Mardi 1er juillet 2014

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

La réunion est ouverte à 16 h 10

Remise du rapport annuel de l'AMF - Audition de M. Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés (AMF)

La commission procède tout d'abord à l'audition de M. Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) à l'occasion de la remise du rapport annuel de l'AMF.

M. Philippe Marini, président. - Nous accueillons Gérard Rameix, le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) qui vient honorer son rendez-vous annuel pour répondre à nos questions, après avoir remis son rapport au président de la République. Nous avons également le plaisir d'accueillir Corinne Bouchoux qui est avec moi co-rapporteur au nom de la commission chargée du contrôle de l'application des lois, pour l'évaluation des dispositions législatives relatives à l'exercice du pouvoir de sanction des régulateurs financiers. Lors de notre dernière rencontre il y a un mois, nous avions évoqué avec Gérard Rameix de l'influence de la conjoncture sur la stabilité financière. Nous souhaiterions aujourd'hui nous concentrer sur les activités de l'AMF : de quels moyens dispose-t-elle, quelles sont ses orientations stratégiques, comment apprécie-t-elle le marché de Paris et son devenir ?

Un décalage semble se dessiner entre l'évolution du marché et la situation économique de notre pays. La vitalité retrouvée du marché, le retour des introductions en bourse, la bonne tenue du CAC 40 et celle du marché des obligations contrastent avec la réalité sur le territoire : croissance quasi-nulle en 2013, balbutiante en 2014, inférieure au seuil à atteindre pour déclencher un mécanisme de création d'emplois marchands. S'agit-il selon vous d'un décalage dans le temps ? Ce serait l'interprétation la plus optimiste. Ou bien y a-t-il une déconnexion structurelle entre les marchés et l'économie réelle, une dissymétrie entre l'espace de développement des grandes entreprises et le territoire national ? Faut-il s'inquiéter de la gestion actuelle des liquidités ? Celle-ci doit converger avec la politique, non conventionnelle, mise en oeuvre par la Banque centrale européenne.

Le droit boursier à la française cumule la sanction pénale et la sanction administrative. Dans un arrêt datant du début de l'année, la Cour de cassation a retenu la compatibilité des deux. La Cour européenne des droits de l'homme, cependant, a pris une position contraire au cumul dans un arrêt du 4 mars 2014. Quel modèle privilégier, s'il faut choisir entre poursuites pénales et administratives ? Quelles conséquences ce choix pourrait-il avoir sur l'organisation judiciaire et le rôle joué par l'AMF ?

M. Gérard Rameix, président de l'AMF. - Le rapport annuel porte sur 2013 et je céderai volontiers à l'optimisme en constatant que la situation financière de notre pays est meilleure qu'en 2012. Le cours des actions a bien progressé et leur marché a redémarré après une atonie d'une durée sans précédent. Depuis l'automne dernier, on a pu constater beaucoup d'introductions en bourse, des levées de fonds, des opérations de restructuration parfois difficiles à réguler, mais qui montrent que les acteurs ont retrouvé dynamisme et confiance. Pourquoi l'amélioration n'est-elle pas aussi nette dans l'économie réelle ? L'articulation entre les deux est une question compliquée. Un premier écart vient de ce que les chiffres qui figurent dans le rapport concernent les marchés financiers français, alors que l'essentiel de nos capitalisations proviennent de chiffres d'affaires et de profits que les grands groupes réalisent à l'extérieur de nos frontières. À ce décalage spatial s'ajoute - on peut l'espérer - un décalage temporel dû au fait que la bourse anticipe toujours. Le redressement des cours et le dynamisme du marché annonceraient des perspectives économiques meilleures. Si cette amélioration est probable, elle ne s'appliquera pas forcément à l'économie française, car les groupes français se sont surtout appuyés sur la croissance d'autres économies. Les deux grands équipementiers automobiles français, par exemple, doivent beaucoup à la bonne santé des industries automobiles américaine ou allemande.

Nous avons axé notre travail sur la qualité de l'information comptable et financière accompagnant les introductions et les restructurations en cours. Une première difficulté a été de constater l'écart croissant entre le temps juridique et le temps des affaires. Lorsqu'un recours est déposé, il faut désormais un an pour que la Cour d'appel de Paris - qui est pourtant une juridiction spécialisée et compétente sur les sujets financiers - puisse rendre une décision sur nos dossiers. Le délai était de trois à quatre mois, il y a quelques années. Une autre difficulté est le décalage juridique qui perturbe certaines opérations. Alors que les offres d'achat doivent être faites sur 100 % du capital d'un groupe - pour protéger les minoritaires - certaines opérations visent désormais non plus les actions des groupes, mais leurs actifs. On peut ainsi acheter 30 % d'une société cotée sans faire d'offre publique d'achat sur les 70 % restant, ou bien acheter 70 % des actifs, sans demander leur avis aux actionnaires minoritaires, ce qui favorise un certain déséquilibre.

M. Philippe Marini, président. - D'où ma proposition de loi tendant à rendre obligatoire le dépôt d'une OPA en cas d'acquisition de l'essentiel de l'activité d'une entreprise.

M. Gérard Rameix. - Elle trancherait le noeud, en transposant les règles de l'offre publique d'achat à ces opérations. L'AMF a mis en place un groupe de travail sur ce sujet qui demandera l'arbitrage des pouvoirs publics sur les différentes solutions envisagées. Nous comparons les solutions appliquées dans divers pays.

Les équipes de l'AMF, en collaboration avec Bercy, passent beaucoup de temps à élaborer les règles d'application, les standards ou les guidelines pour construire patiemment un système financier européen plus sûr. Je suis plus optimiste qu'il y a quelques mois. Même si nous sommes traditionnellement minoritaires face à nos amis anglais plus influents sur la question, nous avons marqué des points sur un certain nombre de sujets - la négociation des textes européens MIF II, EMIR, la régulation du trading haute fréquence. Nous veillerons à ce que les textes ne donnent pas lieu à des interprétations différentes en termes de pratiques, et cela afin de favoriser les conditions d'une concurrence loyale, selon le fameux principe du level playing field. Les événements nous ont donné raison sur la nécessité de réguler le trading haute fréquence.

Concernant la sécurité du système, il serait faux de penser que tous les efforts produits depuis la faillite de Lehman Brothers n'ont servi à rien. Le système est plus sûr (nous partions de loin) mais il ne le sera réellement que lorsque prendra fin l'exception actuelle : des taux d'intérêt extrêmement bas, intenables à terme, et des injections de liquidités massives aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Europe continentale. Entre le risque de déflation et celui d'une prochaine bulle, la voie est étroite, d'autant qu'il ne faut ni provoquer de krach obligataire, ni casser le début de croissance qui existe dans certains pays. La question dépasse le cadre strictement français.

À court terme, le secteur bancaire est dans un processus vertueux qui doit aboutir à l'unification, dans la zone euro, de la régulation prudentielle bancaire sous l'égide de la Banque centrale européenne. Néanmoins, l'étape indispensable de l'asset quality review, qui consiste à ausculter les actifs bancaires, inquiète les régulateurs du marché qui craignent les dérapages liés à ce type d'opération - effets de rumeur sur le niveau de provisionnement exigé par les experts, etc. Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, se veut rassurant, car notre système est solide.

Mon prédécesseur avait convaincu le Parlement et le Gouvernement de soutenir un projet ambitieux pour l'AMF en augmentant l'ancienneté des agents et leur nombre. Le financement accordé avait été sous-évalué à dessein, pour que nous résorbions notre fond de roulement et que nous fassions des économies. Le déficit persiste malgré nos économies, nous obligeant à couper dans nos moyens - des choix politiques seront à faire - ou à augmenter nos recettes. Lorsque j'ai pris la présidence de l'AMF, je pensais que la reprise des marchés réalimenterait notre budget. Nous avons 5 à 6 millions d'euros de déficit structurel pour un budget de moins de 100 millions d'euros. Aujourd'hui, je ne suis pas certain que le développement de l'activité suffira à apporter les recettes suffisantes pour combler ce déficit. Par exemple, la nouvelle introduction en bourse d'Euronext - qui s'est faite à Paris et à Amsterdam - a été régulée principalement à Amsterdam, et procure donc peu de recettes à l'AMF. De façon générale, un déplacement plus nombreux des sièges sociaux en Suisse ou en Hollande accentuerait l'écart entre nos recettes et le total de notre budget. Une solution serait de nous aligner sur le système luxembourgeois pour augmenter nos recettes sur la gestion d'actifs. Nous pourrions également compenser nos coûts d'enquêtes par des frais de gestion de dossier appliqués à une partie des pénalités, comme cela se fait dans le système judiciaire.

S'agissant de la filière répressive, nous sommes attentifs à ce que tout dérapage soit sanctionné. Les relèvements du plafond des sanctions pécuniaires et les possibilités de recours du Président à l'encontre des décisions de la commission des sanctions sont efficaces : le montant moyen des sanctions a augmenté, même si le processus reste lent. Certains ont pu s'étonner du montant de l'amende infligée récemment à un grand groupe de luxe. Elle représentait en fait 80 % du plafond au moment des faits, ce qui est en pourcentage très élevé. Néanmoins mon plus gros souci - et vous l'avez évoqué, Monsieur le Président - concerne l'articulation de la sanction administrative et de la sanction pénale. C'est un très vieux sujet. La sanction administrative date de la première affaire Péchiney, à la fin des années quatre-vingt. De nombreuses réformes juridiques ont façonné un système efficace où les tâches sont réparties. Le secrétaire général de l'AMF ouvre les enquêtes et les procédures de contrôle ; le collège de l'AMF engage les poursuites et notifie les griefs ; une commission indépendante composée pour un tiers de magistrats et pour deux tiers de professionnels de la place prononce les sanctions. Une partie des infractions examinées par cette commission coïncide avec les trois délits boursiers définis par le code monétaire et financier - utilisation d'une information privilégiée, manipulation de cours, diffusion de fausse information. Il y a très peu d'affaires pénales, en réalité, même si le courant de sanctions va en augmentant, avec environ trente affaires par an. La Cour européenne des droits de l'homme a mené une réflexion sur le cumul des deux sanctions, et sa jurisprudence s'y oppose. Le système mixte dans lequel nous évoluons n'est peut-être pas fait pour durer. L'essentiel est de maintenir une sécurité juridique et une répression efficace des infractions.

M. François Marc, rapporteur général. - Je vous remercie pour la clarté de votre exposé, notamment sur la politique de contrôle. C'est une question à laquelle nous sommes sensibles.

Lors de la présentation de la cartographie annuelle des risques, en avril dernier, l'AMF a insisté sur plusieurs facteurs de risques, dont la politique monétaire américaine, le marché immobilier français, et la désintermédiation du financement des entreprises qui peut aboutir au report d'une partie du risque sur les épargnants et sur les émetteurs, avec une variabilité des prix et des volumes de financements disponibles. Comment accompagner cette dernière évolution ? Disposons-nous d'outils nouveaux pour atténuer ce risque ?

Euronext a été introduit en bourse, le 20 juin dernier, avec une valorisation autour de 1,4 milliard d'euros. Malgré la présence d'un noyau dur d'actionnaires - Euroclear, BNP, Société Générale, mais aussi la CDC et la BPI - certains ont parlé d'un manque d'enthousiasme, car l'action a été négociée dans le bas de la fourchette espérée initialement. Quel regard portez-vous sur cette opération ? L'indépendance retrouvée d'Euronext change-t-elle les compétences et la mission de l'AMF à son égard ? Quelle sera la collaboration de l'AMF avec les régulateurs des autres places concernées, Lisbonne, Bruxelles ou Amsterdam ?

Quant à la protection des épargnants, vous avez poursuivi en 2013 vos « campagnes mystère » qui consistent à vérifier les conseils donnés aux épargnants. Si ces conseils vous ont semblé adaptés dans leur ensemble, vous avez noté que le plan d'épargne en actions (PEA), développé pour orienter l'épargne vers le financement des entreprises, était très peu recommandé, même quand le profil de l'épargnant correspondait à la cible. Est-ce un défaut de pédagogie ou doit-on améliorer le produit ?

La mise en oeuvre progressive du règlement EMIR en 2013 et 2014 - avec l'obligation de déclaration des dérivés depuis février, l'obligation de compensation centrale à partir de la fin de 2014 - a donné un rôle croissant à certaines infrastructures dans le fonctionnement des marchés. Je pense notamment aux référentiels centraux et aux chambres de compensation. Ces infrastructures seront-elles suffisamment armées pour accompagner l'évolution de la règlementation ? Doit-on aller plus loin dans les restructurations industrielles ? Y a-t-il un champ de risque à circonscrire ?

M. Philippe Marini, président. - Sur le financement des entreprises, pourriez-vous expliciter le paragraphe qui figure à la fin de la première page de votre lettre au président de la République ? Vous y écrivez que « l'État ne peut se désintéresser de l'évolution du capital et de la gouvernance des grands acteurs dont le siège social est en France ». Cette phrase est presque « montebourgeoise ». Vous poursuivez : « Cependant ces groupes sont et seront de moins en moins français par leur activité, leur zone de rentabilité ou même leur actionnariat, souvent déjà pour moitié international. On peut craindre que certains, à la faveur de regroupements, ne fixent leur siège social hors de France, tout en y conservant d'importantes équipes ». Où trouver sur le marché français les ressources longues dont auraient besoin nos grandes entreprises ?

M. Gérard Rameix. - Beaucoup d'observateurs ont noté que paradoxalement une crise venue des États-Unis obligeait les États européens et continentaux à changer leurs modèles de financement et à recourir davantage au marché et un peu moins aux banques. Selon nos économistes, le risque lié au financement à long terme serait alors reporté sur les épargnants alors qu'il reposait auparavant sur les banques. Les grandes entreprises n'ont pas forcément besoin des banques pour se financer à long terme. Ce n'est pas le cas pour les entreprises de taille intermédiaire auxquelles le marché ne s'ouvre que lentement. Leur financement est assuré par les actionnaires, par les banques pour des prêts de moyen terme, ou par le capital développement. Si les banques rechignent à assurer ce financement, une autre solution serait l'investissement des épargnants, sous réserve de les informer sur tous les risques auxquels ils s'exposent. Il faudrait également voir si les flux de financement diminués des prêts bancaires suffisent à développer l'entreprise ou bien freinent sa croissance. Je crois que souvent, la croissance des entreprises souffre davantage d'une trop faible demande d'investissement que d'un manque de financement. En revanche, si la croissance devenait plus forte, l'accès au financement deviendrait indispensable pour que les entreprises ne soient pas ralenties dans leur développement.

La BPI assure partiellement le financement des entreprises de taille moyenne. Les acteurs du capital développement sont également dynamiques en France, après une crise qui se résorbe. Enfin, d'autres acteurs financiers proposent des placements aux épargnants. Des gérants d'actifs nous ont demandé des agréments pour des fonds de prêt aux entreprises moyennes. Nous avons également vu des assureurs racheter des portefeuilles de prêts en laissant à la banque le soin de les gérer. Beaucoup de créativité est à l'oeuvre pour diversifier le financement des entreprises de taille intermédiaire. Le financement des grands groupes est très ouvert. Ce n'est pas pour des raisons financières que ces groupes s'éloignent du territoire français, mais pour des raisons économiques de compétitivité, de coûts, ou d'attractivité.

Quant à Euronext, les pouvoirs publics français se sont battus pour avoir un noyau dur d'actionnaires qui donne de la stabilité et une chance d'autonomie durable à une entreprise centrée sur quatre marchés. L'introduction en bourse est, de ce point de vue, une grande satisfaction. Le vendeur s'est montré très habile. En prenant le contrôle de NYSE Euronext, l'américain ICE a acheté trois grands marchés, celui du Liffe de Londres, le New York Stock Exchange, marché historique américain, et l'Euronext historique créé à partir de la bourse de Paris et de celle d'Amsterdam. Ils se sont aussitôt défaits de ce dernier marché au prétexte de ne connaître ni le fonctionnement des bourses européennes, ni celui des marchés d'actions. Ils ont bien vendu Euronext, et l'ont placé entre des mains sûres, puisque 30 % sont détenus par des acteurs financiers, tandis que des acteurs français non financiers dans la mouvance de Paris Europlace ont également acheté des titres. Le manque d'enthousiasme vient sans doute du prix un peu élevé qui a été payé. Pour que le cours de l'action évolue correctement, il faut que le nouvel ensemble s'inscrive dans une bonne stratégie. Il faudra stabiliser les parts de marché du marché des actions malgré la concurrence des autres places et des trading venues ou plateformes d'échange. Il faudra également se positionner sur d'autres segments, comme celui de la compensation ou celui des marchés dérivés. On pourra également étudier la possibilité de nouvelles alliances avec d'autres marchés qui ne sont pas dans la mouvance du London Stock Exchange, ni dans celle de la Deutsche Börse. J'imagine que Dominique Cerutti et son équipe ont réfléchi à ces questions. L'histoire n'est pas écrite. Elle peut se terminer par une énième restructuration ou évoluer de manière beaucoup plus positive. Avec Thierry Giami, nous avions écrit, il y a trois ans, un rapport sur le financement des entreprises intermédiaires et des PME par le marché financier, à destination de Christine Lagarde, alors ministre des finances. Le constat était celui d'un divorce entre les entreprises de marché et les entreprises non financières. Elles sont aujourd'hui beaucoup plus proches.

Je suis un fervent défenseur du PEA, c'est un bon produit. Beaucoup de professionnels de la gestion se lamentent sur la surfiscalisation mise en place par le Gouvernement, qui effraierait leurs clients. Or, l'investissement en actions se fait à l'abri d'une enveloppe fiscale aux conditions très favorables jusqu'à 400 000 euros pour un couple, avec une détention pendant cinq ans en PEA et PEA-PME. Si le PEA est peu dynamique, c'est à cause de la méconnaissance, par les épargnants français, de l'évolution et du fonctionnement de la bourse, de la finance, et même de l'économie. Ils sont avers au risque et il est difficile de leur vendre du risque « action » même au travers d'un véhicule assorti d'une exonération d'impôt sur la plus-value et les dividendes.

Le marché des actions, très chahuté par la crise des subprimes, a crû de 12 % en 2012 et de 18 % en 2013. Or il n'y a pas eu en France le flux net d'investissement que l'on aurait pu attendre d'acteurs rationnels. Les Français ont plutôt désinvesti.

M. Francis Delattre. - Ils ont payé des impôts !

M. Gérard Rameix. - Certes, mais ils épargnent aussi près de 14 % de leur revenu, ce qui est considérable. C'est le résultat du traumatisme causé par l'éclatement de la bulle et la crise des subprimes. Il nous incombe de restaurer la confiance et de redonner du sens à la finance, car sans elle, il n'y a pas de croissance. Le PEA est un bon instrument et je suis satisfait que les pouvoirs publics l'aient maintenu, aient augmenté son plafond, et l'aient complété par le PEA-PME. Espérons simplement que les Français n'entreront pas sur le marché des actions lorsque les cours seront au plus haut.

EMIR est une réforme majeure. On a laissé se développer dans les années 2000 des instruments nouveaux - dérivés sur actions, sur taux... - à l'abri de toute régulation, sur les marchés over the counter (OTC). Or seules 15 % ou 20 % des opérations ont une finalité de couverture des risques. Le volume total a atteint 60 trillions de dollars au moment de la crise ! L'un des axes majeurs de notre action sera de soumettre progressivement cette masse à une régulation. Je n'ai pas de réponse définitive à votre question, mais je ne suis pas très optimiste : les référentiels centraux que nous avons agréés sont presque tous américains, ce qui est dommage. Des chambres de compensation existent en Europe, et développeront leur activité en compensant une partie de cette masse de dérivés, mais les Américains ont une longueur d'avance et fixent les règles les premiers. C'est l'un des terrains ouverts à Euronext, dont la faiblesse est toutefois de n'avoir plus de chambre de compensation propre. Dans ce jeu compliqué, il y a du business à faire, mais il n'est pas évident que ce soient des Français qui s'emparent de cette activité. Nous participons à des collèges de régulateurs qui examinent la façon dont LCH et Deutsche Börse vont se lancer dans ces métiers. C'est une gigantesque partie stratégique, dont je ne connais pas l'issue.

Il y a indéniablement un écart entre les grands groupes d'origine française et le territoire français. La logique des premiers consiste à se mondialiser, de sorte qu'ils peuvent bien se porter tandis que notre économie stagne. Efforçons-nous de ne pas donner l'image de nationalistes étroits : nous devons avant tout être compétitifs. La détermination de la politique économique n'est pas de ma compétence, ni la façon dont on présente ces choix aux milieux d'affaires et à l'opinion publique. Mais tout est question de dosage, car nos groupes font des acquisitions à l'extérieur ; il est normal que des groupes étrangers en fassent chez nous. Je suis plus inquiet de la tendance à déplacer les centres de décisions hors de France. Mais les facteurs à l'oeuvre ne sont pas strictement financiers, je l'ai dit.

M. Richard Yung. - Vous avez abordé la question du secteur non régulé, beaucoup plus important que le secteur régulé placé sous votre supervision. Des progrès incontestables ont été accomplis avec EMIR : quelles sont selon vous les conditions nécessaires à une avancée semblable dans le secteur non régulé ?

Entretenez-vous de bons rapports avec l'Autorité européenne des marchés financiers (« AEMF » ou « ESMA ») ? Parvenez-vous à limiter l'influence de la City dans l'ensemble de la régulation ? La loi bancaire vous a donné des responsabilités supplémentaires. Où en est sa mise en oeuvre ? Disposez-vous d'effectifs suffisants ? Votre budget est tendu...

M. Philippe Dominati. - Vous nous avez fait part de vos inquiétudes sur le transfert des centres de décision : Alstom, Peugeot, SFR, Lafarge, LVMH, ... Vingt-neuf groupes ont adopté le statut de société européenne, préalable à la délocalisation de leur siège. Deux d'entre eux y ont effectivement procédé. D'autres, comme Airbus, l'envisagent... Le président de la République avait déclaré que le monde de la finance était dépourvu de morale, que la finance était l'adversaire. Cet état d'esprit persiste-t-il au sommet de l'État ? Cela pourrait expliquer la tendance à la délocalisation. Selon vous, celle-ci va-t-elle se poursuivre ?

Mme Fabienne Keller. - Les transactions de gré à gré doivent désormais être déclarées. Quelle fraction d'entre elles l'est effectivement ? Quel est l'état d'esprit des opérateurs et quelle est l'efficacité que l'on peut mesurer aujourd'hui de cette obligation ?

On a par ailleurs du mal à imaginer toutes les conséquences qu'aura la condamnation de BNP-Paribas. Pourrait-elle affecter d'autres banques françaises et, indirectement, les marchés financiers où elles opèrent ?

M. Philippe Marini, président. - Cette décision accroît-elle la fragilité de notre système financier ?

M. Francis Delattre. - Nos start-up ont beaucoup de succès, mais elles sont vite rachetées. Pourquoi n'obtiennent-elles pas les fonds nécessaires pour faire fructifier les recherches financées par le crédit d'impôt recherche et se développer en France ? Vous avez une responsabilité conjointe avec l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Coopérez-vous en bonne intelligence ? Enfin, vous semble-t-il probable que la prochaine bulle se produise dans le secteur des activités liées à Internet ?

Mme Corinne Bouchoux. - Les marchés ont besoin de confiance, donc d'intégrité des opérateurs. Une amende plafonnée à 100 millions d'euros ou à dix fois les profits réalisés est-elle dissuasive, au regard notamment de celles prévues par le régulateur britannique ? Qu'en est-il de l'après-peine et du sens de la peine ? Nous connaissons le travail de Claude Nocquet sur le prononcé et l'exécution de la sanction, ainsi que sur le post-sentenciel. Il y a sur ce sujet deux pistes différentes, le droit à l'oubli et à la possibilité de réviser une décision de la commission - mais ne serait-ce pas là revenir sur la chose jugée ? Où en est cette réflexion ? Le rapport Nocquet que vous présentez n'est-il pas une sorte d'étude d'impact par anticipation de ces éventuels aménagements ?

M. Philippe Marini, président. - La procédure de composition administrative est née de la loi de 2010. Le collège n'a soumis en 2013 que trois transactions à la commission des sanctions. Cela veut-il dire que la procédure n'a pas eu le succès escompté ? Puisqu'elle ne s'applique pas aux poursuites pour abus de marché, conviendrait-il d'introduire une procédure de « plaider coupable » semblable à celle qui existe en matière pénale ?

M. Gérard Rameix. - Les transactions du secteur non régulé représentent un enjeu colossal. Que la terminologie ne vous trompe pas : l'opposition n'est pas tranchée entre secteur régulé et non régulé. Il existe toute une palette de situations intermédiaires. Les fonds monétaires, par exemple, ne sont pas soumis au régulateur bancaire mais relèvent de notre supervision. La terminologie de shadow banking est une vue de banquier, qui consiste à penser que des acteurs font de la banque en dehors de la régulation bancaire. Nous préconisons pour notre part de proscrire les fonds à valeur constante, un peu trompeurs, au profit de ceux à valeur classique, autrement dit celle du patrimoine divisé par le nombre de parts. Nous participons à des ateliers internationaux sur ces sujets. Le plus lourd est celui des hedge funds et de leurs relations avec les banques. Il a été sérieusement travaillé par les régulateurs bancaires, et nous devrions parvenir à introduire un minimum de discipline dans ce secteur, d'autant qu'EMIR prévoit de faire passer une grande partie des transactions sur les dérivés, soit des centaines milliards de dollars, par les chambres de compensation, avec reporting et appels de marge.

Nous sommes l'un des États les plus favorables à l'ESMA tandis que les Allemands sont plus réservés, et que les Anglais se trouvent dans une situation déséquilibrée : notre autorité, qui est l'une des plus importantes, compte 450 agents, quand l'autorité anglaise en compte 4 000... Cela influe évidemment sur les rapports de force lorsque nous cherchons à établir une règle pour les Vingt-huit... L'ESMA n'en fait pas moins un bon travail, grâce à des équipes compétentes. Elle est financée à 60 % par les régulateurs, qui connaissent des difficultés budgétaires. Nous y tenons un rôle actif : je fais partie du management board et je préside le groupe corporate finance qui traite du droit des prospectus, des OPA et de toutes les questions d'émetteurs. Nous nous efforçons d'éviter le piège du juridisme et de faire des choix respectueux tant des intérêts des épargnants que de ceux des émetteurs.

Fabienne Keller m'interrogeait sur la déclaration des transactions de gré à gré. Toutes les transactions dérivées, y compris les OTC, sont désormais soumises à cette obligation, mais elle ne s'applique en France que depuis février. Nous sommes encore dans une phase de montée en puissance et de simple collecte des données. Nous ne serons en mesure de les exploiter que dans un an ou deux. Le risque est que nous dépensions beaucoup d'argent et d'énergie pour rassembler des données, mais sans disposer à terme des moyens colossaux - en informatique, en intelligence, en effectifs - nécessaires à leur traitement.

Quant au transfert des centres de décisions, je ne suis pas le plus compétent pour vous répondre. L'Europe est le marché naturel de beaucoup de nos interlocuteurs, il n'est donc pas choquant qu'ils choisissent le statut de société européenne. Que certains installent à Londres leur trésorerie ou leurs équipes suscite certaines inquiétudes, mais il ne faudrait pas surévaluer le phénomène. La France reste l'un des pays qui concentre le plus de sièges de grandes entreprises. Nous avions historiquement une base forte, car notre pays comptait beaucoup de grandes entreprises. Nous devons faire en sorte de conserver notre position...

Pour répondre à Philippe Dominati, voilà quinze ans que je travaille dans un monde « sans morale »... L'AMF s'intéresse surtout aux dérapages. Y en-a-t-il plus qu'avant ? Je n'en suis pas certain ; ils augmentent dans les périodes où les marchés sont volatiles.

Les risques de conformité, très importants, inspirent beaucoup de préoccupations à nos interlocuteurs, et la condamnation de la BNP, qui passait pour l'un des opérateurs les plus sérieux, ne fera que les aggraver. La réunion annuelle de toutes les équipes travaillant sur la conformité attire de plus en plus de monde. Certains de nos collaborateurs sont démarchés par des établissements en quête d'expertise sur ces questions. Les risques sont divers et complexes : j'ai été stupéfait, malgré mon expérience, de découvrir qu'on pouvait tricher sur le marché des changes et orienter le fixing, ou encore, manipuler le Libor. Le monde est plein de risques... Cependant, si nos interlocuteurs ne deviennent pas plus moraux, ils savent en tout cas que les mailles du filet se resserrent. Notre rôle n'est pas celui d'un régulateur bancaire : dans une affaire comme celle de la BNP, notre contrôle porte uniquement sur l'information publiée par la banque.

L'ACPR, dont Christian Noyer est président, et la Banque de France sont extrêmement proches : ce sont les mêmes équipes. Elles sont reliées par diverses passerelles. Robert Ophèle, numéro deux de la Banque de France, siège à l'AMF ; j'assiste à presque toutes les réunions de l'ACPR, y compris celles du collège de résolution. Je ne crois pas que les clients de la BNP aient lieu d'être très inquiets ; mais un tel accident ne peut qu'avoir des conséquences lourdes sur la stratégie de la banque et sur sa rentabilité.

Le financement des start-up n'est traditionnellement pas notre point fort. Un fonds doté de centaines de millions d'euros a été créé à cette fin dans la mouvance de la Caisse des dépôts. Il reste que ces entreprises ne trouvent pas en France de milieu aussi porté à prendre des risques que l'environnement californien. Si des progrès ont été accomplis, les start-up françaises continuent à avoir souvent davantage intérêt à se vendre qu'à chercher à atteindre une taille intermédiaire.

Mme Nicole Bricq. - C'est vrai !

M. Gérard Rameix. - Quant aux amendes, les plafonds prévus suffisent amplement. Il nous faudra un certain temps pour utiliser l'éventail des sanctions : nous commençons tout juste à être saisis d'affaires pouvant donner lieu à 100 millions d'euros de sanction. Pour atteindre une telle somme, il faut de gros dysfonctionnements ! Le relèvement du plafond induira d'ici deux ou trois ans l'augmentation du montant moyen de l'amende.

Je suis favorable aux propositions techniques de Claude Nocquet. Si le Gouvernement et le Parlement parviennent à un consensus sur ce sujet, partiellement législatif, il suffira de trouver un véhicule pour le traiter.

La raison pour laquelle trois affaires seulement ont fait l'objet d'une procédure de composition administrative est que celle-ci a été définie avec beaucoup de prudence et que nous ne pouvons l'utiliser que pour des contrôles, en nous appuyant sur la jurisprudence déjà balisée.

Je suis favorable au « plaider-coupable » pour une solution para-pénale ; il importe surtout de saturer tout le champ non pénal : lorsque l'on trouve une information inexacte qui ne relève pas pour autant du délit de fausse information, on ne peut pas faire de transaction aujourd'hui, et nous sommes contraints de porter en commission des sanctions des infractions mineures, qui pourraient être traitées par des transactions. À vous, législateur, de nous en donner la possibilité.

M. Philippe Marini, président. - Nous vous remercions.

Direction de l'information légale et administrative (DILA) - Contrôle budgétaire - Communication

Puis la commission entend une communication de M. Philippe Dominati, rapporteur spécial, sur la direction de l'information légale et administrative (DILA).

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial de la mission « Direction de l'action du Gouvernement ». - Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, il me revient de vous présenter les conclusions de mon contrôle budgétaire de cette année, qui a porté sur la direction de l'information légale et administrative, la DILA.

Cette dernière, créée en 2010, résulte de la fusion de la direction des Journaux officiels (JO) et de la direction de la Documentation française. Ainsi, dès 2003, la Cour des comptes a souligné « l'étroite complémentarité » de certaines des activités des deux directions.

En outre, la même année, François Marc, alors rapporteur spécial du compte de commerce de la Documentation française, a mené un contrôle sur la Documentation française qui concluait à la nécessité « d'envisager de nouvelles coopérations entre la Documentation française et les Journaux officiels » et de « procéder à des économies d'échelle pour les opérations de renouvellement de l'outil de production ».

La prise en compte de ces observations par l'administration a conduit à la création, en 2007, du budget annexe « Publications officielles et informations administratives », regroupant les crédits des deux directions.

Il a encore fallu deux années, de 2008 à 2010, pour préparer leur fusion, avec en particulier la mise en commun des services de soutien.

Il faut noter que selon la DILA, cette période a permis de « négocier un aménagement des conditions d'emploi avec la direction du budget et la direction générale de l'administration et de la fonction publique pour rapprocher les niveaux de rémunérations des agents ».

Ainsi, les économies de masse salariale réalisées grâce à la fusion ont été en partie utilisées pour financer la convergence des rémunérations en trois ans. Entre 2009 et 2012, les effectifs de la DILA ont diminué de 91 équivalents temps plein travaillé (ETPT) permettant de réaliser une économie de l'ordre de 4,5 millions d'euros sur trois ans. La convergence des rémunérations, grâce à la mise en place d'une indemnité de modernisation des métiers, a bénéficié d'une enveloppe totale de 2,14 millions d'euros. Aujourd'hui, d'un point de vue opérationnel, la fusion peut être considérée comme une réussite.

Quelles sont les missions de la DILA ? Fruit de son histoire, elles sont diverses et fixées par un décret de 2010.

Tout d'abord, la DILA garantit l'accès au droit et offre aux citoyens des informations sur leurs droits et obligations et sur les démarches administratives qu'ils doivent effectuer. À ce titre, la DILA gère notamment les sites Internet « Legifrance », « Mon service public » ou « Vie publique ». Il s'agit des activités de service public effectuées à titre gratuit par la DILA.

Ensuite, la DILA exerce une mission - également de service public - mais qui lui procure des recettes : il s'agit de la publication des informations contribuant à la transparence de la vie associative, économique et financière.

Enfin, la DILA doit éditer et diffuser des publications de vulgarisation relatives aux politiques et au débat publics. Cette activité est également supposée lui apporter des recettes grâce à la vente des ouvrages.

Dans toutes ces activités, la DILA « s'appuie » sur la société anonyme de composition et d'impression des journaux officiels (la SACIJO), qui compte 200 salariés, pour effectuer ses travaux d'impression. Je reviendrai plus tard sur le rôle de cette société.

Chaque année depuis sa création, le budget annexe dégage un excédent, qui est reversé au budget général. Ainsi, en 2013, cet excédent est de 26 millions d'euros, les recettes s'élevant à 201 millions d'euros et les dépenses à 175 millions d'euros.

La part des recettes relatives à la publication des annonces légales est prépondérante - elles représentent 94 % des recettes en 2013, soit 188 millions d'euros - et en progression de 5 points par rapport à 2010.

Or la plupart de ces recettes sont liées à des obligations légales de publicité des entreprises ou des collectivités : ainsi, les informations légales de certaines catégories de sociétés doivent être publiées au bulletin des annonces légales obligatoires (BALO). À partir de certains seuils, les appels à la concurrence en matière de marchés publics sont obligatoirement publiés au bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) ; enfin, certaines informations relatives à la vie des entreprises doivent être publiées au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC).

Les autres recettes de la DILA sont atones, en particulier les ventes de publications et d'abonnement (7,5 millions d'euros) ou les prestations et travaux d'édition de la DILA (2,9 millions d'euros).

S'agissant des dépenses, elles sont relativement stables, à hauteur de 175 millions d'euros en 2013, soit une hausse de 1,3 % depuis 2007 à périmètre courant.

Elles sont également en « recomposition » depuis 2010 : en particulier, la baisse des dépenses relatives à l'activité d'édition et d'information administrative est compensée par la monté en puissance du pilotage et de la modernisation des activités numériques. Cette évolution montre que la DILA a entrepris sa modernisation.

Cependant, les dépenses totales de personnel, comprenant à la fois le personnel de la DILA et celui de la SACIJO s'avèrent particulièrement importantes, puisqu'elles représentent en 2013 plus de 60 % du budget de la DILA (soit 115 millions d'euros).

Comme vous le comprenez à l'issue de cette présentation, les métiers et les missions de la DILA doivent aujourd'hui évoluer très rapidement, afin de s'adapter à la révolution numérique.

Or, en 2010, afin que la DILA dispose d'un outil d'impression plus performant et polyvalent, il a été décidé d'investir dans l'achat d'une rotative, opérationnelle en 2013, pour un coût de 10 millions d'euros.

Aussi, à l'issue de ce contrôle, je souhaiterais vous faire part d'une observation et formuler plusieurs recommandations.

J'observe que le directeur de la DILA a quitté ses fonctions le 30 avril dernier. À ce jour, aucun successeur n'a été désigné. Or, cette désignation est capitale pour une institution devant prendre un virage au moins aussi stratégique que le projet, réussi, de la fusion.

Le choix d'un tel directeur est difficile et nécessairement long, mais il ne faudrait pas que cette absence dure trop longtemps et je souhaiterais qu'il soit nommé avant la fin du mois de juillet.

Par ailleurs, et c'est ma première proposition, dans la mesure où le JO papier n'a plus aujourd'hui que 3 129 abonnés, contre 64 726 abonnés au sommaire du JO électronique, il me semble indispensable de confirmer, par une déclaration officielle, l'intention d'arrêter l'impression du JO papier à la fin de l'année 2016. À ce stade, il ne s'agit que d'une perspective probable, mais non officiellement actée. Il appartiendra donc au nouveau directeur de prendre cette décision et d'en tirer toutes les conséquences.

En outre, la mission prioritaire du nouveau directeur sera d'accélérer le rythme du changement. Je recommande que soit rapidement prise une décision claire concernant l'avenir des activités d'édition et d'impression. Plus précisément, la question de l'utilisation de la rotative, amortie sur huit ans, soit en 2021, devra être réglée. Le cas échéant, le nouveau directeur devra déterminer les moyens de donner un second souffle aux activités d'impression et d'édition publique. Pour faciliter cette prise de décision, il est d'ailleurs urgent que la DILA se dote d'une comptabilité analytique fine, permettant de mesurer la compétitivité de ses différentes activités. En effet, plus rien ne justifie aujourd'hui que l'État dispose d'une imprimerie sans valeur ajoutée par rapport à un imprimeur privé. De plus, l'arrêt du JO papier et la réorientation des missions de la DILA vers le numérique justifient que les relations avec la SACIJO soient redéfinies.

En 2013, 43 millions d'euros ont été consacrés au financement des dépenses de personnel de la SACIJO, qui utilise le matériel mis à disposition par la DILA, son unique client. La SACIJO, régie par le statut de la presse parisienne, comprend aujourd'hui 200 salariés, occupés non seulement à des activités d'impression mais aussi de composition ou d'édition ; la moitié des effectifs, tout en gardant son statut, a été mise à disposition de la DILA. Les tâches aujourd'hui effectuées par les salariés de la SACIJO devraient être prises en charge par le personnel de la DILA.

Enfin, j'ai pu observer que l'équipe de direction - au sens large, y compris l'autorité de tutelle, composée d'un personnel de qualité et de haut niveau - est tout à fait consciente de la nécessité de réorienter les missions de la DILA vers le numérique, mais aussi des difficultés et des risques d'une telle opération.

Ainsi, tout en réduisant ses effectifs, la DILA met en avant sa gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences (GPEEC) et les efforts de formation déployés pour accompagner le personnel dans cette transformation tout en continuant à garantir un bon niveau de service.

Il faut également saluer de belles réussites en matière de services numériques : c'est le cas notamment de Legifrance, exemple unique - et modèle envié - dans le monde ! De même, la fréquentation du site « Mon service public » a augmenté de 70 millions à 218 millions de visites par an entre 2010 et 2013.

Le projet stratégique qu'a défini la DILA pour les années 2014 à 2017 me paraît être le bon : il mise sur le numérique et le rôle résolument interministériel de la DILA, au service des administrations.

Fusionner les deux directions, en 2010, était risqué mais nécessaire. Aujourd'hui, de nouveau, la DILA doit prendre des risques : le choix du nouveau directeur s'avérera crucial puisqu'il devra conduire le changement à un rythme accéléré. Je vous remercie de votre attention.

M. François Marc, rapporteur général. - Je remercie Philippe Dominati de nous avoir dressé le tableau de la situation présente de la DILA et de nous avoir rappelé qu'une belle rotative à 10 millions d'euros est faite pour tourner, comme l'indique d'ailleurs le signifiant du mot « rotative ». Je souhaite comme lui que l'on puisse trouver les débouchés nécessaires et une activité permettant d'amortir l'investissement en huit ans, avec l'efficacité espérée.

Je me réjouis également de constater à travers vos propos que la fusion a été un succès. À l'époque où j'étais rapporteur spécial, la fusion se préparait, mais des questions se posaient sur ses modalités et les économies que l'on pouvait en attendre. À l'heure où l'on parle tant en France de fusions et des économies en découlant, cette fusion de la Documentation française et des JO a-t-elle débouché sur des économies substantielles ? Peut-on identifier les gains issus de cette opération ?

M. Philippe Marini, président. - Vous a-t-il été possible d'étudier dans quelles conditions la décision de commander cette rotative a été prise ? En effet, il semble bien qu'elle ait été actée sans une visibilité suffisante. Qui a été en mesure de porter un regard stratégique au moment où un investissement physique aussi substantiel, notamment par rapport au volume d'activité du service public, était décidé ?

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - Tout d'abord, en ce qui concerne la fusion, je crois que l'on peut dire que, globalement, cela a été une réussite. Les économies sont diverses et variées, notamment issues de l'outil principal qu'est la rotative. Par exemple, l'ancienne rotative nécessitait une dizaine de postes, contre six pour la nouvelle. En outre, la nouvelle rotative peut faire de la couleur, ce qui n'était pas le cas de l'ancienne. Des économies d'échelles ont donc été effectivement réalisées.

Deuxièmement, la fusion a permis de faire cohabiter des mondes différents, à savoir la Documentation française, le JO et le statut de la presse parisienne. La SACIJO n'est en réalité que le réceptacle de l'action syndicale, et ce n'est que pour garantir la paix sociale qu'une relation, en réalité assez fictive, a été nouée entre la direction de la DILA et la SACIJO, se traduisant notamment par la réalisation d'économies d'échelles en termes de personnel.

Toutefois, le changement s'accélère et c'est pourquoi que je pense que nous sommes à l'aube d'un second virage. Actuellement, deux tiers des salariés employés le sont dans l'impression et l'édition. L'ancien directeur de la DILA s'est efforcé de trouver des débouchés avec l'aide des services du Premier ministre dont la DILA dépend. Une circulaire a ainsi été éditée pour essayer d'en faire l'éditeur public de référence et inciter les ministères à travailler avec elle, de façon à favoriser l'utilisation de la rotative. Toutefois, mon sentiment est que cette action s'est avérée limitée dans ses résultats.

La DILA rencontre des difficultés pour trouver un marché et asseoir sa compétitivité ; elle doit résolument basculer, comme toute cette profession, dans le numérique.

Je m'interroge également sur le fait de savoir si la DILA doit continuer à relever d'un budget annexe. En effet, ce dernier n'est motivé que par les recettes « garanties » provenant des annonces légales. Sans doute pourrait-on évoluer vers une autre forme de gestion budgétaire de l'organisme.

Pour répondre au Président, c'est le Secrétariat général du Gouvernement qui pilote depuis longtemps la nécessité pour l'État de disposer d'un outil performant d'impression. C'était sa préoccupation au moment de la fusion.

La DILA va devoir prendre ce virage et réussir cette mutation dans un délai beaucoup plus court que ce qui était prévu initialement au-delà de la durée des huit ans sur la rotative.

M. Philippe Marini, président. - Je pense que le rapport est extrêmement utile pour bien prendre conscience de tous ces enjeux. Il conviendrait de demander au nouveau directeur de la DILA de proposer un plan de réduction de l'activité et de reconversion de l'outil, compte tenu de l'évolution du contexte technologique. C'est une mission assurément difficile.

Peut-être aussi pourrait-on s'interroger sur le paiement des annonces légales puisqu'en définitive près de 200 millions d'euros relèvent en réalité d'une taxe. En effet, nous n'avons pas le choix, nous sommes contraints d'avoir recours à ces moyens de diffusion légale.

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - J'ai le sentiment que ces annonces légales ne perdurent que pour assurer la survivance d'une activité qui risque de devenir obsolète dans peu de temps. Mais la mutation demande des reclassements, des formations, d'autres compétences, et c'est pour cela qu'elle est difficile.

M. Philippe Marini, président. - Près de 200 millions d'euros pour les annonces légales, c'est tout de même un montant important...

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - On voit également que les recettes de l'ancienne Documentation française sont minimes. Les impressions couleur ne représentent d'ailleurs que 113 millions de pages contre 224 millions pour le noir et blanc

La commission donne acte de sa communication à M. Philippe Dominati, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est levée à 17 h 57

Mercredi 2 juillet 2014

- Présidence de M. Philippe Marini, président, puis de Mme Fabienne Keller, vice-présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30

Organisme extraparlementaire - Désignation de candidats

M. Philippe Marini, président. - Nous devons proposer un membre titulaire et un membre suppléant pour siéger au Conseil national d'évaluation des normes. J'ai été saisi des candidatures de Eric Doligé et Yannick Botrel. Je rappelle que le Sénat doit désigner deux titulaires et deux suppléants sur proposition de la commission des lois et de la commission des finances.

La commission soumet au Sénat la candidature de M. Éric Doligé, comme membre titulaire, et de M. Yannick Botrel, comme membre suppléant, au Conseil national d'évaluation des normes.

Projet de loi de finances rectificative pour 2014 - Examen du rapport

La commission procède ensuite à l'examen du rapport de M. François Marc, rapporteur général, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2014.

M. François Marc, rapporteur général. - Le présent projet de loi de finances rectificative (PLFR) et le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS), que nous présentera dans une semaine notre collègue Jean-Pierre Caffet, constituent la première traduction législative du Pacte de responsabilité et de solidarité. Ce Pacte vise à concilier le soutien à la croissance et à l'emploi, grâce à des baisses ciblées de prélèvements, et la consolidation des finances publiques, sous la forme d'un plan d'économies de 50 milliards d'euros entre 2015 et 2017. Pour ce qui est des prélèvements, le Pacte de responsabilité et de solidarité prévoit la poursuite de l'allègement du coût du travail, grâce à la suppression des cotisations patronales au niveau du SMIC et à la révision du barème des allègements pour le rendre plus favorable jusqu'à 1,6 SMIC à partir de 2015 (pour un montant total estimé à 4,5 milliards d'euros). À compter de 2016, interviendrait également un abaissement des cotisations familiales de 1,8 point entre 1,6 et 3,5 SMIC (4,5 milliards d'euros). À cela s'ajouterait une réduction des cotisations familiales pour les travailleurs indépendants (1 milliard d'euros). Compte tenu du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), le coût du travail serait allégé de 30 milliards d'euros au total en 2017.

Le Pacte prévoit, en outre, la modernisation de la fiscalité des entreprises, qui fait suite aux concertations intervenues dans le cadre des Assises de la fiscalité. Elle intègre la suppression progressive de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), soit une diminution de 6,2 milliards d'euros bruts, avec une première réduction de 1 milliard d'euros dès 2015, puis une deuxième d'un même montant en 2016. À cela s'ajoutent la fin de la contribution exceptionnelle - dite « surtaxe » - sur l'impôt sur les sociétés, dont la suppression est prévue en 2016 par le présent PLFR, et la diminution du taux d'impôt sur les sociétés de 33 1/3 % à 28 % d'ici à 2020, avec une première étape en 2017.

Enfin, des mesures de solidarité pour les ménages modestes seront mises en place, comprenant une mesure provisoire d'allègement sur l'impôt sur le revenu de 1,16 milliard d'euros en 2014, qui figure dans le présent PLFR, une mesure pérenne portant également sur l'impôt sur le revenu, d'un montant de 2,5 milliards d'euros à compter de 2015, et la mise en place d'un dispositif de réduction des cotisations salariales entre 1 et 1,3 SMIC à partir de 2015. Au total, le Pacte de responsabilité et de solidarité conduirait à une baisse des prélèvements obligatoires d'environ 25 milliards d'euros entre 2015 et 2017.

Il convient de rappeler que la trajectoire pluriannuelle des finances publiques présentée par le Gouvernement dans le cadre du programme de stabilité 2014-2017 repose, entre 2015 et 2017, sur un effort en dépenses de 50 milliards d'euros, réparti entre les différents sous-secteurs d'administrations publiques, en fonction de leur poids dans les dépenses publiques. L'effort en dépenses représenterait 21 milliards d'euros dès 2015. En outre, le programme de stabilité précise que « le total des économies sera porté à 37 milliards d'euros environ en 2016, et atteindra les 50 milliards d'euros en 2017 ».

Le Gouvernement retient une hypothèse de croissance de 1,0 % pour 2014. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a jugé, dans son avis du 5 juin 2014, que les évolutions conjoncturelles récentes rendaient « l'atteinte de l'objectif de croissance en 2014 moins probable », même si la prévision n'est pas « hors d'atteinte ». Dans son précédent avis portant sur le programme de stabilité, publié en avril dernier, il avait estimé que « la prévision de croissance [...] de 1,0 % pour l'année 2014 [était] réaliste ». Le changement intervenu dans l'appréciation du Haut Conseil s'explique, notamment, par la publication par l'Insee, le 15 mai dernier, de données faisant apparaître une croissance du PIB nulle au premier trimestre. Les prévisions de croissance retenues par le Gouvernement pour 2014 sont, malgré tout, en ligne avec celles de la Commission européenne et du Fonds monétaire international (FMI) qui, dans leurs prévisions, anticipent également une hausse du PIB de 1 % ; l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prévoit, quant à elle, une croissance de 0,9 %. Enfin, des évolutions encourageantes doivent être soulignées, comme les décisions de politique monétaire annoncées par la Banque centrale européenne (BCE) qui ont vocation à favoriser la croissance économique. Ces éléments laissent penser que l'atteinte d'un taux de croissance de 1 % en 2014 demeure crédible même s'il apparaît désormais qu'il se situe dans le « haut de la fourchette » des prévisionnistes.

Le principal aléa entourant le scénario économique pour l'année 2014 réside dans la trajectoire d'inflation. Le Haut Conseil des finances publiques a jugé que « la prévision d'une inflation de 1,2 % en moyenne sur l'année 2014 [était] manifestement élevée au vu de celle constatée depuis l'automne 2013 (0,7 % en glissement annuel) et des anticipations des chefs d'entreprise sur l'évolution de leurs prix de vente ». L'Insee estime, dans sa note de conjoncture de juin, que l'inflation resterait inférieure à 1 % en 2014, mais qu'elle « pourrait croître à nouveau notamment si les mesures annoncées par la BCE début juin permettent de faire baisser l'euro ».

Le présent projet de loi de finances rectificative poursuit, avec le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) l'effort de consolidation des comptes publics engagé par le Gouvernement en 2012. Toutefois, la problématique est modifiée en 2014, en raison du déclenchement du mécanisme de correction budgétaire, le Haut Conseil ayant identifié, dans son avis du 23 mai 2014, un « écart important » (- 1,5 point de PIB) entre le solde structurel constaté en 2013 (- 3,1 % du PIB) et les orientations arrêtées par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 (- 1,6 % du PIB). Ce mécanisme, créé par la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, répond à une exigence du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Il vise à garantir le respect de la trajectoire du solde structurel définie par la loi de programmation des finances publiques. Le mécanisme de correction sera analysé plus en détail lors de l'examen du projet de loi de règlement et du rapport préparatoire au débat d'orientation des finances publiques (DOFP) - jeudi 10 juillet en commission des finances - dans le cadre duquel le Gouvernement doit exposer les mesures qu'il entend prendre à l'automne. Pour autant, le Haut Conseil a noté que « par rapport à la loi de programmation, l'ajustement supplémentaire prévu par le gouvernement dans le collectif (0,2 point de PIB) corrig[eait] peu l'écart à la trajectoire inscrite dans cette loi (1,5 point de PIB en 2013) ».

L'article liminaire fait apparaître une prévision de solde effectif de - 3,8 % du PIB pour 2014 et de solde structurel de - 2,3 % du PIB. Ce dernier serait donc plus dégradé de 1,2 point de PIB que la cible retenue dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, qui retenait un objectif de - 1,1 % du PIB. La réduction de l'écart de solde structurel à la trajectoire des finances publiques par rapport à celui constaté en 2013 montre que l'effort budgétaire prévu en 2014 permet d'engager la correction de l'« écart important » constaté par le Haut Conseil.

Anticipant le déclenchement du mécanisme de correction, le Gouvernement a prévu, dans le projet de loi de finances pour 2014, un effort structurel de 0,9 point de PIB, supérieur de 0,4 point de PIB à celui prévu dans la loi de programmation. Il reposait à hauteur de 0,2 point de PIB sur les mesures nouvelles en recettes et à hauteur de 0,7 point sur un effort en dépenses. Toutefois, les évolutions intervenues depuis l'automne 2013 ont conduit à réviser l'ampleur de l'effort structurel en raison du moindre dynamisme des recettes constaté en début d'année - l'élasticité étant désormais évaluée à 0,9 contre 1 dans le projet de loi de finances initiale - ainsi que de la révision à la baisse du rendement des mesures nouvelles en prélèvements obligatoires. Deux autres phénomènes atténuent l'effort en dépenses initialement envisagé : le dynamisme des dépenses de collectivités territoriales - le programme de stabilité ayant réévalué à la hausse la croissance en valeur des dépenses locales en 2014 de 1,2 % à 1,7 % - et la révision à la baisse de l'inflation. Selon le Gouvernement, l'effort structurel en recettes en 2014 serait abaissé à 0,1 point de PIB. Quant à l'effort en dépenses (0,7 point de PIB), il serait maintenu grâce aux économies supplémentaires prévues dans les textes financiers rectificatifs pour 2014 (qui correspondent à un effort de 0,2 point de PIB). En l'absence de composante non discrétionnaire, l'ajustement structurel serait égal à l'effort structurel, soit 0,8 point de PIB.

Les projets de lois de finances rectificative et de financement rectificative de la sécurité sociale prévoient des économies supplémentaires d'un montant de 4 milliards d'euros, auxquels s'ajoute une révision à la baisse de 1,8 milliard d'euros de la charge de la dette de l'État. Ces économies supplémentaires reposent sur l'État, à hauteur de 1,6 milliard d'euros. L'absence temporaire de revalorisation des prestations sociales - logement et retraites - conduirait à une économie de 0,3 milliard d'euros en 2014. La consolidation de l'acquis de la maîtrise des dépenses entrant dans le champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) représenterait un effort supplémentaire de 0,8 milliard d'euros. Enfin, un ensemble de mesures ne nécessitant pas de traduction législative dans les textes financiers rectificatifs complèterait ces dispositions. Il s'agit de moindres dépenses de l'Unédic en 2013, qui se reportent en 2014 (0,6 milliard d'euros), de la révision du rythme de décaissement des investissements d'avenir, compte tenu des dernières informations émanant du Commissariat général à l'investissement (CGI) et, notamment, de la sous-consommation constatée en 2013 (0,4 milliard d'euros) et, enfin, des économies réalisées en 2013 dans le champ du Fonds national d'action sociale (FNAS) de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) qui sont également pérennisés en 2014 à hauteur de 0,3 milliard d'euros.

Le projet de loi de finances rectificative prévoit une mesure fiscale en faveur des ménages modestes, figurant à l'article premier, qui consiste en une réduction de l'impôt sur le revenu dû en 2014 pour les contribuables dont le revenu fiscal de référence n'excède pas le montant imposable d'un salaire de 1,1 SMIC. Le coût de ce dispositif est estimé à 1,16 milliard d'euros ; son incidence sur le solde de l'État est en grande partie compensée par les bons résultats de la lutte contre la fraude fiscale, qui devrait être à l'origine d'un surcroît de recettes d'environ 1 milliard d'euros par rapport à la prévision de la loi de finances initiale.

L'article liminaire du PLFR fait apparaître une prévision de solde effectif de - 3,8 % du PIB et de solde structurel de - 2,3 % du PIB. L'Assemblée nationale a modifié cet article contre l'avis du Gouvernement, en dégradant la prévision de solde conjoncturel de - 1,5 % du PIB à - 1,9 % et en améliorant celle de solde structurel de - 2,3 % du PIB à - 1,9 %, ce qui nous rapproche de 0,4 point du retour vers l'équilibre structurel. Compte tenu du caractère inédit de cette initiative et afin de comprendre les raisons pour lesquelles elle ne nous paraît pas souhaitable, il semble utile de revenir dans le détail sur les notions de solde structurel et de solde conjoncturel.

Notre trajectoire des finances publiques est désormais orientée vers un objectif à moyen terme (OMT) défini en termes de solde structurel. Deux composantes du solde public effectif peuvent être identifiées : le solde conjoncturel, qui correspond à la part des fluctuations du solde public dépendant des facteurs conjoncturels ou temporaires, et le solde structurel, soit le solde public constaté si le PIB est égal à son potentiel.

M. Aymeri de Montesquiou. - Il faudrait rendre cela compréhensible par tous.

M. Philippe Marini, président. - La méthodologie est complexe. Donnons-lui toute l'attention nécessaire.

M. François Marc, rapporteur général. - Une méthode simplifiée de calcul du solde structurel consiste à considérer que le solde conjoncturel est proche de la moitié de l'écart de production, qui correspond à la différence entre le PIB effectif et le PIB potentiel. Ceci s'explique par le fait que les postes sensibles à la conjoncture représentent, en France, près de la moitié du PIB et que l'élasticité des prélèvements obligatoires est de l'ordre de 1. En bref, plus le PIB effectif est éloigné de son potentiel - en « bas de cycle » - plus le solde conjoncturel est dégradé, et inversement. Le solde structurel se calcule en soustrayant le solde conjoncturel du solde effectif, soit - 3,8 % - (- 2,9% /2) = - 2,3 %.

L'amendement adopté par l'Assemblée nationale revient à modifier la trajectoire du PIB potentiel pour l'ensemble de la période de programmation. Une telle réévaluation en cours de route n'est pas souhaitable et n'est conforme ni à la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, ni au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. En effet, ces textes imposent la définition d'une trajectoire des finances publiques orientée vers un objectif à moyen terme, pour éviter le « syndrome de la cible mouvante ». Une permanence dans les méthodes et les hypothèses fondamentales utilisées pour le calcul du solde structurel est indispensable. C'est ce qui a justifié la définition d'une trajectoire de PIB potentiel dans la loi de programmation des finances publiques. La loi organique précitée impose également au Haut Conseil des finances publiques - à la suite d'une modification apportée par le Sénat, à l'initiative de Jean-Pierre Caffet - de retenir « la trajectoire de produit intérieur brut potentiel figurant dans le rapport annexé [à la loi de programmation] ». Le non-respect du cadre budgétaire mis en place pourrait porter atteinte à la crédibilité de la France auprès de ses partenaires et fragiliser les règles européennes de gouvernance économique et financière. Les autorités françaises donneraient l'impression qu'elles s'arrogent le droit d'améliorer comme bon leur semble leur trajectoire de solde structurel. Enfin, Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget, a mis en évidence le risque d'inconstitutionnalité qu'une telle modification ferait planer sur l'ensemble du projet de loi, au regard du principe de sincérité budgétaire. En effet, comme nous allons le voir, les modalités selon lesquelles l'Assemblée nationale a modifié la prévision de solde structurel posent question.

L'Insee a révisé, en 2014 notamment, les comptes nationaux pour les années 2011 et 2012. Ces révisions font apparaître un déficit public effectif plus élevé en 2012, soit 4,9 % du PIB au lieu de 4,5 % dans la LPFP. Elles conduisent également à constater que le PIB effectif en 2011 et 2012 était plus élevé que ce qui était prévu lors du vote de la loi de programmation des finances publiques.

M. Philippe Marini, président. - C'était le bon temps !

M. François Marc, rapporteur général. - Ces révisions du PIB effectif ont eu une incidence majeure sur la trajectoire des finances publiques. Le solde conjoncturel étant à peu près égal à la moitié de l'écart de production, le resserrement de l'écart de production constaté en 2011 et 2012 a eu pour conséquence d'améliorer le solde conjoncturel et de dégrader le solde structurel pour ces années. Ajouté à la réévaluation à la baisse du solde public en 2012, ceci a eu pour effet d'abaisser le point de départ de la trajectoire pluriannuelle de solde structurel : elle commence par un déficit structurel de 4,2 % du PIB en 2012 et non de 3,6 % comme le prévoyait la loi de programmation. Ces révisions expliquent une part importante de l'écart du solde structurel à la trajectoire arrêtée par la loi de programmation des finances publiques. En 2013, l'écart de - 1,5 point de PIB s'expliquait, à hauteur de - 0,6 point de PIB, par ces révisions. Par conséquent, l'effort structurel total à consentir pour atteindre l'objectif de moyen terme est plus important que ce qui était prévu initialement.

C'est dans ce contexte que l'Assemblée nationale a souhaité rééquilibrer les parts conjoncturelle et structurelle du solde public, sans que cette modification ne repose sur des fondements techniques très solides. Elle revient à réduire l'ajustement structurel à accomplir, et à modifier implicitement la trajectoire du PIB potentiel, ce qui nuirait à notre crédibilité en Europe. Sur le fond, on peut également s'interroger sur les hypothèses retenues pour le calcul sur lequel repose la modification proposée par l'Assemblée nationale. Elle impliquerait une croissance potentielle proche de 1,6 % en moyenne sur la période 2011-2014, ou une revalorisation du PIB potentiel de près de 1 % pour 2011.

Dans le souci de respecter la permanence des hypothèses et des méthodes à partir desquelles est estimé le solde structurel qui sert à définir et à suivre la trajectoire pluriannuelle des finances publiques, je vous proposerai un amendement rétablissant l'article liminaire dans la version du projet initial du Gouvernement.

Quant au budget de l'État pour 2014, la prévision de recettes fiscales nettes s'élève à 279 milliards dans le PLFR, en baisse de 5,3 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale. Cela résulte essentiellement du rendement moins élevé qu'anticipé de l'impôt sur le revenu (- 3,2 milliards d'euros) et de l'impôt sur les sociétés (- 2,9 milliards d'euros), qui est en partie compensé par une réévaluation à la hausse des prévisions de recettes de TVA (+ 0,5 milliard d'euros) et de TICPE (+ 0,2 milliard d'euros). Cette révision à la baisse de la prévision de recettes fiscales nettes s'explique par la reprise en base des moins-values de recettes fiscales de 2013, la révision à la baisse de la prévision d'évolution spontanée des recettes fiscales et la révision à la baisse du rendement des mesures nouvelles. Comme l'a rappelé le secrétaire d'État chargé du budget, Christian Eckert, devant notre commission, la prévision des recettes a tenu compte de l'ensemble des moins-values de l'exercice 2013 ; il a précisé que lorsqu'il y avait eu des plus-values, le Gouvernement n'en avait, par prudence, retenu qu'une partie.

M. Vincent Delahaye. - On ne peut qu'avoir de bonnes surprises...

M. François Marc, rapporteur général. - La participation de l'État aux 4 milliards d'euros d'économies supplémentaires prendra la forme d'annulation de crédits pour un montant de 1,6 milliard d'euros, prévues dans le périmètre « zéro valeur », soit hors charge de la dette et pensions. La baisse des dépenses relevant de la norme « zéro valeur » est portée à 3,3 milliards d'euros par rapport à la loi de finances pour 2013, à périmètre constant. Les dépenses totales de l'État en 2014, relevant du périmètre « zéro volume », seraient inférieures de 3,4 milliards d'euros à la prévision initiale en raison de la révision à la baisse de la charge de la dette (- 1,8 milliard d'euros), permise par la faiblesse de l'inflation et des taux d'intérêt, historiquement bas, avec un taux à dix ans autour de 1,6 % pour la dette française et un spread avec l'Allemagne de l'ordre de 40 points de base.

Les annulations de crédits prévues portent essentiellement sur des crédits « frais », qui n'avaient pas été mis en réserve en début d'année (965 millions d'euros), et 635 millions d'euros sont annulés au sein de la réserve de précaution. D'importantes marges de manoeuvre sont conservées pour assurer le respect de la norme en exécution, puisque les crédits mis en réserve seraient encore de 6,8 milliards d'euros après les annulations du projet de loi de finances rectificative. Cela devrait permettre de faire face aux aléas de l'exécution budgétaire, comme les dépenses qui pourraient résulter des contentieux agricoles avec la Commission européenne.

L'ensemble des ministères contribuent à l'effort supplémentaire en dépenses consenti en 2014. Comme l'a rappelé Christian Eckert, lors de son audition par notre commission, les annulations de crédits ont été réparties de manière différenciée afin de garantir la soutenabilité et l'effectivité des économies projetées. Ainsi, les crédits de personnel, pour lesquelles les marges de manoeuvre disponibles en gestion sont limitées, ne sont pas concernées, à l'exception d'une annulation de 36 millions d'euros sur les crédits du ministère de l'intérieur. En outre, les annulations ne portent pas sur les dépenses obligatoires ou les prestations qui ne peuvent être modulées en gestion. En bref, le Gouvernement a fait porter les économies sur les crédits maîtrisables par les gestionnaires.

Le projet de loi de finances rectificative prévoit un solde budgétaire de - 83,9 milliards d'euros, deuxième programme d'investissements d'avenir compris, soit un déficit accru de 1,4 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale. Cette révision résulte d'une réévaluation à la baisse des recettes (- 4,8 milliards d'euros), partiellement compensée par les économies supplémentaires (+ 1,6 milliard d'euros) et par la diminution de la charge de la dette (+ 1,8 milliard d'euros). Le besoin annuel de financement de l'État résulte de l'addition de son déficit budgétaire et des amortissements de dette à moyen et long termes ou reprise par l'État. Il augmenterait de 1,9 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale, mais resterait en baisse sensible par rapport à 2012 et 2013. Cette hausse serait financée par une augmentation à due concurrence des bons du Trésor à taux fixes et intérêts précomptés.

M. Philippe Marini, président. - Monsieur le rapporteur général, nous vous remercions de cet exposé pédagogique, que j'oserai qualifier de méritoire tant la situation est délicate et la méthodologie complexe. Vous avez raison d'insister sur la portée de l'amendement de l'Assemblée nationale à l'article liminaire, qu'il paraît nécessaire de corriger. La tentation serait grande de manipuler les chiffres, ce qui achèverait de nuire à la lisibilité de nos prévisions budgétaires. J'ai publié un texte récemment, intitulé « Le solde structurel, un rideau de fumée ? », où je montre que le caractère intellectuel du solde structurel ne peut que compliquer la relation avec l'opinion publique sur les questions budgétaires.

Vous avez à juste titre insisté sur la nécessité de faire des économies. Cela tourne au paradoxe, lorsque vous présentez un collectif budgétaire qui dégrade le solde budgétaire d'un peu moins de 1,5 milliard d'euros, en prenant en compte les recettes issues du rapatriement des capitaux et, cela, alors que nous ne disposons d'aucun élément de détail pour dire ce qui sera récurrent ou non dans l'estimation de ces recettes - je pense à l'estimation des pénalités par exemple. Or, ces recettes sont le gage qui rend possibles les mesures d'aménagement du barème de l'impôt sur le revenu - dont l'on ne peut pas supposer qu'elles ne soient pas permanentes. Quant à l'effort global sur la période, il faut soustraire aux 50 milliards d'euros d'économies annoncées, la diminution des prélèvements obligatoires d'environ 25 milliards d'euros. Par conséquent, on n'obtiendra que la moitié au mieux des économies prévues, soit 10 milliards d'euros en 2015 d'amélioration du solde en compensant les économies prévisionnelles et les baisses de fiscalité annoncées. Ne m'en veuillez pas, Monsieur le rapporteur général, de regarder la bouteille à moitié vide, quand vous la regardez à moitié pleine. Nous sommes dans le droit fil des fonctions que nous exerçons.

M. Serge Dassault. - Notre dette atteint 2 000 milliards d'euros. Pour la rembourser, il faudrait dégager un excédent budgétaire - ce dont nous sommes éloignés aujourd'hui. La dette continuera donc à croître. Jusqu'à quand ? Chaque année nous lui ajoutons 60 à 80 milliards d'euros supplémentaires. Le retour du déficit public en deçà de 3 % en 2015 paraît hors de portée ; peut-être cet objectif sera-t-il atteint, au mieux, en 2017. Les 50 milliards d'économies sur trois ans sont largement insuffisants. Il faudrait que la baisse des dépenses conjuguée à l'augmentation des recettes ramène 200 à 250 milliards d'euros. Nous n'atteindrons jamais l'objectif de 1,0 % de croissance. Il faudrait faire des budgets à croissance zéro pour n'avoir que des bonnes surprises. Les recettes fiscales sont moins élevées que prévu, car nos concitoyens s'en vont. Combien quittent la France chaque année, nous privant de leur capacité d'investir, à cause des impôts trop élevés ? Je suis inquiet. Il faut être inquiet. Les prévisions de réduction des dépenses de fonctionnement devraient être plus fermes et ne pas réaliser des économies sur les dépenses d'investissement. L'État devrait plafonner la dette. Depuis vingt ans, elle n'a cessé d'augmenter. 2 000 milliards d'euros, c'est une limite à ne pas dépasser ! Sinon, nous risquons de voir notre notation dégradée. Et quand il faudra trouver 180 milliards à emprunter, personne ne voudra nous prêter. Allons plus loin dans la réduction des dépenses.

M. Philippe Marini, président. - Merci, Monsieur Dassault, pour votre analyse constante, toujours inspirée par la même conviction et la même ténacité.

M. Francis Delattre. - Depuis que le PLFR a été présenté à l'Assemblée nationale, puis ici, au Sénat, la presse ne parle plus que du million de citoyens qui échappera à l'impôt sur le revenu. Le rapport de la Cour des comptes n'est pas aussi optimiste que celui du rapporteur général sur la situation de notre pays. Le projet prévoit des dépenses supplémentaires et 5,3 milliards de recettes fiscales en moins. Cela aura des conséquences sur la dette, ainsi que sur les choix que nous devrons faire. L'ensemble des investissements du pays sont menacés, qu'il s'agisse du secteur du bâtiment, du logement, etc. Ce secteur fonctionnait encore il y a peu ; il entre dans une crise grave que le budget tel qu'il est prévu ne fera qu'aggraver. Le Premier ministre disait, hier soir, après le vote du budget à l'Assemblée nationale, qu'il fallait faire encore plus d'économies. C'est difficile, nous pouvons le concevoir. Les autorités européennes et le FMI souhaitent que nous menions un certain nombre de réformes structurelles. Nous n'avons pas su les mettre en place dans le domaine social, sur la flexibilité du travail. Nous n'avons pas été plus efficaces sur les retraites, ni sur la formation professionnelle - les crédits alloués aux chambres de commerce ont diminué. Alors, pour faire passer les mauvais résultats et les mauvaises prévisions, on brandit la réforme territoriale, et on nous la propose en catastrophe, sans étude d'impact sérieuse. Alors que l'impôt sur les sociétés diminue gravement, on ajoute à l'assiette fiscale des entreprises les intérêts sur l'investissement qui pouvaient autrefois être déduits. Cette mesure purement technique représente 4 milliards d'impôts supplémentaires.

La « surtaxe » sur l'impôt sur les sociétés est, de plus, prolongée. Le Gouvernement a le double visage de Janus : l'un parle d'économies et de compétitivité et l'autre laisse voir des chiffres réels désolants.

Nous sommes presque à 2 000 milliards de dette ; le Premier ministre parle d'un déficit de 3 % l'année prochaine, ce qui sera impossible à tenir. Le Gouvernement parle d'une politique tournée vers les jeunes... C'est totalement inadapté, sachant qu'il aggrave une dette qui devra être remboursée par les générations futures.

- Présidence de Mme Fabienne Keller, vice-présidente -

M. Vincent Delahaye. - La distinction entre solde structurel et conjoncturel est évidemment artificielle. J'ai toujours pensé que la croissance potentielle était surestimée. Bien que le fait de retenir le solde structurel comme base de référence de notre politique budgétaire ne me plaise pas, je voterai l'amendement de suppression des dispositions introduites par les députés. Ces dernières nuisent à la crédibilité de notre pays, qui ne peut changer de mode de calcul tous les ans.

Les tableaux présentés montrent des baisses ciblées de prélèvements. Les 10 milliards d'euros de baisse de prélèvements sur le travail sont-ils bien à ajouter aux 20 milliards du CICE pour atteindre les 30 milliards annoncés ? Ce qu'il faut bien appeler des cadeaux fiscaux - qui n'ont pas eu les résultats escomptés, c'est le moins qu'on puisse dire, en termes électoraux - seront-ils poursuivis en 2015 ? Ils seraient, semble-t-il, financés par les recettes supplémentaires à attendre de la régularisation de la fraude fiscale ; cela ne me semble pas de bonne gestion s'il s'agit de mesures fiscales pérennes. Le tableau des dépenses gagnerait à inclure l'exécution réelle telle que retracée dans la loi de règlement 2013. L'intégration progressive des investissements d'avenir dans le déficit n'est pas encore clarifiée pour moi : ils n'entrent pas dans le déficit maastrichtien, mais sont pris en compte dès qu'ils sont transformés en dotations ? Comme pour le CICE, j'aimerais un tableau récapitulatif. Les sommes consacrées aux investissements d'avenir ne sont pas empruntées dès 2014 ?

M. Yves Krattinger. - Le rapporteur parle du dynamisme des dépenses des collectivités territoriales. Je ne critique rien et je voterai ce projet de loi. Mais d'où vient cette hausse ? La TVA des transports est passée de 7 à 10 % : les collectivités ne l'ont pas décidé ; l'allocation et le nombre d'allocataires du RSA augmente : les collectivités ne l'ont pas décidé.

M. Philippe Dallier. - Je sens venir l'anaphore !

M. Yves Krattinger. - L'accessibilité, la mise aux normes énergétiques des bâtiments sont intenables. Le désamiantage représente un coût astronomique. Nous subissons la multiplication des diagnostics, l'explosion des coûts préalables aux projets - réalisés au plus en un an, mais qui nécessitent six ans de procédure - la hausse solidaire des cotisations de la CNRACL, la revalorisation de la catégorie C, les rapports à fournir - dont je crains qu'ils ne soient peu lus. Si un agent doit monter sur la troisième marche d'un escabeau, il doit passer un certificat d'aptitude à la conduite en sécurité ! Il faudrait essayer de limiter la hausse des dépenses de ce type ; c'est aussi vrai pour les entreprises. Nous sommes les champions de la transposition des directives... Et je pourrai faire un inventaire plus riche encore !

Je n'ai pas trouvé de réponse à mes questionnements sur le financement du fonds national pour la société numérique (FSN) : la caravane est immobilisée. Il y a ceux qui ont obtenu un financement et ceux dont le dossier est bloqué, faute de financement. Celui-ci devait provenir de trois sources : subvention, prêt - inopérant pour des investissements non rentables - et vente de fréquences à des opérateurs ; ceux-ci ne se précipitent pas pour acheter et le Gouvernement ne se précipite pas pour vendre - il est vrai que la conjoncture ne s'y prête pas. Les dossiers, validés par le fonds, s'accumulent dans l'entonnoir de Matignon. Ils sont présentés par des groupements régionaux ou des territoires départementaux : aujourd'hui, 95 % des départements se sont engagés dans des schémas qui sont l'exemple même d'investissements porteurs d'avenir. Il faudrait les réaliser avant que les pays voisins aient fini. Il serait vraiment dommage de repousser ce problème à la loi de finances pour 2015 : compte tenu des délais de mise en place des crédits, cela signifierait un retard d'un an.

M. Richard Yung. - Merci au rapporteur de nous avoir guidés dans un domaine pour le moins abscons ; ne pas pouvoir expliquer à ses mandants ce que l'on vote finit par poser une difficulté politique. Monsieur Dassault, demander 250 milliards d'euros d'économies n'est pas raisonnable, avec un budget de l'État de 370 milliards d'euros. Soyons sérieux ! J'ai retrouvé, en écoutant Francis Delattre, la lettre envoyée par le Medef - notez que je ne suis pas contre le Medef. Mais vous le savez, le problème en France est qu'il est impossible de négocier. Je me réjouis de voir que l'on s'engage dans la diminution de l'impôt sur les sociétés (IS) et la suppression de la surtaxe, même si elle est tardive, comme celle de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), cet impôt idiot. Le taux général de l'IS doit aussi être fixé à la baisse à 28 % - je serais pour aller plus loin, vers le taux européen de 25 %.

M. Philippe Dallier. - Bravo !

M. Richard Yung. - La dette m'inquiète. Nous bénéficions actuellement d'un taux extrêmement bas, mais tout a une fin. Pouvons-nous espérer des recettes supplémentaires liées à la régularisation ? Certes, nous avons signé un accord avec la Suisse et la cellule qui y est consacrée a été renforcée.

M. Philippe Dallier. - Concernant le solde structurel, je ne cherche plus à comprendre. Je ne sais pas ce qu'il en est pour les Français de l'étranger, mais personne n'est jamais venu me demander de lui expliquer... L'Assemblée nationale a supprimé la disposition de l'article 6 gelant les allocations logement : le Gouvernement a cédé aux demandes des députés. Pourtant, le guichet ouvert fait que les crédits manquent à chaque fois en fin d'année, et je n'ai pas vu pour autant de changement dans les crédits affectés à la mission. À nouveau, c'est insincère. Monsieur le rapporteur général, seriez-vous prêt à voter un amendement qui rétablisse le gel ?

Le ministre des affaires étrangères, chargé du tourisme, a trouvé léger le dispositif prévu pour les taxes de séjour. En Île-de-France, nous sommes condamnés à la double peine, avec une taxe régionale de deux euros. Allons-y ! Cela compense-t-il les exonérations sur le versement transport pour les associations qui travaillent dans certains secteurs ? J'ai plus que des inquiétudes concernant le financement du Grand Paris Express. Il serait bon que la commission des finances se penche sur le dossier. Il faudrait faire mieux que colmater les brèches : il en va de l'attractivité économique de la région Île-de-France, qui représente 30 % du PIB français.

M. Dominique de Legge. - Le budget de la défense est réduit de 350 millions pour financer la réserve servant au surcoût des opérations extérieures (OPEX), en complète contradiction avec la loi de programmation militaire, qui dispose que ce financement ne doit pas être pris sur le budget de la défense. Les financements pris sur les investissements d'avenir le sont pour équilibrer le budget de la défense, pour honorer des factures anciennes ; c'est grave, pour des crédits qui doivent, selon les mots mêmes de Louis Schweitzer, préparer l'avenir et non gérer le présent - sans parler du passé ! Il y a enfin de sérieuses incertitudes sur les recettes exceptionnelles provenant de la cession de biens immobiliers et de fréquences hertziennes dont le budget de la défense est injustement privé.

M. Philippe Dominati. - J'aurais aimé avoir une explication du collectif budgétaire dans son contexte politique. L'ancien Premier ministre nous annonçait, en novembre, que l'événement majeur de ce printemps serait la grande réforme fiscale promise lors de sa campagne par celui qui allait devenir Président de la République. Ce collectif aurait pu en être l'instrument ; or il n'en contient pas une ligne. Entre temps, les Français se sont prononcés, le Gouvernement a changé... La loi de finances rectificative aurait pu être un tournant - mais nous manquons d'une lecture politique. Nous en voyons les prémices, avec la réflexion sur la baisse de l'IS et des prélèvements sociaux. Le citron a été trop pressé, qu'il s'agisse des entreprises ou des contribuables. Cela aurait pu être un tournant pris par réalisme ; or, la baisse des recettes n'engendre pas d'amélioration du solde.

Mme Nicole Bricq. - Nous en parlerons en séance !

Mme Fabienne Keller, présidente. - Les économies structurelles devant être réalisées avant 2017 sont toujours très peu documentées. Le déficit budgétaire s'aggrave d'1,4 milliard, et tous les changements de base n'y changeront rien. Le déficit effectif, pour la Cour des comptes, serait plus proche de 4 % que de 3,8 %.

En fait, ces documents sont pleins d'astuce. La surtaxe de l'IS est prolongée pour une année supplémentaire : prévue seulement pour 2011 et 2012, elle continuera jusqu'en 2015 avec une perception en 2016 ! Je ne vois là que recettes de poches et coups de rabot, alors que la France aurait besoin de choix structurels.

M. François Marc, rapporteur général. - Certaines de vos questions s'adressent au Gouvernement : je n'ai fait que donner mon appréciation et mon analyse.

La dégradation du solde budgétaire atteint effectivement 1,4 milliard d'euros par rapport à la loi de finances pour 2014 ; elle est essentiellement due à la constatation que l'exécution 2013 a été pire que prévue, et non à des décisions hasardeuses ou à un dérapage. Le rapatriement des avoirs produit effectivement une recette non pérenne, mais elle est présentée comme telle, pour une seule année. Il faudra trouver un financement durable dans la loi de finances initiale pour 2015 en ce qui concerne les mesures fiscales pérennes.

Un budget reposant sur une croissance zéro serait prudent, mais insincère : la création du Haut Conseil des finances publiques permet des prévisions réalistes, plus sincères qu'autrefois. Le besoin de financement de l'État, de 180 milliards d'euros, se réduit par rapport aux années antérieures. L'investissement public est une vraie préoccupation, et pas seulement en France : l'initiative commune prise dans le cadre de l'Union européenne par François Hollande et Matteo Renzi le montre. C'est une question de conjoncture mais aussi de croissance potentielle. Pourquoi le produit de l'IS baisse-t-il ? Sans doute à cause de la forte sensibilité de cet impôt à la conjoncture économique, et à l'effet mécanique du CICE.

Les investissements d'avenir sont comptabilisés dans le tableau de financement au fur et à mesure de leur décaissement dans la ligne « autres besoins de trésorerie ». L'information est donc présente - même si je reconnais qu'elle n'est pas très lisible. L'exécution de 2013 n'apparaît pas dans le tableau des dépenses car celui-ci montre le respect des normes de dépenses, qui s'apprécie en comparant une loi de finances initiale avec une autre loi de finances initiale. L'écart est de 3,1 milliards d'euros avec l'exécution 2013.

Il est vrai que l'expression « dynamisme des dépenses des collectivités territoriales » peut susciter des interrogations. Dans mon esprit, il ne s'agissait que d'une présentation sans jugement de valeur sur ses causes : à ce propos, je partage le diagnostic d'Yves Krattinger. Espérons que le Conseil national d'évaluation des normes, pour lequel nous avons procédé à la désignation de nos représentants, diminuera les contraintes parfois inutiles qui pèsent sur les collectivités. S'agissant de l'évolution des recettes liées à la régularisation des avoirs non déclarés, le nombre de fonctionnaires affectés à ces dossiers va doubler. Compte tenu du nombre de régularisations en instance et de leur montant moyen - 900 000 euros - le produit peut en être évalué à 1,85 milliard d'euros en 2014, soit un milliard d'euros de plus que la prévision de la loi de finances initiale.

Je partage les préoccupations de Richard Yung concernant l'IS. Mais la France est comparable à ses voisins dans ce domaine : si le taux facial est fort, le taux réellement appliqué est proche du leur. S'agissant des initiatives de l'Assemblée nationale concernant la taxe de séjour, j'ai imaginé des amendements qui tiennent compte de certaines observations de Philippe Dallier. Suis-je prêt à rétablir le gel des allocations logement ?

M. Philippe Dallier. - ...ou à augmenter les crédits budgétaires, si vous préférez.

M. François Marc, rapporteur général. - ... Je n'ai pas l'intention de revenir sur la décision des députés.

Madame Keller, le déficit prévisionnel se détériore par rapport à la loi de finances initiale, mais il s'améliore par rapport à 2013.

Monsieur Dominati, vous rappelez le tintamarre autour de la réforme fiscale... Mais de nombreuses mesures annoncées dans ce projet de loi procèdent de la réflexion lancée en février et mars : suppression de la C3S, de la surtaxe, baisse annoncée de l'IS.

Enfin, je ne suis pas en mesure de donner une réponse précise concernant la défense ; bien des rapporteurs spéciaux pourraient avoir des commentaires à faire sur leur secteur.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

M. François Marc, rapporteur général. - Le projet de loi, qui comptait 7 articles initialement, en compte 36 après son passage à l'Assemblée nationale, dont le remplacement de l'écotaxe. Je ne propose pas de nouvel article et me contenterai de quelques ajustements.

Mme Nicole Bricq. - Bravo !

Article liminaire

M. François Marc, rapporteur général. - L'amendement n° 1 rétablit la prévision initialement proposée par le Gouvernement de solde structurel et de solde conjoncturel pour 2014, pour être plus conforme au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et à la loi organique.

L'amendement n° 1 est adopté.

Article premier bis

M. François Marc, rapporteur général. - L'amendement n° 2 simplifie la gestion de portefeuilles de valeurs mobilières de placements par les établissements financiers et par les contribuables, en faisant partir le décompte du délai de détention de ces valeurs pour le calcul de l'abattement sur les plus-values au 1er janvier de l'année suivant l'acquisition de ces titres ou droits, au lieu de la date réelle.

L'amendement n° 2 est adopté.

Article premier ter

L'amendement rédactionnel n° 3 est adopté.

Article 2

L'amendement rédactionnel n° 4 est adopté.

Article 2 bis

M. François Marc, rapporteur général. - L'amendement n° 5 apporte de la souplesse au dispositif introduit à l'article 2 bis par l'Assemblée nationale, modifiant la répartition homothétique de la réduction du plafond de recette applicable à l'ensemble des chambres régionales de métiers et de l'artisanat : l'Assemblée permanente de ces chambres pourrait désormais voter une répartition du plafonnement tenant compte de la santé financière des établissements régionaux ; le principe des plafonds individuels homothétiques prévu par le code général des impôts serait conservé en cas d'absence de décision.

L'amendement n° 5 est adopté.

Article 5 ter

M. François Marc, rapporteur général. - Les amendements n° 6 et n° 7 concernent la taxe de séjour. Le premier reporte l'entrée en vigueur prévue immédiatement au 1er janvier 2015 du relèvement de 1,5 euro à 8 euros du plafond de la taxe de séjour décidé par l'Assemblée nationale, afin d'attendre la remise du rapport sur la fiscalité touristique de nos collègues députés Monique Rabin, Éric Straumann, et Éric Woerth.

Article 5 quinquies

M. François Marc, rapporteur général. - L'amendement n° 7 reporte l'entrée en vigueur de la taxe de séjour spécifique à l'Île-de-France au 1er janvier 2015 au lieu du 1er septembre 2014. Cela laissera une marge pour l'analyse et, le cas échéant, pour l'ajustement.

M. Philippe Dallier. - Votre solution est préférable au texte de l'Assemblée, mais je ne peux pas la voter : voter le report serait voter le principe. Je proposerai des amendements de suppression pure et simple. Nous verrons s'il y a lieu d'engager cette mesure lorsque le rapport sera remis.

M. Roland du Luart. - Tout à fait. Laurent Fabius lui-même se dit très réservé.

Mme Nicole Bricq. - Il semblerait bien que les députés aient oublié leur mission en cours... La mesure que propose le rapporteur général est sage et calmera les esprits.

Mme Fabienne Keller, présidente. - Il ne s'agit que d'un plafond.

Mme Nicole Bricq. - ... Cela a été adopté avec un avis de sagesse du Gouvernement et en vertu d'un arbitrage pas très clair. L'exécutif doit se mettre d'accord. Pour l'Île-de-France, cela représenterait un produit de 140 millions. J'ai participé, il y a quelques années, à la mission de Gilles Carrez sur le financement du Grand Paris...

M. Philippe Dallier. - Moi aussi !

Mme Nicole Bricq. - Nous sommes convenus qu'il s'agissait d'un rapport correct : cette proposition y figurait, avec la hausse des amendes de stationnement.

M. Philippe Dallier. - C'est l'accumulation des deux taxes qui est un peu lourde.

Mme Nicole Bricq. - Le report laisserait du temps pour la concertation avec les professionnels. Cette mesure conservatoire laisserait aussi au Gouvernement le temps de régler son problème...

M. Philippe Dallier. - ...politique !

Mme Nicole Bricq. - Il ne s'agit pas non plus du solde du budget ; cela ne remet pas en cause la politique du Gouvernement. Les députés ont été un peu légers...

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

M. François Marc, rapporteur général. - Un élément supplémentaire : le dispositif ajoutant deux euros supplémentaires en Île-de-France a des effets indésirables, par exemple pour l'hébergement en hôtel des personnes en situation de grande précarité. Pour le Samu social, cela reviendrait à 20 millions d'euros de charges supplémentaires en année pleine. Le report nous permettra d'y réfléchir avant le budget 2015.

L'amendement n° 6 est adopté.

L'amendement n° 7 est adopté.

Article 5 sexies

L'amendement rédactionnel n° 8 est adopté.

Article 5 duodecies

M. François Marc, rapporteur général. - L'amendement n° 9 aligne la sanction prévue pour non présentation de la comptabilité analytique lors d'un contrôle fiscale sur celle prévue pour non présentation de la comptabilité informatisée, plus juste et dissuasive que la sanction forfaitaire de 20 000 euros prévue par l'Assemblée.

L'amendement n° 9 est adopté.

Article 5 septdecies

M. François Marc, rapporteur général. - L'amendement n° 10 remplace la remise d'un rapport au Parlement sur la création d'un observatoire des contreparties du CICE et du Pacte de responsabilité par un élargissement des missions du comité de suivi déjà placé auprès du Premier ministre et composé de représentants des partenaires sociaux et des administrations.

M. François Fortassin. - C'est judicieux !

M. Philippe Marini, président. - Vous ne créez donc pas un nouveau comité Théodule, mais vous étendez sa compétence.

L'amendement n° 10 est adopté.

Article 7

L'amendement n° 11 de coordination est adopté.

M. Philippe Marini, président. - Il nous reste à émettre un vote sur l'ensemble du projet de loi.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter le projet de loi de finances rectificative pour 2014.

Externalisations en opérations extérieures - Contrôle budgétaire - Communication

Puis la commission entend une communication de MM. Yves Krattinger et Dominique de Legge, rapporteurs spéciaux de la mission « Défense », sur les externalisations en opération extérieure.

M. Dominique de Leggerapporteur spécial. - Les militaires considèrent qu'il faut distinguer l'externalisation, qui est une conséquence de la réduction du format des armées, et la sous-traitance, terme qu'ils préfèrent employer lorsqu'ils sont en opération extérieure et qu'ils recourent à des moyens non patrimoniaux.

Quelle que soit la pertinence de cette subtile distinction, nous emploierons le terme « externalisation » de manière très large pour désigner ce phénomène, qui n'est d'ailleurs pas nouveau.

En effet, en 1795, Ritter, commissaire du gouvernement près l'armée d'Italie, écrivait : « Le volontaire est nu et réduit, la majeure partie du temps, au quart de la ration de pain. Toujours à la merci de la compagnie Lanchère qui a si bien servi jusqu'ici à affamer nos armées ! ». De manière plus contemporaine, on rappellera que la marine nationale recourt depuis 1978 à l'affrètement de remorqueurs de haute mer auprès de la compagnie « Abeilles International », dans le cadre de ses missions d'action de l'État en mer.

Le recours à l'externalisation a pris de l'ampleur et fait l'objet d'une démarche plus systématique et volontariste.

On peut rapidement distinguer plusieurs périodes.

La première fait suite à la professionnalisation des armées et à la fin du service militaire. Elle a donné lieux à l'externalisation de nombreuses tâches, notamment l'alimentation, le blanchissage, le gardiennage...

La deuxième période a été initiée de manière plus centralisée, plus conceptualisée, dans le cadre de la réforme des armées et du ministère de la défense.

La volonté de recentrer les moyens de la défense sur les forces opérationnelles ne doit pas faire oublier que si l'intendance ne suit pas, c'est le front qui est exposé, ainsi que les hommes qui y sont.

Le risque majeur est d'entamer les capacités opérationnelles des forces : ce qui fonctionne en France et en temps de paix n'est pas forcément projetable sur un théâtre d'opération, notamment lorsqu'il faut entrer en premier sur un théâtre. Dès lors que les fonctions externalisées ont vocation, le cas échéant, à contribuer au soutien sur place d'une OPEX, il est nécessaire de conserver un minimum de savoir-faire et de moyens proprement militaires.

Par exemple, lors de notre déplacement au Mali, nous avons pu constater qu'à Bamako, la restauration était externalisée, alors que sur la base de Gao, la restauration est assurée par des militaires, en raison à la fois de la situation sécuritaire et de la nécessité de donner aux militaires chargés de cette fonction une expérience réelle d'un théâtre d'opération particulièrement difficile.

Ceci étant dit, je vous propose une typologie de l'externalisation.

Le premier type est l'externalisation que je qualifierai d' « additionnelle », qui a pour objet de répondre aux évolutions des besoins et des standards de soutien. Je pense à l'expérimentation CAPES France, ou au service Escale des Armées, qui offre aux personnels engagés en OPEX de nouveaux moyens de communication avec leur famille. Il s'agit de fournir une prestation nouvelle qui permet d'être plus efficace.

Un deuxième type est l'externalisation de substitution qui consiste à remplacer les personnels militaires et les moyens patrimoniaux existants par un prestataire extérieur.

Elle peut être motivée par la recherche d'économies au sens large ou la nécessité de respecter le plafond d'effectifs autorisés pour l'opération, tout en préservant au maximum le nombre de combattants.

Le but peut être double. L'externalisation du transport intra-théâtre sur la boucle arrière au Mali permet, en recourant à des transporteurs civils, à la fois d'éviter d'user le matériel militaire, dont le coût et les frais de maintenance sont particulièrement élevés, et de supprimer des effectifs dans le soutien au profit des forces opérationnelles.

Je mets cependant en garde contre le surcoût qu'engendrent les externalisations uniquement destinées à permettre le respect du plafond d'effectifs autorisés. Les prestations sur les théâtres d'opérations coûtent souvent bien plus cher qu'en métropole compte tenu des contraintes de ce type d'intervention.

Le troisième type d'externalisation est l'externalisation palliative. Il s'agit d'une externalisation subie, du fait que nos forces ne disposent plus de moyens propres suffisant pour assurer certaines fonctions. C'est le cas en particulier pour les transports. On a pu constater que la projection de la force Serval au Mali avait en large partie été réalisée grâce à l'affrètement d'avions russes et ukrainiens. Ce n'est pas forcément souhaitable en toute circonstance.

Je voudrais pour finir insister sur trois points.

Le premier est que l'externalisation est utile mais qu'il faut que nous gardions nos savoir-faire, notamment en situation dégradée.

Le deuxième est que l'externalisation ne doit pas être une réponse ponctuelle à des choix qui n'ont pas été faits par le passé. L'affrètement de moyens aériens fonctionne plutôt bien, mais cela pose problème quant à l'autonomie stratégique de nos armées.

Le dernier point, en lien avec la question de l'autonomie de la France, est la nécessité d'organiser la coopération européenne, afin de limiter notre dépendance à l'égard de certains prestataires privés.

M. Yves Krattinger, rapporteur spécial. - Je souhaiterai prolonger les propos de Dominique de Legge par quelques observations critiques sur la situation actuelle et proposer des pistes d'amélioration.

Tout d'abord, il est regrettable que certaines décisions d'externalisation soient motivées par une forme de « myopie budgétaire ».

En effet, l'intérêt budgétaire à long terme de l'externalisation n'est pas toujours avéré. Le choix de minimiser à court terme les investissements peut conduire à des surcoûts conséquents à moyen et long termes. La pénurie budgétaire d'aujourd'hui ne doit pas conduire à faire des choix qui aggravent les difficultés budgétaires de demain.

Comme le dit la Cour des comptes dans son rapport de 2011 sur les externalisations au ministère de la défense, l'externalisation ne doit pas servir à « contourner l'obstacle budgétaire, en remplaçant un investissement, lourd, immédiat pour lequel les financements budgétaires ne sont pas disponibles, de titre 5, par un flux, limité mais durable, de loyers de titre 3 ».

Lorsque les externalisations sont guidées d'abord par l'incapacité du ministère à financer des matériels dont il considère qu'il a un besoin urgent, les analyses économiques peuvent être biaisées.

Je donnerai en exemple la location avec option d'achat de deux Airbus A340 pour le transport à long rayon d'action.

Afin de faire face au retrait, programmé à courte échéance, des DC8 de l'armée de l'air, qui assuraient le transport de passagers, l'acquisition de deux Airbus A330 ou A340 a été envisagée en 2003. Au même moment, la réflexion était engagée sur le remplacement des avions ravitailleurs KC 135 par de nouveaux appareils multirôles, dits MRTT, capables de réaliser aussi bien du ravitaillement en vol et que du transport de passagers. Compte tenu de l'incertitude de ce programme, le ministère a retenu l'idée d'une location, avec option d'achat, de deux A340 d'occasion.

Cette opération était alors conçue comme une opération-relais. Les calculs indiquaient que l'achat d'appareils d'occasion était la réponse la moins onéreuse.

C'est cependant le scénario le plus onéreux, celui de location avec réalisation de l'option d'achat, qui a été retenu en 2006.

Le surcoût par rapport à une acquisition est estimé à 18,7 %, soit 16,7 millions d'euros, mais la dépense a pu être étalée dans le temps...

On peut également s'interroger sur le contrat passé avec une société luxembourgeoise par la direction du renseignement militaire pour la surveillance aérienne du nord Mali. Faut-il recourir à l'externalisation pour ce type de mission, en particulier une société étrangère, même si le personnel est constitué majoritairement d'anciens militaires français ? Ne devrait-on pas disposer de moyens en propre pour effectuer ce genre de mission ? À défaut, ne s'expose-t-on pas à surpayer des prestations que peu de sociétés peuvent fournir dans des conditions de confiance suffisantes ?

Au-delà du coût, se pose la question de l'autonomie stratégique de la France.

Comme Dominique de Legge l'a souligné, les forces françaises souffrent de deux lacunes essentielles :  le ravitaillement en vol, qui conditionne les capacités d'intervention de nos avions de chasse et pour lequel nous devons fréquemment nous appuyer sur les États-Unis ; le transport aérien stratégique, qui conditionne la projection de nos troupes sur le théâtre d'opération et pour lequel nous dépendons de nos alliés (Américains et Canadiens notamment, qui nous ont aidé pour l'opération Serval) et, surtout, de sociétés privées.

L'A400M, dont les premiers appareils livrés ont pu être testés au Mali, est un début de solution pour le transport stratégique. Cet appareil a de nombreuses qualités et va considérablement améliorer nos capacités de projection. Mais il n'est pas un gros porteur. La capacité d'emport de l'A400M est quatre fois inférieure à celle de l'Antonov 124 : 20 tonnes sur 6 390 km ou 30 tonnes sur 4 535 kilomètres, alors que l'Antonov emporte 120 tonnes d'emport maximal pour l'An-124 sur 4 800 kilomètres ou 80 tonnes sur 8 400 kilomètres.

Même lorsque les A400M auront tous été livrés, nous aurons encore besoin de gros porteurs.

Or leur location est très coûteuse et leur disponibilité dépend de la demande mondiale, militaire et civile.

Le constat est là : pour ces fonctions essentielles et pour d'autres, l'externalisation n'est pas une solution satisfaisante dans la durée, tant sur le plan financier que stratégique.

Quelles solutions ?

Bien sûr, sur le plan national, il y a des choses à faire.

Le ministère de la défense doit continuer à se moderniser pour dégager les marges de manoeuvre budgétaires permettant de développer ou d'acquérir les capacités qui lui manquent. Je ne reviens pas sur la question du manque de maîtrise des dépenses de personnel.

Le ministère de la défense doit également mieux évaluer ses propres coûts pour pouvoir arbitrer de manière plus pertinente entre moyens patrimoniaux et moyens externalisés. Pour cela, la mise en place d'une comptabilité analytique semble indispensable.

Il faut également, comme le rappelait Dominique de Legge, mieux définir le socle incompressible des moyens et compétences qui doivent être conservés même en cas d'externalisation, sous peine d'entamer la capacité opérationnelle des armées.

De même, il faut mieux définir les fonctions qui ne doivent, par principe, pas faire l'objet d'une externalisation. La notion de « coeur de métier » ou de « fonctions régaliennes » employée par le ministère, reste floue. La participation directe aux combats de sociétés privées est exclue par le ministère, mais entre cette extrémité et le pur soutien, il existe une zone grise, qui semble de plus en plus investie par l'externalisation.

Tout ceci permet d'encadrer, de rationaliser et trouver quelques ressources, mais cela reste insuffisant.

Compte tenu de la contrainte budgétaire, si la France souhaite un avenir comme puissance militaire complète,  la seule solution à la hauteur du problème est la coopération européenne.

D'après l'Agence européenne de défense (AED), en mutualisant leurs efforts, les pays européens pourraient réaliser 1,8 milliard d'euros d'économies dans le domaine du spatial militaire, 2,3 milliards d'euros sur les navires de surface, 5,5 milliards d'euros sur les véhicules blindés sur dix ans.

La toute première lacune capacitaire à combler est celle du ravitaillement en vol. Jean-Yves Le Drian a d'ailleurs annoncé qu'il « s'apprêtait à lancer le programme » le programme MRTT.

S'agissant du transport stratégique, l'A400M ne peut totalement remplacer les gros porteurs de type Antonov ou C17. Faut-il prévoir un programme européen ou opter pour l'acquisition commune de gros porteurs ? En tout cas, on ne peut se satisfaire de la situation actuelle, qui nous met à la merci des Russes et des Américains. Il convient également de mettre en commun le soutien des A400M, la formation des pilotes et des mécaniciens : des flottes isolées coutent beaucoup plus cher.

La coopération et la mutualisation sont également essentielles en matière de cyber défense et, plus largement, dans le secteur des technologies de l'information et de la communication. Il s'agit d'un enjeu important pour les OPEX.

Il faut également d'utiliser au mieux les matériels et capacités dont nous disposons déjà : il faut développer les mécanismes permettant, le cas échéant, lorsque le besoin s'en fait sentir en OPEX, de trouver chez nos partenaires européens les ressources militaires qui nous font défaut.

Un embryon de solution a été trouvé sur le plan des transports aériens, mais cela est très insuffisant. Il s'agit de l'European Air Transport Command (Commandement du transport aérien européen, abrégé EATC), qui est un commandement opérationnel régulant les mouvements de transports aériens militaires de la Belgique, l' Allemagne, la France, les Pays-Bas, le Luxembourg et, depuis peu, l'Espagne. Il vise à une utilisation plus efficace des moyens de transport aérien et de ravitaillement en vol dont disposent les quatre pays membres. En gros, il s'agit de faire du covoiturage aérien. C'est bien, mais insuffisant. Aller au-delà pose des problèmes politiques.

De fait, la mise en commun de capacités exige au préalable de traiter les sujets de gouvernance et de financement, mais il faudrait au moins concevoir un « droit de tirage » sur les capacités européennes existantes ou en cours d'acquisition.

Les possibilités techniques sont là. Les moyens financiers également, pour peu qu'on les mette en commun. Le reste est une question de volonté politique.

Sans l'Europe, la France n'a pas les moyens de ses ambitions militaires. Sans capacités militaires, même portées par quelques pays en son sein, l'Europe ne sera jamais une véritable puissance mondiale.

Si la solidarité européenne ne s'exerce pas alors qu'un de ses membres est engagé dans des actions de guerre pour des motifs légitimes, voire d'intérêt commun, alors quel sens peut bien avoir le projet européen aux yeux des citoyens ? Ceux-ci expriment une incompréhension de plus en plus nette quand la France s'engage seule dans la lutte contre le terrorisme, quand on constate que nos partenaires européens disposent de certains moyens qui nous manquent et pour autant ne nous les prêtent qu'au compte-goutte.

C'est à partir d'un sujet aussi fondamental que celui de notre sécurité commune que l'on peut redonner du sens au projet européen.

Cela passe bien sûr à court-terme par des relations privilégiées avec les puissances industrielles et militaires européennes, comme les accords bilatéraux que l'on a signés ces dernières années avec le Royaume-Uni, mais la constitution d'un Eurogroupe de la défense paraît de plus en plus indispensable pour sortir de l'impasse.

M. Philippe Marini, président. - Merci chers collègues ! Je remarque que même si son mandat de sénateur a pris fin hier, l'ombre tutélaire de notre collègue Jean Arthuis continue à planer sur la commission et sur les convictions européennes de beaucoup de ses membres. Cet exposé a le grand mérite de poser avec beaucoup de clarté de vrais sujets et d'être dit avec franchise et fermeté. Je suppose que ceci va susciter quelques questions parmi les membres de la commission.

M. François Trucy. - Ce rapport remarquablement précis et documenté a le mérite d'expliquer clairement un certain nombre de choses. Le recours aux externalisations a commencé avec la disparition du service militaire. Il s'agissait de parer au plus pressé pour assurer la restauration, le gardiennage des installations militaires. En définitive, pendant quelques temps, cela a joué un rôle assez limité de placebo. Aujourd'hui, la situation est beaucoup plus compliquée. Vous avez d'ailleurs attaqué le problème par son aspect le plus complexe, celui d'une OPEX. Il est certain que les problèmes posés par une externalisation en OPEX ne sont pas les mêmes que ceux rencontrés dans une caserne ou une base métropolitaine. Vous avez bien mis l'accent sur plusieurs points. Je n'en retiens qu'un : la dépendance nationale dans plusieurs secteurs clefs. Il est certain qu'une OPEX bénéficie des meilleurs armements, des meilleurs effectifs, de la meilleure logistique, des meilleurs moyens, quitte à ce que les bases métropolitaines en souffrent parfois. Pourtant, cela fait plusieurs années que l'on est totalement dépendants des Américains pour le ravitaillement en vol ou des Russes pour les gros porteurs Antonov. Je souhaiterais que les rapporteurs spéciaux ne perdent pas la main sur un tel dossier parce qu'il sera de plus en plus difficile à gérer. Il faut absolument qu'ils l'approfondissent.

M. Serge Dassault. - Monsieur le président, chers collègues, je ne peux qu'approuver entièrement ce rapport qui rentre tout à fait dans une gestion normale de défense des intérêts de l'Europe. La France ne peut assurer seule la police du monde. Elle a les moyens offensifs, mais n'a pas les moyens de transport, de ravitaillement en vol, comme vous l'avez indiqué justement. Il faut absolument ce que vous avez appelé « un Eurogroupe de la défense », que chaque pays européen participe selon ses moyens à la défense de l'ensemble. Il est anormal que nous soyons seuls en Afrique. Nous ne pouvons pas assumer les dépenses et nous n'avons pas les moyens nécessaires. Donc, il faut soit réduire le nombre de ces actions extérieures, soit le faire dans un cadre européen qui seul permettrait d'avoir d'autres possibilités financières et d'autres possibilités de louer ou d'acheter des matériels que nous ne fabriquons pas malheureusement en Europe.

M. Philippe Dallier. - Mes propos ne seront pas très différents. Je veux saluer le travail de nos collègues. Malheureusement depuis des années, on entend la même chose sur le sous-investissement et ses conséquences, et sur la dépendance de la France vis-à-vis de pays beaucoup plus grands. Tout le monde sait que la solution ne peut être qu'européenne, pourtant cela n'avance qu'à petits pas. Je voulais poser une question à Yves Krattinger qui a indiqué que les moyens financiers existent. Cela signifie-t-il qu'il existe des moyens européens qui pourraient être utilisés pour cela et qui ne le sont pas ou faudrait-il qu'il y ait une décision politique de faire ?

M. Philippe Marini, président. - Des moyens européens issus de nos contributions !

Mme Nicole Bricq. - Je voudrais faire un commentaire de portée européenne. Jusqu'à présent, il y a eu un partage des rôles. La France s'occupe de l'Afrique. Comme si le terrorisme n'était pas l'affaire de tous les européens qui peuvent être visés ! Et depuis la chute du mur de Berlin, on laisse la question du partenariat oriental aux Polonais et aux Allemands. Mais ce n'est plus possible, l'Histoire est là. Elle nous rappelle qu'on ne peut plus sous-traiter aux uns ou aux autres la défense européenne. Nous allons avoir une nouvelle Commission européenne et un poste extrêmement important va être renouvelé, celui de Haute Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-président de la Commission européenne. Il était jusqu'à présent occupé par Catherine Ashton, qui a utilisé uniquement le volet diplomatique. Je serai très attentive au choix qui sera fait, car c'est l'un des sujets essentiels qui aurait dû occuper les débats pendant la campagne des élections européennes. Mais on le sait, on ne tire jamais les leçons de l'Histoire immédiate. Je crains que si l'on ne s'occupe pas de la politique extérieure, ce rapport puisse de nouveau être écrit dans quelques années.

M. Philippe Marini, président. - Je souhaiterais à mon tour me livrer à un commentaire. Je ne suis pas un thuriféraire inconditionnel du Président Hollande, mais je pense qu'il a eu raison d'engager l'OPEX au Mali. Il ne pouvait pas attendre un comité à vingt-huit et les délais de décision de l'Europe dans la situation où elle est. C'est un constat réaliste. Nous avions ce devoir. Mais on ne peut pas non plus incriminer les autres États qui n'ont pas la même sensibilité, la même tradition avec l'Afrique et qui nous suspectent toujours de vouloir entretenir notre pré carré, malgré ce qu'il nous en coûte. On me dit que l'on serait plus indépendants si l'on se soumettait au système de décision à vingt-huit, qu'on ne l'est en louant des avions aux Américains ou aux Russes. Je n'en sais rien. Est-on plus indépendants, ou moins indépendants ou plus interdépendants ? On ne peut considérer que l'Europe serait une plus grande France. L'Europe est quelque chose de différent qui obéit à son système de décision, son mode de gouvernance, à ses priorités qui ne sont pas les nôtres. Il y a bien ici une contradiction forte qu'il faut assumer. Avant que vous ne réagissiez aux propos tenus, messieurs les rapporteurs spéciaux, pourriez-vous nous rappeler ce que représentent sur le plan budgétaire ces prestations extérieures par rapport au total annuel des OPEX ? Je terminerai en disant que j'ai été très sensible aux citations qui ont été faites de sociétés luxembourgeoises. C'est bien une forme de mercenariat, même si ce terme n'a pas été utilisé. Il y a des prestations paramilitaires demandées à des sociétés spécialisées, susceptibles de s'installer sous des cieux fiscaux favorables, rémunérées par l'État français et indispensables aux opérations de défense elles-mêmes. Vous avez eu raison de mettre l'accent sur ces bizarreries, ces incongruités, sur nos contradictions finalement. Il serait utile que vous puissiez indiquer dans votre rapport écrit la quantification sur quelques années de ces différentes prestations d'externalisation par rapport au total des OPEX.

M. François Marc, rapporteur général. - Je partage les propos louangeurs que vous avez exprimés. Ils nous instruisent sur un sujet extrêmement sensible.

M. Yves Krattinger, rapporteur spécial. - Je vais essayer de répondre à la question de Philippe Dallier. C'est la question essentielle des moyens affectés. C'est pour cela que j'ai souhaité illustrer mes propos d'exemples qui relèvent d'une analyse objective. L'Agence européenne de défense dit qu'en mutualisant leurs efforts, plutôt que de concevoir, réaliser et lancer séparément, dans leur coin, leur propre satellite, les Européens pourraient économiser 1,8 milliard d'euros dans le domaine spatial.

La mise en commun est réalisée dans d'autres domaines, le programme européen de radionavigation par satellite Galileo par exemple. Pas dans celui-là, c'est un problème culturel. L'économie serait de 2,3 milliards d'euros dans le domaine des navires de surface. Chacun a un bout de flotte. Or regrouper, adroitement organiser les moyens à plusieurs, les concevoir en une fois, les réaliser à un endroit donné de façon partagée avec une plus grande productivité, cela permet des économies. Fabriquer huit fois le même bateau, même avec quelques évolutions technologiques, coûte moins cher que de fabriquer chacun un bateau. L'économie serait de 5,5 milliards d'euros dans le domaine des véhicules blindés, qui sont extrêmement chers. Lorsque nous sommes en opérations, courageusement et légitimement, nous en cassons. Ce matériel souffre énormément. Comme nous sommes les seuls à les mettre en oeuvre en situation réelle, c'est nous qui sommes confrontés aux réparations, aux améliorations à apporter. Si l'on mutualisait la production des véhicules blindés, celle-ci serait très importante sur toute l'Europe car il y a des blindés de toute nature.

Toutes ces mutualisations engendreraient des économies qui sont estimées à un total de près de 10 milliards d'euros en dix ans. Si l'on nous annonçait aujourd'hui 10 milliards d'euros d'économie sur dix ans dans un domaine, nous nous en réjouirions. Cela n'est qu'une part de ce qui pourrait être fait en commun.

On a parlé des gros porteurs Antonov dont la location coûte très cher, car une intervention ne se prévoit pas à l'avance, mais se décide rapidement, et qui sont indispensables car ils ont des capacités quatre fois supérieures aux Airbus A400M. La rareté fait le prix, on le sait tous. Il n'est pas indispensable d'en fabriquer de nouveaux, mais il faudrait en acheter pour en disposer de façon partagée pour intervenir lors d'un tremblement de terre ou d'une opération décidée par le chef de l'État. Si chaque pays doit acheter ses Antonov, cela ne va pas marcher compte tenu de leur coût très élevé.

Il faut partager ces programmes. À l'heure actuelle, cela ne peut pas se faire en amputant la capacité de décision stratégique de chacun. Il faut concevoir un modèle qui permette de disposer d'un « magasin mutuel », avec des entrées différentes car certains pays n'interviendront jamais sur des théâtres extérieurs. Cela éviterait qu'il y ait vingt-huit lois de programmation militaire, indépendantes ou quasiment indépendantes les unes des autres. Compte tenu de ces économies de mutualisation, nos budgets militaires n'auraient pas forcément à augmenter. S'équiper chacun n'est d'ailleurs pas crédible budgétairement.

Il y a également un aspect citoyen. Je n'ai fait ni l'ENA ni Polytechnique, mais j'entends parler les gens. Ils ne sont pas contre nos interventions et sont plutôt fiers de l'armée française. Mais en même temps, ils constatent qu'on est toujours tout seuls. L'Europe ne sert à rien à leurs yeux. On s'étonne du manque de crédibilité de l'Europe, mais elle se rend non crédible en ne partageant rien, conduisant la France à assumer seule.

Ce sentiment que l'Europe ne remplit pas ses missions conduit à la dégradation progressive de l'image de l'Europe. On a évoqué ce matin la fiscalité. L'absence d'harmonisation est dévastatrice en France sur le plan de notre légitimité en tant qu'hommes ou femmes politiques à régler les problèmes. Cela nous est reproché. La situation est la même dans le domaine de la défense. Je terminerai avec un point qui n'est pas dans le rapport et auquel Nicole Bricq a fait référence. Mon sentiment est qu'au moment de la rupture de la fin du bloc soviétique, on n'a pas mesuré l'état d'esprit des nouveaux États dont la première obsession a été immédiatement de se mettre sous le bouclier américain. Ils avaient peur de toute forme de solidarité interne, des systèmes sociaux organisés, car le communisme les avait menés à une telle impasse qu'ils se méfiaient de toute coopération. Ils reviennent en arrière maintenant là-dessus. Mais ils ont le souvenir de ce qui s'est passé en Hongrie et en Tchécoslovaquie et craignent toujours les Russes.

Mme Nicole Bricq. - Les frontières ont été mouvantes !

M. Yves Krattinger, rapporteur spécial. - L'interrogation des années à venir est là ! Les Américains redevenant autonomes, exportateurs sur le plan des hydrocarbures, ne porteront pas la même attention au Moyen-Orient. La réorientation que le Président Obama opère dans les partenariats du Pacifique, considérant que le monde du XXIe siècle se construit là-bas, nous met nous, Européens, en face d'un questionnement sur le plan tant de notre organisation, que du partenariat oriental que Nicole Bricq évoquait. Si l'on fait défaut là-dessus, notre nanisme politique apparaîtra encore plus clairement sur la scène internationale.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Pour tenter de répondre à la question du Président Marini, à peu près 25 % du surcoût OPEX correspond à de l'externalisation. On le précisera dans le rapport. En écho à ce qu'a dit François Trucy, il est vrai que la question de l'externalisation est d'autant plus sensible en OPEX. Un exemple m'a frappé : lorsque nous sommes allés à Gao, on nous a expliqué que la chaleur extrême empêchait certains équipements de fonctionner. Cela n'est pas prévu lorsque l'on est sur le territoire français. Il faut donc garder en tête qu'en opération, on tombe sur des situations dégradées et des situations imprévues, dont la solution ne se trouve pas sur les étagères du marché à bons de commande du ministère de la défense.

Sur la question européenne, je ne suis pas un spécialiste, mais il faut être très pragmatique. Pourquoi voudriez-vous que des pays qui aujourd'hui ne dépensent pas d'argent pour leur défense aient envie d'aller demain engager une dépense au motif que nous, patrie des droits de l'Homme, avons le souci de garder notre armée.

La question qui nous est posée est celle de notre statut par rapport aux autres pays européens lorsque nous intervenons. Dans une certaine mesure, nous sommes leur sous-traitant. Ils sont tellement contents de donner leur bénédiction et de ne pas payer. Au fond, il est très facile pour eux de dire : « la France s'en occupe, on n'a pas à s'en mêler ». Il n'y aura d'Europe de la défense que s'il y a une véritable Europe diplomatique et je ne suis pas certain que celle-ci à vingt-huit va être très opérante. Regardons le processus de décision pour entrer en opération en Allemagne. Il est complètement différent du nôtre puisqu'ils sont obligés de passer devant leur Parlement alors que la Constitution de la Ve république permet au président de la République de prendre cette décision.

M. Jean Germain. - Nous n'avons pas le même passé !

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Ce n'est pas un jugement de valeur ou historique, c'est un constat. Il faut que nous soyons conscients que, bien évidemment, l'Europe peut être une réponse au problème que nous rencontrons, mais le préalable est de mettre en place une Europe diplomatique et sans doute de revoir le rapport que tous les pays ont avec leur armée et leur volonté de peser diplomatiquement sur la place internationale.

La commission donne acte de leur communication à MM. Dominique de Legge et Yves Krattinger, rapporteurs spéciaux, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est levée à 12 h 20

Le compte-rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

La réunion est levée à 12 h 20