé au commissaire européen Almunia une lettre pour l'interroger sur la capacité des États à déterminer leur propre politique énergétique, tout en respectant les orientations définies par l'Union européenne. Cela rejoint la notion de flexibilité que vous avez évoquée. Pourriez-vous nous apporter quelques informations complémentaires sur ce volet énergétique ?

M. Simon Sutour, président. - La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.

M. André Gattolin. - Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'ordre du jour d'un Conseil européen est toujours particulièrement riche et, presque immanquablement, des événements imprévus viennent le perturber, ce qui oblige à hiérarchiser les priorités.

Pour ma part, j'avais prévu d'intervenir sur le volet énergie-climat. À cet égard, je suis particulièrement satisfait de constater que tous les intervenants, au premier rang desquels M. le ministre, ont longuement traité cette question. Je souhaite néanmoins y revenir brièvement.

Pour reprendre les termes employés par le Président de la République lors de la conférence environnementale de septembre dernier, la transition énergétique n'est pas un problème ; elle est la solution.

Nous ne sommes pas simplement tiraillés entre la situation gravissime en Ukraine et les questions économiques et financières que nous soumet traditionnellement la Commission européenne depuis un certain nombre d'années : la problématique du climat et de l'énergie recoupe ces deux volets.

La transformation de notre économie afin de produire et d'utiliser l'énergie de façon plus responsable, d'améliorer l'efficacité énergétique et de faire évoluer les modes de production dans un sens plus écologique n'est pas simplement une contrainte ; elle peut aussi permettre la création de nombreux emplois, l'amélioration de la compétitivité européenne et la réalisation, à moyen terme, d'importantes économies.

À cet égard, je dois dire que je suis toujours inquiet lorsque j'entends parler de compétitivité, car l'Union européenne en a une conception un peu simpliste, selon laquelle si nous voulons améliorer notre compétitivité et nos performances, nous devons investir énormément en recherche-développement. Certes, il faut favoriser l'innovation, mais si cela ne s'accompagne pas des structures d'accompagnement adéquates, on constate une fuite des connaissances et des cerveaux.

Dans le même esprit, j'ai relevé un paradoxe dans la démonstration faite par M. Bizet, qui nous a expliqué que l'énergie est beaucoup plus chère en Allemagne que chez nous : cela n'empêche pourtant pas l'économie de ce pays d'être particulièrement compétitive...

M. Gérard Longuet. - Et polluante !

M. André Gattolin. - Oui, c'est vrai. Au passage, je signale que les écologistes allemands ont dénoncé la décision de Mme Merkel de sortir plus rapidement du nucléaire en recourant au charbon, la jugeant irréaliste.

À cet égard, le vrai problème est le suivant : si, à l'échelon européen, nous savons à peu près nous fixer des objectifs en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre - c'est déjà un peu plus difficile en matière de développement des énergies renouvelables et ce l'est plus encore pour ce qui concerne l'efficacité énergétique -, nous avons en revanche du mal à discuter entre nous des modalités et des instruments à mettre en place.

Ainsi, en France, nous recourons moins que d'autres aux énergies renouvelables au motif qu'elles coûtent cher à court terme, tandis que, ailleurs, on utilise de manière excessive les hydrocarbures et les énergies fossiles.

En réalité, la tension actuelle entre l'Ukraine et la Russie renvoie très clairement à la question de notre indépendance énergétique. Je suis favorable à ce qu'un débat européen puisse se tenir sur ce sujet, pour évaluer l'apport non seulement du nucléaire, mais aussi des énergies renouvelables.

Il y a quelques années, lorsque M. Obama a voulu lancer un plan en faveur du développement des énergies renouvelables, il s'est heurté au fait que la plupart des brevets, qu'il s'agisse de l'éolien, de la biomasse ou du solaire, étaient allemands ou japonais. Les brevets français sont rares dans ces domaines : nous prenons un retard industriel très important ! Nous sommes peut-être performants dans le nucléaire, encore que ce point mériterait d'être discuté eu égard au retrait d'EDF du projet d'EPR en Finlande, mais nous ne pouvons faire l'économie d'un grand débat sur les questions énergétiques et les stratégies à adopter.

Par ailleurs, la position du Conseil européen par rapport aux propositions de la Commission européenne en matière énergétique, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de développement des énergies renouvelables et d'amélioration de l'efficacité énergétique est floue et incertaine. Cependant, en février dernier, le Parlement européen a adopté, à une assez large majorité, une résolution très ambitieuse sur ces trois sujets, fixant les objectifs suivants : réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à leur niveau de 1990, relèvement à 30 % de la part des sources renouvelables dans la production d'énergie et amélioration de l'efficacité énergétique à hauteur de 40 %. Mais aujourd'hui, un certain nombre de pays, notamment la Pologne, refusent la mise en oeuvre de ces objectifs, qui paraissent pourtant largement partagés.

Il s'agit non pas de dire que la France va sortir du nucléaire du jour au lendemain ou que l'Allemagne doit continuer de produire de l'électricité à partir du charbon, mais de discuter des moyens à mettre en place ensemble pour progresser. Aussi, monsieur le ministre, souhaiterais-je savoir dans quelle mesure le Gouvernement français entend promouvoir ces objectifs, notamment à l'occasion du Conseil européen.

Enfin, concernant les événements en Ukraine, j'ai constaté avec satisfaction que l'Union européenne, pour la première fois dans ce type de crise, a adopté une série de sanctions financières ciblées contre des responsables russes et ukrainiens. Cela est nettement préférable à des sanctions générales, qui affectent surtout les populations.

Dans cet ordre d'idées, la France ne pourrait-elle pas, de façon unilatérale, revenir sur l'accord de coopération sécuritaire conclu avec la Russie, en vertu duquel notre gendarmerie organise régulièrement des sessions de formation dites de « gestion démocratique des foules » au profit des services de sécurité russes ? Cette question mérite d'être soulevée, dans la mesure où les personnels russes ainsi formés par nos soins sont ensuite amenés à participer à des opérations de répression. Je ne sais pas si M. le ministre pourra répondre sur ce point, mais cette coopération devient gênante au regard des valeurs que promeut notre pays.

M. Simon Sutour, président. - La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour le groupe de l'UDI-UC.

M. Aymeri de Montesquiou. - MM. Bizet et Gattolin ayant excellemment parlé des problèmes d'environnement, je me bornerai à observer, sur ce sujet, que l'Allemagne exporte beaucoup vers la France, notamment sa pollution, et ce de manière en quelque sorte délibérée, dans la mesure où nos voisins ont choisi de privilégier les centrales à charbon et au lignite, plutôt que le nucléaire, pour produire de l'électricité : on en voit les conséquences aujourd'hui !

Pour ce qui est des engagements de la France à l'égard de la Commission en matière budgétaire, je crois que nous nous demandons tous avec inquiétude comment ils pourront être tenus. Le 15 avril est une date importante à cet égard : le Gouvernement annoncera alors la baisse de certaines dépenses publiques. Ma question sera simple : où, quand et combien ?

En ce qui concerne l'Ukraine, l'Union européenne, en particulier son haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a une part de responsabilité dans la situation actuelle. Je vais m'en expliquer.

Lorsque l'on représente son pays ou l'Union européenne sur la scène internationale, il faut un minimum de culture. Chacun sait que, au Xe siècle, l'Ukraine a été le berceau de la Russie. Par ailleurs, il s'agit d'un pays hétérogène : sa partie occidentale est catholique et a appartenu successivement à la Lituanie, à la Pologne ou à l'empire austro-hongrois, tandis que sa partie orientale est orthodoxe et russe depuis trois siècles. Par conséquent, il me semble effrayant, consternant que l'on puisse considérer la situation actuelle de manière globale, sans la moindre nuance !

En outre, l'Union européenne a laissé entendre - sans le formuler explicitement, puisqu'elle ne le veut pas - qu'il existait une possibilité d'admission de l'Ukraine en son sein. En tout cas, les Ukrainiens de l'Ouest ont compris qu'ils rejoindraient l'Union européenne d'ici à quelques années. Ce quiproquo est absolument désastreux !

Par ailleurs, j'ai été stupéfait de voir Mme Ashton se faire photographier aux côtés de M. Oleg Tiagnibok, dont l'inspirateur est M. Stepan Bandera : les plus âgés d'entre nous se souviennent sans doute des affiches que l'on pouvait voir à Paris, dans les années cinquante, montrant ce personnage qui a tout de même coopéré avec les nazis pendant la guerre germano-soviétique. J'ajoute que M. Tiagnibok a été vu exécutant le salut nazi sur une estrade... Il me semble tout à fait effarant et inadmissible que la personne qui représente l'Union européenne prenne de tels risques !

Les Russes considèrent, à tort, que l'Ukraine est toujours un de leurs satellites, mais il faut que nous nous convainquions qu'il s'agit bien, pour eux, d'un pays différent des autres, pour des raisons à la fois affectives, historiques et économiques : affectives, parce que c'est le berceau de la Russie ; historiques, parce que, depuis trois siècles, l'Ukraine est russe ; économiques, parce que, sans la Russie, cet État se trouve privé de ressources énergétiques. Or tous ces éléments ont été totalement ignorés, ce qui me semble extrêmement grave.

En l'occurrence, l'Union européenne se comporte comme le petit caniche de la secrétaire d'État adjointe américaine, Mme Nuland, qui a résumé ainsi la position des États-Unis à l'égard de l'Union européenne : « Fuck Europe ! » C'est très clair : les États-Unis veulent une Europe faible, et ils considèrent que la Russie est toujours l'Union soviétique, les tentatives pour faire entrer la Géorgie et l'Ukraine dans l'OTAN en étant la meilleure démonstration.

Certes, le référendum qui s'est tenu en Crimée ne s'inscrit pas dans la légalité, mais ce n'était pas davantage le cas de celui qui a été organisé au Kosovo.

M. André Gattolin. - Pas du tout !

M. Aymeri de Montesquiou. - Comment cela ? Le contexte n'est pas le même, mais comment voulez-vous expliquer aux Russes qu'ils ont tort, alors que le Kosovo a été arraché à la Serbie, dont il est pourtant aussi le berceau ? Je rappelle que, de surcroît, Belgrade a été bombardé par l'aviation de l'OTAN sans autorisation des Nations unies. On ne peut pas être convaincant et apparaître comme juste en pratiquant le « deux poids, deux mesures ».

L'Union européenne s'est comportée de manière vraiment irresponsable et a fait preuve d'un amateurisme flagrant ! Que les Ukrainiens aspirent à une coopération avec l'Union européenne, soit, mais il faut prendre en compte la diversité du pays. À cet égard, il me semble qu'il pourrait être proposé d'organiser un référendum dans chaque province, pour lui permettre de déterminer si elle fera partie d'un État ukrainien unitaire ou fédéral ou si elle rejoindra la Russie. Il était évident que la Crimée, dont la population est russe à une écrasante majorité, souhaiterait être rattachée à la Russie. Il est évident aussi, même si cela n'a jamais été pris en compte, que tous les Ukrainiens ne parlent pas forcément l'ukrainien, alors qu'ils parlent tous le russe.

J'y insiste, cette absence de connaissance du terrain amène l'Union européenne à commettre des fautes terribles. Monsieur le ministre, j'aimerais notamment que vous m'expliquiez comment Mme Ashton a pu se faire photographier au côté de l'individu que j'ai mentionné. Trouvez-vous cela normal ? La France ne doit-elle pas émettre une protestation officielle ?

Pour conclure, je sortirai des frontières de l'Ukraine pour mieux mettre en évidence l'application trop fréquente du « deux poids, deux mesures » : est-ce que l'Union européenne réagit lorsqu'Israël ne respecte pas le droit international ? Non ! Nous nous taisons ! En revanche, avec la Russie, nous avons réagi sans prendre en compte tous les paramètres de la situation particulière de l'Ukraine.

M. Simon Sutour, président. - Je donne maintenant la parole à M. le ministre délégué, pour répondre aux différentes interventions que nous venons d'entendre.

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Vous conviendrez, monsieur le président, que les thèmes abordés ont été multiples et variés, recouvrant un spectre très large, c'est le moins que l'on puisse dire, de la dimension européenne. (Sourires.)

Je commencerai par les aspects financiers et budgétaires, qui ont été notamment évoqués par M. le rapporteur général de la commission des finances. Je sais que celui-ci a dû quitter la séance pour honorer un engagement en tant que membre du conseil de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations.

Je tiens à dire d'emblée que nous avançons sur le mécanisme de résolution unique.

Comme vous le savez, l'union bancaire est en train de se construire à partir de deux piliers.

Le premier pilier consiste en ce que l'on appelle la supervision unique, qui est placée sous l'autorité de la Banque centrale européenne. Elle est en train de se mettre en place et sera opérationnelle en octobre prochain, le temps d'embaucher un millier de spécialistes de la supervision bancaire. Ceux-ci seront d'ailleurs dirigés par une Française, Mme Danièle Nouy, qui travaillait à l'origine à la Banque de France.

La mission dont la responsabilité a été confiée à Mme Nouy comporte une dimension de prévention à l'égard des banques. L'idée est de s'assurer que nous n'aurons pas à connaître, dans les années qui viennent, de krach bancaire. Or la meilleure façon de l'éviter est de vérifier que la santé financière des différentes banques ne présente pas d'aspects inquiétants. Toutes les banques seront donc soumises, à partir du printemps, à des stress tests permettant de mesurer leur fiabilité. Telle est l'objet de la supervision bancaire.

Le deuxième pilier est constitué par le mécanisme de résolution unique : des « règles du jeu » sont établies, qui seraient mises en oeuvre dès lors que, malgré cette supervision préalable, nous serions contraints de réagir à l'égard d'une banque qui rencontrerait de très graves difficultés, notamment s'il s'agit de l'une des 130 banques qui présentent un risque systémique, c'est-à-dire celles dont l'importance est telle qu'elles peuvent, en cas de difficultés, entraîner en cascade des problèmes dans d'autres grands établissements.

Nous sommes en train de discuter des modalités de mise en place de ce mécanisme de résolution unique. Une réunion de travail sur cette question se tient aujourd'hui même à Bruxelles, ainsi d'ailleurs qu'un trilogue entre la Commission, le Conseil et le Parlement européens.

L'analyse du Gouvernement français est très proche de celle du Parlement européen : nous souhaitons donner à la Commission plus de latitude de décision, de manière que les règles soient les mêmes pour tous les pays de l'Union européenne, qu'ils soient du sud ou du nord de l'Europe.

Pour être opérationnel, ce système nécessitera la mise en place d'un fonds de résolution unique. Concrètement, nous allons demander que les banques payent pour leurs homologues en difficulté et que, en cas de problème dans l'une des 130 banques systémiques, ce ne soit plus l'État au sein duquel ladite banque est installée qui vienne à son secours, mais un fonds d'assurance mutualisé - je simplifie à l'extrême, mais c'est plus clair ainsi.

Dans les discussions en cours avec le Parlement européen, il est prévu une montée en puissance de ce fonds sur dix ans. Celui-ci sera donc totalement opérationnel à cette échéance et il sera crédité de 55 milliards d'euros.

Le Parlement européen juge cette montée en puissance trop lente, et nous partageons cette analyse. Le rapporteur estimait qu'un délai de cinq ans serait plus acceptable. Un accord semble aujourd'hui se dessiner autour d'une durée de sept à huit ans. La discussion sur ce point se poursuivant à l'heure actuelle, je ne peux toutefois rien vous confirmer pour le moment.

On note incontestablement des avancées depuis quelques jours, notamment de la part de certains pays qui ne voulaient absolument pas parler de mutualisation du risque, craignant que cela ne donne à penser à leurs citoyens qu'ils seraient susceptibles de devoir venir à la rescousse d'une banque en Espagne, en Grèce ou à Chypre...

Il est vrai qu'il s'agit d'accepter une solution supranationale et de reconnaître que le système bancaire européen fonctionne désormais selon des standards non plus nationaux mais européens.

On pouvait redouter que la Cour de Karlsruhe ne juge cette évolution inconstitutionnelle, mais les dernières décisions qu'elle a rendues semblent ouvrir des perspectives plus favorables qu'il y a quelques mois.

Nous avançons donc vers une solution sur le mécanisme de résolution unique, et je suis plutôt optimiste sur le fait qu'il puisse être définitivement adopté avant la fin de la présente mandature, c'est-à-dire dans quelques semaines.

S'agissant maintenant de la communication faite par la Commission européenne à la fin du mois de février et selon laquelle certains pays ne respecteraient pas leurs perspectives de déficit budgétaire, je souhaite préciser que le texte de la Commission souligne également plusieurs aspects positifs, qui ont, me semble-t-il, été sous-estimés dans certaines des interpellations que vous m'avez adressées aujourd'hui.

Cette communication évoque ainsi la justesse des hypothèses qui ont été retenues par la France en matière de croissance pour établir sa trajectoire de finances publiques. Pour l'année 2014, la Commission est même plus optimiste que la base sur laquelle les commissions des finances des deux chambres ont été saisies par le Gouvernement. La loi de finances a en effet été construite sur une hypothèse de croissance de 0,9 % en 2014, alors que la Commission table plutôt sur un taux de 1 %.

Elle pointe néanmoins, dans le même temps, le risque que la France dépasse les cibles de déficit qui lui ont été recommandées en juillet dernier par le Conseil.

Certes, la Commission estime donc que notre croissance sera plus importante que nous ne l'avons prévu pour établir nos perspectives budgétaires, mais nous voulons être prudents ; c'est pourquoi nous demandons à la Commission d'attendre, à la fin du mois, la publication des chiffres définitifs de 2013 avant de tirer des conclusions dans un sens ou dans un autre.

M. Bizet m'a interrogé sur les annonces de la France en matière de réduction de la dépense publique, présageant que j'allais lui répondre que les 50 milliards d'euros d'économies seraient détaillés dans le pacte de responsabilité qui sera prochainement soumis à la représentation nationale.

Oui, en effet, ces chiffres seront connus, puisque nous devons aussi communiquer avant la fin du mois d'avril à la Commission européenne nos perspectives de réduction du déficit sur la période 2015-2017. Dans le même temps, le contenu du pacte de responsabilité sera connu.

Je ne vous dirai donc pas aujourd'hui sur quoi cet effort de 50 milliards d'euros portera précisément.

M. Aymeri de Montesquiou. - Où, quand, combien ?

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Je n'ai pas oublié votre question, monsieur de Montesquiou. Mais il ne vous aura pas échappé que le pacte de responsabilité fait actuellement l'objet d'un dialogue avec les partenaires sociaux, notamment les représentants des employeurs. Nous nous entretenons également avec les associations d'élus, pour voir si une part de l'effort sera accomplie par les collectivités locales.

Mais, rassurez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, il ne vous reste plus beaucoup de temps à attendre. Le Premier ministre lui-même a indiqué qu'une déclaration de politique générale serait prononcée à l'Assemblée nationale, sur laquelle la responsabilité du Gouvernement serait engagée. Et, sans vous révéler de secret, je puis vous indiquer qu'il sera question à la fois du pacte de responsabilité, de la loi de transition énergétique et des perspectives budgétaires pour 2015-2017.

Prenez donc votre mal en patience, monsieur de Montesquiou, et vous aurez des réponses à vos questions ! Je suis d'ailleurs très curieux de savoir si vous accorderez votre confiance au Gouvernement, sur la base des propositions qui seront faites.

M. Aymeri de Montesquiou. - Voterons-nous, au Sénat ?

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Le Gouvernement engagera sa responsabilité à l'Assemblée nationale, mais, parallèlement, comme cela se fait traditionnellement, une partie du Gouvernement se déplacera au Sénat, car nous traitons les deux chambres avec un égal respect. Vous n'ignorez pas comment les choses se déroulent habituellement, monsieur de Montesquiou...

Monsieur Bizet, vous avez aussi évoqué, tout comme d'autres intervenants, la question du mix énergétique, sujet qui peut faire débat entre le Gouvernement et la représentation nationale, mais aussi, me semble-t-il, entre parlementaires.

Ce n'est pas à l'Union européenne - dont je ne suis évidemment pas ici le porte-parole : je suis le ministre représentant de la France dans le dialogue avec l'Union européenne - de définir les termes du mix énergétique, celui-ci relevant strictement de la souveraineté nationale. Cette précision figurera dans les conclusions de ce Conseil européen, comme nous avons tenu à ce qu'elle soit très clairement exprimée dans les propositions de la Commission du 22 janvier dernier.

Il appartiendra donc à chacun des États membres de conduire ce débat au sein de ses assemblées parlementaires, afin de déterminer quelles sont les priorités de sa politique énergétique.

Cela n'empêche pas que nous puissions avoir, à l'échelle de l'Union européenne, des objectifs, en ce qui concerne tant la protection de l'environnement que la lutte contre le réchauffement climatique. En la matière, la France est l'un des pays les plus volontaristes pour que nous nous engagions, au niveau de l'Union, sur une diminution de 40 % des gaz à effet de serre à l'échéance de 2030 par rapport aux émissions de 1990. Je pense qu'il ne sera pas possible de fixer un tel objectif à la fin de cette semaine, mais que ce sera possible d'ici quelques mois.

La souveraineté du mix n'empêche pas que nous nous fixions cette ambition, non plus qu'une autre d'ailleurs, à savoir une part incompressible d'énergies renouvelables, toujours à l'échelle de l'Union, à l'horizon 2030. En l'occurrence, nous proposons 27 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale de l'Union européenne.

Je ne doute pas que ces objectifs figureront dans le projet de loi en cours de préparation sur la transition énergétique, dont Philippe Martin a la charge et dont le contenu sera dévoilé dans le courant du mois d'avril.

Nous devons intelligemment utiliser les ressources renouvelables dont nous disposons, comme les barrages hydroélectriques ou la biomasse, mais aussi les nouvelles technologies ; je pense notamment aux améliorations en matière de stockage, que les spécialistes appellent le Power-To-Gas, aux réseaux d'interconnexion ou encore aux techniques fondées sur l'utilisation de l'hydrogène et de l'énergie solaire. Nous demandons à la Commission que le recours à ces nouvelles technologies puisse faire l'objet d'un accompagnement.

Cette question n'est d'ailleurs pas totalement disjointe de celle de l'Ukraine, les événements récents qui se sont déroulés dans ce pays lui ayant conféré une actualité et une importance que l'on ne pouvait pas soupçonner voilà quelques mois, quand nous avons demandé que la question énergétique soit inscrite à l'ordre du jour de ce Conseil européen.

Je rends aussi hommage aux parlementaires européens qui, dans les arbitrages sur le budget 2014-2020, ont réservé plusieurs milliards d'euros à la mise en place des équipements permettant d'assurer l'interconnexion des réseaux européens, afin de lutter contre les îlots énergétiques. Il y aura ainsi une interdépendance à l'échelle des Vingt-Huit. Il est clair, en effet, que la question énergétique est aussi une question de géostratégie : la liberté d'un pays d'assumer complètement son destin politique et économique en dépend.

La question des réseaux sera donc aussi l'une des priorités qui seront retenues, et j'espère qu'elle sera fortement aidée par les fonds disponibles au sein de l'Union européenne.

Je veux m'efforcer d'être le plus précis possible sur cette question de l'énergie, sur laquelle M. Bizet, Mme Demessine, Mme Bourzai, M. Gattolin ont insisté à juste titre.

Arriverons-nous à fixer cette ambition ? Ce n'est pas gagné d'avance ! Mais je ne veux pas jeter la pierre aux pays qui ont du mal à approuver spontanément cet objectif d'une diminution de 40 % des gaz à effet de serre et d'une part de 27 % d'énergies renouvelables.

Je rappelle d'abord qu'aucune autre partie du globe n'accepte ces objectifs pour le moment, ensuite que, comme sur d'autres sujets, il faut tenir compte de l'histoire et de la réalité de chaque pays.

Aujourd'hui, dans certains États de l'Union européenne, 90 % de l'électricité provient du charbon. Un objectif de diminution de 40 % des gaz à effet de serre d'ici à 2030 suscite donc légitimement des interrogations de la part des gouvernements de ces pays. Quelles seront les répercussions d'un tel objectif sur leurs propres industries ? Quel sera le coût des investissements à réaliser ?

Ils se demandent légitimement comment l'Europe va les accompagner dans l'effort qu'ils vont devoir accomplir, effort qui sera bien supérieur à celui que la France devra réaliser pour atteindre les mêmes objectifs.

M. Aymeri de Montesquiou. - Les efforts, nous les avons faits !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Nous les avons sans doute faits dans le passé, mais nous ne pouvons pas imposer cet objectif du jour au lendemain. Nous devons convaincre et trouver les outils pour aider ces pays à nous rejoindre pour promouvoir cette ambition.

C'est pourquoi j'ai l'intime conviction que, lors de ce Conseil européen, le « moins 40 % » ne sera pas gravé dans le marbre. En effet, ces pays, bien que conscients des enjeux liés à la protection de la planète et au réchauffement climatique, nous demandent un peu de temps.

La Pologne, sans doute en raison de l'importance du charbon dans son économie, est le pays le plus rétif. J'ai discuté de ces questions avant-hier soir avec mon homologue polonais : les Polonais sont d'accord pour nous rejoindre ; toutefois, ils ont besoin non seulement d'analyser les coûts induits par cette réduction, mais aussi de savoir s'ils disposeront des systèmes d'interconnexion leur permettant, par exemple, de profiter de l'énergie électrique provenant d'Espagne - où l'éolien s'est beaucoup développé - ou d'Irlande via un réseau sous-marin que nous devons mettre en place. Au passage, cela nous permettra également d'améliorer la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique.

Il s'agit d'une question complexe, qui a d'importantes répercussions. J'ai d'ailleurs, au nom de la France, demandé à la Commission européenne de tenir compte du fait que nous allions devoir accompagner, à travers différentes aides d'État, des industries très émettrices sur le chemin d'une consommation énergétique plus sobre. Je pense à la sidérurgie, aux cimenteries, à la production de pesticides, qui consomment beaucoup d'énergie.

Nous devons aussi songer aux emplois nouveaux que créeront les technologies vertes tout en nous efforçant de préserver les emplois des industries dont nous ne voulons plus qu'elles fonctionnent comme elles l'ont fait jusqu'à présent. Ces efforts doivent pouvoir être supportés par les États, à travers des aides publiques.

M. Aymeri de Montesquiou. - L'Allemagne a refusé !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Ne jetez pas la pierre à l'Allemagne sur ce sujet. Une rencontre a eu lieu hier entre les représentants allemand et polonais. Il faut savoir que l'Allemagne cherche à inciter les pays les plus réticents à s'aligner sur ces objectifs ambitieux. L'Allemagne a fait un choix ; il ne nous appartient pas de le mettre en cause puisque, je le répète, la question du mix énergétique relève de la souveraineté nationale. Il reviendra à l'Allemagne de faire en sorte de diminuer, comme elle s'y est engagée, ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % et d'arriver à une part de 27 % d'énergies renouvelables dans son mix. Il s'agit d'un engagement collectif, mais de solutions nationales !

Tout cela nécessite en outre une réforme complète du système européen d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre, le système ETS, c'est-à-dire du marché du carbone. Nous savons que nous n'arriverons à rien avec un prix de la tonne de CO2 aussi faible qu'il l'est actuellement. Nous allons donc mettre en place une réforme visant à en remonter le cours, de manière à inciter les industriels à investir.

Je voudrais évoquer brièvement l'accord de libre-échange.

Cet accord peut évidemment susciter des craintes légitimes quant à ses effets sur l'indépendance de notre économie, à la question de savoir qui dicte quoi à qui... Toutefois, pour avoir participé à l'élaboration du mandat de négociation avec les États-Unis donné à la Commission européenne au nom des Vingt-Huit, je peux vous dire qu'il est extrêmement strict.

Nous avons écarté, vous vous en souvenez, plusieurs pans de l'économie dont nous pensions qu'ils ne pouvaient être traités sous le seul angle économique. Il s'agit de tout ce qui a trait à l'exception culturelle : non seulement le cinéma, le théâtre ou les livres, mais aussi tout ce qui relève de l'économie numérique !

Nous avons également enlevé tout ce qui entre dans le champ du secteur de la défense et de l'armement et dans celui de ce que l'on appelle les « choix de société », en particulier dans le domaine agroalimentaire : nous ne parlerons donc pas de décontamination chimique des viandes, d'OGM, de « déchloration » des poulets, toutes choses acceptées sur le sol américain mais que nous ne voulons pas retrouver dans nos assiettes à l'issue de cette négociation.

Quatre réunions préliminaires ont déjà eu lieu entre l'Union européenne et les États-Unis. La Commission effectuera un reporting auprès des représentants, car nous souhaitons que le mandat de négociation soit scrupuleusement respecté. Il se trouve en effet que, dès la deuxième ou troisième réunion, les États-Unis ont demandé à revenir sur les trois « lignes rouges » que je vous ai citées. Nous avons fait savoir qu'il n'en était pas question.

Le 26 mars prochain aura lieu à Bruxelles une réunion à laquelle participera le président Obama. Il pourra ainsi voir dans quel état d'esprit se déroule la négociation. Il s'entretiendra avec MM. Van Rompuy et Barroso ; cela ne vous rassure peut-être pas (Sourires.), mais, en tout état de cause, il s'agit bien des présidents du Conseil européen et de la Commission... Quoi qu'il en soit, il n'y aura pas de franchissement des lignes rouges.

Même si l'on est ambitieux et que l'on souhaite aboutir rapidement, vous imaginez ce qu'une telle négociation implique : l'Union européenne et les États-Unis vont négocier sur tout le reste de l'économie. Nous allons devoir établir ensemble les normes, reconnues dans l'Union européenne et aux États-Unis, à partir desquelles se feront les échanges entre ces deux continents. Cela signifie qu'il s'agira de négociations très longues, nécessitant la rédaction de milliers de pages. Elles seront d'autant plus longues que nous serons très vigilants - c'est un point auquel nous tenons beaucoup - à ce que l'accord qui sera conclu avec le représentant des États-Unis soit opposable à chacun des États fédérés. Le marché fédéral étant différent du marché subfédéral, nous ne souhaitons pas que l'ouverture à la concurrence se retrouve, in fine, bloquée.

Quoi qu'il en soit, je vous rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, que c'est la représentation nationale qui dira si la France veut ou non de l'accord. En effet, ce type d'accord est soumis au vote des parlements et requiert l'unanimité des vingt-huit États membres. Dans ces conditions, je ne vois pas qui, parmi les responsables européens, s'engagerait dans des négociations aussi longues et complexes en prenant le risque de voir un pays refuser le contenu de cet accord.

Cela veut dire que le reporting va être considérable et qu'il se fera sans doute au gré de l'avancée des discussions. Je pense que Nicole Bricq pourrait être pour vous une très bonne interlocutrice...

M. Aymeri de Montesquiou. - Son arrière-petite-fille, plutôt ! (Sourires.)

M. Thierry Repentin, ministre délégué. ... dans les mois qui viennent et vous informer, en toute transparence, de l'état d'avancement et du contenu de ces négociations délicates, à l'égard desquelles, compte tenu des enjeux, je comprends votre vigilance.

En tout cas, cet accord n'échappera pas à la consultation démocratique.

Sur la question de savoir s'il y a une volonté politique concernant la taxe sur les transactions financières, la TTF, je réponds oui, à tout le moins en France.

En matière de fiscalité, je le rappelle, l'unanimité des pays membres de l'Union européenne est requise pour aboutir à un texte. Tous ne partagent pas la même ambition s'agissant de la TTF, mais nous sommes là dans le cadre d'une coopération renforcée, ce qui permet à au moins neuf États membres d'avancer sur un sujet.

À l'issue du conseil des ministres franco-allemand du 19 février dernier, nous avons rédigé une proposition qui a été soumise aux États acceptant d'avancer sur la mise en place de cette taxe. Ce n'est pas simple : au-delà des pressions exercées par les lobbies - il faut bien avouer que le monde de la banque et de la finance a peu d'appétence en la matière -, nous souhaitons nous assurer que le système retenu ne lésera aucun des onze États acceptant de prélever cette nouvelle ressource sur les échanges financiers pour l'affecter à l'économie réelle.

Le système financier de ces États n'a pas forcément la même structure : certains, comme la France, par exemple, se financent beaucoup sur des obligations ; d'autres s'appuient davantage sur les portefeuilles d'actions. Choisir tel ou tel produit sur lequel appliquer cette nouvelle fiscalité emportera évidemment des effets différents selon les pays. C'est la raison pour laquelle nous devons parvenir à un accord minimum entre les États concernés. Nous ne pouvons accepter, alors que nous faisons preuve de volontarisme, que tel ou tel d'entre eux soit mis en difficulté.

Je vous confirme l'existence de discussions et la volonté d'aboutir. Toutefois, la question de l'assiette de la taxe pose encore problème. Nous souhaitons mettre en place le système le plus équitable possible entre les onze volontaires.

J'imagine que cela vous a suffisamment mis en appétit pour inviter Pierre Moscovici et, éventuellement, le faire travailler sur cette question. Il n'y a pas de raison pour que le ministre des affaires européennes réponde à tout : il faut bien en laisser aux petits camarades ! (Sourires.)

J'en viens aux questions concernant l'Ukraine et la Russie.

L'Union européenne a-t-elle traité ce dossier de la façon la plus parfaite ? A-t-elle des responsabilités dans la situation présente ? Dans des dossiers d'une telle complexité, je crois très difficile de mener des négociations de manière parfaite. Je ne dirai pas qu'il n'y a pas eu de fautes commises de part et d'autre, c'est-à-dire par les trois acteurs principaux : Union européenne, Ukraine et Russie.

Vous faites référence, monsieur de Montesquiou, à l'histoire, à ce qu'a pu représenter la Crimée pour la Russie historique, pour l'empire russe. Personne ne conteste qu'une grande part de la population de Crimée se reconnaît aujourd'hui comme orpheline en raison d'une décision prise par Khrouchtchev en 1954.

M. Aymeri de Montesquiou. - Sans consultation, alors que, dans le cas présent, il y a eu une consultation !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Sans consultation, à l'époque, certes...

Cela étant, vous avez dit, me semble-t-il, que nous devions traiter ce dossier en tenant compte de sa dimension affective...

M. Aymeri de Montesquiou. - C'est bien ce que j'ai dit.

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Mais, dans une négociation internationale, donc en matière diplomatique, nous devons nous reposer sur le droit international. On ne peut résoudre les problèmes en tenant uniquement compte de raisons affectives ou historiques. En l'absence de références de droit international avalisées par tout le monde, on referait le monde sans arrêt !

Même s'il y a un appétit d'une partie de telle ou telle région de l'Ukraine - et je ne veux pas en citer d'autres que la Crimée -, ce n'est pas à nous, me semble-t-il, ni à l'Union européenne de dire au pouvoir ukrainien ce qui est bon pour lui.

Je veux vous rappeler, monsieur le sénateur, avec toute la considération que j'ai pour vous - je sais que vous connaissez excellemment cette partie du monde -, qu'un accord politique a été signé le 21 février. On ne va pas me dire qu'une pression venant de je ne sais quelle autorité internationale s'est exercée sur le président de l'époque, légitimement élu, le poussant à signer cet accord politique, ratifié par la Rada dans le contexte que l'on connaît.

Cet accord porte sur cinq points, qui tracent l'avenir de ce pays : tenue d'élections présidentielles avant la fin de l'année - aujourd'hui fixées au 25 mai -, élaboration d'une nouvelle constitution, mise en oeuvre de dispositions visant à favoriser le climat d'amnistie - notamment à l'égard de certains manifestants responsables de violences -, instauration de nouvelles lois garantissant que chacun pourra voter, voire être candidat, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui.

Ces engagements ont été pris par M. Ianoukovitch et les trois porte-parole de l'opposition, en présence de trois ministres des affaires étrangères et d'un représentant de la Russie. Tout cela s'est fait librement. Il s'agissait d'ailleurs, à mon sens, d'une sortie par le haut (M. Aymeri de Montesquiou opine.), que l'on doit saluer. Notre responsabilité est de nous assurer que cet accord, aujourd'hui reconnu, pourra trouver un aboutissement d'ici au 25 mai.

Que la représentante de l'Union européenne ait été photographiée en compagnie de personnes peu recommandables, c'est une autre question. Peut-être moi-même ai-je été ainsi photographié sans m'en rendre compte, et à mon corps défendant, en rencontrant des responsables politiques ou des manifestants ukrainiens ! Ce risque est grand lorsqu'on ne connaît pas personnellement les personnes concernées et que l'on rencontre cinquante interlocuteurs en deux jours. Au reste, lors de mes déplacements, je demande moi-même à mes collaborateurs : « Êtes-vous sûrs que je peux serrer la main à tel ou tel personnage ? » On peut facilement se laisser prendre au piège !

Par ailleurs, il faut évidemment tenir compte de l'histoire de l'Ukraine. C'est pour cela que nous avons invité M. Iatseniouk à constituer un gouvernement d'unité nationale, dans lequel toutes les minorités seraient représentées. Cela explique aussi que nous ayons immédiatement réagi lorsque, dans l'euphorie, la Rada a voté un texte de loi, à nos yeux totalement inopportun, au sujet de la langue russe.

M. Aymeri de Montesquiou. - C'était un signal !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Toutefois, on le sait bien, les révolutions donnent parfois lieu à de telles erreurs ! Nous avons souligné que cette décision était déraisonnable. Nous l'avons indiqué, nous souhaitons que l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe déploie le plus vite possible des observateurs dans toute l'Ukraine, pour vérifier qu'aucune minorité, russe, tatare ou autre, ne se sent menacée par le nouveau pouvoir. Nous devons être en mesure de donner des gages à tous, à la communauté internationale et, notamment, à la Russie. Nous devons nous assurer que nul n'est poursuivi au prétexte qu'il n'épouse pas le projet politique aujourd'hui défendu par les autorités de Kiev.

À mes yeux, en pareil cas, il faut s'en tenir au droit international. Sinon, nous ouvririons la porte à toutes les dérives, et ce dans toutes les parties du monde.

Monsieur de Montesquiou, je comprends la sensibilité particulière qui vous conduit à pointer du doigt certaines maladresses. Néanmoins, les plus grandes maladresses ont peut-être été commises par des gouvernements qui n'ont pas voulu jouer le jeu de réelles discussions en vue d'aboutir à un accord politique !

Au demeurant, j'ignore s'il n'y a pas, en la matière, une part de jeu personnel : M. Poutine songe sans doute à sa stature, à la place qu'il occupera dans l'histoire de la Russie.

Ces enjeux sont extrêmement complexes. Je ne ferai pas de grandes déclarations publiques. Notre devoir est de maintenir le dialogue.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'avez noté, l'Union européenne souhaite répondre à cette situation de manière unanime et avec fermeté. Mais le pire des scénarios serait la rupture des discussions, y compris avec les autorités russes. Voilà pourquoi nous préservons le dialogue ! (M. Aymeri de Montesquiou manifeste son scepticisme.) Je vous l'assure, monsieur de Montesquiou !

À cet égard, je loue le sang-froid dont font preuve les nouvelles autorités ukrainiennes. Contrairement à certains précédents - je pense, par exemple, à la Géorgie -, elles ne se sont pas précipitées vers une action militaire. On sait où cette politique a conduit la Géorgie.

S'agissant du Kosovo, je rappelle tout de même que le processus d'accession à l'indépendance a été engagé plus de dix ans après l'effondrement de la Yougoslavie, au terme d'une guerre et, qui plus est, dans le cadre d'une résolution des Nations unies. Le cas que nous évoquons à présent est trop complexe pour permettre de telles comparaisons.

Enfin, je dirai quelques mots des forces d'appui en Afrique. L'Union européenne n'a pas encore mobilisé le contingent que Mme Ashton avait annoncé et que nous espérions. Ce sujet a fait l'objet d'une discussion hier encore, à laquelle j'ai pris part au côté d'Herman Van Rompuy. Ce dernier a rappelé un certain nombre de pays à leurs responsabilités. En effet, plusieurs États se sont engagés à intervenir aux côtés de la France et des nations africaines, au titre des forces de gendarmerie, de la protection de sites ou des services médicaux. Je songe à l'Estonie, à la Finlande, à l'Espagne ou encore à la Géorgie - ce pays a exprimé le souhait de participer, même s'il n'appartient pas à l'Union européenne -, à l'Allemagne, au titre de l'évacuation sanitaire, ou encore à la Lettonie. Les négociations progressent.

En conclusion, qu'il s'agisse de la situation ukrainienne, de la question de l'énergie ou de l'Afrique, je constate que nous plaidons tous pour qu'il y ait davantage d'Europe et davantage d'intégration européenne !

M. Simon Sutour, président. - Merci, monsieur le ministre, de cette réponse très détaillée.

Je souhaite également dire quelques mots de l'Ukraine, où je me suis rendu à plusieurs reprises. Je suis d'ailleurs l'auteur de deux rapports consacrés aux relations entre ce pays et l'Union européenne, un que j'ai établi seul et un autre que j'ai élaboré avec notre collègue Gérard César.

À mon sens, il faut inviter les autorités de transition à la plus grande prudence. Le texte voté par la Rada au sujet de la langue russe relève presque de la provocation !

M. Aymeri de Montesquiou. - Très bien !

M. Simon Sutour, président. - Par ailleurs, Jean Bizet et moi-même avons rédigé un troisième rapport, auquel Mme Demessine a fait allusion et qui porte sur les relations entre l'Union européenne et la Russie. Nous nous sommes rendus dans ce pays et nous nous sommes entretenus avec les responsables russes.

Un certain nombre de nos collègues l'ont souligné, ainsi que vous-même, monsieur le ministre : sur un grand nombre de sujets, et pas seulement s'agissant de l'Ukraine, si nous souhaitons avancer, nous devons avoir, avec la Russie, un dialogue apaisé. Chacun a ses positions, mais il faut essayer de progresser. Peut-être n'avons-nous pas fait, par le passé, tout ce qu'il fallait. Je n'en dirai pas plus.

Je sais que certains de nos collègues souhaitent encore vous adresser quelques questions, monsieur le ministre. Je suggère que, si vous en êtes d'accord, vous y répondiez ensuite de manière groupée.

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. - Monsieur le ministre, je souhaite vous poser deux questions relatives au mécanisme de résolution, et plus précisément au fonds de résolution, qui devrait être porté, à terme, à 55 milliards d'euros. Au-delà du problème des délais, se pose la question de notre capacité à faire face à une éventuelle crise.

Entre 2008 et 2010, ce sont, sauf erreur de ma part, 1 600 milliards d'euros d'aides que les pays de l'Union européenne - vingt-sept, à l'époque - ont accordés aux banques. Face à de telles sommes, 55 milliards d'euros semblent fort peu. Dès lors, si une nouvelle crise devait, hélas ! survenir, on serait de nouveau amené à reprocher aux États membres de s'endetter pour assurer le renflouement. C'est là un premier élément de fragilité.

Par ailleurs, j'attire votre attention sur les créances douteuses qui, à ma connaissance, demeurent dans les circuits interbancaires. Dans une étude consacrée à cette question, le cabinet PricewaterhouseCoopers évalue les créances douteuses détenues en 2008 par les banques d'Europe à 494 milliards d'euros. Ce montant aurait été multiplié par 2,5 pour atteindre, en 2013, 1 119 milliards d'euros. Je souhaiterais connaître votre sentiment sur ce sujet. Qu'en est-il de l'apurement de ces créances douteuses, qui entretiennent évidemment un climat de défiance terrible et nuisent ainsi à au financement de l'économie ? Ne s'agit-il pas d'un second facteur de fragilité important ?

M. Simon Sutour, président. - La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. - Monsieur le ministre, pour ma part, je commencerai par vous remercier. Bien que n'ayant pas entendu l'intervention initiale de mon collègue et ami Aymeri de Montesquiou, je peux affirmer que je partage, dans ses grandes lignes, son analyse. Aussi, je me réjouis de votre réponse.

Je tiens ensuite à formuler deux voeux.

Premièrement, concernant l'Ukraine, je souligne à mon tour que l'accord du 21 février n'était pas mauvais. Les manifestants l'ont refusé, puis la Rada l'a remis en cause. Toutefois, nous - je dis « nous », car c'est bien le triangle de Weimar, c'est-à-dire la Pologne, l'Allemagne et la France, qui était à la manoeuvre - n'avons pas à rougir d'une attitude qui était prudente et réfléchie.

Même si la déclaration de Poutine peut apparaître comme une provocation au regard de l'ordre international établi, nous devons mener une politique de long terme et de compréhension mutuelle avec la Russie. C'est là une nécessité, eu égard aux raisons qui ont été évoquées, y compris par vous-même, monsieur le ministre. La France ne doit pas surenchérir face à des menaces qui sont, au reste, parfaitement virtuelles et pour lesquelles personne ne s'engagera véritablement !

Deuxièmement, vous avez évoqué la transition énergétique. Sur ce point, je suis en complet désaccord avec mon collègue écologiste. J'écoute toujours avec beaucoup d'attention et d'intérêt les interventions de M. Gattolin, mais il faut souligner que le CO2 d'origine anthropique ne contribue pas même pour 2 % à l'effet de serre. Celui-ci est essentiellement dû à l'évaporation océanique. Jusqu'à nouvel ordre, il n'est pas prévu de l'interdire ! Le CO2 ne représente que 10 % de l'effet de serre et le CO2 anthropique représente, lui-même, tout au plus 10 % de cette part. Étant donné la situation financière que subissent actuellement les États européens, et la France en particulier, la priorité n'est pas d'aller combattre un tigre de papier !

En revanche, nous devons nous poser la question suivante : jusqu'où pousser les compromis relatifs au mix énergétique ? Je l'indique tout en étant, de conviction, très européen. Plus précisément, pourquoi priver notre pays d'un avantage évident, à savoir la maîtrise et l'acceptation du nucléaire, au motif que d'autres États récusent actuellement cette énergie, pour des raisons que je respecte mais qui sont parfaitement idéologiques ? Il n'y a aucune nécessité de s'aligner sur ces positions. D'une part - je l'ai dit tout à l'heure en souriant -, sur le plan écologique, ces choix énergétiques engendrent de forts rejets de CO2. D'autre part, sur le plan économique, ils sont désavantageux pour l'Europe tout entière, et en particulier pour notre pays.

Monsieur le ministre, lors de ce Conseil européen, vous représenterez le Gouvernement et donc les intérêts de notre pays. Je vous assure qu'il n'y a, pour la France, aucune nécessité de prendre la tête des pourfendeurs du CO2. Vous l'avez vous-même rappelé, l'Europe ne représente que 11 % des émissions de dioxyde de carbone et, je le répète, le CO2 anthropique ne constitue qu'une petite minorité d'une petite minorité ! À moins que les crédits soient illimités - ce n'est pas le sentiment que m'inspire l'état des finances publiques -, consacrons-les aux actions les plus utiles !

Je conclurai, concernant la Russie, par un souvenir historique. Nous fêterons cette année, en juin, le centenaire de la consolidation, par Raymond Poincaré, qui fut aussi sénateur de la Meuse, de l'entente franco-russe. L'entente franco-russe, c'est tout de même mieux que le pacte germano-soviétique ! Cette alliance a sauvé la France, alors que le pacte germano-soviétique a déclenché la Seconde Guerre mondiale !

Je suis donc convaincu qu'il faut conserver, à l'égard de la Russie, une attitude positive et constructive.

M. Simon Sutour, président. - La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. - Je souscris tout à fait aux propos de M. Longuet !

M. Gérard Longuet. - Vous le voyez, vous n'êtes pas seul, mon cher collègue !

M. Aymeri de Montesquiou. - À mon tour, j'adresse mes félicitations à M. le ministre, qui a répondu avec objectivité, même si, comme nous tous, je reste un peu sur ma faim concernant la triple interrogation : « Où, quand, combien ? »

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Vous le saurez, tout comme moi, à la mi-avril !

M. Aymeri de Montesquiou. - Cela nous renvoie à une question bien connue, posée il y a cent cinquante ans...

Concernant l'Ukraine, tout a été dit. L'accord du 21 février était bon, mais il a été totalement dénaturé par la Rada et par les manifestants.

Monsieur le ministre, vous avez sans doute eu connaissance de ce dialogue entre le ministre estonien Urmas Paet et Mme Ashton !

M. Gérard Longuet. - Rappelez-le-nous !

M. Aymeri de Montesquiou. - Cette discussion portait sur les massacres causés par les snipers. Y était notamment évoqué le témoignage d'une femme médecin, Olga Bogomolets, indiquant que ces tireurs sévissaient dans les deux camps ! En France, la presse et la télévision se contentent d'accabler les « méchants », qui sont du côté du président Ianoukovitch, un personnage que, au demeurant, personne ne respecte. Là seraient les seuls coupables... Or tel n'est sans doute pas le cas.

Mme Asthon et M. Paet sont deux personnalités officielles. Qui plus est, l'Estonie est plus proche de l'Ukraine que la France, elle est immédiatement concernée par cette question : souvenons-nous que les territoires de l'Ukraine et de l'Estonie actuelles ont jadis appartenu à l'union polono-lituanienne ! Évitons tout manichéisme.

Parallèlement, nous le savons tous en tant qu'élus, le facteur affectif est essentiel en politique. Il l'est tout particulièrement pour les Russes. La Crimée a tout de même été russe pendant trois cents ans ! En 1954, personne n'a demandé à ses habitants s'ils souhaitaient devenir Ukrainiens !

Certes, le référendum a été organisé à la hâte, sans observateurs internationaux. Mais le « oui » a réuni 96 % des suffrages ! Même si les résultats sont biaisés, ils traduisent une réalité : une immense majorité de la population de Crimée souhaite le rattachement à la Russie. Il faut en tenir compte ! La question se pose également à Donetsk, ainsi qu'à Rakov, qui est un lieu saint pour les Russes. Les grandes batailles de chars, opposant la Russie à l'envahisseur allemand, ont eu lieu en Ukraine.

On ne peut pas faire de la politique et rechercher la stabilité sans faire preuve de réalisme. Prendre en compte l'histoire, mais aussi l'économie, c'est faire preuve de réalisme. Comment l'Ukraine pourrait-elle survivre aujourd'hui économiquement sans la Russie ? L'Europe a proposé de se substituer à la Russie avec quelque argent. Toutefois, les besoins de l'Ukraine sont tels, comparés à ceux de la Grèce, que je ne vois pas très bien comment nous pourrions faire face. Faisons donc preuve de réalisme !

La proposition que j'ai faite tout à l'heure ne me semble pas inintéressante. Compte tenu de l'hétérogénéité du pays, pourquoi l'Ukraine ne serait-elle pas un État fédéral ?

M. André Gattolin. - En fait, votre question est : le Gouvernement va-t-il se montrer réaliste ?

M. Aymeri de Montesquiou. - Eh bien, oui : allez-vous faire preuve de réalisme, monsieur le ministre, et prendre en compte ces trois paramètres que sont l'affectif, l'histoire et l'économie ?

M. Simon Sutour président. - La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Nous devons tout faire pour donner aux autorités de transition la capacité d'animer un débat aussi transparent que possible sur l'avenir de ce pays de 46 millions d'habitants. Notre responsabilité est de favoriser la mise en oeuvre de la démocratie dans ce pays et de l'accompagner, y compris de manière concrète, c'est-à-dire sur le plan financier, car l'Ukraine a des impératifs en matière de délais de paiement à l'échelon international. L'Union européenne va d'ailleurs sans doute confirmer le versement d'une aide de 11 milliards d'euros, en appui de celle du Fonds monétaire international.

Je le répète, nous devons nous assurer que toutes les régions et que toutes les minorités de ce pays pourront participer librement au débat afin que les Ukrainiens aient la faculté de choisir ce qu'ils veulent pour l'avenir, et ce dans la plus grande transparence, sans que ce choix soit dicté par un côté, l'Est, ou par l'autre, l'Ouest.

Vous avez dit tout à l'heure, monsieur de Montesquiou, qu'on avait laissé entendre que l'Ukraine serait intégrée à l'Union européenne.

M. Aymeri de Montesquiou. - On ne l'a jamais dit, mais les Ukrainiens l'ont cru !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Ce que je puis attester, c'est que, lors des réunions de ce qu'on appelle le « partenariat oriental » auxquelles j'ai participé, j'ai toujours affirmé, au nom de la France, qu'il n'était pas envisageable d'offrir à l'Ukraine une perspective européenne, c'est-à-dire d'inscrire ce pays dans une trajectoire susceptible de le conduire à une adhésion à l'Union européenne. L'offre qui a été faite à l'Ukraine, c'est un accord d'association, pour l'aider à se moderniser. Nous avons ainsi proposé que, en contrepartie d'un certain nombre de réformes, l'Union européenne décide des mesures d'accompagnement.

Nous avons la responsabilité d'apaiser la situation et de maintenir le dialogue, car aucune solution ne se fera contre ou sans les Russes. Pour qu'un dialogue soit possible, il faut toutefois une volonté de l'autre partie, sur le fondement du droit international. Si l'on ne s'appuie pas sur le droit international pour régler ce type de problème, il ne restera que la solution du plus fort, laquelle, vous en conviendrez tous, est inadmissible. Si le droit international n'est pas respecté, ce qui se passe ici se produira ailleurs.

M. Bocquet m'a interrogé sur la montée en puissance du fonds de résolution unique. Selon lui, le montant envisagé ne serait peut-être pas suffisant s'il fallait faire face au défaut d'une banque. Je rappelle que la supervision unique permet déjà d'éliminer un certain nombre de risques et, ainsi, de prévenir un krach bancaire à terme.

Par ailleurs, il est envisagé que le Mécanisme européen de stabilité - MES - puisse participer directement à la recapitalisation d'une banque. Aujourd'hui, vous le savez, le MES aide un État, lequel aide une banque, ce qui fragilise l'État en question sur la scène internationale. Nous sommes donc en train de discuter sur une possibilité qui serait donnée au MES, durant la période de montée en puissance du fonds de résolution unique, d'intervenir directement auprès d'une banque en difficulté.

Monsieur Longuet, je prends acte des voeux que vous avez formulés. Par ailleurs, je vous remercie de l'appréciation que vous avez portée sur le rôle joué par le triangle de Weimar, car, quelle que soit la provenance des balles, le fait est que des gens se faisaient tuer, et ce n'était pas acceptable. Plus la situation s'envenimait, plus une sortie de crise par le haut, c'est-à-dire une solution politique, devenait difficile. Le triangle de Weimar a joué son rôle.

Enfin, monsieur Longuet, monsieur Gattolin, vous aurez l'occasion de discuter sur le nucléaire dès le mois d'avril, lors de l'examen du projet de loi sur la transition énergétique, qui donnera certainement lieu à d'amples débats. Pour l'heure, je me contenterai de rappeler que le mix énergétique relève de chacun des États. La France ne se prive pas d'exporter ses technologies, quelles qu'elles soient, lorsque d'autres pays les veulent.

M. Simon Sutour, président. - Je vous remercie, monsieur le ministre, mes chers collègues. Je pense que ces échanges ont été très utiles.

La réunion est levée à 17 h 05.