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Table des matières
Ouverture de la session extraordinaire 2024-2025
Homicide routier (Deuxième lecture)
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice
M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois
Faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice
Modifications de l'ordre du jour
Faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme (Suite)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur
Ordre du jour du mercredi 2 juillet 2025
SÉANCE
du mardi 1er juillet 2025
1re séance de la session extraordinaire 2024-2025
Présidence de M. Loïc Hervé, vice-président
Secrétaires : Mme Nicole Bonnefoy, Mme Catherine Di Folco.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Ouverture de la session extraordinaire 2024-2025
M. le président. - Au cours de la séance du 12 juin dernier, le décret de M. le Président de la République portant convocation du Parlement en session extraordinaire, à compter du 1er juillet 2025, a été porté à la connaissance du Sénat.
En conséquence, la session extraordinaire est ouverte.
Accords en CMP
M. le président. - Les commissions mixtes paritaires (CMP) chargées d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse ainsi que de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, sont chacune parvenues à l'adoption d'un texte commun.
M. Laurent Burgoa. - Très bien !
Homicide routier (Deuxième lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière.
Discussion générale
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice . - Cet après-midi, vous allez enfin pouvoir adopter définitivement un texte essentiel, attendu depuis des années par les victimes de violences routières et leurs familles, défendu par ces femmes et ces hommes qui ont fait face au pire : ils ont perdu un enfant, un mari, une épouse et ont ensuite mené le combat qui connaît son aboutissement aujourd'hui. Bien sûr, rien ne réparera l'irréparable, mais la loi ne détournera plus les yeux.
La proposition de loi est défendue par nombre de parlementaires, dont certains ont écrit aux ministres successifs, au fur et à mesure des drames. Elle crée dans notre droit pénal une infraction spécifique, l'homicide routier. Elle acte une évolution que les familles réclament depuis longtemps. Elle nomme enfin les choses, en affirmant avec clarté que tuer sur la route sous l'emprise de l'alcool ou de la drogue, en conduisant au mépris des règles n'est pas un simple accident. C'est un acte criminel, une faute inexcusable qui doit être reconnue comme telle.
La loi parle encore d'homicide involontaire. Mais comment expliquer à quelqu'un que la mort de son proche n'est due qu'à une imprudence ? Comment banaliser l'irréparable alors que les faits sont récurrents, les comportements assumés, parfois revendiqués ? Comment continuer à déresponsabiliser ceux qui choisissent en toute conscience de prendre le volant dans des conditions mortifères ?
Je pense à Anaïs Dessus, qui a vu mourir son compagnon percuté par un chauffard récidiviste, alcoolisé, drogué, sans permis ni assurance. Elle dit : « Le mot involontaire ne me plaît pas ; il n'a rien à faire ici, il fait mal. » Qui ne peut entendre cette colère, cette détresse et cette demande de reconnaissance ? Vous allez y répondre aujourd'hui.
Les victimes ne demandent pas des peines plus lourdes, mais la reconnaissance de ce qui s'est passé. Elles veulent qu'on mette des mots sur la mort, la détresse et les blessures.
Ce texte met donc fin à une hypocrisie juridique. Il crée une infraction autonome, claire, identifiable : l'homicide routier.
Il ne s'agit pas simplement d'un changement sémantique, mais d'un changement de regard, d'un message adressé à tous : la route ne peut plus être un angle mort du code pénal.
Je remercie les rapporteurs de l'Assemblée nationale et du Sénat ainsi que François-Noël Buffet, en tant que président de la commission des lois puis ministre, pour leur implication.
Le texte prévoit que les responsables d'accidents mortels accompagnés d'au moins une circonstance aggravante seront poursuivis pour homicide routier.
Ce texte était encouragé par Éric Dupond-Moretti et je suis content de mener son examen à son terme. Conduite sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants, défaut de permis, dépassement de vitesse supérieur à 30 km/h, délit de fuite, rodéo urbain, refus d'obtempérer, qui pourrissent le travail de nos forces de l'ordre, sont autant de circonstances aggravantes pour cette nouvelle infraction.
Les peines sont alignées sur celles prévues actuellement : sept ans et 100 000 euros d'amende, dix ans et 150 000 euros d'amende en cas de double circonstance aggravante. Certains regretteront que le quantum n'ait pas été modifié, mais ce texte apporte une transformation plus fondamentale : il impose aux magistrats de poser un regard nouveau. Il leur donne les mots justes et leur fournit des outils pour réaffirmer que la vie humaine n'est pas négociable.
En 2024, 3 190 personnes ont perdu la vie sur les routes de France métropolitaine et 233 000 ont été blessées, dont près de 16 000 grièvement. Dans trois quarts des cas, le responsable est en récidive. On ne peut plus parler de fatalité.
Ce texte complète un arsenal déjà renforcé, voulu par le président Chirac et par tous ceux qui ont ensuite soutenu la sécurité routière. Il manquait le mot juste, celui que la République doit aux victimes. Ce texte est ferme, parce que les vies brisées par la route méritent mieux que des demi-mots. À ceux qui craignent une pénalisation excessive, nous répondons qu'il n'y a pas d'excès à protéger la vie, à refuser l'impunité.
Je salue votre travail, mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi que l'esprit de responsabilité du rapporteur Szpiner et celui du Sénat qui s'apprête - je l'espère - à adopter ce texte conforme, pour une entrée en vigueur sans délai.
J'ai une pensée particulière pour les familles des victimes, dont le combat aura marqué ce débat et permis à ce texte de voir le jour. Merci à elles.
Le Gouvernement soutient cette proposition de loi juste, attendue et nécessaire. Jamais les mots ne doivent être contraires à la réalité. J'invite donc le Sénat à adopter ce texte tel quel.
M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois . - Ce texte revient au Sénat ; rappelons ses enjeux. En 2022, 3 163 personnes ont trouvé la mort sur la route ; ils furent 3 193 en 2024. Une criminalité routière existe donc, et elle est insupportable. J'utilise « criminalité routière » à dessein, comme vous, monsieur le ministre d'État. Nous avons le droit d'être choqués par ce comportement.
Celui qui occasionne la mort n'est aujourd'hui coupable que d'homicide involontaire. Si le fait de conduire sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants ne peut pas constituer un homicide volontaire, ce ne peut pas non plus être considéré comme un accident ou une mise en danger de la vie d'autrui. Les familles de victimes s'indignent à juste titre qu'un comportement volontaire délibéré ne soit assimilé finalement qu'à une faute inexcusable.
Je considère que les conducteurs à l'origine de ces drames, avec circonstances aggravantes, sont des criminels. Était-ce possible de le traduire en droit ? Les violences volontaires qui ont entraîné la mort sans intention de la donner sont punies de quinze ans de réclusion ; leurs auteurs sont passibles d'un procès devant la cour criminelle.
Cette qualification était tentante en ce qu'elle désignait le chauffard pour ce qu'il est : un criminel. Mais elle avait un inconvénient d'ordre pratique : les délais de procédure auraient été extrêmement longs. C'est pourquoi je me suis résolu à revenir en matière délictuelle, même si, philosophiquement, c'est déplaisant.
Il me semblait anormal de changer les mots dans la loi sans changer également les peines afférentes. J'avais suggéré que nous réintroduisions les peines planchers, qui ne lient pas le juge. La commission des lois l'avait accepté dans un premier temps. Mais, par un retournement de situation dont le Parlement a le secret, celles-ci n'ont finalement pas été retenues.
L'Assemblée nationale a repris sa version du texte. Avec ce texte, même imparfait, répondons-nous à l'attente des victimes ? C'est tout l'enjeu. À l'approche de l'été, période à risque, il est important que l'homicide routier entre dans le droit. C'est pourquoi je prône une adoption conforme.
Le Parlement devra se pencher de nouveau sur la question de la criminalité routière. Quand on prend le volant drogué, ivre, sans permis ou que l'on roule à toute vitesse, on est un criminel.
Pendant des années, on correctionnalisait les viols. En les faisant juger par des cours d'assises, la société a affirmé : ce comportement est criminel.
L'adoption de ce texte, que je souhaite conforme, est le point de départ de cette réflexion sur la violence routière et non un point final. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Solanges Nadille et M. Louis Vogel applaudissent également.)
M. Louis Vogel . - (Mme Olivia Richard applaudit.) Chaque année, plus de 3 000 personnes meurent sur la route ; pour beaucoup d'entre elles, ces morts auraient pu être évitées. Ainsi, selon l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière, l'alcool est responsable de 23 % des accidents mortels, la prise de stupéfiants de 13 %, la vitesse excessive de 28 %.
Cette proposition de loi est une réponse concrète à un problème terrible.
Je salue les rapporteurs Francis Szpiner et Éric Pauget et l'auteur du texte, Anne Brugnera.
L'article 1er qualifie d'homicide routier tout homicide et atteinte volontaire résultant de manquements délibérés à une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. On ne peut être plus clair. Il fait écho aux travaux du comité interministériel de la sécurité routière (CISR) qui demandait la création d'une telle infraction. Cette qualification ne change pas le quantum des peines. Au Sénat, en première lecture, des débats ont eu lieu sur le caractère criminel de cet acte. Nous avons raisonné de façon pratique, afin d'éviter d'imposer des délais excessifs aux proches de victimes. Le rapporteur a proposé des peines planchers. Mais la version de l'Assemblée nationale qui nous est revenue en deuxième lecture a souligné les divergences entre députés et sénateurs. Afin de ne pas retarder l'entrée en vigueur du texte, le rapporteur et la commission des lois ont choisi d'adopter la version de l'Assemblée nationale.
L'article 1er bis A, introduit par le Sénat, modifie le code de procédure pénale afin de renforcer l'information et la participation des parties civiles au procès. C'est une avancée concrète.
Le texte présente aussi des mesures sur le contrôle de vitesse : ainsi, l'article 1er quinquies fait du dépassement d'au moins 50 km/h de la vitesse autorisée un délit. Notre groupe soutient pleinement ces mesures, sachant que les excès de vitesse sont responsables de plus d'un quart des accidents mortels.
Le texte inscrit aussi dans la loi un examen médical obligatoire pour les auteurs d'accidents ayant entraîné une interruption temporaire de travail (ITT) d'au moins trois mois.
Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi qui porte des avancées importantes pour les victimes, en dépit du chemin qui reste à parcourir. (Mmes Olivia Richard et Dominique Vérien applaudissent.)
M. Laurent Somon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je m'exprime trois minutes, après des années de combat aux côtés des familles de victimes d'accidents provoqués par des conducteurs sous l'effet de la drogue ou de l'alcool.
Définir enfin l'homicide routier en écartant l'homicide involontaire est une avancée majeure, réclamée depuis des années, même s'il manque à ce texte une amélioration des délais de procédures et de l'application des sanctions. La prévention routière est négligée.
Sur la forme, je citerai La Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » La méthode me laisse amer. Dès 2017, la création de l'homicide routier était réclamée par les parlementaires, les familles de victimes et les associations.
Les procédures doivent être resserrées et les sentences appliquées. Seulement 10 % des peines d'incarcération prononcées sont effectuées et les amendes s'élèvent à 500 euros en moyenne.
Pourquoi faut-il que les textes n'évoluent avec l'assentiment des gouvernants que lorsque des personnalités sont touchées, que leurs voix et leurs moyens leur offrent l'oreille du Château ? Pourquoi la vie meurtrie à jamais et la voix de Yann Desjardins, dont le fils Guillaume est mort, n'ont-elles pas été entendues ? (La voix de l'orateur se teinte d'émotion.)
Pourquoi ne pas appliquer davantage de rigueur ? Pourquoi ne pas penser d'abord aux victimes ? Je voterai cette proposition de loi, mais j'attends, monsieur le ministre, après le rapport de Dominique Vérien et Elsa Schalck, que vous proposiez une justice équilibrée, comprise, morale, et que les coupables comprennent la douleur qu'ils font subir aux familles ad aeternam.
Je voterai ce texte avec une folle et réelle espérance : que nous avancions pour plus de sécurité routière et moins d'insécurité pénale.
J'essaie de me mettre au service des autres pour donner un sens à ma vie, a déclaré Yann Desjardins. Il a été emporté. Peut-être que s'il avait été entendu en 2017, d'autres vies auraient-elles déjà été sauvées ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Louis Vogel applaudit également.)
Mme Solanges Nadille . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Chaque jour, sur nos routes, des vies basculent et des espoirs sont brisés. En 2022, 3 267 personnes ont perdu la vie dans l'Hexagone et 283 en outre-mer. Dix personnes meurent chaque jour sur la route. Des stupéfiants étaient en cause dans 12 % des accidents mortels ; l'alcool, dans près de 30 %. Derrière ces drames, ce sont des destins brisés, des familles endeuillées. Certains drames suscitent une émotion collective, mais la plupart demeurent silencieux. Pourtant, chacune de ces vies avait une histoire.
La sécurité routière n'est jamais acquise. Elle exige engagement constant et choix politiques courageux.
Cette proposition de loi a pour but de changer le regard du droit pénal sur ces infractions : ce ne sont pas des homicides involontaires, mais des actes d'une gravité extrême, liés à des comportements délibérément dangereux. Il s'agit là de reconnaître enfin la spécificité de ces drames et de se placer du côté des victimes, qui réclament légitimement justice et reconnaissance.
L'article 1er crée un nouveau chapitre dans le code pénal introduisant l'homicide routier et les blessures routières. Dès qu'une circonstance aggravante sera constatée, la qualification d'homicide routier pourra être retenue.
Ce changement de terminologie n'est pas qu'un symbole.
Le texte va plus loin, en prévoyant des peines complémentaires telles que la confiscation de véhicules ou l'installation de dispositifs antidémarrage, et une systématisation des mesures à visée dissuasive et préventive. L'instauration d'un examen médical pour évaluer l'aptitude à la conduite après un accident est une avancée. Je salue le travail des rapporteurs.
Je veux aussi insister sur la situation des outre-mer. Les jeunes figurent parmi les principales victimes. La mortalité routière est trois fois plus élevée en outre-mer que dans l'Hexagone : la moyenne est de 45 morts pour un million d'habitants dans l'Hexagone, 78 pour la Martinique, 120 pour la Guyane et 143 pour la Guadeloupe.
Dans notre archipel, les campagnes d'information et de sensibilisation n'ont que peu d'effet. Si le nombre d'accidents diminue, le nombre de décès a augmenté, en 2023 et en 2024. Il ne s'agit plus seulement de sécurité publique, mais de cohésion sociale.
Dans ces territoires souvent oubliés, l'adoption de ce texte serait un signal fort : elle marquerait la reconnaissance d'un fléau que nous devons collectivement affronter. Le RDPI votera ce texte. Pour ma part, je le voterai en conscience, pour les familles endeuillées : chaque victime de la route mérite justice et considération. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Véronique Guillotin . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC) Le cheminement de ce texte fut long et sinueux. Cette proposition de loi apporte une réponse symbolique forte grâce à une évolution juridique attendue par les familles de victimes, les associations et de nombreux praticiens du droit. Le RDSE y est favorable. Il ne s'agit pas d'un ajustement terminologique, mais de rendre la justice par les mots, pour dire la réalité de ces drames. Comment qualifier d'involontaire le fait de conduire en état d'ivresse ou à une vitesse défiant la raison ? Ce ne sont pas des concours de circonstances, mais des comportements fautifs, parfois assumés, toujours lourds de conséquences.
Derrière cette proposition de loi, il y a des visages : ceux de la famille Alléno, présente dans notre hémicycle, mais aussi des familles des 3 000 victimes annuelles. Nous leur devons la vérité du droit.
Ce texte ne bouleverse pas l'architecture pénale, mais il nomme, distingue et affirme : l'homicide routier devient une qualification autonome, dès lors que certaines circonstances aggravantes sont réunies.
Ce texte ne réglera pas tout, mais il donnera aux juges une nouvelle grille de lecture plus conforme au sentiment de justice de nos concitoyens. Il clarifie ; il responsabilise.
En première lecture, nous l'avions réécrit pour mieux l'articuler avec le droit existant. Mais refuser de voter conforme, ce serait retarder l'entrée en vigueur d'un texte que toutes les familles attendent. C'est pourquoi notre groupe votera le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, parce que l'essentiel est acquis : un changement de paradigme nécessaire et attendu.
L'homicide routier n'est pas un accident, mais un acte grave qui doit être traité comme tel. Il est des textes que l'on vote pour qu'un jour, une seule vie soit sauvée : celui-ci en fait partie. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées des groupes Les Républicains et INDEP)
Mme Olivia Richard . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Louis Vogel applaudit également.) Pour préparer mon intervention, j'ai fréquenté des sites d'actualité. J'ai été sidérée par l'étendue de la bêtise humaine. Ivre, il tue un agent de la route : c'était il y a quatre jours dans l'Eure. Bien sûr, ce quinquagénaire a bu quelques bières. Homme expérimenté, il sait conduire, lui. Ça va, ça passe. Boire ou conduire, il faut choisir : nous le savons pourtant. Il a tué un jeune homme de 24 ans. Aujourd'hui, il est passible d'homicide involontaire aggravé ; demain, il le sera d'homicide routier.
Hier, un autre jeune homme de 24 ans était condamné à deux ans de prison ferme pour avoir provoqué un accident sous l'emprise de stupéfiants et d'alcool, alors qu'il était sous le coup d'une interdiction de conduire pour avoir déjà tué une personne dans un précédent accident de la route. Il a expliqué s'être rendu aux obsèques de son oncle, son état de faiblesse le conduisant à fumer un joint et à boire une bière avant de reprendre la route.
Un autre jeune homme, ivre, s'amusait à se filmer à 210 km/h. C'est vrai que c'est drôle ! Il a tué un autre jeune. Il a été condamné à quatre ans de prison. J'imagine qu'il n'a pas trouvé ça drôle. C'est désolant. Quel gâchis !
Mi-juin encore, un jeune homme de 24 ans a été condamné pour en avoir tué un autre en tentant, ivre, de le doubler. Ils avaient la même date de naissance. Espérons qu'il se souviendra de lui à chaque fois qu'il soufflera ses bougies.
Je me suis interrogée : qu'est-ce qui mène à faire d'une voiture une arme létale ? Quel incroyable sentiment de toute-puissance doit-on avoir pour se dire que c'est bon, on gère, alors même qu'on a été condamné pour avoir déjà tué. Cette fois, ça ira, on peut conduire, même ivre, même stone. Quelle inconscience coupable ! Quelle indifférence coupable ! Ces hommes sont tellement sûrs d'eux qu'ils ne font aucun cas du code de la route.
Pourquoi parler des hommes ? Parce qu'ils représentent 84 % des responsables d'accident mortel et 91 % des conducteurs alcoolisés impliqués dans un accident mortel. Autant pour « femme au volant, mort au tournant »...
Une confiance aveugle, un sentiment de toute-puissance, mais aussi d'impunité qui autorise tout : quelle bien mauvaise combinaison !
Cela doit tous nous interroger : combien d'entre nous ont déjà pris la route après un apéro ou un dîner arrosé ? Nous pouvons nous estimer chanceux de n'avoir tué personne.
Tout l'intérêt de cette proposition de loi est de dire qu'il n'est pas involontaire de tuer quelqu'un quand on n'a pris aucune précaution pour l'éviter.
Le quantum des peines n'est pas alourdi : on sait bien que ce n'est pas la rigueur du supplice qui prévient plus sûrement les crimes, mais la certitude du châtiment.
Il faudra de la prévention. Les hommes doivent arrêter de jouer à la roulette russe. Il faut repenser l'éducation des petits garçons, ne plus les pousser à prendre des risques, à ne pas avoir peur.
Lutter contre la violence routière est indispensable car se déplacer est une liberté fondamentale. La menace d'être tué par un chauffard inconscient met à mal notre vivre-ensemble.
Je remercie le rapporteur d'avoir proposé un vote conforme, pour mettre un terme à la navette sur ce texte essentiel. Le groupe UC le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Louis Vogel applaudit également.)
Mme Silvana Silvani . - Aucune loi ne pourra ramener les disparus. Mais il est de notre devoir de lutter contre les accidents de la route. Au nom de mon groupe, j'ai une pensée sincère pour ceux qui ont perdu un être cher. Nous sommes malheureusement bien trop nombreux à avoir été frappés par une telle tragédie.
La mortalité routière reste la première cause de décès chez les jeunes. En 2022, 3 550 personnes ont perdu la vie sur les routes. En 2023, il y a eu 601 accidents dans mon département, la Meurthe-et-Moselle, dont 32 mortels. Les facteurs comportementaux sont à l'origine de la grande majorité des accidents.
Comme le soulignait la Cour des comptes en juin 2021, la France métropolitaine était 15e sur 27 en Europe en matière de mortalité routière. En outre-mer, c'est pire : le taux y est deux fois plus élevé.
Il faut donc agir et gommer le décalage entre la gravité des faits et leur qualification juridique.
Lorsqu'un conducteur ivre met sciemment la vie d'autrui en danger, peut-on encore parler d'accident ? Ce texte crée donc un délit d'homicide routier, en cas de circonstance aggravante.
L'article 1er établit une infraction distincte et reconnaît la nature criminelle de ces comportements. Cette nouvelle infraction couvre aussi les blessures et introduit de nouvelles circonstances aggravantes : rodéo urbain, usage du téléphone au volant et refus d'obtempérer.
Ces comportements seront désormais jugés pour ce qu'ils sont : des actes graves aux conséquences irréversibles.
Toutefois, des réserves demeurent. Le texte introduit une zone grise : la distinction fondamentale entre acte intentionnel et acte non intentionnel est brouillée, ce qui crée une incertitude juridique qui pourrait nuire à la lisibilité des décisions de justice.
Nous regrettons que cette proposition de loi ne s'attaque pas aux causes profondes de l'insécurité routière. Pas moins de 23 % des accidents sont dus à l'alcool et 13 % aux stupéfiants. La prévention est la clé. Agir en amont ferait réellement baisser le nombre de victimes - je salue le rôle des collectivités à cet égard.
Ce texte marque une avancée dans la responsabilisation des conducteurs et dans la reconnaissance des victimes ; nous le voterons. Cependant, nous appelons à davantage de prévention, d'éducation et d'assistance aux victimes : c'est seulement ainsi que nous ferons disparaître ces drames de nos routes.
M. Daniel Salmon . - « Certains usagers, par les risques qu'ils acceptent de faire courir, par l'insouciance que traduit leur attitude sur la route, se conduisent en véritables "asociaux?. » Les paroles de Robert Badinter prononcées en 1985 valent toujours.
Notre arsenal législatif réprime déjà ces faits inacceptables : nul besoin de revenir sur le caractère volontaire ou non de ces actes.
Les chiffres restent terribles et chaque vie perdue sur la route est une vie perdue de trop. Après avoir baissé pendant des années grâce à des politiques volontaires, le nombre de morts sur les routes stagne à plus de 3 000 par an : nous avons le devoir d'agir.
Nous comprenons la douleur des familles meurtries, mais, comme toujours, nous devons légiférer avec le recul nécessaire pour respecter l'ordre juridique, distinguant les actes volontaires des actes involontaires. L'intentionnalité est l'un des éléments constitutifs du délit. Oui, la qualification d'involontaire est difficile à accepter. Mais le symbole sémantique ne suffira pas à satisfaire les proches des victimes. Il s'agit de faire apparaître les conséquences de l'acte plus que l'intention de l'auteur.
Hélas, nous n'avons aucune étude d'impact pour ce texte qui ne propose rien de moins qu'un changement de paradigme. Sur un sujet proche, le Conseil d'État avait été clair, voyant dans la multiplication des incriminations autonomes une complexification inutile du droit.
Ce texte répond à une commande du Gouvernement : le comité interministériel de la sécurité routière avait recommandé de créer une telle infraction pour renforcer la valeur symbolique de l'homicide dit involontaire commis lors de la conduite d'un véhicule.
La violence routière est un fait. Cependant, nous avons déjà alerté sur l'aggravation pénale des comportements liés aux addictions et aux maladies mentales. Nous continuerons de le faire, d'autant que les moyens dévolus à leur prise en charge diminuent.
Notre compassion infinie ne doit pas nous aveugler au point de complexifier le travail des juges.
L'arsenal pénal est renforcé, mais c'est un trompe-l'oeil : le quantum des peines est le même. La prévention est la grande absente de ce texte. Pourtant, c'est un élément clé.
Nous sommes conscients de la nécessité de satisfaire le besoin de justice et de réparation des familles. Mais ce texte crée une incertitude juridique majeure qui ne servira personne. Quelle est la réelle plus-value du terme « routier » ?
Nous nous abstiendrons pour affirmer notre compréhension de la douleur des familles ainsi que notre recherche d'une politique cohérente et ferme.
Mme Audrey Linkenheld . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Depuis début 2025, 1 100 vies ont été perdues sur la route : autant de drames humains. Les principales causes de la mortalité routière sont inchangées : vitesse, alcool, stupéfiants, usage du téléphone, inattention ou fatigue.
Déposée en octobre 2023 à l'Assemblée nationale, cette proposition de loi a pour objectif de faire disparaître une qualification d'homicide involontaire mal comprise et mal vécue par les familles des victimes. S'il n'y a pas d'intention de donner la mort, il y a bien toutefois une intention de violer délibérément le code de la route, qui peut mener à une issue tragique.
Le groupe SER a souscrit à cet objectif fort et symbolique dès la première lecture. La version issue de la deuxième lecture est un compromis entre attentes citoyennes et préoccupation juridique : lutter contre la violence routière sans déséquilibrer le droit pénal. Le texte nous convient, tant sur les circonstances aggravantes que sur le quantum des peines.
La justice peut donner le sentiment de minimiser la portée de certains actes, avec le qualificatif d'involontaire. C'est pourquoi nous voterons ce texte.
Nous partageons l'objectif de la commission des lois d'un vote conforme pour répondre aux attentes des familles et des associations. Malgré tout, j'ai déposé trois amendements, liés : ils ne modifient pas les dispositions de la proposition de loi, mais les complètent. Les accidents fatals impliquant des conducteurs novices au volant de véhicules surpuissants sont de plus en plus fréquents : le Nord n'est pas épargné - le ministre le sait comme moi. Ces accidents, qu'ils soient liés à des rodéos urbains ou à une conduite inconsciente, sont souvent très graves. Patrick Kanner et moi avons déposé une proposition de loi visant à améliorer la sécurité routière et à modifier le code de la route. Elle est largement validée par les acteurs de la sécurité routière, dont le ministre Buffet, que je remercie. Je l'ai traduite en amendements : faisons en sorte que la conduite de ces véhicules puissants ne soit réservée qu'aux conducteurs expérimentés. Si le titulaire d'un permis probatoire conduit malgré tout l'un de ces véhicules, il serait sous le coup d'une infraction routière. S'il commet un accident, il serait sous le coup d'une infraction routière avec circonstances aggravantes. C'est tout à fait complémentaire à ce que nous examinons aujourd'hui. Élargir aux voitures le principe déjà appliqué aux motos renforcerait la sécurité des usagers de la route.
Je regrette que ces amendements aient été partiellement déclarés irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution ; je ne doute pas que nous aurons l'occasion d'y revenir.
Le groupe SER votera cette proposition de loi, tant celle-ci répond à un besoin de justice des familles.
Mme Alexandra Borchio Fontimp . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Louis Vogel applaudit également.) Ce mardi 1er juillet 2025 fera date pour les familles endeuillées qui ont vu leur vie basculer lors de la perte d'un être cher, puisque c'est aujourd'hui que sera adoptée définitivement cette proposition de loi créant l'homicide routier. Je remercie les rapporteurs de ce texte pour leur travail.
Rien n'effacera la peine. Nous ne remonterons pas le temps. Mais il est temps de nommer les choses : à ce jour, notre droit parle d'homicide involontaire, comme si prendre le volant ivre, drogué ou sans permis relevait de l'imprudence et non d'une faute grave. Ce n'est pas acceptable.
Dans mon département des Alpes-Maritimes, les violences routières front des ravages insoutenables. Je pense à Noé, Antibois de 17 ans tué par un chauffard sous l'emprise d'alcool et de drogues. Sa mort n'est pas une fatalité, mais une injustice. Je pense aussi à Ambre et Clémence, infirmières de Mougins mortellement percutées par un chauffard ivre et sous stupéfiants, ainsi qu'au pompier niçois Jérémie Boulon, tué par un conducteur qui venait de consommer du protoxyde d'azote.
Reconnaître l'homicide routier est une première étape très symbolique. C'est réparer, rendre leur dignité aux victimes. Mais nous devons collectivement poursuivre le travail et je regrette que le texte ne prévoie rien sur l'effectivité des peines prononcées : tel est l'objet de la proposition de loi que Laurent Somon et moi avons déposée, instaurant des peines de prison ferme minimales pour les auteurs d'infractions routières.
Il fallait renforcer la prise en charge des victimes. Mon amendement visant à informer les parties civiles de la date d'audience, adopté en première lecture, a été conservé dans le texte. C'était une demande légitime des familles endeuillées.
Nous devons aussi mieux lutter contre le détournement d'usage du protoxyde d'azote, qu'il y ait ou non accident de la route. Ce gaz hilarant est un fléau.
Ce texte est une pierre supplémentaire à l'édifice juridique que nous devons encore parfaire. Les sénateurs Les Républicains répondront encore une fois présents. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. Olivier Paccaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Trop de familles dans notre pays pleurent un parent, un ami mort sur la route, qui fait près de 3 000 morts par an. Certes, c'était 18 000 en 1972, mais ce n'est pas une consolation. Vous avez raison, monsieur le ministre : la justice commence par des mots justes.
Certes, ce texte est imparfait mais son message est clair : c'est le début de la fin de l'impunité. Conduire est un acte de responsabilité. Lorsqu'un individu prend le volant sous l'emprise d'alcool, de stupéfiants, en tapotant sur son portable ou sans permis, ce n'est pas un simple écart de conduite, c'est un choix assumé, criminel. Lorsqu'il provoque la mort, il doit être qualifié comme tel : un homicide.
Ce texte répond à une exigence de justice et de vérité. En créant un crime autonome, nous franchissons un cap, nous revendiquons une tolérance zéro face à ces violences. « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde », disait Camus. La justice lui a donné trop longtemps raison.
Le texte ne vise pas les auteurs d'erreurs involontaires mais ceux qui décident de braver la législation en faisant fi de la vie d'autrui.
Pensons aux familles qui entendent le mot « accident » quand elles ont tout perdu, à ces enfants qui ne comprendront jamais pourquoi le chauffard qui a tué leur mère écope de quelques mois avec sursis... En votant cette loi, nous leur adressons un message de reconnaissance et de fermeté. Nous rappelons que chaque vie compte, que la route ne saurait être une zone de non-droit. La République doit être du côté des victimes, non de ceux qui transforment un volant en arme.
Pour les victimes, pour la justice, pour la vie, je vous remercie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Louis Vogel applaudit également.)
Discussion des articles
Article 1er
M. le président. - Amendement n°3 de Mme Linkenheld et du groupe SER.
Mme Audrey Linkenheld. - Cet amendement n'a pas pour objectif d'amoindrir la portée de ce texte, que le groupe SER votera et dont il souhaite l'entrée en vigueur au plus vite. Mais de plus en plus d'accidents sont causés par des conducteurs novices au volant de véhicules surpuissants ; cela devrait constituer une circonstance aggravante.
Cet amendement était accompagné de deux autres, déclarés irrecevables. Merci à la commission des lois d'avoir, en épargnant celui-ci, laissé la place au débat.
Nous devrons revenir sur la question des bolides. C'est un enjeu fort de sensibilisation, de prévention routière et de sécurité.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - On vote conforme ou on ne vote pas conforme ! (Sourires) Cet amendement est intéressant, mais je le considère comme un amendement d'appel.
Nous franchissons une étape avec ce texte, mais ce n'est pas la fin du processus. Retrait ; à défaut, avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°3 est retiré.
L'article 1er est adopté, de même que les articles 1er bis A, 1er ter, 1er quater, 1er quinquies, 2 et 3.
La proposition de loi est définitivement adoptée.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE et du RDPI ; M. Gérald Darmanin marque sa satisfaction.)
La séance, suspendue à 15 h 35, reprend à 15 h 45.
Faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme.
Discussion générale
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice . - Je remercie Loïc Kervran pour son initiative, qui montre la volonté sincère du Parlement de répondre aux attentes - énormes - de nos concitoyens en matière pénale, portant sur la fermeté et l'exécution certaine des peines.
Le travail de l'Assemblée nationale et de la commission des lois du Sénat traduit une exigence partagée d'effectivité des peines. L'enjeu n'est pas tant la force et la hauteur de la peine que sa certitude et sa rapidité. Cela a été mon objectif dès mon arrivée place Vendôme.
Après l'arrivée des prisons de haute sécurité ce 31 juillet, avec la validation de la loi Narcotrafic issue du Sénat et, aujourd'hui même, le décret qui régit ce régime carcéral présenté devant le Conseil d'État, j'ai annoncé un travail sur un projet de loi d'une dizaine d'articles : fermeté des décisions de justice, rapidité de la réponse pénale, fin de l'aménagement de peines obligatoires - donc retour de fait des peines courtes, voire ultracourtes -, peines de probation, fin de la décision de justice avec dispense de peine, limitation à un seul sursis, mandat de dépôt directement au tribunal. Bref, une révolution pénale susceptible, je l'espère, de répondre aux attentes de nos concitoyens. (M. Michel Savin renchérit.)
Il n'est pas acceptable qu'une peine ferme non appliquée soit vécue comme symbolique, théorique et sans lendemain. (Mme Audrey Linkenheld proteste.) La complexité des règles, les exceptions, les contraintes désorientent jusqu'aux professionnels eux-mêmes.
Olivier Paccaud le disait : la justice commence par des mots justes, compréhensibles par chacun. Qui peut comprendre que des peines prononcées ne se transforment pas en peines effectuées ?
Plus de 84 000 personnes sont incarcérées, niveau certes historiquement élevé - mais j'assume ma politique pénale. Depuis 1980, le même nombre de personnes entrent en prison chaque année et sont placées en détention provisoire ; ce qui change, c'est le quantum des peines.
Les détenus passent plus de temps en prison. Pourquoi ? Parce que les aménagements de peine obligatoires, instaurés par des gardes des sceaux de différents bords politiques - Dominique Perben, Christiane Taubira, Nicole Belloubet -, ont conduit les juges à augmenter la durée des peines prononcées pour garantir l'emprisonnement.
M. Laurent Burgoa. - C'est vrai !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Certes, dans une société de plus en plus violente, les juges sont aussi contraints de prononcer des peines de prison ferme face à la gravité des faits et la récidive, voire la multirécidive.
Notre code pénal et nos magistrats, qui l'appliquent loyalement, ciblent bien les récidivistes ; mais lorsqu'ils le deviennent, c'est déjà trop tard. Une bonne justice est celle qui prévoit dès le premier fait non une peine forte, mais une peine sûre.
La justice est ferme sur les crimes ; la question essentielle, c'est celle des délits du quotidien, qui embêtent les maires, les habitants : rodéos urbains, narcotrafic pour ainsi dire de proximité, cambriolages, atteintes physiques ou sexuelles.
Les magistrats ne sont ni complaisants ni faibles. Ils appliquent la loi votée par les parlementaires. Il nous appartient donc de la changer.
M. Laurent Burgoa. - Très bien !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Lorsque les incivilités deviennent des violences, il faut adapter le code pénal. Mais plutôt qu'une juxtaposition de mesures, le ministre que je suis préfère présenter son propre texte, pour avoir l'avis du Conseil d'État ; ce texte s'inspirera du travail de Dominique Vérien et de ses collègues.
Tout en soutenant l'idée de M. Kervran et de son groupe, le Gouvernement émettra donc un avis de sagesse sur ce texte, laissant le Sénat délibérer comme il l'entend. J'attends d'ailleurs avec intérêt votre avis, monsieur le rapporteur, dont je connais le sens de la loi bien faite.
Rien ne serait pire que de s'exposer à une censure du Conseil constitutionnel par manque de vigilance. Le Conseil d'État avait évité la censure du texte ambitieux du Sénat sur le narcotrafic, lorsque je l'ai saisi sur les articles qui concernaient mon ministère.
J'espère présenter au Premier ministre le projet de loi réformant l'échelle des peines à la mi-août, pour une adoption au premier Conseil des ministres de la rentrée et un examen à la reprise de vos travaux, en septembre.
Pas moins de 235 peines sont à la main du magistrat en France, contre quatre en Allemagne. Cette réforme devra concilier effectivité, lisibilité et efficacité, mais aussi réinsertion et prévention de la récidive. À cet égard, notre modèle est mauvais : 70 % des sortants de prison récidivent dans les cinq ans. Je parle bien de récidive, non de réitération.
Mais il faut prendre en compte la réalité carcérale. Je soutiens le modèle des peines courtes, voire ultracourtes, appliqué dans plusieurs pays, même s'il peut soulever des interrogations, comme on le voit aux Pays-Bas.
Si le Parlement, sous l'impulsion du groupe Horizons et d'autres, souhaite les mettre en place, ce sera difficile sans aggraver la surpopulation carcérale si nous n'avons pas auparavant construit en urgence des places de prison, mais surtout distingué les détenus ; on ne met pas des détenus condamnés à deux ou trois semaines dans les mêmes prisons que des personnes radicalisées ou qui dirigent la criminalité organisée.
Si cette proposition de loi était adoptée immédiatement, nous aurions cette difficulté. Si le Sénat l'adopte, il faudra au moins en différer l'entrée en vigueur.
Vous avez constaté ma volonté de construire très différemment des places de prison. Je pense aux prisons modulaires, construites en 18 mois seulement, dont la première sera inaugurée en octobre à Troyes-Lavau, ou aux réquisitions de lieux moins carcéraux pour les peines ultracourtes. Si celles-ci étaient introduites par le Parlement, elles devraient être purgées dans des établissements évitant la récidive et privilégiant la réinsertion.
Le risque est donc double : d'une part, produire des incarcérations sans accompagnement dans des établissements qui accueillent des personnes plus dangereuses ; d'autre part, épuiser les moyens du service public pénitentiaire sans gain réel pour la société.
Parallèlement à la réforme du droit des peines, dont j'ai annoncé les contours dans une lettre aux magistrats le 11 mai dernier et dont j'ai saisi vos groupes politiques, je propose que le Gouvernement évoque avec vous, dans le même texte, la distinction des détenus selon leur degré de dangerosité et non selon leur statut au regard de la justice.
L'objectif de la présente proposition de loi est juste. Je salue les améliorations apportées par les deux chambres. Mais il faut aller plus loin, notamment mettre fin à tout aménagement de peine obligatoire : un mois de prison doit valoir un mois de prison.
Il faut des peines de probation, comme chez nos amis anglais et allemands, en donnant plus de moyens aux agents des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) et de cohérence à leur action. Aujourd'hui, lorsqu'un condamné trouve un travail, ils doivent redemander une décision de justice pour aménager ses horaires de bracelet... Simplifions et faisons-leur confiance.
La justice pénale mérite donc plus qu'un ajustement : une vision et un projet. J'espère que le présent débat nous aidera à préparer ce travail. Je m'en remets à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Vérien applaudit également.)
Modifications de l'ordre du jour
M. le président. - Par lettre en date du 30 juin, le Gouvernement a demandé le report au soir du mercredi 2 juillet de la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur la situation au Proche et Moyen-Orient, initialement inscrite l'après-midi, et l'inscription en troisième point de l'ordre du jour de l'après-midi du 2 juillet de la proposition de loi relative à la protection sociale complémentaire des agents publics territoriaux, initialement prévue le soir.
De plus, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé l'inscription le mercredi 9 juillet l'après-midi, en troisième et quatrième points de l'ordre du jour, de la lecture, sous réserve de leur dépôt, des conclusions des commissions mixtes paritaires sur la proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme et sur la proposition de loi visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers, initialement prévue le jeudi 10 juillet ; le soir, de la nouvelle lecture, sous réserve de sa transmission, de la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille.
Le Gouvernement a également demandé l'inscription, l'après-midi du jeudi 10 juillet, de la deuxième lecture de la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, et la suite de son examen le vendredi 11 juillet.
Acte est donné de ces demandes.
Il en est ainsi décidé.
Faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme (Suite)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.) Cette proposition de loi de Loïc Kervran, adoptée à l'Assemblée nationale le 3 avril dernier, part d'un constat partagé par tous : un fossé se creuse entre la décision de justice et son exécution, ce qui ne manque pas de susciter de la défiance à l'égard du système judiciaire. Depuis la loi du 23 mars 2019, l'incarcération doit être réservée aux peines les plus longues et la privation de liberté constituer un ultime recours.
Depuis lors, on ne peut plus prononcer de peines de prison de moins d'un mois, celles d'un à six mois sont effectuées en dehors de la prison et celles de six mois à un an sont systématiquement aménagées. Il en résulte un puissant sentiment d'impunité qui ne rend service ni à la société ni aux délinquants et fragilise profondément notre pacte républicain.
Cela produit en outre des effets contraires à l'intention du législateur. Premièrement, la surpopulation carcérale n'a cessé de croître, car les juges ont prononcé des peines plus élevées pour garantir l'incarcération : les peines de six mois à un an ont augmenté de 50 %, alors que celles d'un à six mois ont enregistré une baisse de plus de 20 %. Deuxièmement, les peines fermes n'ont pas été exécutées dans les meilleures conditions possibles en raison de la surpopulation et des aménagements décidés par le tribunal correctionnel. Les aménagements dépendent du parcours de vie du condamné, mais encore faut-il que le juge dispose de ces informations. Or la combinaison de la jurisprudence de la Cour de cassation et de la loi de 2019 a rendu ces aménagements quasiment automatiques.
Cette proposition de loi inverse la logique, en privilégiant l'incarcération à l'aménagement de peine par la suppression de l'interdiction de prononcer une peine d'emprisonnement ferme de moins d'un mois ; en redonnant au juge du fond la possibilité de prononcer des peines d'incarcération courtes ; en supprimant la libération de plein droit trois mois avant la fin de la peine ; enfin, en remettant l'aménagement des peines entre les mains des juges de l'application des peines (JAP).
On ne peut que partager le constat et les objectifs de l'auteur, mais les débats en commission ont soulevé des questionnements et des incertitudes.
L'examen du texte a été très court : moins de trois jours. C'est d'autant plus regrettable que, en l'absence de procédure accélérée, une seconde lecture sera nécessaire. (M. Michel Savin renchérit.) Regrettable, aussi, car nous n'attendons pas les conclusions de la mission de Dominique Vérien, Elsa Schalck et Laurence Harribey ni les conclusions des travaux menés par Gérald Darmanin.
M. Laurent Burgoa. - Très bien !
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Deuxième interrogation : la surpopulation carcérale, dont notre politique pénale ne peut plus dépendre. Notre pays compte plus de 83 000 détenus pour environ 65 500 places ; 5 200 d'entre eux dorment sur un matelas au sol et des prévenus peuvent vivre avec deux, trois, voire quatre codétenus dans les maisons d'arrêt, dont certaines ont un taux d'occupation de plus de 200 %. Chaque mois, un nouveau record est battu. Cette surpopulation rend la réinsertion difficile ; on le voit avec un taux de récidive à cinq ans supérieur à 60 %.
Il faut donc créer des places dans des prisons adaptées pour les courtes peines, moins chères et plus rapides à construire, car nul ne songe à s'évader si la peine est courte.
Troisième interrogation : quid de l'utilité des peines ultracourtes ? Celles-ci peuvent parfois désocialiser et ne pas faciliter la réinsertion, selon de multiples études.
Évitons de voter un texte miroir de celui de 2019, créant les mêmes effets de bords. Appliquer immédiatement de très courtes peines pèserait sur les conditions de détention, l'efficacité de la peine et le risque de récidive.
C'est pourquoi la commission est revenue sur des dispositifs provoquant des effets pervers. Elle a renforcé l'autonomie des juges en substituant aux exigences de motivation spéciale, qui créent de réels risques de cassation, une motivation simple, applicable aux peines elles-mêmes comme à leur exécution. Elle a aussi facilité le renvoi des dossiers au JAP lorsque le juge du fond ne dispose pas des éléments requis pour définir les modalités d'exécution de la sanction. Enfin, elle a supprimé les dispositions sur le fractionnement des peines.
Ce texte n'est pas l'alpha et l'oméga de la politique pénale, mais réaffirme le principe de l'effectivité de la peine. Cela peut conduire à une plus grande individualisation des peines, donc à une meilleure réponse pénale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Laurent Burgoa. - Très bien !
M. Louis Vogel . - Cette proposition de loi ouvre le débat sur notre politique pénale : prononcé et exécution de la peine.
Avec 83 681 détenus pour 62 570 places au 1er janvier dernier, la surpopulation carcérale empêche la prison de remplir ses missions : protéger la société et réinsérer les prisonniers.
La solution bâtimentaire - le fameux plan 15 000 places -, quoique nécessaire, ne résoudra pas tout. Comme je l'ai souligné dans mon rapport pour avis sur le budget de l'administration pénitentiaire, il faudrait construire un établissement par mois... C'est strictement impossible. Le garde des sceaux a d'ailleurs constaté que les objectifs du plan devaient être revus et qu'il convenait de privilégier des solutions modulaires.
Les Français vivent douloureusement l'impasse actuelle : elle est à l'origine du divorce entre eux et la justice de notre pays. Le nombre d'infractions augmente, les quanta de peine de même et les peines prononcées sont de plus en plus sévères. Mais plus de 40 % des peines de prison ferme ne sont pas exécutées. Quant aux peines inférieures à un an, elles font quasi systématiquement l'objet d'aménagements.
Or comme l'a écrit Beccaria, « ce n'est point par la rigueur des supplices qu'on prévient le plus sûrement les crimes, mais par la certitude de la punition ». Notre politique pénale dysfonctionne : elle conduit à condamner trop et trop tard ou pas du tout. La perspective d'un châtiment modéré mais inévitable serait plus efficace que la crainte vague d'une punition terrible qu'accompagne une espérance d'impunité.
Pour que la sanction retrouve toute son efficacité, il faut l'appliquer le plus rapidement possible. Élus locaux, nous avons tous entendu nos concitoyens s'exclamer : « Il est de nouveau en liberté ? Il a été arrêté avant-hier... »
Aux Pays-Bas, la politique pénale a été réformée dans cet esprit au début des années 2000 : les peines sont plus courtes, mais certaines. Les courtes peines représentent 23 % des condamnations, contre 15 % en moyenne dans l'Union européenne.
C'est le sens de la proposition de loi de Loïc Kervran et Agnès Firmin-Le Bodo, qui répondra en partie aux dysfonctionnements de notre politique pénale : les juges pourront prononcer une peine de prison ferme inférieure à un mois et l'aménagement systématique des peines inférieures à un an sera supprimé.
Je salue le travail du rapporteur Le Rudulier, sur l'initiative duquel la commission a apporté au texte deux améliorations majeures : liberté rendue aux juges de prononcer de courtes peines qui puissent être réellement exécutées et fin de l'obligation de motivation spéciale pour l'exécution des peines.
Ce texte est une réponse adéquate à la délinquance du quotidien et des mineurs. Demain, nous devrons faciliter les peines alternatives, comme les travaux d'intérêt général et la probation. C'est ainsi que nous nous lutterons contre le sentiment d'impunité et la lenteur de la justice et rendrons son sens à la peine. Le groupe Les Indépendants votera ce texte.
Mme Nadine Bellurot . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Brigitte Devésa applaudit également.) Je ferai, à mon tour, référence à Beccaria : ce n'est pas la rigueur du supplice qui prévient les crimes, mais la certitude du châtiment.
Cette proposition de loi corrige les effets de bords de la loi dite Belloubet, qui a aggravé la surpopulation carcérale et généré des stratégies d'évitement. Cette loi de 2019 mène à une impasse : il n'est plus possible de mettre en oeuvre des peines de courte durée, ce qui incite les juges à prononcer des peines plus longues.
Notre système pénal est à bout de souffle, et nos concitoyens nous exhortent à une fermeté concrète. Ils sont sidérés d'apprendre qu'entre 30 et 40 % des personnes condamnées ne purgent jamais leur peine et que toutes celles qui l'exécutent ne le font jamais totalement ! Nous devons réformer notre système en profondeur, à travers un véritable choc pénal.
En particulier, il faut une simplification massive du code de procédure pénale et du code pénal : les magistrats eux-mêmes la demandent, qui ne s'y retrouvent plus. La police est embourbée dans un labyrinthe de procédures toujours plus complexes, alors que le nombre de plaintes explose.
J'ai déposé une proposition de loi sur la levée de l'excuse de minorité dès quinze ans. Le garde des sceaux s'est dit favorable à une réforme constitutionnelle pour abaisser la majorité pénale. Il faut aussi développer les centres éducatifs fermés (CEF) et les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), que la Cour des comptes appelle à privilégier. Toutes ces mesures nécessiteront des moyens supplémentaires.
Pour restaurer l'autorité de la justice, il faut la rendre plus lisible et assurer un meilleur équilibre entre répression, individualisation et prévention de la récidive.
Je salue le travail du rapporteur. Le texte issu de la commission conserve la philosophie de la proposition de loi tout en renforçant le rôle du JAP. Le groupe Les Républicains votera ce texte qui redonne du sens à la prison ferme, dans l'attente de la révolution pénale annoncée par le garde des sceaux. Nous lui donnons rendez-vous en septembre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP)
Mme Patricia Schillinger . - (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur certaines travées du groupe UC) Ce texte touche à un fondement de notre pacte républicain : la justice, plus précisément l'effectivité de la peine. De fait, une part importante des peines de prison ferme ne donne pas lieu à incarcération - plus de 40 % en 2023. De nombreux sondages montrent que les Français jugent la justice trop laxiste.
Cette situation nuit à la crédibilité de notre système et alimente l'idée, injuste mais tenace, que la justice serait trop indulgente. Elle est en partie due à la loi de 2019 qui, avec son « bloc-peine », a prévu l'aménagement quasi systématique des peines les plus courtes pour réduire la surpopulation carcérale et favoriser la réinsertion.
Ces intentions étaient louables, mais la densité carcérale a augmenté : le taux d'occupation moyen atteint 130 % et même 160 % en maison d'arrêt. En effet, les magistrats ont prononcé des peines plus longues pour éviter les aménagements.
Ce texte inverse la logique : il rétablit la possibilité de prononcer des peines inférieures à un mois, met fin à l'obligation quasi systématique d'aménager les peines inférieures à un an et porte à deux ans le seuil permettant un aménagement. Il fait de l'exécution effective de la peine ferme le principe et de l'aménagement, l'exception.
En commission, des ajustements ont été apportés au texte pour éviter d'autres effets de bords. Malgré tout, nous maintenons certaines réserves. Le retour en force des courtes et très courtes peines sans moyens adéquats ni réforme structurelle risque de déstabiliser davantage encore un système sous tension.
Il faut privilégier les alternatives à la prison, dont la détention à domicile et la semi-liberté. L'incarcération systématique d'un individu, parfois contraint de dormir à même le sol, compromet gravement le sens de la peine et le triple objectif de notre politique pénale : protéger la société, prévenir la récidive et accompagner la réinsertion.
Le RDPI partage l'objectif de restaurer la crédibilité de la réponse pénale, mais considère que la question ne peut être abordée isolément. Il faut une réflexion plus large sur le rôle et la gradation des peines, ainsi qu'une prise en charge différenciée en fonction des infractions parallèlement à la création de places de prison.
La réforme annoncée par le garde des sceaux nous semble être un véhicule législatif plus adapté. C'est pourquoi, même si nous saluons l'esprit de ce texte, la majorité de notre groupe s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
Mme Sophie Briante Guillemont . - (Mme Olivia Richard applaudit.) Si l'on s'en tient à l'intitulé de ce texte, on pourrait s'interroger : les criminels et délinquants ne vont-ils donc pas en prison ? Ce serait simplificateur.
En 2019, l'idée était de désengorger les prisons en privilégiant les peines alternatives, comme les travaux d'intérêt général et les bracelets électroniques. Mais le nombre de personnes condamnées est passé de 12 500 en 2021 à 18 000. Non seulement la surpopulation n'a pas diminué, mais elle atteint des sommets !
Cela résulte en partie d'un effet de bord de la loi de programmation : lorsque les juges veulent s'assurer qu'une personne ira en prison, ils prononcent des peines plus sévères.
Comment favoriser l'exécution des courtes peines et prévenir la récidive quand les places manquent et qu'en ouvrir de nouvelles prend plusieurs années ? Peut-être en repensant la chaîne pénale et en coordonnant davantage ses acteurs, comme l'a préconisé la Cour des comptes dans son rapport de mars dernier. Peut-être en rendant effectifs les travaux d'intérêt général (TIG) et les peines sous bracelet électronique et en renforçant le suivi des personnes condamnées par les Spip. Peut-être en donnant plus de moyens à la justice.
Dans tous les cas, il faudrait un texte complet avec une étude d'impact, voire une révolution pénale. Cela tombe bien : c'est l'objectif du garde des sceaux, qui a lancé les états généraux de l'insertion et de la probation et annoncé le dépôt d'un projet de loi. Parmi les propositions avancées figurent la mise en place de peines minimales, la suppression du sursis et l'expérimentation de peines ultracourtes.
Nous reparlerons donc des mêmes sujets dans quelques mois, mais avec des chiffres, une étude d'impact et davantage de temps. Pourquoi donc le Gouvernement a-t-il inscrit ce texte à l'ordre du jour, surtout pour s'en remettre à la sagesse du Parlement ? D'autant que la mission d'information de la commission des lois sur le sujet est en cours.
Ne faisons pas ce qui nous est souvent reproché : légiférer par à-coups, avec un texte d'appel inapplicable et hors-sol. En attendant la révolution pénale, le RDSE s'abstiendra.
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de loi vise à revenir sur les dispositions de la loi du 23 mars 2019, en particulier le « bloc-peine » qui a profondément modifié les règles d'emprisonnement.
Il s'agissait de limiter les incarcérations inutiles et d'améliorer le suivi des condamnés, mais nous constatons des effets de bord massifs : aggravation de la surpopulation carcérale et complexification excessive du prononcé et de l'exécution des peines. Les décisions de justice sont peu lisibles et parfois contournées.
Cette proposition de loi inverse la logique actuelle en revenant sur l'aménagement systématique en dessous d'un an et sur la libération sous contrainte de plein droit trois mois avant la fin de la peine, dont la suppression est demandée par tous les acteurs de la chaîne pénale. Plus précisément, il s'agit de rendre aux magistrats la liberté de prononcer des peines de moins d'un mois et de mettre un terme à l'aménagement systématique des peines de moins d'un an.
Une journée d'audition sur un sujet aussi fondamental, est-ce bien sérieux ? Surtout qu'un projet de loi ambitieux est attendu pour la rentrée et qu'une mission sénatoriale est en cours ? Depuis plusieurs mois, Laurence Harribey, Elsa Schalck et moi-même entendons la réalité du terrain : tous les acteurs nous alertent sur le décalage entre la loi et son application.
Grâce au travail du rapporteur, les mesures proposées ne risqueront pas d'avoir les mêmes effets que le droit actuel : complexité, rigidité, stratégies de contournement. La commission a mis fin à l'obligation de motivation spéciale pour les peines de prison ferme sans imposer de motivation équivalente pour leur aménagement, encouragé le passage des condamnés devant les JAP et précisé le régime du fractionnement de peines, trop peu utilisé.
L'aménagement quasi-automatique des peines d'un an ou moins fait naître un sentiment d'impunité chez les auteurs et d'injustice chez les victimes : en 2023, plus de 40 % de ces peines n'ont pas abouti à un enfermement effectif. Cette situation nourrit une défiance croissante envers notre justice, particulièrement parmi les victimes de violences conjugales et les élus et commerçants victimes d'actes répétés.
Nous savons bien que le juge du fond prononce des années de prison en ayant à l'esprit que la peine sera aménagée par le JAP. Mais la méconnaissance de la justice et un manque de pédagogie entraînent de nombreuses déceptions.
Soyons lucides : les courtes peines ne sont pas une solution miracle. Bien utilisées, elles permettent cependant d'intervenir tôt dans les parcours de délinquance et désocialisent moins que les longues détentions. En outre, en permettant aux juges de prononcer davantage de peines courtes, voire très courtes, nous optimiserons l'occupation carcérale.
Restons toutefois prudents, compte tenu de l'état de notre système carcéral. Hélas, nos prisons restent des lieux de reproduction de la violence. Il faut séparer mieux les profils, créer des filières spécifiques et mettre en place un suivi adapté à ces courtes peines. La Suède et la Finlande ont ainsi créé des unités semi-ouvertes pour les peines inférieures à six mois. De tels établissements ont moins besoin d'être sécurisés : leur construction est donc moins coûteuse.
Une peine bien exécutée, c'est une sortie bien préparée. Logement, emploi, soins : la prévention de la récidive commence bien avant la sortie.
Nous voterons ce texte, car il libère le juge. Mais admettons que nous n'en maîtrisons pas tous les effets. Si les courtes peines se multiplient, gare à l'explosion carcérale. Si, comme j'aimerais le croire, ce texte conduit à ne donner que six mois ferme à une personne à laquelle un juge aurait donné un an et un jour pour être certain qu'il aille en prison, il sera positif.
Ce texte ne saurait être un point d'arrivée ; il n'est pas en procédure accélérée et d'autres textes arrivent, ainsi que notre rapport d'information. Il a toutefois le mérite d'ouvrir la discussion, et nous ne voyons nulle raison de nous y opposer. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Alexandre Basquin . - Encore une réforme pénale : j'y vois une fuite en avant, voire une surenchère.
La France compte 62 000 places de prison pour 81 000 détenus. Elle a été condamnée en 2020 par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour cette suroccupation structurelle.
Didier Migaud, alors garde des sceaux, avait dit qu'il faudrait construire une prison par mois pour atteindre un taux d'occupation acceptable et rendre leur dignité aux détenus. Son successeur, Gérald Darmanin, s'est engagé à construire 15 000 places - à raison, car la surpopulation est dangereuse.
Ce texte prévoit d'enfermer systématiquement les détenus condamnés à de courtes peines : cela n'a aucun sens et aggravera l'inflation carcérale, qui provient aussi de l'inflation des peines. Selon un article paru en 2022 dans Le Monde, 3 650 infractions nouvelles ont été ajoutées à l'arsenal existant en une dizaine d'années.
En faisant de l'aménagement de peine l'exception, ce texte ignore les réalités du monde carcéral. Un conseiller d'insertion et de probation suit déjà en moyenne 70 personnes, et certains en suivent jusqu'à 120, alors que ce chiffre devrait être de 40, selon le Conseil de l'Europe. De nombreux criminologues considèrent que les courtes peines sont criminogènes.
Notons au passage qu'on ne compte pas moins de 4 000 postes vacants dans l'administration pénitentiaire. On pourrait peut-être commencer par résoudre ce problème...
Un rapport de Caroline Abadie et Elsa Faucillon, paru en juillet 2023, appelle à privilégier les peines alternatives à la prison, qui font baisser la récidive. Hélas, il est totalement occulté du débat public.
Fidèle à la conception rousseauiste, je considère que les femmes et les hommes sont naturellement bons, mais que la société les change. De mesures d'austérité en mesures austérité, le Gouvernement sacrifie l'éducation nationale, l'aide sociale à l'enfance, les services publics ; il mène une politique de l'offre inefficace et laisse sans réponse la cherté de la vie, le chômage endémique et une jeunesse aux abois. Trop de personnes se lèvent le matin groggies par la vie.
Or les classes modestes et populaires sont surreprésentées dans la population carcérale : il faut s'attaquer aux causes de ce déterminisme social, preuve de l'échec de notre société à construire un cadre émancipateur pour le plus grand nombre.
Ce texte purement punitif n'améliorera en rien notre sort commun : nous nous opposerons à l'incarcération aveugle et à tout-va.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Je lis ce discours au nom de Guy Benarroche, dont je vous prie d'excuser l'absence.
Cette proposition de loi politicienne, sans étude d'impact, a un message simpliste : plus d'enfermement, c'est bien ! Pourtant, on traite différemment la délinquance financière : il y aurait donc une bonne délinquance et une mauvaise, celle qui ne souffrirait aucun laxisme.
A-t-on les moyens de mettre encore plus de gens en prison ? Quelle est notre capacité à bien incarcérer ? L'état de nos prisons est déjà lamentable. Et pensons à nos fonctionnaires courageux, parfois mis en danger.
Les chiffres sont édifiants et honteux : la densité carcérale est en moyenne de 135 % et 4 500 personnes dorment à même le sol. Aux Baumettes, le niveau de surpopulation atteint 200 % ; des cellules de 9 mètres carrés accueillent trois ou quatre détenus ; d'où des tensions, notamment dans le quartier des arrivants, où la situation est critique.
L'enfermement, c'est la protection de la société et la préparation à la réinsertion. Or les courtes peines sont un facteur de précarisation : perte d'emploi, de logement, des services qui n'auront pas le temps d'accompagner, des sorties sèches. Une peine qui ne prépare pas à la réinsertion est une peine dangereuse, néfaste, et un facteur de récidive.
Tout le monde parle des exemples étrangers, mais les moyens alloués à la détention y sont sans équivalent.
Ce texte va à rebours de la loi de 2019. Il revient sur le principe selon lequel l'emprisonnement ferme ne peut être prononcé qu'en dernier recours. Ce changement de paradigme est coupable.
Notre groupe a déposé des amendements visant à supprimer les mesures les plus dangereuses, notamment l'article 1er. L'enfermement de courte durée est le premier pas vers la récidive tant que la réinsertion, grande absente de ce texte, n'est pas assurée.
Nous proposerons aussi la suppression de l'article 2, qui revient sur le principe d'un aménagement de la peine ab initio.
Les alternatives à l'enfermement sont bénéfiques pour prévenir la récidive. Et nous ne devrions pas nous attaquer à l'office du juge.
L'idée qui sous-tend cette proposition de loi ? Une peine aménagée ne serait pas exécutée. C'est faux. Le GEST votera contre cette proposition de loi qui met à mal les principes fondamentaux de la justice.
M. Christophe Chaillou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi s'inscrit dans une succession de textes à visée sécuritaire, portés par la majorité sénatoriale et souvent soutenus par le Gouvernement. Allongement de la durée de rétention, création de nouveaux délits, restriction des aménagements de peine : ces textes, souvent proposés dans l'urgence, sous le coup de l'émotion, risquent d'affaiblir les principes fondamentaux de notre droit pénal. Et pas de moyens pour leur mise en oeuvre. Résultat : ils sont inapplicables.
M. Darmanin a évoqué l'attente de nos concitoyens, qui demandent une meilleure application des peines.
Mais ce changement de paradigme soulève des questions légitimes, tant sur le fond que sur sa mise en oeuvre.
Ce texte revient sur les réformes Taubira et Belloubet de 2014 et 2019 sur l'aménagement des peines.
L'article 1er supprime l'aménagement des peines ab initio ; il autorise les juridictions, mais sans automaticité, à aménager les peines allant jusqu'à deux ans si la personne présente certaines garanties en matière de réinsertion.
Le texte limite en fait la faculté du juge à décider : il réintroduirait des peines inférieures à un mois, pourtant dénoncées pour leur inefficacité. Les courtes peines n'offrent ni accompagnement ni suivi, au contraire : la désocialisation prime. Pas moins de 62 % des personnes condamnées à des peines de moins de six mois récidivent dans les cinq ans.
L'exécution des courtes peines va à rebours de la lisibilité et de l'efficacité de la réponse pénale. Le Gouvernement d'Édouard Philippe l'avait rappelé : la privation de liberté devait rester l'exception, les mesures alternatives la norme.
En subordonnant toute mesure d'aménagement à une liste limitative de situations, l'article 2 restreint sensiblement la marge d'appréciation du juge, qui ne pourra plus adapter la peine à la trajectoire du condamné.
À l'article 3, la suppression du rapport socio-éducatif pour les peines inférieures à six mois est un durcissement très net.
Ce texte va aggraver une situation déjà critique. La densité carcérale est de 133 %, de 163 % dans les maisons d'arrêt. Ainsi, 5 234 détenus dorment sur un matelas au sol. Voilà qui compromet gravement la réinsertion. La CEDH a condamné la France sur ce motif en 2023.
Nul besoin de rappeler le contexte de canicule, qui frappe aussi la population carcérale. Le plan canicule a été activé, mais il ne saurait compenser l'inadaptation structurelle de notre parc carcéral.
La justice n'est pas laxiste : le quantum moyen des peines prononcées a augmenté de plus de 29 % entre 2014 et 2023.
Cette proposition de loi repose sur une vision très resserrée de l'exécution pénale, sans que soit débattue la question des moyens humains, matériels et judiciaires nécessaires à une justice respectueuse des droits.
Les peines d'emprisonnement de courte durée, très souvent standardisées, ont un impact incertain sur la réinsertion.
Les échanges menés dans le cadre de la mission d'information rappellent que les incarcérations de moins de six mois, quand elles sont non préparées ni accompagnées, nuisent à la prévention de la récidive, contribuent à l'illisibilité de la réponse pénale et désocialisent.
Mettre en oeuvre ce texte, sans réforme d'ensemble, est inopportun. En l'absence de solution alternative crédible à la détention, le renforcement mécanique du recours à la prison sera contreproductif.
La commission des lois a précisé certains aspects. Plusieurs amendements ont été adoptés sur l'initiative du rapporteur, pour renforcer l'autonomie du juge et simplifier les procédures, ce qui va dans le bon sens. Cependant, les articles 2 et 3, ainsi que les modifications apportées aux articles 4 et 6 ne nous conviennent pas.
Une telle réforme aurait dû s'inscrire dans une vision d'ensemble, accompagnée d'une étude d'impact, d'une évaluation des réformes passées et d'un avis du Conseil d'État.
Pourquoi isoler dès maintenant un pan aussi structurant de notre droit pénal dans un texte d'origine parlementaire ?
Faisons évoluer notre politique pénale avec responsabilité, clarté et cohérence. Tel n'est pas l'esprit de ce texte. Le groupe SER votera contre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du RDPI)
M. Stéphane Ravier . - Pourrons-nous participer à notre fête nationale, le 14 juillet prochain, dans la paix civile ? Voilà ce que se demandent les jeunes filles, les parents, les personnes âgées, les propriétaires de commerce en ville...
La violence ordinaire qui se déploie est directement liée à l'absence de réponse pénale ferme. Pas moins de 80 % des Français jugent la justice française trop laxiste. Vous cherchez une motivation, monsieur le ministre ? En voici une : la volonté populaire !
Depuis les années 1990, les coups et blessures volontaires ont augmenté de 391 %, les enfermements seulement de 31 %. Parmi les condamnés à la prison ferme, quatre sur dix ne vont pas en prison.
Selon l'Institut pour la justice, les juges prononcent en moyenne des peines à hauteur de 19 % de la peine prévue par le code pénal. Les honnêtes gens subissent l'insécurité, les forces de l'ordre risquent leur vie, et les juges refusent de contribuer à l'apaisement par l'enfermement.
Les délinquants français enfermés, les délinquants étrangers expulsés, et c'est toute la société qui est protégée.
L'exécutif a toute sa part de responsabilité. Seul un tiers des places de prisons promises en 2017 ont été construites. Depuis quinze ans, les circulaires des gardes des sceaux se sont succédé, de Mme Dati à M. Dupond-Moretti. L'aménagement de la peine est devenu la norme, la prison l'exception.
Loi Immigration, loi Narcotrafic, loi réformant la justice des mineurs : toutes les initiatives, mêmes timides, se trouvent entravées par le Conseil constitutionnel, juridiction autoproclamée aux prérogatives injustement illimitées.
Guérillas les soirs de match de foot, anarchie le soir de la fête de la musique, la République française perd du terrain, et la France des pans entiers de son territoire.
Les très courtes peines de prison peuvent être une réponse. Qu'il faille investir la Guyane ou Saint-Pierre-et-Miquelon, peu importe ! Devoir légiférer pour que les peines soient appliquées, c'est lunaire ! Nous voyons combien le système judiciaire est hors sol.
Je le dis au Conseil constitutionnel et à la CEDH : l'emprisonnement est un principe d'humanité et de clémence pour le peuple. La justice est rendue, dois-je le rappeler, au nom du peuple français.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce texte dit une chose simple et essentielle : rétablissons une chaîne pénale cohérente, lisible, où une peine prononcée est une peine comprise et exécutée.
En privant le magistrat de la possibilité de retenir une peine d'emprisonnement, fût-elle brève, l'autorité de la sanction pénale a été dévitalisée. Ainsi, la proposition de loi rétablit la pleine liberté du juge.
La culture de l'aménagement systématique a engendré une frustration légitime, auprès de victimes, des forces de l'ordre ou des citoyens qui constatent l'écart inacceptable entre les sanctions prononcées et leur mise en oeuvre. D'où un profond sentiment d'impuissance publique.
Il faut reconstruire un lien de cohérence entre le délit, la peine et son exécution. C'est moins la sévérité de la peine qui dissuade que sa certitude.
Nous avons souhaité que le juge puisse prononcer des peines courtes, voire ultracourtes pour les mineurs, non pour le plaisir d'incarcérer, mais parce qu'une courte peine prononcée sans attendre permet d'identifier des vulnérabilités majeures - psychologiques, sociales, familiales - que seule une mise à l'abri du prévenu peut révéler.
Il est terrible de constater que l'on aménage par contrainte d'espace, faute de mètres carrés. Ce n'est pas une stratégie pénale, mais une résignation logistique ! C'est inacceptable.
Monsieur le ministre, je compte sur vous pour ouvrir des places de prison et mettre en oeuvre des centres éducatifs fermés pour les mineurs. Les ministres de la justice ne récupèrent pas le profit de leur engagement, compte tenu des délais de construction des prisons, mais il faut mettre le dossier sur le dessus de la pile.
S'agissant d'un seuil de deux ans pour la possibilité d'aménagement ab initio des peines, il me laisse perplexe. Pourquoi ne pas rester à un an ? Deux ans, c'est la majorité des peines de prison. Est-ce un laxisme réaffirmé, du « super Belloubet », en quelque sorte ?
L'absence d'étude d'impact et d'évaluation nous chagrine. Nous voudrions connaître le point de vue du Gouvernement.
Dans le passé, notre droit a déjà prévu ces deux ans, mais il existait alors des possibilités d'aménagement de peine et des peines planchers, qui, depuis, ont disparu.
Ces réserves étant formulées, mon groupe votera ce texte. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Je regrette que ce ne soit pas le même ministre au banc qu'au début de la discussion générale.
M. le ministre de la justice a indiqué qu'il avait un avis de sagesse sur le texte, et qu'il préparait une réforme d'ampleur sur l'échelle des peines, tout en rappelant qu'une mission d'information était en cours au Sénat.
Nous partageons assez son opinion. Ce texte tombe mal. Mais pourquoi diable le Gouvernement l'a-t-il inscrit à notre ordre du jour ?
M. Laurent Burgoa. - C'est vrai !
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission. - Nous avons bénéficié - terme peu approprié - de trois jours ouvrables pour l'examiner en commission. Et nous nous retrouvons en séance aujourd'hui. Ce texte sera sans doute majoritairement adopté.
Mais en l'absence de procédure accélérée, le ministre fera sa proposition, le Sénat rendra sa décision, et, en réalité, le texte n'aboutira jamais.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - C'est intéressant.
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission. - Notre ordre du jour, prochainement, sera de nouveau modifié. Notre temps est suffisamment compté pour que la main droite du Gouvernement n'ignore pas ce que fait sa main gauche... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Discussion des articles
Article 1er
M. le président. - Amendement n°3 de M. Benarroche et alii.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Nous nous opposons au rétablissement des courtes peines de prison. Le tout carcéral promu par cette loi est un non-sens total, en particulier dans les conditions de détention actuelles.
Votre vision est à rebours de toutes les études scientifiques, qui démontrent l'inefficacité des courtes incarcérations. Pas moins de 62 % des détenus condamnés à moins de six mois récidivent dans les cinq ans. La courte peine désocialise et alimente la machine à récidive.
Supprimons cet article.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Avis défavorable. La réforme de 2019, notamment le « bloc-peine », a été l'un des facteurs de la surpopulation carcérale que vous regrettez, à juste titre. Nous revenons donc sur ce « bloc-peine » pour éviter, précisément, d'aggraver cette surpopulation.
Depuis 2019, le quantum des peines prononcées a augmenté significativement. En effet, les juges contournent le dispositif du « bloc-peine » pour éviter les aménagements. Il en résulte des peines plus lourdes, et une surpopulation carcérale. Avis défavorable.
Présidence de Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente
M. François-Noël Buffet, ministre. - Madame la présidente de la commission des lois, j'ai bien entendu vos propos, que je transmettrai au ministre chargé des relations avec le Parlement.
Avis défavorable, pour les mêmes raisons que le rapporteur. Le garde des sceaux a annoncé une réforme des peines, que nous attendons depuis longtemps. Une réforme du code de procédure pénale à droit constant est engagée ; elle sera la bienvenue.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je m'étonne qu'on refuse cet amendement au motif que les juges contourneraient la loi de 2019 en augmentant perversement les peines. Cela ne peut être un argument !
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Je me suis mal exprimé. Le juge ne contourne pas la loi ; c'est la loi de 2019 qui est mal faite.
Ce texte rend au juge la liberté de prononcer une courte peine d'emprisonnement s'il estime, au vu de la gravité des faits et de personnalité de l'auteur, qu'elle est plus adaptée qu'un aménagement de peine. À l'heure actuelle, il est conduit à prononcer des peines plus fortes pour avoir la certitude que la personne passera bien par la case prison.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°4 de M. Benarroche et alii.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Cet amendement maintient l'interdiction des peines de prison ferme inférieures à un mois.
La courte durée ne permet pas de mettre en place un suivi structuré. La surpopulation carcérale limite les opportunités de travail, de formation et de soutien social ; or les sorties sèches sont facteurs de récidive. Sans effet dissuasif ni éducatif, ces très courtes peines sont coûteuses et contreproductives. Elles vont à rebours du principe d'individualisation des peines. C'est pourquoi la loi de 2019 fait de la privation de liberté l'exception, et des mesures alternatives la norme.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - La commission n'a pas systématisé les courtes peines : elle a levé l'interdiction posée en 2019 et rendu au juge la possibilité de prononcer une courte peine s'il le juge utile. Pour certains profils, une courte peine peut effectivement être désocialisante. Il faut tenir compte de la gravité des faits, du profil et du parcours de vie de la personne - c'est ce qu'apprécie le juge du fond.
Selon le rapport de François-Noël Buffet, alors sénateur, sur la loi de 2019, « des condamnations à des peines de prison effectives courtes intervenant plus tôt dans le parcours des délinquants peuvent être efficaces si elles sont exécutées dans des établissements présentant un degré moindre de sécurisation, et donc de coût. » Cette analyse reste valable. Avis défavorable.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Avis défavorable également.
Il faut laisser aux magistrats la liberté totale d'adapter la peine à la personne qu'ils ont en face d'eux. Une peine de huit ou quinze jours, y compris en semi-liberté, peut être bien plus efficace qu'une peine de quatre ou six mois. Tout dépend du public. Ne privons pas nos magistrats de cette possibilité.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Dans le centre de détention de Corbas, que M. le ministre connaît bien, la surpopulation est telle que les détenus restent un mois dans le quartier réservé aux arrivants. La personne condamnée à une courte peine subira d'emblée le choc carcéral ; elle ne connaîtra pas autre chose que ce quartier !
M. François-Noël Buffet, ministre. - C'est une question de principe, que le magistrat applique avec une grande liberté. La condition, c'est la diversification des lieux privatifs de liberté. Le ministre a annoncé sa volonté en la matière. Le Gouvernement a une stratégie globale, qui me paraît être la bonne.
L'amendement n°4 n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté.
Article 2
Mme la présidente. - Amendement n°5 de M. Benarroche et alii.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Nous nous opposons à l'article 2 qui porte atteinte au principe de subsidiarité en limitant la possibilité de recourir à un aménagement de peine.
C'est une vision simpliste et démagogique qui veut que les magistrats soient laxistes. L'aménagement de peine n'est pas une atténuation de la peine ni une faveur faites aux personnes condamnées, mais une autre modalité d'exécution de peine. Les alternatives à l'incarcération sont plus efficaces en matière de réinsertion et de prévention de la récidive que les courtes peines d'emprisonnement : selon une étude de 2017, le placement sous surveillance électronique, bien qu'imparfait, réduit de 10 à 12 % le risque de récidive dans les cinq ans.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Avis défavorable. Nous ne parlons pas des aménagements de peines ab initio, mais revenons aux critères qui étaient en vigueur avant 2019.
Aujourd'hui, une personne qui ne comparaît pas à l'audience peut bénéficier d'un aménagement de peine automatique. On oblige le juge du fond à prononcer des aménagements de peine alors qu'il est débordé.
La césure entre le moment où le juge statue sur la culpabilité et l'exécution de la peine peut être bénéfique. Le JAP a cinq jours après la condamnation pour se prononcer sur l'aménagement de peine ; cela peut suffire à l'individu pour comprendre qu'il ne faut pas récidiver.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Même avis.
En outre, nous n'avons aucune étude d'impact permettant de mesurer les conséquences d'une telle mesure. Dans un domaine aussi sensible que la sanction pénale, un peu de recul serait bienvenu.
L'amendement n°5 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°6 de M. Benarroche et alii.
Mme Raymonde Poncet Monge. - De nombreux juristes ont souligné le décalage entre les mécanismes d'aménagement ab initio et post-sentenciels. Aujourd'hui, une peine de plus d'un an mais de moins de deux ans ne peut être aménagée directement par le tribunal correctionnel, mais devient aménageable par le JAP dès l'entrée en détention. Cet amendement porte à un an le seuil pour un aménagement obligatoire et à deux ans pour un aménagement quasi obligatoire.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Votre amendement est contraire à l'article premier que nous venons de voter.
Nous avons constaté l'échec du « bloc-peine » de 2019. L'aménagement devenu quasi obligatoire a provoqué la surpopulation carcérale. Cet amendement aggraverait le phénomène : le juge prononcerait des peines de deux ans et un mois pour s'assurer qu'il y a incarcération ! Avis défavorable.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Même avis.
L'amendement n°6 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°2 rectifié de Mme Briante Guillemont et alii.
Mme Sophie Briante Guillemont. - Cet alinéa prévoit l'aménagement de la peine lorsque le condamné justifie de sa participation « essentielle » à la vie de la famille. Ce terme est trop restrictif, nous le remplaçons par « utile ».
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Avis défavorable. Le terme « essentiel », utilisé de 2009 à 2019, donnait pleinement satisfaction et laissait une certaine liberté au juge. Gare à l'interprétation de la Cour de cassation, qui pourrait avoir un effet contraire à votre intention.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Une telle modification risquerait d'avoir des effets de bords, en entraînant des changements de jurisprudence. Avis défavorable.
L'amendement n°2 rectifié n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°1 rectifié de Mme Briante Guillemont et alii.
Mme Sophie Briante Guillemont. - Monsieur le ministre, nous aurions voulu une étude d'impact sur ce texte !
La liste des éléments permettant de justifier l'aménagement d'une peine est trop restrictive : efforts de réadaptation « sérieux », résultant d'une implication « durable » dans un projet d'insertion ou de réinsertion. Nous proposons une rédaction qui laisse davantage de marge de manoeuvre aux magistrats.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Avis défavorable. Votre rédaction, imprécise, ne respecte pas le principe constitutionnel de légalité. Vous donnez une liberté excessive aux juges, qui ne sont pas demandeurs. Ils attendent du législateur clarté et stabilité.
Nous risquerions en outre une multiplication des recours et des pourvois en cassation - bref, l'embolie des juridictions.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Même avis.
L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté.
Article 3
Mme la présidente. - Amendement n°8 de M. Le Rudulier, au nom de la commission des lois.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Rédactionnel.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Sagesse.
L'amendement n°8 est adopté.
L'article 3, modifié, est adopté.
L'article 5 est adopté.
Article 6 (Supprimé)
Mme la présidente. - Amendement n°7 rectifié de M. Benarroche et alii.
Mme Raymonde Poncet Monge. - M. le ministre, qui souhaite une étude d'impact, ira dans mon sens, puisque cet amendement demande un rapport sur l'impact de cette loi sur la récidive et sur la surpopulation.
La politique du tout carcéral a démontré son inefficacité. La prison est un lieu hautement criminogène, qui conforte les détenus dans leur identité de délinquant. En outre, les peines alternatives coûtent bien moins cher que la détention. Un changement dans la culture judiciaire et dans l'opinion publique s'impose pour que l'emprisonnement cesse d'être la sanction de référence pour les petits délits.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Ce texte n'impose pas le « tout carcéral » : il rend au juge sa liberté de prononcer, en fonction du profil de l'individu et de la gravité des faits, la peine la plus adaptée.
Des travaux sont en cours : mission d'information du Sénat, réflexion du garde des sceaux, qui aboutiront, je l'espère, à un projet de loi, avec une étude d'impact. Avis défavorable.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Avis défavorable. Le rapporteur l'a dit, des travaux sont en cours. Le garde des sceaux déposera un texte à la rentrée. Enfin, votre groupe peut toujours exercer ses prérogatives de contrôle, mission d'information ou commission d'enquête.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Des travaux sont en cours, certes - mais nous votons aujourd'hui ! (Mme Marie-Pierre Monier renchérit.) Le « bloc-peine » favorise la surpopulation carcérale, dites-vous ? Il aurait été intéressant de disposer d'une évaluation. Nous devrions délibérer en pouvant mesurer les impacts.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Je viens de le dire, le Gouvernement regrette qu'il n'y ait pas d'étude d'impact. C'est toute la difficulté des propositions de loi... D'où l'avis de sagesse, pas très favorable en réalité, car nous avons besoin de cette étude d'impact.
Mme Raymonde Poncet Monge. - D'accord. (Mme Marie-Pierre Monier acquiesce.)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Je propose d'en rediscuter en seconde lecture. (Sourires)
L'amendement n°7 rectifié n'est pas adopté.
L'article 6 demeure supprimé.
Vote sur l'ensemble
M. Christophe Chaillou . - Plus le débat se déroule, plus nous avons de raisons de ne pas voter ce texte. (Mme Sophie Briante Guillemont renchérit.) Le Gouvernement émet un avis de sagesse « pas très favorable », la présidente de la commission considère que le timing n'est pas bon, qu'il faut encore des études d'impact... Décidément, nous voterons contre ce texte qui n'est pas mûr.
Mme Sophie Briante Guillemont . - Ce texte révèle l'absurdité de nos conditions de travail. Quel est l'avis réel du Gouvernement ? Sagesse, ou sagesse négative, ce qui serait susceptible de faire évoluer la majorité sénatoriale ? Nous sommes en session extraordinaire : c'est bien le Gouvernement qui a inscrit ce texte à l'ordre du jour !
Mme Raymonde Poncet Monge . - On multiplie les propositions de loi pour masquer l'absence de projets de loi du Gouvernement ; on nous oppose les travaux en cours, tout en nous demandant de voter dès à présent... Nous perdons notre temps ! C'est hélas symptomatique de toute cette session parlementaire, saturée par les propositions de loi - y compris en session extraordinaire. Que le Gouvernement dépose donc des projets de loi, avec études d'impact !
M. Michel Savin. - Avis de sagesse favorable ? Défavorable ?
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur . - L'avis du Gouvernement est clairement un avis de sagesse. Et je retourne m'asseoir. (Rires)
À la demande du groupe INDEP, l'ensemble de la proposition de loi est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°334 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 305 |
Pour l'adoption | 205 |
Contre | 100 |
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
Échec en CMP
Mme la présidente. - La commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.
En conséquence, la lecture des conclusions de la CMP sur ce texte est retirée de l'ordre du jour du mercredi 9 juillet 2025.
Prochaine séance demain, mercredi 2 juillet 2025, à 15 heures.
La séance est levée à 17 h 45.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 2 juillet 2025
Séance publique
À 15 heures, 16 h 30 et le soir
Présidence : M. Gérard Larcher, président du Sénat, Mme Sylvie Robert, vice-présidente M. Xavier Iacovelli, vice-président
Secrétaires : Mme Sonia de La Provôté, Mme Catherine Conconne
1. Questions d'actualité
2. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur (texte de la commission, n°800, 2024-2025)
3. Proposition de loi relative à la protection sociale complémentaire des agents publics territoriaux, présentée par Mme Isabelle Florennes et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°785, 2024-2025)
4. Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur la situation au Proche et Moyen-Orient