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Table des matières



Dépôt d'un rapport

Fiscalité numérique neutre et équitable (Suite)

Discussion générale (Suite)

M. David Assouline

M. Michel Teston

M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique

Renvoi en commission

M. François Fortassin, en remplacement de M. Yvon Collin, rapporteur de la commission des finances

M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi

Protection pénale des forces de sécurité et usage des armes à feu

Discussion générale

M. Louis Nègre, auteur de la proposition de loi

Mme Virginie Klès, rapporteure de la commission des lois

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur

M. Pierre Charon

Mme Éliane Assassi

M. Vincent Capo-Canellas

M. François Fortassin

M. André Gattolin

M. Philippe Kaltenbach

M. Manuel Valls, ministre

Discussion des articles

Article premier

Article 2

Création d'une mission d'information

Industrie pharmaceutique (Questions cribles)

M. François Fortassin

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

M. Alain Milon

M. Joël Guerriau

M. Jean-Jacques Mirassou

Mme Laurence Cohen

Mme Isabelle Pasquet

Mme Aline Archimbaud

Mme Catherine Procaccia

M. Jean-Luc Fichet

M. Philippe Darniche

Mariage de personnes du même sexe

Rappel au Règlement

M. François Zocchetto

Discussion générale

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois

Mme Cécile Cukierman

M. François Zocchetto

M. Jean-Michel Baylet

Mme Esther Benbassa

M. Philippe Darniche

M. Patrice Gélard

Mme Nicole Bonnefoy

Mme Catherine Tasca

Mme Isabelle Pasquet

M. Michel Mercier

M. Robert Hue

Ordre du jour

Motion référendaire

Rappel au Règlement

Mme Isabelle Debré

Mariage de personnes du même sexe (Suite)

Discussion générale (Suite)

M. Charles Revet

M. Yves Daudigny

M. Hervé Maurey

M. Alain Milon

M. Serge Larcher

Mme Chantal Jouanno

M. Abdourahamane Soilihi

Mme Virginie Klès

M. Jean-Pierre Leleux

M. Philippe Kaltenbach

M. Alain Gournac

M. Roger Madec

M. Gérard Bailly

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Claude Dilain

M. Jean-Pierre Godefroy

M. Jean-Étienne Antoinette

M. David Assouline

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux




SÉANCE

du jeudi 4 avril 2013

81e séance de la session ordinaire 2012-2013

présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président

Secrétaires : M. Jean Desessard, M. François Fortassin.

La séance est ouverte à 9 h 5.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Dépôt d'un rapport

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. Jacques Mézard un rapport fait au nom de la commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, créée le 3 octobre 2012 à l'initiative du groupe du RDSE, en application de l'article 6 bis du Règlement.

Ce dépôt a été publié au Journal officiel, édition « Lois et Décrets », de ce jour. Cette publication a constitué, conformément au paragraphe III du chapitre V de l'instruction générale du bureau, le point de départ du délai de six jours nets pendant lequel la demande de constitution du Sénat en comité secret peut être formulée.

Ce rapport sera publié sous le n° 480, le 10 avril 2013, sauf si le Sénat, constitué en comité secret, décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie de ce rapport.

Fiscalité numérique neutre et équitable (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite de la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable. Je vous rappelle que nous avons interrompu l'examen de ce texte le 31 janvier dernier.

Discussion générale (Suite)

M. David Assouline .  - Cette proposition de loi soulève des questions majeures. Le débat n'est pas que technique : nous sommes au coeur de la problématique de la régulation. L'économie numérique est partout, le chiffre d'affaires des Google, Apple, Facebook, Amazon (Gafa) s'élève en France à près de 3 milliards d'euros.

Une fiscalité neutre et équitable s'avère donc cruciale. Il s'agit de redistribuer de la richesse, notamment aux acteurs de la culture, pour favoriser l'innovation et la création culturelle, d'autant que les acteurs culturels tirent leurs ressources de taxes affectées. Or le secteur de l'économie numérique échappe à l'impôt depuis trop longtemps. Les marchés du livre et de la musique sont en difficulté depuis de nombreuses années, tandis que l'édition et la distribution des oeuvres audiovisuelles ont d'importants besoins de financement. S'il faut être connecté pour des transactions dématérialisées, l'impôt sur les sociétés et la TVA sont, eux, déconnectés du pays de consommation.

Certains groupes de presse se sont alliés pour demander une taxe sur ceux qui captent leurs productions ; les Allemands ont adopté une telle taxe. Depuis, des réunions intergouvernementales ont eu lieu et Google s'inquiète... Il faut un cadre restreint du commerce en ligne et dépasser le cadre national. En matière de culture et de communication il faudra agir global.

Cette proposition de loi ne voit pas assez loin ni assez large. Il y est question d'une taxe sectorielle sur la publicité en ligne et le commerce électronique sur le territoire national. Mais nous avons besoin de mesures adaptées à chaque domaine, il faut cibler pour être efficace. Tous les secteurs de la culture sont touchés, l'approche de cette proposition de loi est trop générale.

Le rapport Colin-Collin trace des perspectives intéressantes ; il est trop tôt pour se doter d'un arsenal fiscal tel que celui que propose la proposition de loi, qui plus est difficilement opérationnel et à la compatibilité douteuse avec le droit européen. Un meilleur fléchage des rentrées fiscales est nécessaire - avec ce texte, le produit des taxes serait versé au budget général de l'État ou aux collectivités locales, sans que de nouvelles ressources ailent aux industries culturelles. Il faut un acte II de l'exception culturelle, qui doit être maintenue et défendue, il en va de la survie d'une création plurielle dans le monde. Il faut une manne financière doit la soutenir.

Attendons les conclusions de la commission présidée par Pierre Lescure. Il est indispensable de faire participer les géants d'internet, qui captent tout sans rien créer ; les créateurs doivent être protégés. Cette proposition de loi a eu le mérite de provoquer le débat et de rappeler que le Sénat est toujours attentif à ces questions. (M. André Gattolin applaudit)

M. Philippe Marini.  - Merci.

M. Michel Teston .  - Cette proposition de loi a le mérite de rappeler la nécessité de l'équité fiscale, alors que les grands groupes de l'internet ne payent pas l'impôt sur les sociétés en France parce qu'ils sont installés en Irlande ou au Luxembourg. Les entreprises savent tirer le meilleur parti des systèmes fiscaux...

Ce texte vise à l'instauration d'une taxe sur la publicité en ligne et les services de commerce électronique assortie d'une obligation de déclaration d'activité. Assujettir les sites internet installés à l'étranger à la fiscalité permettrait d'augmenter les recettes fiscales en cette période de crise et de faire face à des investissements essentiels tels que ceux prévus par la feuille de route du Gouvernement pour la couverture du pays en THD. Il s'agit à la fois d'équité fiscale et de marges financières à redonner à l'action publique.

Cependant, d'autres solutions que celles préconisées par M. Marini existent, fondées notamment sur la collecte et l'exploitation des données personnelles. La motion de renvoi en commission paraît donc parfaitement adaptée pour préparer une réforme plus globale. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi .  - Cette discussion générale s'est déroulée en deux temps, puisque l'examen de ce texte n'avait pu être mené à terme le 31 janvier 2013. Depuis deux mois, que s'est-il passé ?

La commission des finances s'est efforcée de continuer à faire vivre le débat, avec l'audition le 20 février de M. Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE. Il nous a expliqué que le G20 avait donné mandat à l'OCDE pour définir un plan d'action pour lutter contre l'érosion des bases fiscales. Les grands groupes numériques présentent un bel exemple des difficultés qu'il y a à localiser les bénéfices taxables. La négociation d'une convention fiscale multilatérale sera sans doute plus rapide que l'élaboration d'un nouveau modèle de convention bilatérale suivie d'une renégociation des conventions bilatérales existantes. La France soutient une telle initiative avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne.

Je me suis employé aussi, puisque l'argument de l'eurocompatibilité de cette proposition de loi m'avait été opposé, à interroger les commissaires européens Barnier et Semeta sur deux points : l'existence ou non d'un motif d'intérêt général, en l'espèce le déséquilibre du marché de la publicité en ligne, pour justifier la désignation d'un représentant fiscal ; et la compatibilité de l'extension de la procédure simplifiée. MM. les commissaires m'ont répondu début avril. Le contenu de ce courrier, que je tiens à votre disposition, madame la ministre, est loin d'être aussi négatif que les arguments qui m'ont été opposés par le Gouvernement depuis des mois.

Il faut lire leur réponse comme un avis du Conseil d'État, à la fois en plein et en creux. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), disent-ils, examine l'existence d'un lien direct entre les restrictions apportées par des mesures nationales à l'exercice des libertés et le motif d'intérêt général invoqué pour les justifier. Les commissaires ne se prononcent pas sur l'existence de ce lien ; ils nous invitent contrario à la démontrer. Ce lien, c'est le déséquilibre fondamental du marché, caractérisé par la position dominante manifeste de certaines sociétés au détriment des autres en matière de publicité en ligne. À nous de plaider avec conviction que le lien direct est établi et que l'obligation de désignation d'un représentant fiscal s'impose. C'est en tout cas au Gouvernement de faire constater l'existence de ce lien de causalité. Les commissaires disent encore que la France pourrait établir son propre système de déclaration, le cas échéant dématérialisée.

Google fait l'objet de procédures devant le commissaire chargé de la concurrence pour entrave au droit de la concurrence et abus de position dominante. Il appartient à M. Almunia de décider s'il recherche un processus transactionnel ou s'il va au contentieux devant la CJUE. Le Gouvernement est-il favorable à la première ou à la deuxième solution ? Il y a place pour la conciliation, mais l'inconvénient d'une telle procédure est d'être moins transparente et de présenter des aspects peut-être dilatoires au bénéfice des groupes concernés.

J'espère que nous allons progresser, même si j'ai le sentiment que le Gouvernement n'a pas beaucoup avancé. MM. Colin et Collin nous ont livré un beau rapport, hautement philosophique, mais la fiscalité est loin de se situer à ces hauteurs, c'est une discipline pratique, une assiette, un taux, un système de recouvrement et des sanctions...

L'Allemagne a continué à avancer en adoptant en mars une loi établissant au profit des éditeurs de presse des droits voisins à ceux des droits d'auteur. Le lobby Google s'est déchaîné... La France a préféré un accord minima négocié entre les éditeurs et Google, signé sous les ors de l'Élysée en présence du président de la République... Mais il reste beaucoup de choses à clarifier, notamment le statut du fonds et son alimentation. Les 60 millions sont-ils de l'argent public ou de l'argent privé ? Est-ce un fusil à un coup ? Par rapport à une loi votée par le Parlement, comme en Allemagne, ce dispositif comporte des faiblesses et est moins transparent.

Vous allez sans doute évoquer la feuille de route, madame la ministre. Il va falloir arriver à un consensus des États de l'Union européenne sur la consolidation de l'impôt sur les sociétés - l'horizon est sans doute encore lointain. Vous avez sollicité l'avis du Conseil national du numérique, c'est bien, mais les professionnels - qui y siègent - sont rarement enthousiastes à l'idée de taxer leur propre secteur... Enfin, vous nous dites que la France exigera de ses partenaires le respect du calendrier sur le guichet TVA. C'est une bonne chose.

Vous me pardonnerez mon insistance. La loi de finances pour 2014 aura à traiter de très nombreux sujets. Avec la motion de renvoi, n'essaie-t-on pas d'enterrer la démarche initiée par cette proposition de loi ?

M. David Assouline.  - Depuis dix ans, vous n'avez rien fait !

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.  - Il y a dix ans, Google ne faisait pas de bénéfices !

M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi.  - Il y a dix ans, la situation était en effet tout autre. Le sujet se présente ici et maintenant. Je remercie toutefois les orateurs et serai attentif à votre réponse, madame la ministre. (Applaudissements à droite)

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique .  - Cette proposition de loi vient en amont d'une série d'initiatives gouvernementales. Ce sujet me tient à coeur. L'OCDE a présenté au G20 un plan d'action pour lutter contre l'évasion fiscale et l'érosion des bases fiscales ; M. Moscovici adhère à cette démarche. Le terrain avait été abandonné depuis dix ans. La France co-préside avec les États-Unis le groupe de travail sur la modernisation des règles de territorialité. Au sein de l'Union européenne, le Gouvernement a demandé à la Commission européenne de se pencher sur cette question et de proposer des mesures législatives concrètes. Ce sera fait d'ici l'été, les problématiques sont très complexes.

Le rapport Colin et Collin irrigue la réflexion en France mais aussi en Europe. Le Conseil numérique; désormais composé de membres venant de divers horizons, s'est saisi de cette question. La position du Gouvernement est claire : il faut rétablir l'égalité devant l'impôt, mais sans pénaliser l'économie numérique. Nous devons veiller à assurer l'équité entre les différents acteurs, quelle que soit leur nationalité. Plusieurs pistes fiscales sont envisagées, comme une taxe au clic ou une taxe sur la bande passante.

M. Domeizel a relevé à juste titre que la prospérité des entreprises du numérique reposait sur l'exploitation de contenus, notamment culturels, ou de données personnelles produits par d'autres. C'est la question de la répartition de la valeur qui est posée. Mais il ne faut pas stigmatiser l'économie numérique, secteur de croissance ; ses grands groupes ne sont pas les seuls à pratiquer l'optimisation fiscale.

M. Philippe Marini.  - Personne ne dit le contraire !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée.  - L'exploitation des contenus culturels n'est qu'un aspect du problème.

M. Rome a rappelé la nécessité de remédier à la fracture numérique et de déployer le THD. Le président de la République a lancé le 20 mars un chantier de 20 milliards d'euros sur dix ans. Le Gouvernement engage des dépenses d'avenir, il a une politique et une vision.

M. Arthuis a relevé la responsabilité de l'Union européenne en matière de sous-fiscalisation des entreprises du numérique ; l'Europe doit reprendre l'initiative. L'échéance TVA du 1er janvier 2015 doit absolument être tenue. L'impôt sur les sociétés devra être traité ensuite sur un modèle similaire.

Le représentant fiscal sera difficile à mettre en oeuvre, même si la question de l'égalité devant l'impôt pourrait justifier une telle obligation.

M. Philippe Marini.  - Ce n'est pas une si mauvaise idée que cela !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée.  - Il faut mettre bon ordre à certaines pratiques en Europe. Vous pouvez compter sur moi pour poursuivre le combat. J'ai été un peu vexée par vos propos, monsieur Marini, il n'est pas question pour moi de mettre quoi que ce soit sous le tapis ; je suis très engagée dans ce chantier, que j'ai contribué à mettre à l'ordre du jour des négociations internationales.

Sur l'abus de position dominante, la situation actuelle n'est pas satisfaisante. La procédure contentieuse sera plus longue que la voie transactionnelle, mais nous devons nous placer sur le plan des principes.

M. Philippe Marini.  - Très bien !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée.  - J'ai lu attentivement le texte adopté en Allemagne ; il sera très difficile à mettre en oeuvre et ses modalités d'application devront être négociées de gré à gré avec les groupes. Je ne suis pas certaine qu'il sera très protecteur pour le secteur de la presse. Pour l'instant, nous avons obtenu des espèces sonnantes et trébuchantes, pas l'Allemagne. Le fonds issu de l'accord est privé et ne se substitue pas aux aides d'État. Il aidera les entreprises de presse à moderniser leur modèle économique. Tout cela est concret, la négociation sur les modalités d'allocation du fonds et les cahiers des charges est déjà en cours.

Je remercie M. Marini pour cette proposition de loi qui a permis de faire avancer le débat, mais le Gouvernement soutient la motion de renvoi, en attendant que le chantier progresse. Le sujet est complexe, technique ; attendons la prochaine loi de finances pour le traiter efficacement. (Applaudissements à gauche)

La discussion générale est close.

Renvoi en commission

M. le président.  - Motion n°1, présentée par M. Collin, au nom de la commission des finances.

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des finances, la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable (n° 682 rect., 2011-2012).

M. François Fortassin, en remplacement de M. Yvon Collin, rapporteur de la commission des finances .  - Je vous prie d'excuser l'absence de M. Collin. Cette motion a été adoptée à l'unanimité par la commission des finances mais aussi par les trois commissions saisies pour avis.

La discussion générale a montré que ce texte pose de bonnes questions. La mission d'expertise Collin-Colin a confirmé le diagnostic posé. Je suis convaincu qu'il faut agir, et rapidement ; le Parlement, le Gouvernement, l'OCDE, le G20 le sont aussi. La commission des finances a d'ailleurs auditionné M. Pascal Saint-Amans sur le plan d'action qui sera prochainement présenté au G20.

Le Gouvernement n'a pas été inactif depuis le 31 janvier. Il a présenté une feuille de route qui prévoit de rétablir notre souveraineté fiscale, plaide pour la mise en place d'une assiette consolidée de l'impôt sur les sociétés et un guichet unique. Le Conseil du numérique poursuit de son côté la réflexion.

Un mot plus personnel sur le financement du THD... Les opérateurs n'investissent que là où la rentabilité est assurée - tout le contraire de la péréquation. Le Gouvernement prévoit 20 milliards d'investissement, mais le compte n'y est pas. Souvenons-nous de l'après-guerre et de la taxe qui a permis d'électrifier tout le territoire... Pourquoi ne pas instaurer un prélèvement sur les abonnements internet ou sur les opérateurs ?

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis.  - Ils ont déjà été taxés !

M. François Fortassin.  - Ils peuvent l'être encore au regard des bénéfices qu'ils réalisent ! Voulons-nous aménager le territoire, oui ou non ? Il faut trouver de l'argent.

M. Philippe Marini.  - Chez Google !

M. François Fortassin.  - Une politique de développement du numérique demande des moyens. La couverture intégrale du territoire est dans l'intérêt de tous, y compris des acteurs de l'économie numérique.

La feuille de route s'inscrit dans un temps long, plus long que celui de ce texte. Le renvoi en commission doit être voté, car il laisse au Parlement et à l'exécutif le temps d'étudier toutes les pistes. Présentée dans un esprit d'ouverture, la motion permettra à la proposition de loi de continuer de vivre et d'être réinscrite à l'ordre du jour le moment venu, pourquoi pas concomitamment avec un éventuel projet de loi. (Applaudissements à gauche)

M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi .  - Je remercie M. Fortassin et Mme la ministre des fleurs sous lesquelles ils ont bien voulu ensevelir cette modeste proposition de loi. Il y a deux mois, j'étais d'avis de voter le renvoi en commission. À présent, comme je l'ai dit, cette motion me semble décalée par rapport à l'évolution du dossier. Si nous examinions et adoptions la proposition de loi, ce ne serait certes qu'une piqûre d'épingle mineure, qui n'entamerait guère la carapace des grands groupes qui exercent une position dominante sur le net, mais ce serait un signal, une avancée en termes de communication. Je serais prêt à modifier et simplifier la proposition de loi en supprimant l'article créant une taxation sur les services commerciaux en ligne. Il serait bon d'en revenir à une modeste taxation des régies de publicité en ligne, car c'est bien là le coeur du modèle économique du secteur. Les spécialistes de l'audiovisuel savent que la baisse tendancielle du marché publicitaire pose des problèmes de financement et de concurrence à toutes les chaînes. Cette hémorragie trouve sa source dans le développement du numérique. L'adoption d'un modeste texte au Sénat, la mise en route d'une navette ne seraient pas de nature à compromettre les études et les efforts que souhaite entamer le Gouvernement. Ce serait surtout un moyen de dialoguer avec la Commission européenne. Je regrette que Mme la ministre ait jugé que le terrain avait été « abandonné » par les gouvernements précédents. Ils n'étaient pas parfaits, certes, celui-ci ne l'est pas non plus. Vous me connaissez : j'ai toujours exercé un devoir d'inventaire, au jour le jour, à l'égard de mes amis, ne serait-ce que pour leur rendre service. Il y a eu des idées, des principes du temps de Nicolas Sarkozy ; la mission Zelnik a été la première à plaider pour une fiscalité adaptée. Mais les intérêts économiques, les lobbies sont puissants et se font entendre. Mme la ministre l'a reconnu : ne soyons pas naïfs. Les États doivent faire leur chemin au milieu d'un paysage complexe.

Le groupe UMP a bien voulu s'associer à ma demande de rejet de la motion de renvoi en commission. Si le Sénat ne nous suit pas, la commission des finances poursuivra son travail. Nous reviendrons sur le sujet, nous serons exigeants en nous efforçant de dépasser les clivages politiques. (Applaudissements à droite)

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée.  - Avis favorable à la motion de renvoi.

A la demande du groupe socialiste, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 347
Nombre de suffrages exprimés 346
Majorité absolue des suffrages exprimés 174
Pour l'adoption 209
Contre 137

Le Sénat a adopté.

Protection pénale des forces de sécurité et usage des armes à feu

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi visant à renforcer la protection pénale des forces de sécurité et l'usage des armes à feu.

Discussion générale

M. Louis Nègre, auteur de la proposition de loi .  - Pourquoi cette proposition de loi ? Le rôle, le devoir et l'honneur du politique est de traiter les problèmes qui préoccupent la société. Il y a un malaise au sein des forces de l'ordre, et un ressenti du même ordre chez la population. La mission Guyomar fait ce constat et insiste sur un besoin de protection plus efficace. L'attente des forces de l'ordre est légitime, dit Mme Klès. Nos collègues de l'Assemblée nationale ont examiné en 2012 une proposition de loi Ciotti sur le même sujet.

La population aussi demande une protection renforcée pour les forces de l'ordre et une sanction plus forte des actes violents à leur encontre. Le sentiment populaire sur la question de la légitime défense est en contradiction avec les interprétations judiciaires, nationales et européennes : c'est un vrai problème de société.

Notre philosophie est à l'opposée de la vôtre. « On ne répond pas à la violence par la violence », dites-vous. C'est stigmatiser les forces de l'ordre, se comporter comme la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui parle de « force meurtrière » des forces de l'ordre. Nous parlons, nous, de légitime défense.

Sauf à confondre le bien et le mal, sauf à faire fi de toutes les valeurs qui fondent la société, on ne peut mettre sur le même pied ces deux cas de figure. Nous ne sommes pas au Far West, nous n'avons pas besoin de cow-boys, mais cette philosophie rousseauiste opposée à des malfaiteurs sans foi ni loi n'est pas admissible. L'uniforme ne protège plus, il devient une cible. Notre pays marche sur la tête. Il faut nous adapter à cette situation nouvelle. Le contrat social vole en éclat à cause d'une infime minorité. Nous sommes indignés. Nous souhaitons que cette indignation soit partagée sur tous les bancs, que l'on fasse un geste envers les forces de l'ordre qui n'ont pas à payer un aussi lourd tribut aux voyous.

Notre rapporteur reconnaît l'augmentation de la violence dans notre société. En juin 2012, deux femmes gendarmes ont été abattues ; elles étaient armées, ce sont elles qui sont mortes. Le 16 mai 2012, dans ma ville de Cagnes-sur-Mer, un malfaiteur, multirécidiviste, a tenté de s'emparer de l'arme d'une policière. On a évité le pire, de justesse. En octobre 2012, un capitaine est tué par une voiture qui a foncé sur lui : venu à ses obsèques, vous aviez vous-même qualifié cette mort d'insupportable, monsieur le ministre. La semaine dernière, suite à un vol à main armée, les gendarmes se sont retrouvés braqués par les malfaiteurs. Ils n'ont pas tiré. Que se serait-il passé si ces malfaiteurs avaient ouvert le feu ? Les gendarmes ne seraient plus là... D'autres affaires, à Chambéry, en Corse ou ailleurs, confirment cette situation intenable.

Le droit est interprété par la jurisprudence de telle sorte que les forces de l'ordre n'osent pas utiliser leurs armes, y compris dans une situation de légitime défense ! Tout cela à cause des conséquences judiciaires, administratives, financières de l'emploi de leur arme. Les forces de l'ordre ont le sentiment, comme la population, qu'ils ont moins de droits que les malfaiteurs qui les agressent. C'est un problème moral, alors que nous sommes dans une situation amorale. Le bon peuple constate que les policiers meurent, pas les malfaiteurs. Cela heurte le bon sens. D'où notre proposition de loi pour mieux protéger les forces de l'ordre afin de leur donner les moyens d'agir appropriés pour tenir compte de la violence et de la dangerosité des malfaiteurs d'aujourd'hui, qui ne sont plus ceux d'hier ! Nous devons agir pour ces hommes et ces femmes qui risquent leur vie tous les jours. Soit nous allons nous retrouver avec une multiplication de blessés et de morts au sein des forces de l'ordre, soit celles-ci se verront incitées, comme l'a fait un directeur départemental à « s'abstenir de toute poursuite des véhicules utilisés ; aborder la scène du crime seulement après être assuré du départ des malfaiteurs ; s'abstenir d'intervenir en se tenant sur un poste d'observation ».

Peut-on s'en étonner ? Il ne cherchait qu'à protéger ses hommes !

L'interprétation du droit par la jurisprudence, CEDH ou chambre criminelle de la Cour de cassation, pose un vrai problème. L'arrêt Ülüfer contre Turquie de juin 2012 définit un cadre légal très restrictif de l'usage des armes par nos forces de l'ordre, police ou gendarmerie. La mission Guyomar confirme que c'est bien la jurisprudence - pas le législateur - qui a imposé un sens restrictif. Nous, élus, nous avons des comptes à rendre au peuple. Les critères jurisprudentiels priment désormais sur le cadre légal. La CEDH pose la condition « d'absolue nécessité », interprétée de façon de plus en plus restrictive. Devant la prééminence du respect de la vie humaine, nous ne pouvons que nous incliner. Mais doit-on pour autant voir nos forces de l'ordre sacrifiées ? Le recours à la force meurtrière doit être « absolument nécessaire », dit la Cour de cassation, en imposant là encore une interprétation ultra-restrictive. Bref, la jurisprudence a vidé le cadre légal de toute efficacité juridique. La messe est dite. N'y a-t-il pas une présomption de culpabilité à l'égard du policier et du gendarme ? Le statu quo n'est pas admissible. Aucune des 27 propositions de la mission Guyomar n'a été mise en oeuvre. Les Français ne comprennent pas cette inaction. En attendant que le Gouvernement se manifeste, nous, nous avons décidé d'agir. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Virginie Klès, rapporteure de la commission des lois .  - Permettez-moi d'abord de rectifier quelques points. La protection des policiers et des gendarmes que je demande n'est pas pénale mais fonctionnelle. Je sais que le ministère travaille avec les syndicats pour améliorer la protection fonctionnelle des policiers. Leur protection pénale nous semble suffisante. J'ai dit qu'en réponse à la violence, pour le retour de l'autorité, il faut des réponses, parfois fermes, intransigeantes, mais pas irréfléchies ou violentes. L'exposé des motifs de la proposition de loi a fait bondir beaucoup de collègues, y compris au sein du groupe des auteurs de la proposition de loi : on ne peut affirmer que les délinquants sont mis sur le même pied que les forces de l'ordre ! Au lieu de chercher à gagner les élections, lisez donc le code pénal !

M. Louis Nègre.  - Vous vivez dans votre bulle !

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - En aucun cas, des citoyens qui se rebellent contre les forces de l'ordre ne peuvent être considérés comme étant en légitime défense. Le laisser croire, c'est dangereux !

M. Louis Nègre.  - Ce qui est dangereux, c'est la mort !

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - Parlons-en ! Je déteste que l'on utilise des drames pour gagner des élections ! Dans ma commune, j'ai eu trois morts dans les forces de l'ordre : je sais donc de quoi je parle. Avec ce texte, vous ne cherchez qu'à gagner des élections en répandant des idées fausses.

M. Louis Nègre.  - C'est vous qui cherchez à gagner les élections, pas nous !

M. Philippe Marini.  - Nous voulons tous gagner les élections.

M. Gérard Longuet.  - Ce n'est pas déshonorant !

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - Les gendarmes en question intervenaient dans une famille qu'ils connaissaient et ne se sont pas assez protégés...

M. Louis Nègre.  - Bref, s'ils se font tuer, c'est leur faute !

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Gérard Longuet.  - Un peu quand même !

Mme Virginie Klès.  - Ce n'est pas parce que je ne suis pas d'accord avec vous et que je suis une femme, que vous devez m'interrompre sans cesse. Respectez donc la position de la commission que je représente.

Ce serait un déshonneur que de tenter de faire croire que nos forces de l'ordre sont mal protégées par le code pénal.

Ne vous en déplaise, le nombre d'opérations au cours desquelles il y a des tirs augmente légèrement. Il y en a moins chez les gendarmes que chez les policiers. Avant de sortir son arme, tout homme, toute femme hésite : il ne le fait qu'en cas d'absolue nécessité. Le nombre de condamnations, malgré un examen systématique, est infime. Le sentiment d'insécurité, c'est vous qui le créez ! Nous sommes dans un État de droit où la vie des citoyens est protégée, y compris celle des forces de l'ordre. L'irresponsabilité pénale des agents de la force publique qui font usage de leur arme est régulièrement affirmée par la jurisprudence. L'absolue nécessité et la légitime défense est établie dès lors que la personne peut légitimement se sentir menacée. La simultanéité, la proportionnalité sont prises en compte.

Pourquoi cette différence entre policiers et gendarmes ? Elle existe : les gendarmes sont encore des militaires, ils ont accès à la formation des militaires, au tutorat - ce qui n'est pas le cas des policiers nationaux. Ceci étant, l'usage de l'arme par un gendarme est aussi subordonné au critère de l'absolue nécessité. Tirer son arme de son étui est un acte grave, il faut le rappeler. Il importe de dire que la société, le Gouvernement, la justice sont aux côtés de ces hommes et de ces femmes pour leur dire : vous avez eu raison, vous avez bien fait, au lieu de faire croire que l'on protégerait les délinquants !

Voilà pourquoi je ne pense pas qu'il faille rompre l'équilibre entre le droit de tuer accordé aux forces de l'ordre et le droit de vivre, inscrit dans notre Constitution. L'arrêt Ülüfer-Turquie du 5 juin 2012 ne dit pas autre chose. Ne faisons pas semblant d'ouvrir aux policiers un nouveau droit à faire usage de leur arme. Peut-être y a-t-il lieu de revoir l'article 2338-3 du code de la défense pour les gendarmes pour réduire leur droit à tirer. Je ne suis pas sûre que cela s'impose, mais la question a été posée au cours des auditions. Je ne crois pas non plus qu'il faille renforcer la présomption d'innocence : ce serait instaurer une présomption de culpabilité dans un domaine qui ne relève pas du contraventionnel. Créer une présomption de légitime défense ès qualité risquerait de rendre les juges un peu plus circonspects. Un policier est censé maîtriser les situations de stress, être formé à moins faire usage de son arme. Aujourd'hui, le juge estime que le policier a le droit d'avoir exactement les mêmes réflexes qu'un citoyen normal... Les policiers sont formés au maniement des armes mais pas à leur usage. Il est plus protecteur pour eux d'être traités comme n'importe quel citoyen, cher collègue !

Oui, nous avons le devoir de protéger les forces de l'ordre et de lutter contre la délinquance, mais ne levons pas les uns contre les autres, la justice contre les forces de l'ordre. Même à gauche, même une femme, peut souhaiter le retour de l'autorité. Mais cela ne se déclare pas à une tribune.

La mission Guyomar a cité les efforts à faire, et a clairement exclu ce que vous proposez dans votre texte ! Les efforts doivent porter sur la formation, sur le premier poste, le plus souvent difficile. Le premier acte administratif d'un policier est le plus souvent celui de sa demande de mutation, en raison de la difficulté de son premier poste. Prenons exemple sur la gendarmerie nationale en la matière. Il faut des efforts de communication, de respect des institutions. Cessons de stigmatiser les uns et les autres - certains ont accusé, en fonction de la nature des manifestants, les policiers de violence ! Un peu de cohérence...

M. Philippe Marini.  - Êtes-vous vraiment bien placés pour faire la morale ? (Exclamations à gauche)

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - Je le crois. En matière de respect des institutions, vous ne me prendrez jamais en défaut !

M. Gérard Longuet.  - Ce n'est pas une attaque personnelle mais une réflexion collective.

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - À laquelle je réponds !

M. Gérard Longuet.  - Personnellement, pas collectivement.

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - Je ne pense pas collectivement mais mon groupe n'a pas à rougir de son comportement.

C'est sans doute à l'autorité hiérarchique à prendre en main la communication, à restaurer la confiance avec les policiers sur le terrain.

Oui à la protection fonctionnelle, il faut des mesures de reclassement pendant l'enquête, la mission Guyomar a tracé plusieurs pistes. Le ministère y travaille avec les syndicats.

La commission a émis un avis défavorable à votre proposition de loi - avec des voix de votre groupe - car nous refusons d'opposer police et gendarmerie nationale, de stigmatiser la justice. L'équilibre est atteint, ne le rompons pas, ayons un vrai discours de confiance. Les forces de l'ordre qui se dévouent tant méritent autre chose que des invectives. (Applaudissements à gauche)

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur .  - Imposer l'ordre républicain en s'opposant aux individus qui le contestent, c'est la mission qui incombe aux policiers et aux gendarmes. Ils l'accomplissent avec le professionnalisme qui les caractérise. Cette mission n'est pas sans risque, en témoigne le nombre de celles et ceux qui sont tombés. Leurs noms sont notre fierté et il appartient à la République de les honorer.

En 2012, six policiers et gendarmes sont morts en mission. Le 6 février, nous avons, avec le Premier ministre, rendu un dernier hommage au capitaine Cyril Genest et au lieutenant Boris Voelckel, deux policiers de la BAC tués sur le périphérique parisien dans des circonstances d'une extrême gravité. Ce jour-là, toute la République était en deuil. Au-delà des chiffres, il y a la souffrance de la famille, des proches. Nous devons respecter ces souffrances, sans les exploiter.

Le sujet posé par cette proposition de loi est grave. Faire usage de son arme n'est pas anodin, c'est potentiellement ôter la vie et aucun policier ou gendarme ne peut aborder cette épreuve avec insouciance.

Tel est le fondement d'un État de droit : encadrer scrupuleusement le recours à la force légitime, en marquant bien la différence entre, d'un côté, les policiers et gendarmes, et, de l'autre, les voyous qui contestent l'autorité. La question de l'usage de l'arme est grave et ne peut être abordée dans l'émotion née de l'indicible et insupportable. Nous devons aborder cette question sereinement, ce qui n'est pas le cas d'une proposition de loi dont l'exposé des motifs affirme que la loi met « quasiment sur le même plan les malfaiteurs et les forces de l'ordre ». Qu'un législateur puisse écrire cela, c'est inconcevable, c'est stupéfiant ! Ce n'est pas parce que l'actualité est sur un autre sujet que l'on pourrait laisser passer de telles phrases. (Applaudissements à gauche)

Il faut une juste représentation du métier de policier. L'arme doit rester un ultime recours. Une intervention est réussie quand le policier a maîtrisé la situation, qu'il a neutralisé et interpellé le malfaiteur sans faire feu. Or cette proposition de loi centre tout sur l'usage de l'arme.

Une harmonisation des règles d'usage des armes n'est pas utile. Policiers et gendarmes sont dépositaires de l'autorité publique, tous portent une arme. Cette proposition de loi part d'une interprétation simpliste des textes les régissant, alors que la réalité est nuancée. Le Gouvernement s'est expliqué à l'Assemblée nationale sur ce point.

L'usage des armes par les forces de sécurité intérieure relève du principe général de la légitime défense tel qu'il est régi par l'article 122-5 du code pénal : l'auteur de violences ou d'un homicide volontaire est pénalement irresponsable lorsqu'il répond à une agression injuste, par une riposte immédiate, nécessaire et proportionnée. Ainsi, il ne peut être imputé aux policiers et aux gendarmes un usage illégal de la force dès lors qu'ils ont agi en état de légitime défense ou sous l'empire de la nécessité. En outre, l'article 431-3 du code pénal prévoit que les forces de l'ordre peuvent utiliser leurs armes pour dissiper un attroupement. En vertu du code de la défense, les gendarmes peuvent aussi utiliser leurs armes pour empêcher la fuite d'une personne ou d'un véhicule, après sommations faites à voix haute et s'il n'existe pas d'autres moyens.

Toutefois, la jurisprudence a largement tempéré cette différence apparente sur laquelle les auteurs de cette proposition de loi fondent leur raisonnement. La Cour européenne des droits de l'Homme et la chambre criminelle de la Cour de cassation estiment qu'il faut l'existence d'une « absolue nécessité », c'est-à-dire le respect du principe fondamental de proportionnalité.

L'unification qu'appelle cette proposition de loi a déjà eu lieu, avec la réunion au sein du ministère de l'intérieur des deux corps de la police nationale et de la gendarmerie nationale, l'harmonisation des terrains d'intervention en raison de l'urbanisation croissante, la proximité des missions de sécurité intérieure.

En outre, l'article premier de cette proposition de loi ouvre aux policiers un usage des armes plus large qu'à la gendarmerie dans certains domaines, moins large dans d'autres, alors que vous dites souhaiter unifier l'usage des armes.

Inutile, cette demande d'harmonisation des régimes n'est pas non plus opportune car la différence de régime qui subsiste est justifiée par le statut militaire des gendarmes et par la porosité, en Guyane par exemple, entre missions de maintien de l'ordre et missions militaires.

Ce texte entend créer une présomption de légitime défense afin de les encourager à aller plus loin dans l'usage des armes à feu. C'est une très mauvaise idée, que ce retournement de la charge de la preuve. C'est un piège vers lequel je refuse de conduire les policiers et les gendarmes dont j'ai la responsabilité. M. Guéant l'avait rejeté l'an dernier en y voyant un « permis de tuer ». Les forces de l'ordre sont entraînées au maniement des armes. Maintenir l'ordre et protéger nos concitoyens sans faire feu est leur fierté. C'est faire injure à leur professionnalisme que prévoir cette légitime défense a priori. Qui peut croire que cette disposition désarmerait les délinquants et rendrait plus sûr le métier des policiers et gendarmes ?

En revanche, avec ce texte, vous opposez la justice aux forces de l'ordre. Protéger davantage les policiers passe par l'usage de l'arme, semblez-vous estimer. C'est une idée simpliste. Les solutions sont ailleurs et le Gouvernement les met en oeuvre.

M. Nègre a raison de dire que les responsables politiques doivent traiter les questions qui préoccupent nos concitoyens. La question de la sécurité en est une, et c'est ma priorité de ministre de l'intérieur, comme c'était celle de mes prédécesseurs. Mais répondre à un tel sujet par ce type de proposition facilitant l'usage des armes n'est pas à la hauteur des enjeux.

Dans les affaires que vous avez évoquées, les gendarmes et les policiers étaient en légitime défense. Prétendre qu'ils n'ouvriraient pas le feu par peur de tracasseries judiciaires ou administratives n'est pas sérieux. Le sang-froid, le discernement des forces de l'ordre ne peuvent être ravalés au rang d'une faiblesse. Je n'oublie pas les policiers municipaux, qui font face à une contestation parfois virulente de leur autorité. Dès ma prise de fonction, j'ai voulu renforcer la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes, d'où la mission que j'ai confiée à M. Guyomar.

Mon ministère n'abandonne pas les policiers et les gendarmes. La protection que l'État doit à ses agents a été renforcée à ma demande. Les fonctionnaires doivent savoir que l'État sera toujours là pour les soutenir. Le rapport Guyomar a été remis en juillet dernier et ses propositions ont été mises en oeuvre. Les conjoints sont mieux protégés, y compris les concubins et les pacsés. La protection juridique des policiers et gendarmes est déjà une réalité. Le nombre de mesures de protection, pour les agents victimes, comme pour les agents mis en cause, a dépassé les 20 000 en 2012. Le droit à l'assistance juridique est désormais assuré dès la phase d'enquête administrative. Protéger les agents, c'est aussi éviter de précariser leur carrière lorsqu'ils sont mis en cause. La suspension préventive était devenue la règle ; désormais, le maintien en service sera privilégié.

Il faut aussi réfléchir à la façon de mieux réagir à la délinquance. La question est plus complexe que vous ne le semblez croire, monsieur Nègre. Lorsque vous étiez au pouvoir vous n'avez d'ailleurs jamais proposé un tel texte.

Les délinquants sont de plus en plus jeunes et utilisent des armes de guerre. Ce n'est pas le bilan de notre seul gouvernement et vous le savez bien, mais je ne m'attarderai pas à insister sur ces dix dernières années car le problème est plus large : l'autorité est contestée, qu'il s'agisse de la famille, de l'école, de la société. L'État doit incarner l'autorité, en repensant l'intervention des forces de l'ordre qui doivent être mieux équipées, mieux formées. Il est étonnant que cette proposition de loi vienne de la droite, qui, lorsqu'elle était au pouvoir, a supprimé plus de 10 000 postes de policiers et gendarmes. Les équipes sont réduites, les effectifs manquent sur le terrain.

Ainsi, un terme a été mis au non-remplacement des départs à la retraite. En outre, 500 policiers et gendarmes supplémentaires seront recrutés chaque année. En matière de formation, des assises ont été organisées au sein de la police nationale pour programmer la politique de demain. Des initiatives ont été prises pour la formation initiale et continue des policiers. Les policiers ont aussi besoin de moyens matériels pour l'accomplissement de leurs missions. Cela passe par des avancées technologiques comme la géo-localisation des véhicules ou les caméras embarquées qui permettent de dépêcher les effectifs nécessaires en renforts. Je pense aussi aux caméras-piétons qui contribueront au rétablissement du rapport de confiance avec la population, tout comme le retour du matricule ou le nouveau code de déontologie.

Il y a quelques jours, à Clermont-Ferrand, des policiers me disaient la difficulté de patrouiller dans certains quartiers. Je veux que les policiers soient respectés, ce qui implique une police respectueuse. Tout acte d'agression verbale ou physique doit être puni. Je serai demain à Amiens pour faire le point sur la zone de sécurité prioritaire. Tous ceux qui s'en sont pris aux forces de l'ordre ont été arrêtés et déférés. La mise en cause permanente de la justice affaiblit l'état de droit. Hier soir, à Aubervilliers et à Pantin, j'ai vu une coopération exemplaire entre la police, les douanes et la justice pour lutter contre les trafics. L'action coordonnée entre la police et la justice apporte ses premiers résultats à Amiens, à Grigny, à Marseille. Il faudra du temps, qui est parfois contraire à l'émotion.

Cette proposition de loi apporte une mauvaise réponse à une bonne question. Les violences contre les personnes augmentent depuis 30 ans et touchent d'abord les plus fragiles, notamment les femmes. Aujourd'hui se tient une convention de l'UMP sur la sécurité, qui s'attaquera sans doute à la garde des sceaux et au ministre de l'intérieur : c'est la nouvelle stratégie, je l'ai compris. (M. Roger Karoutchi le conteste) Mais cette proposition de loi ne doit pas être adoptée. (Applaudissements à gauche)

M. Pierre Charon .  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Cette proposition de loi s'inscrit dans un contexte d'hyper-violence, dont les acteurs sont de plus en plus lourdement armés. Les canifs des blousons noirs de jadis ont cédé la place aux Kalachnikov. Régulièrement, un policier ou un gendarme perd la vie face à ces délinquants. Ce sont les risques du métier, entend-on dire, mais notre respect doit être total. Chaque année, 10 000 policiers sont blessés, d'où cette proposition de loi, qui a une portée symbolique.

L'État de droit repose sur le monopole de la violence légitime, dit Max Weber. Il se fonde aussi sur le respect de liberté. Si l'on oublie un de ces deux socles, la société bascule. Soit la loi du plus fort, l'anarchie, soit le totalitarisme. Ce souci permet d'équilibrer cette proposition de loi. Les policiers voient leurs conditions de travail se détériorer chaque jour, il faut leur venir en aide, sans permettre bien sûr l'utilisation libre des armes à feu. Contrairement aux gendarmes et aux douaniers, les policiers ne sont autorisés à utiliser leur arme à feu qu'en réponse à une agression de même nature, ce qui est inadmissible.

Les policiers doivent pouvoir faire usage de leurs armes, sous réserve de limitation. Les forces de l'ordre doivent bénéficier de la présomption de légitime défense. Faut-il qu'un policier se fasse tirer dessus pour pouvoir tirer ?

Un exemple : un individu se fait tirer dessus par un policier à trois reprises, après l'avoir menacé d'un pistolet. Or une balle a frappé le délinquant dans le dos, ce qui exclut de facto la légitime défense. Il a suffi que cet individu menaçant se retourne une fraction de seconde. Les juges ont tout le temps de décortiquer cela mais comment le policier menacé aurait-il pu le faire en moins d'une seconde ?

Notre proposition de loi élargit le droit des policiers à utiliser leurs armes, afin d'inciter les délinquants à respecter, ou du moins à craindre, les policiers. Certains redoutent des violences policières. Pourtant, les gendarmes disposent déjà du droit que nous voulons étendre aux policiers sans qu'on ait constaté les dérives redoutées. Il n'y a aucune raison de ne pas faire confiance aux policiers, que je sache ! Ils ne sont pas des cow-boys, la France ne vit pas dans la terreur des violences policières !

Les conditions d'utilisation des armes par les policiers et les gendarmes doivent être harmonisées. Si 87 % des jeunes ont confiance dans l'armée et donc dans la gendarmerie, le taux est bien moindre pour la police. Il est de notre devoir d'améliorer l'image des gardiens de la paix.

Il ne s'agit pas de délivrer une licence pour tuer, mais de mettre fin à un soupçon permanent qui pèse sur la police. Ces hommes et femmes sont régulièrement insultés, méprisés. Qui peut nier que la violence et l'insécurité augmentent dans notre pays ? Peut-on refuser aux policiers le droit de se défendre ? En 2005, à Clichy, les policiers se sont réfugiés derrière des boucliers pour se défendre des tirs d'arme de chasse. Qui peut parler de cow-boys ?

Je souhaite que cette question ne soit pas enterrée. Si nous négligeons les protecteurs de la paix, nous risquons de la perdre. (Applaudissements à droite)

Mme Éliane Assassi .  - Quand le législateur réagit aux faits divers, il méconnaît les principes de notre société démocratique. Occupés à agiter le chiffon rouge de la délinquance, vous faites la part belle à l'extrême droite.

Il est curieux que nos collègues méconnaissent à tel point la jurisprudence. Le CRC s'oppose à cette proposition de loi (rires à droite), d'autant plus que ce sont les politiques menées par la droite qui ont largement contribué aux dérives de cette société violente.

Il faut guérir et non punir, éduquer et non combattre, accompagner et non isoler. La droite propose un texte inutile et dangereux qui méconnaît les principes constitutionnels et internationaux, notamment le droit à la vie. Le code de la défense fait référence à une « absolue nécessité », et le droit à la vie est reconnu par la Cour européenne des droits de l'Homme.

Les gendarmes ne bénéficient pas d'un régime plus permissif pour l'usage de leurs armes, ne vous en déplaise. Avec cette proposition de loi, vous induisez en erreur les forces de l'ordre et vous les fragilisez plus que vous ne les protégez. La violence génère la violence, pensons-nous, ce qui nous a conduits à présenter une proposition de loi contre l'utilisation d'armes de quatrième catégorie. Les forces de l'ordre ont un traitement plus protecteur que les citoyens. Il serait plus utile de respecter le droit à la vie, de renforcer la formation initiale et continue et de mieux gérer le stress. On ne doit pas faire croire à une impunité qui pourrait susciter une escalade de la violence. En outre, l'article 2 de ce texte est parfaitement inutile. Le doute profite au mis en examen, puisqu'il existe une incertitude de son infraction.

Enfin, il faut rompre avec la RGPP. Nous y voyons toute l'hypocrisie de l'UMP, qui a organisé la fonte des effectifs des forces de l'ordre et présente aujourd'hui cette proposition de loi. Le Gouvernement a recadré la politique du chiffre imposée par la droite. Le malaise est réel chez les forces de l'ordre, avec une cinquantaine de suicides par an.

Plus des trois quarts des personnes interrogées citent le chômage, la précarité et l'emploi en tête de leurs préoccupations. La violence que nous devons combattre est économique et sociale. Cette proposition de loi est dangereuse, le CRC votera contre. (Applaudissements à gauche)

M. Vincent Capo-Canellas .  - Cette proposition de loi est liée à plusieurs événements tragiques. En avril 2012, la condamnation d'un policier qui avait été menacé par un multirécidiviste avait indigné la profession. En 2012, plus de 11 000 policiers et gendarmes ont été blessés : on le sait, leur mission est très difficile à exercer.

Faut-il modifier l'utilisation des armes ? Oui. Cette proposition de loi est-elle suffisante ? Je n'en suis pas sûr.

Ce texte soulève des questions juridiques et pratiques, comme l'a reconnu le rapporteur UMP à l'Assemblée nationale. J'ai donc déposé un amendement de suppression de l'article 2, qui n'a pas d'utilité pratique.

L'article premier donne la possibilité aux policiers d'utiliser leurs armes quand ils sont menacés. C'est le cas pour les gendarmes. J'ai déposé un amendement pour rendre cet article conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l'Homme. L'absolue nécessité doit être impérative, tant pour les policiers que pour les gendarmes. Le rapprochement des deux forces de sécurité impose d'ailleurs une telle évolution.

Le texte applicable aux gendarmes ne devrait-il pas intégrer la jurisprudence qui s'est développée ? Il convient de poser le problème de fond et d'aboutir à des principes communs. Certes, la doctrine pour les gendarmes correspond à la mission militaire et il ne faut pas affaiblir leur situation. Reste qu'en cas de contrôle routier, si un véhicule ne s'arrête pas mais ne les menace pas, les gendarmes ne doivent pas tirer, même s'ils en ont théoriquement le droit.

Le groupe UDI-UC s'abstiendra, car de nombreuses questions restent sans réponse. Je voulais insister sur la demande très forte d'un renforcement de la protection juridique des policiers et gendarmes mais le ministre a donné des éléments très positifs en la matière ; je ne puis donc que souhaiter qu'il amplifie cet effort.

M. François Fortassin .  - La proposition de loi fait écho à des faits divers dramatiques où des membres des forces de l'ordre ont perdu la vie dans l'exercice de leurs fonctions. Ces tragédies suscitent à chaque fois une profonde émotion. Le sentiment prévaut, fondé ou non, que les policiers hésitent à riposter par crainte d'une bavure qui serait pénalement sanctionnée. Le précédent président de la République était friand de la mise en scène de réponses législatives hâtives, au risque d'alimenter un certain populisme pénal.

M. Jean-Louis Carrère.  - Très bien !

M. François Fortassin.  - Gardons-nous de sombrer dans l'émotionnel, d'autant que la jurisprudence est plutôt protectrice des policiers et gendarmes. Le rapprochement des conditions d'usage des armes à feu entre gendarmes et policiers ne me semble pas pertinent au regard de leurs spécificités respectives. Les premiers interviennent majoritairement en zone rurale, les seconds surtout en zone urbaine, ce qui suppose des modes d'intervention différents au regard de la densité de population. Qu'apporterait aux policiers le régime de la sommation, sinon, comme le relèvent certains syndicats de policiers, un risque supplémentaire alors que la légitime défense est possible sans sommation en cas de menace ? Élus de terrain, nous savons que nos commissariats et nos casernes manquent de moyens face à des criminels bien équipés et puissamment motorisés. Le problème de proportionnalité des équipements est illustré par l'utilisation banalisée des armes de guerre... Je sais que l'heure est à l'économie, mais nos agents ont besoin de moyens pour exercer sereinement leurs missions : assurer la sécurité de nos concitoyens.

Je me réjouis de voir que vous mettez en oeuvre les mesures préconisées par le rapporteur Guyomar sur la protection fonctionnelle.

Afin de ne pas rompre le subtil équilibre de la jurisprudence, le RDSE ne votera pas cette proposition de loi. L'élu de terrain que je suis a pu mesurer combien la majorité des policiers et gendarmes apprécient l'action du ministre de l'intérieur, (applaudissements sur les bancs socialistes) menée avec fermeté, mesure et humanisme. Vous êtes, monsieur le ministre, le plus sûr garant de l'ordre et des valeurs républicaines. Vous vous éloignez des laxistes comme des boutefeux qui ne rêvent que plaies et bosses. C'est un honneur et une fierté de vous apporter mon fidèle soutien ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. André Gattolin .  - Cette proposition de loi ne tient pas la route, faute d'avoir été suffisamment réfléchie. Certes, comment ne pas s'indigner que des policiers soient blessés ou tués ? Garants du respect de la loi et de la sécurité de tous, ils sont en première ligne des angoisses de la société, de ses déviances et de ses dérives.

Protéger ceux qui nous protègent est un devoir fondamental. Mais cette proposition de loi n'apporte qu'une réponse en trompe-l'oeil, une apparence de sécurité. Les délinquants n'ont pas peur des policiers ! Surtout, ils sont persuadés qu'ils ne se feront pas prendre ! Ne seront-il pas tentés de dégainer encore plus vite ? Attention à ne pas nourrir la surenchère. L'usage de l'arme par les policiers et les gendarmes est un dernier recours : les encourager à tirer plus tôt, plus vite, les expose à un risque juridique plus grand et de riposte plus élevé.

Qui dira aux policiers qu'ils sont dans leur droit quand la jurisprudence de la Cour de cassation et de la CEDH reste très restrictive ? Il est paradoxal de vouloir une égalité factice entre gendarmes et policiers. Le rapport de Mme Klès en montre bien les effets pervers. La présomption de légitime défense ne vaut pas : le port d'arme concerne aussi les convoyeurs de fonds ou les gardiens de prison ! Pourquoi seules deux catégories de porteurs d'armes seraient présumées être en état de légitime défense ? N'est-ce pas prendre le risque d'un usage accru de leurs armes, donc de bavures ou d'erreurs (exclamations sur les bancs UMP) face à des personnes présumées encore innocentes ?

Ce texte relève de la logique infernale de la réponse instantanée à l'actualité, du réflexe séculaire « oeil pou oeil, dent pour dent ». Pour protéger efficacement les forces de l'ordre, il faut une présence plus importante sur le terrain pour prévenir et dissuader. Le groupe écologiste votera évidement contre cette proposition de loi d'affichage et de communication politiques. Les gardiens de la paix et le respect du travail parlementaire méritent bien davantage. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Vincent Placé.  - Bravo !

M. Philippe Kaltenbach .  - Pour MM. Nègre et Charon, les règles encadrant l'usage des armes à feu par les forces de l'ordre seraient inadaptées. L'exposé des motifs est pour le moins déroutant : ces dix dernières années, le gouvernement de Nicolas Sarkozy a appliqué la politique du fait divers, à coup de réponses législatives de circonstance. Nous n'en voulons plus.

Mme Cécile Cukierman.  - Très bien !

M. Philippe Kaltenbach.  - Pas moins de quatre faits divers sont cités dans l'exposé des motifs, d'autres l'ont été à la tribune. Comme s'il était nécessaire d'en faire état pour prendre conscience de la dangerosité du métier de policier ou de gendarme... Propos qui ne démontrent rien, sinon la mauvaise foi des auteurs du texte, pour qui « il est inacceptable qu'aujourd'hui, en France, un policier doive avoir été blessé pour être juridiquement en mesure de riposter ». C'est méconnaître gravement le sujet. Rappelons plutôt les méfaits de la RGPP pour les policiers et les gendarmes, qui a conduit à réduire les exercices de tir et supprimé 11 000 postes. Depuis l'élection de François Hollande, nous nous employons à ce que les policiers et gendarmes soient plus nombreux, mieux formés, mieux équipés. Je salue les efforts du ministre de l'intérieur.

Cette proposition de loi fait écho à une proposition de loi UMP rejetée à l'Assemblée nationale le 6 décembre dernier. Un amendement des deux députés du Front national proposant une exception de légitime défense au profit des policiers et gendarmes y avait été refusé par les auteurs mêmes du texte. Vous l'intégrez à votre proposition de loi. Il y a des rapprochements révélateurs...

Le sujet mérite mieux qu'une proposition de loi démagogique. La présomption de légitime défense aurait l'effet inverse que celui que vous recherchez, Mme Klès l'a démontré. La jurisprudence européenne pose des exigences strictes ; elle s'impose à nous. Nous ne pouvons sortir du cadre jurisprudentiel. S'il y a alignement un jour, il se fera sans doute dans le sens opposé...

Enfin, cette proposition de loi est en décalage complet avec les conclusions de la mission Guyomar, qui préconise le statu quo en matière d'usage des armes et exclut la création d'un nouveau cas de présomption de légitime défense. Elle traite plutôt des armes intermédiaires, rejette l'idée d'un alignement d'un régime civil sur un régime militaire et fait des propositions pour renforcer la protection fonctionnelle, ce que demandent de longue date les organisations syndicales. Le Gouvernement a pris le dossier en main.

M. Charon n'a pas toujours tenu un discours aussi bienveillant envers les forces de l'ordre. Il y a une semaine, il mettait en cause le professionnalisme et la légitimité de l'intervention des forces de police, que vous accusiez de s'en prendre aux enfants ! (On renchérit à gauche) Peut-être notre collègue a-t-il une conception du maintien de l'ordre à géométrie variable, comme de l'indépendance de la justice d'ailleurs...

Ce texte va à l'encontre de toute la jurisprudence, du rapport Guyomar ; il créerait une grande insécurité juridique et ne répond pas aux attentes des policiers, comme les auditions l'ont montré. C'est un texte d'affichage dont les visées électoralistes ne trompent personne, un texte qui n'a pas vocation à être adopté. « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », écrivait Montesquieu. En l'espèce, ce texte est non seulement inutile mais néfaste. Le groupe socialiste votera contre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Pierre Charon.  - Vous direz cela au prochain enterrement de policier !

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - Être co-auteur d'une proposition de loi qui a reçu un avis négatif de la commission des lois ne vous autorise pas, monsieur Charon, à dénaturer des propos : jamais je n'ai entendu un commissaire exprimer un sentiment de méfiance à l'égard des policiers et gendarmes. S'il y a méfiance, c'était envers votre texte ! (Applaudissements à gauche)

M. Manuel Valls, ministre .  - « Vous verrez au prochain enterrement », ai-je entendu sur les bancs de la droite. Assister à des obsèques, c'est ce qu'il y a de plus difficile pour un ministre, pour un maire. J'ai vu Claude Guéant interpellé par la veuve du policier tué à Chambéry. L'exploitation de ces faits, de cette douleur, ne mérite-t-elle pas une autre attitude, une certaine hauteur de vue ? Les situations étaient toutes différentes dans les exemples que vous avez cités. Il y aura encore malheureusement des événements tragiques. Ce que les familles demandent, c'est une réponse judiciaire rapide et efficace. Les deux femmes gendarmes tuées dans des conditions abominables, le 17 juin dernier, étaient armées.

M. Louis Nègre.  - Je l'ai dit.

M. Manuel Valls, ministre.  - Aurait-il fallu un troisième gendarme ? Aurait-il fallu des hommes ? Ces femmes aguerries étaient armées, je le répète. À la justice d'être impitoyable envers ceux qui portent ainsi atteinte à l'autorité de l'État.

Je suis ouvert à toutes les solutions techniques, juridiques, financières, pour protéger les policiers et gendarmes. Mais jamais cette proposition n'a été avancée par les précédents ministres de l'intérieur ; le débat a surgi au cours de la campagne électorale. Face à des délinquants qui utilisent des armes de guerre, faut-il équiper les policiers des mêmes armes ? Attention à l'escalade !

La spécificité des terrains d'intervention de la gendarmerie justifie les différences, monsieur Capo-Canellas. En Guyane, nos gendarmes effectuent des opérations de guerre ! Deux d'entre eux ont été tués et deux autres blessés récemment.

M. Fortassin a soulevé la question des moyens humains - que j'ai maintenus malgré les contraintes budgétaires - et celle de la dangerosité des armes issues des trafics employées contre les forces de l'ordre. Nous sommes engagés dans une stratégie déterminée de démantèlement des trafics de stupéfiants et d'armes qui vont souvent ensemble.

Monsieur Gattolin, nous partageons les mêmes exigences. Nous avons trop de respect pour nos policiers et gendarmes pour nous satisfaire d'une telle proposition de loi. J'ai fait un autre choix, celui de la sécurisation des interventions par la formation, l'encadrement, la restauration de la confiance que nous devons aux forces de l'ordre. Je ne leur demande pas que des chiffres, mais d'agir dans la durée, selon des pratiques professionnelles sécurisées et valorisées, en lien étroit avec le parquet.

M. Kaltenbach a rappelé le rapport Guyomar, qui, après une très large consultation, a proposé des pistes utiles. Je suis très ouvert à un débat sur le rapport entre forces de l'ordre et citoyens, sur l'efficacité de la lutte contre une délinquance de plus en plus dangereuse et qui évolue rapidement. Mais je serai toujours opposé aux propositions démagogiques qui ne rendent pas service aux forces de l'ordre. (Applaudissements à gauche)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Capo-Canellas.

Rédiger ainsi cet article :

Le chapitre V du titre Ier du livre III du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

1° L'intitulé est ainsi rédigé : « Port, transport et usage » ;

2° Il est complété par un article L. 315-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 315-3 - Les fonctionnaires des services actifs de la police nationale ne peuvent, en l'absence de l'autorité judiciaire ou administrative, déployer la force armée, en cas d'absolue nécessité, que dans les cas suivants :

« 1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu'ils sont menacés par des individus armés ;

« 2° Lorsqu'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiées ou, enfin, si la résistance est telle qu'elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;

« 3° Lorsque les personnes armées refusent de déposer leur arme après deux injonctions à haute et intelligible voix : 

« - Première injonction : "Police, déposez votre arme" ; 

« - Deuxième injonction : "Police, déposez votre arme ou je fais feu" ; 

« 4° Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt.

« Ils sont également autorisés à faire usage de tous engins ou moyens appropriés pour immobiliser les moyens de transport quand les conducteurs ne s'arrêtent pas à leurs sommations. »

M. Vincent Capo-Canellas.  - Cet amendement vise à préciser juridiquement l'encadrement du déploiement de la force armée applicable aux forces de police nationale. Il intègre dans le texte l'apport de la jurisprudence de la Cour de cassation qui précise que l'usage des armes est conditionné par une « absolue nécessité ». 

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - La commission a été sensible à votre effort de précision. Mais l'alignement de l'usage des armes entre gendarmerie nationale et police nationale ne nous convient pas pour les raisons qui ont été rappelés au cours de la discussion générale. En outre, intégrer la jurisprudence dans le texte rigidifierait les choses. Ne touchons pas à l'équilibre actuel.

M. Manuel Valls, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article premier n'est pas adopté.

Article 2

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Capo-Canellas.

Supprimer cet article.

M. Vincent Capo-Canellas.  - L'article 2, qui crée une présomption de légitime défense pour les forces de l'ordre, ne paraît pas pertinent et pourrait se retourner contre les forces de l'ordre en donnant l'illusion d'une irresponsabilité pénale.

Mme Virginie Klès, rapporteure.  - La commission, hostile à la proposition de loi, ne peut que vous suivre. Favorable.

M. Manuel Valls, ministre.  - Sagesse.

M. le président. - Si cet amendement de suppression est adopté, il n'y aura plus lieu de voter sur la proposition de loi.

L'amendement n°2 est adopté.

L'article 2 est supprimé.

M. le président.  - Le texte est rejeté.

Création d'une mission d'information

M. le président.  - Par lettre en date du 3 avril 2013, M. Jean-Claude Gaudin, président du groupe UMP, a fait connaître que le groupe UMP exerce son droit de tirage, en application de l'article 6 bis du Règlement, pour la création d'une mission commune d'information sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République.

La Conférence des présidents prendra acte de cette création lors de sa prochaine réunion.

La séance est suspendue à midi 45.

présidence de M. Jean-Pierre Bel

La séance reprend à 15 heures.

Industrie pharmaceutique (Questions cribles)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l'industrie pharmaceutique. L'auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d'une durée d'une minute au maximum peut être présentée soit par l'auteur de la question, soit par l'un des membres de son groupe politique. Ce débat étant retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sur France 3, il importe que chacun des orateurs respecte son temps de parole.

M. François Fortassin .  - Médiator, PIP, pilule de troisième et quatrième générations et d'autres affaires ont révélé les faiblesses de notre sécurité sanitaire. Il semble que les alertes sur les risques des pilules contraceptives infirment les discours rassurants des laboratoires, qui couvrent bien des conflits d'intérêt. Comment assurer le contrôle effectif des services de l'État ? Où est est-on des décrets d'application qui sont encore en souffrance ? Que dire de ces journées ou des voyages de formation des visiteurs médicaux destinés à mobiliser les troupes dans des décors exotiques, dont les coûts se répercutent sur les prix des médicaments ?

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé .  - Il est exact que des affaires récentes ont provoqué la défiance de nos concitoyens envers l'industrie pharmaceutique et les professionnels de santé. La transparence la plus absolue s'impose pour restaurer la confiance : notre politique doit garantir l'indépendance des experts et des responsables de la politique sanitaire. Les déclarations d'intérêt sont désormais obligatoires. Je souhaite qu'un site public d'information permette à chacun d'accéder aux données utiles. Pour la transparence, j'ai transmis au Conseil d'État un projet de décret. Je souhaite que le seuil de publicité des liens entre professionnels et laboratoires soit le plus bas possible.

M. François Fortassin.  - Je vous remercie pour cette réponse claire et complète. Il n'en reste pas moins vrai que la tricherie existera encore pendant quelques années.

M. Alain Milon .  - La rupture d'approvisionnement en médicaments pose un problème aigu. Des solutions existent, notamment dans le cadre de la loi sur la sécurité sanitaire du 29 décembre 2011. La chaîne de fourniture de médicaments a été mise en place par décret. Soixante à 80 % des matières premières utilisées viennent d'Inde ou de Chine. Or les inspections aboutissent à 41 % de déclarations de non-conformité. Ne faut-il pas revoir le rôle des grossistes-répartiteurs en leur imposant une obligation de résultats ? Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour remédier aux ruptures d'approvisionnement ?

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Il est vrai que les ruptures d'approvisionnement peuvent poser des difficultés, surtout s'agissant d'éléments thérapeutiques majeurs. L'Anspes a reçu, en 2011, 51 déclarations de ruptures d'approvisionnement. Pour y faire face, j'agis au niveau national, avec le décret du 30 septembre 2012 que vous avez évoqué. Les laboratoires ont créé des centres d'appel d'urgence. L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) centralise les informations disponibles. Un comité de suivi a été mis en place à ma demande. J'agis aussi au niveau européen. J'ai demandé à la Commission de mettre en place un dispositif d'initiative et de mutualisation. C'est aussi en favorisant la coopération européenne que nous résorberons ces situations effectivement préoccupantes.

M. Alain Milon.  - Des mesures immédiates pourraient être prises sans aucun coût pour la sécurité sociale, dont la traçabilité des matières premières et la sécurisation des fournisseurs de médicaments.

M. Joël Guerriau .  - L'industrie pharmaceutique est essentielle pour notre économie, mais elle est financée par la sécurité sociale ce qui lui impose de réduire ses coûts. Les comportements addictifs pèsent sur les comptes sociaux et sur la santé publique. Les professeurs Debré et Even ont lancé le débat public sur le prix et la surconsommation de médicaments qu'ils jugent inutiles voire néfastes.

La France consomme de une fois et demie à deux fois plus que les autres pays occidentaux, à niveau comparable. Ma fille tombée malade à l'étranger s'est vu prescrire le nombre exact de comprimés requis. Ne pourrait-on ainsi lutter en France contre le gaspillage ?

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Même si des progrès ont été enregistrés ces derniers mois, il est vrai que la France se caractérise encore par une consommation excessive de médicaments : on estime que chaque Français en consomme une boîte par semaine ! Du fait de la structure de prescription, ce sont les médicaments les plus onéreux qui sont prescrits. Cela dit, méfions-nous de ne pas instaurer une défiance généralisée. Même si cela a suscité quelques sarcasmes, j'ai déjà dit que les médicaments étaient là pour soigner. Une juste prescription passe aussi par de nouvelles formations des professionnels de santé. Il nous faut éduquer au médicament.

M. Roland Courteau.  - Exactement.

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Il faut mettre en place une base de données publique pour informer les citoyens et garantir l'indépendance de la prescription. Des mesures en loi de financement de la sécurité sociale y pourvoient. Ce n'est qu'avec un tel ensemble de mesures que nous rétablirons la confiance.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Joël Guerriau.  - Merci. Votre réponse reflète le problème culturel français qui explique la surconsommation. L'automédication conduit à puiser plus ou moins heureusement dans son stock de médicaments, ce qui aboutit à l'hôpital, trop souvent, voire à des décès. Veillons à ce qu'il n'y ait pas d'excès. Les sprays pour les rhumes sont surdimensionnés. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.

M. Roland Courteau.  - C'est vrai !

M. Jean-Jacques Mirassou .  - L'industrie pharmaceutique se porte bien dans notre pays, avec son vaisseau amiral, Sanofi, qui dégage un excédent de 5 à 9 milliards d'euros par an. Ses bénéfices profitent largement aux actionnaires. Pourtant, elle supprime de nombreux emplois de recherche. Les sites toulousains en savent quelque chose. Il faudrait que l'industrie préfère la stratégie pharmaceutique à la stratégie financière de court terme. Doit-on se résigner à la domination du marché par les génériques dans les pays riches, alors que de nombreux besoins médicaux restent à couvrir dans ces pays, sans parler des pays pauvres où tout reste à faire ?

M. Roland Courteau.  - Exactement.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Il faut privilégier la recherche et l'innovation. Il y va de notre sécurité sanitaire et de notre compétitivité industrielle.

Mme Marisol Touraine, ministre.  - L'industrie pharmaceutique constitue une filière d'avenir pour notre pays, qui doit parier sur l'innovation. C'est en explorant la voie de la recherche-développement qu'elle pourra se développer, et non en vivant des marchés acquis depuis de nombreuses années. À Toulouse, cette filière est très importante. M. Montebourg a agi pour éviter des licenciements chez Sanofi, alors que l'entreprise fait tant de bénéfices. L'entreprise a revu ses projets en conséquence en évitant les licenciements secs. J'ai rencontré les organisations syndicales avec Arnaud Montebourg. Sanofi ne doit pas quitter Toulouse. Elle est un atout pour cette ville.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Merci. Vous avez des outils pour agir, madame la ministre : comité stratégique de filière, comité stratégique des industries de santé, comité économique des produits de santé. L'Autorisation de mise sur le marché (AMM) ouvre au remboursement. Il faut que l'industrie fasse le pari de la recherche et de l'innovation.

Mme Laurence Cohen .  - J'aborde à mon tour le devenir des salariés de Sanofi, à Toulouse comme dans mon département, le Val-de-Marne. Le ministère de la santé est particulièrement concerné. Malgré un chiffre d'affaires de 34,7 milliards d'euros en 2012, le groupe Sanofi fait progresser ses dividendes en 2011 de 45 %, tout en supprimant des centaines d'emplois en recherche et développement. Cette destruction massive d'emplois augure mal de l'avenir d'un groupe confronté à la perte de brevets pour des blockbusters rapportant plusieurs millions d'euros par an. Madame la ministre, quelles mesures prendrez-vous pour garantir l'innovation pharmaceutique et préserver la création d'emplois ? (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Le Gouvernement est très attaché au développement de l'industrie pharmaceutique dans le respect des implantations locales. Une mission a été envoyée à Toulouse qui va me faire des propositions. Il est absolument nécessaire, dans une relation de coopération avec l'industrie, comme avec les organisations syndicales, de permettre à l'industrie pharmaceutique française de continuer à exister. Plusieurs mesures en ce sens ont été prises par le Gouvernement que j'ai rappelées lors de la réunion, le 25 mars dernier, du comité de filière à Lyon, en présence de Mme Fioraso, de M. Montebourg et de moi-même : maintien du crédit d'impôt recherche, pacte de compétitivité et accord national interprofessionnel sur l'emploi qui, quoique vous en ayez, permettra de sauvegarder des emplois et d'aller de l'avant, maintien des pôles de compétitivité et efforts de simplification administrative et normative soutiennent cette filière, dans le respect de l'apport des organisations syndicales et des salariés, sans lesquels aucun développement n'est possible.

Mme Isabelle Pasquet .  - L'industrie pharmaceutique n'est pas épargnée par la recherche de toujours plus de compétitivité. Cinq cent mille emplois industriels ont été détruits depuis 2008. Les licenciements boursiers doivent cesser, et nous avons déposé une proposition de loi en ce sens.

Il n'est pas acceptable que les laboratoires décident de la politique du médicament. Nous proposons la création d'un pôle public du médicament. (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Aline Archimbaud .  - L'industrie pharmaceutique dépense deux fois plus en publicité qu'en recherche et développement. Il y a de moins en moins de médicaments nouveaux efficaces sur le marché mais les études, aux auteurs fantômes, vantant tel ou tel médicament se multiplient, les résultats défavorables ne sont pas rendus publics et les lanceurs d'alerte sont intimidés. Nous avons besoin de faire confiance à la recherche clinique : un financement public ne serait-il pas nécessaire ?

Mme Marisol Touraine, ministre.  - La France s'enorgueillit de la qualité de sa recherche à juste titre. La France est au deuxième ou troisième rang pour le nombre d'essais cliniques réalisés, notamment grâce à l'argent public. Cependant la recherche se mène pour les trois quarts dans des laboratoires privés. Nous devons garantir la qualité de la recherche, où qu'elle se fasse, sans opposer le public au privé.

Pierre Bérégovoy a lancé un plan hospitalier de recherche clinique qui a permis de mener 5 000 recherches, avec 870 millions d'euros. Des améliorations thérapeutiques ont été enregistrées, notamment pour les « bébés bulles », qui ne sont plus obligés à présent de demeurer en permanence dans leurs bulles.

M. Jacky Le Menn.  - Très bien !

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Ce programme va être amélioré et nous travaillons au renforcement de la transparence et de la recherche, dont la France peut être fière.

Mme Aline Archimbaud.  - Il ne s'agit certes pas d'opposer secteurs privé et public mais il serait intéressant que les pouvoirs publics stimulent la recherche dans des domaines précis, par exemple pour trancher certaines controverses.

Mme Catherine Procaccia .  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Les circuits de fabrication du médicament ont changé ces vingt derniers années : l'importation des médicaments a explosé. La France importe pour 22 milliards d'euros de médicaments. Quatre-vingt pour cent des principes actifs des génériques sont fabriqués en Asie et, pour le paracétamol, 100 % de sa fabrication intervient hors d'Europe. L'AMM est une simple procédure de mise sur le marché. Les normes de bonnes pratiques ne sont pas ou mal respectées dans le monde. Rappelez-vous l'affaire de l'héparine.

Certes, les laboratoires doivent contrôler les principes actifs importés, mais personne ne connaît le nom des entreprises qui fabriquent les matières premières ni le pays d'où elles viennent. Ne serait-il pas temps que leur nom figure sur les boîtes ?

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Merci pour cette question mesurée, dans un climat de suspicion à l'encontre des médicaments génériques, qui est propre à la France. Nos concitoyens doivent avoir confiance dans la qualité des médicaments vendus. Ce n'est pas parce qu'il y a eu des fraudes qu'il faut jeter l'opprobre sur toute l'industrie pharmaceutique. Les médicaments génériques sont fabriqués dans les mêmes conditions que les médicaments princeps. Certes, la production s'est déplacée en Asie, mais pour tous les médicaments. L'enjeu est de relocaliser les industries productives de matières premières. La discussion est engagée au sein du comité de filière. En outre, les contrôles doivent être renforcés tant en Europe qu'en France. Enfin nous réfléchissons avec l'industrie pharmaceutique aux informations qui pourraient être ajoutées sur les boîtes pour renforcer la confiance de nos concitoyens.

Mme Catherine Procaccia.  - Vous avez répondu en partie à ma question. Les principes actifs et les médicaments viennent de loin et lorsqu'il y a des contrôles, la distribution est retardée. Il existe encore 224 usines de fabrication du médicament en France. Il y en avait beaucoup plus dans les années 2000. Sur les 47 médicaments autorisés sur le marché européen en 2012, aucun n'était fabriqué en France. La relocalisation de cette industrie serait une bonne chose. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Luc Fichet .  - Le consommateur doute, du fait que certains médicaments n'apportent rien aux malades et que des centaines de médicaments sont donnés pour soigner d'autres pathologies : un anti-diabétique prescrit comme coupe-faim !

Beaucoup de patients souhaitent prendre des traitements le moins chimiques possible. Les plantes sont de plus en plus utilisées. Les prescriptions magistrales ont retrouvé l'appétence du public.

Avez-vous l'intention de prévoir le remboursement de ces préparations par la sécurité sociale ? Il s'agit de répondre à une nouvelle demande de la population. Peut-être faudrait-il en contre partie réduire le remboursement de certains médicaments dont l'utilité est faible, voire nulle.

Mme Marisol Touraine, ministre.  - J'entends votre préoccupation mais nous ne pouvons faire comme si les médicaments n'avaient pas soigné des malades. Les préparations magistrales ne peuvent être réalisées qu'en l'absence de médicaments disposant d'une AMM. Ces préparations ne sont pas évaluées et ne font pas l'objet d'études bénéfice-risque. Leur remboursement ne peut donc rester qu'exceptionnel. Nous avons tous eu recours à des préparations naturelles pour des affections bénignes, mais cela ne peut rester que marginal. Il est difficile d'envisager que la sécurité sociale les rembourse.

M. Jean-Luc Fichet.  - La recherche et le développement sont au coeur de l'industrie pharmaceutique. Ce secteur des nouvelles médications pourrait aussi être exploré.

M. Philippe Darniche .  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Je voulais vous interroger sur la traçabilité des médicaments génériques fabriqués en Chine et en Inde. Les contrôles effectués en Europe n'apportent pas de garanties suffisantes, et il existe des différences de résultats thérapeutiques entre princeps et génériques.

J'en viens à la recherche sur l'embryon. Les cellules souches embryonnaires peuvent utilement être remplacées par des cellules iPS. Faut-il autoriser la recherche sur l'embryon, madame la ministre ? (Applaudissements sur divers bancs à droite)

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Je veux redire ici avec solennité que les matières premières utilisées dans la composition des princeps et des génériques sont les mêmes. Vos interrogations, légitimes, sur la traçabilité des matières premières pour les génériques doivent être les mêmes que pour les princeps. Les procédures de contrôle en Europe comme en France doivent donc être renforcées. Les bonnes pratiques se diffusent dans le monde.

Sur le deuxième aspect de votre question, la discussion est en cours sur la recherche sur les embryons. Nous avons tout à gagner à la mener à son terme. Sur un sujet d'une telle importance, les manoeuvres dilatoires et d'obstruction n'ont pas de sens.

M. Philippe Darniche.  - Je veux rappeler un seul chiffre : 41 % des contrôles européens démontrent une non-conformité des médicaments génériques.

Les processus de fabrication ne sont pas identiques : ne pourrait-on pas unifier ces processus ?

La séance, suspendue à 15 h 55, reprend à 16 h 5.

Mariage de personnes du même sexe

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

Rappel au Règlement

M. François Zocchetto .  - Mon rappel au Règlement s'appuie sur l'article 29 bis du Règlement du Sénat. Chacun mesure l'importance des questions posées par ce texte, auquel tous les Français seront attentifs. Je demande que le scrutin ait lieu selon les modalités de l'article 60 bis de notre Règlement, à savoir un scrutin public à la tribune qui aurait lieu le mardi 16 avril et assurerait toute la solennité que ce sujet mérite.

Je souhaite que la Conférence des présidents soit saisie dès que possible de cette demande. (Applaudissements à droite)

M. le président.  - Selon l'article 60 bis, le scrutin public à la tribune doit être demandé à la Conférence des présidents. Lors de notre réunion du 20 mars, cela n'a pas été le cas. Néanmoins, je prends acte de votre souhait et je vais me rapprocher des groupes.

Nous entamons la discussion générale. La parole est à Mme la garde des sceaux. (Applaudissements prolongés à gauche)

Discussion générale

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Avec Dominique Bertinotti, ministre de la famille, nous avons l'honneur de présenter ce projet de loi, adopté largement à l'Assemblée nationale par 329 voix contre 229, qui ouvre le mariage et l'adoption aux couples de même sexe.

Son article premier introduit un article 143 dans le code civil, qui indique que le mariage peut être contracté par deux personnes de sexes différents ou de même sexe. Ces couples ont déjà accès au concubinage, au Pacs. Le mariage n'est pas seulement un contrat, c'est aussi une institution, qui produit des effets d'ordre public. Ce projet de loi n'altère en rien le droit des familles et des couples hétérosexuels. (Mouvements et exclamations à droite)

M. Roland du Luart.  - Il ne manquerait plus que cela !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Ce texte contient aussi des dispositions favorables aux couples hétérosexuels et aux familles hétéroparentales. Il renforce la famille. (On proteste ironiquement à droite)

M. Jean-Michel Baylet.  - C'est vrai !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Certains considèrent que la France est confortée par ce texte dans sa lutte contre les discriminations.

M. Éric Doligé.  - Il y a mieux à faire.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - La France n'est pas seule. (Protestations à droite) Les Pays-Bas, la Belgique, la Norvège, l'Espagne, bientôt la Grande-Bretagne, le Canada, y compris le Québec, la ville et l'État de Mexico, dix États des États-Unis, la République d'Afrique du Sud, tous ces pays ont légalisé le mariage entre personnes de même sexe. Ce n'est toutefois pas pour être dans un club hypothétique de pays modernistes que nous vous présentons ce texte, mais au regard du progrès juridique et sociétal qu'il représente.

C'est en 1791, après la réclamation d'un comédien interdit de mariage religieux du fait de sa profession, que le Constituant a institué le mariage civil. En 1787 avait été reconnu le pluralisme religieux, et donc le mariage des Juifs et des protestants - ceux du moins qui n'avaient pas été contraints à l'exil - et que leurs enfants cessèrent d'être tenus pour des bâtards. En confiant à l'officier d'état civil l'enregistrement des actes, en imposant le consentement, en autorisant le divorce en 1792 - qui allait être supprimé en 1816 puis rétabli en 1884 - le constituant et le législateur ont inscrit le mariage dans le processus de conquête des libertés individuelles qui s'est poursuivi jusqu'aux grandes lois laïques. (Applaudissements à gauche) Puis il y eut l'abrogation du devoir d'obéissance de la femme à son mari, la suppression de la notion de chef de famille, le rétablissement du divorce par consentement mutuel qui avait déjà été instauré en 1792 puis supprimé. Ainsi a-t-on progressé vers l'égalité. Il y eut aussi un acte de fraternité quand le législateur décida de supprimer toute distinction entre les enfants selon qu'ils sont nés hors mariage ou dans le mariage.

Le mariage est un acte de liberté. On décide ou non de vivre ensemble, de se marier ou non, de divorcer, d'avoir ou non des enfants, dans ou hors mariage, ce qui est le cas de la moitié des enfants. En ouvrant cette possibilité aux couples de même sexe nous faisons un acte d'égalité et de liberté. (Huées à droite ; applaudissements à gauche) Sans aucun préjudice sur l'institution du mariage, qui demeure à droit constant, avec toutes les protections juridiques dont elle est dotée.

Cette institution qui fut de propriété du temps du contrat, de domination quand elle imposait obéissance à l'épouse, de possession du mari, d'exclusion sur une base religieuse ou professionnelle, est en train de devenir universelle, parce qu'elle cesse de témoigner d'un ordre social où la puissance publique instaurait une hiérarchie selon la sexualité. (Vifs applaudissements à gauche)

M. Charles Revet.  - C'est une interprétation...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - C'est un accueil dans la maison commune, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Ce texte rappelle le rôle du procureur de la République. Il réaffirme le caractère républicain du mariage. Il élargit les lieux possibles de célébration. Il permet à des Français résidant dans des pays qui ne le reconnaîtraient pas de se marier en France.

L'adoption est ouverte dans les mêmes conditions pour tous les couples. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Bruno Sido.  - C'est scandaleux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Ce texte apporte de la sécurité pour les enfants. (On applaudit à gauche ; on le nie à droite)

M. Bruno Sido.  - Vous ne pensez pas à eux. (Mme Annie David proteste)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Il serait absurde que l'enfant adopté soit qualifié d'orphelin parce qu'un des deux parents qui l'élèvent disparaît. Afin de limiter les risques de pluriparentalité, la commission des lois du Sénat a souhaité restreindre la possibilité d'adoption simple aux enfants qui disposent d'une filiation biologique. Ce texte permet que, dans le cas d'une séparation intervenue avant la promulgation de la loi, le juge puisse maintenir les liens de l'enfant avec l'un de ses parents, disposition que votre commission des lois a souhaité renforcer.

Sur le nom patronymique, l'Assemblée nationale a permis de généraliser, en cas d'absence d'accord entre les parents, l'attribution du nom des deux parents aux enfants. La commission des lois a estimé qu'il valait mieux maintenir le texte initial pour les couples homosexuels. Pour les couples hétérosexuels, il a maintenu le nom du père en cas de silence et les deux noms en cas de désaccord.

Le projet de loi organise la coordination avec les textes régissant les couples hétérosexuels. Plutôt que la procédure dite des articles balais, la commission des lois de l'Assemblée nationale a préféré une disposition interprétative ; celle du Sénat a retenu un principe général d'égalité.

M. Bruno Sido.  - ça ne va pas !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Pour ces coordinations, le Gouvernement demandera l'autorisation de procéder par ordonnance.

Des dispositions diverses ont également été introduites, sous réserve du respect des articles du code civil qui régissent le mariage et l'adoption.

Vos commissions des lois et des affaires sociales ont décidé de maintenir ce texte dans son périmètre, sans y faire figurer de dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation, dans l'attente du projet de loi relatif à la famille dont parlera Mme Bertinotti. (Exclamations à droite) C'est que l'assistance médicale à la procréation relève du code de la santé publique, alors que le mariage et l'adoption, qui concernent la liberté et la protection des personnes, relèvent du code civil.

M. Bruno Sido.  - Et la GPA ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Elle ne fait pas partie du périmètre du texte, le président de la République et le Premier ministre ont réaffirmé, comme moi, leur attachement aux principes d'ordre public. (Exclamations à droite) Une proposition de loi a été déposée au Sénat.

M. Jean Bizet.  - Nous n'avons aucune confiance !

M. Roland du Luart.  - Aucune !

M. Éric Doligé.  - La GPA se fait-elle au Maroc ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Ce texte comporte des sécurités et des protections. Les droits liés à la rupture et au décès seront assurés pour les couples qui auront décidé de s'inscrire dans la durée par un projet marital ou parental.

Nous ne disposons d'aucun élément qui laisserait penser que les couples homosexuels se montreraient plus raisonnables que les autres au moment de la rupture. Eux aussi, sans doute sont victimes de cette même fureur qui fait d'amants passionnés d'inflexibles adversaires, voire des ennemis. Il faut donc que, comme pour les couples hétérosexuels, le juge protège le conjoint le plus vulnérable, sauvegarde les intérêts des enfants, assure le maintien des droits et le respect des devoirs. « Surtout, soyons-nous l'un à l'autre indulgents » comme disait Verlaine...

M. Bruno Sido.  - C'est Rimbaud qui a dit cela.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - ... dans Jadis et naguère.

Le regard social désapprobateur qui pèse parfois lourdement sur les enfants de ces familles...

Mme Michelle Meunier.  - Tout à fait !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - ... les agressions qu'ils subissent parfois, peuvent avoir des effets dévastateurs sur eux. Désormais, ces enfants, ces adolescents, ne sont plus seulement tolérés par la société, mais protégés par la loi. (Applaudissements prolongés à gauche)

Je me tourne vers les sénateurs d'outre-mer.

M. Bruno Sido.  - Racolage !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Qui a dit cela ?

M. David Assouline.  - C'est M. Sido !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Le Sénat ne m'a pas habituée à la grossièreté.

Je salue les parlementaires conscients de leurs valeurs qui, même dans un contexte social difficile, choisissent ce qui est juste. Nous avons une histoire commune de combats pour l'égalité. (Applaudissements à gauche)

M. Guy Fischer.  - Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - C'est dans son prolongement que nous nous situons. L'ordre inégalitaire n'est pas immuable. Le sacrement matrimonial n'est pas si ancien : il ne date que de 1205 ! L'institution du mariage a admis le pluralisme religieux, puis civil. Nous franchissons un pas vers la reconnaissance du pluralisme familial.

M. Bruno Sido.  - Et l'enfant ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Le titre VII du code civil demeure inchangé. La présomption de paternité demeure intacte. (Huées à droite) Les droits sont étendus, non pas réduits. La souplesse pour la célébration du lieu est introduite pour tous à la faveur de ce texte. Le projet de loi sur la famille introduira des améliorations substantielles sur le statut des familles recomposées, dont les familles hétéroparentales profitent beaucoup plus que les familles homoparentales. (Protestations à droite ; applaudissements à gauche)

Nous sommes face à une altérité absolue. C'est un oxymore, car l'autre est en nous aussi, il nous est relatif.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Vive l'oxymore !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Comme le dit Hegel, c'est le souci de l'autre qui me permet d'affirmer mon humanité, ma civilité. (Vifs applaudissements à gauche) Ce ne sont pas que des mots. C'est du droit, de la justice. Comme dit Aimé Césaire, « nous forçons de fumantes portes ». (Applaudissements prolongés à gauche)

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille .  - (Cris à droite) Voilà la possibilité de mettre un terme à des siècles de relégation. (Huées à droite)

M. Gérard Longuet.  - Absolument pas !

M. Henri de Raincourt.  - Ça commence bien !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.  - ... de faire aboutir des combats menés depuis des décennies. Le Sénat en sait quelque chose : des propositions de loi ont été déposées ici en 2005, 2007, 2010, 2011, 2012.

Je vous remercie pour cette action. Les associations qui soutiennent ce projet de loi...

M. Bruno Sido.  - Elles sont peu nombreuses !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.  - ... ont fait leur un très beau slogan : « l'égalité n'attend plus ». Je suis convaincue que le temps du Sénat sera celui de la consolidation de cette marche pour l'égalité. Cette loi s'inscrit dans le contexte de cette révolution silencieuse. (On le conteste à droite)

M. Alain Gournac.  - Le silence d'un million de personnes dans la rue !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.  - La sexualité est désormais dissociée de la conjugalité et de la procréation. (Une voix à droite : « C'est la boîte à outils ») Plus d'un enfant sur deux naît hors mariage.

M. Gérard Longuet.  - Il y a 100 % de naissances hétérosexuelles.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.  - Un enfant sur deux naît hors mariage ; un sur cinq dans une famille monoparentale ; un enfant sur neuf dans une famille recomposée.

M. François-Noël Buffet.  - Ce n'est pas le sujet !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.  - Nos concitoyens estiment dans leur très grande majorité que la famille reste le lieu de la sécurité et de la protection. Ils attendent que nous reconnaissions cette diversité des modèles familiaux.

La filiation n'est plus unique. Il y a une multiplication des personnes impliquées dans la conception et l'éducation des enfants.

M. Bruno Sido.  - C'est faux.

Mme Laurence Rossignol.  - Allons, monsieur Sido !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.  - On peut comprendre la demande d'égalité des familles homosexuelles.

Cette loi ne créera pas de situation nouvelle. Elle ne fera qu'adapter le droit, dans la lignée des réformes qui ont fait évoluer le droit de la famille depuis les années 1970. Nos concitoyens ne nous demandent pas seulement l'égalité, mais aussi la protection juridique. Des dizaines de milliers d'enfants vivent déjà dans des familles homoparentales.

M. Gérard Longuet.  - Ce n'est pas le problème.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.  - Reconnaissons à chacun sa liberté : c'est reconnaître celle de tous nos concitoyens, au coeur même de la République. Jean Jaurès le disait à la jeunesse : « C'est proclamer que des millions d'hommes sauront concilier la loi et la liberté, le mouvement et l'ordre... la République est confiance » (Murmures à droite)

La France n'a jamais été aussi forte que lorsqu'elle s'adressait à tous. La République est d'autant plus belle quand elle inclut, pas quand elle exclut. Je me souviens de la présidente de GayLib qui m'a dit, tout simplement : « Quand on aime la famille, on aime toutes les familles ».

M. Bruno Sido.  - Les vraies familles !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.  - Elle appartient à l'UMP...

Ce projet de loi inscrit dans ce que François Hollande rappelait pendant la campagne présidentielle (clameurs à droite) : la liberté, l'égalité qui figurent au fronton de notre République.

M. Jean-Claude Gaudin.  - Et la fraternité ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.  - Oui, la fraternité, alliée à la confiance et à l'audace. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois .  - Oui, ce texte pose problème et provoque des débats. Je respecte toutes les opinions, dès lors qu'elles respectent le droit des citoyens et notamment des homosexuels.

M. David Assouline.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - C'est sous la figure de Portalis que je veux placer ce débat, qui traduit une promesse de François Hollande. (Clameur à droite)

M. Bruno Sido.  - C'est le roi de la promesse !

M. Jean Bizet.  - Ce n'est pas brillant !

Voix à droite.  - La République respectable...

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Ce projet de loi est un geste fort d'égalité. Sieyès l'affirmait dans Qu'est-ce que le Tiers-État ? Tous nos concitoyens sans distinction aucune, sont à distance égale de la loi. (Bravo à gauche)

M. Gérard Longuet.  - Hors sujet.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Certains ont fait valoir que l'égalité n'est pas l'identité. L'argument doit être entendu mais s'applique-t-il ici ? Ce texte n'assimile pas les couples homosexuels aux couples hétérosexuels pour la filiation. Mais, au regard de l'amour, de la protection, quelle différence entre ces couples, entre ces familles ?

« La loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » : article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. (Applaudissements sur les bancs socialistes) L'égalité des droits doit être assurée. Créer une union civile qui s'ajouterait au pacs, dites-vous aujourd'hui ? Mais, pendant dix ans, vous n'avez pas touché au pacs ! Si elle procure aux couples homosexuels les mêmes droits de protection que le mariage, pourquoi ne pas leur accorder le mariage et les cantonner dans un statut à part ?

M. François Rebsamen.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Le représentant du Conseil supérieur du notariat nous a indiqué combien il serait compliqué de juxtaposer pacs, concubinage, union civile pour personnes de même sexe et mariage pour personnes de sexes différents. Et d'ajouter, « S'il vous plaît, tenons-nous en là ! »

Vous ne pouvez pas nier la situation de droit. La Cour de cassation a rappelé en annulant le mariage de Bègles...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Quelle erreur ce mariage !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - ... que la loi française réserve le mariage à deux personnes de sexe différent et le Conseil constitutionnel a confirmé la compétence du législateur dans ce domaine, à laquelle il ne lui appartenait pas de se substituer, limite que la haute instance donne à son pouvoir d'appréciation discrétionnaire. Oui, ce pouvoir n'appartient qu'à nous. Le droit de mener une vie familiale normale doit être ouvert aux couples homosexuels.

Le mot « mariage » vous gêne. (« Oui » à droite) Ne confondez pas le mot et la chose. Rappelez-vous le trait de Jacques Lacan : « Le mot précède la chose ». Le code Napoléon a inscrit le mariage civil dans la continuité de la tradition de l'institution religieuse qui le précédait.

Un tout autre mot aurait pu être choisi. Aujourd'hui, le mariage civil n'a rien à voir avec le sacrement religieux. Ce texte sanctionne l'évolution qui s'est abstraite depuis longtemps du modèle cristallisé au cours des siècles pour revenir aux principes de liberté et d'universalité qui caractérisaient le mariage à l'origine. « Une affirmation de la liberté de l'homme, dans la formation comme dans la dissolution du lien matrimonial, c'est, pour l'ordre terrestre, l'essentiel du message français », rappelait le doyen Carbonnier... L'article 148 du code civil en porte la marque, qui établit qu'il n'y a pas de mariage sans consentement. L'esprit de liberté souffle donc depuis longtemps. Aujourd'hui, le Gouvernement me demande de franchir un pas supplémentaire.

L'évolution du mariage vers plus d'égalité et de liberté s'est poursuivie depuis la Révolution jusqu'à l'ordonnance de 2005 sur la filiation, en passant par la loi de janvier 1972 qui a aboli la distinction entre enfants légitimes, adultérins et naturels. Les formes de conjugalité ont évolué, le mariage n'est plus la seule forme d'union possible, voyez les statistiques. Cette évolution s'est conjuguée avec l'évolution de la filiation : plus de 60 % des enfants naissent hors mariage. Il n'est plus possible de considérer le mariage comme l'unique institution de filiation. Ce projet de loi n'enlève rien au mariage ni à la famille traditionnelle (on le conteste à droite) dont la plupart d'entre nous sont issus et n'ont qu'à se féliciter... Dès 1950, pour le doyen Carbonnier, « notre droit matrimonial ne se dément pas : son génie, son démon, c'est la liberté ». Et c'est bien à plus de liberté que le Gouvernement nous invite.

Le sens du mariage a donc évolué. Ce texte s'inspire de cette dynamique, il l'accompagne plutôt qu'il ne l'inspire. Le mariage est le plus haut degré de protection juridique que puissent nouer deux personnes qui s'aiment. Cette protection est aussi celle dont bénéficient les enfants ; il est de leur intérêt que chacun de leurs parents soit suffisamment protégé et que leurs parents ensemble le soient. Rien ne peut justifier de tenir plus longtemps à l'écart de la protection de la loi des familles monoparentales. Je suis profondément convaincu que ce texte est destiné à protéger les enfants. (On le conteste vivement à droite ; applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Bruno Sido.  - Trop, c'est trop !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Ça vous gêne ! Parce que vous ne voulez pas voir la situation des enfants aujourd'hui rejetés par la société et qu'il est temps de reconnaître.

M. François Rebsamen.  - Bien sûr !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - L'intérêt de l'enfant élevé par deux hommes ou deux femmes est de bénéficier comme les autres de la protection qui garantit l'établissement de sa filiation vis-à-vis de ceux qui l'élèvent et du statut de marié de ses parents. La plus grande partie des membres du Conseil supérieur de l'adoption estime que la possibilité d'adoption par le conjoint de même sexe est dans l'intérêt de l'enfant.

Notre approche doit être pragmatique. Les familles, les enfants ont droit à la protection de la loi. Pour remédier à l'insécurité juridique actuelle, il faut autoriser l'adoption de l'enfant de l'autre parent - qui n'est possible que dans le mariage. Ouvrir le mariage aux couples de même sexe est ainsi permettre à leurs enfants de profiter de la protection que garantira cette adoption. Il est d'ailleurs de l'intérêt des enfants que leurs parents voient leur propre situation assurée face aux accidents de la vie ou du sentiment.

Ce projet de loi s'inscrit dans une évolution européenne. Dans les pays où mariage et adoption ont été autorisés aux personnes de même sexe, il n'y a eu ni drame, ni bouleversement. Onze pays ont légalisé le mariage homosexuel, plus de 280 millions d'habitants sont désormais concernés dans le monde. La voie que trace la France emprunte à l'universalisme.

Les travaux de la commission ont conduit votre rapporteur à proposer plusieurs modifications au texte voté par l'Assemblée nationale, au rapporteur de laquelle je rends ici hommage. Nous avons conservé le périmètre du texte et repoussé en conséquence tous les amendements ouvrant d'autres possibilités de filiation, d'autres formes d'union ou modifiant le Pacs. Le Gouvernement a annoncé un projet de loi sur la famille d'ici la fin de l'année. Nous en reparlerons à cette occasion.

Votre commission des lois a souhaité que ce projet de loi soit étudié dans les meilleures conditions possibles et qu'il fasse l'objet d'un débat sérieux. Je respecte toutes les expressions pourvu qu'elles ne portent pas atteinte à la dignité des personnes. Le rôle du législateur est de prendre en considération l'évolution de la société. Les enfants ont droit à la protection de la loi. Je vous demande donc de présenter rapidement une loi sur la famille, madame la ministre.

Comme le dit Françoise Héritier, les sociétés ont toujours trouvé des compromis. Et dans un article publié en 1989, Claude Lévi-Strauss écrit : « Le conflit entre parenté biologique et parenté sociale, qui embarrasse chez nous les juristes et les moralistes, n'existe (...) pas dans les sociétés connues des ethnologues. Elles donnent la primauté au social sans que les deux aspects se heurtent dans l'idéologie du groupe ou dans la conscience de ses membres ».

M. François Rebsamen.  - Eh oui !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Je vous invite à adopter ce projet de loi. (Vifs applaudissements à gauche)

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales .  - Le moment est important. Nous entrons à notre manière dans l'Histoire de France. (Exclamations à droite)

M. Éric Doligé.  - Avec « François Ier » !

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - Nous faisons le choix courageux de nous opposer au conservatisme et d'offrir à nos concitoyens de nouveaux droits. Ce texte a suscité des remous dans la société française. (On le confirme à droite)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Et ça continue !

M. Bruno Sido.  - Vous les méprisez !

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - C'est souvent le cas dans notre pays lorsqu'on crée de nouveaux droits, lorsqu'une loi de progrès social est proposée. Ni plus, ni moins. (Murmures persistants à droite) On nous promet l'effondrement de la société, la perte des repères, le chaos ! Mais nous savons qu'il n'en sera rien...

M. Charles Revet.  - Le chaos, vous êtes en train de le provoquer !

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - Je suis fière d'avoir participé aux travaux parlementaires sur cette avancée historique et heureuse d'avoir travaillé avec Jean-Pierre Michel et le président Sueur dans le climat serein. Nous avons entendu des juristes, des psychiatres, des experts de l'adoption. Près de 100 personnes ont pu s'exprimer. Le Sénat a fait son travail dans le sérieux et en complémentarité de celui de l'Assemblée nationale. Le débat a eu lieu, l'heure est au vote. Ces auditions nous ont éclairés ; certaines des perspectives qu'elles ont ouvertes devront figurer dans le futur projet de loi sur la famille.

Il ne faut pas renoncer à avancer quand un texte est juste et nécessaire. Il ne crée pas un mariage gay, mais il fait entrer tous les couples dans l'universalité du mariage, dans la ligne des textes de lutte contre les discriminations. C'est une loi incluante. Le pacs avait ouvert cette voie il y a quinze ans ; en garantissant aux couples homosexuels des droits identiques aux couples hétérosexuels, l'homosexualité devient une orientation sexuelle possible et non plus anormale, déviante, ou dramatique.

Notre démarche s'inscrit dans un mouvement international et invite à la tolérance ; la France, patrie des droits humains, s'honore à rattraper son retard. Le texte ne réduit pas les droits des couples hétérosexuels, ne leur enlève rien, ne changera pas leur quotidien pas plus qu'il ne bouleversera la société. Dans les pays qui ont déjà adopté ce mariage, il n'y a qu'une normalisation de vivre sa propre sexualité et envoyons un message d'apaisement à ceux qui ont pour seule particularité d'aimer une personne de même sexe ; nous faisons sortir l'homosexualité de son statut d'anomalie. Je m'étonne que certains, au nom de leur foi ou de leur conviction, se désintéressent du sort de milliers de personnes qui vivent leur sexualité dans la clandestinité, subissent des violences, parfois mettent fin à leurs jours. « Celui qui vote contre le droit d'un autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens. » disait Condorcet à propos du droit de vote des femmes...

Ce texte s'inscrit dans la devise de notre République. Il permet aux couples homosexuels de faire famille. Assumons-le. Il sort la famille du fantasme « une maman, un papa et un enfant » (vives exclamations à droite)...

M. Charles Revet.  - Ce n'est pas un fantasme ! Qu'est-ce que vous dites !

M. Gérard Longuet.  - C'est une plaisanterie !

Mme Michelle Meunier rapporteure pour avis.  - ... car cette famille-là n'a jamais été universelle. De tout temps, des parents ont mis au monde des enfants qu'ils n'ont pas pu ou voulu assumer. De tout temps, des enfants sont nés sans père. De tout temps, des enfants ont été élevés par d'autres personnes que leurs père et mère. Ce qui pose problème, c'est cette famille idéalisée, « hétéro-patriarcale-blanche » de préférence (protestations indignées à droite) de plus en plus éloignée des réalités. La loi doit s'adapter.

Soyons confiants dans l'avenir de ces enfants élevés par des couples homosexuels. Cette loi sécurise la situation de nombreuses familles homoparentales dont les deux parents ne sont pas à égalité face aux enfants.

L'enfant adopté serait plus vulnérable s'il était adopté par une famille homosexuelle. Mais c'est faux ! Les enfants savent qu'ils ont d'autres parents. Le mensonge n'a pas droit de cité. On regarde les familles adoptives comme des familles à problème, mais les écarts sont minimes quand on regarde les statistiques. Non, les enfants adoptés ne sont pas plus vulnérables que les autres. Des millions d'enfants vont bien, rassurez-vous.

M. Bruno Sido.  - Qu'est-ce que vous en savez !

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - La société change de regard sur l'adoption et l'homoparentalité. L'adoption n'est pas un droit à l'enfant mais le droit pour un enfant de grandir dans une famille, c'est le projet parental qui fait l'objet d'une évaluation.

M. Bruno Sido.  - C'est complètement faux !

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - Ce sera la même chose pour les couples homosexuels. L'adoption internationale est difficile, en raison du faible nombre d'enfants adoptables.

M. Charles Revet.  - Et ce sera encore pire demain !

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - Mais de nombreux enfants sont en grande difficulté dans certains pays. Notre diplomatie devra donc être plus active en ce domaine de la protection de l'enfance.

Les deux formes d'adoption sont pertinentes et répondent à des situations différentes. L'adoption plénière répond au besoin d'un enfant privé durablement de famille ; elle n'empêche en rien l'accès aux origines, même s'il faudrait l'améliorer. L'adoption simple répond à des besoins intrafamiliaux et on pense qu'elle sera privilégiée par les couples homosexuels. Nos auditions ont aussi porté sur la PMA pour les femmes.

Mme Catherine Troendle.  - Et pour les hommes ?

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - Nous avons adopté quatre amendements. L'un permet aux couples pacsés sans enfants d'adhérer à une association familiale, deux autres sont des mesures de coordination, le quatrième étend à l'ensemble des salariés homosexuels la protection introduite à l'article 16 bis par l'Assemblée nationale.

L'homosexualité est encore passible de la peine de mort dans sept pays. Le président de la République a plaidé devant l'ONU pour la dépénalisation universelle de l'homosexualité. (M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, applaudit) Avec ce texte, nous franchissons une nouvelle étape dans la lutte contre les discriminations et la marche vers l'égalité. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois .  - Il y a un mot que nous pourrions placer en exergue de ce débat, c'est le mot respect. Respect pour nos concitoyens...

M. Gérard Longuet.  - ... mariés !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - ... homosexuels, qui ont été pendant des siècles vilipendés et ont vécu dans la honte. Beaucoup d'entre eux passent aujourd'hui de la honte à la fierté. L'homosexualité a été considérée comme un des péchés les plus considérables par les religions. Ce n'est qu'avec la loi du 27 juillet 1982, présentée par Robert Badinter, que l'homosexualité a cessé d'être un délit au sein de la République française. Il existe encore de nombreux pays où l'homosexualité est encore un délit, un crime parfois passible de la peine de mort. Nous devrions être unanimes pour soutenir toutes celles et tous ceux qui se battent pour la dépénalisation universelle ; cette cause est profondément juste. (Applaudissements à gauche)

S'il est un mot qui porte fort, qui porte juste, c'est le mot reconnaissance, qui va de pair avec l'égalité des droits. Tous les homosexuels de ce pays ne veulent pas se marier mais pouvoir bénéficier des droits ouverts à tous les citoyens. Respect, reconnaissance, égalité... Le mot mariage prendra un sens différent, c'est vrai. C'est tout le sens de ce texte.

L'adoption par des personnes célibataires est possible dans notre pays.

M. Bruno Sido.  - Cela n'a rien à voir !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Il y a beaucoup d'hypocrisie à considérer qu'elle serait impossible si la personne partage sa vie avec une personne du même sexe. Nous savons bien que c'est le cas aujourd'hui.

Je suis frappé par les évolutions : lors des débats sur le Pacs, on avait l'impression que la France était en ébullition. Quelle évolution ! Ceux qui ne voulaient pas du Pacs, qui clamaient que c'était antinaturel, aujourd'hui nous disent que cette loi est inutile puisque le Pacs existe. Bienheureux Pacs ! Je mesure l'évolution qui a eu lieu en une décennie ! Vous dites que puisqu'il y a le Pacs, il suffit de l'améliorer avec une union civile. Je rends hommage à M. Gélard qui a présenté un amendement pour proposer une alternative construite. Mais ce travail n'est qu'une amélioration du Pacs auquel vous étiez opposés il y a dix ans.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Mais il y a dix ans, vous disiez qu'il n'y aurait pas de mariage !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - La société avance !

M. David Assouline.  - En effet !

M. Roland Courteau.  - Ils sont toujours en retard !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Mais nous savons tous que lorsque cette loi sera votée, le mariage passera dans les moeurs. Il paraîtra naturel et personne ne proposera d'y revenir.

Je tiens à rendre hommage aux deux rapporteurs, avec une pensée particulière pour Jean-Pierre Michel, qui a été attaqué dans des conditions déplacées. (Applaudissements à gauche)

Je veux aussi remercier les ministres pour leur travail, leur sincérité et leur force de conviction. Ce texte porte sur le mariage et l'adoption. La PMA et la GPA sont des sujets de réflexion, nombre d'entre nous se posent des questions, veulent y voir plus clair, expriment des oppositions.

M. Gérard Longuet.  - Il faudra bien que vous y veniez !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Le Gouvernement a décidé que ce texte n'avait qu'un objet, le mariage et l'adoption. Nous traiterons ultérieurement des autres sujets. (Exclamations à droite) Nous avons procédé à de nombreuses auditions, tous les sénateurs ont été invités. De brillants anthropologues, ethnologues et sociologues, des associations familiales, des représentants des cultes, des juristes nous ont présenté leurs réflexions. Nous avons encore du travail à faire.

Je souhaite vivement que l'esprit qui a marqué les dix heures de travail en commission et les 50 heures d'audition perdure et que le débat qui s'ouvre honore le Sénat. J'espère un débat sérieux, serein et approfondi, dans le respect de tous nos frères et soeurs en humanité. (Applaudissements à gauche ; « Amen » à droite)

Mme Cécile Cukierman .  - En inscrivant ce texte à l'ordre du jour du Parlement, vous permettez que soit franchi un grand pas pour l'égalité des droits, dans le respect des croyances et des philosophies de chacun.

À l'Assemblée nationale, les propos ont été parfois violents. L'homophobie n'est pas généralisée, mais elle est encore hélas présente ; là où elle l'est, il faut la dénoncer. Je souhaite que notre débat se saisisse du fond du texte, qu'il soit serein, apaisé. Pour cela il faudra utiliser les bons termes : il ne s'agit pas de célébrer n'importe quelle union. Soyons clairs. L'inceste n'est pas possible pas plus évidemment que la polygamie ; la prescription de minorité demeure. Ce texte ne concerne que le mariage civil, fondement de la laïcité ; il n'impose aucun choix moral à qui que ce soit, son seul but est de protéger.

Qu'est-ce que le mariage civil ? Il est porteur de droits et d'obligations, rien de plus, rien de moins ; il protège ceux qui ont choisi d'unir et d'organiser leur vie. Alors que de nombreux couples hétérosexuels refusent le mariage nous pouvons nous étonner de la demande des homosexuels. Le mariage, longtemps stigmatisé comme ringard et réactionnaire, semble devenir une revendication de progrès pour eux. Mais ce n'est pas l'institution qui le devient, c'est la possibilité d'accéder au régime juridique qu'il offre.

Le mariage est, pour certains, une institution immuable, porteuse de fortes connotations religieuses et de ce que devrait être la morale. Mais dans un État laïc, le législateur n'a pas à moraliser la société, il légifère dans le sens de l'intérêt général, celui des adultes mais aussi des enfants, qui ont tous droit à une protection.

Nous avons tous reçu des courriers, des tracts nous appelant à refuser ce texte. L'un d'eux a été signé par 170 juristes qui font un lien inadmissible entre le statut de criminel et celui d'homoparent. Je ne puis accepter pareil amalgame, d'autant que notre rôle n'est pas seulement de défendre les libertés individuelles, mais aussi de réduire les inégalités au lieu de creuser les différences et de protéger tous et toutes.

Ce débat a déjà trop tardé, notre société a bien fait de s'emparer de cette question. Notre pays sortira grandi d'accorder des droits supplémentaires. Le droit de vote des femmes, la contraception, l'IVG, la dépénalisation de l'homosexualité ont été combattus au nom de la famille. À chaque fois des spécialistes nous ont mis en garde ; heureusement le législateur n'a jamais fléchi et l'Histoire lui a donné raison.

C'est la crise qui divise, lamine, appauvrit et exclut, pas ce texte. (Exclamations à droite) La suppression de la distinction entre enfant légitime et naturel n'a pas provoqué de chaos, il fallait protéger tous les enfants. C'est ce que nous faisons aussi avec ce texte. Les familles ont beaucoup évolué ces dernières décennies, le constat est indéniable et il serait injuste de ne pas le reconnaître, que cela dérange ou pas : d'amours en désamours, chacun construit sa vie... Nous entendons défendre les valeurs républicaines qui fondent ce texte, que je peux évoquer une à une.

La liberté, c'est celle de se choisir, de vivre ensemble, de fonder une famille. L'égalité, c'est celle des droits et des choix. La décision revient au législateur, auquel il revient d'écrire le droit de demain. L'impossibilité pour les couples de même sexe de se marier entraîne des inégalités. À droite, on propose d'aligner le pacs sur le mariage, mais Jean-Pierre Michel, dans son rapport, rappelle le principe d'égalité, qui commande de ne pas créer un mariage bis. L'égalité ne se négocie pas, elle s'applique. Si nous rejetions ce texte, comment expliquer aux jeunes qu'il faut lutter contre l'homophobie ?

Enfin, ce texte incarne la fraternité par l'ouverture à l'autre, qu'il implique. En acceptant la diversité, nous respectons tous les individus pour que chacun, demain, fasse partie d'une société qui ne s'interroge plus sur la normalité de la famille.

Le groupe CRC votera ce texte. Nous voulons une société plus juste, plus respectueuse, plus protectrice ; nous soutenons les objectifs de liberté et d'égalité qui sont les fondements de ce texte. La famille et la société en sortiront renforcées. (Vifs applaudissements à gauche)

M. François Zocchetto .  - Nous vivons un moment important, historique et chacun doit mesurer sa responsabilité avant de modifier l'institution de la famille. Vous avez choisi de proposer ce texte au Parlement, plutôt qu'au peuple, mais il aurait fallu accorder plus de considération aux millions de Français qui ne veulent pas de ce texte. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC et UMP) Certes, une société évolue avec le temps. Le droit de la famille évolue, s'adapte aux évolutions sociales. Nous sommes ouverts au principe de cette réforme. Simone Veil a su être novatrice.

Le mariage semble être une des institutions les plus partagées du monde. Historiquement, les sociétés humaines demeurent fondées sur l'altérité du féminin et du masculin pour fonder la filiation. Tous nos voisins n'ont pas la même conception du mariage. Gardons-nous de comparaisons hâtives et superficielles. (« Très bien ! » et applaudissements à droite)

Notre droit se caractérise par une pluralité de régimes. En 2013, il existe une liberté de choix entre le concubinage, le pacs, le mariage. Ces différents cadres juridiques sont-ils suffisants et adaptés à l'évolution des familles d'aujourd'hui ? Sans doute pas. Il y a plus de solennité dans la signature d'un achat immobilier que dans celle d'un pacs. Nous sommes pour l'union civile pour tous les couples, à la mairie (murmures à gauche) qui n'auront pas d'effets sur la filiation (applaudissements à droite) différence de taille avec le mariage.

Une large majorité de notre groupe est opposée à votre projet de loi, madame la garde des sceaux. Ce n'est pas la question de la conjugalité qui agite, mais celle de la filiation.

M. Charles Revet.  - Bien sûr !

M. François Zocchetto.  - Il n'y a jamais eu de droit à l'enfant pour les couples hétérosexuels. La filiation est une éventualité, une liberté, le législateur n'a pas la prétention de la donner Il n'y a pas de droit à l'adoption. (Applaudissements à droite et au centre) Là est l'enjeu de la réforme. Pour procréer, il faut un homme et une femme.

Mme Christiane Kammermann et Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Eh oui !

M. François Zocchetto.  - On ne peut créer un droit opposable au bonheur ! Que le législateur fasse preuve de modestie et de prudence. « La loi ne doit pas être un acte de puissance »...

Mme Annie David.  - Oh la la !

M. François Zocchetto.  - Le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant découle de nos engagements internationaux, curieusement passés sous silence par l'étude d'impact.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Vous ne l'avez pas lue.

M. François Zocchetto.  - On ne peut dissocier de ce texte les questions de la PMA et de la GPA. (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite ; on le conteste à gauche) Ce sont des sujets qui requièrent expertise et discernement, quand on entend le président de la République, on n'y comprend rien... (Applaudissements à droite)

M. Charles Revet.  - Évidemment !

M. François Zocchetto.  - Vous ne pouvez pas nous demander de prendre de tels risques, pour des enfants que l'on n'entendra que quand il sera trop tard. (« Bravo ! » et applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Michel Baylet .  - C'est avec une émotion particulière que je m'exprime au nom des sénateurs radicaux de gauche sur ce grand texte emblématique, dans la lignée de l'abolition de la peine de mort... (Protestations à droite)

Oui, j'étais député en 1981, je me souviens de ce que disaient vos amis politiques à l'époque... (Applaudissements à gauche)

Puisse notre débat être de qualité ! Il en va de notre responsabilité collective. Je salue le vaste travail mené par le rapporteur Jean-Pierre Michel, et la quarantaine d'auditions auxquelles il a procédé. Je relève cette phrase de l'anthropologue Françoise Héritier : « Le propre de l'humain est de réfléchir à son sort et de mettre la main à son évolution... » (Applaudissement sur quelques bancs à gauche) « Le mariage, cadre à forte charge symbolique, est devenu pensable et émotionnellement concevable comme ouvert à tous » ajoute-t-elle.

Certains opposants au texte contestent l'opportunité de sa discussion au moment où notre pays traverse une grave crise, la plus grave depuis des décennies...

M. Jean-Claude Gaudin.  - C'est vrai !

Mme Catherine Troendle.  - Mais oui !

M. Jean-Michel Baylet.  - Était-il futile de débattre de l'IVG en 1974-1975, alors que notre pays était touché par la première crise pétrolière ? (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Mézard et Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - Très bien !

M. Jean-Michel Baylet.  - À ceux qui opposent le social au sociétal, dois-je rappeler tous les textes économiques et sociaux adoptés depuis dix mois ?

Ce texte résulte de la rencontre de deux mouvements de fond : l'évolution du mariage dans notre société, l'exclusion des personnes homosexuelles.

En 1791, le mariage se sécularise. Ce n'est plus un sacrement, mais un acte civil. En 1970, la pleine égalité entre les conjoints est établie.

M. Jean-Michel Baylet.  - Oui, la droite fut à une époque plus progressiste qu'aujourd'hui !

En 1975, la loi sur le divorce, en 2003, la loi sur le patronyme. (Exclamations à droite)

M. Philippe Bas.  - Merci Chirac !

M. Jean-Michel Baylet.  - Je vous ferai la même remarque : ressaisissez-vous, à droite, vous filez à mauvais coton ! Le mariage est bien une institution vivante. Se développent des formes alternatives de familles, qui sont autant de réalités : regardons-les en face ! Ne faisons pas comme ceux qui ont défilé entre Neuilly et l'avenue de la Grande-Armée.

M. Alain Gournac.  - C'est cela, votre grand débat ?

M. Jean-Michel Baylet.  - Longtemps l''homosexualité fut réprimée, considérée comme une atteinte aux bonnes moeurs, une maladie mentale même. Je veux évoquer la mémoire d'Henri Caillavet qui déposa dès 1978 ici même une proposition de loi abolissant les discriminations à l'encontre des homosexuels. Nous sommes ses héritiers. En 1999, un pas décisif fut franchi avec le pacs. Je me souviens des débats, analogues à ceux qui ont entouré ce présent projet de loi.

Qui aujourd'hui remet en cause le pacs ? Qui l'a fait entre 2002 et 2012 ? Des procédures ont été lancées afin d'ouvrir le mariage aux personnes de même sexe : elles ont abouti naturellement à ce que soit réaffirmée notre compétence législative...

La force de votre projet de loi, madame la ministre, est qu'il différencie la parentalité, l'engendrement et la filiation, comme nous y invitait Françoise Héritier lors des auditions de notre commission des lois. Les couples homosexuels ne peuvent adopter, alors que les personnes célibataires le peuvent. Dès 2011, j'ai accepté les demandes d'adoption monoparentales alors que je savais qu'il s'agissait de couples homosexuels, en tant que président du conseil général du Tarn-et-Garonne et j'en suis fier ! (« Très bien ! » sur les bancs socialistes ; exclamations à droite)

Sans remonter à l'Ancien testament, à l'histoire d'Israël er d'Abraham, la PMA existe déjà pour les couples ayant des problèmes de fertilité. Bien sûr, la question est de nature bioéthique. Nous sommes contre la GPA. Mais nous soutenons l'inscription à l?état civil d'enfants étrangers qui ont été conçus ainsi. Oui, regardons hors de nos frontières, même en Argentine, au Chili, en Uruguay, pays qui subissent plus que la France l'influence de l'Église. Nos sociétés évoluent. Notre droit peut-il y demeurer hermétique ? Nous ne le pensons pas. Votre projet de loi est marqué du sceau de l'égalité mais aussi de la liberté. Enfin, c'est une loi de fraternité et d'humanisme qui reconnaît indistinctement tous les couples et accueille avec bienveillance toutes les formes de familles. (Applaudissements à gauche)

Mme Esther Benbassa .  - Ce texte répond à la revendication des couples gays et lesbiens d'accéder aux formes d'union « normales », celles de M. et Mme Tout-le-Monde, alors que le nombre de mariages diminue, institution traditionnelle empoussiérée...

M. Charles Revet et M. Jean-Claude Gaudin.  - Alors, pourquoi ils le veulent ?

Mme Esther Benbassa.  - ... indissociable de la morale bourgeoise... (Exclamations à droite)

M. Éric Doligé.  - Heureusement que les bourgeois paient leurs impôts !

Mme Esther Benbassa.  - ... morale de la famille et non pas seulement du travail, comme l'a montré Didier Eribon dans ses Réflexions sur la question gay. De même Michel Foucault, dans son Histoire de la folie, a-t-il montré que l'ordre de la structure familiale est devenu une règle sociale et une norme de la raison. L'Âge classique a confisqué l'éthique sexuelle au profit de la morale de la famille. En sommes-nous toujours là ? Entendons aujourd'hui ce désir de normalité bourgeoise des gays et lesbiennes, comme un désir d'intégration et de normalisation qui met fin à des siècles de discrimination. Ils/elles sont des citoyennes et des citoyens comme les autres.

Les récentes manifestations contre le mariage pour tous ont ravivé le slogan multiséculaire que « ces gens-là » ne sont pas comme les autres, ils sont hors du cercle de la raison.

M. Jean-Vincent Placé.  - Très bien !

M. François-Noël Buffet.  - Nous n'avons jamais dit cela !

M. David Assouline.  - Vous l'avez pensé très fort !

Mme Esther Benbassa.  - Elles ont remis à l'ordre du jour la morale « bourgeoise » pourtant bien craquelée que Mai 68 n'avait réussi qu'à peine à bousculer. Il y a un retour du refoulé. Protéger l'enfant ? Tout le monde est pour ! Il lui faut un père et une mère ? Pure idéologie de même que cette conception d'une famille traditionnelle, modèle bien ébranlé que ce schéma « papa-maman-enfant », (exclamations indignées à droite) dont les familles recomposées et monoparentales sont déjà sorties depuis longtemps.

L'intérêt de l'enfant ne peut être à géométrie variable. Le droit doit apporter une réponse. Les enfants nés par GPA ou PMA, les enfants de parents homosexuels ne sont-ils pas des enfants comme les autres ? (Applaudissements à gauche)

Les alcooliques, les abstinents, les malades, les bien-portants, les handicapés, tous ont droit à une famille aujourd'hui. On ne les stérilise plus  comme on le fit dans certains pays! (Protestions à droite) L'intérêt supérieur de l'enfant des gays et lesbiennes est-il différent de celui des autres ?

M. Gérard Longuet.  - Du calme !

Mme Esther Benbassa.  - Si ce n'est pas de la discrimination, qu'est-ce donc ? La psychiatrie a longtemps joué ce jeu pour la sauvegarde de l'ordre moral...

Au XIXe siècle, l'homosexualité était une pathologie mentale ! Je vous renvoie à l'audition de Jacques Alain Miller : rien dans la psychanalyse n'autorise à se revendiquer d'une anthropologie renvoyant à la Genèse. (Exclamations à droite) Tous les psychanalystes qui s'en réclament devraient le méditer.

Il s'agit ici du mariage civil. (« Ah ! » à droite) Dans notre pays à la laïcité si chatouilleuse, la sacralisation catholique du mariage continue de vous coller à la peau. (Protestations à droite)

Avec Luther il y avait déjà le mariage pour tous, pour laïcs et prêtres, païens et chrétiens. Le mariage pour tous existe dans de nombreux pays. La France, l'un des derniers pays à décriminaliser l'homosexualité, est l'un des plus conservateurs dans ce domaine. La circulaire de Mme la garde des sceaux sur les enfants nés de la GPA, a provoqué une polémique. Sont-ils marqués du sceau du péché originel ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Les enfants ne connaîtront pas leurs origines !

Mme Esther Benbassa.  - La PMA et la GPA existent déjà dans divers pays. (Murmures croissants à droite) Comme le Pacs, le mariage et la parentalité gays et lesbiens se banaliseront. Des humanistes de droite et du centre, je n'en doute pas, voteront ce texte. Nous écologistes nous soutenons ce projet même si nous voudrions aller plus loin... (Vives protestations à droite, couvertes par les applaudissements à gauche)

Au nom de mon groupe, j'ai déposé une proposition de loi audacieuse, incluant la PMA pour les couples lesbiens. Ainsi nous ouvrons ce débat et permettons au Gouvernement de s'engager pour son prochain texte sur la famille. Le mariage et l'adoption pour tous, voilà une bataille que nous pouvons gagner. Mais il y en aura d'autres. L'égalité est un combat sans fin. (Vifs applaudissements à gauche, marques d'ironie à droite)

M. Philippe Darniche .  - Ce texte majeur touche à l'essentiel : la famille.

M. Jean Bizet.  - C'est vrai !

M. Philippe Darniche.  - Une opposition digne des grandes heures de notre histoire s'est soulevée.

M. Charles Revet.  - Eh oui.

M. Philippe Darniche.  - En cinq mois, à trois reprises, des centaines de milliers de millions de personnes ont exprimé leur désaccord et le Gouvernement n'a pas voulu les entendre, son autisme est antidémocratique. (Applaudissements à droite) La coupe est pleine ! La loi n'a pas à transcrire les intérêts particuliers d'une minorité. Les mentalités évoluent. L'adoption de ce projet de loi serait un recul anthropologique. Le mariage a une dimension familiale. C'est l'union durable d'un homme et d'une femme. L'institution française est héritée du matrimonium latin, qui a pour but de préparer la femme à devenir mater, mère.

L'égalité consiste à traiter de même façon des situations équivalentes. La situation des couples de même sexe est différente.

Une part importante des spécialistes entendus en commission nous a alertés sur les perturbations introduites par ce texte, qui crée une nouvelle catégorie d'enfants, qui seront symboliquement non référés à un père et une mère. Tout enfant a le droit de savoir d'où il vient. (« Très bien ! » et applaudissements à droite)

Aujourd'hui le mariage, demain la PMA, après-demain la GPA.

M. Charles Revet.  - Eh oui !

M. Roland du Luart.  - Vous avez raison !

M. Philippe Darniche.  - Je refuse ces dérives. Je refuse le mensonge. Cette France des robots, je n'en veux pas. Je ne crois pas être le seul. (Applaudissements à droite)

M. Patrice Gélard .  - (Vifs applaudissements sur les bancs UMP)

Le chef de l'État a affirmé dans sa campagne vouloir la concertation ? Où est-elle quand plus d'un million de personnes sont dans la rue qu'on n'écoute ni ne veut écouter, (applaudissements à droite) quand 700 000 signatures d'une pétition sont mises au panier et ne sont pas examinées par le Conseil économique, social et environnemental. (Bravos à droite) Et l'on veut inscrire le caractère social de notre République dans la Constitution ?

Il y a une étude d'impact, oui, mais orientée unilatéralement...

M. Charles Revet.  - Oui !

M. Patrice Gélard.  - ... dépourvue d'analyse des conséquences de ce texte, pleine de lacunes, donc pas exploitable.

Le Conseil d'État a dit que ce texte était imparfait, incomplet, en particulier sur l'état civil, l'adoption, le nom : autant de motifs d'inconstitutionnalité.

Le mariage : rappelez-vous Mme Guigou, garde des sceaux.

M. David Assouline.  - Souvenez-vous de Boutin !

M. Patrice Gélard.  - Qui me disait qu'il n'était nul besoin d'inscrire dans le code civil que le mariage était l'union d'une femme et d'un homme parce que cela allait de soi. Une évolution s'est faite depuis. (On en convient avec force ironie à gauche)

La Convention européenne et la convention universelle des droits de l'homme, le pacte de Téhéran affirment que le mariage est l'union d'un homme et d'une femme. Nous sommes en train d'adopter une loi non conforme à ces traités internationaux. (Bravos à droite) Il y a une multitude d'accords internationaux qui vont devenir caducs. Il faudra les revoir.

Les encyclopédistes du XVIIIe siècle étaient tous contre le mariage « le pire des esclavages » selon Diderot, « l'exploitation de la femme par l'homme, la transposition de la dictature de la bourgeoisie » selon les anarchistes et les socialistes du XIXe siècle.

Il est vrai que quatorze ou quinze pays ont reconnu le « mariage pour tous » : les cinq États scandinaves, le Portugal, l'Espagne, le Canada, quelques États des États-Unis, le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay, l'Afrique du Sud.

M. François Rebsamen.  - Belle liste !

M. Patrice Gélard.  - Mais le mariage dans ces pays n'est pas la transposition du mariage catholique inscrit dans notre droit depuis 1804, institution solennelle.

M. Marc Daunis.  - L'Espagne et le Portugal, protestants ?

M. Patrice Gélard.  - Nous ne nous opposons pas à la reconnaissance de droits que n'ont pas les couples homosexuels et c'est pourquoi nous proposons l'union civile, qui n'entraînera pas de conséquences sur la filiation, tout en incluant la solennité de l'union, le droit de succession, la pension de réversion.

Voilà donc comme nous envisageons cette question du mariage.

M. David Assouline.  - Je n'ai rien compris !

M. Patrice Gélard.  - C'est bien dommage !

J'en viens à la filiation. Nous croyons que tout enfant naît d'un homme et d'une femme. (On le confirme à droite)

À ce propos, on voit émerger la théorie du gender, sexe social et non réel. Chacun de nous aurait le droit de choisir son sexe, de devenir, au choix, un homme ou une femme...

Mme Laurence Rossignol.  - Ne caricaturez pas !

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - C'est une souffrance pour beaucoup de personnes.

M. Patrice Gélard.  - On veut nous instiller une façon de penser qui n'est pas la nôtre.

Pour l'adoption, nous sommes face à une hypocrisie manifeste.

M. David Assouline.  - De quoi parlez-vous ? Du résultat ?

M. Patrice Gélard.  - D'un texte mal pensé, incomplet et dangereux dans son application. L'adoption dans la société antique, c'était la nécessité d'assurer le transfert du nom. César avait adopté Brutus puis Octave pour transmettre son nom, ses dieux lares qui protègent le foyer. En Asie, l'inspiration est la même : l'adoption sert à maintenir le culte des ancêtres. Il en va tout autrement en France, l'adoption plénière est faite dans l'intérêt exclusif de l'enfant orphelin ou abandonné. On va lui donner un nom, une famille, des origines. L'enfant a alors tous les droits et tous les devoirs d'un enfant biologique. Cette adoption est réservée aux couples structurés, mais à l'heure actuelle, il y a très peu d'enfants adoptables de façon plénière. À l'étranger, il y a également très peu d'enfants adoptables. En Belgique le mariage homosexuel existe depuis longtemps, mais depuis 2006, il y a eu zéro adoption pour des couples homosexuels. Il en ira de même en France. Pour une raison simple : les pays qui acceptent l'adoption à l'étranger de leurs enfants ne l'acceptent pas par des couples homosexuels. Cette loi est donc hypocrite car s'il n'y a pas d'enfant à adopter, il faudra prévoir la PMA. (Applaudissements à droite)

Cette PMA existe déjà en Belgique et en Espagne, des femmes y vont et reviennent avec un enfant. Il faudra réexaminer la question de ces enfants qui existent. M. Baudis, Défenseur des droits, avait tiré la sonnette d'alarme des enfants nés des GPA et qui n'ont aucun droit. Il faut s'interroger car il y va de l'intérêt des enfants. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Michel Baylet.  - C'est ce que j'ai dit !

M. Patrice Gélard.  - L'adoption simple est d'une tout autre nature. Très répandue avant 1914, elle permet de transmettre un patrimoine, un héritage, parfois le nom ou le titre de noblesse. Le fisc a trouvé cela intéressant et il ponctionne allègrement celui qui hérite. L'enfant ainsi adopté n'est pas soumis aux mêmes règles fiscales que les autres enfants. Heureusement que cette adoption existe car les enfants de couples homosexuels ont pu être adoptés par le conjoint du parent biologique.

Il faudrait aussi repenser notre régime de filiation. Un ami intime de mes enfants vit en couple avec un homme ; il a eu un enfant avec une femme qui vit avec une femme. Cet enfant a 8 ans, je le connais bien. Il a en quelque sorte deux pères et deux mères qui veulent tous adopter. Mais cela n'est pas possible puisqu'il y a une mère génétique et un père génétique...

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.  - Et alors ?

M. Patrice Gélard.  - Le texte va créer trois catégories d'enfants. Des enfants qui pourront faire l'objet d'adoption plénière, des enfants qui ne pourront faire l'objet que d'une adoption simple et des enfants qui ne pourront faire l'objet d'aucune adoption : le principe d'égalité est donc rompu d'où une cause d'inconstitutionnalité.

En outre, comme l'eût relevé le doyen René Capitant, le mariage fait partie des principes fondamentaux de notre République et a valeur constitutionnelle. On ne peut donc le remettre en cause qu'en révisant la Constitution. En Espagne, le mariage n'a pas valeur constitutionnelle et peut être modifié par la loi, mais pas chez nous. Selon l'expression du doyen Duguit, le mariage, avec ses deux siècles d'existence sans qu'on y ait touché, appartient à la « Constitution sociale de la France ». (Applaudissements à droite) L'article 34 de la Constitution ne dit pas que le législateur a le droit de toucher au mariage : seuls les régimes matrimoniaux sont mentionnés. Est-ce à dire qu'y toucher relèverait du pouvoir réglementaire ? Évidemment non. C'est donc que le mariage a valeur constitutionnelle.

Les Anglais disent que le Parlement peut tout faire sauf changer un homme en femme. Nous Français allons donc réussir à faire même cela ? (Applaudissements à droite)

Ceux qui ont participé à l'éducation des enfants et s'y sont attachés doivent avoir des droits. François Mitterrand a recréé le parrainage civil qu'avait créé la Révolution. Ce parrain ou cette marraine s'engage à suppléer les parents en cas de décès.

M. Jean Bizet.  - Exact !

M. David Assouline.  - Qu'est-ce que cela a à voir avec le sujet ?

M. François Rebsamen.  - J'ai perdu le fil...

M. Patrice Gélard.  - Pourquoi ne pas s'orienter sur cette piste ?

Ce texte n'est pas au point, c'est pourquoi, il doit être revu. Nous sommes pour l'union civile, pour faciliter l'adoption simple mais pas plénière. Nous proposerons des amendements dans ces deux sens. S'ils ne sont pas acceptés, nous voterons contre ce texte.

M. David Assouline.  - Quelle surprise !

M. Patrice Gélard.  - Et puis nous avons déposé trois motions, l'une pour prouver l'inconstitutionnalité de ce texte, l'autre pour revenir en commission, car trop de points sont obscurs, enfin, la question préalable, car la concertation préalable n'a pas eu lieu et il est toujours temps de la reprendre. (Mmes et MM. les sénateurs de l'UMP se lèvent et applaudissent longuement l'orateur tandis qu'il regagne son siège ; M. Michel Mercier applaudit aussi)

M. Jean-Michel Baylet.  - Vive la Cocoe !

Mme Nicole Bonnefoy .  - C'est avec fierté et honneur que je prends la parole ce soir. Ce texte est l'aboutissement d'un long processus de lutte, il marque un avenir majeur. Je remercie l'ensemble des sénateurs ayant participé à la préparation de cet examen ; je félicite notre rapporteur et me réjouis du climat serein du débat. Nous avons évité des propos regrettables comme ceux entendus à l'Assemblée nationale.

Certains de nos collègues sont menacés, insultés pour leur soutien à ce texte. C'est inacceptable. (Vifs applaudissements à gauche) Nous sommes indignés, au nom de la liberté d'expression. J'espère que l'attitude responsable des sénateurs se maintiendra tout au long du débat, ne serait-ce que par respect pour les milliers de Français concernés.

Le président de la République avait dit, durant la campagne électorale, qu'il voulait ce projet de loi, pour plus d'égalité entre les couples. Depuis des décennies, le mariage fait l'objet de réformes successives : plus de droits et de libertés individuelles ont été reconnus au cours du temps. Mais à chaque fois, que d'oppositions ! Nous n'échappons pas aujourd'hui à la règle. En leur temps, les réformes ont été décriées, et puis nul ne songe plus à les remettre en cause. Dans quelques années, le mariage homosexuel sera une évidence.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis, et M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Très bien !

Mme Nicole Bonnefoy.  - J'en veux pour preuve le pacs, jamais remis en cause. Certains de ses détracteurs en sont devenus les soutiens inconditionnels.

Lors des débats sur le pacs, les mêmes craintes avaient été exprimées : notre société devait être bouleversée. Bien sûr, ce ne fut pas le cas.

D'aucuns prétendent que le Gouvernement procéderait à un déni de démocratie intolérable pour refuser un référendum que l'article 11 n'autorise pas. Les Français ont élu François Hollande. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Éric Doligé.  - On voit où cela nous met !

Mme Nicole Bonnefoy.  - Oui, le référendum a eu lieu, c'était le 6 mai 2012 ! (Applaudissements sur les bancs socialistes ; exclamations à droite) Le Gouvernement n'a pas privé la société d'un débat, il n'a pas agi en catimini. Le projet de loi a été présenté en conseil des ministres il y a cinq mois. De multiples auditions ont eu lieu.

Ce texte apporte une réponse juridique à une situation sociale depuis longtemps établie. La famille d'aujourd'hui, ce n'est pas un papa, une maman, deux enfants. (« Si, si ! » à droite) Il y a beaucoup de familles monoparentales ; le nombre de divorces a explosé ; plus de la moitié des enfants naissent hors mariage : il n'y a plus de famille standard. Je comprends que beaucoup de familles se soient senti blessées par les propos qui disaient ce que devait être la famille.

Nous devons vivre avec notre temps et respecter la liberté, l'égalité, la laïcité, le respect des personnes. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Les couples de même sexe aspirent depuis longtemps à pouvoir se marier, étape supplémentaire dans l'acceptation de l'homosexualité. Même si le regard de la société a changé, le chemin reste encore long. Il y a peu, l'homosexualité était considérée comme une maladie, une déviance. Sept pays de l'Union européenne ont adopté le mariage homosexuel avec le recours à l'adoption. Ces enfants se portent-ils plus mal que les nôtres ? Bien sûr que non !

Le mariage n'est pas un acte religieux en France, c'est un acte civil. Ceux qui disent que la finalité du mariage réside dans la filiation, estiment-ils qu'il faut l'interdire à des couples stériles, âgés ou qui simplement ne veulent pas d'enfant ? Et que pensent-ils des parents, dont je suis, qui élèvent seuls leurs enfants ? (Vifs applaudissements à gauche)

L'État ne peut rester sourd et aveugle devant les milliers de familles homosexuelles qui élèvent leurs enfants. C'est pourquoi il faut permettre l'adoption par le conjoint, afin de protéger les enfants. Cette réforme est dans l'intérêt des enfants. Aucune étude sérieuse n'a démontré que les enfants élevés par des couples homosexuels rencontreraient plus de problèmes. En revanche, le regard de la société sur ces enfants est pesant. Il y aura autant de bons que de mauvais parents dans une famille homosexuelle ou hétérosexuelle.

M. Henri de Raincourt.  - Platitudes.

M. Éric Doligé.  - Vous auriez dû écouter M. Gélard.

Mme Nicole Bonnefoy.  - Il est inconcevable de priver ces couples d'un droit à l'adoption, mais ils devront remplir les mêmes critères que les autres couples, qui sont au nombre de 27 000 actuellement. Pour la PMA, le comité national d'éthique rendra un avis avant la fin de l'année. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s'exclame) Pour la GPA, il n'en est pas question.

M. le président.  - Veuillez conclure !

Mme Nicole Bonnefoy.  - Le groupe socialiste apporte son soutien à ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes ; on s'impatiente à droite) Comme le dit Montesquieu, une chose n'est pas juste parce qu'elle est loi, elle doit être loi parce qu'elle est juste. (Mmes et MM. les sénateurs socialistes se lèvent et applaudissent longuement ; on applaudit aussi sur les bancs CRC et écologistes)

Mme Catherine Tasca .  - À l'Assemblée nationale, vous avez, madame la garde des sceaux, magistralement retracé l'histoire du mariage civil. Vous avez évoqué le long et difficile chemin des femmes pour conquérir leurs droits. Aujourd'hui, vous présentez un texte de modernisation, un pas franchi après la dépénalisation de l'homosexualité, puis après le pacs. Trop longtemps, l'homosexualité a été vécue comme une exclusion. Le pacs a fait accepter la différence, il a ouvert une fenêtre, pour dire cette vérité, même si les couples hétérosexuels se le sont appropriés.

Depuis bien longtemps, le mariage se fait et se défait, de plus en plus d'enfants vivent dans des mariages homosexuels. Comment pourrions-nous refuser de reconnaître cette réalité ?

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Très bien !

Mme Catherine Tasca.  - Ceux qui combattaient le pacs il y a douze ans, réclament maintenant son amélioration. Que ne l'ont-ils fait quand ils étaient au pouvoir ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Il nous faut passer maintenant du pacs au mariage homosexuel. Avec ce texte, nous allons lever l'ultime hypocrisie. Le mariage civil, c'est la volonté d'un engagement durable et responsable, avec un partage des droits et des obligations. Quant aux enfants, se pose la question de leur place au sein de familles de plus en plus mouvantes. L'intérêt de l'enfant doit primer ; on ne peut donc laisser l'inégalité de traitement qui frappe ceux qui vivent dans des familles homosexuelles.

Grâce à ce projet de loi, cette insécurité prendra fin. Une véritable égalité entre tous les couples est instaurée, tant pour les droits que pour les devoirs. Le mariage fait cesser l'insécurité juridique du conjoint survivant, qui deviendra héritier et touchera une pension de réversion.

L'article premier établit une véritable égalité entre tous les couples. Le mariage n'est plus un contrat conclu entre un homme et une femme, mais par deux personnes. Ces couples pourront dès lors avoir le droit d'adopter, pourront exercer l'autorité parentale en commun.

Le travail de notre rapporteur et les auditions ont mis en lumière l'intérêt supérieur des enfants. Les futurs mariés de même sexe pourront adopter dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels, alors que pour l'instant, ces personnes doivent cacher leur homosexualité et se dire célibataire.

Des milliers d'enfants vont enfin être protégés. Avec les mécanismes de délégation subsiste une certaine insécurité juridique : est-ce l'avenir que nous voulons pour nos enfants ? La nature adoptive de la filiation n'est pas cachée à l'enfant. Il n'y a donc aucun mensonge.

Nous reviendrons sur la question du nom patronymique lors de l'examen des articles.

Ce texte met fin à des discriminations, c'est un texte de progrès que le groupe socialiste votera. (Applaudissements à gauche)

Mme Isabelle Pasquet .  - La vision de la famille a évolué. Nous nous réjouissons que le regard de la société ait changé. L'égalité est revendiquée par ce texte. Comme l'a dit M. Michel, il n'existera aucune différence entre couples homosexuels et hétérosexuels quand il s'agira de la reconnaissance juridique des enfants.

Je m'étonne qu'on nous oppose l'intérêt des enfants pour rejeter ce texte, alors que c'est tout l'inverse que nous voulons. Pourquoi vouloir qu'un des parents n'ait aucun droit sur les enfants de son conjoint ? La parentalité fondée sur un concept sociologique est déjà reconnue par notre droit.

En tant que législateurs, nous devons répondre aux attentes, aux souffrances des familles homosexuelles. Nous devons débattre sans préjugés, d'autant qu'aucune étude n'a démontré que des enfants élevés par des familles homoparentales rencontraient plus de difficultés que les autres. Aux États-Unis, une étude a montré que la situation était exactement la même pour les enfants de couples homosexuels ou hétérosexuels. Il est temps de reconnaître les mêmes droits pour tous les enfants. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Michel Mercier .  - Je veux remercier M. le président de la commission des lois et le rapporteur pour la qualité du débat.

Bien sûr, il y a des personnes du même sexe qui s'aiment et qui ont droit à notre respect. Mais les réponses que vous proposez sont-elles les bonnes ? Je ne le crois pas, tant pour le mariage que pour l'adoption.

Le principe d'égalité, dites-vous ? En 1793, Cambacérès rédigeait son projet de code civil au nom du principe d'égalité.

M. Jacques Mézard.  - Très bien !

M. Michel Mercier.  - Mais celui qui a été adopté, c'est le code civil rédigé par Portalis. C'est de ce mariage-là qu'il est question, pas du mariage religieux qui n'a rien à voir dans notre histoire. Nous ne débattons pas d'une question religieuse. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Michel Baylet.  - Vous êtes le porte-parole de Mgr Barbarin.

M. Michel Mercier.  - Merci de dire aussi élégamment que je suis catholique. Et c'est parce que je le suis que je répète que notre débat n'est pas religieux.

M. François Rebsamen.  - Dites-le à Civitas !

M. Michel Mercier.  - Le consensus n'a pas été mieux marqué que par Aragon dans son fameux poème qui dit que « Tout peut changer, mais non la femme et l'homme ». (Applaudissements à droite ; Mme Dominique Bertinotti, ministre, s'exclame) Cette référence vous étonne, madame la ministre ? Je tiens Aragon pour l'un de nos plus beaux poètes.

M. Robert Hue.  - Il n'aurait pas voté avec vous !

M. Michel Mercier.  - Vous n'en savez rien. Mais il a marqué le consensus anthropologique.

Vous passez d'un mariage statut, voulu par le code civil, à un mariage individuel. À Rome, il y avait deux mariages, l'un cum mano, l'autre sine mano, selon le mode d'entrée dans la famille. On ne peut parler d'égalité qu'entre être semblables, sinon l'altérité prévaut.

La question de l'adoption est plus grave. L'adoption plénière crée un nouvel état civil pour les enfants « nés de deux parents du même sexe », (M. Charles Revet rit) un état civil particulier pour les enfants adoptés par des couples homosexuels, l'orientation sexuelle de leurs parents deviendra constitutive de leur identité.

M. François Rebsamen.  - Mais non !

M. Michel Mercier.  - Mais si ! C'est pourquoi je ne pourrai voter votre texte qui, au nom de l'égalité, crée une discrimination. (Applaudissements sur quelques bancs à droite et au centre)

M. Robert Hue .  - L'histoire de la République est une promesse, celle de la progression vers l'égalité de tous citoyens, sans distinction d'aucune sorte. Car, comme l'a écrit Montesquieu, « l'amour de la démocratie est celui de l'égalité. Madame la ministre, il vous revient de donner vie à cette belle promesse, qui était aussi une proposition de campagne de François Hollande, que j'ai soutenu. (Exclamations à droite)

Cette évolution vient de loin. Je me réjouis que l'histoire aille dans le sens de l'élargissement continu des droits en permettant l'inclusion des citoyens. Curieux paradoxe de voir que les opposants les plus acharnés du pacs, que j'ai voté en son temps à l'Assemblée nationale, en deviennent aujourd'hui les chantres zélés et en proposent même l'amélioration avec l'union civile.

En quinze ans les mentalités ont évolué, et c'est heureux ; le pacs entre personnes de même sexe a été banalisé et personne ne songe à y revenir. Les Français sont largement favorables au mariage entre personnes de même sexe.

M. Jean-Michel Baylet.  - Eh oui !

M. Robert Hue.  - D'ici quelques années, la même banalisation s'imposera comme elle s'est imposée dans les pays qui nous ont précédés sur ce chemin.

Le combat pour les droits des homosexuels a été âpre et méritoire. Je pense à la dépénalisation des relations homosexuelles voulue par François Mitterrand en 1982 ; je pense aussi aux revendications d'un statut légal pour les couples homosexuels qui se sont fait jour dans les années 1980, lorsque les ravages du sida laissaient de nombreuses personnes dans une situation matérielle difficile après le décès de leur compagnon, en plus du drame humain qui les frappait.

Si la famille est bien le socle de la société, elle ne peut être réduite à une simple réalité biologique. Le modèle familial que défendent les opposants à ce texte est contingent et récent au regard de l'histoire ; comme tout modèle, il n'a pas vocation à demeurer figé. Songez au statut de l'épouse qui ne pouvait, avant 1965, travailler sans l'autorisation de son mari. Le droit doit appréhender les faits, non l'inverse.

À tous ceux qui s'opposent à ce texte, faut-il dire que non, nous ne détruirons pas les fondements de la société ; que non, nous n'allons pas changer de paradigme anthropologique, comme je l'ai entendu, ni créer des générations d'enfants psychologiquement instables. Jusqu'en 2001, les enfants légitimes et naturels étaient traités différemment en matière de succession. On estime entre 20 000 et 30 000 le nombre d'enfants concernés, qui vivent aujourd'hui dans une zone juridique grise. Le seul critère qui vaille est celui de l'intérêt supérieur de l'enfant, qui doit bénéficier de la protection la plus élevée.

Ce texte s'inscrit dans la longue marche du progrès. Il met fin à l'hypocrisie légale.

M. le président.  - Il faut conclure !

M. Robert Hue.  - Les personnes homosexuelles seules n'ont-elles pas déjà la possibilité d'adopter ? Nous avons conscience de la solennité du moment. L'ouverture du mariage et de l'adoption...

M. le président.  - Votre temps de parole est épuisé.

M. Robert Hue.  - Je conclus en disant à l'opposition : la société change ; si vous ne voulez pas changer avec elle, elle changera sans vous ! (Applaudissements à gauche)

La séance est suspendue à 20 h 10.

présidence de M. Jean-Pierre Bel

La séance reprend à 22h 10.

Ordre du jour

M. le président.  - Par lettre en date du 4 avril, le Gouvernement a demandé l'inscription à l'ordre du jour du jeudi 11 avril, le soir, des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant réforme de la biologie médicale ; du lundi 15 avril, l'après-midi et le soir, de la nouvelle lecture du projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, municipaux et intercommunaux, et modifiant le calendrier électoral, et des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi organique relatif à l'élection des conseillers municipaux, intercommunaux et départementaux.

Il a par ailleurs demandé le retrait de l'ordre du jour du mardi 16 avril du projet de loi relatif à la convention Ospar pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du nord-est.

Motion référendaire

M. le président.  - J'informe le Sénat qu'en application de l'article 11 de la Constitution et de l'article 67 du Règlement, j'ai reçu une motion tendant à proposer au président de la République de soumettre au référendum le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

En application de l'alinéa premier de l'article 67 du Règlement, cette motion doit être signée par au moins 30 sénateurs dont la présence est constatée par appel nominal.

Il est procédé à l'appel nominal.

Cette motion sera envoyée à la commission des lois.

Sa discussion aura lieu conformément à l'article 67, alinéa 2, du Règlement « dès la première séance publique suivant son dépôt » c'est-à-dire demain vendredi à 10 heures.

Conformément au droit commun défini à l'article 29 ter du Règlement, la discussion générale sera organisée sur deux heures, les inscriptions de parole devant être faites à la direction de la séance avant demain, vendredi, 9 heures.

Rappel au Règlement

Mme Isabelle Debré .  - Notre commission des affaires sociales a été saisie pour avis sur ce texte. Madame Meunier, vous avez dit que nous vivions un moment important. M. Baylet nous a demandé un débat de qualité.

Ce matin, à 10 h 39, nous avons reçu un mail nous convoquant jeudi matin au lieu de mercredi matin en commission des affaires sociales. C'est la deuxième fois qu'une telle chose se produit. Comment pourrons-nous être présents dans l'hémicycle pour débattre ?

Monsieur le président, veuillez faire respecter le Règlement intérieur pour le bon déroulement de nos travaux. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Compte tenu de cette motion référendaire, la commission se réunira demain matin à 9 h 30 pour l'examiner.

M. le président.  - Acte vous en est donné.

Mariage de personnes du même sexe (Suite)

M. le président.  - Pour l'heure et conformément à la tradition, nous reprenons la suite de la discussion générale du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

Discussion générale (Suite)

M. Charles Revet .  - Je regrette qu'il y ait moins de monde à gauche qu'à droite. (Mouvements divers)

Le doyen Gélard nous a brillamment présenté... (applaudissements à droite)

M. David Assouline.  - Je n'ai rien compris.

M. Charles Revet.  - ... des arguments qui vous ont ébranlée, madame la garde des sceaux...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Vous m'informez sur moi-même ! (Sourires)

M. Charles Revet.  - ... et qui justifient notre opposition, qui n'est pas politique, mais philosophique et sociétale.

Que le président de la République, alors que notre armée est envoyée au Mali, que la crise sévit, fasse appel à la cohésion nationale, soit, mais qu'il montre l'exemple. (Applaudissements à droite) Pourquoi ce texte qui va bouleverser profondément les fondements de notre société ? Ce projet de loi en fera table rase. Est-ce voulu ? À quoi voulez-vous aboutir, madame la garde des sceaux ? Vous allez redire que vous tenez une promesse électorale du président de la République, qui n'aura pas d'incidence pour la majorité de la population...

Pensez-vous qu'il y aurait eu autant de réactions de tous bords si c'était aussi simple ? Je remercie le président et le rapporteur de notre commission des lois pour les auditions qu'ils ont organisées. La plupart des intervenants n'ont pas dissimulé leurs interrogations et inquiétudes sur les conséquences de ce texte.

Le mariage est l'union d'un homme et d'une femme qui peuvent donner la vie. J'ai à l'esprit cette phrase de la présidente de chambre du Tribunal de grande instance de Paris, Mme Bérard : « Il faut bien constater que l'accès des couples de même sexe à l'institution du mariage a pour conséquence mécanique de bouleverser tout le droit de la famille (...) un domino venant renverser tous les autres ». Quand on parle de mariage, on parle de filiation et de famille.

D'autres auditions ont mis en relief les enjeux et les conséquences de ce texte. Le Gouvernement a-t-il la volonté idéologique de changer en profondeur notre société ? Soyez prudents ! L'égalité à laquelle vous vous référez méconnaît la différence de nature entre les couples. Homme ou femme doivent être traités de la même manière, à situation équivalente, c'est cela l'égalité.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Charles Revet.  - Ne traitez pas de même des situations différentes ! Ne croyez-vous pas que notre pays a un urgent besoin d'apaisement ?

M. Bruno Sido.  - C'est évident !

M. Charles Revet.  - Le président de la République veut traiter de la situation des personnes de même sexe vivant en couple ; faisons-le dans les termes qui correspondent à leur situation. C'est ce qu'ils attendent. (Applaudissements à droite)

M. Yves Daudigny .  - De grandes figures historiques ont été évoquées. Victor Schoelcher qui a siégé dans notre hémicycle a dit : « La République n'entend plus faire de distinction dans la famille humaine. Elle n'exclut personne de son immortelle devise : liberté, égalité, fraternité ».

M. Bruno Sido.  - Il ne parlait pas de mariage homosexuel !

M. Yves Daudigny.  - Oui, ce projet de loi est un texte de liberté, d'égalité et de fraternité, qui renforce le ciment du sens et de la communauté. Le mariage a longtemps été une institution d'exclusion. En l'inscrivant dans l'ordre républicain le Constituant a mis fin à cette exclusion. Les lois de 1970 et 1975 ont reconnu aux femmes de nouveaux droits. La loi de 1972 a mis un terme à l'exclusion des enfants adultérins.

Ce texte en termine avec l'exclusion des personnes homosexuelles condamnée par la CEDH. Le pacs s'est révélé insuffisant, malgré les améliorations apportées en 2006, 2007 et 2009.

Comment accepter que pour leur seule orientation sexuelle, des personnes continuent à être privées des pensions de réversion...

Mme Nathalie Goulet.  - Oui, c'est un vrai sujet !

M. Yves Daudigny.  - ... de l'indemnisation du congé d'adoption... et que dire des enfants qui ont un intérêt légitime à être juridiquement protégés. Responsable de l'ASE, je témoigne de la réalité : c'est l'exclusion, le sectarisme, l'intolérance, qui brisent les enfants.

Nous défendons et approuvons ce projet de loi courageux et lucide, qui apporte plus de justice et de sécurité. (Applaudissements à gauche)

M. Hervé Maurey .  - Veuillez excuser mon collègue Yves Détraigne rentré dans sa commune en raison d'un évènement dramatique.

Au nom du principe d'égalité, le Gouvernement propose qu'un homme puisse épouser un homme et une femme une femme mais après le mariage et l'adoption, la PMA et la GPA vont s'imposer parce qu'il n'y aura pas assez d'enfants à adopter par les couples homosexuels.

M. Jean Bizet.  - C'est la vérité.

M. Bruno Sido.  - Il n'y en aura pas du tout !

M. Hervé Maurey.  - Pourquoi instaurer une inégalité nouvelle entre les couples ? Le mariage unit depuis la nuit des temps un homme et une femme qui veulent fonder une famille pour avoir des enfants. La GPA fera exploser la notion même de famille. Le principe d'égalité est invoqué de manière abusive par certains. (« Très bien ! » à droite) L'égalité ne s'applique en droit qu'à des situations équivalentes...

Mme Éliane Assassi.  - Oh là là.

M. Hervé Maurey.  - Un couple d'hommes ou de femmes ne peut engendrer...

Mme Éliane Assassi.  - Personne n'y est obligé !

M. Hervé Maurey.  - Faut-il modifier le droit pour satisfaire la demande d'une minorité ?

M. Jean Bizet.  - Bien sûr que non !

M. Hervé Maurey.  - « Les préférences sexuelles sont libres. La discrimination m'est insupportable mais l'humanité entière est structurée homme/femme, pas selon les préférences sexuelles... » a dit Lionel Jospin, que, pour une fois, j'ai plaisir à citer ! (Applaudissements à droite ; exclamations à gauche) Vous allez permettre que les enfants aient deux pères ou deux mères. Le droit de l'enfant à avoir un père et une mère est un droit fondamental. (« Oui ! » à droite)

Il est normal et légitime qu'un couple homosexuel bénéficie d'un statut protecteur. Mais pour moi, le mariage est inséparable de la filiation. C'est donc une solution d'union sans filiation qu'il faut instaurer. (Applaudissements à droite) Si une majorité de Français est favorable au mariage pour les homosexuels, 56 % d'entre eux sont opposés à l'adoption par ces personnes.

Pour une fois, entendez les Français, enlevez vos oeillères. Un million de personnes dans la rue, ce n'est pas rien et vos twits ironiques, monsieur le rapporteur, sur des « badauds en balade et des jupes plissées » étaient hors de propos. Ce n'est pas digne d'un rapporteur de la commission des lois ! (Bravos et applaudissements à droite)

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Hervé Maurey.  - Avec ce texte, vous portez gravement atteinte au mariage, à la famille et aux droits des enfants. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Alain Milon .  - Je remercie le groupe UMP de m'avoir permis de m'exprimer, alors que ma position n'est pas majoritaire. (Applaudissements sur les bancs UMP) Si nous adoptons ce texte, nous accompagnerons et conforterons la banalisation du mariage des personnes de même sexe, dans leur liberté constitutionnellement reconnue, nous donnerons tout son sens à l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen comme à l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'homme. Nous honorerions notre réputation et illustrerions notre devise nationale inscrite au fronton de nos mairies : liberté de se marier, égalité de traitement des situations identiques.

Ce projet de loi soulève de multiples questions. L'opposition porte parfois davantage sur le terme de mariage que sur l'acte lui-même, conformément à l'inconscient religieux de notre culture judéo-chrétienne, même si le mariage est un acte purement civil dans notre société actuelle.

Reconnaître le mariage homosexuel porterait atteinte à l'altérité fondée sur la différence entre les sexes. Ce projet de loi exprime une vision de l'homme, de la société, de la démocratie. À l'instar de la loi sur l'IVG, sur l'abolition de la peine de mort, ce texte pose la question de nos valeurs. Tel est le sens des résistances qui s'expriment...

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Bien sûr.

M. Alain Milon.  - ... même si le mariage n'est plus l'institution qui fonde et règle la filiation.

Ce texte glisse du mariage à la constitution d'une famille, en se référant à la filiation adoptive, qui touche à l'enfant en tant qu'individu, mais aussi expression de l'avenir, prolongement de nous-mêmes. L'amour est-il suffisant pour construire un être ?

Devons-nous, au nom de ces incertitudes, nous empêcher d'avancer, priver nos concitoyens de droits ? Les questions soulevées par la reconnaissance de la famille homoparentale n'épargnent pas les familles recomposées, monoparentales et autres. PMA, GPA : ce ne sont que des techniques médicales de lutte contre la stérilité. Comment concilier « droit à » et « droit de » l'enfant ? Reconnaître la possibilité d'adopter, c'est offrir de la stabilité et de la transparence. Je souscris au projet de loi sur ce point. En revanche, il est impérieux de dissocier filiation plénière et mariage. (« Ah ! » à droite) Ne donnons pas à l'enfant une « homofiliation », fiction juridique, pour le protéger !

M. Bruno Sido.  - C'est compliqué.

M. Alain Milon.  - Victor Hugo, dans L'enfant paraît. s'exclamait : « Seigneur, préservez moi, préservez ceux que j'aime,

frères, parents, amis et mes ennemis même,

dans le mal triomphants,

de voir jamais, Seigneur, l'été sans fleurs vermeilles,

la cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,

la maison sans enfants... ».

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - C'est dans Feuilles d'automne.

M. Alain Milon.  - Si nous adoptons ce texte, nous aurons la satisfaction d'avoir ensoleillé quelques vies. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs bancs au centre à droite)

M. Serge Larcher .  - Certains veulent un débat technique sur le code civil, d'autres déversent leur haine ou, plus subtilement, veulent maintenir les homosexuels dans un ghetto. Comme sur tout sujet de société, ce débat est avant tout affaire de conviction. Les opposants à ce texte mènent un combat d'arrière-garde.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Très bien !

M. Serge Larcher.  - Je voterai ce texte, pour son souci d'égalité, la lutte contre l'homophobie en particulier. Qu'en est-il outre-mer ? Il semblerait qu'on ait voulu faire de nos territoires des bastions symboliques de la résistance à ce texte. Cela serait dû à l'importance de la pratique religieuse outre-mer. Mais celle-ci doit nous permettre de faire preuve de hauteur et de tolérance. Notre République est laïque, rappelons-le.

Nos sociétés ultramarines dites traditionnelles ne se distinguent pas des autres quant à l'objet de ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Il n'y a pas de spécificité ultramarine en ce domaine et les manifestations d'opposants n'ont pas rassemblé plus de 100 personnes à la Martinique. Nous devrions même être les premiers défenseurs de ce projet de loi, nous descendants d'esclaves, car il nous renvoie à notre combat pour l'égalité parfaite en droit. Car c'est de droit qu'il s'agit. Nous sommes contre toute discrimination, notamment fondée sur l'orientation sexuelle.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Bravo !

M. Serge Larcher.  - Une fois votée, que la loi s'applique rapidement, sans laisser place à une clause de conscience, qui créerait un précédent fâcheux pour l'application de la loi et donnerait lieu à des dérives (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Chantal Jouanno .  - Je vais commencer malicieusement par féliciter le Gouvernement pour son habilité politique. Il a réussi, sur ce débat où l'on devrait parler de l'amour, à diviser les Français de façon caricaturale entre « irresponsables  » et « ringards ». Je le dis avec d'autant plus de rancoeur qu'en tant que femme de droite et libérale, je suis favorable à ce texte, car j'accorde la même confiance aux personnes homosexuelles qu'aux autres. Leur orientation sexuelle n'est pas un choix. Moins l'État se mêle des choix individuels, mieux la société se porte. Enfin, j'accorde la même considération à toutes les familles, qu'elles soient traditionnelles, monoparentales, recomposées ou homosexuelles. Ce texte devrait être porté par la droite : la demande de mariage est conservatrice.

Ces questions n'appellent pas de réponse binaire. Il est paradoxal que la laïcité soit à ce point instrumentalisée. Je suis préoccupée par la violence des débats. Nous avons tous entendu cette phrase : « Il n'y a aucun doute que les enfants dans cette situation, subissent le fardeau de l'infériorité liée à leur statut ». Cette phrase date de 1959 et est issue de la Cour suprême en Louisiane pour interdire le mariage aux personnes de même sexe.

Par rapport à ce que j'ai subi ce matin, je tiens à rappeler que la menace n'est pas un argument contre les convictions. Le débat public se fonde sur l'argumentation, non sur l'éructation ou la démonstration de force. La démocratie est fragile. Sans doute la division nationale n'aurait pas eu lieu si l'on avait eu l'intelligence de retirer le terme mariage du code civil pour le réserver à la sphère religieuse.

L'opposition entre droit à l'enfant et droit de l'enfant est caricaturale depuis qu'existent la contraception, l'IVG, la PMA. L'enfant est désormais le résultat d'un choix parental. Sans doute aurait-il fallu attendre les conclusions du Comité consultatif d'éthique sur la PMA.

Notre groupe respecte les convictions de chacun.

M. Bruno Sido.  - Nous aussi.

Mme Chantal Jouanno.  - Aucun principe républicain n'est ici affecté. Je voterai ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Abdourahamane Soilihi .  - Ce texte est d'une importance capitale pour la Nation française. Je m'interroge sur sa portée car il est majoritairement contesté par les Français. Les manifestants méritent d'être entendus...

M. Serge Larcher.  - Cent en Martinique !

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Il n'y en a pas eu à Mayotte !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Le député a voté le projet de loi.

M. Abdourahamane Soilihi.  - Dans les territoires ultramarins, les échos ne sont guère favorables.

Le pacte républicain qui nous unit impose respect et protection aux homosexuels. Mais la notion de mariage civil suppose l'union d'un homme et d'une femme pour fonder une famille.

À Mayotte, le mariage homosexuel n'a pas la même dimension. Ce nouveau département doit faire l'objet de toute notre attention. Le week-end dernier, les habitants ont une fois de plus affirmé leur adhésion à notre République. Il ne s'agit pas d'opposer notre culture aux principes républicains. Les inégalités font l'actualité des territoires ultramarins.

En juin, un débat a eu lieu au Sénat, qui a démontré quels étaient les défis majeurs qui se posaient à Mayotte. Il ne faut pas mélanger le désir de changement par une minorité de personnes et le danger de mettre en péril notre tradition sociétale. À Mayotte, les lois doivent s'appliquer, sans exception. Or les manifestations se succèdent. Les Mahorais attendent des changements concrets et non un bouleversement sociétal. Ce texte est en contradiction totale avec notre société.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Abdourahamane Soilihi.  - La religion musulmane y est installée depuis le XVème siècle, avant l'arrivée de la France. Je vous rappelle que 80 % des Mahorais sont musulmans. Il ne faut pas que Mayotte perde son identité. (Applaudissements à droite)

Mme Virginie Klès .  - « I had a dream ». J'ai fait un rêve. (« Pas nous ! » à droite) Elle était belle, blanche et avait les yeux bleus. Il était beau, grand et noir. Ils étaient devant moi, s'aimaient et voulaient se marier. Des boubous avaient envahi la pièce, tout le monde était heureux. Et puis ce rêve est devenu oppressant : nous étions en 1778, année de l'interdiction des mariages mixtes. J'entendais autour de moi des mots violents, je n'avais plus le droit de célébrer ce mariage.

Je me retrouve avec Mme Jouanno pour dire que la constance des mariages que je célèbre, c'est l'amour, le bonheur. Quel que soit le mariage.

Un autre mariage m'a marqué, un mariage que j'ai célébré en hôpital. Elle était en phase terminale d'un cancer qui l'a tuée une semaine plus tard. Elle avait deux enfants et voulait épouser avant de mourir leur père avec qui elle vivait depuis des années. C'était une manière de lui confier ses filles. Et si cette jeune femme avait été homosexuelle, comment aurait-elle fait ? À qui aurait-elle eu le droit de confier ainsi ses filles ?

Faut-il diverses formes de mariage, hétérosexuel, homosexuel, pour les couples qui ne veulent pas d'enfant ? Soyons raisonnables : il faut un même mariage pour tous ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

J'ai entendu beaucoup parler du droit à l'enfant. M. Gélard a dit qu'il ne fallait pas admettre un mariage homosexuel qui ouvre le droit à l'adoption plénière parce que certains pays ne nous donneraient plus d'enfants à adopter. Mais où est l'intérêt supérieur de l'enfant ? C'est d'être adopté par une famille. Une société tolérante gommera les différences et les enfants ne seront plus insultés au motif de l'orientation sexuelle de leurs parents.

Pour tous ces raisons, je voterai ce texte, des deux mains si je le pouvais. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Leleux .  - (Applaudissements à droite) Où pourrais-je trouver la force pour créer une brèche dans le mur idéologique sur lequel nos arguments glissent ?

Cette loi fait prendre un risque considérable à notre société. Portalis, éminent juriste provençal (sourires), avait donné au code civil la cohérence et la portée qui l'ont porté jusqu'à nous. Il disait que l'intérêt et la liberté de la société tiennent essentiellement à la stabilité des familles. Homme de conviction, de conscience, de réflexion et de modération, il fut, selon Sainte-Beuve, « la lumière civile du Consulat ». S'il pouvait prendre ma place, il vous dirait que la loi civile ne peut en aucun cas être de rang supérieur à d'autres lois que sont les lois naturelles, scientifiques ou biologiques. Il nous dirait : « Ne dégradons point la nature par nos lois ». Portalis, lui encore, nous rappellerait cet avertissement de Cicéron : « II n'est point du pouvoir de l'homme de légitimer la contravention aux lois de la Nature ». Car, oui, cette loi que vous voulez est contre-nature.

M. Marc Daunis.  - C'est consternant.

M. Jean-Pierre Leleux.  - Elle aura des conséquences directes sur les couples et conduira à de nouvelles injustices et de nouvelles discriminations. (Exclamations à gauche) Pourquoi diviser les Français sur un tel sujet de société ?

Le débat, non organisé, dans l'espoir, sans doute, de l'éviter, a été mal canalisé, pollué et trahi par d'habiles et scandaleuses manipulations sémantiques. Quelle escroquerie que cette formule : « Le mariage pour tous », avec laquelle on fait passer l'idée selon laquelle la mesure serait juste, équitable, et forcément bonne !

« À mal nommer les choses, on ajoute au malheur du monde » disait Camus.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - N'enrôlez pas Camus dans ce débat !

M. Jean-Pierre Leleux.  - Orsenna dit qu'il faut faire attention aux mots. Ne leur donnons pas le sens qu'ils n'ont pas...

M. Marc Daunis.  - Le mot « nature » par exemple !

M. Jean-Pierre Leleux.  - Le mot « mariage ». Loin de moi l'idée de priver les homosexuels de la possibilité de vivre leur vie affective. Pourquoi ne pas créer pour eux une union civile ? Pourvu que cette forme de reconnaissance ne soit pas assortie du droit d'adoption, que je juge inacceptable au nom des enfants. Le désir existe, mais les enfants doivent être élevés par un père et une mère. Sans même évoquer la PMA et la GPA, je vous dis qu'avec l'adoption, vous avez ouvert une brèche dans la filiation.

Je conclurai avec mon compagnon de route de ce soir, Portalis qui disait encore : « Quand la raison n'a point de frein, l'erreur n'a point de bornes ». (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Aragon, Jaurès, Camus... Pitié pour eux ! Je vous en prie, ne les enrôlez pas dans ce débat.

M. Alain Gournac.  - Vous seul avez le droit de les citer, sans doute !

M. Philippe Kaltenbach .  - Nous adaptons aujourd'hui le code civil aux besoins de la société, en respectant l'universalité des droits sur lesquels repose notre République. Le Gouvernement porte cette réforme déjà adoptée par d'autres pays. L'ouverture du mariage aux personnes de même sexe n'a pas abouti à une remise en cause du modèle familial. La centaine d'articles scientifiques consacrés depuis 40 ans à l'homoparentalité montre qu'il n'y a aucune différence entre les enfants élevés par des parents homosexuels ou hétérosexuels.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - C'est orienté !

M. Philippe Kaltenbach.  - Ce sont des études scientifiques...

Depuis le débat sur le pacs, les valeurs de la société n'ont pas été bouleversées. Le pacs devait tuer le mariage, annonçait Mme Boutin. Il n'en a rien été. Les grandes évolutions sociétales se sont toujours faites dans la douleur, mais les opposants ne sont jamais revenus sur ces avancées. Une union civile ? Ce serait discriminatoire et contraire à notre Constitution.

Le doyen Gélard nous a assené une supposée inconstitutionnalité de ce projet de loi.

Mme Catherine Procaccia.  - On verra bien.

M. Philippe Kaltenbach.  - À l'entendre, le mariage ferait partie du bloc de constitutionnalité pour n'avoir pas été modifié depuis 1804. Le fait est qu'il a profondément évolué depuis lors. Le droit des femmes s'est imposé progressivement, quoique difficilement du fait des conservatismes.

Comme les droits des enfants sont garantis, je suis fier de voter ce texte. Je ne citerai pas Camus, mais Proust disant qu'il n'y avait pas d'anormaux dans l'homosexualité. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Alain Gournac .  - La question du mariage et celle de la filiation sont indissociables. Toutes les sonnettes d'alarme ont été tirées par les spécialistes, quels qu'ils soient. Malgré le nombre d'auditions, le débat a été de façade. Le président Hollande avait promis le mariage pour tous ? Il a surtout été rappelé à l'ordre par un groupe d'activistes lors du Congrès des maires. Je l'ai vu, j'y étais.

Jacques-Alain Miller s'appuie sur une conférence de Lévi-Strauss pour nous expliquer qu'il n'y a pas d'invariant familial universel ». Pourquoi se garde-t-il de préciser que Lévi-Strauss ne donne aucun exemple de société ayant institué le mariage homosexuel ? L'anthropologue Maurice Godelier l'a dit nettement mais comme à voix basse : « On ne trouve pas dans l'histoire, d'union homosexuelle et homoparentale institutionnalisée. » Pourquoi craint-on de faire état, haut et fort, de cette réalité anthropologique majeure ? Parce que c'est énorme, de vouloir rompre avec elle. Maurice Godelier de poursuivre : « Pendant des millénaires, la société a valorisé l'hétérosexualité pour se reproduire ». Que vous faut-il de plus que des millénaires ?

Françoise Héritier, professeur d'anthropologie du Collège de France, n'est pas moins ambiguë et gênée. « La pratique occidentale, nous a-t-elle expliqué, est marquée par un type de mariage hétérosexué et monogame. » C'est laisser entendre que d'autres sociétés auraient institué le mariage homosexuel. Où sont les exemples ?

Autre mensonge par ambiguïté, celui de la sociologue Irène Théry, utilisant la notoriété de Georges Duby pour soutenir votre texte et prétendant que le grand historien ne se référait en aucune manière à une sorte d'essence intemporelle du mariage. Il écrit le contraire ! Dans Le chevalier, la femme et le prêtre : « Le mariage ordonne l'activité sexuelle ou plutôt la part procréative de la sexualité ». On ne peut être plus clair.

Votre déni est préoccupant. Les déclarations d'Élisabeth Guigou en 1998 sur l'altérité sexuelle, cela n'existe pas. Les millions de manifestants, cela n'existe pas. Les 700 000 signatures, cela n'existe pas. Quel entêtement à dénier la réalité ! Un véritable mensonge d'État. (Vives protestations à gauche)

M. Marc Daunis.  - Rien que ça !

M. Alain Gournac.  - L'enfant est le signe extérieur de l'intimité de ses parents. Si ceux-ci sont du même sexe, ce n'est plus le cas. L'enfant grandit dans l'eau trouble d'un aquarium mensonger. (Vives exclamations à gauche)

Mme Éliane Assassi.  - Scandaleux ! Réactionnaire !

M. Alain Gournac.  - Vous nous appelez à salir la République avec le mensonge. Après le choc du mensonge qui a assommé la République, croyez-vous qu'il faille maintenant instaurer l'homo-mariage. Je souhaite que la prochaine fois deux ou trois millions de personnes défilent pacifiquement pour vous réveiller. (Applaudissements à droite ; protestations à gauche)

M. Marc Daunis.  - Dix millions, pendant que vous y êtes !

M. Roger Madec .  - Ce projet de loi fait partie des textes qui marquent la vie parlementaire. Nous serons comptables devant les générations futures de notre vote. Il est rassurant que le débat ait eu lieu, chaque courant a été entendu. C'est désormais à nous de prendre nos responsabilités. Il s'agit d'égalité pour tous, de fraternité.

Les modèles familiaux évoluent. La famille ne doit pas être un carcan. En adoptant le mariage aux modes plurielles, nous l'adapterons à la réalité. L'homosexualité a trop longtemps été stigmatisée, traquée. Cette réforme marque un progrès pour les libertés. Notre pacte social est fondé depuis 1789 sur l'universalité des droits de l'homme et des citoyens. Nous sommes les héritiers de cette tradition.

Je ne fais à personne de procès de conscience. Nous sommes tous pareils et tous différents. Il est possible aujourd'hui de contracter un pacs. Faut-il le faire évoluer en union civile ? Cet objet juridique non identifié serait-il une forme de mariage au rabais, une voie de garage ? Personne ne peut considérer que cela soit une solution. Comment comprendre que plus de la moitié des enfants naissent hors mariage ? Notre honneur, c'est d'abolir les formes d'exclusion.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Roger Madec.  - Je suis très fier que vous ayez porté ce texte avec courage et ténacité, madame la garde des sceaux. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Gérard Bailly .  - Depuis onze ans que je siège dans cet hémicycle, c'est la première fois que tant de passions sont soulevées avec des millions de personnes dans la rue.

Mme Éliane Assassi.  - Et les retraites ? Et le TPE ?

M. Gérard Bailly.  - Le mécontentement est profond. Croyez-vous que ce soit par plaisir que des millions de personnes aient traversé la France en autocar durant la nuit d'un samedi à un dimanche pour venir dire leur refus d'une mauvaise loi ? Je ne peux pas croire, madame la ministre, que vous ne pensiez pas que, pour nos enfants, une maman et un papa soit indispensables. « Maman », c'est le premier mot qu'un enfant prononce. C'est aussi le dernier d'une personne victime d'une mort subite ou d'un accident. Nous n'acceptons pas le mariage pour tous qui permettra l'adoption par des couples de même sexe.

Le nombre de demandes d'adoption est bien plus élevé que le nombre d'enfants adoptables. En 1996, en tant que président du conseil général, j'ai refusé l'agrément à deux femmes qui avaient fait une demande d'adoption. Elles ont gagné au tribunal administratif de Besançon. La cour d'appel de Nancy m'a donné raison. Cela va aller jusqu'à la Cour européenne des droits de l'Homme. Pour moi, l'adoption, ce n'est pas faire plaisir à un couple mais donner à un enfant une mère et un père.

Pourquoi vouloir instaurer la parité partout, et la refuser là où elle est le plus naturelle, dans la famille ? Où est la cohérence ? Je ne veux pas qu'un enfant vienne me dire qu'à cause de moi, il n'a pas eu, comme les autres, un papa et une maman. Peut-être un enfant viendra-t-il vous demander des comptes, madame la garde des sceaux, mais il sera trop tard.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Cela prend un tour personnel...

M. Gérard Bailly.  - Je ne voterai pas cette loi. (Applaudissements à droite)

Mme Éliane Assassi.  - Sortez les mouchoirs !

M. Gérard Bailly.  - J'en ai.

Mme Cécile Cukierman.  - Parlez d'amour !

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Je suis élu d'un département d'outre-mer où la tradition est très forte et où 95 % de la population est de confession musulmane. Je pense pourtant que ce texte est une chance, plus qu'une opportunité. (Applaudissements sur les bancs socialistes) La France va rejoindre les sept autres États européens qui ont instauré le mariage homosexuel. Je transcenderai mes convictions religieuses pour voter ce texte. J'ai été étonné d'entendre les membres d'une association prier devant l'Assemblée nationale, alors même que les prières de rue sont interdites (applaudissements à gauche) au nom de la laïcité. Faut-il comprendre que cette interdiction ne frappe que les musulmans ?

Les couples de même sexe sont dans une situation d'inégalité inacceptable, puisqu'ils ne disposent que du pacs, qui a d'ailleurs démontré son utilité. Les opposants d'hier en sont désormais les ardents défenseurs.

Les associations de parents homosexuels parlent de 100 à 200 000 enfants qui seraient concernés. Ces enfants existent, on ne peut les ignorer sous prétexte que l'homosexualité de leurs parents heurte nos convictions religieuses.

Dans une île comme la mienne, l'homosexualité est plus difficile à vivre qu'ailleurs. Mais l'insularité ne doit pas nous empêcher d'accepter ces avancées sociales. Les Mahorais, qui réclament le droit commun des départements, ne peuvent en même temps repousser les lois qui nous déplaisent. Nous avons tant lutté pour la départementalisation qu'il nous faut accepter ce texte.

Nous avons abandonné en 2005 la polygamie qui était de tradition chez nous ; cela n'a pas conduit à la catastrophe ; pourquoi en irait-il autrement avec l'acceptation du mariage homosexuel ?

M. Marc Daunis.  - Remarquable.

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Enfin, ce projet de loi répond à un engagement du président de la République. Porté avec conviction et talent par une garde des sceaux qui vient comme moi d'outre-mer, il démontre que nous pouvons prendre en compte les avancées collectives. C'est à ce titre que les sociétés évoluent. Je voterai donc ce texte. (Vifs applaudissements à gauche ; en retournant à son banc, l'orateur est congratulé par ses collègues)

M. Claude Dilain .  - Il est normal que votre loi suscite des débats importants, mais j'ai du mal à accepter les pressions, les violences qui l'ont accompagnée. Dans les autres pays, le débat s'est déroulé dans la sérénité.

Pour moi, cette loi s'inscrit dans le triptyque de notre République : liberté, égalité, fraternité. Tous les couples doivent avoir les mêmes droits. La Constitution de 1791, dans son article 7, dit que la loi ne considère le mariage que comme un contrat civil.

M. Patrice Gélard.  - C'est du code civil de 1804 qu'il est question !

M. Claude Dilain.  - À partir du moment où l'homosexualité est sortie du code pénal, des manuels de médecine et de la liste des maladies de l'OMS, il est logique, souhaitable, juste que le mariage homosexuel entre dans le code civil. Il n'y a aucune raison qu'on refuse des droits à des homosexuels.

En Espagne, le précédent président du gouvernement a dit que la civilisation devait beaucoup à la France, patrie des droits de l'Homme. La loi du mariage pour tous rendra justice à tous ceux qui ont été injustement traités. Des élus républicains des États-Unis réclament que tous les Américains soient traités de la même façon, sans distinction de race ou d'orientation sexuelle. Comment pourrions-nous penser autrement, alors que notre tradition de liberté, d'égalité et de fraternité est encore plus ancrée dans notre histoire ?

Nous avons été bombardés de lettres et de messages. Que n'avons-nous reçu ou entendu !

Permettons à tous les couples de prendre toute leur place dans la société. J'ai beaucoup appris en entendant les juristes de cette maison ; moi qui ne suis qu'un pédiatre, je ne privilégie pas la filiation biologique.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - Très bien !

M. Claude Dilain.  - Pour l'enfant, ses parents sont ceux qui se lèvent la nuit quand il pleure, ceux qui l'aiment, quels que soient leurs gènes et leur genre ! (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - La parole est à M. Godefroy

M. Philippe Bas.  - Vive la Manche ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Godefroy .  - Une société ne se construit pas à contresens des désirs de ceux qui la composent, à rebours de sa cohésion future. Prenons acte de l'humanité et de l'individualité qui rassemblent les hommes, donc fondent le vivre ensemble.

Soyons fiers de ce débat. Arrêtons de stigmatiser certains de nos concitoyens. Accordons-leur cette reconnaissance de leur humanité et de leur individualité. L'homophobie existe. Les personnes homosexuelles subissent plus d'agressions que les autres, et cela a augmenté de 22 % cette année. Les tentatives de suicide sont plus importantes chez les personnes homosexuelles. Oui, l'homophobie tue.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - Oui.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Le Grand Rabbin de France a déclaré que la place des religions n'est pas dans la rue, que la survie de la communauté juive n'était pas menacée par un tel texte. Cette déclaration est de grande sagesse. Au coeur de cette loi, il y a l'amour a-t-il ajouté. Oui, il s'agit d'amour. Les enfants dont nous parlons sont désirés. Ils sont comme tous les autres, des dons de la vie. Le président de la Fédération protestante de France a déclaré que le mariage, pour les protestants, ne relève pas du sacré. C'est un acte civil. Pourquoi la Chambre des communes a-t-elle adopté ce texte en une journée ? Pourquoi, ici, tant de violence ? Je crois que M. Gélard a répondu à cette question...

Je rappelle que le 7 février 2011 nous avons voté à une grande majorité l'assistance médicale à la procréation pour les couples infertiles, que cette infertilité soit médicale ou sociale. Nous sommes-nous tous trompés à l'époque ?

Mme Annie David.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Je voterai ce texte des deux mains. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Étienne Antoinette .  - En tant que sénateur de la République et parlementaire d'outre-mer, j'ai l'honneur de soutenir ce projet de loi qui fait débat outre-mer. Ce texte touche aux profondeurs de notre inconscient collectif. Je comprends les peurs mais je défends les valeurs républicaines : liberté, égalité, vérité. Car les trois principes de notre devise républicaine ne peuvent se comprendre qu'à la lumière de la vérité. Reconnaître aux homosexuels la possibilité de se marier, c'est une avancée démocratique. Dans la société française, laïque, républicaine et fraternelle, il est encore long, le chemin de la reconnaissance de l'autre, de la différence.

Je soutiens ce projet de loi parce qu'il brise le déni de réalité qui étouffe sous le carcan de la honte l'existence des familles homoparentales. Ce faisant, il fait acte de vérité.

La filiation est une affaire de choix. Jamais un modèle de famille n'a rendu un enfant heureux, la famille réelle, composée d'adultes qui s'aiment et qui l'aiment, l'entourent et lui apportent le vrai bonheur.

Ceux qui opposent artificiellement droit de l'enfant et droit à l'enfant s'en tiennent à un modèle familial qui ignore les familles monoparentales, les familles alternées. Le modèle familial est ébranlé ? Oui, comme les modèles religieux et idéologiques. Cela n'empêche pas la foi ni le militantisme.

Il ne s'agit pas du droit d'exister, parce qu'ils existent, ces enfants, ces familles, mais le droit à la vérité de leur existence. Il est temps que cesse l'hypocrisie, que le droit dise ce qui doit être en raison de ce qui s'impose comme un phénomène irréversible. Que tous les enfants soient reconnus égaux dans leur droit à la vérité, la plus haute valeur de liberté !

Que ceux qui spéculent sur les outre-mer sachent qu'ils ont historiquement une attitude revendicative ! (Bravos et applaudissements à gauche)

M. David Assouline .  - Durant la campagne, le candidat François Hollande a affirmé haut et fort son engagement n° 31. Dix-huit millions de concitoyens ont voté en sa faveur. (Protestations à droite)

M. Jean Bizet.  - Ils le regrettent !

M. David Assouline.  - J'ai entendu tant de chiffres. Je tenais à rappeler celui du suffrage universel, celui de la volonté du peuple qui fonde la démocratie. Depuis, tant d'heures de télévision, de radio, de débats, d'auditions et certains prétendent qu'on veut étouffer le débat... Rien ne justifie de renoncer à l'égalité des droits.

Oui, monsieur Leleux, pesons les mots. Depuis quelques temps, les limites sont dépassées. L'AFP relate que celui qui tout à l'heure tenait une grande croix devant le Sénat disait : « La France mérite châtiment si elle autorise le mariage des sodomites »... Oui, attention aux mots ! Lisez dans Valeurs actuelles l'interview du précédent président de la République qui, évoquant la « traçabilité des enfants » en plein scandale de la viande de cheval disait : « bientôt, ils vont se mettre à quatre pour faire un enfant » ! Un député UMP, à l'Assemblée nationale, compare un homosexuel à un terroriste qui « n'a jamais rencontré l'autorité parentale et n'a jamais eu la possibilité de savoir où est le bien et où est le mal »... Puis, une organisation qui appelle à manifester, parle de zoophilie, de polyandrie... Et Mme Barjot, sympathique animatrice...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Pas du tout sympathique !

M. David Assouline.  - ... répond à une invitation de ladite organisation et dit qu'ils partagent le même combat... Oui, attention aux mots ! À la suite d'un débat avec M. Mariton, je rentre chez moi et un militant m'envoie un message « Crève ! ». Le lendemain, je reçois un autre message d'une femme qui se dit chrétienne : « Je suis pour le mariage pour tous, pour protéger les enfants, merci de votre soutien, tenez bon » ; et elle signe : une citoyenne en âge d'être grand-mère.

Non, nous ne lâcherons pas parce que cette générosité nous donne une énergie énorme pour progresser dans la voie de l'égalité. (Applaudissements à gauche)

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée .  - Sur tous les bancs, des questions importantes ont été posées au-delà de certains propos caricaturaux. Je salue le discours de Mme Jouanno, non pas tant parce qu'elle n'appartient pas à la majorité que parce qu'elle a insisté sur deux points essentiels. Il est vrai que l'État n'a pas à définir ou à juger les contours de la famille. Mais il a cette exigence, c'est l'honneur de la démocratie et de la République, d'assurer à tous les mêmes droits et les mêmes devoirs. Et puis Mme Jouanno a rappelé ce qui a été très peu dit : on ne choisit pas d'être homosexuel. Souvenons-nous en quand nous entendons parler de « préférence sexuelle » ; utiliserait-on cette expression pour parler des hétérosexuels ?

Dans certains propos, j'entends qu'on tolère les homosexuels. Mais cela ne suffit pas, il faut les reconnaître comme citoyens à part entière ; et si on les reconnaît comme tels, alors ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs, les mêmes choix que les hétérosexuels : concubinage, pacs ou mariage.

De même, parlons non de droit à l'enfant, mais de désir d'enfant. Reconnaissons-le. Il est tout aussi légitime pour les couples homosexuels que pour les couples hétérosexuels.

Un enfant sera toujours le produit d'un homme et d'une femme.

M. François-Noël Buffet.  - Ah, quand même !

M. Charles Revet.  - Vous voyez !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.  - Mais le fait biologique suffit-il à faire d'un homme un père et d'une femme une mère ?

M. Charles Revet.  - Ça y contribue !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.  - Vous qui êtes tant attachés à l'intérêt supérieur de l'enfant, interrogez les enfants des couples hétérosexuels, qui parfois auraient aimé avoir un père qui ne soit pas seulement un géniteur et une mère qui ne soit pas seulement une mère biologique... (Mouvements divers à droite)

Il est en outre fondamental de reconnaître le droit de l'enfant à connaître son histoire originelle. Pendant des années, on ne disait pas aux enfants adoptés par des couples hétérosexuels qu'ils l'étaient. On le dit aujourd'hui très tôt. On a parfois aujourd'hui - cela dépend des familles - le même comportement à l'égard des enfants issus d'une PMA.

L'union civile ressemble fort à un sous-mariage, assortie d'une sous-adoption. Mais nos concitoyens homosexuels ne sont pas des sous-concitoyens. M. Gournac a fait référence à Georges Duby et Maurice Godelier. Quand on cite, il faut le faire dans son intégralité. Maurice Godelier dit que l'expression « aberration anthropologique » n'a pas de sens et parle plutôt de transformation dans l'évolution des systèmes de parenté. Il dit aussi que « l'homosexualité a été reconnue dans son rôle de formation des individus, dans la Grèce antique par exemple ; dans un peuple de Nouvelle-Guinée, pour être un homme, il fallait être initié, c'est-à-dire avoir vécu en couple homosexuel jusqu'à l'âge de 20 ans ; l'homosexualité avait un sens politique et religieux. L'humanité n'a cessé d'inventer de nouvelles formes de mariage et de descendance ». Quand on fait une citation, monsieur le sénateur Gournac, il faut la faire dans son intégralité ! (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Et Platon et Aristote !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux .  - J'adhère à tout ce que les sénateurs de la majorité ont dit à la tribune avec brio, force et conviction. Ils me pardonneront de ne pas leur répondre individuellement ; à cette heure tardive, je ne veux pas prolonger inconsidérément le débat...

Je m'arrête sur les propos de Mme Jouanno pour saluer son courage et sa constance. Vous ne pouvez imputer au Gouvernement la responsabilité du comportement des manifestants. Qu'il y ait des gens dont les conceptions soient heurtées par l'ouverture du mariage aux couples homosexuels, cela peut se concevoir et s'entendre, mais le mouvement de protestation prend une couleur de plus en plus partisane, instrumentalisée. Que ceux qui en sont responsables l'assument ! (« Très bien ! » et applaudissements à gauche) Nous acceptons la dispute, mais le Gouvernement n'a aucune part dans ce qui se passe - je sais, madame Jouanno, que vous n'en avez pas davantage. Je regrette qu'on se soit attaqué à vous. Nous n'avons rien de commun avec des gens aussi intolérants.

M. Jean-Michel Baylet.  - C'est scandaleux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - M. Gélard a développé les arguments qui viendront à l'appui de l'exception d'irrecevabilité ; je lui répondrai alors.

Le Gouvernement ne retient pas l'offre d'union civile. Non merci, monsieur Zocchetto. C'est bien de l'institution du mariage qu'il s'agit, bien au-delà de la pension de réversion et de quelques intérêts matériels. De l'institution avec toute son histoire, ses règles et obligations, ses protections, sa charge symbolique. C'est en toute lucidité que nous l'ouvrons aux couples homosexuels. Le mariage religieux n'est pas millénaire : il date du Concile du Latran de 1215...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Absolument.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Les couples homosexuels sont des citoyens à part entière. Nous ne leur proposons pas une institution à demi-portion mais celle qui a dans son sillage une vision parfois sacralisée. L'accès des homosexuels à toutes les institutions, à tous les droits est le plus sûr moyen de lutter contre l'homophobie. Ouvrons-leur tous les droits de l'institution républicaine du mariage, avec tout ce qu'elle contient éventuellement de sacré. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Revet nous a demandé où nous allions. C'est très simple ; là où le texte le dit. Le reste est extrapolation, supputation, hypothèse. Il n'y a pas de mystère, ne vous inquiétez pas !

Monsieur Milon, je vous salue... Le titre du projet de loi ne mentionne que le mariage, dites-vous, alors que le texte traite aussi de l'adoption. Mais dans notre code civil, il emporte l'adoption - c'est son article 343.

M. Charles Revet.  - Et suivants...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Bien entendu...

Je conclus. Je répondrai à d'autres orateurs en leur présence. J'ai entendu des plaisanteries mal venues, je n'insisterai pas. Mais je pensais à René Char : « les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d'eux ». Il y a des mots qui charrient l'exclusion. Des milliers de personnes se marient sans vouloir faire d'enfants, ou après l'âge de fécondité... Il y a une façon d'exclure dont je veux dire posément qu'elle est extrêmement violente pour les personnes qui n'entrent pas dans le schéma que certains projettent. (Applaudissements à gauche)

Un individu responsable, réfléchi doit interroger ses préjugés, ses clichés, sa propre pensée, se demander s'il ne s'est pas arrêté à un état de la société qui n'existe plus... Il faut faire attention aux propos qui concernent des personnes réelles. Il y a des dizaines, des centaines de milliers d'enfants qui sont concernés par ces paroles-là, inutilement blessantes, fracturantes.

Merci. Je sais que notre débat sera de qualité. Je connais cette maison de longue date, je sais le travail de fond qui y est produit. Durant les prochains jours, nous aurons droit à quelques querelles - sinon à quoi bon débattre ? Mais je ne les sollicite pas exagérément... (Bravos et applaudissements à gauche)

La discussion générale est close.

Prochaine séance aujourd'hui, vendredi 5 avril 2013, à 10 heures.

La séance est levée à minuit 45.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du vendredi 5 avril 2013

Séance publique

À 10 HEURES, À 14 HEURES 30 ET LE SOIR

Examen de la motion tendant à soumettre au référendum le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 482, 2012-2013)

Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 349, 2012-2013)

Rapport de M. Jean-Pierre Michel, fait au nom de la commission des lois (n° 437, tomes I et II, 2012-2013)

Texte de la commission (n° 438, 2012-2013)

Avis de Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 435, 2012-2013)