B. L'URGENCE D'UNE MOBILISATION EUROPÉENNE
Un
relatif retard européen
Les Etats-Unis, l'un des principaux concurrents de l'Europe en ce domaine, ont
une avance non négligeable, illustrée par
un ratio
qui se
situe, en moyenne depuis 5 ans,
de 1 à 25 entre les budgets
d'équipement militaire consacrés au secteur spatial en Europe et
aux États-Unis
.
L'écart dans le secteur des
télécommunications est, pour sa part, huit fois plus
important
. Le constat d'une commande publique et de marchés
domestiques de volumes si différents rend de plus en plus difficile une
compétition commerciale équitable et un accès autonome
à l'espace. Seule l'Europe dans son ensemble peut résister au
risque d'une dépendance dans ses approvisionnements et garantir son
autonomie de choix et de décision. Or, un grand nombre d'États
souhaite disposer et maîtriser les outils spatiaux. Les alliances dans ce
secteur modèlent donc le paysage géopolitique mondial.
Il est
ainsi impératif que l'Europe possède sa propre autonomie et
préserve sa souveraineté dans quatre principaux domaines :
l'observation, les télécommunications, la navigation et
l'accès à l'espace
. Il est également prioritaire
d'établir une cohérence renforcée entre la politique
des lanceurs et celle de leur utilisation
. Cette autonomie permettra
à l'Europe de poursuivre au plus haut niveau les développements
scientifiques et technologiques avec ses principaux partenaires sur la
scène mondiale. Ainsi la coopération avec les États-Unis
ou le Japon et le partenariat avec l'industrie russe doivent être
renforcés.
Un secteur économique déterminant
La contribution de
l'industrie spatiale européenne au dynamisme
de l'économie européenne est déterminante
avec
près de 35.000 emplois directs, répartis entre 2.000 entreprises
environ, et un chiffre d'affaires aux alentours de 5,3 milliards d'euros
.
Le marché mondial des applications spatiales, en rapide expansion,
pourrait, selon les estimations, totaliser un chiffre d'affaires de 350
milliards d'euros d'ici à 2010. Au surplus, comme le précise la
Commission européenne dans le Livre Blanc
5(
*
)
qu'elle a rendu public le 11 novembre
dernier, chaque euro investi dans les applications spatiales
génère un chiffre d'affaires de sept à huit euros,
grâce au développement de services à valeur ajoutée.
Pourtant, dans un contexte de concurrence très sévère,
cette industrie demeure fragile, notamment dans le domaine de la fabrication
des satellites qui doit faire face à une offre américaine
représentant à elle seule les deux tiers du marché.
Votre rapporteur pour avis note donc que les acteurs européens
doivent s'engager, collectivement et dans les meilleurs délais, à
adapter leur outil industriel
.
Pour la France
, compte tenu des enjeux stratégiques liés
à l'utilisation de l'espace,
il est impératif que l'Union
européenne, maintienne une indépendance d'accès à
l'espace sur le long terme
afin d'appuyer ses ambitions d'acteur politique
indépendant sur la scène mondiale. Cette indépendance
repose sur le développement d'une famille de lanceurs européens,
d'une capacité de production de satellites et d'une gestion
complète des systèmes spatiaux.
Aujourd'hui, Arianespace est le premier opérateur de services de
lancements commerciaux au monde. Alcatel Space et Astrium, fabricants de
satellites, sont dans le peloton de tête de la compétition
mondiale. Des programmes comme Galileo ou Pléiades offrent ainsi des
perspectives intéressantes aux industriels européens. L'Europe a
accédé au rang de puissance spatiale grâce à la
famille des lanceurs Ariane, aux efforts conjoints des Etats, des agences
nationales des différents partenaires, notamment le CNES en France, et
de l'ESA. Le caractère stratégique de ce secteur, d'abord reconnu
par les Américains et les Russes, puis par les Européens, l'est
aujourd'hui par d'autre pays comme la Chine, le Japon, l'Inde ou le
Brésil.
Concernant la filière des lanceurs, après l'échec d'Ariane
5-ECA, le premier impératif est de fiabiliser le lanceur, de valider le
scénario de remise en vol et de mettre en oeuvre un plan d'actions
améliorant la qualité de la chaîne de développement
et de production et visant à la rationalisation des processus
industriels. Si le bon fonctionnement d'Ariane est stratégique sur le
moyen terme, il convient d'évoluer d'ici 2020 vers une gamme de lanceurs
mieux adaptés aux besoins institutionnels et au marché
commercial. Ainsi, l'implantation à Kourou du lanceur russe Soyouz
constitue-t-elle une opportunité d'élargissement de la gamme des
lanceurs et un préalable à une coopération
déterminante pour assurer le développement de la future
génération de lanceurs. L'instauration d'un partenariat
scientifique et technique, voire industriel, avec la Russie constitue une voie
très prometteuse et pourrait permettre d'envisager l'élaboration
d'un lanceur commun euro-russe d'ici 2020. Il serait en effet dangereux
d'abandonner aux seuls Américains la coopération avec la Russie
dans le domaine spatial, notamment avec l'installation Sea Launch, la France
ayant déjà une longue expérience des partenariats
franco-russes dans le secteur spatial, initiés par le
Général de Gaulle.
Votre rapporteur pour avis se félicite, à ce titre, de la
signature récente de l'accord franco-russe
, qui définit les
principes de coopération entre les deux Etats et fournit le cadre
juridique nécessaire à l'implantation d'un pas de tir
« Soyouz » au Centre spatial guyanais, port spatial de
l'Europe. L'accord précise les conditions dans lesquelles la France
autorise l'installation du pas de tir en Guyane et la Russie fournit les
lanceurs. Il s'inscrit dans le cadre de la résolution de l'Agence
spatiale européenne du mois de mai dernier. Cette alliance
complétera la gamme de lanceurs d'Arianespace car Soyouz, depuis Kourou,
permettra de mettre en orbite deux à trois satellites par an, d'une
masse allant jusqu'à trois tonnes sur l'orbite géostationnaire.
Même si la France a d'ores et déjà annoncé sa
participation à hauteur de 50 %, votre rapporteur pour avis note
que les conditions de financement de l'ensemble des aspects de l'accord restent
à définir.
Une organisation institutionnelle rénovée au niveau
européen
La définition de la place et du rôle du CNES, instrument de la
politique spatiale française, ne peut s'inscrire qu'en regard de
l'évolution des structures européennes. Il convient donc de
définir les compétences et les attributions des multiples acteurs
tels que l'ESA ou l'Union européenne.
A ce sujet,
votre rapporteur pour avis, qui avait plaidé en faveur
d'une intégration de la politique spatiale dans le bloc des politiques
communes de l'Union, ne peut que se réjouir des résultats des
travaux de la convention européenne chargée de rédiger un
projet de constitution européenne
. En effet, l'article III-155
du projet, présenté le 17 juillet dernier, dispose qu'afin
«
de favoriser le progrès scientifique et technique, la
compétitivité industrielle et la mise en oeuvre de ses
politiques,
l'Union élabore une politique spatiale
européenne
». Pour ce faire, la loi européenne,
définie par ailleurs dans le projet de constitution, pourra
établir des mesures sous forme d'un programme spatial européen.
Votre rapporteur pour avis juge cette avancée très
positive
et se réjouit que la politique spatiale soit
mentionnée dans le projet de Constitution européenne
. Cela
permettra une mutualisation des investissements au niveau européen et le
développement d'un pôle spatial européen, doté de la
taille critique pour faire face aux principaux concurrents en ce domaine, tel
que les États-Unis, la Russie ou la Chine. L'Union européenne
pourrait, à cet égard, s'inspirer de la pratique des
États-Unis qui consiste à soutenir l'activité de lancement
nationale, la considérant comme une priorité stratégique.
Il est légitime que les responsabilités dans le financement de
nouveaux développements restent principalement du ressort de la
puissance publique aussi longtemps que les risques associés ne
permettront pas d'envisager un retour sur investissement compatible avec les
contraintes industrielles.
*
* *
Au
total, votre commission tient à se féliciter du contenu du Livre
blanc de la Commission européenne proposant un plan d'action pour la
politique spatiale européenne. Ce dernier contient des recommandations
détaillées visant à garantir à l'Europe un
accès indépendant à l'espace, à renforcer les
technologies spatiales, à promouvoir l'exploration spatiale, à
attirer davantage de jeunes vers les carrières scientifiques, à
renforcer l'excellence européenne dans les sciences spatiales et
à stimuler les entreprises compétitives.
Votre rapporteur pour avis note que la Commission européenne a
élaboré des scénarios budgétaires pour mettre en
oeuvre le plan d'action qui impliquent une croissance des dépenses en
faveur du secteur spatial beaucoup plus importante que celles qui sont
réalisées actuellement par les Etats membres. Les trois
scénarios prévoient en effet une augmentation des dépenses
allant de 4,6 % à 2,3 % par an, la Commission précisant
néanmoins que si l'hypothèse de croissance la plus faible
était retenue, cela ne serait pas suffisant pour garantir
l'indépendance de l'Union en ce qui concerne la technologie et
l'accès à l'espace.
A nouveau, votre rapporteur pour avis ne peut que réaffirmer
l'impérieuse nécessité de mettre en oeuvre très
rapidement une politique spatiale ambitieuse avec des moyens budgétaires
renforcés.