Mercredi 29 mars 2023

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire

La commission soumet au Sénat la nomination de M. François-Noël Buffet, Mme Agnès Canayer, Mme Florence Lassarade, M. Claude Kern, M. Jérôme Durain, M. Jean-Jacques Lozach et M. Thani Mohamed Soilihi comme membres titulaires, et de Mme Catherine Di Folco, Mme Céline Boulay-Espéronnier, Mme Chantal Deseyne, M. Loïc Hervé, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Bernard Fialaire et Mme Éliane Assassi comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions.

Proposition de loi visant à renforcer l'accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Françoise Dumont, rapporteure. - Nous examinons ce matin la proposition de loi déposée par Annick Billon, Martine Filleul et Dominique Vérien visant à renforcer l'accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique.

Cette proposition de loi découle des travaux menés en 2022 par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le bilan des dix ans d'application de la loi dite Sauvadet. Comme vous le savez, depuis le 1er janvier 2013, cette loi impose un taux minimal d'hommes et de femmes parmi les personnes nommées pour la première fois aux principaux emplois supérieurs et dirigeants de l'État, des collectivités territoriales et de la fonction publique hospitalière. Depuis 2017, ce taux est fixé à 40 % ; il a été atteint dans les trois versants de la fonction publique pour la première fois en 2020.

Pour autant, la féminisation des emplois supérieurs et de direction de la fonction publique reste relative, puisque les femmes occupent entre un tiers et 40 % de ces emplois, avec des écarts importants selon les versants et au sein de chacun d'entre eux, selon les types et les cadres d'emplois.

Afin d'accélérer la féminisation des postes à responsabilité dans la fonction publique, le texte propose quatre mesures : le relèvement à 50 % du taux de personnes de chaque sexe pour les primo-nominations aux emplois supérieurs et dirigeants ; l'élargissement du champ d'application de la loi Sauvadet ; la systématisation des pénalités financières à l'encontre des employeurs publics ne respectant pas l'obligation de nominations équilibrées ; l'instauration d'un index de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

Je partage l'objectif général de la proposition de loi : dix ans après l'entrée en vigueur de la loi, la présence des femmes aux postes à responsabilité est encore minoritaire et il convient donc d'y remédier. Je considère toutefois que cet objectif louable doit se concilier avec les impératifs d'efficacité, d'opérationnalité et de proportionnalité.

S'agissant des articles 1er, 2 et 3 de la proposition de loi, j'aurais ainsi tendance à penser que le texte ne respecte pas tout à fait ces exigences et qu'il va trop loin.

Mais il m'a également semblé souhaitable de renforcer la portée de certaines des dispositions. J'estime ainsi que l'article 4 ne va pas assez loin et que la mesure qu'il comporte pourrait être consolidée.

Je considère que l'augmentation du taux actuel à 50 % de personnes de chaque sexe dans les nominations, qui est proposée par l'article 2 du texte, se heurterait à des difficultés d'application, voire aurait des effets contre-productifs pour les hommes comme pour les femmes.

En effet, une telle disposition reviendrait à nommer rigoureusement 50 % de femmes et 50 % d'hommes, si bien qu'elle serait inapplicable dans le cas de nominations en nombre impair. De manière générale, elle ne laisserait aucune marge de manoeuvre aux employeurs publics. Il est d'ailleurs fort à parier qu'une telle obligation ne serait, en pratique, jamais respectée et que l'ensemble des administrations se trouveraient contraintes de payer la pénalité financière prévue pour non-respect de l'obligation de nominations équilibrées.

L'instauration d'un taux de 50 % serait également contraire à l'intérêt des femmes en ce qu'elle empêcherait des nominations selon un ratio autre que 50 %-50 %, y compris dans un sens favorable aux femmes, par exemple 53 % de femmes et 47 % d'hommes.

En rigidifiant les recrutements, elle pourrait également se révéler contraire à l'intérêt des fonctionnaires, dont les chances de progression de carrière pourraient être amoindries s'ils ne sont pas du « bon » sexe, c'est-à-dire celui qui permet de satisfaire au taux strict de 50 %. Je pense que le risque de voir les considérations liées au sexe l'emporter sur celles qui sont liées à la compétence ne doit pas être sous-estimé.

Je vous proposerai donc de porter le taux de primo-nominations à 45 % au moins de personnes de chaque sexe.

Par ailleurs, il convient de laisser le temps aux administrations de s'adapter à cette obligation renforcée ; il faut en particulier veiller à ne pas produire d'effets sur les cycles de nomination en cours dans le versant territorial. C'est pourquoi je vous propose que le taux de 45 % entre en vigueur au 1er janvier 2025 dans la fonction publique de l'État et la fonction publique hospitalière, et à l'issue du prochain renouvellement général des assemblées délibérantes pour la fonction publique territoriale.

S'agissant ensuite de l'élargissement du champ des emplois soumis à l'obligation de nominations équilibrées qui est visé par l'article 3 du texte, les mesures proposées ne me semblent pas pertinentes.

Tout d'abord, étendre ce champ à l'ensemble des emplois qui sont occupés par des agents de catégorie A+ susciterait des difficultés, faute de cadre statutaire unique. Ces emplois sont très variables par leur nature et le statut des agents qui peuvent les occuper, non seulement d'un versant à l'autre, mais également entre deux départements ministériels ou deux collectivités territoriales.

Du reste, la notion d'emplois d'encadrement supérieur n'est pas définie par la loi. En découlerait donc un risque d'insécurité juridique, qui serait d'autant plus problématique que le non-respect de l'obligation de nominations équilibrées est sanctionné par une pénalité financière.

Par ailleurs, abaisser à 20 000 habitants le seuil de population pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) concernés par l'obligation de nominations équilibrées ne semble pas non plus opportun. Je rappellerai que ce seuil a déjà été abaissé de 80 000 à 40 000 habitants il y a tout juste trois ans en application de la loi de transformation de la fonction publique. Sur le fond, intégrer les collectivités territoriales de la strate 20 000-40 000 habitants dans le champ de la loi Sauvadet risquerait d'accentuer leurs difficultés de recrutement.

L'effet concret de l'abaissement du seuil serait, du reste, probablement limité : si 280 collectivités supplémentaires sont en théorie concernées, ce chiffre ne prend pas en compte celles qui disposent de moins de trois emplois fonctionnels et qui sont exemptées de l'obligation de nominations équilibrées.

En revanche, je vous inviterai, dans un but de clarification et d'harmonisation, à préciser la définition des emplois assujettis à l'obligation de nominations équilibrées s'agissant des établissements publics de l'État et de la fonction publique hospitalière.

S'agissant ensuite de l'index de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans la fonction publique, que tend à créer l'article 4 de la proposition de loi, cette initiative est bienvenue, d'autant qu'un tel index existe dans le secteur privé depuis 2019 pour les entreprises de plus de 250 salariés et depuis 2020 pour les entreprises de plus de 50 salariés.

Je vous proposerai un amendement afin de rendre le dispositif pleinement opérationnel. Il conviendra ainsi de distinguer la mesure et la correction des écarts de rémunération entre les hommes et les femmes, d'une part, et la mesure des écarts de représentation entre les sexes dans les emplois soumis à l'obligation de nominations équilibrées, d'autre part.

Pour être certain de disposer d'un volume de données permettant des statistiques significatives, je proposerai d'intégrer dans le champ des administrations publiques soumises à l'obligation d'un index uniquement celles qui disposent d'au moins cinquante agents en gestion. Pour les collectivités territoriales, ce critère serait cumulé avec le seuil de 40 000 habitants.

Afin de garantir le respect de cette obligation, je proposerai de l'assortir de sanctions financières. Celles-ci pourraient s'appliquer en cas de non-publication des écarts de rémunération ou de non-publication des écarts de représentation. Elles pourraient également être prononcées si les écarts de rémunération constatés sont supérieurs à un niveau défini par décret.

Un tel index se fondera sur les données du rapport social unique, élaboré au printemps par les administrations publiques ; en conséquence, il ne pourra pas être disponible avant le printemps de chaque année. Nous proposons donc une entrée en vigueur au 1er juin 2024 dans la fonction publique de l'État et au 1er juin 2025 dans les versants territorial et hospitalier.

Pour finir, je vous proposerai d'aller plus loin que l'obligation de publication des écarts de représentation entre les hommes et les femmes dans les emplois soumis à l'obligation de nominations équilibrées que prévoit l'article 4.

Comme évoqué, le taux obligatoire sur les primo-nominations n'apporte qu'une réponse partielle à la question de la féminisation des emplois à responsabilité dans la fonction publique.

Pour garantir le maintien des femmes en fonction, il semble envisageable de prévoir un taux minimal de 40 % de personnes de chaque sexe dans les emplois supérieurs et de direction, comme l'ont d'ailleurs préconisé Martine Filleul et Dominique Vérien dans leur rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes.

Je rappellerai qu'une obligation analogue est prévue dans le secteur privé pour les entreprises qui emploient plus de 1 000 salariés pour garantir, à partir du 1er janvier 2029, la présence d'au moins 40 % de femmes au sein des cadres dirigeants et des membres des instances dirigeantes.

Sur le modèle également du privé, je proposerai de sanctionner le non-respect de cette obligation par une pénalité financière d'un montant maximal de 1 % de la rémunération brute annuelle globale de l'ensemble des personnels.

Je vous propose donc d'adopter ce texte ainsi modifié.

Je souhaiterais, pour conclure, faire part d'une conviction. La loi Sauvadet a incontestablement favorisé l'accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique et les nouvelles mesures proposées à l'occasion du texte présenté aujourd'hui y contribueront également.

Cela étant, la loi ne peut pas tout. Le succès de la mise en oeuvre de telles obligations repose notamment sur la constitution de viviers équilibrés en amont. En effet, la non-mixité de certains métiers, particulièrement prononcée dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière, rend difficile l'application de dispositions contraignantes visant la parité.

Dans le versant territorial, les femmes représentent ainsi 95 % des agents des filières sociale et médico-sociale et 82 % des agents de la filière administrative, mais seulement 5 % des agents de la filière des sapeurs-pompiers professionnels et 12 % des agents de la filière technique. À l'inverse, dans le versant hospitalier, 74 % des directeurs de soins et 67 % des directeurs d'établissement sanitaire, social et médico-social sont des femmes.

Il est vrai que les déséquilibres entre les sexes constatés dans certains métiers ont des raisons à la fois structurelles et conjoncturelles, sur lesquelles nous pourrions disserter longtemps jusqu'à demain...

Afin de permettre un rééquilibrage dans la répartition des sexes, il apparaît en tout cas nécessaire d'agir bien en amont de l'entrée dans la vie professionnelle. Il conviendrait ainsi de développer la connaissance des différents métiers existant au sein de chaque versant de la fonction publique et de promouvoir, dans l'enseignement primaire et secondaire, l'ensemble des filières auprès des filles comme des garçons.

M. François-Noël Buffet, président. - Je précise que les amendements proposés par la rapporteure ont reçu l'accord des auteures de la proposition de loi.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je veux remercier la rapporteure pour son bon sens et pour avoir apporté de la nuance à ce texte. J'ai pour ma part du mal avec la parité imposée... Je n'ai pas été élue sénatrice grâce à la parité, mais grâce à mon travail et à mon implication, et je suis très attachée à la liberté. Les femmes doivent être reconnues professionnellement, pas au nom de la parité !

Surtout, il me semble que répondre par des quotas est bien souvent décalé par rapport aux réalités du terrain, où nous sommes d'abord confrontés à des problèmes de recrutement ou à la spécificité de certains métiers.

Mme Nathalie Goulet. - Je veux également remercier les auteurs de la proposition de loi et notre rapporteur.

Il y a deux semaines, le Sénat a été obligé d'adopter une proposition de loi de Françoise Gatel qui visait à trouver une solution au problème posé par l'obligation de parité dans la représentation des communes au sein des conseils communautaires : on voit donc bien que les excès nous obligent à ensuite adopter des rustines !

En ce qui me concerne, je fais mienne la maxime de Françoise Giroud : la femme sera vraiment l'égale de l'homme le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente !

Mme Dominique Vérien. - Je veux à mon tour remercier la rapporteure.

La délégation aux droits de femmes avait déjà travaillé sur le bilan des dix ans de la loi Copé-Zimmermann et le Parlement a adopté à ce sujet, en 2021, une proposition de loi déposée par la députée Marie-Pierre Rixain.

Nous avons réalisé le même travail pour la fonction publique et nous avons fait le constat de grandes disparités. Les raisons de notre retard sont multiples et il ne s'agit pas toujours d'un manque de vivier ; par exemple, il existe dans le champ social, mais le nombre de dirigeantes n'y atteint pas 40 % ... Les femmes n'ont pas toujours le bon réseau, ou encore, nombre de postes sont de fait cooptés.

Dans notre texte, nous avons négligé, alors même que nous en parlions dans notre rapport, la question du « stock » et je remercie la rapporteure de proposer d'avancer sur ce sujet.

En tout cas, lorsqu'on dépose une proposition de loi de ce type, on a toujours tendance à demander plus dans l'espoir d'obtenir quelque chose à la fin du processus législatif... Je peux donc comprendre qu'on veuille « adoucir » les choses. De ce point de vue, j'entends les arguments avancés en ce qui concerne le taux de 50 % ; il me semble que 45 % nous permet de trouver un équilibre.

De manière plus générale, nous devons être attentifs à la mixité dans tous les métiers : par exemple, il faut faire entrer davantage d'hommes dans la magistrature et davantage de femmes dans les sciences. On commence ainsi à se rendre compte des conséquences du faible nombre de femmes dans le secteur scientifique. Nous devons éviter que les disparités s'accentuent.

Évidemment, je regrette qu'on soit obligé d'en passer par des mesures contraignantes, mais je note qu'on dénigrait beaucoup la loi Copé-Zimmermann au début et que les femmes ont maintenant trouvé toute leur place dans les conseils d'administration des entreprises. De même, nous avons trouvé un bel équilibre au sein des conseils départementaux. Je ne suis pas particulièrement favorable à la mise en place de quotas, mais je relève que cela a des effets positifs.

M. François Bonhomme. - Je salue le travail de mesure de la rapporteure qui a souhaité apporter efficacité, opérationnalité et proportionnalité à ce texte. Je salue aussi le rôle de lanceur d'alerte que joue la délégation aux droits des femmes.

Je comprends l'idée de demander plus pour obtenir moins, mais nous devons concilier différents objectifs et faire avec la réalité du terrain - c'est particulièrement vrai pour les collectivités locales. Comme cela a été dit, le vivier fait parfois défaut et il faut laisser du temps pour le constituer.

J'en profite pour lancer un appel à candidatures, car plusieurs hommes ont quitté récemment la délégation aux droits des femmes - on peut parfois les comprendre ...

Mme Dominique Vérien. - Il y a des hommes au sein de la délégation !

M. François Bonhomme. - Je soutiens les propositions de la rapporteure, qui sont équilibrées, notamment celle de fixer un seuil à 40 000 habitants et cinquante agents pour l'application de l'index, car les petites collectivités rencontrent d'importantes difficultés pratiques à mettre en oeuvre ce type d'obligation.

M. Didier Marie. - Je remercie les auteures de ce texte ; il était important d'évaluer les résultats de la loi Sauvadet. Cette loi a constitué une avancée significative, mais ses objectifs n'ont pas tous été atteints : ainsi, un tiers des emplois à responsabilité de la fonction publique sont occupés par des femmes.

Je remercie également la rapporteure pour son analyse et les concertations qu'elle a menées pour aboutir à un texte partagé.

La proposition de loi entend remédier aux limites de la loi Sauvadet, notamment le fait de ne cibler que les primo-nominations. Nous devons atteindre le plus vite possible la parité réelle.

La rapporteure partage notre constat et confirme la nécessité de prendre de nouvelles mesures pour améliorer la situation. Les employeurs publics ont des responsabilités, ils doivent être exemplaires et il n'est pas acceptable que les postes à responsabilité restent entre les mains des hommes.

La proposition de loi était ambitieuse, La rapporteure propose de l'être un peu moins. Je crois qu'il existe un débat sur les délais et sur la règle de l'arrondi inférieur - cette règle peut paraître technique, mais elle minore de fait l'efficacité du dispositif. Nous devons aussi réfléchir à l'idée de publier les sanctions, car nous savons bien que la question de la réputation est importante.

Par ailleurs, nous devons éviter de sanctionner les collectivités qui ont pris de l'avance et qui ont plus de femmes en responsabilités que d'hommes.

Le groupe socialiste votera ce texte qui fait l'objet d'un consensus entre ses auteures et la rapporteure, mais il est possible que nous déposions des amendements en vue de la séance publique afin d'en améliorer encore la rédaction.

Mme Maryse Carrère. - La loi Sauvadet a instauré un quota de primo-nominations féminines dans les postes d'encadrement de la fonction publique, mais ce quota ne s'applique pas au « stock ».

Je remercie la délégation aux droits des femmes qui a montré à la fois les progrès réalisés et le chemin qu'il reste à parcourir. Nous sommes passés de 33 % à 43 % en dix ans. Le vivier de recrutement existe, par exemple dans la fonction publique hospitalière, mais des blocages persistent et nous devons accélérer.

Avec cette proposition de loi transpartisane, nous pouvons aller dans ce sens et renforcer davantage la féminisation des postes à responsabilité de la fonction publique. Ce texte ne réglera pas le problème à lui seul ; le management et le mode de fonctionnement de la fonction publique doivent être modernisés afin de permettre une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle.

Le groupe du RDSE soutiendra ce texte, en particulier la mesure relative au « stock », même si les dates proposées par la rapporteure pour son application nous apparaissent lointaines.

Mme Marie Mercier. - Il est vrai que les quotas ont un côté froid et mathématique, mais ils ont permis d'accélérer le mouvement vers un juste équilibre.

Je veux insister sur l'importance de faire évoluer les mentalités dans l'enseignement : toutes les filières, toutes les matières doivent apparaître ouvertes à tout le monde.

Des progrès doivent encore être réalisés en politique : nous avons trop peu de femmes présidentes de conseil régional ou maires. Je me souviens que, quand je cherchais des femmes pour être adjointes au maire, beaucoup me disaient qu'elles n'en seraient pas capables - peu d'hommes disent la même chose...

Enfin, il me semble que nous devons accompagner toutes ces mesures par une politique familiale adaptée.

M. Guy Benarroche. - Je remercie les auteures de cette proposition de loi, dont la rédaction initiale me semblait intéressante et tout à fait défendable. Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires s'associera au vote consensuel qui semble se dessiner, même si nous estimons que les rédactions proposées ne vont pas assez loin.

Le terme de vivier m'a tout de même interpellé, le lien fait avec la compétence encore plus... Chacun peut d'expérience constater que le vivier ne se crée qu'à partir du moment où existe une contrainte. D'ailleurs, les associations, les syndicats, les partis politiques qui ont mis en oeuvre des contraintes internes fortes ont justement permis la constitution d'un tel vivier. Heureusement que ces contraintes existent !

M. André Reichardt. - Malgré les amendements proposés par la rapporteure, que je veux remercier pour son travail, je ne voterai pas ce texte, car j'ai horreur des quotas, quels qu'ils soient - ils sont souvent comme l'arbre qui cache la forêt. Nous ne pouvons nous en sortir qu'en donnant du temps au temps.

Mme Françoise Dumont, rapporteure. - J'ai voulu adapter la proposition de loi à la réalité et je suis heureuse que cet objectif soit largement partagé.

Je suis évidemment d'accord sur le fait qu'il faut agir en amont. Je prends un exemple : on a vu, quand on a supprimé les mathématiques du tronc commun des classes de première et de terminale - je m'étais d'ailleurs insurgée contre cette décision -, que seuls les garçons prenaient la nouvelle option, pas les filles. Nous ne devons pas envoyer de signaux semblant indiquer que les filles ne doivent pas s'intéresser à certains métiers.

Monsieur Marie, si nous utilisions la règle de l'arrondi supérieur, nous arriverions en fait à un taux de 50 % et j'ai indiqué les difficultés que cela posait. Selon mon expérience d'élue et d'après les diverses expériences que nous pouvons entendre, le pourcentage de 50 % serait contre-productif : cela inciterait à des recrutements externes, les collectivités passeraient par pertes et profits le fait de payer une pénalité, etc.

Madame Carrère, cette proposition de loi n'en est qu'au début de son parcours parlementaire et nous sommes déjà au printemps 2023. Il est donc plus raisonnable de fixer une date d'application en 2025.

M. François-Noël Buffet, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous appartient d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi. Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives à l'accès des femmes aux emplois supérieurs et de direction de la fonction publique de l'État, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, ainsi qu'à la suppression des écarts de rémunération entre les hommes et les femmes dans les emplois supérieurs et de direction de la fonction publique de l'État, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Françoise Dumont, rapporteure. - L'amendement COM-1 vise à repousser l'abrogation de l'article L. 132-9 du code général de la fonction publique au 1er janvier 2029.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1er est ainsi rédigé.

Article 2

Mme Françoise Dumont, rapporteure. - L'amendement COM-2 vise à porter à 45 % au moins le taux de personnes de chaque sexe pour les primo-nominations et à distinguer deux dates d'entrée en vigueur de ce nouveau taux, selon le versant de la fonction publique concerné.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article 2 est ainsi rédigé.

Article 3

Mme Françoise Dumont, rapporteure. - L'amendement COM-3 vise à conserver le périmètre des emplois assujettis à l'obligation de nominations équilibrées tel qu'il existe actuellement, en proposant deux évolutions.

L'amendement COM-3 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 3

Mme Françoise Dumont, rapporteure. - L'amendement COM-4 rectifié vise à fixer un taux minimum de femmes de 40 % sur le « stock » des emplois à responsabilité.

L'amendement COM-4 rectifié est adopté et devient article additionnel.

Article 4

Mme Françoise Dumont, rapporteure. - L'amendement COM-5 tend à créer un index de l'égalité professionnelle dans la fonction publique, en reprenant certaines des dispositions relatives aux écarts de rémunération et de représentation en vigueur pour les entreprises du secteur privé.

L'amendement COM-5 est adopté.

L'article 4 est ainsi rédigé.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

Mme DUMONT, rapporteure

1

Date d'entrée en vigueur de la suppression de la dispense de pénalité financière en cas de non-respect de l'obligation de nominations équilibrées

Adopté

Article 2

Mme DUMONT, rapporteure

2

Fixation à 45 % du taux de personnes de chaque sexe dans les nominations aux emplois supérieurs et de direction

Adopté

Article 3

Mme DUMONT, rapporteure

3

Précisions quant au champ d'application de l'obligation de nominations équilibrées

Adopté

Article additionnel après l'article 3

Mme DUMONT, rapporteure

4 rect.

Instauration d'un taux minimal obligatoire de 40 % de personnes de chaque sexe pour l'occupation des emplois soumis à l'obligation de nominations équilibrées

Adopté

Article 4

Mme DUMONT, rapporteure

5

Instauration d'un index de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes relatif aux écarts de rémunération et de représentation

Adopté

Questions diverses

M. Guy Benarroche. - Monsieur le président, le groupe GEST souhaite que la commission auditionne le ministre de l'intérieur sur la manière dont a été gérée la manifestation qui s'est déroulée ce week-end dans les Deux-Sèvres. C'est un sujet important et plusieurs associations ou institutions se sont déjà exprimées.

M. François-Noël Buffet, président. - Mon cher collègue, j'ai déjà engagé une telle démarche et j'attends une réponse - on peut comprendre que la journée d'hier a particulièrement mobilisé le ministre.

Proposition de loi visant à revaloriser le statut de secrétaire de mairie - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Nous examinons la proposition de loi de Céline Brulin et ses collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE) qui vise à revaloriser le statut de secrétaire de mairie. Ce texte propose de renforcer l'attractivité de ce métier essentiel au fonctionnement des communes de moins de 2 000 habitants, qui représentent plus des trois quarts des communes françaises.

Métier le plus en tension de la fonction publique territoriale, le métier de secrétaire de mairie souffre d'une insuffisante reconnaissance de la part des pouvoirs publics, mais aussi d'une franche méconnaissance de la société. Au nombre de 14 000 environ, ces agents, principalement des femmes, constituent pourtant l'indispensable interface entre les habitants et les élus et sont les garants de la bonne gestion municipale en milieu rural.

Ce sont de véritables « couteaux suisses » ou des déesses Shiva et certainement des perles rares, dans tous les sens du terme. D'une part, elles sont le pilier de la vie communale, en effectuant des missions variées, techniques et exigeantes qui nécessitent une grande adaptabilité, un investissement personnel important et de nombreuses compétences en matière de budget, d'état civil, d'élection, d'urbanisme, de marché public ou encore de gestion des ressources humaines. D'autre part, compte tenu de la pyramide des âges, un tiers des secrétaires de mairie actuelles partiront à la retraite d'ici à 2030.

Il est donc nécessaire d'adopter des mesures concrètes pour répondre au besoin légitime de reconnaissance de ces agents dévoués à leur commune et leur garantir une rémunération et des conditions de travail à la hauteur de leurs responsabilités.

Le métier de secrétaire de mairie correspond à une fonction pouvant être exercée, outre par des agents contractuels, par des fonctionnaires territoriaux appartenant à l'un des quatre cadres d'emplois suivants : secrétaires de mairie (catégorie A), mis en extinction depuis 2001 ; attachés territoriaux (catégorie A) ; rédacteurs territoriaux (catégorie B) ; adjoints administratifs (catégorie C).

En pratique, les secrétaires de mairie relèvent majoritairement de la catégorie C. La plupart d'entre eux travaillent à temps non complet dans plusieurs communes, les contraignant à de nombreux déplacements au cours de la semaine.

Si l'ensemble des métiers de la fonction publique, notamment dans les petites communes, sont frappés aujourd'hui par un déficit d'attractivité, celui-ci est particulièrement préoccupant s'agissant du métier de secrétaire de mairie pour lequel les communes sont confrontées à d'importantes difficultés de recrutement : plus de 1 900 postes sont à pourvoir actuellement.

Parmi les raisons, peuvent être citées la difficulté à exercer un emploi à temps complet ; la difficulté à acquérir la totalité des compétences rendues nécessaires par la polyvalence du métier ; le relatif isolement et les éventuelles difficultés dans la collaboration avec le maire ; et les représentations négatives du métier chez les jeunes générations, voire la confusion avec la fonction de secrétaire du maire.

Premièrement, la proposition de loi modifie le nom de « secrétaire de mairie ».

La dénomination proposée de « responsable de l'administration communale » semble toutefois peu adéquate en raison de la confusion qu'elle risquerait d'entraîner dans la répartition des rôles et responsabilités entre le maire, qui est chargé de l'administration municipale, et le secrétaire de mairie.

De plus, la proposition de loi tend à faire de l'emploi de responsable de l'administration communale un emploi fonctionnel. Ce régime spécifique, qui s'applique actuellement aux agents occupant les plus hauts emplois de direction administrative ou technique des collectivités territoriales, induit notamment le bénéfice d'une grille indiciaire plus favorable, mais également le droit, pour l'exécutif, de se séparer de ces agents pour seule perte de confiance.

Un tel statut d'emploi, qui serait accessible à l'ensemble des catégories de la fonction publique (A, B et C), ne pourrait être associé à une grille indiciaire cohérente. En outre, la position de détachement qu'il implique serait incompatible avec la pluralité d'emplois à temps non complet qu'exerce la majorité des secrétaires de mairie.

En tout état de cause, si la création d'un statut d'emploi relève de la loi, les conditions d'accès à un tel statut relèvent quant à elles du règlement, de même que la création éventuelle d'un cadre d'emplois et le nom choisi pour celui-ci.

Pour ces raisons, je vous proposerai un amendement de suppression de l'article 1er.

Deuxièmement, la proposition de loi précise que les fonctionnaires appartenant au « statut d'emploi des responsables de l'administration communale » exercent leurs fonctions dans les communes et leurs groupements et prévoit la rédaction d'un guide définissant leurs missions. Ces dispositions n'étant pas de nature législative et étant en pratique déjà satisfaites s'agissant de la publication d'un guide, je vous proposerai un amendement de suppression de l'article 2.

Troisièmement, la proposition de loi affirme le droit à la formation des secrétaires de mairie et le rôle clé en la matière du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et des centres de gestion.

Ces dispositions sont de valeur réglementaire et en pratique satisfaites. Si les agents occupant un emploi de secrétaire de mairie bénéficient aujourd'hui, au titre de la formation professionnelle continue, de différents types de formations - intégration, professionnalisation ou encore perfectionnement -, leur formation paraît à la fois trop courte et trop fragmentée.

La spécificité des missions confiées aux secrétaires de mairie semble au contraire nécessiter la création d'une formation obligatoire, commune à l'ensemble des agents concernés, qui serait dispensée par le CNFPT dans un délai d'un an à compter de la prise de poste.

Je vous proposerai donc un amendement introduisant une formation initiale obligatoire propre aux secrétaires de mairie.

Lors des auditions, les secrétaires de mairie nous ont fait part des difficultés qu'elles rencontrent pour se former : manque de temps, éloignement géographique du lieu de formation et surtout difficultés à trouver un remplaçant pendant leur absence. L'inscription dans la loi de cette formation initiale permettra de lutter contre l'autocensure des intéressées et leur fera gagner du temps en leur donnant, dès leur prise de poste, les outils adéquats à l'exercice de leurs missions.

Quatrièmement, la proposition de loi prévoit l'accès des secrétaires de mairie aux catégories supérieures de la fonction publique par la voie du concours et de la promotion interne.

Les conditions d'accès aux cadres d'emplois relevant de catégories supérieures sont déterminées par les statuts particuliers, qui fixent notamment la proportion de postes pouvant être proposés au titre de la promotion interne. Les fonctionnaires occupant ou ayant occupé un poste de secrétaire de mairie bénéficient aujourd'hui de deux mesures visant à faciliter leur promotion interne.

Je vous proposerai un amendement afin de garantir dans la loi, au-delà de ces dispositions réglementaires, la prise en compte de l'exercice des fonctions de secrétaires de mairie pour l'établissement des listes d'aptitude.

Cinquièmement, afin d'aider financièrement les communes de moins de 2 000 habitants à recruter des secrétaires de mairie, la proposition de loi tend à créer un fonds de soutien local financé par l'État.

La rémunération des secrétaires de mairie est un véritable enjeu budgétaire pour une commune. Cependant, les communes ont vocation à disposer de ressources libres d'emploi plutôt qu'à recevoir, pour des dépenses liées au recrutement d'agents, un soutien financier de l'État. L'autonomie financière dont ont besoin les communes ne doit pas passer par une compensation, mais par une fiscalité adaptée, ainsi que par l'indexation de la dotation globale de fonctionnement sur l'inflation. La création d'un nouveau fonds renforcerait la complexité des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. Je vous proposerai, par conséquent, de supprimer cette disposition.

En revanche, il convient de faciliter le recrutement de secrétaires de mairie par les communes de moins de 2 000 habitants. Aussi, je vous proposerai un amendement visant à ouvrir la possibilité aux communes comptant entre 1 000 et 2 000 habitants de recruter des agents contractuels pour les emplois de secrétaire de mairie, cette possibilité existant pour les communes de moins de 1 000 habitants depuis la loi du 12 mars 2012.

Au-delà des dispositions de cette proposition de loi, je souhaite attirer votre attention sur plusieurs points concernant la rémunération et la formation des secrétaires de mairie.

Des instruments de revalorisation salariale, indemnitaire comme indiciaire, pouvant bénéficier aux secrétaires de mairie existent, mais présentent des limites.

Les quatre cadres d'emplois auxquels peuvent appartenir les agents exerçant les fonctions de secrétaire de mairie sont en effet éligibles au régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (Rifseep).

Toutefois, l'effectivité de ce régime indemnitaire est aujourd'hui limitée, car, d'une part, toutes les communes, notamment les plus petites d'entre elles, n'ont pas encore délibéré pour sa mise en oeuvre, et, d'autre part, les montants moyens versés sont bien inférieurs aux plafonds autorisés. En outre, de façon plus structurelle, le Rifseep n'est pas pris en compte dans le calcul du montant de la pension de retraite.

Par ailleurs, si la nouvelle bonification indiciaire (NBI) pour les secrétaires de mairie a été revalorisée de quinze points au 1er mars 2022, entraînant un gain brut d'un peu plus de 70 euros par mois, elle ne bénéficie pas aux agents contractuels. De plus, toutes les communes de moins de 2 000 habitants n'ont pas encore pris d'arrêté permettant sa mise en place.

Concernant la formation, certaines universités organisent, en partenariat avec les centres de gestion, des formations en alternance qui conduisent à l'octroi d'un diplôme universitaire.

En outre, depuis 2022 existe un partenariat entre Pôle emploi et le CNFPT, qui regroupe également l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité et Régions de France, permettant la mise en oeuvre de formations au métier de secrétaire de mairie à destination des demandeurs d'emploi. Un partenariat similaire devrait être prochainement conclu entre Pôle emploi et la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG).

Ces initiatives reposant sur des actions institutionnelles à assise locale paraissent particulièrement prometteuses. Elles pourraient contribuer à davantage faire connaître le métier de secrétaire de mairie, notamment auprès de publics jeunes ou éloignés de la fonction publique territoriale, et élargir le vivier de candidats potentiels.

Pour conclure, je voudrais saluer l'initiative de Mme Brulin et du groupe CRCE, qui met un coup de projecteur sur ce métier à multiples compétences et sur la nécessité de reconnaître de manière juste le travail considérable de ces milliers d'agents qui assurent aux côtés des maires la pérennité et la qualité du service public, particulièrement en milieu rural.

J'invite le Gouvernement à prêter une attention toute particulière à la situation des secrétaires de mairie dans le cadre des travaux lancés le 1er février 2023 par le ministre de la transformation et de la fonction publiques et portant sur l'accès, les rémunérations et les parcours professionnels dans la fonction publique.

J'ai été ravie de mener ces travaux que je pourrai poursuivre dans le cadre de la mission sur l'attractivité de la fonction publique qui m'a été confiée ainsi qu'à mes collègues Cédric Vial et Jérôme Durain par la présidente de la délégation aux collectivités territoriales. Nous ferons à cette occasion un focus sur les secrétaires de mairie.

Mme Cécile Cukierman. - Je veux remercier la rapporteure pour la qualité de son travail et les échanges que nous avons eus en amont de cette réunion.

Les postes de secrétaires de mairie sont particulièrement importants et nous pouvons tous constater la panique qui s'empare des élus, lorsqu'un tel poste n'est pas pourvu.

Nous avons déposé cette proposition de loi en mars 2022 Nous n'avions évidemment pas l'ambition de tout régler à travers ce texte ; nous sommes notamment conscients du fait que certaines choses relèvent du pouvoir législatif, d'autres du pouvoir réglementaire. En outre, les difficultés d'un métier, celui-ci en particulier, ne se règlent pas uniquement par le droit.

Le métier de secrétaire de mairie est celui qui connaît le plus de tensions au sein de la fonction publique et cela ne résulte pas seulement d'une question d'attractivité ou de niveau de rémunération. Ces emplois, souvent à temps partiel, sont précaires ; de plus, les exigences en termes de polyvalence et de compétences ont beaucoup crû. Par ailleurs, les décisions des collectivités locales font de plus en plus l'objet de recours en justice.

Il s'agit d'un poste tout à fait particulier au sein de la fonction publique territoriale. Son exercice est assez solitaire, alors même que la mairie est souvent devenue le dernier service public à la disposition des habitants.

M. François Bonhomme. - Cette proposition de loi pointe du doigt une difficulté croissante parmi les collectivités territoriales. Les défections se multiplient et la rotation augmente. Les maires ont beaucoup de mal à recruter et ils sont désemparés quand les postes ne sont pas pourvus.

Les secrétaires de mairie jouent un rôle essentiel ; leur expérience et leur polyvalence sont très importantes. Ce n'est pas une fonction lambda et ce texte permet de sonner l'alerte.

Comme l'a dit Cécile Cukierman, le droit ne suffira pas à régler la question, même si la rémunération est une réponse importante. Les aménagements proposés par la rapporteure me paraissent opportuns : éviter de mettre en place un système trop complexe de financement et élever le seuil pour le recrutement de contractuels.

Je note que 90 % des secrétaires de mairie sont des femmes.

Mme Dominique Vérien. - C'est peut-être pour cela que le poste est si mal payé !

M. François Bonhomme. - ... et j'espère que la délégation aux droits des femmes va se saisir de ce problème, pour revenir à notre débat précédent... Des stéréotypes sont certainement à l'oeuvre !

Mme Nathalie Goulet. - Nous sommes confrontés à ce sujet dans tous les territoires. La complexité réglementaire ne fait que croître, et celle du métier avec elle. S'y ajoute la dématérialisation, qui impose d'aider une part de la population. Les centres départementaux de gestion tentent de susciter des vocations ; il faut faire connaître ce métier. Je voterai ce texte avec enthousiasme.

Mme Françoise Gatel. - Je remercie Céline Brulin et ses collègues pour cette contribution à la mise en lumière de ce métier, ainsi que notre rapporteur, pour ce travail sur un sujet qu'elle connaît bien.

Notre délégation aux collectivités territoriales est très sollicitée par les associations d'élus, inquiètes de ce « désert communal ». Nous travaillons donc sur l'attractivité de la fonction publique territoriale et, à l'invitation de Cédric Vial, sur celle du métier de secrétaire de mairie. Autrefois, celui-ci était souvent l'instituteur. Aujourd'hui, il y a un problème d'attractivité pour ce métier très exigeant, qui allie solitude et responsabilité : dans les petites communes, le secrétaire de mairie n'a que deux jours par semaine pour gérer la complexité de l'action publique.

Au-delà des propositions intéressantes de ce texte, la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) permet aux intercommunalités de conclure des contrats de travail pour des policiers ou des gardes champêtres mutualisés ; on pourrait en faire de même pour les secrétaires de mairie, tout en les maintenant sous l'autorité du maire. Cela favoriserait aussi les évolutions de carrière, sans lesquelles on a beaucoup de mal à attirer des candidats.

M. Alain Richard. - Aucun système statutaire n'abolit le marché : la réalité des pénuries et la difficulté de confronter besoins et ressources disponibles demeurent. On s'achemine vers une sortie du statut de fonctionnaire territorial de la majorité de ces professionnels. Par ailleurs, des mutualisations amiables, de spécialisation, peuvent déjà être mises en oeuvre entre ces professionnels, avec l'accord des maires concernés.

Madame la rapporteure, quelle est la situation en matière de droit au logement des secrétaires de mairie ? Sauf erreur de ma part, un seuil de 5 000 habitants est posé en matière d'accès des cadres administratifs au logement par nécessité de service. Ce seuil est-il réglementaire ou législatif ? Serait-il possible de l'assouplir ? Sinon, les communes disposant de logements peuvent toujours les offrir pour un loyer de 50 euros.

M. Mathieu Darnaud. - Je remercie à mon tour les auteurs du texte et notre rapporteure pour ce texte enrichi, qui répond à un impérieux besoin sur nos territoires.

On pratique depuis longtemps dans mon département la mutualisation de ces emplois entre communes.

Madame la rapporteure, vous proposez de relever le plafond de population applicable pour l'emploi de contractuels de 1 000 à 2 000 habitants. Pourquoi ne pas le supprimer tout à fait ?

Quant à la rémunération, la question du défraiement des déplacements de ces agents se pose aussi, surtout en cas de mutualisation. Tout ne peut pas être résolu par la voie législative ou réglementaire.

La question de la formation est essentielle, mais il faut laisser aux communes de la souplesse pour l'organiser en fonction des besoins et des disponibilités de l'agent.

Enfin, la plus grande difficulté, c'est encore la ressource humaine. Au moins une vingtaine de communes de mon département n'arrivent pas à recruter, en dépit d'efforts considérables en matière de rémunération ou de logement. Il faut travailler en amont, notamment sur le statut.

M. Alain Marc. - Je félicite à mon tour notre rapporteure. Beaucoup de secrétaires de mairie vont partir à la retraite, et le vivier pour les remplacer est insuffisant. Il faut souligner l'intérêt de ce métier : on aide le maire, on participe à des réunions, notamment pour des répartitions de crédits, quand il n'est pas là. Le métier diffère énormément d'une commune à l'autre.

Il faut assouplir le recrutement : dans les concours externes, les candidats sont nombreux, mais il y a peu d'élus. Un recrutement plus informel peut offrir des agents tout à fait compétents, qui acquièrent du savoir-faire au fur et à mesure. La rémunération devrait aussi pouvoir être améliorée, par exemple en facilitant le passage d'agents méritants de catégorie B ou C en catégorie A

Mme Maryse Carrère. - Nous partageons les constats des auteurs de cette proposition de loi, que je remercie d'avoir mis en lumière ce métier. La présence d'un secrétaire de mairie est précieuse pour les maires, notamment dans les premiers mois de mandat. C'est un métier très varié.

La pénurie de talents va s'aggraver, elle est déjà importante dans les Hautes-Pyrénées. Des formations spécifiques sont mises en place par le centre départemental de gestion pour recruter plus d'agents. Ces « couteaux suisses » exercent dans des territoires différents, ils couvrent jusqu'à une dizaine de communes, ne passant que quelques heures dans chacune, pour de faibles rémunérations. Il leur est difficile d'accéder à d'autres postes au sein de la fonction publique territoriale, dans les conseils départementaux ou régionaux, par exemple.

La ministre de la fonction publique avait, en 2021, promis une meilleure reconnaissance de ce métier, mais on n'a pas avancé. Cette proposition de loi va dans le bon sens, même si nous entendons les difficultés pointées par le rapporteur. Il faut envoyer un appel au Gouvernement sur tous ces sujets. Nous soutenons les propositions de la rapporteure sur les formations obligatoires et les évolutions de carrière. Le Rassemblement démocratique et social européen soutiendra cette proposition de loi.

M. Hussein Bourgi. - Je remercie Céline Brulin et ses camarades pour leur initiative, qui répond à une préoccupation connue de nombre d'entre nous en tant qu'élus locaux de métropole ou d'outre-mer. Les auditions organisées par notre rapporteure m'ont permis de parfaire ma connaissance du sujet.

Des enjeux ressortis de ces auditions, je retiens le recrutement des secrétaires de mairie, leur formation et leur rémunération, mais aussi leur reconnaissance et l'évolution de leurs carrières. Une proposition de loi ne peut régler tous les problèmes, mais celle-ci apporte du moins des réponses sur la formation obligatoire. Il y a là une véritable difficulté : nombre d'agents renoncent à une formation pour assurer la continuité du service. Quand il y a un dossier à boucler, ou un rendez-vous incontournable, on ne peut pas s'absenter !

Par ailleurs, les personnes inscrites sur les listes d'aptitude, parfois depuis des années, peinent à être nommées. Leur réserver un quota, comme le propose le rapporteur, me paraît susceptible de satisfaire les personnes concernées.

Je souscris à sept des neuf amendements du rapporteur, mais deux me laissent dubitatif. D'abord, élever le seuil à 2 000 habitants pour le recrutement de contractuels, n'est-ce pas simplement répartir la pénurie ? On risque de s'inscrire dans une logique concurrentielle, alors que ces communes ont parfois des moyens. Ensuite, même si j'entends les arguments pour la suppression du fonds de soutien local proposé dans le texte, il ne faudrait pas se priver de la possibilité d'un débat dans l'hémicycle, pour obtenir des clarifications du Gouvernement. Il faudra y revenir lors du prochain projet de loi de finances.

Mme Nadine Bellurot. - Je salue l'excellente initiative de nos collègues du groupe CRCE, ainsi que le travail de notre rapporteur. Nous connaissons tous la qualité de nos secrétaires de mairie, la difficulté rencontrée par les communes pour en recruter, et les problèmes de formation et de rémunération.

Il est essentiel d'améliorer leurs conditions de travail, car l'engagement des élus dans nos territoires n'est pas toujours au rendez-vous ; on risque de manquer de volontaires pour être maires en 2026, surtout si l'on manque de professionnels pour les épauler. Le binôme maire-secrétaire de mairie est très important.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Concernant le relèvement du seuil pour l'emploi de contractuels, en l'état actuel du droit, les communes de 1 000 à 2 000 habitants peuvent avoir recours à des contractuels pour des emplois de moins de 50 % d'un temps complet. Nous proposons de permettre le recours à des contractuels pour des emplois à temps complet, comme pour les communes de moins de 1 000 habitants ; ce n'est pas une révolution.

Monsieur Richard, si je ne me trompe, ce sont les collectivités qui fixent les emplois pour lesquels un logement est fourni, mais il faudra me renseigner davantage sur les modalités de cette offre.

M. Alain Richard. - La jurisprudence est assez carrée.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Une délibération doit en tout cas avoir lieu.

La formation suscite de gros problèmes. Une formation obligatoire pourrait améliorer de façon presque immédiate les prises de poste. On pourrait trouver des ententes avec les centres de gestion pour faciliter les remplacements, via un vivier supplémentaire de personnel formé.

Concernant la rémunération, les grilles indiciaires sont identiques pour les hommes et les femmes. Les communes peuvent augmenter la rémunération par le biais du Rifseep, dont les plafonds sont élevés, mais le budget communal est souvent contraint. Peut-être faudrait-il rendre obligatoire une délibération sur le relèvement de la NBI, beaucoup de secrétaires de mairie n'en bénéficiant pas.

La mutualisation existe déjà dans les faits : beaucoup d'intercommunalités mettent à disposition des communes une partie de leur personnel pour de petits temps partiels. Par ailleurs, les associations de secrétaires de mairie fonctionnent beaucoup en réseau, pour faire bénéficier tous leurs membres des compétences spécialisées de certains. Tout cela se fait de manière naturelle, sans qu'il soit nécessaire de réglementer.

M. François-Noël Buffet, président. -  Je vous propose de considérer que le périmètre de l'article 45 de la Constitution comprend les dispositions relatives à l'exercice des fonctions de secrétaire de mairie dans les communes de moins de 2 000 habitants.

M. Alain Richard. - Et l'accès à ces fonctions !

M. François-Noël Buffet, président. - Absolument !

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-1 supprime cet article.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1er est supprimé.

Article 2

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-2 supprime cet article.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article 2 est supprimé.

Article 3

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-3 supprime cet article.

L'amendement COM-3 est adopté.

L'article 3 est supprimé.

Article 4

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-4 vise à instaurer une formation initiale obligatoire commune aux secrétaires de mairie.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article 4 est ainsi rédigé.

Article 5

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-5 vise à prendre en compte l'exercice des fonctions de secrétaire de mairie pour l'établissement des listes d'aptitude.

L'amendement COM-5 est adopté.

L'article 5 est ainsi rédigé.

Après l'article 5

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-6 tend à ouvrir aux communes de 1 000 à 2 000 habitants la possibilité de recruter des contractuels pour les emplois de secrétaire de mairie.

L'amendement COM-6 est adopté et devient article additionnel.

Article 6

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-7 supprime cet article.

L'amendement COM-7 est adopté

L'article 6 est supprimé.

Article 7

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-8 supprime cet article.

L'amendement COM-8 est adopté.

L'article 7 est supprimé.

Intitulé de la proposition de loi

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-9 modifie l'intitulé de la proposition de loi en cohérence avec notre approche.

L'amendement COM-9 est adopté.

L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

Mme DI FOLCO, rapporteur

1

Suppression de l'article

Adopté

Article 2

Mme DI FOLCO, rapporteur

2

Suppression de l'article

Adopté

Article 3

Mme DI FOLCO, rapporteur

3

Suppression de l'article

Adopté

Article 4

Mme DI FOLCO, rapporteur

4

Instauration d'une formation initiale obligatoire commune aux secrétaires de mairie

Adopté

Article 5

Mme DI FOLCO, rapporteur

5

Prise en compte de l'exercice des fonctions de secrétaire de mairie pour l'établissement des listes d'aptitude

Adopté

Article additionnel après l'article 5

Mme DI FOLCO, rapporteur

6

Ouverture aux communes de 1 000 à 2 000 habitants de la possibilité de recruter des contractuels pour les emplois de secrétaire de mairie

Adopté

Article 6

Mme DI FOLCO, rapporteur

7

Suppression de l'article

Adopté

Article 7

Mme DI FOLCO, rapporteur

8

Suppression de l'article

Adopté

Intitulé de la proposition de loi

Mme DI FOLCO, rapporteur

9

Modification de l'intitulé

Adopté

Proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences - Examen du rapport et du texte de la commission

M. François-Noël Buffet, président. - Nous abordons désormais l'examen de la proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Dans un contexte de crise inflationniste et énergétique, il est nécessaire et bienvenu de s'interroger sur le niveau des ressources des collectivités territoriales et leur prévisibilité, afin d'éviter un fléchissement de l'investissement local, part déterminante de l'investissement public.

Nous partageons donc le constat fait par Éric Kerrouche et les autres auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle, les élus locaux souhaitent voir l'autonomie financière des collectivités mieux garantie et renforcer la relation entre l'État et celles-ci, notamment dans l'élaboration des documents budgétaires, afin d'avoir plus de prévisibilité sur les finances locales.

Toutefois, les solutions proposées par nos collègues sont soit une fausse bonne idée, soit redondantes avec des propositions déjà adoptées par le Sénat.

La présente proposition de loi constitutionnelle vise à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétence, par le biais de deux outils : un nouveau type de loi de financement et une compensation dynamique des transferts de charges vers les collectivités territoriales.

Pour le premier outil, un nouvel article 47-1-1 serait inscrit dans la Constitution, inspiré de celui qui régit les projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Cette idée suscite d'abord des réserves concernant la procédure qui s'appliquerait : on introduirait un nouveau texte dans un calendrier budgétaire déjà contraint, entre le PLFSS et le projet de loi de finances (PLF). Le Gouvernement pourrait d'ailleurs utiliser pour ce nouveau texte toutes les procédures qui sont à sa disposition pour les textes financiers, notamment le troisième alinéa de l'article 49, de la Constitution...

Sur le fond, rappelons que l'instauration des PLFSS exprimait un objectif de réduction et d'encadrement de la dépense publique. Une loi de financement des collectivités territoriales n'aurait-elle pas pour conséquence d'encadrer et de limiter les moyens dévolus à celles-ci ? Par ailleurs, même si un tel texte pourrait fournir l'occasion d'un débat annuel sur les finances locales - débat qui existe désormais depuis la récente réforme de la LOLF -, le volume des ressources dévolues aux collectivités ne changerait pas.

Les ressources des collectivités proviennent essentiellement de dotations de l'État complétées par une part des impôts nationaux ; il serait très difficile d'isoler cette part du reste des ressources de l'État examinées dans le PLF, ce qui brouillerait le débat en le dédoublant, à rebours de la lisibilité recherchée par les élus locaux et les auteurs du présent texte. Ce texte annuel n'offrirait en outre aucune prévisibilité pluriannuelle, souhait majeur des associations d'élus que nous avons auditionnées ; il n'interdirait pas non plus des révisions en cours d'exercice, conformément au principe d'annualité budgétaire.

Quant aux dépenses, si la proposition de loi constitutionnelle prévoit la simple fixation d'un objectif de dépenses, afin de respecter le principe de libre administration des collectivités territoriales, en l'absence d'une proposition de loi organique qui lui soit adossée, cette notion demeure floue et incapable de fournir les garanties nécessaires pour éviter que ce projet de loi de financement encadre de manière trop stricte les dépenses des collectivités, par une sorte de contractualisation ; on risque un retour aux contrats de Cahors, cette fois-ci dans un texte encore plus contraignant qu'une loi de programmation, voire une recentralisation.

Dès lors, inscrire un tel projet de loi de financement des collectivités territoriales dans la Constitution ne me paraît pas permettre l'atteinte des objectifs louables des auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle ; ce n'est pas ainsi que l'on obtiendra une meilleure prévisibilité sur les ressources ni une meilleure association des collectivités aux décisions budgétaires.

Le deuxième outil proposé est la rénovation des modalités de compensation des transferts de compétence, en application du principe « qui décide paie », figurant à l'article 72-2 de la Constitution. Il s'agit de répondre à une demande récurrente, en passant d'une compensation dite au « coût historique » à une compensation dynamique. On y parviendrait par trois mécanismes : l'obligation de compensation serait étendue aux transferts de compétences entre collectivités ; la compensation financière serait désormais intégrale pour toute création ou extension de compétences ou toute modification des conditions d'exercice des compétences des collectivités territoriales résultant d'une décision de l'État ; enfin, les ressources ainsi attribuées feraient l'objet d'un réexamen régulier.

Cette approche se heurte d'abord à un écueil global : ces mécanismes vaudraient pour les collectivités, mais aussi pour leurs groupements, alors que ces derniers ne constituent pas des collectivités à part entière et reconnues par l'article 72 de la Constitution. Placer les intercommunalités au même niveau que les collectivités territoriales est problématique.

Par ailleurs, un tel mécanisme de compensation dynamique a déjà été adopté par le Sénat, le 20 octobre 2020, au sein de la proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales de notre collègue Philippe Bas. Il appartient aujourd'hui à l'Assemblée nationale de s'emparer du texte qui lui a été transmis ; nous ne voyons pas l'intérêt de voter de nouveau sur des dispositions similaires, qui étaient au demeurant complétées par des dispositions organiques, ce qui n'est pas le cas du texte que nous examinons ce matin.

Pour toutes ces raisons, je propose de rejeter cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. - Merci, madame le rapporteur, pour votre travail de fond sur ce texte et les auditions que vous avez organisées.

Nous avons déposé cette proposition de loi constitutionnelle pour répondre à l'incertitude qui règne à l'égard des transferts financiers entre l'État et les collectivités : entre dotations, dégrèvements, subventions et fiscalité transférée, leur périmètre est difficile à appréhender.

Du fait de cette opacité, les atteintes au principe de libre administration des collectivités territoriales sont quotidiennes. L'État impose à celles-ci une contribution au redressement des finances publiques ; il existe aujourd'hui un indicateur de la dépense publique locale, l'ODEDEL. Pour autant, l'État fait assumer aux collectivités, du fait de l'enchevêtrement des compétences, des dépenses qu'il ne souhaite plus engager lui-même. Il leur impose enfin des normes de toutes natures, qui sont parfois peu proportionnées et dont le coût n'est pas compensé. La mesure dans laquelle cela affecte les budgets locaux n'est pas bien connue.

Les collectivités manquent donc de visibilité, car le budget de l'État manque de transparence, en particulier pour les opérations les concernant. C'est pourquoi nous avons pris l'initiative de ce texte.

J'entends les objections de forme du rapporteur quant à la procédure proposée, mais concernant l'article 49-3, qu'on l'applique sur le budget de l'État ou sur celui des collectivités territoriales, le résultat est le même !

Ensuite, d'après le rapporteur, avec une telle loi de financement, l'État pourrait encore plus contraindre les collectivités territoriales. Tel n'est pas le cas. En effet, l'État a déjà pu geler, puis faire baisser les dotations sans difficulté aucune. Ce que nous proposons ne lui donnera pas plus de pouvoir qu'il n'en a actuellement. Nous voulons surtout, au travers de ces textes, créer un moment de dialogue particulier entre État et collectivités.

Nous sommes en revanche d'accord quant à la nécessité d'une loi organique pour compléter ce texte-ci.

Quant à la compensation dynamique, elle est effectivement difficile à mettre en place, mais la question des groupements de communes n'est pas la plus problématique ; l'enjeu est plutôt la mise en oeuvre du dispositif.

Je veux rappeler en conclusion que, le 14 mars dernier, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) réclamait encore la mise en place d'une telle loi de financement. C'est une demande récurrente des élus locaux, mais elle figure aussi dans de nombreux rapports, depuis celui d'Olivier Guichard en 1976 jusqu'à celui d'Alain Lambert et Martin Malvy en 2014. Un tel outil serait intéressant ; surtout, il viendrait compléter le trépied des textes budgétaires, aux côtés des finances de l'État et des finances sociales.

Enfin, je ferai remarquer que Roger Karoutchi a déposé une proposition de loi constitutionnelle assez proche de celle-ci ; elle a été signée par divers membres de la commission des finances et de la nôtre, y compris vous-même, madame le rapporteur...

M. Jean-Yves Roux. - Je remercie Éric Kerrouche pour son initiative, ainsi que  le rapporteur pour son exposé.

L'idée d'une loi de financement spécifique pour les collectivités avait déjà été évoquée, notamment lors des débats sur la modernisation de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) en 2020. Le principal obstacle est le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales ; le volet dépenses d'un tel texte ne pourrait dès lors avoir qu'un caractère indicatif. Toutefois, il aurait le mérite de mieux distinguer ce qui relève des finances de l'État et des finances locales.

Je salue aussi l'article 2 de cette proposition de loi constitutionnelle, qui vise à renforcer le principe constitutionnel de compensation financière des transferts de compétences. Les lois de financement proposées permettraient sans doute de mieux suivre et contrôler ces compensations.

Une question demeure : le transfert proposé de certaines dispositions budgétaires du PLF au projet de loi de financement proposé ne devrait-il pas, si l'on veut préserver un ordre du jour réaliste à l'automne, s'accompagner d'une réduction correspondante des délais d'examen du PLF ?

M. Alain Richard. - Je reconnais l'intérêt de cette proposition de loi constitutionnelle, mais elle soulève des objections. Une clarification et une prise de responsabilité du Parlement en la matière sont certes nécessaires, mais il ne saurait y avoir de symétrie entre le PLF, le PLFSS et le projet de loi de financement des collectivités territoriales ici proposé, car tout texte budgétaire autorise la perception de recettes et fixe un plafond de dépenses ; or ce dernier ne peut pas s'appliquer aux collectivités territoriales dans un système décentralisé. L'examen parlementaire des finances locales ne peut donc prendre la forme d'une loi de financement aussi impérieuse que le PLF ou le PLFSS.

Il faudrait plutôt modifier la LOLF, en y faisant figurer un chapitre organisant un temps de débat et des documents budgétaires, soumis au vote des assemblées, relatifs aux finances locales et notamment à l'évolution des ressources des collectivités.

Il me semblerait aussi souhaitable de clarifier dans la Constitution les modalités de partage de certains impôts nationaux entre les collectivités et l'État. Ce partage, aujourd'hui très courant, a été conçu comme un facteur de stabilité et de prévisibilité des ressources des collectivités, mais ses modalités peuvent être modifiées par une simple disposition en loi de finances, ce qui constitue une fragilité. Il faudrait préciser dans la Constitution que seule une loi organique peut modifier la répartition de ces recettes.

Mme Françoise Gatel. - Nous partageons tous le diagnostic que font Éric Kerrouche et ses collègues : les collectivités territoriales, dont l'action est pluriannuelle, ont besoin de plus de clarté et de prévisibilité, leurs finances doivent être sécurisées. Leur action est souvent pluriannuelle.

Je partage toutefois l'analyse de notre rapporteur : le diagnostic est bon, mais je ne prendrai pas le médicament prescrit !

Au sein du groupe de travail institué par le président Larcher en 2020, dont étaient issues nos 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales, nous avions certes été tentés par la réponse miraculeuse d'une loi de financement des collectivités. Nous avions néanmoins conclu que cette bonne intention pourrait aboutir à un « Ondam des collectivités », un objectif de dépenses qui les contraindrait encore davantage. La Cour des comptes et le ministère des finances seraient évidemment favorables à une telle approche...

Ce serait en outre négliger les effets collatéraux pour les collectivités de textes divers, sur l'environnement, les mobilités... Entre 2017 et 2021, les charges supplémentaires découlant de normes ou dispositions génériques atteignent 2,5 milliards d'euros ! Une loi de financement n'empêcherait pas ces dérives.

Enfin, comme inscrit dans la proposition de loi constitutionnelle de Philippe Bas que nous avons adoptée en 2020, il faut rappeler l'exigence de compensation des transferts de charges, en lui adjoignant une clause de revoyure au vu de l'augmentation fréquente du coût de la compétence transférée du fait de nouvelles contraintes législatives. Il faut l'imposer pour restaurer la confiance entre État et collectivités !

M. Philippe Bas. - Cette proposition de loi constitutionnelle a le mérite de susciter le débat sur notre mission constitutionnelle de représentation des collectivités territoriales. Nos points de vue convergent sur divers points : la compensation des transferts de compétence, le principe « qui décide paie », ou encore la nécessaire sécurisation des dotations de l'État, qui ne sont pas des libéralités ou des variables d'ajustement, mais des compensations indispensables.

Toutefois, le texte qui nous est soumis m'inquiète beaucoup. L'analogie avec le PLF et le PLFSS doit être poussée jusqu'au bout : ces deux textes ont pour objet d'assurer un équilibre financier ; le second le fait certes dans une version déjà dégradée, mais son institution en 1996 exprimait bien un objectif de maîtrise des dépenses de sécurité sociale. L'idée d'une loi de financement des collectivités territoriales trouve d'ailleurs bien sa genèse à la Cour des comptes et au ministère des finances, dans une perspective similaire : on adresse aux élus locaux le reproche lancinant d'aggraver la dépense publique, alors que le montant global des déficits publics n'a rien à voir avec les comptes, forcément équilibrés, des collectivités. Ne nous laissons pas séduire par la création d'un instrument qui se retournerait contre nos collectivités, en permettant l'encadrement de leurs dépenses par Bercy !

Autant je suis attaché à la défense de l'autonomie financière de nos collectivités, autant l'invention d'un tel texte me paraît extrêmement dangereuse : je suivrai donc sans réserve la position de notre rapporteur.

M. André Reichardt. - Le diagnostic posé par Eric Kerrouche et ses collègues est assurément le bon : il faut assurer une plus grande prévisibilité et sécuriser les budgets des collectivités territoriales. Concernant les outils proposés, je ne sais si une loi de financement des collectivités territoriales est le bon. Je fais miennes les observations du rapporteur et d'Alain Richard et Philippe Bas : ce serait prendre un grand risque pour les collectivités. Quant à la rénovation des modalités de compensation, rappelons que la mission d'information sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales y travaille actuellement, à l'initiative du groupe RDSE : il faudra s'inspirer de ses conclusions.

Je voterai contre ce texte, mais il faut persévérer sur ce sujet. Les propositions formulées par Alain Richard sont intéressantes, il faut les approfondir.

Mme Cécile Cukierman. - Cette proposition de loi constitutionnelle répond à une réalité pointée par de nombreux élus locaux, qui veulent savoir combien ils auront demain, pour investir dès aujourd'hui, et comment s'établit le rapport de forces entre État et collectivités. Il est impératif de garantir la compensation des transferts de compétences.

Pour autant, je ne suis pas certaine que le parallélisme des formes proposé dans ce texte soit pertinent, pour les raisons déjà exposées. On risque un énième recours à l'article 49-3 sur ce projet de loi de financement des collectivités territoriales !

La vraie question est celle de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales. Notre pays a beaucoup trop de taxes et pas assez d'impôts. Il faudrait aussi avoir une vision pluriannuelle des finances locales, qui exprime plutôt des planchers que des plafonds de recettes et de dépenses.

En tout cas, ce texte nous permettra de discuter avec le Gouvernement de la façon dont il entend aborder les finances de nos collectivités dans les prochains mois.

M. Didier Marie. - Le constat est manifestement partagé : la dissémination, au sein du PLF, des concours de l'État aux collectivités territoriales les rend illisibles pour celles-ci. La Cour des comptes souligne d'ailleurs que les modalités de financement des collectivités sont complexes et peu compréhensibles. Cela entraîne un manque de prévisibilité et de capacité politique pour les élus locaux. Si la Cour des comptes a proposé à trois reprises une telle loi de financement, je ne crois pas que ce soit uniquement pour contraindre les collectivités : d'ailleurs, l'État y parvient très bien au travers du PLF, ou encore par les contrats de Cahors. Les collectivités sont infantilisées, privées de marges de manoeuvre. Certes, notre proposition ne leur redonnerait pas forcément de l'autonomie, mais elle permettrait d'avoir une lecture précise des concours de l'État et d'engager un dialogue, sans encadrer les ressources propres des collectivités. Je suis surpris du rejet du texte par le rapporteur, alors qu'un consensus semblait se former pour plus de lisibilité et de transparence.

M. Loïc Hervé. - Je n'ai pas signé la proposition de loi constitutionnelle de notre collègue Roger Karoutchi, alors que j'étais a priori plutôt favorable à une telle idée. Françoise Gatel m'a convaincu que ce n'était pas l'approche la plus pertinente, car elle pourrait se retourner contre les collectivités.

En tant que rapporteur pour avis de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », qui ne couvre que quelques milliards d'euros, je m'autorise à aborder un périmètre beaucoup plus vaste. Il faut donc impérativement réfléchir à la manière dont on aborde les finances locales. Comment notre commission, au titre du contrôle de l'autonomie financière des collectivités, pourrait-elle avoir un panorama plus large de la question lors des discussions budgétaires ?

M. Mathieu Darnaud. - Je pourrais dire avec un peu de cynisme que, quelle que soit la formule retenue, à la fin des fins, c'est toujours l'État qui gagne... Je salue l'initiative d'Eric Kerrouche, comme j'avais soutenu celle de Philippe  Bas, parce qu'il est impératif de faire oeuvre utile sur la transparence des ressources des collectivités. On peut aussi se désoler chaque année de la manière dont sont examinés les crédits relatifs aux outre-mer pourtant largement sous-consommés. Je pense aussi au tristement célèbre filet de sécurité. À l'évidence, les objectifs financiers avancés par l'État ne se traduisent que très peu dans la réalité, au vu des taux d'exécution ou des fonds dont disposent in fine nos collectivités. La mise en place désorganisée du « fonds vert » en témoigne encore. Il faut plus de transparence et de lisibilité !

M. Guy Benarroche. - Je remercie le groupe socialiste d'avoir déposé cette proposition de loi constitutionnelle dans le contexte actuel. Quels que soient la taille de la commune ou le bord politique des élus, le sentiment général qui revient en permanence quand on discute avec les maires est l'idée d'une opposition entre les collectivités territoriales et l'État.

Ce sentiment prend sa source - Mathieu Darnaud en a parlé - dans l'absence de lisibilité et de transparence et dans l'extrême difficulté des élus à mener à bien les politiques pour lesquelles les électeurs ont voté pour eux. Pourtant, les communes sont le lieu principal où la démocratie peut avoir un effet direct sur la vie quotidienne de la population.

Il prend aussi sa source dans l'atrophie des ressources propres des collectivités au profit de dotations et de subventions de l'État sur lesquelles les élus n'ont pas de visibilité et qui sont décidées au fil de l'eau par le préfet.

Alors que l'État a beaucoup affaibli l'autonomie financière et fiscale des collectivités, cette proposition de loi constitutionnelle est un petit bout de la réponse. On pourrait d'ailleurs se demander si ce mouvement général n'est pas délibéré pour s'attaquer en fait aux pouvoirs des communes - rappelons-nous de certaines déclarations du Président de la République... Nous devons avoir ce débat, même si ce texte n'est pas une réponse parfaitement adaptée à la situation.

Mme Valérie Boyer. - Il est vrai que l'autonomie des collectivités territoriales est complètement étouffée, ce qui amène certains à proposer des mesures qui sont finalement d'une complexité extrême. Je rappelle quand même que la France est l'un des pays au monde où le taux de prélèvements obligatoires est le plus élevé et où le système est le plus redistributif. Nous devons vraiment nous poser la question du niveau et de l'efficacité de la dépense publique, parce que nous sommes passés du mauvais côté de la courbe de Laffer, ce qui est particulièrement inquiétant.

J'ajoute que, quand on parle d'efficacité et d'opacité, on doit aussi s'interroger sur la suppression de la réserve parlementaire. Nous ne savons pas vraiment où est passé cet argent, alors que c'était un outil important pour les collectivités territoriales.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Quelques remarques rapides et sans revenir sur le fond.

La commission des finances par la voix de son rapporteur Charles Guené a également émis un avis défavorable sur cette proposition de loi constitutionnelle.

En ce qui concerne les associations d'élus, je les ai consultées et elles estiment qu'un projet de loi de financement ne répondrait pas à leurs attentes. Vous trouverez dans mon rapport des extraits de la contribution écrite envoyée par l'AMF.

Je rappelle également que le rapport rendu par Alain Lambert et Martin Malvy avait pour titre : « Pour un redressement des finances publiques fondé sur la confiance mutuelle et l'engagement de chacun ».

Par ailleurs, nous serons évidemment vigilants sur la cohérence entre les différents groupes qui réfléchissent sur ces sujets, que ce soit la mission d'information demandée par le groupe du RDSE sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales ou le groupe de travail mis en place par le Président du Sénat.

Enfin, je veux dire à mon collègue Éric Kerrouche : errare humanum est, perseverare diabolicum.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'article 1er n'est pas adopté.

Article 2

L'article 2 n'est pas adopté.

La proposition de loi constitutionnelle n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera, en conséquence, sur le texte initial de la proposition de loi constitutionnelle déposée sur le Bureau du Sénat.

Réforme de la procédure pénale - Audition de M. Serge Guinchard, professeur émérite de l'université Panthéon-Assas, Mmes Jocelyne Leblois-Happe, professeur à l'université de Strasbourg, Haritini Matsopoulou, professeur à l'université Paris-Saclay, MM. Sébastien Pellé, professeur à l'université Toulouse Capitole, et Jean-Christophe Saint-Pau, professeur à l'université de Bordeaux

M. François-Noël Buffet, président. - Nous accueillons M. Serge Guinchard, professeur émérite de l'université Panthéon-Assas, Mmes Jocelyne Leblois-Happe, professeur à l'université de Strasbourg, Haritini Matsopoulou, professeur à l'université Paris-Saclay, MM. Sébastien Pellé, professeur à l'université Toulouse Capitole, et Jean-Christophe Saint-Pau, professeur à l'université de Bordeaux.

Le Gouvernement est censé nous transmettre avant l'été le projet de loi de programmation de la justice, au sein duquel devrait figurer un projet de réforme du code de procédure pénale. Nous disposons d'ores et déjà de quelques informations. Pour réformer le code « à droit constant », il devrait nous être demandé d'adopter une loi d'habilitation, ce qui suscite des interrogations fortes de la part de notre commission.

Nous souhaiterions pouvoir bénéficier de votre éclairage avant de nous prononcer.

Mme Jocelyne Leblois-Happe, professeur à l'université de Strasbourg. - Faut-il réformer le code de procédure pénale ? Certainement. Nombre de dispositions sont devenues au fil du temps peu cohérentes ou lacunaires, d'où un problème de lisibilité de la loi et, partant, de respect de la prééminence du droit, fondement d'un État de droit démocratique. Il ne saurait dès lors être question de travailler à droit constant : toute modification de la lettre d'un texte peut avoir une incidence sur son contenu.

Une simplification est-elle nécessaire ? Sans doute, s'il s'agit de procéder à des clarifications, de supprimer les incohérences et de combler les lacunes. Mais il convient d'être prudent avec ce terme : d'une part, la simplification ne peut pas être une fin en soi ; d'autre part, l'expression a été employée à de nombreuses reprises antérieurement. La procédure pénale est, par définition, instable et complexe, puisqu'elle tend à établir un équilibre entre les pouvoirs de l'État et les droits des personnes.

Que faut-il attendre d'une telle réforme ? Il convient d'avancer avec délicatesse. Les juristes sont fatigués de devoir s'adapter en permanence à un ordre juridique mouvant.

Six réformes assez rapidement réalisables sont souhaitables : premièrement, la modification des conditions de nomination et de poursuites disciplinaires des membres du ministère public, afin de les rapprocher de celles des juges du siège ; deuxièmement, le recentrage des missions du parquet sur la direction des enquêtes et la poursuite ; troisièmement, la suppression des freins mis à l'avertissement pénal probatoire ; quatrièmement, l'insertion dans le code d'un corps de règles générales relatives à l'administration de la preuve ; cinquièmement, le renforcement du statut de témoin assisté, afin que l'audition sous ce statut devienne la règle ; sixièmement, l'arrêt du mouvement tendant à supprimer progressivement la participation des citoyens au jugement des affaires criminelles, participation qui est quasiment la seule occasion donnée aux citoyens de prendre conscience de la complexité de l'acte de juger.

Trois modifications envisagées dans le plan présenté au mois de janvier sont inopportunes : premièrement, la simplification des cadres d'enquête, car l'existence de trois cadres d'investigation répond à une exigence de proportionnalité de la réponse étatique ; deuxièmement, l'autorisation des perquisitions nocturnes par le juge des libertés de la détention (JLD) pour tous les crimes, mesure qui remettrait largement en cause l'inviolabilité du domicile pendant la nuit sans que les contreparties soient connues ; troisièmement, la prolongation du délai de la comparution à délai différé, qui ressemble à une fuite en avant.

Une réflexion sur une réforme plus ample me semble inévitable à terme. Dans notre système pénal, le centre de gravité du procès se situe dans la phase préparatoire, la France faisant partie des rares pays de l'Union européenne à avoir encore une instruction. Lors des négociations en vue de la création d'un parquet européen, notre pays a accepté que le modèle accusatoire désormais dominant en Europe s'applique sur son territoire. Plutôt que d'attendre la mort lente du juge d'instruction ne serait-il pas sage de concevoir une phase préparatoire réduite aux enquêtes dirigées par le parquet sous le contrôle d'un juge des libertés devenu juge de l'enquête ? Cela nécessiterait que l'on augmente le nombre des magistrats du ministère public et que le JLD soit spécialisé en matière pénale et pourvu des moyens de toute nature pour devenir un véritable juge de l'enquête exerçant en toute indépendance. Les prémices d'une telle réforme s'observent. Cela pourrait redonner au juge toute sa place dans la phase préparatoire du procès pénal.

M. Serge Guinchard, professeur émérite de l'université Panthéon-Assas. - Tout le monde s'accorde, me semble-t-il, sur la nécessité d'une réforme. Le problème est de savoir laquelle et pourquoi.

Je commencerai par un constat purement quantitatif : le code d'instruction criminelle pesait 300 grammes en 1957, contre 1,33 kilogramme pour l'actuel code de procédure pénale. De même, les cadres spécifiques et procédures particulières se sont multipliés. Ce phénomène a des causes à la fois exogènes et endogènes.

Les causes exogènes sont au nombre de trois : d'abord, l'accroissement des troubles à l'ordre public, qui rend socialement plus acceptables un certain nombre de contraintes judiciaires et policières ; ensuite, l'irruption de la science et de la technique ; enfin, la possibilité, légitime, de déposer des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), qui vient brouiller le paysage post-législatif.

Parmi les causes endogènes, je mentionnerai d'abord la structuration des normes. Aujourd'hui, la procédure pénale est dans trois codes au moins : le code de procédure pénale, le code de la sécurité intérieure et le code de l'organisation judiciaire, sans compter le code général des collectivités territoriales. J'évoquerai ensuite la rédaction des normes, avec une prolifération des ordonnances qui ne contribue pas à la clarification souhaitable : certains articles font quatre-vingt-dix lignes ! Il y a là un vrai problème de lisibilité. En plus, avec la multiplication des codes, des doublons apparaissent. Je souligne également la complexification de la norme, qui est, elle aussi, aggravée par la multiplication des ordonnances.

À cela s'ajoute la communication brouillonne de l'exécutif. On aimerait bien comprendre quelle est la volonté du Président de la République et du garde des sceaux. Le 14 septembre 2021, à l'occasion de la clôture du Beauvau de la sécurité, le Président de la République avait déclaré vouloir « repenser les grands équilibres de la procédure pénale », avec une « simplification drastique » de la conduite des enquêtes et une « nouvelle écriture du code. » Soit. Mais lorsqu'on réécrit un code, on ne le réécrit pas à droit constant. Les mots ont un sens. Une refonte, c'est pour modifier la norme. Or, après avoir indiqué au mois de septembre 2022 que le quinquennat serait celui de la refonte de notre procédure pénale, ce qui semblait faire écho aux propos du Président de la République, le garde des sceaux a vu ses déclarations contredites par le contenu de l'avant-projet de loi d'habilitation, qui comporte un volet de réécriture à droit constant et un volet de modifications substantielles sur l'enquête. Il y a donc eu un changement dans les discours, et le message est quelque peu brouillé.

Il faut corriger les principaux défauts du code de procédure pénale. Ma collègue en a mentionné plusieurs ; j'aimerais, pour ma part, en évoquer deux autres.

Le premier est l'éclatement des procédures pénales entre, d'une part, un droit commun et, d'autre part, des droits spéciaux. On a multiplié les juridictions, jusqu'à une trentaine, selon la nature de l'infraction, en ajoutant des procédures spécifiques à tous les niveaux de la poursuite de l'instruction et du jugement. Aujourd'hui, il n'y a pas un code de procédure pénale ; il y en a autant que de juridictions spécialisées.

Le second est le fiasco technologique et financier de la numérisation de la justice. Il faut que nous nous donnions les moyens d'avoir une justice pénale fiable. L'illettrisme électronique va bientôt frapper les avocats, parce qu'il y a des moyens de communication avec la justice qui ne sont pas fiables aujourd'hui.

En plus de corriger les défauts du code, il faut résoudre l'éternelle question de l'équilibre des fonctions entre les différents acteurs de la justice pénale : victimes, avocats, parquet, juge d'instruction, JLD, juridiction de jugement et, évidemment, accusés. Vous serez confrontés au problème de l'équilibre entre le juge de l'instruction et le parquet. Ce dernier, nous dit-on, est indépendant. Peut-être, mais il ne peut pas être impartial quand il contrôle les arrestations et les détentions, étant donné qu'il est autorité de poursuite. En outre, le parquet obéit aux ordres de la Chancellerie en matière pénale. Cela me paraît légitime. Ce n'est pas la même chose de donner des instructions au parquet pour ses réquisitions et d'en donner au juge. L'apaisement d'une société, et c'est un sujet sensible aujourd'hui, suppose une volonté politique. Dans le cadre des États généraux de la justice, on a passé presque un an à discuter des relations entre le parquet et le juge d'instruction. C'est tout de même ahurissant !

Le projet de loi d'habilitation qui devrait bientôt passer en conseil des ministres ne résout pas cette question. Or, puisque nous parlons d'une « réforme profonde » du code de procédure pénale, la priorité est de se mettre d'accord sur le statut du juge d'instruction. J'espère donc que le message un peu brouillé de l'exécutif sera éclairé par la sagesse du Sénat.

Mme Haritini Matsopoulou, professeur à l'université Paris-Saclay. - Le code de procédure pénale devient de plus en plus complexe, illisible et très peu praticable. Je suis évidemment pour une réforme, mais pas pour une réforme par ordonnance, qui ne parviendra jamais à résoudre tous les problèmes.

Je ne suis pas du tout optimiste. Même si l'on arrive finalement à procéder à une réécriture dans le sens d'une simplification, le code de procédure pénale sera, dans quelques années, aussi volumineux qu'auparavant, ne serait-ce que parce que le législateur français est tenu de transposer des textes supranationaux. La procédure pénale est la cible de toutes les évolutions jurisprudentielles, qu'il s'agisse du Conseil constitutionnel, avec les QPC, ou des cours européennes, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) comme la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Le législateur sera toujours obligé de réagir, et le code de procédure pénale sera donc toujours volumineux.

Je suis d'autant moins optimiste que l'on n'a de cesse, malgré tout ce qui est indiqué, d'élargir les pouvoirs du parquet ; c'est encore le cas dans l'avant-projet de loi. Le législateur méconnaît constamment le principe de la séparation des fonctions de poursuivre et de juger. Le parquet se trouve investi d'un véritable pouvoir de sanctionner. Il a donc un pouvoir quasi juridictionnel. Il faut réfléchir sur la répartition des rôles de principaux acteurs dans la phase préalable au jugement.

Actuellement, le JLD a très peu de pouvoirs, tout simplement parce qu'il n'a pas le suivi du dossier de la procédure. Il intervient de manière occasionnelle à la suite d'une réquisition du magistrat du parquet. A-t-il le temps de réagir ? À ma connaissance, on ne l'a pas vu souvent aller dans le sens contraire du parquet. Il faut faire du JLD un véritable juge de l'enquête chargé du suivi de l'affaire du début à la fin. La phase de l'enquête est déterminante pour l'orientation du procès pénal. Il faut à tout prix sauver l'équilibre entre le parquet et le siège.

Il faudrait que ce juge puisse intervenir uniquement dans le domaine pénal, ce qui suppose de lui retirer les fonctions en matière civile et administrative. Il me paraît irréaliste de continuer à lui confier des attributions tout en lui demandant d'être un juge non spécialisé en matière civile et administrative.

L'indépendance des magistrats du parquet demeure une question d'actualité. J'ai été déçue des propositions issues des États généraux de la justice, qui ne vont pas dans le sens d'une indépendance totale de magistrats, sous prétexte que la politique pénale est définie et déterminée par le Gouvernement. Mais le Gouvernement pourra toujours continuer à déterminer la politique pénale si l'on donne une indépendance statutaire aux magistrats du parquet en alignant leur statut sur celui des magistrats du siège. Et pourquoi ne pas réfléchir à la création d'une entité purement juridique à la tête du parquet qui pourrait toujours faire le lien entre le Gouvernement et le ministère public ? Je reconnais que nous avons besoin d'une harmonisation dans l'application de la loi pénale pour respecter les dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

La simplification ne devrait en aucun cas s'effectuer au détriment de l'équilibre de droits des parties dans le procès pénal, au détriment de principes directeurs du procès pénal ou au détriment des droits qui sont constitutionnellement et conventionnellement garantis.

Je suis contre l'unification des cadres d'enquête. Certes, je suis d'accord pour rendre cette partie de la procédure pénale plus lisible, en y inscrivant de manière claire le régime et les règles communes. Mais il faut laisser la distinction entre l'enquête de flagrance et l'enquête préliminaire. Les personnes qui formulent des propositions sur le sujet ne connaissent visiblement pas l'historique de nos textes, ce qui est regrettable. L'enquête de flagrance a toujours justifié des règles particulières ; le droit français s'est inspiré du droit romain, de l'ordonnance criminelle de 1670. L'enquête de flagrance comme l'enquête préliminaire sont soumises à des critères propres, avec des conditions d'application définies par la jurisprudence. En plus, les règles de déclenchement ne sont pas identiques. Faisons attention à une « simplification » qui pourrait finalement avoir des conséquences sur l'efficacité des investigations. D'ailleurs, le passage d'une enquête préliminaire à une enquête de flagrance est possible ; la jurisprudence a bien fixé les choses à cet égard.

Je suis pour la généralisation du statut de témoin assisté. Il faut bien le définir et le séparer du statut de mis en examen.

J'attire également votre attention sur le fait que la banalisation des perquisitions nocturnes risque de ne pas résister aux foudres du Conseil constitutionnel.

Il faut éviter le recours à la visioconférence, fût-ce au nom de la simplification. Le Conseil constitutionnel s'est montré sensible à la présence physique de personnes notamment s'agissant d'actes attentatoires à la liberté individuelle.

La question des procédures de convocation par procès-verbal, de comparution immédiate et de procédure de comparution à délai différé me tient à coeur. Je suis contre tout ce que je lis dans l'avant-projet de réforme du code de procédure pénale. On est en train de confier des pouvoirs exorbitants aux magistrats du parquet, qui donne l'orientation du procès pénal. Le juge d'instruction est déjà affaibli, et on renforce encore les pouvoirs du procureur.

Je ne suis pas contre le remplacement de la détention provisoire par l'assignation à résidence avec surveillance électronique, mais il faut séparer cette mesure de l'assignation à résidence avec surveillance électronique dans le cadre du contrôle judiciaire. Je suis contre cette incarcération provisoire, qui n'a aucun sens, pour vérifier la faisabilité technique de la pose du bracelet.

M. Sébastien Pellé, professeur à l'université Toulouse Capitole. - Oui, une réforme du code de procédure pénale semble aujourd'hui indispensable, à la double condition qu'il s'agisse d'une véritable recodification et qu'elle n'intervienne pas seulement à droit constant.

Le besoin de réforme, me semble-t-il, dépasse aujourd'hui l'idée de simplification du droit. Il est nécessaire de sécuriser, de stabiliser la procédure pénale française, c'est-à-dire d'arrêter ou au moins de ralentir le flot incessant des réformes.

À l'occasion d'une recodification, il paraît nécessaire de repenser la structure du code. C'est sans doute l'un des seuls points où les choses pourraient se faire à droit constant. La structure du code est effectivement devenue peu lisible compte tenu de l'empilement des réformes. Un nouveau code devrait mieux refléter les grandes orientations s'agissant du modèle de procédure, de la place pour l'accusatoire, des droits de la défense dans la phase préparatoire. Il convient également de clarifier le rôle de certains acteurs, comme le procureur de la République ou le JLD, ainsi que certaines questions, comme le régime des nullités de procédure.

Recodifier la procédure pénale implique de s'interroger sur les causes de l'instabilité en la matière. Le professeur Guinchard vient d'évoquer certaines causes internes tenant notamment à la nécessité de concilier des intérêts antagonistes. Mais ce sont essentiellement, à mon sens, des causes externes qui expliquent le phénomène. Elles sont liées aux sources du droit et, plus particulièrement, à l'influence des droits fondamentaux. Dans un tel contexte normatif, il pourrait être suggéré de faire précéder à tous les stades la réécriture du code d'un travail d'anticipation des contraintes supralégislatives, afin de définir la marge de manoeuvre réelle du législateur et d'être ainsi en mesure de poser un droit plus pérenne.

Il faut intégrer cette recodification dans une réflexion plus large en partant de l'idée que la réforme de la procédure pénale s'inscrit aujourd'hui dans un mouvement de réforme de la justice dans son ensemble. Des lignes directrices communes se dessinent et mériteraient sans doute une meilleure considération. Dans la perspective de redéfinir le modèle du procès pénal, on constate dans toutes les procédures une volonté de limiter ou d'encadrer l'office du juge étatique avec le développement de procédures dites alternatives. Le moment est sans doute venu de se poser la question de la place de ces procédures dans la construction de la réponse pénale du XXIe siècle et de l'inscrire plus expressément dans le code. De même, la numérisation de la justice est sans doute un très grand chantier qui mérite d'être poursuivi et approfondi.

Oui à une recodification de la procédure pénale, mais, pour qu'elle soit durable, il conviendrait de réfléchir à la méthode, afin d'adapter le travail de codification aux contraintes, aux dynamiques et aux enjeux du XXIe siècle, en particulier s'agissant de la procédure pénale et de l'influence des droits fondamentaux.

M. Jean-Christophe Saint-Pau, professeur à l'université de Bordeaux. - Faut-il réformer le code de procédure pénale ?

Pour répondre à cette question, nous devons d'abord, me semble-t-il, nous interroger sur les objectifs d'un tel code. À mon sens, ils sont de deux ordres. Un code de procédure pénale est d'abord un code technique à destination des professionnels ; il doit donc être clair et précis. Mais c'est aussi un code politique, un code des libertés, à destination des citoyens, qui doit marquer un équilibre entre la sécurité et les libertés, entre l'ordre public et le respect des droits fondamentaux. Actuellement, le code de procédure pénale ne remplit ni ses objectifs techniques ni ses objectifs politiques.

D'abord, c'est un code ancien. Certes, ce n'est pas critiquable en soi. Mais la numérotation est ancienne, ce qui soulève des difficultés lorsque les réformes s'enchaînent ; certains articles sont totalement illisibles et impossibles à mémoriser. Le plan d'ensemble est ancien ; il ne montre pas, par exemple, que le code de procédure pénale est aussi un code des preuves. Et on note une absence de prise en considération des principes directeurs de la procédure pénale ; certains principes, comme la loyauté de la preuve, n'y figurent même pas.

Ensuite, c'est un code incomplet. La procédure pénale est l'oeuvre non seulement du législateur, mais aussi, pour une large part, de la jurisprudence. Par définition, un code s'enrichit, ne serait-ce que compte tenu des nouvelles techniques d'enquête : perquisitions informatiques, géolocalisation, etc.

Enfin, c'est un code émietté. Cela a également été souligné, il y a un émiettement de la procédure pénale, en raison notamment des procédures spéciales. Il y a donc non pas un, mais des codes de procédure pénale. La règle de droit commun devient presque exceptionnelle et dérogatoire par rapport à toutes les procédures spéciales ; c'est un problème. Je pourrais également évoquer l'émiettement du droit de l'exécution des peines, avec une forte juridictionnalisation. Je pense que l'on pourrait presque en faire un code à part.

Le garde des sceaux a dit qu'il était nécessaire de simplifier et de moderniser le code de procédure pénale. Je n'aime pas le terme de « simplification », que je trouve dangereux dans une société démocratique : quand on simplifie, on ampute, en s'exposant d'ailleurs à des condamnations par le Conseil constitutionnel ou la CEDH.

Je préfère donc parler de « rationalisation ». Outre la numérotation, que j'ai déjà évoquée, une véritable réflexion sur les principes directeurs de la procédure pénale s'impose.

Mais il est des questions plus fondamentales que je ne vois pas apparaître dans le discours du garde des sceaux, qui aborde exclusivement des aspects très techniques. Les questions de la juridictionnalisation de l'enquête et de la place du ministère public sont tout de même fondamentales.

La France s'était engagée à admettre le principe de la procédure qui est la plus communément admise dans d'autres pays : un ministère public agissant et un juge qui contrôle les actes d'enquête. Or nous n'y sommes pas encore. Le JLD n'est pas un juge à part entière ou une juridiction. Et puis, la question du ministère public, à la fois partie au procès et garant des libertés individuelles en tant que membre de l'autorité judiciaire au titre de l'article 66 de la Constitution, n'est pas réglée.

Dans son discours, le garde des sceaux parle de codification à droit constant, mais il n'évoque pas de véritables réformes structurelles de la procédure pénale.

Il est envisagé de permettre aux enquêteurs, sur autorisation du JLD, de procéder à de telles perquisitions de nuit. Une telle dérogation à une disposition classique du code de procédure pénale, l'article 59, me pose question. L'inviolabilité du domicile a tout de même été consacrée par la Révolution française. Elle a été reprise par le Conseil constitutionnel. Je pense qu'une telle mesure soulèverait un problème de constitutionnalité, voire de conventionnalité.

M. Henri Leroy. - Vos interventions rejoignent plusieurs travaux du Sénat, notamment nos stages d'immersion dans les tribunaux judiciaires, la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure, et les travaux menés à l'occasion du Beauvau de la sécurité. À tous les niveaux, tous ont évoqué l'inapplicabilité du code de procédure pénale, notamment lors de la première phase du procès pénal, l'enquête, dont découlent l'instruction et le jugement.

Vous l'avez dit très justement : de quelques centaines de grammes, le code de procédure pénale atteint presque un kilo et demi aujourd'hui. Le garde des sceaux, le ministre de l'intérieur, les magistrats du siège ou du parquet, les enquêteurs comme les avocats ont tous reconnu que le code de procédure pénale est aujourd'hui devenu illisible, notamment pour les enquêteurs. Cela a provoqué une énorme désaffection : dans les forces de sécurité, personne ne veut plus devenir officier de police judiciaire. Le Gouvernement a été contraint d'accorder le diplôme d'officier de police judiciaire à la sortie d'école, ce qui va considérablement dégrader la qualité des enquêtes, comme le dénonce l'intégralité des parquets. Le garde des sceaux a reconnu qu'il fallait complètement refondre le code de procédure pénale pour le rendre digeste.

Durant le Beauvau de la sécurité, plusieurs avocats nous ont fait part de leurs difficultés pour comprendre le travail des enquêteurs, défendre les victimes autant que les auteurs présumés. Que pensez-vous de la numérisation du code de procédure pénale ? Ne devrait-on pas proposer des schémas, comme il en existe pour les procès-verbaux d'auditions en flagrant délit ou en enquête préliminaire, sur le terrorisme ou la toxicomanie, et établir un chapelet de préimprimés en intégrant toutes les contraintes du code en fonction du type d'enquête, pour faciliter le cheminement des enquêteurs ? Aujourd'hui, compte tenu des contraintes, plus personne ne veut faire d'enquêtes, ce qui devient très préoccupant. Une évolution est nécessaire pour faciliter les enquêtes.

J'en discute souvent sur le terrain, dans les commissariats ou les gendarmeries : on attend des décideurs qu'ils facilitent la tâche, en intégrant toutes les contraintes et les obligations dans des préimprimés proposés pour les procès-verbaux de constatation, de mesure prise, de synthèse ou d'auditions, qui reprendraient l'ensemble des éléments incontournables pouvant entraîner une nullité.

Mme Haritini Matsopoulou. - Ces formalités ont été imposées par des contraintes européennes, en matière de garde à vue notamment, où les procédures existantes ont dû être alourdies. Il faut former les fonctionnaires de police, et rédiger des fascicules : j'ai participé à quelques formations de la police judiciaire et, pour faciliter leurs tâches, nous pourrions préciser les contraintes et les procédures à suivre en cas d'enquêtes de flagrance ou d'enquête préliminaire. Cependant, je ne crois pas utile que le code de procédure pénale s'adresse spécifiquement aux fonctionnaires de police, et leur explique ce qu'il faut faire.

Bien sûr, il faut simplifier : on peut mieux expliquer le point de départ des enquêtes de flagrance et des enquêtes préliminaires, préciser leurs conditions de mise en oeuvre, restructurer le chapitre du code qui leur est consacré, afin de donner davantage de visibilité aux fonctionnaires, qui sont parfois un peu perdus. Il faut donc réunir toutes les règles qui régissent les différents actes susceptibles d'être accomplis durant ces enquêtes, préciser les procédures communes susceptibles d'être appliquées dans le cadre de ces enquêtes, tout en expliquant les spécificités et les différences entre les deux enquêtes. Il faut également expliquer comment le code de procédure pénale détermine les éléments devant être contenus dans les procès-verbaux. On pourrait réécrire ces dispositifs, mais il faut surtout changer la présentation, rédiger plus clairement les conditions de déclenchement de chacune des enquêtes. Parfois, la police se perd en devant chercher dans le code : il faut insister sur le régime commun entre les deux enquêtes et sur le formalisme de la rédaction des procès-verbaux. Il y a d'assez nombreuses irrégularités, mais les services de police ont de la chance : compte tenu de la notion de « grief strict » adoptée actuellement par la jurisprudence de la chambre criminelle, ces irrégularités n'entraînent pas l'annulation des procédures.

Voilà ce que je vois dans l'immédiat : expliquer les particularités des deux cadres, mettre en évidence les règles communes et les conditions de déclenchement. Mais la procédure pénale n'a pas à expliquer les contraintes qui s'appliquent aux policiers : elle s'adresse à tous les citoyens. En revanche, la police doit renforcer ses formations, et peut faire rédiger des fascicules par des universitaires et des professionnels pour éclairer les fonctionnaires.

Mme Jocelyne Leblois-Happe. - Je ne pense pas que l'on puisse dire que le code de procédure pénale soit inapplicable, puisqu'il est appliqué, et qu'il y a peu d'annulations. C'est difficile, mais il est appliqué.

Concernant l'aide à la rédaction des procès-verbaux, il existe des logiciels d'application au sein de la police nationale, avec une sorte de prérédaction, les policiers n'ayant plus qu'à « remplir les blancs », si vous me permettez l'expression.

Enfin, il y a bien une demande d'allègement de la procédure de la part des services de police, notamment pour les affaires peu graves, qui ne concernent pas les atteintes aux personnes ou n'engendrent pas de dommages. Mais, juridiquement, c'est impossible : nous avons transposé deux directives européennes relatives au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales et au droit d'accès à un avocat, qui imposent l'ensemble des formalités prévues pour la garde à vue. La France a contribué à la négociation et à l'adoption de ces directives, et le droit européen s'impose à nous. Le droit d'informer un tiers ou le droit à la visite médicale sont imposés par le droit européen, de sorte qu'un allègement ne semble pas envisageable.

Mme Haritini Matsopoulou. - Le professeur Guinchard a mentionné le cas des violences intrafamiliales, pour lesquelles on accuse souvent la police de ne pas bien rédiger les plaintes, empêchant les poursuites. Dans certains commissariats, il y a des formulaires de plainte prérédigés, ce qui aide le travail des policiers.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Compte tenu de la fréquence des violations du secret de l'enquête et de l'instruction, certains se posent la question de la pertinence de son maintien. Faut-il réformer le principe du secret de l'enquête et de l'instruction ?

Mme Haritini Matsopoulou. - Nous n'affaiblissons pas le principe du secret de l'enquête, mais nous le renforçons. Les dispositions de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire ont même renforcé les sanctions de la violation du secret de l'enquête, qui sont devenues plus sévères que celles relatives à la violation du secret professionnel. La politique actuelle penche plutôt du côté d'un renforcement du secret de l'enquête, qui retient l'attention du garde des sceaux : il faut renforcer le secret de l'enquête, pour protéger non seulement l'efficacité des investigations, mais surtout le principe incontournable de la présomption d'innocence, qui règne sur la procédure pénale.

M. Sébastien Pellé. - Un mot en complément : le secret de l'enquête est une question de principe. Il s'agit bien évidemment d'une caractéristique essentielle de la procédure inquisitoire, à l'origine de notre enquête et de notre instruction, mais ces phases de la procédure se colorent de plus en plus de principes accusatoires, ce qui pose la question de la faisabilité du maintien du secret de l'enquête. Par son évolution, notre société exige une communication, y compris pendant la phase d'enquête, ce qui pose des difficultés sur les éléments pouvant être ou non transmis. Il y a là une vraie question de principe à trancher, une véritable évolution sur une mixité des modèles de procédures, qui pénètrent de plus en plus la phase préparatoire du procès.

Concernant l'accroissement du formalisme, je rejoins mes collègues. Lors d'un observatoire de la garde à vue que j'avais monté à l'occasion du début du processus de sa réforme en 2011, des enquêteurs me disaient, au moment de la transposition de la directive relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, que la garde à vue devenait de plus en plus un temps de formalisme procédural, plus de la moitié du temps étant consacré à la rédaction de procès-verbaux.

Il y a un effet de cliquet : on ne peut plus revenir sur certaines contraintes supralégislatives. Une des difficultés sur le terrain, d'un point de vue pratique, tient au manque d'anticipation des réformes, qui ont été adaptées dans l'urgence et insérées dans le code sans grande réflexion. La partie relative à la garde à vue et à l'audition libre est effectivement peu lisible, y compris pour les spécialistes. Un véritable effort de simplification est à faire.

L'objectif d'une réforme serait de ne pas suivre les contraintes supralégislatives, mais de poser des questions de principe, pour anticiper une mise en conformité supérieure concernant par exemple des questions relatives à l'accès au dossier, au rôle de l'avocat, passif ou actif pendant la garde à vue ou l'audition libre, à sa place pendant les perquisitions ou les saisies, ou encore à un contrôle de la nécessité de la garde à vue, en écrivant clairement dans le code la distinction entre audition libre et garde à vue. Suivre au fur et à mesure les contraintes législatives complique considérablement l'intelligibilité du code...

M. François-Noël Buffet, président. - Le professeur Guinchard disait qu'il faut en finir avec l'éclatement des procédures pénales, les juridictions spécialisées ayant leur propre autonomie de procédures. Monsieur Saint-Pau, vous parliez de déspécialisation de la procédure. Ces deux expressions sont-elles synonymes ?

Êtes-vous d'accord pour dire qu'afin de réaliser cette déspécialisation des procédures, il faudra un cadre général, et ensuite un cadre spécifique en fonction de l'infraction poursuivie ?

M. Jean-Christophe Saint-Pau. - J'ai voulu indiquer qu'il y avait trop de procédures spéciales. Du point de vue de l'accès au droit, un seul texte suffirait. Par exemple, pour les gardes à vue, les délais peuvent être de 24 heures, de 48 heures ou de 72 heures, et si l'on n'est pas averti, on ne sait pas où trouver les bonnes dispositions du code. Je ne dis pas qu'il ne faut pas de procédures spéciales : on comprend bien, par exemple en matière de terrorisme, le besoin de procédures spécifiques. Mais il y en a trop : quantitativement, le livre IV du code est devenu plus important que la partie générale du code. Ce déséquilibre ne va pas.

M. Serge Guinchard. - Il faut y rajouter les livres V et VI, qui peuvent induire des risques d'erreurs de qualification des procédures et des erreurs de techniques juridiques.

M. François-Noël Buffet, président. - Je crois comprendre que vous émettez des doutes sur la modification à droit constant du code de procédure pénale 

En clair, cela ne peut pas fonctionner. Les constats sont déjà établis : soit l'on va jusqu'au bout des choses, et l'on on se donne le temps de réformer et de légiférer correctement, soit l'on prend des mesures cosmétiques qui ne suffiront pas, et il sera nécessaire de faire ensuite des changements de fond. C'est l'une des principales difficultés dans notre appréhension de ce texte.

Nous serons amenés à nous revoir, une fois le texte déposé. Je vous remercie de votre présence et de vos propos, qui à la fois nous rassurent et nous inquiètent. Je ne parle pas de la numérisation de la justice, qui est l'un des axes d'investissement de la commission et de notre co-rapporteur sur le crédits de la Mission Justice, Dominique Vérien. Nous en sommes un peu à la préhistoire...

Mme Haritini Matsopoulou. - En tous les cas, l'avant-projet rend la procédure pénale encore plus complexe.

La réunion est close à 12 h 35.