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Table des matières



Accord en CMP

Refondation de Mayotte - Département-Région de Mayotte (Procédure accélérée - Suite)

Explications de vote

M. Marc Laménie

Mme Agnès Canayer

Mme Salama Ramia

Mme Sophie Briante Guillemont

M. Olivier Bitz

Mme Cécile Cukierman

Mme Antoinette Guhl

M. Saïd Omar Oili

M. Christopher Szczurek

Scrutins publics solennels sur le projet de loi et sur le projet de loi organique

M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer

Mise au point au sujet d'un vote

Comment nos politiques publiques peuvent-elles contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays ?

M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe Les Républicains

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité

M. Daniel Laurent

M. Bernard Buis

M. Michel Masset

M. Jean-François Longeot

Mme Marie-Claude Varaillas

M. Guillaume Gontard

M. Serge Mérillou

M. Jean-Luc Brault

Mme Patricia Demas

Mme Denise Saint-Pé

M. Patrice Joly

Mme Marie-Jeanne Bellamy

M. Jean-Claude Tissot

Mme Sabine Drexler

Mme Martine Berthet

M. Olivier Paccaud

Mme Anne Ventalon, pour le groupe Les Républicains

Avenir du groupe La Poste

M. Patrick Chaize, au nom de la commission des affaires économiques

M. Bernard Buis

Mme Guylène Pantel

Mme Denise Saint-Pé

M. Gérard Lahellec

Mme Antoinette Guhl

M. Jean-Jacques Michau

M. Stéphane Ravier

M. Jean-Luc Brault

Mme Marie-Jeanne Bellamy

M. Franck Menonville

M. Sébastien Fagnen

M. Damien Michallet

M. Laurent Burgoa

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques

Ordre du jour du mercredi 28 mai 2025




SÉANCE

du mardi 27 mai 2025

94e séance de la session ordinaire 2024-2025

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Nicole Bonnefoy, Mme Sonia de La Provôté.

La séance est ouverte à 18 h 30.

Accord en CMP

M. le président.  - La commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans l'enseignement supérieur est parvenue à l'adoption d'un texte commun. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Refondation de Mayotte - Département-Région de Mayotte (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte et sur le projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte.

Explications de vote

M. Marc Laménie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, sur quelques travées du groupe UC et au banc des commissions) Je remercie l'ensemble des rapporteurs qui ont oeuvré à l'élaboration de ce texte - pas moins de quatre commissions y ont participé. Sans suspense, Les Indépendants voteront en faveur de ce texte fondamental, qui prévoit des mesures fortes. Les débats de mardi dernier étaient fort intéressants, s'agissant d'une situation grave. Les parlementaires de métropole doivent soutenir les outre-mer.

Ce texte traduit les engagements financiers de l'État : 3,17 milliards d'euros sont programmés pour financer des investissements. Le texte crée aussi un cadre dérogatoire en matière de sécurité et de nationalité.

Le projet de loi n'a pas été profondément modifié lors de l'examen en séance. Signe qu'il était complet, car il s'attaque à l'ensemble des fléaux, et équilibré, car les mesures, même si elles semblent choquer certains, restent strictement nécessaires.

L'impuissance à endiguer le phénomène de l'habitat informel montre l'inadaptation de nos règles aux réalités de Mayotte. En réduisant le délai d'un ordre d'évacuation d'un bidonville et en assouplissant l'obligation pour le préfet de proposer un relogement, le texte donne des moyens adaptés. Il prévoit en outre 24 000 nouveaux logements sur les dix prochaines années. Le renforcement de l'autorité du préfet sur les services de l'État à Mayotte accélérera ces constructions.

L'article 15 accélère la convergence sociale pour combler un retard considérable - le niveau de vie des Mahorais est sept fois plus faible que la moyenne nationale.

Il est impératif de dynamiser le développement économique du territoire, alors que le taux d'emploi n'y est que de 23 %. Le chantier est vaste : tourisme, pêche, offre de formation vers l'enseignement, la sécurité, le BTP, la pêche ou les métiers du soin.

Le texte prévoit plusieurs mesures fortes pour lutter contre l'immigration illégale, notamment contre la fraude aux reconnaissances de paternité. Il porte la condition de résidence à sept ans pour obtenir la carte « liens personnels et familiaux » et à cinq ans pour la carte « parent d'enfant français ».

Toutes ces mesures sont indispensables pour créer les conditions du développement de Mayotte, qui ne pourra avancer que si toutes les causes de ses difficultés sont traitées en même temps. Les Mahorais comptent sur nous, monsieur le ministre : ne les décevons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du RDPI et du groupe UC)

M. Emmanuel Capus.  - Excellent !

Mme Agnès Canayer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a près de six mois, Chido frappait Mayotte, causant de terribles dégâts matériels et humains. Très rapidement, toutes les institutions de la République se sont mobilisées. La loi d'urgence a été adoptée deux mois plus tard.

À présent, nous prolongeons l'effort de reconstruction en répondant aux problématiques de fond de l'archipel. Selon la formule de MM. Buffet, Le Rudulier, Marc et Mohamed Soilihi dans leur rapport d'information de 2021, il est plus que temps de « conjurer le sentiment d'abandon des Mahorais ».

Une programmation de la refondation de Mayotte figure dans un rapport annexé -  dépourvu de valeur normative  - qui constitue la feuille de route du Gouvernement pour 2025-2031. Quatre milliards d'euros d'investissements sont prévus, mais nous avons souhaité que le Gouvernement précise le calendrier d'ici la prochaine loi de finances. La construction de la piste longue, de la troisième retenue collinaire, de suffisamment d'écoles pour résorber le déficit de 1 200 classes, de prisons permettront au moins d'assurer une remise à niveau des équipements de base. Le Sénat a prévu des mécanismes de suivi, afin d'éviter toute nouvelle déception. En dotant le préfet de compétences nouvelles, nous espérons avancer plus vite et plus efficacement.

Mais rien ne sera possible sans maîtrise de l'immigration. Mayotte compte 320 000 habitants, dont la moitié sont étrangers. Si rien n'est fait, la population doublera d'ici à 2050. Nous saluons les multiples mesures du texte visant à freiner les flux illégaux, notamment en matière d'immigration familiale. Nous approuvons les mesures facilitant l'action des forces de l'ordre, notamment dans les zones d'habitat informel et en matière de contrôle des armes.

Le texte prévoit des mesures pour consolider l'économie du territoire et favoriser la convergence avec l'Hexagone. Résorber les zones d'habitat informel sera ainsi crucial. Les réponses sociales et sanitaires doivent tenir compte des particularités du territoire - je pense à l'installation des officines et à l'exclusion de l'aide médicale de l'État (AME) du champ de la convergence sociale.

Enfin, l'évolution institutionnelle rapprochera Mayotte du modèle de collectivité unique de la Guyane et de la Martinique. Nous avons remanié les modalités d'élections à la nouvelle assemblée territoriale afin de garantir une représentation équilibrée et d'assurer la continuité avec le découpage actuel. Nous nous réjouissons que ces évolutions aient été inscrites dans le dur de la loi.

Ces deux textes ne régleront pas l'ensemble des problèmes, mais nous approuvons leur orientation. Nous serons exigeants sur les engagements pris, car nous n'avons plus le droit à l'erreur. Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Louis Vogel applaudit également.)

Mme Salama Ramia .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce texte marque une étape utile dans un chemin encore long pour les Mahorais. Il n'épuise pas le sujet, mais pose un cadre à partir duquel nous pourrons construire. Les 4 milliards d'euros d'investissements traduisent un engagement d'ampleur de l'État, que Mayotte accueillera avec responsabilité : oui, préparer l'avenir implique de reconnaître les efforts consentis.

Cependant, tous ces crédits ne sont pas nouveaux. Nous voulons une mise en oeuvre sincère de cette programmation, avec un effet réel sur le quotidien des Mahorais.

Nous soulignons des avancées : la stratégie de reconstruction post-Chido, l'extension du zonage quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) à toute l'île et la création du statut de département-région.

Toutefois, en tant qu'élue de terrain, je souligne à la fois l'adhésion et la frustration suscitées par ce texte. Les attentes sont immenses, notamment de la part du monde économique. Refonder Mayotte, ce ne doit pas être parler seulement d'immigration, mais aussi de capacité productive, de travail, de relance locale. Je salue la création de la zone franche globale, mais elle ne suffira pas. Mayotte est le seul territoire d'outre-mer à ne pas bénéficier du dispositif Lodéom. C'est pourquoi j'avais défendu l'extension du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) à Mayotte. Mais ces amendements ont été rejetés ; je le regrette. Mayotte a besoin d'un levier de relance, sans opposer attractivité et justice sociale.

J'ai proposé de supprimer le titre de séjour territorialisé, devenu un piège, car il enferme Mayotte dans un statut d'exception, en fait une enclave migratoire et empêche la circulation des immigrés en situation régulière. Résultat, ce sont les Mahorais qui partent. Nous devons briser ce cercle vicieux.

Enfin, j'ai alerté sur la procédure d'expropriation accélérée, qui n'est pas transposable à Mayotte où la régularisation foncière reste lacunaire. Cet article suscite encore l'inquiétude et ne favorise pas l'adhésion des Mahorais au texte.

La modification de la localisation de l'aéroport, en contradiction totale avec la délibération des élus, est une décision prise contre leur gré, en marge des échanges du comité de pilotage qui s'ouvrira demain. Nous repartons de zéro, au prix de la destruction de terres agricoles, sans réelle concertation. Je forme le voeu que nos collègues députés, qui vont s'emparer du texte, portent encore plus haut les attentes des Mahorais.

Les Mahorais veulent entreprendre et construire leur avenir sur place. Aussi, le groupe RDPI votera ce texte qui trace des perspectives, mais restera vigilant : refonder Mayotte sans refonder son économie, c'est reconstruire sur du sable.

Les Mahorais veulent rester debout, dignes, acteurs de leur vie ; pas uniquement protégés ni encadrés, mais soutenus. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC et du RDSE)

Mme Sophie Briante Guillemont .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) En quelques semaines, Mayotte a connu le passage de deux cyclones. Après les mesures immédiates et d'urgence vient le temps de la refondation. Or 77 % des habitants de Mayotte vivent sous le seuil de pauvreté, la moitié est en précarité alimentaire et plus de la moitié renoncent à se soigner faute d'accès aux soins ou de moyens. D'ailleurs, la commission des lois a écarté d'emblée l'instauration de l'AME, par crainte d'un appel d'air migratoire.

À ce triste bilan s'ajoutent les quelque 25 000 jeunes de moins de 30 ans sans emploi ni formation. Il y a donc de sérieux problèmes de développement ; la Cour des comptes indique que l'économie mahoraise est « sous perfusion ». La gestion de crise n'y change rien. La situation est connue depuis longtemps ; Jacques Chirac, en 1986, la résumait ainsi : « Le problème de votre appartenance à la France ne se pose pas. Le problème qui se pose, c'est celui de votre avenir, celui de vos enfants, celui de votre île. »

Quarante ans plus tard, nous faisons face aux mêmes défis. Territoire français depuis 1841, Mayotte a toujours affirmé sa volonté de le rester. Le Sénat a joué un rôle important en la matière en demandant que la consultation de 1974 s'effectue île par île. Mayotte fut inscrite dans la Constitution en 2003 ; la départementalisation a eu lieu en 2011. Aujourd'hui, nous transformons Mayotte en département-région. À cet égard, le groupe RDSE votera le projet de loi organique sans réserve.

Après le statut, les problèmes structurels. Le projet de loi comporte des mesures que nous approuvons : convergence sociale d'ici à 2031, investissements colossaux, à hauteur de 4 milliards d'euros. Les mesures en faveur du développement de Mayotte sont nécessaires ; la feuille de route du Gouvernement est un espoir, et nous espérons qu'elle sera respectée.

Pour autant, nous restons perplexes, sur la politique migratoire tout d'abord. Dès 1995, Édouard Balladur instaurait une exigence de visa pour les Comoriens. Depuis, des dizaines de milliers de personnes sont mortes en traversant la mer en kwassa-kwassa. Si Mayotte appartient à la France, on ne peut ignorer qu'elle se situe en plein océan Indien. Les Comores sont un pays frère : aucune disposition légale ou réglementaire ne pourra faire cesser des solidarités séculaires. Nous ne croyons pas qu'un durcissement du droit des étrangers découragera les migrations, non plus que la rétention d'enfants ou le retrait des titres de séjour aux parents de mineurs délinquants.

Il faudrait plutôt réduire les écarts de développement impressionnants entre Mayotte et ses voisins, grâce à un renforcement de l'aide publique au développement accordée aux Comores et aux pays de l'Afrique de l'Est et de la région des Grands Lacs. Il nous faut aussi des accords migratoires.

Un quart de la population de Mayotte est formé de personnes en situation irrégulière. Penser que créer davantage de sans-papiers les fera fuir n'est pas seulement une illusion, c'est aussi dangereux. Pourtant, en faisant de Mayotte un département français, nous avons pris un engagement d'égalité. Or cela ne guide plus notre action. Par la loi du 26 janvier 2024, nous nous sommes interdit d'enfermer des mineurs dans une perspective d'expulsion. Pourquoi l'autoriser à Mayotte ?

Depuis 1974, l'attachement des Mahorais à la France n'a pas changé. Nous, en revanche, nous avons changé, par notre abandon de politiques consensuelles comme l'aide publique au développement, ou par notre obsession répressive qui nous fait multiplier les exceptions. Parce que l'égalité est un grand principe républicain que mon groupe n'a pas oublié, le groupe RDSE s'abstiendra en majorité sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe UC et du GEST)

M. Olivier Bitz .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Plus de cinquante ans après le référendum par lequel Mayotte a fait le choix de la France, ces textes donnent une dimension concrète à la promesse républicaine faite aux Mahorais. Les défis sont bien connus. Le cyclone Chido n'a fait qu'aggraver une crise préexistante, tout comme préexistait une crise de confiance envers l'État.

Le projet de loi constitue la feuille de route du Gouvernement, avec plus de 4 milliards d'euros d'investissements pour rattraper le retard de développement des infrastructures de l'île, qu'il s'agisse de transport, d'eau ou de santé.

Ces engagements, nombreux, devront être tenus et suivis de près. C'est pourquoi il a été rajouté un comité de suivi, avec un bilan à mi-parcours. Les engagements financiers du Gouvernement ont été précisés, à la demande du Sénat. Nous lui avons aussi demandé de présenter une programmation financière détaillée d'ici la fin 2025.

Le projet de loi prévoit une accélération de la convergence des droits sociaux et des prestations, ainsi que la convergence du Smic, à l'horizon 2031. C'est très ambitieux.

L'extension à Mayotte de la zone franche globale est à saluer.

Le Sénat a souhaité faciliter la coordination de l'action de l'État en consacrant l'autorité du préfet, pour la durée du plan de refondation, sur l'ensemble des services de l'État dans l'archipel, à l'article 1er bis.

La création de la collectivité unique et le renforcement de ses prérogatives aideront au développement de l'archipel. L'idée est que tout ne vienne pas toujours que de l'État. Nous nous réjouissons que cette réforme soit inscrite directement dans la loi.

Le projet de loi porte plusieurs mesures visant à lutter contre l'immigration clandestine et ses conséquences : insécurité, habitat informel et travail illégal. Ce n'est pas une « obsession migratoire », mais une réponse à la source d'un grand nombre des maux de Mayotte, de l'avis unanime des élus locaux. Selon l'Insee, le nombre d'habitants pourrait doubler d'ici à 2050 : nous ne pouvons refuser d'agir. Or il n'y aura pas d'amélioration sans réduction de l'immigration. En 2022, la Cour des comptes en a fait un préalable à la stabilisation du cadre socio-économique de l'île.

Le projet de loi restreint les conditions de délivrance des titres de séjour familiaux et lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité. Il propose un cadre juridique à la rétention, pour de très courtes durées, de personnes accompagnées de mineurs.

À l'écoute des élus du territoire, le Sénat a apporté de nombreuses améliorations. Je n'ignore pas que nos compatriotes mahorais ne seront pas pleinement satisfaits. Ainsi de l'article 19 sur la prise de possession anticipée, ou du maintien du visa territorialisé. Mais en l'état de la situation migratoire, sa remise en cause serait contraire tant à l'intérêt général qu'à celui des Mahorais. Toutefois, un bilan doit être tiré dans les trois ans. Ce sera l'occasion d'en réévaluer la pertinence.

Aucune loi ne répondra, à elle seule, aux défis de Mayotte. Pour cela, il faut une politique résolue, dans la durée, et une politique plus exigeante vis-à-vis des Comores.

Les élus nous ont alertés sur le sentiment d'abandon des Mahorais. Il y a urgence à obtenir des résultats concrets. Le groupe UC votera ces deux textes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)

Mme Cécile Cukierman .  - Mayotte reste-t-elle un territoire où un droit d'exception s'applique ?

Le groupe communiste a toujours défendu une convergence parfaite des droits, or elle est loin d'être atteinte. Pourtant, des efforts contre ce différentialisme ont été réalisés -  nous le saluons.

La création du Département-Région est une avancée. En positionnant Mayotte au même niveau institutionnel que la Martinique ou la Guyane, nous réaffirmons la compétence du territoire en matière de coopération régionale. Nous adaptons aussi le cadre budgétaire aux enjeux financiers de Mayotte, pour mieux affronter ses difficultés. Ces mesures répondent aux demandes des élus et de la population.

Nous saluons aussi l'ambition de faire converger les droits sociaux. Mayotte est le département français le plus pauvre : 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage atteint 37 %. Nous regrettons toutefois que ces mesures soient prévues dans une ordonnance, et que l'objectif de 2031 soit bien trop lointain.

Si la priorité donnée au travail est légitime, il est absurde de ne pas faire converger le RSA, ni l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ni certaines prestations familiales. Vous laissez trop de personnes sur le carreau. Nous regrettons aussi que l'AME soit exclue de la convergence, alors que les besoins en santé sont si importants à Mayotte.

Malheureusement, la convergence des droits est contrebalancée par la volonté de faire du territoire un lieu d'exception. Les habitants de Mayotte ne sont pas traités à égalité avec ceux du reste de la France : on peut détruire leurs logements d'infortune sans les reloger. Vous leur avez interdit d'acheter de la tôle sans carte d'identité, il y a quelques semaines. Ceux qui n'ont pas été mis à la rue par le cyclone Chido le seront désormais par le cyclone Manuel Valls. (Murmures)

Leurs enfants pourront être enfermés dans des centres de rétention, malgré les huit condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Les frères, soeurs et parents de personnes condamnées pour « atteinte à l'ordre public » pourront être jetés dans la précarité administrative pour des actes qu'ils n'ont pas commis. Les titulaires d'un titre de séjour territorialisé sont eux confinés sur l'île.

L'exclusion du droit à l'AME pose des problèmes de santé publique pour tous les habitants de l'île, quelle que soit leur nationalité.

L'expropriation de 300 hectares de terres agricoles pour un nouvel aéroport se fait sans concertation et contre la volonté des habitants. Vous avez privilégié le projet de Grande-Terre, et reproché aux élus mahorais d'avoir manqué à leurs responsabilités. Or le 17 avril 2025, ils prenaient une délibération à l'unanimité en faveur de la construction d'une piste longue à Petite-Terre. Cela ne vous convenait pas, vous avez déposé un amendement en séance publique pour vous y opposer. Le Sénat l'a rejeté, mais vous êtes passés en force, en usant du règlement. Nous regrettons que la chambre des territoires ne se soit pas rangée du côté des territoires et des élus mahorais.

Nous ne voterons pas contre ce texte qui contient des avancées importantes. Mais nous resterons vigilants, pour une réelle application des droits de l'homme à Mayotte, et pour une réelle convergence. C'est en sortant les gens de la pauvreté que nous leur offrirons un avenir meilleur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Antoinette Guhl .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER) Il y a quelques semaines, une délégation de la commission des affaires économiques s'est rendue à Mayotte. Nous avons vu, écouté, marché dans les bidonvilles, visité les installations, rencontré les acteurs de terrain. Nous avons vu un territoire en crise et un défi de grande ampleur auquel trop peu de dispositions du texte répondent. Où est la refondation ? Quelles réponses apportez-vous à la crise de l'eau, de l'école, de l'habitat, de la République ?

Aujourd'hui, 29 % des Mahorais ne sont pas raccordés à l'eau à domicile et le service d'eau est discontinu -  36 heures avec, 36 heures sans. Il est urgent de développer les infrastructures, pour garantir le principe constitutionnel de continuité du service public. Construire une usine de dessalement prendra deux à trois ans. Et que dire de son impact environnemental, au coeur d'un joyau de la biodiversité ? Oui, il faut une seconde usine, mais au bon endroit, ainsi qu'une nouvelle retenue collinaire. Mayotte a besoin d'un plan d'urgence pour l'eau.

Même impasse sur l'habitat. Nous avons vu des bidonvilles, des toits en tôle, des constructions sur des terrains instables. Or ce texte renforce les pouvoirs de police, comme si Chido n'avait pas tout détruit -  et tout a déjà été reconstruit à l'identique. Rien sur l'aménagement, le relogement digne ou le logement social. On détruit sans construire. Il faut un plan de résorption de l'habitat indigne, pas des bulldozers.

Alors que l'éducation est au bord du gouffre, avec 1 200 classes manquantes, que prévoit le texte ? La fin de la rotation scolaire en 2031 : c'est bien trop tard !

Le texte prétend renforcer l'attractivité du territoire avec des exonérations fiscales et des primes aux fonctionnaires, mais ce ne seront que des effets d'aubaine.

Vingt-deux mille expulsions ont eu lieu en 2023, au mépris du droit -  un record. Mais le plus choquant, c'est de retirer un titre de séjour aux parents d'un mineur qui trouble l'ordre public. Mélanie Vogel a rappelé que la responsabilité pénale est individuelle : on ne peut pas être puni pour des faits que l'on n'a pas commis soi-même. Cette mesure ajoute de la peur à la précarité. Est-ce réellement la société que nous voulons ? Pour nous, c'est une ligne rouge. Comme l'a dit la Défenseure des droits, on crée une zone d'expérimentation du recul des droits.

Une vraie refondation serait un plan d'aménagement global, un service public de l'eau digne de ce nom, un rattrapage éducatif, la fin de la territorialisation des titres de séjour, un accompagnement pour les personnes en situation régulière, une politique écologique à la hauteur.

À Mayotte, j'ai vu un territoire qui résiste mais qui n'en peut plus. Les Mahorais ont droit à un développement digne. On ne refonde pas avec des centres de rétention et des exonérations fiscales mais avec de la justice, de l'égalité et de la dignité. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Saïd Omar Oili .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST) Monsieur le ministre, vous avez dépeint un paysage mahorais avec une végétation qui revient et des activités qui repartent. Pourtant, les acteurs locaux brossent un tout autre tableau : « Après cinq mois, Mayotte s'épuise, lasse de promesses de l'État ; les caisses des collectivités sont vides, les chantiers sont à l'arrêt, la colère monte. » Les signataires de ce communiqué ne sont pas des excités mais les élus locaux, le Medef, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et la chambre de commerce et d'industrie (CCI). Votre attitude me fait penser à la chanson « Tout va très bien, madame la marquise »...

En février, nous avons voté une loi d'urgence. Je vous ai transmis un tableau de suivi des mesures du texte. Depuis, silence. Lors du vote de la loi, vous vous étiez engagé à consulter sur les ordonnances. Mais vous ne tenez pas vos engagements : j'ai découvert l'ordonnance sur l'établissement public dans le Journal officiel de vendredi dernier. Et, ô surprise, c'est le représentant de l'État qui aura voix prépondérante en cas de partage des voix ! Me viennent à l'esprit deux citations. La première est de Mandela : « Ce qui est fait pour nous sans nous est fait contre nous. » La seconde est de Napoléon Bonaparte : « On peut gouverner de loin, mais on n'administre bien que de près. »

Fin des cartes de séjour territorialisées, suppression de l'article 19 sur les expropriations, convergence sociale plus rapide : telles étaient nos priorités. Le compte n'y est pas.

La fin des cartes de séjour territorialisées, que l'ensemble de la classe politique mahoraise demande, n'a pas été votée. C'était pourtant un engagement écrit de votre prédécesseur, qui la promettait après la réforme du droit du sol, qui vient d'être votée.

La lutte contre l'immigration clandestine ? Beaucoup d'effets d'annonce et peu de résultats. En 2024, en dépit de Place nette et de Wuambushu, il n'y a eu que 16 000 reconduites à la frontière, contre 25 000 habituellement. Et je tiens à votre disposition des photos du bidonville de Kawéni, avec des toits en tôle flambant neufs, alors que l'on a soi-disant interdit la vente de tôles aux clandestins...

L'article 19 déroge au droit commun des expulsions. Faites d'abord une vraie réforme foncière et ne mettez pas la population mahoraise en insécurité sur ses propres terres ! Comme on dit chez nous, vous avez mis la charrue avant les zébus. (Sourires)

La perspective d'une convergence sociale en 2031 n'est pas acceptable. Il faut des mesures concrètes et rapides sur les minima sociaux, d'autant que l'impact financier sera limité :1,5 million d'euros pour les retraites, 800 000 euros pour les minima sociaux.

Je déplore les réponses du ministre à certains de mes amendements, par exemple sur l'observatoire sismo-volcanique. Le réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte (Revosima) est bien le référent sur le volet scientifique, mais la surveillance de Fani Maoré est réalisée par l'observatoire de La Réunion.

Pendant nos débats, une petite musique de Tonton David m'est revenue en mémoire : « car je suis sûr, sûr qu'on nous prend... », vous compléterez.

Le rapport annexé aurait pu constituer une feuille de route, mais les financements manquent, loin des 3,5 milliards d'euros de la mission interinspections. La loi de refondation de Mayotte ne correspond pas aux priorités des Mahorais, et la feuille de route est trop floue. Aussi le groupe SER s'abstiendra sur ce texte qui ne répond pas aux urgences. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et sur quelques travées du groupe CRCE-K)

M. Christopher Szczurek .  - Mayotte c'est la France, mais la sollicitude a laissé place à la solitude. Ce projet de loi, louable, sera insuffisant. Il pourra rassurer à Paris, mais rassurera-t-il à Mayotte ? Il ressemble à toutes ces promesses qui se sont perdues entre le ministère et le terrain.

Nous saluons des avancées : durcissement des conditions de séjour, rétention des mineurs délinquants, lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité et de maternité, centralisation des actes d'état civil, contrôle des transferts d'argent.

Mais il faut s'attaquer à la racine du mal. Or rien sur la suppression du droit du sol, alors que trois enfants sur quatre naissent de mère étrangère. Rien sur la priorité nationale dans l'accès aux soins, à l'école et à l'emploi, alors que les Mahorais, Français à part entière, sont désormais minoritaires chez eux. On contourne la submersion migratoire derrière des dispositifs techniques, comme s'il ne s'agissait que d'une question de procédure administrative.

Qu'attendons-nous ? Une frégate doit stationner en permanence au large de Mayotte et une base radar militaire doit contrôler le canal du Mozambique.

Et pourquoi toujours aucun cadastre ? Comment développer un territoire quand on ne sait pas à qui appartiennent les parcelles ?

À Mayotte, on bâtit sans titre et on s'approprie des terrains dans une totale opacité. L'État recule. Les Mahorais souffrent. Ils veulent la République dans toute sa force. Ils veulent de la justice, de l'ordre et une présence visible de la France.

Ce texte est un pas, mais timide et technocratique. Nous aurions aimé davantage de clarté et de fermeté. Mais nous refusons l'immobilisme. Aussi, nous le voterons, non par adhésion pleine et entière, mais parce qu'il faut bien commencer quelque part et parce que l'inaction serait une insulte de plus à ces Français qui n'ont jamais cessé de croire en la France.

Scrutins publics solennels sur le projet de loi et sur le projet de loi organique

Le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte est mis aux voix par scrutin public solennel.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°292 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 243
Pour l'adoption 226
Contre   17

Le projet de loi est adopté.

Le projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte est mis aux voix par scrutin public solennel.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°293 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 274
Pour l'adoption 258
Contre   16

Le projet de loi organique est adopté.

M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer .  - Je remercie le Sénat pour la qualité des débats et pour ce vote.

J'ai dit que notre action se déclinerait en trois temps. La gestion de crise, d'abord, même si cela n'est pas terminé. La reconstruction, ensuite, avec la loi d'urgence et la mission Facon. La refondation, enfin. C'est un point de départ. Je ne dirai jamais que tout va bien à Mayotte, mais votre travail permet de poser de nouvelles bases.

Je remercie les rapporteurs Agnès Canayer, Olivier Bitz, Micheline Jacques, Christine Bonfanti-Dossat, Stéphane Fouassin et Georges Patient. Vos travaux de commission ont précisé le texte, notamment à l'article 10 sur les bidonvilles ou encore à l'article 1er bis sur les pouvoirs du préfet.

Plusieurs amendements ont été adoptés en séance, à l'initiative notamment de Saïd Omar Oili, Mélanie Vogel ou Marie-Do Aeschlimann. Madame Ramia, votre engagement a été utile. Soyons constructifs, ne soyons pas dans la démagogie.

Grâce au Gouvernement, voici presque 4 milliards d'euros pour Mayotte. C'était attendu depuis des décennies. Jamais un gouvernement n'avait pris de tels engagements.

Il faut maintenant délivrer. Ceux qui ont voté et enrichi ce texte auront un jour la reconnaissance des Mahorais -  nous leur devons tant. Nous avons accompli un pas décisif en faveur de la reconstruction de Mayotte, et je vous en remercie. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe UC et du RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue à 19 h 40.

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 10.

Mise au point au sujet d'un vote

Mme Marie-Lise Housseau.  - Ma collègue Catherine Morin-Desailly n'a pas pu voter lors du scrutin sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte : elle souhaitait voter pour.

Acte en est donné.

Comment nos politiques publiques peuvent-elles contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays ?

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Comment nos politiques publiques peuvent-elles contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays ? », à la demande du groupe Les Républicains.

M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Alors que les défis de la ruralité sont nombreux et continuent de s'accroître, nos politiques publiques semblent insuffisantes pour les relever. En 2018, un an après mon élection comme sénateur du Puy-de-Dôme, zone rurale par excellence, j'ai déposé avec nos anciens collègues Philippe Bas et Jacques Genest une proposition de loi pour faire de la ruralité une grande cause nationale.

De fait, la considération nationale dont bénéficient ces territoires est incertaine. Ils ont pourtant besoin d'un traitement spécifique : les lois uniformes leur sont en général préjudiciables. Si la République est une, ses territoires sont multiples.

Voyez le ZAN : on ne peut imposer à la campagne les mêmes règles qu'à la ville ! Les espaces ruraux ne doivent pas devenir des cartes postales de la diagonale du vide. Leurs problématiques singulières doivent être prises en considération. C'est le sens du travail que j'ai mené avec Amel Gacquerre sur la proposition de loi Trace, dont nous espérons l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Tenir compte des spécificités des zones rurales dans les politiques publiques, c'est le moyen de prendre en considération tous les territoires.

Ainsi, nos politiques éducatives sont trop centrées sur la lutte contre l'échec scolaire et la situation socioéconomique des parents. Les besoins des territoires sont peu pris en compte, sauf dans les zones REP. Nous demandons une prise en compte des établissements en difficulté hors REP. Il faut sortir de la logique comptable qui conduit à fermer des classes que les ruraux ne reverront jamais.

La ruralité comporte des leviers de développement et d'innovation dont il faut aussi tenir compte. Je pense à la médecine thermale, une activité essentielle à son développement économique et humain.

L'enjeu de l'accessibilité est essentiel. Je citerai là encore le Puy-de-Dôme. Notre réseau se dégrade, et il faudrait commencer par appliquer toute la loi d'orientation des mobilités de 2019, sans quoi nous resterons considérés comme de vilains pollueurs, condamnés à ne pas nous développer. Le président de Michelin a récemment déclaré que Clermont-Ferrand était le tiers-monde en termes de mobilité ferroviaire et aérienne... Les ZFE accentuent l'enclavement de nos territoires.

Les zones rurales font face également aux défis du vieillissement et d'une désertification médicale qui s'aggrave. Un rapport sénatorial de l'année dernière met en lumière les inégalités territoriales d'accès aux soins, alors que la démographie médicale stagne et que les besoins s'accroissent. Il faut favoriser les regroupements et mutualisations pour libérer du temps médical au bénéfice des patients.

Les communes rurales doivent être mieux soutenues, notamment par l'augmentation de la DETR et la création d'un statut de l'élu qui prenne en compte la formation, les indemnités, l'assurance et la retraite.

En matière d'accès aux services publics, les maisons France Services constituent une réponse partielle. Mais il faut aussi améliorer la couverture numérique de nos territoires.

L'accueil des néoruraux, particulièrement depuis le covid, constitue un autre défi. Il doit se faire dans le respect des traditions rurales, dans l'esprit de la loi de 2019 protégeant le patrimoine sensoriel de nos campagnes.

Enfin, nous devons redonner de la compétitivité à l'agriculture française, la plus vertueuse au monde selon The Economist. C'est le sens de la proposition de loi de Laurent Duplomb. (M. Laurent Burgoa renchérit.)

Nos territoires ruraux sont entravés par des dispositifs pénalisants, comme le ZAN et les ZFE, qui devraient être amendés, voire supprimés. La ruralité imprègne notre être le plus profond : nous avons tous des parents ou des grands-parents issus de cette France des villages, des campagnes et de la nature. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et du RDSE ; Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que du RDPI et du RDSE) La ruralité représente 22 millions d'habitants, 88 % de nos communes et 31 % de l'industrie française. Pourtant, elle est souvent réduite à quelques clichés, au risque d'en oublier le potentiel. Je me réjouis donc de ce débat.

Le potentiel de la ruralité tient d'abord à sa complémentarité avec les villes : ne pensons pas les deux en opposition ! Les ruralités sont de fabuleux espaces d'innovation où foisonnent les trucs qui marchent.

Diverses, les ruralités ont longtemps été les grandes absentes de nos politiques publiques. Mais, depuis quelques années, nous avons fait bien du chemin - en témoigne l'existence d'un ministère dédié. Grâce à votre engagement et à celui des élus, la ruralité s'est installée au centre du débat public, notamment avec le plan France Ruralités. Je salue le travail mené par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, présidée par Bernard Delcros.

En ruralité, se déplacer, accéder à un professionnel de santé, trouver un logement ou aller à l'université est souvent un défi. Le plan France Ruralités, lancé par Élisabeth Borne, vise à répondre à ces difficultés.

Depuis mon entrée en fonction, j'ai visité trente-six départements. Avec François Rebsamen, j'ai engagé des actions concrètes.

En matière de santé, le plan France Ruralités s'est traduit par l'ouverture de plus de 1 500 maisons de santé. Avec la quatrième année d'internat, nous entendons inciter les jeunes médecins à s'installer en zone rurale : 3 700 docteurs juniors seront à pied d'oeuvre dès l'année prochaine. Nous devons aller plus loin encore : c'est le sens du pacte de lutte contre les déserts médicaux annoncé par le Premier ministre. Je salue le travail du Sénat, notamment avec la proposition de loi du président Mouiller.

Dans le domaine éducatif, les inquiétudes des élus devant les fermetures de classes doivent être entendues. La création de 203 territoires éducatifs ruraux, couvrant 200 000 élèves, a été très bien accueillie. Nous avons voulu donner une visibilité sur trois ans aux territoires en matière d'évolutions démographiques.

En matière de logement, nous travaillons sur plusieurs fronts : accélération des rénovations, lutte contre la vacance - avec une prime de sortie réservée aux zones rurales -, extension du PTZ à tout le territoire. Près de 80 % des communes rurales bénéficient d'un programme de l'Anah.

En matière de mobilités, nous prévoyons un investissement de 80 millions d'euros sur trois ans dans le cadre du fonds vert. Au début du mois, lors de la conférence nationale Ambition France Transports organisée par Philippe Tabarot, j'ai rappelé l'importance de ces enjeux pour la ruralité et fait des suggestions.

D'autres dispositifs sont mis en oeuvre pour faciliter la vie dans les territoires ruraux : 2 800 maisons France Services, 2 880 Villages d'avenir, 1 650 Petites Villes de demain.

Convaincue que nous devons aller plus loin, j'ai entrepris un tour de France de la ruralité. Un comité interministériel à la ruralité se réunira très prochainement pour faire le bilan de France Ruralités et prolonger l'action engagée par de nouvelles propositions. Je crois davantage au sur-mesure du jardin à l'anglaise qu'à l'uniformité du jardin à la française.

Les réalités plurielles de nos territoires ruraux doivent inspirer le Gouvernement, mais aussi le législateur. Car ce n'est qu'ensemble, État, Parlement et élus locaux, que nous construirons l'avenir d'une ruralité où l'on reste, revient ou s'installe. Si nous sommes tous des enfants de ruraux, je souhaite que nous ayons aussi des enfants ruraux heureux. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP, du RDPI et du RDSE ; Mme Antoinette Guhl applaudit également.)

M. Daniel Laurent .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Denise Saint-Pé applaudit également.) Dans nos territoires ruraux, la mobilité n'est pas un luxe ou une option : elle est une condition de l'égalité des chances et de l'accès à l'emploi, aux soins et à la culture.

D'après une étude récente de l'Institut Terram, les jeunes ruraux passent 2 h 37 par jour dans les transports, contre 1 h 55 pour les jeunes urbains ; 69 % d'entre eux dépendent de la voiture au quotidien et si 63 % déclarent vouloir construire leur avenir en milieu rural, 70 % des formations post-bac sont concentrées dans les métropoles.

Les usagers du train se découragent devant les suppressions de lignes, la dégradation du réseau et l'allongement des temps de parcours. Il faut une stratégie de modernisation du réseau, car un territoire sans train est un territoire à l'arrêt. Les régions, quel que soit leur volontarisme, ne peuvent relever seules les défis du ferroviaire. L'Afit France reste sous-dotée. M. Farandou chiffre à 1 milliard d'euros par an les besoins pour le simple maintien en état du réseau et suggère d'intégrer une part pour le réseau ferré dans les prochaines concessions autoroutières, ainsi que de relancer l'écotaxe sur les camions étrangers.

Comptez-vous inscrire la mobilité rurale dans un plan de financement ambitieux et équitable ? (Mme Marie-Lise Housseau applaudit.)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Oui, le réseau ferré est un enjeu essentiel pour lutter contre l'assignation à résidence dans les territoires ruraux.

Les régions sont des acteurs moteurs, mais elles ne sont pas seules. Dans le cadre des contrats État-région, le premier a investi 104 millions d'euros en 2023, puis autant en 2024.

Nous devons maintenir la plupart des lignes, mais aussi réfléchir à des solutions alternatives lorsque la fréquentation est trop faible. Je pense à des lignes légères aux normes assouplies : un projet existe sur le trajet Nancy-Contrexéville.

Nous avons besoin d'une vision stratégique pour le ferroviaire de proximité : c'est le sens de l'action de Philippe Tabarot.

M. Bernard Buis .  - Les territoires ruraux sont confrontés à de multiples défis.

Pour les jeunes qui en sont issus, l'accès à l'enseignement supérieur est souvent un parcours semé d'embûches. De fait, le taux de diplômés diminue à mesure qu'on s'éloigne des villes. L'offre de formation en première année, hors apprentissage, se situe à 77 % dans les pôles urbains majeurs. Or le maillage territorial constitue un levier majeur pour accroître le niveau de formation.

Certaines associations agissent au quotidien contre l'autocensure des jeunes ruraux, mais les inégalités persistent.

Les campus connectés, lancés en 2020 par le Président de la République en réponse à la crise des gilets jaunes, devaient réduire la fracture sociale et territoriale. Leur utilité est avérée dans certains territoires, comme à Nevers, mais ils pourraient être améliorés selon les recommandations de la Banque des territoires.

Quelles actions envisagez-vous pour améliorer l'accès des jeunes ruraux à l'enseignement supérieur ?

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - L'accès de nos jeunes à un chemin professionnel choisi est essentiel. Jusqu'au collège, les élèves des zones rurales réussissent aussi bien que ceux des villes. Mais, ensuite, ils sont plus nombreux à s'orienter vers des voies professionnelles, et trop peu accèdent à l'enseignement supérieur.

Je travaille à une nouvelle approche avec Élisabeth Borne et Philippe Baptiste. Le Premier ministre a annoncé une première année de médecine au niveau local et nous expérimentons une option médecine dans certains lycées, qui devra être élargie. Nous devons développer les formations de premier cycle dans les villes moyennes.

J'ai visité le campus connecté de Nevers, dont les résultats sont assez remarquables. Il est exact que ces campus doivent, pour certains, être améliorés. Ils ne constituent pas non plus la solution unique.

Avec Élisabeth Borne, je travaille sur l'idée d'une première année de formation supérieure dans les lycées, afin de proposer au plus près des jeunes une large palette de formations.

M. Michel Masset .  - Nous connaissons votre attachement à la ruralité ; vous connaissez celui du RDSE.

Les transports en commun sont marginaux dans nos territoires, où le permis de conduire reste l'autre nom de la liberté.

Or le Lot-et-Garonne fait face à un manque patent d'examinateurs. Les temps d'attente s'allongent, au détriment de nos jeunes comme des auto-écoles. Une prise de conscience s'impose pour ne pas entraver le développement de nos territoires !

Quelles mesures d'urgence comptez-vous prendre ?

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Il faut le dire, la voiture reste et restera le mode de déplacement majoritaire dans nos territoires ruraux - même s'il faut développer le covoiturage et l'autopartage.

Le permis de conduire est ainsi l'outil de la liberté. Or nous subissons un fort engorgement des examens. C'est pourquoi quinze postes d'inspecteur ont été créés en 2023, puis trente-hui en 2024, répartis dans les départements où l'urgence était la plus forte. Cette année, nous avons ouvert à titre exceptionnel une seconde session du concours. Par ailleurs, les inspecteurs retraités peuvent faire passer des examens sous forme d'heures supplémentaires. Au total, l'année dernière, 125 550 examens supplémentaires ont ainsi pu être réalisés. Soyez assuré que le Gouvernement prête attention à cette question.

M. Michel Masset.  - J'attire votre attention sur un document stratégique : le schéma départemental d'amélioration de l'accessibilité des services aux publics, issu de la loi NOTRe, et dont il faudrait faire un outil de pilotage de nos politiques.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Vous avez raison. Le développement des maisons France Services s'inscrit dans ce schéma. Après les municipales, je suggère qu'il y ait dans chaque département un échange entre les collectivités et le préfet sur sa mise en oeuvre.

M. Jean-François Longeot .  - La ruralité a toujours été au coeur de mon engagement. Récemment, j'ai saisi le Conseil constitutionnel sur le texte instaurant la parité dans tous les conseils municipaux, dont l'application en milieu rural suscite des inquiétudes.

Nos collectivités territoriales, premier échelon de la République et poumon de la ruralité, risquent l'asphyxie. Nos efforts demeurent insuffisants et certaines mesures, mal calibrées, fragilisent le tissu local.

Il y a quelques jours, lors de l'assemblée générale des maires du Doubs, les trois quarts des maires étaient absents ; les autres exprimaient leur incompréhension et leur rejet de ce texte.

A contrario, la proposition de loi sénatoriale sur le statut de l'élu local fait consensus. Quand sera-t-elle inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ? Si nous voulons rassurer les élus, il faut leur faire confiance et cesser de leur imposer des contraintes toujours plus nombreuses ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains et du RDSE)

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Vous connaissez ma franchise : elle ne m'a pas quittée.

Les choses sont ce qu'elles sont et je respecte l'avis de chacun. Il ne peut y avoir unanimité. J'entends ceux qui disent que cela ajoute des complications. Mais j'ai accepté de défendre cette proposition de loi issue de l'Assemblée nationale, car nombre d'élus de communes de moins de 1 000 habitants m'ont parlé de leur souffrance ; je pense que le scrutin de liste, même s'il est sans doute difficile à mettre en place, est une bonne réponse.

La proposition de loi sur le statut de l'élu, votée à l'unanimité au Sénat, sera examinée à l'Assemblée nationale du 30 juin au 3 juillet - 2025 ! Elle reviendra donc au Sénat en septembre. J'espère qu'elle prospérera, dans l'intérêt de nos élus et de nos communes. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Marie-Claude Varaillas .  - Les territoires ruraux représentent 75 % du territoire métropolitain, abritent un tiers de la population française et 80 % des communes. Ils sont au coeur des transitions écologiques, économiques et sociales.

Pour éviter le sentiment d'abandon qui nourrit le populisme, nous devons renforcer les services publics et garantir l'égal accès de toutes et tous aux besoins élémentaires.

La crise sanitaire a révélé le désir de campagne d'une partie de la population. L'enjeu d'avenir est de concilier potentiels de développement et juste rémunération des aménités rurales.

Par la commande publique, les collectivités rurales peuvent soutenir les circuits courts et la production locale. Elles peuvent agir aussi pour réhabiliter les friches et le bâti ancien dans nos bourgs.

Nous devons renouer avec une stratégie nationale d'aménagement du territoire, à rebours d'un système concentré qui n'a pas produit le ruissellement attendu. Il est urgent de redonner du sens au mandat des élus du dernier kilomètre et de faire de l'espace rural le fer de lance des transitions qui sont devant nous.

Que pensez-vous d'une nouvelle loi d'aménagement du territoire qui prendrait en compte ces défis, assortie de moyens et d'une réforme de la fiscalité locale ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - La ruralité est la clé du développement durable. Oui, elle rencontre des difficultés, mais il n'y a pas de fatalité : elle doit être vivante, productive et accueillir de nouveaux habitants.

Dans les trente-six départements que j'ai visités, je n'ai pas senti de résignation. (M. Alexandre Basquin en doute.) J'entends les difficultés, mais les élus se battent. Nous devons les aider.

Les Villages d'avenir sont 2 888 et les Petites Villes de demain, 1 650. Ces évolutions doivent être poursuivies.

S'agissant de la valorisation des aménités rurales, nous sommes passés de 40 à 110 millions d'euros en deux ans.

Je ne suis pas naïve, mais je vois l'énergie qui se manifeste dans les initiatives locales.

Oui, il faudra débattre de la fiscalité locale, mais cela me paraît difficilement envisageable en l'état actuel du Parlement. Mais il y a toujours un lendemain.

M. Guillaume Gontard .  - Alors que nous fêtons les 50 ans de la loi Veil et le premier anniversaire de la constitutionnalisation de la liberté garantie de recourir à l'IVG, l'accès à l'avortement est très inégal selon les territoires.

Sur les onze millions de femmes vivant en zone rurale, plus de la moitié de celles ayant avorté témoignent d'inégalités d'accès. Le rapport Femmes et ruralités de la délégation aux droits des femmes a mis en évidence ces difficultés et leurs conséquences.

Avorter en zone rurale est un parcours de la combattante. Selon le Planning familial, en quinze ans, 130 centres ont fermé sur le territoire. Résultat : un choix réduit du mode d'IVG, des délais et des temps de trajet qui s'allongent.

Le département de la Drôme a voté la fermeture de sept centres de santé sexuelle sur dix-huit et une baisse de 20 % des crédits des centres maintenus. La proximité devrait pourtant être au coeur de la stratégie nationale de santé sexuelle 2017-2030.

Les onze millions de femmes vivant en zone rurale sont les grandes oubliées de vos politiques. Que comptez-vous faire pour que le droit à l'avortement soit garanti partout et pour toutes ?

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Vous avez raison de rappeler les 50 ans de la loi Veil.

Votre question doit être rattachée à celle, plus générale, de l'accès aux soins. On compte 2,6 gynécologues pour 100 000 femmes en âge de consulter. C'est très insuffisant, mais la libération du numerus clausus améliorera les choses. Quelque 77 départements sont sous cette moyenne et 13 ne comptent aucun gynécologue.

Le Gouvernement n'est pas resté inactif. Depuis 2016, les sages-femmes peuvent pratiquer l'IVG médicamenteuse ; depuis 2023, elles sont autorisées à pratiquer l'IVG en établissement. La téléconsultation rend l'IVG médicamenteuse possible sans déplacement.

Je salue les initiatives prises au niveau local, comme l'exemplaire gynéco-bus des Ardennes. (Mme Else Joseph renchérit.)

M. Serge Mérillou .  - Une injustice criante de notre fiscalité pénalise les communes rurales : le coefficient correcteur.

À la suite de la suppression de la taxe d'habitation, la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) a été transférée des départements aux communes. Mais certaines communes sont surcompensées et d'autres, sous-compensées. Le coefficient correcteur vise à combler ces écarts, mais il a des effets de bord regrettables.

Ainsi, dans les départements ruraux, la taxe foncière dépasse en volume la taxe d'habitation supprimée. L'excédent collecté par les communes rurales est donc réaffecté à d'autres collectivités, essentiellement urbaines. En Dordogne, où 498 communes sont dites surcompensées, la part de taxe foncière reversée est très élevée : 57 millions d'euros.

Ce mécanisme injuste aggrave la fracture territoriale ; il prive les territoires de moyens importants et rompt le lien fiscal entre l'habitant et sa commune. Qu'envisagez-vous pour y remédier ?

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Solidarité et péréquation sont deux principes chers aux élus locaux.

Le Gouvernement s'est engagé à compenser la suppression de la taxe d'habitation via une part départementale de TFPB et à assurer l'équité entre les communes à travers un coefficient correcteur. La péréquation fait que certains gagnent et d'autres perdent : c'est le principe de la solidarité.

Nous nous efforçons de nous adapter aux dynamiques des territoires, plutôt que de figer des montants pour l'éternité.

La liberté des communes est préservée, puisqu'elles peuvent user de leur pouvoir de taux sans incidence sur le coefficient correcteur.

Enfin, l'État participe à la compensation à hauteur de 728 millions d'euros.

M. Jean-Luc Brault .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Demain, pourra-t-on encore vivre dans nos campagnes ? Certaines communes rurales, y compris du Loir-et-Cher, se trouvent délaissées, déclassées voire abandonnées ; leurs habitants se sentent des citoyens de seconde zone.

Chef d'entreprise, j'ai eu des apprentis qui faisaient 15 à 20 km en mobylette. La mobilité est la condition préalable au développement économique et social de nos campagnes. Un Français sur quatre a déjà dû refuser un emploi faute de moyens de transport. Si l'on veut désenclaver, empêcher l'assignation à résidence et éviter l'exode, il faut refermer la fracture entre territoires en développant la mobilité.

Commençons par soutenir ce qui fonctionne. Dernière absurdité, dans le Loir-et-Cher : la décision unilatérale et condescendante de la SNCF de supprimer le train de 8 h 52 à Vendôme en direction de Paris. La SNCF ne se soucie pas des gens qui travaillent, des élus qui se battent pour attirer des entreprises - mais uniquement de chiffres et de courbes. Demain, quelles priorités pour développer les mobilités dans les territoires ruraux ? (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, Les Républicains et UC)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - J'étais chez vous ce matin, nous avons beaucoup parlé mobilité. Oui, nous continuerons de vivre à la campagne. Je n'ai pas d'inquiétude, mais une ambition.

Des solutions existent. À la campagne, il s'agit de microsolutions car il faut inventer la mobilité du dernier et du premier kilomètre.

Je vous invite à suivre les travaux de Ambition France Transports, menés par Philippe Tabarot et Dominique Bussereau.

Le cas du train Vendôme-Paris est l'exemple même des adaptations que la SNCF met en oeuvre. Le premier TGV, qui arrive à Paris à 8 h 36, est saturé, alors que le suivant est à moitié vide. La SNCF va expérimenter pendant six mois l'augmentation de la capacité du 8 h 36, en ajoutant une rame -  ce qui conduit à supprimer le 9 h 36. L'expérimentation a été discutée avec les élus locaux ; je vous invite à vous associer à la réflexion. Cela représente une capacité supplémentaire de 650 places sur la matinée : on est loin d'un abandon de la ruralité. (M. Bernard Buis applaudit.)

Mme Patricia Demas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'accès au très haut débit par la fibre optique est essentiel dans la ruralité, mais la question de l'accès effectif et abordable pour tous les foyers se pose.

Sur huit communes rurales de mon département, la couverture fibre atteint 96 %, mais la somme des lignes filaires actives n'est que de 32 %. Cela signifie que 68 % des logements n'ont aucun service filaire actif et devront se tourner à l'avenir vers la fibre optique.

Alors que le réseau cuivre est appelé à disparaître, quelles sont les garanties que ces logements seront effectivement raccordés, dans des conditions financières équitables et stables ? L'effort demandé aux citoyens de la ruralité pour accéder à ce service essentiel sera-t-il maîtrisé et prévisible ?

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - La ruralité doit bénéficier de ces technologies. La situation est inégale selon les départements. L'État a investi plus de 3,5 milliards d'euros dans le plan France Très Haut Débit. Les raccordements sont parfois complexes ; ils incombent aux opérateurs.

Un dispositif piloté par la Direction générale des entreprises (DGE) sera expérimenté à partir du mois de septembre sur 3 141 communes pour lesquelles la fermeture du réseau cuivre est prévue d'ici à 2027, afin d'aider au financement des travaux.

Le dispositif Cohésion numérique des territoires finance les solutions de substitution hertziennes, comme le satellite, en attendant la fibre.

La fermeture du réseau cuivre est soumise à de strictes conditions, dont des délais de prévenance. Des comités locaux, sous l'égide du préfet, assurent le suivi du plan de fermeture sur le territoire. Je vous invite à contacter votre préfet.

Mme Patricia Demas.  - Je vous alerte sur les coûts prohibitifs de raccordement pratiqués par certains opérateurs. Un suivi s'impose.

Mme Denise Saint-Pé .  - J'associe à ma question Bernard Delcros, défenseur de la ruralité.

Plus de 70 % des trajets en milieu rural sont effectués en voiture. Or les véhicules particuliers représentent la moitié des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports, qui lui-même représente un tiers de nos émissions.

Le maillage en transports en commun, plus coûteux qu'en milieu urbain, n'est pas suffisant et les mobilités actives comme le vélo ou la marche sont peu adaptées à ces espaces.

L'annonce par le Gouvernement, en 2023, de la création d'un fonds de soutien à la mobilité en zone rurale, de 90 millions d'euros sur trois ans, abrité dans le fonds Vert, était une réponse intéressante pour accompagner le déploiement d'une offre de mobilité rurale durable, innovante et solidaire, dite du dernier kilomètre.

Alors que ces crédits ont été intégralement consommés pour 2024, pouvez-vous nous éclairer sur l'utilisation de ce fonds ? Est-il menacé dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2026 ?

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - La voiture reste et restera pour longtemps la solution du premier et du dernier kilomètres dans les territoires ruraux. Les 90 millions d'euros du fonds Vert servent notamment au développement de l'autopartage et du covoiturage.

Ces millions ont été utilement dépensés pour accompagner la mobilité du dernier kilomètre. L'État a accompagné 225 projets en 2024, souvent initiés par les intercommunalités, et une soixantaine de projets sont en examen, pour un montant moyen de 80 000 euros par projet.

Votre territoire a innové, et la communauté de communes du Béarn des Gaves a obtenu 70 000 euros pour un dispositif qui fonctionne bien.

Nous continuons à soutenir ces solutions de mobilité. Vingt millions d'euros sont prévus pour les autres projets en 2025. J'en ai parlé lors de Ambition France Transports.

M. Patrice Joly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nos territoires ruraux glissent inexorablement vers le populisme, vers un vote de colère et de désespoir. Pourquoi ? Parce que la politique nationale ne prend pas le problème au bon niveau. Les écoles ferment, les commerces disparaissent, les services publics s'éloignent : le sentiment d'abandon est palpable !

Au-delà des questions de justice ou d'équité, c'est une question de survie pour notre démocratie. À laisser ces territoires s'enfoncer dans la défiance, nous ouvrons la porte à ceux qui prospèrent sur la colère.

Il y a urgence à agir, investir, redonner espoir à ces millions de Français. Les territoires ruraux nourrissent la France, produisent de l'énergie, préservent nos ressources, inventent les solutions de demain. Ils doivent être soutenus, reconnus, valorisés. Les dispositifs Coeur de ville, Petites Villes de demain ou Villages du futur apportent un soutien en ingénierie, mais pas un euro de plus. Il faut des mesures courageuses, sur la santé, la mobilité, le logement, la revitalisation économique. Madame la ministre, le temps n'est plus aux demi-mesures !

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Je connais votre attachement à la ruralité, mais ne partage ni votre tonalité ni votre constat d'une inaction de l'État.

Soyons objectifs. Je me suis rendue dans la Nièvre, vous y étiez, ainsi que Nadia Sollogoub. Nous avons entendu les élus. Ils plébiscitent les maisons France Services, qui ont traité 35 millions de demandes, avec un taux de satisfaction de 85 %. Villages d'avenir, Petites Villes de demain, maisons de santé : vous ne pouvez pas dire rien n'est fait et qu'on pleure sur le sort de la ruralité !

Chez vous, nous avons vu ensemble l'entreprise Nexson - une magnifique réussite, que les Chinois nous envient. Il existe des pépites dans la ruralité, sachons les valoriser, pour attirer des entreprises !

Oui il y a des difficultés, mais retroussons-nous les manches. Gémir n'est pas de mise, comme chantait Jacques Brel. Il faut de l'espérance pour nos territoires. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Patrice Joly.  - Je n'ai pas gémi, ni dit que rien n'était fait, mais que le compte n'y était pas. On observe un glissement vers des votes qui contestent la République. Celle-ci ne peut survivre sans justice territoriale. Il faut agir vite, pour que la ruralité reste une chance et non un risque ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Marie-Jeanne Bellamy .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'un des défis majeurs de la ruralité est l'accès à l'éducation et à la culture. En dix ans, la ruralité a perdu 13 % de ses élèves, contre 3 % en zone urbaine. Je m'interroge sur le maillage des établissements et les critères retenus. Ne peut-on pas imposer la sectorisation et obliger les familles à scolariser leurs enfants là où elles résident et non là où elles travaillent ? Nos communes rurales ne doivent pas devenir de simples dortoirs.

En 2025, 600 000 élèves conservent un rythme scolaire sur 4,5 jours. L'État contribuait au financement des activités périscolaires via un fonds dédié - supprimé à la rentrée 2025. Gabriel Attal avait promis un dispositif recentré sur les communes les plus défavorisées, il n'en est rien. Nos communes rurales ne pourront maintenir ces activités, ce qui fragilisera encore l'offre éducative et culturelle pour les jeunes ruraux.

Quelles mesures pour garantir l'équité des territoires et une offre éducative et culturelle ambitieuse ?

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Nous en avons parlé quand je suis venue dans la Vienne. L'éducation, c'est l'école mais aussi le périscolaire. Lorsque la loi a imposé les nouveaux rythmes scolaires, l'État a accordé aux communes une aide à la mise en place du temps périscolaire. L'obligation a été supprimée, et les communes sont libres de revenir au rythme de quatre jours. L'État a maintenu cette dotation jusqu'à cette année ; elle va être supprimée en effet, vu le contexte budgétaire contraint. Nous travaillons avec Élisabeth Borne pour développer les territoires éducatifs ruraux, avec une aide pour le périscolaire. Pour avoir une école de qualité dans nos territoires ruraux, il faut faire venir des habitants, et donc des entreprises.

M. Jean-Claude Tissot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La pandémie du covid-19 a fait germer des envies de ruralité, laissant espérer un mouvement dans ce sens. Cinq ans après, le constat est plus terne. L'exode urbain est modeste, le « monde d'après » reste structuré autour des métropoles. La relégation des territoires ruraux, qui s'accentue, en est certainement une raison. Fermeture de classes, désertification médicale, éloignement des services publics : les zones rurales subissent de plein fouet la rationalisation de l'État dans les territoires. Les politiques d'accompagnement existent mais n'enrayent pas le phénomène, faute d'investissements.

Le plan France Ruralités Revitalisation (FRR) est un vrai levier, mais le zonage fait apparaître des disparités entre territoires, notamment, dans mon département de la Loire, au sein des communautés de communes Charlieu Belmont et Monts du Pilat. Plusieurs communes ont été exclues quand d'autres, pourtant semblables, sont intégrées. Résultat, un dumping économique et fiscal injuste. Je conviens qu'un tel zonage est complexe mais on ne peut s'en satisfaire.

Comptez-vous revoir les situations particulières issues du zonage FRR ? Que répondez-vous à ces communes délaissées ? Envisagez-vous un critère de continuité territoriale ?

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Le dispositif initial comptait 12 000 communes ; le dispositif FRR en compte 19 000. Nous avons une solution hybride, avec deux critères, puisqu'on prend en compte le pôle de bassin de vie ou l'intercommunalité. Résultat, deux communes dans la même situation peuvent être, l'une, classée FFR, l'autre non. C'est la situation que j'ai trouvée en arrivant au ministère.

En 2024, il a été décidé de réintégrer 2 168 communes qui auraient dû sortir du dispositif, au titre de la prolongation des ZRR. Ces communes « rachetées » bénéficieront du dispositif jusqu'en 2027 ; celles qui sont en FRR, jusqu'en 2029. Parmi elles, il y a des communes FRR+. La liste sera publiée prochainement, le décret a été validé par le Conseil national d'évaluation des normes. Aucune modification ne sera apportée à la carte adoptée, pour les deux dispositifs.

Pas une semaine sans un appel d'un maire ou d'un sénateur qui se plaint que sa commune ne soit pas incluse. Je comprends, j'entends. Aussi je propose que nous procédions à une évaluation du dispositif.

Mme Sabine Drexler .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'un des défis des territoires ruraux est de concilier la rénovation énergétique avec la sauvegarde du bâti ancien, protégé ou non, qui est une assurance vie pour notre pays - ce que les pouvoirs publics ont du mal à reconnaître.

Il est urgent de cesser de subventionner des travaux uniformes et inadaptés, qui portent des atteintes souvent définitives à ce patrimoine. Il est urgent de traiter avec respect ce qu'il reste de notre bâti ancien, qui racontera bien mieux que nous l'histoire de notre si belle France.

Sans les pouvoirs publics, nous n'y arriverons pas. Il faut identifier le bâti non protégé de notre pays. Il faut créer un diagnostic de performance énergétique (DPE) spécifique qui tienne compte des qualités thermiques du bâti traditionnel, majorer les aides financières pour absorber les surcoûts d'une rénovation respectueuse du bâti vernaculaire et valoriser les métiers et savoir-faire qui s'éteignent.

Victor Hugo écrit : « Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde ». Le détruire, c'est dépasser son droit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Votre question me touche. Notre ruralité est diverse, le bâti alsacien diffère de celui de la Creuse ou de la Bretagne. À l'heure où nous devons rénover nos centres-bourgs, on ne peut utiliser des DPE conçus pour des logements modernes, qui sont nuisibles au bâti ancien dont la performance thermique estivale est souvent bien supérieure. Ces rénovations inadaptées, avec des matériaux incompatibles, entraînent des maladies.

Il existe dans les Vosges un laboratoire de la ruralité, Rur'agilité, qui travaille sur le sujet. Je l'ai vu hier à Jarnac, et dans bien d'autres territoires ; il faut une rénovation adaptée. La ferme Niefergold dans votre département est un exemple de réhabilitation exemplaire, facteur d'attractivité - car les néoruraux viennent aussi pour la qualité du bâti.

Mme Martine Berthet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue la volonté d'accompagner les dynamiques économiques dans les territoires, particulièrement nos industries. Or des projets locaux se trouvent bloqués par des arbitrages défavorables des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), faute de coordination avec les services facilitateurs de l'État. Il est temps de clarifier les responsabilités et de donner le dernier mot au préfet de département. C'est lui qui connaît les réalités locales, qui est le garant de l'égalité territoriale.

En Savoie, des projets sont menacés par des décisions techniques prises au niveau régional, sans concertation - ainsi, une étude de reclassement en zone humide compromet l'extension de l'entreprise SAF Hélicoptères sur la zone d'activité de Terre Neuve III à Albertville. Preuve de l'écart persistant entre les ambitions locales et une approche administrative déconnectée des réalités du terrain.

Quand les préfets auront-ils enfin l'autorité nécessaire pour la réalisation des projets locaux, sans être entravés à l'échelon régional ?

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Nous connaissons ces contrariétés dans beaucoup de territoires. Comme les services de l'État fonctionnent en silo, il n'y a pas de vision d'ensemble, ce qui aboutit à des injonctions contradictoires.

Il y a désormais un consensus pour renforcer les pouvoirs du préfet de département. Ce doit être le chef d'orchestre de tous les services de l'État et des agences. Il doit arbitrer en écoutant chaque administration, dans l'intérêt général, en hiérarchisant les urgences. Nous voulons lui donner un pouvoir d'appréciation de la norme, qui ne saurait être la même pour une petite ou une grande entreprise, au nord ou au sud de la Loire. Ce préfet doit enfin être sécurisé face au sport national qu'est la judiciarisation. Nous approchons du but ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Martine Berthet applaudit également.)

M. Olivier Paccaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Des maux qui rongent notre société, l'un des plus sournois est la fonte de la natalité. Triste peau de chagrin ! À bas bruit, le pays s'endort, entre consumérisme et égocentrisme.

Cela tient aussi à l'abandon de toute politique familiale digne de ce nom. On fait des enfants par amour, certes, mais l'accueil d'un nouveau-né est facilité par des aides et l'existence de solutions de garde. Or l'accueil de la petite enfance, notamment en zone rurale, est un angle mort de nos politiques publiques. Certes les collectivités territoriales subventionnent l'installation de crèches ou de maisons d'assistantes familiales, mais l'accompagnement par l'État paraît bien trop timide.

Nos campagnes vieillissent, alors que le cadre de vie verdoyant et le foncier bon marché devraient attirer les familles. Quelle est la vision de l'État face à cette situation ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - J'ai deux minutes pour refaire la société française avec vous... Les enfants se font plutôt par amour que par décret. Cela dit, dans tous les territoires, nous devons offrir une solution de garde et d'accueil pour les enfants, pour leur donner rapidement la possibilité d'évoluer dans un cadre collectif.

La Mayenne a inventé des maisons d'assistantes maternelles - une initiative privée que les collectivités n'ont pas forcément besoin de soutenir. Idem pour les microcrèches, qui peuvent être des initiatives privées ou associatives. Dans la Somme, des communes se sont rassemblées pour inventer un dispositif territorial d'accueil périscolaire.

Nous devons accompagner ces solutions attractives et attendues. C'est l'engagement de l'État, des départements, des CAF et des MSA. Quand les CAF imposent des normes, elles doivent s'assurer que les collectivités territoriales pourront les assumer. Enfin, je plaide pour qu'il y ait, dans les CAF départementales, un représentant des élus qui porte ce sujet de la petite enfance. (M. Bernard Buis applaudit.)

M. Olivier Paccaud.  - Il serait bon que, dans le cadre de la DETR ou de la DSIL, les projets de crèches ou de maisons d'assistants maternels soient prioritaires, ce qui n'est pas forcément le cas.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Facile ! (Sourires)

Mme Anne Ventalon, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La diversité des interventions le démontre : il n'existe pas une, mais des ruralités.

Nos territoires ruraux font face à de nombreux défis : l'accessibilité, la mobilité, le vieillissement, le départ des plus jeunes, la rénovation du bâti dans le cadre de la transition énergétique.

Depuis quelques années, avec le plan France Ruralités, plusieurs programmes ont été mis en place, comme Villages d'avenir ou Petites Villes de demain - dont Nicole Bonnefoy et Louis-Jean de Nicolaÿ ont dressé le bilan.

Le Sénat a adopté plusieurs propositions de loi visant à renforcer la gouvernance de proximité, comme la loi Trace, pour rendre le ZAN plus supportable et mieux prendre en compte les réalités locales. Cette loi rend la main aux communes dans le développement et la maîtrise des enjeux économiques.

Nous avons également voté la proposition de loi Accès aux soins. Alors que 87 % du territoire est classé en désert médical, elle contient des mesures fortes pour remédier aux difficultés d'accès aux soins, telles que la reconnaissance des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) ou un encadrement de l'installation des professionnels.

Depuis 2020, plus de 2 750 maisons France Services ont été déployées. Chaque Français peut accéder aux démarches administratives à moins de vingt minutes de chez lui. Nous devons garantir leurs moyens.

Il est également indispensable de maintenir nos écoles rurales, alors que fermetures de classes et suppression de postes se multiplient, sans concertation avec les élus.

Il faut renforcer la gouvernance locale pour que les décisions reflètent les réalités des territoires ruraux. La ruralité est trop souvent associée à un manque d'attractivité. Pourtant la ruralité positive se développe. Cette ruralité vivante attire autant les familles que les entreprises.

Nous devons renouveler notre offre de mobilité, pour faciliter notamment l'accès à la culture. Notre ruralité se visite et nous devons valoriser notre diversité culturelle et patrimoniale. La ruralité est une terre d'audace et d'innovation -  Mme la ministre, qui est venue en Ardèche, peut en témoigner.

Nos territoires se distinguent par leur richesse, leur diversité, et la volonté des acteurs locaux de les faire vivre. Les politiques publiques doivent être adaptées aux réalités et concertées.

La ruralité n'est pas un problème, mais une opportunité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Bravo !

Avenir du groupe La Poste

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'avenir du groupe La Poste, à la demande de la commission des affaires économiques.

M. Patrick Chaize, au nom de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le groupe La Poste, société anonyme à capitaux 100 % publics depuis 2010, se trouve à un moment charnière.

Son PDG depuis 2013, Philippe Wahl, quittera son poste fin juin. Je salue son action, qui a réorganisé l'entreprise, dans un climat social serein. Les commissions des affaires économiques du Sénat et de l'Assemblée nationale devront approuver le nom de son successeur, conformément à l'article 13 de la Constitution.

La Poste a profondément transformé son modèle ces dernières années. Deuxième employeur public après l'État, avec 225 000 collaborateurs dont 60 000 facteurs, elle est présente partout, notamment dans les territoires ruraux.

La baisse du volume de courrier, accélérée par la crise économique et sanitaire, par la numérisation et par l'ouverture à la concurrence en 2011, a poussé La Poste à se diversifier vers la téléphonie mobile, la livraison internationale de colis, la bancassurance et la distribution de repas aux personnes âgées.

Cette stratégie a conduit au rapprochement entre La Banque Postale et CNP Assurances en 2020, la Caisse des dépôts devenant l'actionnaire majoritaire du groupe, à 66 %, et l'État conservant les 34 % restants. Le plan « La Poste 2030, engagée pour vous » accélère encore cette diversification, même si les nouveaux services de proximité ne représentent encore que moins de 2 % du chiffre d'affaires.

La Poste, qui a réalisé en 2024 un chiffre d'affaires de 34,6 milliards d'euros et un résultat net de 1,4 milliard d'euros, est donc un groupe en pleine mutation, et qui devrait continuer à évoluer.

Madame la ministre, quelle est votre vision de l'avenir de La Poste ? Quelle feuille de route pour son futur dirigeant ?

Les missions de service public confiées au groupe La Poste sont plus nombreuses et plus exigeantes qu'ailleurs en Europe. En 2010, la loi postale a confié le service universel postal (SUP) à La Poste jusqu'au 31 décembre 2025, avec une levée et une distribution six jours sur sept et un maillage de 17 000 points de contact. Ce service public est structurellement déficitaire depuis 2018 et La Poste est la plus à même de réaliser cette mission.

J'ai plaidé ces derniers mois pour que la reconduction du groupe La Poste en tant que prestataire du SUP fasse l'objet d'un projet de loi. Mais il semblerait que le Gouvernement ait demandé au Conseil constitutionnel de déclasser au niveau réglementaire les dispositions de l'article 2 du code des postes et des communications électroniques, afin de désigner le prestataire, pour dix ans, par simple arrêté. Ce dessaisissement du législateur est une erreur politique, car La Poste doit avoir le soutien et la compréhension du Parlement.

M. Damien Michallet.  - Très bien.

M. Patrick Chaize.  - Quelle option juridique le Gouvernement a-t-il retenue pour garantir la continuité du SUP ? Pourquoi dix ans au lieu de quinze ?

Le législateur a confié trois autres missions de service public à La Poste : le transport et la distribution de la presse, une contribution à l'aménagement du territoire et l'accessibilité bancaire. Entre 500 et 520 millions d'euros sont versés chaque année à La Poste pour compenser le SUP. Malgré cette compensation, le coût pour La Poste a été de 480 millions d'euros en 2023. La compensation de la mission d'accessibilité bancaire s'est élevée en 2023 à 303 millions d'euros, ce qui ne couvre pas toutes les charges. Sans parler de la distribution de la presse... Qu'envisagez-vous pour que La Poste puisse continuer à remplir ses missions, sans trop peser sur les comptes publics ?

Nous avons besoin d'une nouvelle loi postale, pour ajuster les missions de La Poste aux évolutions de l'économie et de la société françaises, ainsi qu'aux attentes des élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville et Mme Guylène Pantel applaudissent également.)

M. Damien Michallet.  - Bravo !

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics.  - J'ai été membre de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) quand j'étais députée.

Je salue le travail remarquable de Philippe Wahl, qui a su transformer une entreprise dont l'activité courrier a été divisée par deux en dix ans. La feuille de route du prochain président n'est pas finalisée, mais elle portera sur la qualité des services publics, la couverture territoriale, la trajectoire financière, la rentabilité des activités développées. Nous souhaitons le maintien des 17 000 points de contact prévus par la loi.

Il est fâcheux que les péripéties politiques n'aient pas permis de discuter du SUP au deuxième semestre 2024. Le Gouvernement a proposé d'ajouter, sur l'initiative du député Stéphane Travert, une disposition législative dans le projet de loi Simplification, qui est tombée. De manière pragmatique et contrainte, il choisit donc la voie réglementaire, mais sans volonté de contourner le Parlement. Preuve en est, le débat de ce soir, car le Parlement doit contrôler et évaluer.

M. Patrick Chaize.  - Merci de ces précisions.

Je rappelle que ce débat a été demandé par la commission des affaires économiques du Sénat.

J'entends qu'il y a eu des péripéties politiques, mais un tel projet de loi est indispensable pour la survie de La Poste, parce que le budget de l'État ne compensera pas les déficits chroniques. J'aimerais que le Gouvernement prenne, ce soir, l'engagement de déposer ce projet de loi.

M. Bernard Buis .  - Depuis la création des relais de postes au XVe siècle, La Poste n'a cessé d'évoluer. Elle assure quatre missions de service public essentielles : le SUP, le transport et la distribution de la presse, l'accessibilité bancaire et la contribution à l'aménagement des territoires.

Sa présence dans tous les territoires est stratégique, car l'accès de tous les Français à des services publics de qualité et de proximité est l'un des principes fondamentaux de notre République. Ce que permet La Poste, avec ses 17 000 points de contact, accessibles en moins de vingt minutes de voiture pour 97 % de la population. Elle incarne ce lien quotidien entre le service public et le citoyen, dans nos villes et nos territoires ruraux.

Mais notre modèle est sous tension : la fréquentation diminue, les coûts augmentent, les métiers historiques comme la distribution du courrier ne représentent plus que 15 % du chiffre d'affaires.

Il faut donc repenser le financement du service public postal. Grâce à ses acquisitions, le groupe La Poste est en croissance, mais sa rentabilité diminue et des économies s'imposent. La coupe de 50 millions d'euros a menacé les agences. Les compensations publiques ne couvrent plus complètement le coût des obligations de service public.

L'échéance du 31 décembre impose une réflexion sur l'avenir du groupe. Le Gouvernement envisage-t-il de renouveler le mandat de SUP après 2025 ? Quelles solutions envisage-t-il pour financer durablement les missions de La Poste et préserver sa présence en milieu rural ? Ne faut-il pas renforcer la part de l'État dans le capital ?

Et quid de la révolution numérique ? Docaposte, filiale numérique de La Poste, a développé un système sécurisé d'échanges de données de santé. L'automatisation du tri postal et le suivi des colis permettent également des gains de productivité et une amélioration de la qualité de service. Mais La Poste est avant tout un service public. Comment garantir le développement de l'usage de l'IA sans que ce soit au détriment de l'emploi et de l'humain ? Cela permettra-t-il de générer des économies durables sans baisse de la qualité ? Trouvons le juste équilibre entre innovation technologique et ancrage territorial.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - La Poste s'est diversifiée et a rentabilisé son réseau de 17 000 points de contact en développant les services de proximité, notamment en direction des personnes âgées. Docaposte, filiale remarquable, a développé le numérique de confiance, ainsi que des services liés aux données de santé. La meilleure façon de soutenir la présence territoriale de La Poste est de diversifier et de rentabiliser ses activités. Il n'y a aucun projet de baisse du soutien de l'État à ces missions essentielles.

Mme Guylène Pantel .  - Le 21 mai dernier, La Poste organisait la « fête de l'écrit » pour remettre en lumière l'acte d'écrire dans un monde saturé de numérique. Cette initiative poétique nous rappelle que la mission de La Poste dépasse le simple transport de messages. Elle est vectrice de lien social et de proximité républicaine, surtout dans nos territoires ruraux.

Pendant plus de trente ans, j'ai travaillé dans cette maison et assisté à ses transformations. La Poste est plus qu'un opérateur : c'est une certaine idée de la République au quotidien. Ce débat est un signal fort pour tous ceux qui lui sont attachés.

Son chiffre d'affaires a atteint 34,6 milliards d'euros en 2024, en progression de 1,5 %, pour 1,4 milliard d'euros de résultat net. Le volume de courrier a encore baissé de 8,2 % en 2024, quand celui des colis a augmenté de 2,7 %.

La Poste réalise aussi d'autres missions qu'il convient de saluer. En Lozère, près de 6 000 repas sont livrés chaque mois et les facteurs jouent un rôle de veille sociale.

Mais des fragilités se cachent derrière ces chiffres. En 2024, la possible coupe de 50 millions d'euros a inquiété les élus locaux, ensuite rassurés par l'État. Il y a néanmoins eu quelques suppressions d'emplois et fermetures d'agences.

Le RDSE réaffirme son attachement aux agences postales communales et intercommunales, ainsi qu'aux points de contact labellisés France Services, qui répondent à un besoin d'humain.

Il faut aussi conserver les boîtes aux lettres de rue. Dans les Hautes-Pyrénées, 137 des 913 boîtes aux lettres pourraient être retirées en raison du faible volume de courrier qui y est déposé.

L'État doit compenser à l'euro près les coûts du SUP. Quel avenir pour le fonds postal de péréquation territoriale au-delà de 2025 ? Comment associerez-vous les postiers et les élus à l'évolution du groupe ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Nous ne projetons ni coup de rabot ni économies de bout de chandelle sur le dos de La Poste.

Pour que chaque point de contact soit connu et visité, La Poste a des idées, les élus aussi et certains modèles fonctionnent.

En tant que ministre des douanes, je souhaite que nous soyons attentifs à l'activité colis, car nous assistons à une forme de submersion de petits colis venus d'Asie et devons éviter tout dumping ou toute concurrence déloyale, avec l'aide de Tracfin et du renseignement douanier.

Mme Guylène Pantel.  - Vos propos sont rassurants. Mais n'oublions pas les agents de La Poste, qui tissent un lien social essentiel.

Mme Denise Saint-Pé .  - Nous sommes dans la dernière année du contrat de présence territoriale de La Poste, signé entre La Poste, l'État et l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF). Ce contrat fixe les règles d'adaptation de son réseau et celles relatives à la gestion du fonds de péréquation territoriale qui doit bénéficier aux zones qui en ont le plus besoin -  zones rurales, de montagne, quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et territoires d'outre-mer. Il prévoit un financement à hauteur de 177 millions d'euros par an.

Mais ce contrat a des limites. La Poste peine à remplir son objectif de 17 000 points de contact : il en manque 171. Cela peut sembler anecdotique, mais cela ne l'est pas pour ceux qui ont perdu leur bureau de poste ou qui en attendent un.

Les maires sont inquiets des menaces de fermeture. Il faudrait pondérer le critère de fréquentation en fonction de la densité de population, afin de prendre en compte les communes de moins de 2 000 habitants.

Je m'interroge sur la lente érosion du nombre de points relais. Si les maisons France Services proposent des services postaux, il est difficile d'en installer partout.

Quid du prochain contrat ? Qu'attend l'État de La Poste en matière d'aménagement du territoire pour les trois prochaines années ? L'objectif de 17 000 points de contact sera-t-il maintenu ? L'État est responsable, en raison de la sous-compensation du coût des missions de service public. La Poste cherche à diversifier ses activités, mais elle risque l'éparpillement.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Il n'y a pas de fermeture massive des bureaux de poste : les fermetures sont toutes compensées par des ouvertures, sans quoi l'objectif ne serait pas tenu.

Les 3 000 maisons France Services -  dont j'ai défendu l'essor avec Jacqueline Gourault  - fonctionnent très bien. (M. Guillaume Gontard s'exclame.) Dans 2 000 communes, nous avons même une maison France Services et un bureau postal indépendant -  c'est un élément de réflexion intéressant, là où les élus voudront mutualiser.

Le changement de gouvernance, notamment, a conduit l'AMF à demander un an de délai pour que le contrat de présence territoriale soit revu en 2026.

M. Gérard Lahellec .  - Je voudrais me montrer digne de l'héritage d'Alexandre Glais-Bizoin, élu député des Côtes-du-Nord en 1831, et qui siégeait à gauche de l'hémicycle. Très actif sous la monarchie de Juillet et le Second Empire, il est notamment à l'origine du tarif unique pour l'envoi d'une lettre et de l'égalité d'accès au service public, devenu principe constitutionnel.

Cette grande ambition a permis à la fois l'acheminement de la lettre à J+1 et, plus tard, la communication par satellite. J'ai en mémoire cette première liaison intercontinentale, entre les États-Unis et Pleumeur-Bodou, inaugurée par le général de Gaulle en 1962. Suivra l'implantation, à Lannion, du Centre national d'études des télécommunications, auquel on doit un autocommutateur grand public et le premier central numérique grand public. Ces grandes innovations publiques à l'ère du gaullisme nous ont hissés au premier rang mondial des communications. Il est loin, le temps où notre maman écrivait à sa cousine en 1963 en sachant que si sa lettre était postée avant 16 heures, elle serait distribuée à Rouen le lendemain. Les communications vont beaucoup plus vite, mais l'acheminement du courrier prend de plus en plus de temps.

Chez nous, comme ailleurs, on annonce des fermetures de bureaux de poste, sans tenir compte de l'avis des collectivités. Quel avenir pour les 17 000 bureaux de poste ? Quel statut pour les salariés ? Quelle ambition pour les métiers de la communication de demain ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Oui, l'écrit crée des liens. Ma fille de 14 ans écrit à son arrière-grand-mère de près de 110 ans par courrier postal. Ces lettres ont une grande valeur sentimentale. Il est utile de rappeler la valeur humaine du courrier.

L'État croit en les activités numériques de La Poste. Docaposte offre des services essentiels pour l'État : cloud, données sécurisées, identité numérique. En matière de santé, nous pouvons devenir plus performants, sans dégrader l'accès aux soins ni la qualité des soins.

En tant que ministre, mon objectif est d'accompagner le progrès sans jamais oublier l'humain.

Mme Antoinette Guhl .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le SUP est un pilier essentiel de notre service public, mais les missions d'aménagement du territoire, d'accessibilité bancaire et de distribution de la presse sont également importantes. Or elles sont fragilisées.

Depuis la privatisation de 2010, la qualité de service s'est dégradée. La précarisation du métier de facteur s'aggrave. La fin de l'offre Livres et brochures menace la librairie indépendante, l'édition et le rayonnement de la culture française.

En tant qu'élue du 20e arrondissement de Paris, je me suis mobilisée aussi contre les fermetures de bureaux de poste. Je sais combien ces espaces sont vitaux pour les plus âgés et les plus isolés. Je suis particulièrement attachée à l'accueil physique.

Face à l'ubérisation du métier de facteur, confirmez-vous qu'il n'existe plus de contrat GEL (groupements d'employeurs logistiques) pour les métiers de facteur ?

Les colis venus de Chine représentent 22 % des colis acheminés par La Poste. La nouvelle politique douanière risque d'y porter atteinte. Avez-vous anticipé les conséquences ?

La Poste détient un capital immobilier hors pair. En cas de fermeture d'un bureau de poste, est-il possible que La Poste informe les élus locaux pour qu'une concertation ait lieu sur l'avenir du lieu ?

Sur le SUP, vous avez déjà largement répondu. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - L'offre Livres et brochures permettait aux particuliers une franchise de 5 kg puis 2 kg à l'autre bout du monde, mais 90 % des pays n'en tenaient pas compte. Cela ne fonctionne pas bien. C'est pourquoi les envois groupés sont privilégiés. Il s'agit d'envois non marchands, pour les particuliers : les libraires ne sont donc pas impactés.

Je ne peux pas vous répondre pour les GEL, car cela relève de décisions internes au groupe.

Concernant Shein et Temu, nous essayons de tout anticiper, mais mon objectif est d'empêcher l'entrée des 800 millions de colis, dont 80 % ne sont pas conformes aux normes en vigueur. Au contraire, ce chiffre de 22 % de l'activité de La Poste n'est pas une bonne nouvelle : si nous ne faisons rien, nous fragiliserons nos artisans et commerces de proximité. La France a donc pris le leadership d'une coalition européenne pour que des douaniers et des agents de la DGCCRF contrôlent mieux ces articles. Mon objectif n'est pas de maximiser le nombre de colis de La Poste, mais de protéger nos industries et les Français. (M. Bernard Buis applaudit.)

Mme Antoinette Guhl.  - Ce n'était pas le sens de mon propos. Nous nous passerions bien d'autant de colis de ces deux grandes marques chinoises, mais toujours est-il que cela fragilisera La Poste.

M. Jean-Jacques Michau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Merci à notre Haute Assemblée pour l'organisation de ce débat, à quelques mois d'échéances structurelles pour ce service public fondamental.

Je salue le très bon travail de Philippe Wahl, PDG de La Poste. Si aucun nom n'est proposé rapidement, il faudra recourir à un intérim. Ce flou ne rassure pas, d'autant qu'il coïncide avec une période charnière. Quand son remplaçant, ou sa remplaçante, sera-t-il nommé ?

Le contrat de présence postale territoriale arrive à échéance le 31 décembre 2025. On évoque un sursis d'un an, mais pouvons-nous nous en contenter ? Dans nos villages de l'Ariège, le bureau de poste est souvent le dernier visage humain du service public. C'est souvent ce qui permet de recevoir ses médicaments, ou d'échanger un mot avec quelqu'un.

Les salariés font beaucoup d'efforts, mais les tournées, les missions des facteurs changent constamment. Ces évolutions des conditions de travail sont cause de souffrance et d'un plus grand nombre d'arrêts de travail. Le statut des salariés va-t-il changer ?

La note de la Cour des comptes de février dernier, si elle identifie les tensions économiques du groupe, adopte une lecture comptable suggérant de revoir la fréquence de distribution et de réinterroger les activités non rentables, et donc le SUP.

Le Gouvernement parle de réforme structurante, de rationalisation, d'adéquation entre coût et usage. Ce sont des mots que ceux qui justifient le retrait de l'État dans les territoires utilisent souvent. Il ne peut pas y avoir de République à deux vitesses. Comment accepter le retrait du service public en zone rurale ? Les agences postales communales, qui représentent une solution équilibrée de proximité, risquent de ne survivre que dans les communes les plus riches. Nous ne pourrions l'accepter.

Quel sera le processus de redéfinition du SUP en 2026 ? Le Parlement y sera-t-il associé ? Pouvez-vous garantir que les agences postales locales seront pérennisées ?

Le Sénat doit accompagner la réflexion. La Poste n'est pas une entreprise comme les autres, mais un acteur de la cohésion nationale. Si demain elle perd son ancrage territorial, ce ne seront pas seulement les lettres qui ne seront plus distribuées, ce sont des morceaux entiers de la République qui ne parviendront plus jusqu'à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Antoinette Guhl applaudit également.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - À vous entendre, il y aurait un plan de réduction de la présence postale -  j'en profite pour répondre au sénateur Chaize.

La loi, c'est 17 000 points de contact, et personne ne change cette loi. Effectivement, La Poste n'est pas une entreprise comme les autres. Il me semble que c'est la seule entreprise ainsi définie dans la loi. (M. Guillaume Gontard proteste.)

Non, il n'y a pas d'agenda caché. Vous pourrez d'ailleurs auditionner le nouveau PDG avant le 25 juin.

Je veux vous rassurer. Les agences communales demeurent et nous continuerons à les faire fonctionner, mais il y a sans doute des améliorations à apporter, par exemple dans les 2 000 communes où il y a à la fois une maison France Services et une agence postale.

Il n'y a pas deux France, et votre collègue du 20e arrondissement de Paris l'a montré.

M. Jean-Jacques Michau.  - Merci de ces mots, qui me rassurent en partie. Les contrats avec les agences communales sont désormais de trois ans, au lieu de neuf. Les élus se demandent comment se feront ces renouvellements. Voilà un exemple des craintes des territoires.

M. Stéphane Ravier .  - Le 9 novembre 1989 fut doublement historique : chute du Mur de Berlin, et une journée qui commence à 5 heures par la distribution du courrier ; j'avais 20 ans, c'était mon premier jour en tant que facteur aux PTT. J'avais terminé si tard qu'un usager parisien m'avait demandé, avec mépris et condescendance, si ce n'était pas le courrier du lendemain - comment dès lors ne pas soutenir l'Inter Milan samedi prochain ? (Mme Amélie de Montchalin le déplore.) Épuisé, piqué dans mon orgueil de Marseillais, fallait-il que je m'accroche au guidon de mon vélo pour ne pas craquer, mais j'ai tenu bon, porté par l'exemple des anciens dont je constatais un investissement personnel se concrétisant au quotidien dans des services rendus aux gens, qui n'étaient pas encore des clients.

L'oiseau bleu n'évoquait pas un réseau social américain, mais un service public dont la promesse était la transmission, la rapidité et l'efficacité reposant sur le lien et le service.

L'administration des PTT nous était enviée par le monde entier, car ses agents étaient les seuls qui ne perdaient rien, vantait Michel Audiard. En défaisant son statut, la gauche, sous l'impulsion du ministre Paul Quilès, a déboulonné la statue.

Si le timbre est passé du rouge au vert, la confiance et la fiabilité, elles, ont fait le chemin inverse. Disparition progressive des services postaux dans nos communes, distribution aléatoire du courrier : c'est le grand recul. Je suis aux côtés des maires provençaux qui refusent ce déclassement.

La Poste est devenue une multinationale qui délocalise. La Banque postale se réserve même le droit de virer sans réserve ses clients parlementaires.

Alors que la multinationale Amazon a investi 1,2 milliard d'euros en France l'année dernière et annonce 300 millions d'euros supplémentaires cette année, comment la France prévoit-elle de faire face souverainement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - J'ai du mal à vous suivre. Qu'est-ce que La Poste délocalise ? Ni ses points de contact, ni ses facteurs, ni ses résultats.

On a l'impression que les facteurs d'antan étaient tous formidables et qu'ils le seraient moins aujourd'hui. Je n'ai pas le sentiment que le courrier est distribué aléatoirement. Tous les services qui gèrent une telle masse ont des difficultés, mais il est malvenu de critiquer le travail des agents de La Poste.

La Poste ne perd ni ses racines ni son âme.

M. Jean-Luc Brault .  - La Poste, ce sont des lettres d'amour, un livret A, un téléphone, ou, pour les jeunes, le code de la route. C'est la seule personne qui passe s'assurer que l'un de nos proches va bien. La Poste fait partie de nos vies et du patrimoine de notre pays. Grâce aux postiers, un peu d'humanité circule.

Lors du débat précédent, nous nous interrogions sur la manière dont nos politiques publiques pouvaient relever les défis de la ruralité. La Poste peut apporter sa réponse.

En cinq siècles, à chaque étape, elle s'est adaptée. Aucun autre service public ne l'a autant fait. Elle a pu évoluer dans sa chair, avec la réforme des PTT en 1990, la libéralisation des services postaux, puis un changement de statut acté en 2010.

Nous envoyons de moins en moins de plis postaux : 18 milliards en 2008, 6 milliards en 2023, 5 milliards en 2024. Financièrement, si rien ne bouge, ça coincera. Dans le privé, on appellerait ça un dépôt de bilan. Alors La Poste s'est lancée dans une recherche effrénée de croissance externe pour justifier son existence.

L'État doit assurer une compensation intégrale pour que La Poste assure son coeur de métier, le SUP, dans tous nos territoires. On ne peut pas lui reprocher de s'éparpiller et, dans le même temps, ne pas lui donner les moyens d'exercer son coeur de métier.

Ses missions sont diverses aujourd'hui, or modernité ne rime pas toujours avec diversité. L'avenir de La Poste n'est pas dans la multiplication des activités en tous genres.

Les postiers sont des femmes et des hommes extrêmement appréciés. La Poste, ce qu'elle fait de mieux, c'est cogner aux portes des gens pour apporter un service public à tous ceux qui ne peuvent y accéder. C'est son ADN : être un acteur du contact humain.

Proximité et ruralité ne doivent-elles pas être au coeur des missions de La Poste demain ? Avec quels moyens humains et financiers ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - On dit la même chose, mais pas tout à fait. Les missions de service public de La Poste sont essentielles. Mais c'est bien parce qu'elle s'est diversifiée et a trouvé de nouvelles sources de croissance que La Poste pourra continuer d'exercer ses missions.

En recentrant La Poste sur ses seules missions de service public, faute de modèle économique, vous en ferez une extension des services préfectoraux. Il faut au contraire qu'elle se diversifie, de manière rentable, et ce dans un cadre démocratique.

Le courrier était une source de revenus énormes ; c'est moins le cas désormais. Il faut donc diversifier l'activité, de manière raisonnée, dans des secteurs porteurs.

Mme Marie-Jeanne Bellamy .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Intervenant dans un domaine extrêmement concurrentiel, La Poste doit affronter des défis majeurs. La part du courrier dans son chiffre d'affaires est passée de 50 % en 2010 à 15 % en 2023. En dix ans, ses revenus ont chuté de 6,5 milliards d'euros.

La Poste est chargée de quatre missions de service public : le SUP, la contribution à l'aménagement du territoire, le transport et la distribution de la presse, l'accessibilité bancaire. Ces missions sont plus nombreuses et exigeantes que celles qui sont dévolues aux autres opérateurs européens ; l'État doit l'assumer.

Les engagements réciproques de l'État et du groupe ont été contractualisés pendant la période 2023-2027. Pourtant, selon la Cour des comptes, en 2023, il manquait 479 millions d'euros pour compenser le coût du SUP. Si le coût du contrat de présence postale territoriale est estimé à 322 millions d'euros, l'État ne compense qu'à hauteur de 174 millions d'euros par an.

Fin septembre, La Poste était informée d'une annulation de 50 millions d'euros sur les 105 millions votés en loi de finances. Ce n'est pourtant pas une subvention à une entreprise, mais à un fonds de péréquation.

Le groupe est plongé dans une insécurité juridique et financière intenable. Comment se réformer dans ce contexte ? La Poste est un acteur essentiel de l'aménagement du territoire. Nous sommes à une période charnière, avec un changement de PDG et la fin du contrat de SUP. Il est temps de fixer un cap. Lequel ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Les annulations de crédits se font quand une dépense dérape. Jamais en cours d'année nous n'avons annulé un quelconque engagement vis-à-vis de La Poste. Mais il est vrai que les projets de loi de finances n'affichaient pas des compensations complètes.

Il faut donner de la prévisibilité à l'entreprise pour qu'elle puisse mener à bien son plan de transformation. L'arrivée d'une nouvelle direction peut en être l'occasion. Mais beaucoup de décisions sont tripartites, entre l'État, La Poste et les collectivités territoriales.

Il faut une vision réaliste. Nous devons aider La Poste à se diversifier sans se dire que c'est forcément baroque ou bizarre. Nous devons tracer ce chemin, et, en tant que ministre des comptes publics, je vous le dis : il n'est pas question de faire des économies sur le dos de La Poste.

M. Franck Menonville .  - La Poste est un acteur essentiel du service public français depuis des siècles. Elle assure un maillage territorial unique. Les 62 000 facteurs sont en contact avec plus d'un million de personnes chaque jour, distribuent 20 millions de colis et courriers dans 44 millions de foyers.

Malgré l'essor du numérique et l'évolution des modes de consommation, La Poste a su moderniser son offre tout en préservant le service public postal sur tout le territoire national.

La distribution du courrier ne représente plus que 15 % du chiffre d'affaires, contre 52 % en 2010. En matière de diversification, on peut noter la création de messageries électroniques sécurisées, la signature numérique, le renforcement de la distribution de colis, le développement de services bancaires et financiers, le déploiement de services aux entreprises, de marketing ou de gestion de documents.

Le maintien de bureaux de poste, la distribution de repas, la livraison par drones font que le chiffre d'affaires de La Poste est passé de 22 milliards en 2013 à 34 milliards d'euros en 2022.

Mais n'oublions pas ses missions essentielles de service public. Le compte service public du groupe est largement déficitaire, malgré les compensations de l'État - insuffisantes. Le président Wahl disait devant la commission : « La sous-compensation de nos missions de service public prend une acuité considérable. » En effet, La Poste a dépensé 4 milliards d'euros de plus que ce que l'État lui a versé pour remplir ses missions de contribution à l'aménagement du territoire, alors qu'elle a le devoir de maintenir 17 000 points de contact.

Le caractère essentiel des services de La Poste n'est plus à démontrer. Comment mieux compenser ses missions de service public ? Qu'en sera-t-il après 2027 ? Si nous n'investissons pas assez dans La Poste, la ruralité profonde en sera la première victime.

M. Sébastien Fagnen .  - L'attachement de nos concitoyens au SUP n'est plus à démontrer. Quelque 800 000 Français franchissent chaque jour les portes d'un bureau de poste.

L'une des quatre missions de service public de La Poste est la contribution à l'aménagement du territoire. La menace d'une coupe de 50 millions d'euros a ému à l'automne dernier. Face à la gronde massive, les crédits ont été rétablis, mais la situation budgétaire de notre pays nourrit de vives inquiétudes sur le prochain contrat de présence postale.

Cette mission d'aménagement du territoire est la garantie de l'ambition républicaine de l'universalité de l'accès au service public. La sous-compensation risque de la mettre en péril : le taux de compensation est passé en dix ans de 85 à 49 %, sous la barre fatidique des 50 %.

Cette sous-compensation structurelle porte atteinte au réseau postal, mais porte aussi préjudice à la gouvernance locale de la mission d'aménagement du territoire.

L'épée de Damoclès budgétaire pèse lourdement sur le modèle des commissions départementales de présence postale territoriale en charge de l'utilisation des crédits du fonds postal de péréquation territoriale. Voilà qui pourrait ébranler l'utile association des maires dans la gestion du réseau. Je pense aux mécontentements exprimés dans le Calvados, à Bény-Bocage, face à la fermeture d'un bureau.

Au regard de la dégradation budgétaire, comment garantir aux usagers le maintien d'un service en adéquation avec leurs besoins ?

Nous ne cessons jamais de rappeler que le service public est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas. Et nous réaffirmons que La Poste appartient au patrimoine commun de la nation.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Il n'y a pas de formule magique, mais nous devons à la fois assurer un service de proximité aux populations et le faire dans un cadre budgétairement viable. À nous de rentabiliser la présence du bureau de poste et du facteur. Je pense à l'aide à la formation numérique, au portage de repas, au soutien de personnes âgées.

Je le répète : la loi impose 17 000 points de contact. Si un bureau ferme, c'est qu'un autre ouvre ailleurs. La Poste définit un nouveau modèle de présence plus adapté. Nous avons connu une forte baisse de la fréquentation de ces points de contact. Nous devons rentabiliser la tournée du facteur et le maintien du réseau par de nouvelles activités.

M. Sébastien Fagnen.  - Nous ne pourrons pas éluder la question de la nature même de ces points de contact. Un bureau de poste ne remplit pas les mêmes fonctions qu'une agence postale. L'attrition des amplitudes horaires amène les agences postales communales à prendre le relais. Il faudra mettre tous les sujets sur la table.

M. Damien Michallet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Merci pour ce débat - mais quelle frustration de le tenir si tard ! Nous aurions dû débattre d'un projet de loi pluriannuel. Nous demandons une loi postale depuis des mois.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Je le sais.

M. Damien Michallet.  - À sept mois de l'échéance, les parlementaires n'ont pas pu mettre le sujet sur la table. En tant que président de la CSNP, j'ai alerté le président du Sénat et Patrick Chaize... J'ai écrit à la présidente de l'Assemblée nationale, qui a soutenu ma démarche. Seul le Premier ministre a oublié de me répondre.

Il est urgent d'avancer sur la loi postale. La réponse : un passage par la voie réglementaire. Ce serait la mort de la présence postale.

Si nous ne légiférons pas, la poste française deviendra la poste danoise, qui a purement et simplement annoncé la fin du facteur au 31 décembre prochain. Nous pouvons alors dire aux maires, dès ce soir, de se préparer à retirer les boîtes jaunes - et, croyez-moi, ça ne passera pas comme une lettre à la poste...

La loi postale est devenue plus qu'urgente. Au-delà même du déficit, qui doit nous alerter et guider nos travaux, les enjeux sont nombreux : mise en place d'une organisation déconcentrée pour plus d'agilité, transition numérique, dématérialisation des démarches administratives, lutte contre l'illectronisme, vieillissement de la population. Dans ces domaines, La Poste peut être un acteur de premier ordre -  à l'instar de la poste italienne.

Forte de son maillage territorial et de ses agents dévoués au service public, La Poste a un rôle à jouer. Mais elle doit se restructurer, y compris dans ses fonctions de support.

Identité numérique, cloud souverain, IA générative : La Poste a déjà obtenu des résultats, sous la présidence de Philippe Wahl.

Donnons-nous les moyens de nos ambitions. Les membres de la CSNP, dont Denise Saint-Pé, mènent depuis des semaines des auditions sur ce sujet crucial. Nous tiendrons une table ronde au Sénat en septembre prochain, en présence du successeur de M. Wahl.

L'État nous fait-il confiance pour débattre et voter sur ce sujet ? Il s'agit d'argent public, d'accessibilité bancaire, de l'avenir de nos territoires et de l'une de nos plus grandes entreprises publiques. À quand une loi postale ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Nous nous faisons confiance, comme nous faisons confiance à La Poste pour continuer à exercer ses missions essentielles.

Mais je suis assez gênée lorsque vous laissez croire que les boîtes jaunes pourraient être retirées dans les prochains mois parce qu'il n'y a pas de loi postale. Oui, la voie que nous empruntons est dégradée, mais elle est pragmatique.

Qu'il faille une loi à un moment donné, je n'ai aucun doute. Elle n'est pas pré-écrite par Bercy et nous n'avons pas peur de la présenter.

Le Gouvernement a d'abord dû s'atteler à faire voter un budget, promulgué le 28 février. Nous pensions qu'un amendement pourrait être voté à l'Assemblée nationale, sur l'initiative de Stéphane Travert, mais cette solution n'a pas été possible pour des raisons légistiques qui seraient trop longues à expliquer.

La responsabilité, c'est de considérer que nous ferons une loi postale solide et complète le moment venu et, d'ici là, de faire en sorte que les boîtes jaunes ne soient pas retirées. Si le Conseil constitutionnel ou le Conseil d'État ne le permet pas, nous trouverons évidemment un trou de souris législatif pour y arriver. Mais ne laissons pas croire que les boîtes jaunes vont disparaître.

M. Damien Michallet.  - Nous nous accordons sur l'analyse, mais comprenez la frustration du Parlement. Nous ne réclamons pas une loi depuis trois mois, mais depuis bien plus longtemps !

Vous semblez avoir pris l'engagement que nous en reparlerons. De fait, il est indispensable que ce débat ait lieu. J'ai employé l'image des boîtes jaunes, parce qu'elle est parlante -  elle vous a d'ailleurs fait réagir, ce qui est positif. Nous voulons tous débattre d'une loi postale et la voter.

M. Laurent Burgoa .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie la commission des affaires économiques d'avoir suscité ce débat nécessaire sur le service public postal. Fils de postier, je suis attaché à La Poste non seulement pour ce qu'elle a été, mais aussi pour ce qu'elle peut devenir.

La baisse du courrier papier fragilise son modèle économique et l'État réduit son soutien. L'équation à résoudre est très complexe. Soyons lucides : l'augmentation des compensations publiques n'est pas à elle seule une réponse durable.

Une réflexion ambitieuse s'impose donc, dans un cadre démocratique clair. Le temps presse : le 31 décembre prochain, le contrat de SUP arrive à son terme. La Poste est forte de ses compétences, de ses infrastructures, de son ancrage territorial. Donnons-lui un cap et des moyens adaptés.

La diversification de ses activités est vitale : portage de repas à domicile, visite de personnes isolées, accueil dans les maisons France Services. Je le vois dans les zones très rurales du Gard.

La Poste est souvent le dernier service public présent en milieu rural. Cette présence doit être préservée. Il ne s'agit pas d'un débat technique, mais d'un débat de fond sur le rôle et les moyens de La Poste et notre conception du service public postal au XXIe siècle.

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics .  - Vous êtes valeureux d'avoir participé à ce débat jusqu'à cette heure avancée. Merci pour nos échanges.

Pas de coup de rabot en préparation, ni de coup de Trafalgar. Nous voulons donner à La Poste les moyens de ses ambitions, dans un cadre transparent et démocratique.

Le jour viendra de réviser la loi postale. Mais, d'ici là, deux échéances s'annoncent : le renouvellement du président - je salue à nouveau Philippe Wahl - et celui du contrat de présence postale. Pour ce qui est des enjeux budgétaires, nous nous retrouverons dans le cadre du projet de loi de finances, et je me réjouis de débattre à nouveau avec vous de cette mission importante pour notre vie quotidienne.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques .  - Je remercie nos collègues qui ont participé à ce débat, ainsi que la ministre, qui connaît bien le sujet, pour les réponses qu'elle nous a apportées avec transparence, vérité et loyauté -  nous y sommes sensibles, car nous n'avions entendu jusqu'à présent que des propos évasifs. Nous sommes satisfaits des assurances reçues et attendons leur concrétisation.

Ce débat était incontournable -  même si l'on peut regretter qu'il se soit tenu à un horaire bien tardif. Notre commission aura prochainement à se prononcer sur la nomination envisagée par le Président de la République pour la succession de Philippe Wahl, dont je salue le travail pour diversifier le groupe. Nous serons extrêmement attentifs aux réponses qui nous seront données lors de l'audition.

Nous savons désormais qu'il y aura une loi postale et que le Parlement ne sera pas contourné sur cet enjeu fondamental. Attaché à l'avenir de La Poste, le Sénat restera mobilisé. (Applaudissements sur de nombreuses travées)

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 28 mai 2025, à 15 heures.

La séance est levée à minuit et demi.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 28 mai 2025

Séance publique

À 15 heures et à 16 h 30

Présidence : M. Gérard Larcher, président du Sénat, M. Xavier Iacovelli, vice-président

Secrétaires : Mme Marie-Pierre Richer, Mme Catherine Conconne

1Questions d'actualité

2Débat sur le thème : « Terres rares et matériaux critiques : quel potentiel dans les territoires français et quelle stratégie pour renforcer notre approvisionnement ? » (Demande du groupe RDSE)

3Débat sur le thème : « Quelle politique de protection et d'accompagnement des élèves dans les établissements scolaires, avec quelles modalités de contrôle ? » (Demande du groupe SER)