C. LA FRANCE NE S'EST PAS DOTÉE D'INSTRUMENTS SUFFISANTS POUR FAIRE FACE À LA CONCURRENCE INTERNATIONALE EN MATIÈRE D'EXPERTISE
Le rapport « Maugüé » sur « le renforcement de la cohérence du dispositif public d'expertise technique internationale » souligne la faiblesse d'une organisation dispersée et l'absence d'opérateur dominant.
Force est de constater que le secteur est investi par une trentaine d'opérateurs publics d'expertise à l'international, des « opérateurs métiers » (proches des viviers d'expertise) et un opérateur généraliste (FEI). Cette dispersion s'accompagne naturellement d'une diversité de situations en matière de statuts et modèles économiques. Cohabitent des associations, des GIP, des EPIC, des EPA, des SA détenues majoritairement par l'Etat avec des ressources qui peuvent provenir de subventions d'exploitations, de cotisations, de crédits pour opérations (budget coopération) ou de contrats remportés.
Le volume d'activité cumulé annuel s'élève à environ 80 millions d'euros dont 60 millions d'euros proviennent des 3 plus grosses structures (FEI, ADETEF et CIVIPOL). Ces 80 millions d'euros se décomposeraient en 50 millions d'euros de financements européens, 22 millions d'euros de financements bilatéraux français et le solde de marchés remportés auprès de pays tiers ou de bailleurs multilatéraux.
Dans la grande majorité des cas, la gestion ne permet pas de distinguer les actions de coopération menées « à titre gracieux » et les activités qui s'inscrivent dans une logique marchande et concurrentielle.
Cette situation résulte, d'une part, d'un choix politique, au moment de la réforme de 1998, de ne pas se doter d'un opérateur public dominant qui aurait pu permettre de développer les synergies entre aide bilatérale et expertise technique internationale et, d'autre part, de l'existence d'« expertises métiers » qui résultent d'une succession de décisions « individuelles » des administrations à s'investir à l'international.
Votre commission estime que cette organisation n'est pas satisfaisante.
Elle entraîne de véritables difficultés à se positionner sur les appels d'offres internationaux en l'absence de taille critique qui permette une maîtrise des procédures et une capacité de veille suffisante. A cela s'ajoutent des difficultés à mobiliser le potentiel humain : malgré la proximité affichée des « viviers d'expertise », les opérateurs publics dans leur majorité sont confrontés à la réticence accrue des administrations à mettre à disposition leurs experts, du fait des restrictions en personnel, à des viviers au périmètre restreint à la fonction publique d'Etat et à l'absence d'une valorisation de l'expérience internationale dans le déroulé de carrière des experts.
Cette situation contraste avec celle rencontrée en Grande-Bretagne ou en Allemagne où cette compétence revient à un opérateur dominant, le Dfid ou le GIZ, bénéficiant d'un budget conséquent et d'effectifs beaucoup plus importants.
Le rapport « Maugüé » conclut que la France n'a pas les moyens de créer un opérateur unique, mais propose de consolider et rationaliser l'existant.
Il comporte un certain nombre de préconisations :
1) un cadrage stratégique : définition de priorités géographiques et sectorielles et validation politique afin que les opérateurs se mobilisent sur des objectifs communs ; déclinaisons par opérateur à travers des contrats d'objectifs ;
2) des espaces de dialogue et de coordination : renforcement des mécanismes de concertation entre la DGM et les opérateurs ; confirmation du rôle du Conseil d'orientation prévu par la loi de juillet 2010 (lieu d'analyse et de débat) ;
3) une recomposition du secteur : à initier à l'issue d'un état des lieux à opérer dans chaque secteur, en s'appuyant notamment sur les audits conduits par le CGEFI en ce qui concerne la viabilité économique des opérateurs (bien qu'incluses dans la lettre de cadrage de la mission, ces analyses n'ont pu être conduites) ; en fonction des cas, différents types de décisions devront être pris : suppression ou regroupement d'opérateurs ;
4) un développement d'outils pour rationaliser l'activité et la gestion des opérateurs.
La principale d'entre elles consistait à établir un audit financier de l'ensemble des opérateurs pour apprécier leur viabilité économique et préconiser, sur la base de cette évaluation, des rapprochements .
Aujourd'hui l'Etat n'a pas, en effet :
- de vision d'ensemble des moyens publics engagés dans la politique de promotion de l'expertise technique tellement le secteur est divisé entre opérateurs ;
- de connaissance précises sur la viabilité des modèles économiques des différents opérateurs.
Une première étape serait d'assurer le maximum de transparence sur les moyens publics mobilisés et de recenser les résultats obtenus par chaque opérateur.
L'évolution du chiffre d'affaires de l'ensemble des opérateurs français donnerait une idée de l'évolution de la part de marché de la France.
Une deuxième étape consisterait à comparer l'efficience de chacune des structures, en rassemblant notamment les données disponibles sur :
- l'évolution du chiffre d'affaires de chacun des opérateurs ;
- la part relative des frais de structure de chacun ;
- la part relative des subventions et financements publics ou assimilés ;
- un ratio de production financière par ETP.
Ces informations sont à la portée des pouvoirs publics sans audit, en collectant les données disponibles. Elles donneraient une vision de la situation de chaque opérateur.
Vos rapporteurs estiment nécessaire de procéder ensuite sans tarder à l'audit évoqué par le rapport Maugué pour avoir un vison plus fine des aspects financiers.
Votre commission, qui s'est penchée sur la situation de FEI en adoptant un avis sur son contrat d'objectif et de moyens, estime, à l'instar du rapporteur de cet avis, M. Jacques Berthou, qu'il est impératif que, dans une troisième étape, l'Etat fasse évoluer le dispositif dans le cadre d'une stratégie interministérielle.
On peut, en effet, que s'étonner que, deux ans après la réforme de 2010, la situation n'ait pas évolué. Les ministères, soucieux de conserver, chacun dans leur coin, leur opérateur, ont refusé de procéder à ces audits et semblent assez loin de l'idée d'une coordination, voire d'un regroupement des opérateurs. On ne saurait se contenter d'une cartellisation de l'expertise technique avec pour résultat un gâchis d'argent public et une moindre présence de la France sur les marchés internationaux.
Les conclusions du rapport Maugué, comme celles de ses prédécesseurs, ne doivent pas rester lettre morte.
La responsabilité de l'Etat ne se limite pas à la nomination de correspondants expertise dans les ambassades.
La seule évolution significative depuis ce rapport va, en apparence, à l'encontre des conclusions du rapport en créant un nouvel opérateur avec le fonds d'expertise technique de l'AFD qui devrait voir le jour en 2013.
Si on peut comprendre le souhait de l'AFD de participer au rayonnement de l'expertise française et de renforcer les capacités de nos pays partenaires, il convient de veiller à ce que ce fonds ne conduise pas à créer une nouvelle concurrence dans un paysage déjà marqué par une fragmentation excessive des intervenants.
Il n'est pas sûr que ce fonds ne devienne pas un nouvel opérateur. On peut envisager qu'il passe pour une partie de ses activités par des opérateurs existants, mais le directeur général de l'AFD, auditionné par la commission, n'a pas exclu qu'il participe à ce qu'il a appelé « une saine émulation » et ce qui peut apparaître, aux termes de ce rapport, comme une division des forces.
La plupart des acteurs rencontrés par votre rapporteur soulignent la nécessité d'agir, les lacunes du pilotage stratégique, l'absence de priorités clairement définies au niveau du ministère pour orienter les ressources d'expertise à l'international, et le faible portage politique de ces sujets.
Si une réforme ambitieuse du dispositif n'est pas engagée à court terme, permettant aux acteurs du champ d'atteindre la masse critique nécessaire pour remporter les appels d'offre multilatéraux et répondre aux demandes exigeantes des grands pays émergents, les restrictions budgétaires à venir provoqueront immanquablement un affaiblissement des différentes structures publiques, qui les éloigneront davantage du seuil de pertinence dans un environnement international de plus en plus concurrentiel.
Cet abandon serait d'autant plus paradoxal que, dans un contexte de fortes contraintes sur la ressource publique, le premier frein n'est pas celui des ressources financières. Comme le souligne le rapport Tenzer, la demande d'expertise est forte et largement « solvable ».
C'est pourquoi le prochain CICID doit ensuite mettre en place, sur la base des informations collectées, une stratégie d'ensemble portant réforme du dispositif de promotion de l'expertise française.
La principale difficulté se situe au niveau de l'interface entre l'offre et la demande ; il manque aujourd'hui la structure ou les modalités de coordination qui permettraient à l'offre française d'expertise publique, foisonnante mais dispersée, de trouver sa place dans le « marché » international de l'expertise.
Comme le ministre du développement, devant votre commission, l'a concédé, il y a là un chantier à ouvrir : « Je crois qu'il nous faut aujourd'hui essayer de trouver des moyens de coordonner l'action des différents opérateurs ainsi que celle de l'AFD qui va bientôt bénéficier d'un fonds dédié à l'expertise. »
Il faut se saisir de l'opportunité de la création du fonds d'expertise de l'AFD du rapport Maugüé et, à vrai dire, des nombreux rapports qui se sont succédé sur ce sujet depuis 10 ans pour inviter les pouvoirs publics à faire en sorte que, dans ce secteur porteur, l'équipe France parte unie à la conquête des marchés internationaux.
Pour cela, il faudra faire preuve d'imagination et de volonté politique.
Il s'agit de dépasser les clivages entre les ministères et une forme de cartellisation de l'expertise pour faire émerger un intérêt collectif.
Vos rapporteurs ont quelques réticences à proposer des solutions sachant qu'elles ne peuvent venir que d'un dialogue entre l'ensemble des opérateurs et des ministères concernés.
Quelques réflexions cependant sur la méthode et les objectifs à poursuivre.
Sans doute, comme le souligne le rapport Maugüé, n'a-t-on pas les moyens de créer ex nihilo un organisme de la taille de ceux des Britanniques ou des Allemands.
Le principal objectif est de mutualiser entre un maximum d'opérateurs un certain nombre de tâches communes :
- le travail de veille sur appels d'offres internationaux, et d'aide à la structuration de consortiums d'acteurs pour y répondre ;
- l'entretien du lien avec le réseau des ambassades, des bureaux de l'AFD et des organisations multilatérales ou européennes ;
- l'intermédiation financière entre les financements en provenance des bailleurs et les structures mettant à disposition l'expertise ;
- le travail de communication sur l'équipe France tout en préservant l'identité des opérateurs existants qui ont acquis une visibilité et une crédibilité au gré de leurs interventions passées.
Cette mutualisation peut s'effectuer selon différents scénarios qu'il convient d'étudier dans les prochains mois avec les acteurs concernés.
Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées.
Ce rôle transversal pourrait être assumé par FEI dont s'était initialement la vocation. Il pourrait également être confié à l'AFD, avec la création d'un EPIC, opérateur transversal, filiale de l'Agence, voire dans le cadre d'un FEI filialisé à l'AFD.
Dans ce scénario, cette filiale pourrait être l'opérateur d'assistance technique des ministères sans pour autant se substituer aux opérateurs spécialisés.
Une telle disposition prolongerait la réforme de l'aide bilatérale françaises menée dans les années 1990 et 2000, en confiant à cet EPIC le travail d'animation du vivier d'experts français et sa mobilisation en accompagnement de projets d'aide au développement. En plus de ses projets en prêts ou en dons, l'AFD serait donc à travers sa filiale gestionnaire d'une plateforme d'assistance technique dans ses domaines de compétence en lien avec les ministères concernés.
L'avantage de cette solution est d'adosser la promotion de l'expertise technique à un opérateur disposant à la fois de la masse critique exigée par l'environnement international et d'un réseau d'agences placées au plus près de des appels d'offres.
Une solution moins ambitieuse consisterait à commencer la rationalisation de ce secteur et la mutualisation de ces tâches par des regroupements par pôle d'activité, notamment dans le secteur social où la dispersion est maximale.
La création d'un opérateur dans le secteur sanitaire et social donnerait à la coopération technique française une cohérence accrue, avec la coexistence de 3 grands opérateurs thématiques : ADETEF en matière de coopération économique et financière, CIVIPOL en matière de sécurité intérieure, de protection civile et de gouvernance territoriale, et un opérateur « social » compétent en matière de travail, de protection sociale et d'emploi. Cette répartition en trois acteurs laisserait cependant entière la question de FEI.
Quel que soit le scenario retenu, le principal enjeu est : de mettre fin aux conflits de compétence, de favoriser les alliances positives et d'atteindre une taille critique par la mutualisation de fonctions communes à l'ensemble des prestataires de coopération, telles que la veille et la prospection, l'appui juridique à la réponse aux appels d'offres, au montage administratif des projets, au développement de partenariats.
Une stratégie commune et une harmonisation des conditions d'exercice des opérateurs seraient, en effet, déjà une amélioration notable.
Le prochain CICID devrait pouvoir avaliser une stratégie commune de promotion de l'expertise à l'internationale qui pourrait être déclinée dans le contrat de chaque opérateur. |