EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 26 novembre 2014, la commission a examiné le rapport pour avis sur les crédits de la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2015.

Mme Élisabeth Lamure , rapporteur pour avis . - La mission « Économie » est historiquement constituée par de trois programmes : le programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme », le programme 220 « Statistiques et études » et le programme 305 « Pilotage de l'économie française ».

Sur le programme 134, sont retracés les crédits permettant de faire fonctionner un certain nombre de dispositifs d'appui aux entreprises, notamment des PME, dans les secteurs de l'artisanat, du commerce et de l'industrie : il s'agit de dispositifs d'information, de formation, de soutien dans l'accès aux financements ou encore d'accompagnement dans la projection à l'exportation.

Le programme 134 porte aussi les crédits de certaines autorités administratives indépendantes chargées de la régulation économique : Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), Commission de régulation de l'énergie et Autorité de la concurrence.

Enfin, le programme 134 retrace les moyens de la direction générale de la concurrence, la consommation et la répression des fraudes dans les trois volets de son action : régulation concurrentielle des marchés, sécurité du consommateur et protection économique du consommateur.

S'agissant des programmes 220 et 305, ils retracent les moyens de deux administrations d'état-major (la direction du Trésor et celle de la Législation fiscale), ainsi que de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).

À ce noyau historique de la mission « Économie », viennent s'agréger, depuis deux ans, des programmes nouveaux, qui modifient considérablement le périmètre de la mission et qui rendent l'analyse globale de ses crédits peu significative. En 2014, il y avait ainsi trois programmes temporaires destinés à mettre en oeuvre certains aspects du nouveau Programme d'investissements d'avenir (PIA). En 2015, ces trois programmes ont disparu mais est apparu un nouveau programme 343 intitulé « Plan France très haut débit », qui porte pour 1,4 milliard d'euros d'autorisations d'engagements (AE) et sur lequel reviendra Philippe Leroy dans quelques minutes.

Il est évident que comparer globalement les crédits de la mission d'une année sur l'autre n'a pas grand sens compte tenu de l'instabilité des programmes qui la composent. J'ai donc choisi de me concentrer sur les crédits de ses trois programmes pérennes.

Les crédits de la mission pour 2015 s'élèvent à 1,79 milliard d'euros contre 1,92 milliard d'euros en 2014, en baisse apparente de 124 millions d'euros. En réalité, les moyens de l'opérateur Atout France (soit 34,2 millions d'euros en 2015) ont été transférés vers le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » et la subvention versée au laboratoire national de métrologie et d'essai, soit 10,2 millions d'euros, figure désormais sur le programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle ». À périmètre constant, la baisse des crédits de la mission économie est donc en réalité de 79 millions d'euros, c'est-à-dire -4 %.

C'est un effort significatif, qui vient après le recul de 73 millions d'euros intervenu en 2014 par rapport à 2013. Sur deux ans, la baisse atteint 7,5 %.

Le tiers de la baisse des crédits de la mission, soit 25 millions d'euros, concerne les programmes 305 et 220 relatifs aux directions générales du Trésor, de la législation fiscale et de l'INSEE. Le plafond d'emplois s'établit à 5 598 ETP pour le programme 220, en baisse de 1,9 % par rapport à 2013. Celui du programme 305 atteint 1704 ETP, soit -1,5 %. En deux ans, ces deux programmes ont perdu respectivement 4 % et 10,8 % de leurs emplois.

Le reste de la baisse des crédits de la mission, soit 54 millions d'euros, concerne le programme 134.

L'action 2 « Commerce, artisanat, service » perd 21 millions d'euros.

Le FISAC était annoncé dans la version initiale du texte à 9 millions d'euros, contre 20 millions l'année dernière, 25 l'année précédente et 36 en 2012. À l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a cependant adopté un amendement majorant de 8 millions d'euros les crédits du FISAC -dont le budget s'établit maintenant à 17 millions.

En réalité, comme vous le savez, les crédits du Comité professionnel de la distribution des carburants (CPDC) sont supprimés en 2015 et c'est désormais le FISAC, comme l'a indiqué la ministre Carole Delga lors de son audition devant notre commission, qui prendra en charge les dépenses de mise aux normes des stations-service. Cette ligne de dépenses, de 3 millions d'euros en 2014, viendra donc amputer d'autant les moyens du FISAC, qui ne disposera en fait que de 14 millions d'euros.

Je crois que cela appelle plusieurs commentaires.

Sur le ciblage des économies budgétaires d'abord. Le FISAC et le CPDC sont des dispositifs à fort effet de levier. L'impact économique et social d'un euro d'argent public investi dans ces outils est important pour les territoires ruraux et les zones urbaines défavorisées. Si nous sommes tous conscients de la nécessité de réaliser des économies dans la dépense publique, j'estime qu'il y a un coût d'opportunité important à concentrer les économies sur des dispositifs d'intervention dont l'efficacité est avérée.

Deuxième commentaire, sur la méthode. La responsabilité de la baisse des crédits du FISAC entre 2010 et 2014 est assez équitablement partagée, je n'y reviens pas. Cette année cependant, le FISAC a été réformé dans le cadre de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises. Par ailleurs, en fin d'année dernière, la ministre, Mme Pinel, avait annoncé une rallonge de 70 millions d'euros sur deux ans pour apurer le stock des dossiers en souffrance. Je pensais donc qu'il y avait une volonté politique forte de remettre le FISAC sur les rails, d'en faire un outil certes redimensionné à la baisse mais néanmoins pérennisé. Or, en affichant cette année encore des crédits en très fort recul, le Gouvernement brouille le message. Veut-il le réformer pour le pérenniser ou au contraire l'euthanasier ? Quel sens cela a-t-il de maintenir un dispositif d'intervention d'ampleur nationale tel que le FISAC s'il est doté de seulement 15 millions d'euros ? Nous allons sans le dire vers son extinction. Tout cela est peu lisible et peu favorable à la consolidation de la confiance.

Un autre motif d'inquiétude concernant le petit commerce est la suppression de l'indemnité de départ en retraite instituée en 1982 en faveur de certains artisans et commerçants. Cette mesure figure à l'article 51 rattaché à la mission « Économie ». Depuis 2003, cette aide au départ est financée par l'État au sein du programme 134. Pour 2015, 5 millions d'euros ont été budgétés à cette fin. En 2013, l'aide au départ a bénéficié à 1 330 indépendants, soit 2 % des artisans et des commerçants liquidant leur retraite. Il s'agit des plus modestes, des travailleurs indépendants pauvres. Je suis opposée à l'extinction de cette aide, qui frappe une population économiquement très fragile. L'aide au départ a peut-être des défauts. Soit. Alors réformons les conditions de sa distribution. Cela peut se faire par décret. Mais ne la supprimons pas.

Parmi les autres baisses importantes de crédits, je signalerai le recul des crédits d'intervention en direction des entreprises industrielles (-17 millions d'euros à périmètre constant) et celui de l'enveloppe destinée à compenser le coût de la mission de service public de La Poste dans le transport de la presse (-20 millions d'euros).

On note à l'inverse que les crédits de certaines actions sont stables, voire même en légère hausse :

- les moyens des autorités administratives indépendantes (ARCEP, CRE et Autorités de la concurrence) sont stabilisés ;

- ceux de la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes sont en progression de 4,9 millions d'euros, soit +2 %. Cela correspond à l'élargissement important des missions de cette direction avec la loi consommation ;

- enfin, les crédits de l'action 7 relatifs au développement international des territoires sont en hausse de 10 millions d'euros. On peut se féliciter que l'effort financier dans ce domaine ne soit pas abandonné.

Au final, on voit à travers le budget de la mission « Économie » un recentrage de l'intervention de l'État sur ses missions économiques régaliennes (régulation des marchés, protection des consommateurs) et un désengagement de certains actions d'intervention. En elle-même, cette démarche peut se justifier dans le contexte financier difficile que nous connaissons. L'important est simplement de bien cibler le désengagement et de le faire de manière lisible pour les opérateurs économiques.

Cela m'amène à une dernière remarque, qui concerne les chambres de commerce et d'industrie. L'année 2015 est marquée par une nouvelle mise à contribution du réseau consulaire. Les CCI voient le plafond de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (TACVAE) baisser de 213 millions d'euros. Les chambres sont soumises par ailleurs à un prélèvement de 500 millions d'euros sur leur fonds de roulement.

Que les CCI participent à l'effort collectif de réduction des dépenses et de la fiscalité, il n'y a rien de plus normal. Mais ce que je désapprouve, c'est la méthode. Le prélèvement exceptionnel de 500 millions d'euros de cette année fait suite au prélèvement exceptionnel de 170 millions l'année dernière. Idem pour l'abaissement du plafond de la TCVAE.

La réduction de la recette fiscale des CCI pourrait être un levier efficace pour inciter les CCI à se réformer, mais comment se réformer sans visibilité pluriannuelle des ressources ? Qu'on baisse les recettes des CCI soit, mais qu'on le fasse de façon programmée pour qu'elles puissent s'organiser et qu'on le fasse de façon modulée pour que celles des chambres qui ont engagé des efforts de réorganisation importants puissent conduire leur réorganisation de façon rationnelle.

Au final, je m'en remets à la sagesse de la commission concernant l'adoption des crédits de la mission. On peut y lire un effort réel de maîtrise de la dépense, une préservation des missions régaliennes de l'État et de la priorité à l'export. En même temps, les dispositions relatives au FISAC et aux CCI constituent de vrais motifs d'inquiétude, qui font que l'approbation des crédits de cette mission ne peut se faire à mon sens que du bout des lèvres.

Par ailleurs, je vous proposerai de ne pas adopter l'article 51 rattaché qui supprime l'aide au départ pour les commerçants.

M. Martial Bourquin , rapporteur pour avis . - J'ai choisi de consacrer mon rapport pour avis à un aspect particulier de la politique en direction des PME, à savoir l'accès des PME à la commande publique. L'incidence budgétaire et fiscale de cette politique est faible, mais son importance économique est considérable, puisque la commande publique représente quelques 80 milliards d'euros par an.

C'est le rôle notamment de la direction des affaires juridiques et de la direction générale des entreprises du ministère de l'Économie de mettre en place de règles destinées à éviter l'exclusion de fait des PME et d'impulser un travail pédagogique en direction des acheteurs publics et des fournisseurs privés pour qu'ils maîtrisent mieux les règles de l'achat public et qu'ils en exploitent mieux les nombreuses possibilités.

On observe à cet égard une grande continuité de l'effort dans l'action des gouvernements successifs depuis le milieu des années 2000. En témoigne le travail pour réformer les procédures de passation des marchés publics et les rendre non pénalisantes pour les PME.

La version 2006 du code des marchés publics comporte à cet égard de nombreuses avancées. Les marchés publics sont en effet désormais en principe allotis. L'article 28 institue une procédure dite « adaptée », applicable lorsque leur valeur du marché est inférieure aux seuils de procédure formalisée. Ses modalités sont librement fixées par le pouvoir adjudicateur, qui peut négocier avec les candidats sur tous les éléments de l'offre. La procédure dite des « petits lots » prévue par l'article 27 du code permet par ailleurs de recourir aux procédures adaptées pour l'attribution des lots inférieurs à 80 000 euros pour les marchés de fournitures et de services et à 1 000 000 euros dans le cas des marchés de travaux. Enfin, certains marchés publics peuvent également être attribués sans publicité ni mise en concurrence en dessous de certains seuils. Le seuil de dispense a été relevé de 4 000 à 15 000 euros par un décret du 9 novembre 2011. S'agissant de la sélection des candidatures, l'article 45 du code dispose que les capacités professionnelles, techniques et financières doivent être proportionnées à l'objet du marché. Les PME peuvent enfin, en application de l'article 51 du code, utiliser la technique du groupement d'entreprises et ainsi additionner leurs capacités professionnelles, techniques et financières - possibilité qu'elles exploitent rarement.

L'adaptation des règles de la commande publiques aux contraintes de fonctionnement des PME se poursuit. Le projet de loi de simplification de la vie des entreprises va permettre de transposer les deux directes relatives aux marchés publics entrées en vigueur le 17 avril 2014. Parmi les avancées, on peut relever :

- l'allègement du dossier de candidature par la substitution d'attestations sur l'honneur à certains justificatifs ;

- la limitation du chiffre d'affaires exigible au double du montant estimé du marché sauf justification ;

- le recours à l'allotissement, déjà obligatoire en France, qui permettra aux PME françaises de se positionner plus facilement sur les marchés publics de nos partenaires européens ;

- la mise en place d'une procédure de partenariat d'innovation. Le pouvoir adjudicateur pourra recourir à une procédure négociée par phases incluant le développement et l'acquisition d'un produit, d'un service ou de travaux nouveaux et innovants, sans avoir à procéder à une passation de marché distincte pour l'acquisition -dès lors que le marché porte sur une innovation, c'est-à-dire un produit, une solution ou un processus qui n'est pas disponible sur le marché ;

- la reconnaissance explicite de la possibilité de recourir à des critères sociaux et environnementaux en mettant en avant le cycle de vie des produits, ainsi que l'expérience et les qualifications du personnel ;

- l'obligation de rejeter une offre anormalement basse qui ne respecterait pas la législation sociale environnementale ou du travail ;

- l'extension du champ de la réservation aux opérateurs économiques employant au moins 30 % de personnes handicapées ou défavorisées, ainsi qu'aux acteurs de l'économie sociale et solidaire lorsque le marché a pour objet des services sociaux.

Un deuxième axe important de l'action de l'État dans le domaine des marchés publics concerne la réduction des délais de paiement. Le délai maximum de paiement pour les marchés publics de l'État a été réduit de 45 à 30 jours par un décret du 28 avril 2008 pour l'État et ses établissements publics. Cette disposition a été étendue aux collectivités territoriales depuis le 1er juillet 2010. Plus récemment, la loi du 28 janvier 2013 et le décret du 29 mars 2013 relatif aux retards de paiement dans les contrats de la commande publique ont renforcé les sanctions en cas de retard de paiement des acheteurs publics. Enfin, dans le cadre du Pacte national pour la compétitivité, la croissance et l'emploi, l'État s'est engagé à ramener ses délais de paiement de 30 jours à 20 jours. Des consultations des organisations professionnelles se tiennent actuellement sur ce sujet.

Parallèlement à l'évolution du droit de la commande publique, a lieu un travail visant à faire évoluer les pratiques des acteurs de la commande publique. Le recours à la dématérialisation fait partie des voies à suivre. Depuis le 1 er janvier 2012, les acheteurs publics ne peuvent plus refuser de recevoir les candidatures et les offres qui leur sont transmises par voie électronique. Un travail de pédagogie et de professionnalisation est en outre mené pour diffuser les bonnes pratiques. Une disparité des pratiques est en effet observable aussi bien chez les acheteurs publics de l'État que chez ceux des collectivités territoriales, avec pour résultat une utilisation sous-optimale des marges offertes par le code des marchés publics. Le recours à une multiplicité de critères pour déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse devrait être généralisé, afin de prendre en compte non seulement le prix d'une offre, mais aussi la qualité ou le caractère innovant de cette offre par exemple, comme le permet le code des marchés publics. De même, les pratiques en matière d'allotissement doivent être optimisées. L'allotissement peut être :

- fonctionnel, afin de faciliter l'accès de PME spécialisées dans un secteur ou un corps de métier particulier ;

- géographique, afin de limiter les effets négatifs de la globalisation des achats, qui concerne notamment l'État.

La prise de conscience est désormais, je crois, réelle. Un décret du 15 juillet 2013 a réformé le Service des achats de l'État (SAE) en lui confiant la mission de « s'assurer que les achats de l'État sont réalisés dans des conditions favorisant le plus large accès des PME à la commande publique ».

Les entreprises dans lesquelles l'État a des participations sont également mobilisées au travers d'une charte signée par un grand nombre d'entre elles (Air-France-KLM, AREVA, DCNS, EADS, EDF, ERDF, Orange, GDF Suez, GIAT Industries/Nexter, La Poste, SNCF, etc...).

Par ailleurs, un guide de l'achat public, publié en septembre 2013, s'adresse à la fois aux acheteurs publics et aux entreprises.

Pour finir sur ce thème de l'évolution des pratiques d'achat, je voudrais signaler aussi la création, en 2012, d'une fonction de médiateur des marchés publics placé auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Son but est de faciliter les relations entre les entreprises et les donneurs d'ordre publics afin de régler certains litiges pouvant survenir lors de l'exécution d'une commande publique.

Indéniablement donc, un effort a été réalisé de manière continue depuis une petite dizaine d'années. Mais avec quel effet concret ? Je vous propose maintenant d'examiner quelques chiffres : ils sont décevants. La part des PME dans la commande publique, en regroupant les marchés de l'État, ceux des collectivités territoriales et ceux des grandes entreprises publiques est en effet restée stable : 28 % du montant total des marchés en 2009, puis baisse entre 2010 et 2011 et enfin rétablissement de la position des PME en 2012, qui est la dernière année pour laquelle on dispose de chiffres. On est loin des 44 % que pèsent les PME dans la valeur ajoutée marchande.

Doit-on forcément parler d'échec de la politique visant à faciliter l'accès des PME à la commande publique ? Pas forcément. Il est probable qu'en l'absence des mesures adoptées, la part de marché des PME aurait baissé. La politique conduite aura donc au moins permis de préserver leur position. Ceci étant, l'objectif initial était de renforcer la position des PME et il n'est pas atteint

Alors que faire de plus ?

En premier lieu, il est important de poursuivre l'effort engagé : accompagner les PME vers la commande publique, c'est comme les accompagner vers l'export. C'est un travail de longue haleine. Le travail de détection des fournisseurs potentiels, bien en amont de la passation des marchés, est essentiel : les acheteurs publics doivent s'investir davantage dans la connaissance des marchés, des fournisseurs, les rencontrer dans des salons, organiser un dialogue technique et économique en amont de la commande proprement dite.

Ce travail est en cours, mais il faut l'intensifier, en donnant une impulsion politique forte. Le Gouvernement s'est fixé l'objectif de consacrer 2 % du volume des achats publics de l'État, de ses opérateurs et des hôpitaux à des achats d'innovation d'ici 2020. C'est la mesure 32 du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi. Chaque ministère doit établir un plan d'action de l'achat innovant. Je propose que nous allions plus loin : l'élévation du taux d'accès des PME à la commande publique doit devenir un objectif prioritaire de l'évaluation des politiques en direction des PME. Pourquoi ne pas faire de cet objectif l'un des objectifs « phare » du projet annuel de performance de la mission « Économie » ?

Ma deuxième proposition porte sur la transposition des deux directives sur la commande publique adoptées en début d'année. Elles accordent des marges de manoeuvre aux États membres sur la question de la sous-traitance. Elles rappellent la nécessité de faire respecter par les sous-traitants les obligations applicables dans les domaines du droit environnemental, social et du travail. Elles rappellent également qu'il est nécessaire d'assurer une certaine transparence dans la chaîne de sous-traitance pour que les entités adjudicatrices disposent d'informations sur l'identité des personnes présentes sur les chantiers de construction et sur la nature des travaux réalisés pour leur compte. Elles indiquent aussi expressément que les États membres devraient pouvoir aller plus loin que les normes minimales, par exemple en élargissant les obligations de transparence, en autorisant les paiements directs en faveur des sous-traitants en permettant ou en imposant aux pouvoirs adjudicateurs de vérifier que des sous-traitants ne se trouvent pas dans l'une quelconque des situations qui justifieraient l'exclusion d'opérateurs économiques. Donc nous devons demander au Gouvernement d'aller aussi loin possible dans la transposition de l'article 88 relatif à la sous-traitance.

J'ajoute, au-delà de la transposition de ces directives, que le problème des travailleurs détachés au sein de l'Union n'est à mon sens pas réglé. Nous sommes en train de délocaliser le secteur du bâtiment, dont nous pensions qu'il n'est pas délocalisable, en autorisant le recours massif à des travailleurs détachés. Compte tenu de la gravité de la situation du secteur en France, une clause de sauvegarde serait nécessaire.

M. Jean-Claude Lenoir , président . - Votre rapport souligne une difficulté que chacun de nous peut constater sur son territoire.

M. Alain Chatillon . - Il y a une trop grande rigidité sur le marché du travail français. Tant que l'on n'aura pas assoupli ces règles, la concurrence des travailleurs détachés sera très forte. Des activités comme celles des marchés publics font face des rigidités qui les empêchent de répondre à la concurrence. Je suis d'accord avec la proposition du rapporteur sur une initiative au niveau européen, mais parallèlement nous devons travailler en interne à assouplir le marché du travail. C'est vrai aussi dans le secteur des abattoirs.

M. Jean-Pierre Bosino . - Je partage l'analyse et les conclusions du rapporteur, mais je tiens aussi à rappeler le contexte. Nous nous inscrivons dans la perspective d'une réduction de cinquante milliards d'euros de la commande publique. Cette baisse va peser lourdement sur l'investissement public et donc sur la commande publique. Dans le même temps, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi mal ciblé, qui distribue des sommes considérables sans contrôle et sans exigences de contreparties. Quand il y a recours à une sous-traitance sous payée, il ne faut pas oublier qu'en haut de la chaîne de la sous-traitance, on trouve une entreprise donneur d'ordre qui réalise des bénéfices importants en captant la valeur produite.

M. Daniel Dubois . - Je voudrais dire que ce qu'illustre le problème des travailleurs détachés, ce n'est pas le trop d'Europe, c'est le pas assez d'Europe. Une approche fiscale et sociale plus intégrée constitue de la solution.

La question des travailleurs détachés pose aussi le problème de l'excès de normes, de contraintes qui corsètent l'activité. Et plus d'activité, c'est plus d'emplois. Prenons le secteur de la construction : cent mille logements de moins, c'est deux cents mille emplois de moins. Libérons l'activité.

Enfin, les économies de dépense publique doivent être mieux ciblées. En pratiquant des économies sur les recettes des collectivités locales, on tue le tissu des entreprises locales. C'est une erreur de ciblage. L'effort demandé aux collectivités est sept fois supérieur à celui demandé à l'État.

M. Yannick Vaugrenard . - Je crois qu'il ne faut pas plus d'Europe, mais mieux d'Europe. Les travailleurs détachés en France, sont payés au SMIC ou au niveau de la convention collective applicable. Mais les charges sociales sont celles du pays d'origine. Au-delà, il y a aussi le problème du contrôle par l'inspection du travail. Je tiens aussi à dire que si le problème des travailleurs détachés se pose dans le bâtiment, il se pose aussi dans les chantiers navals. On construit actuellement à Saint-Nazaire le futur plus grand paquebot du monde. Il y a 15 à 20 % de travailleurs détachés. Et quand on en parle avec le directeur des chantiers, il répond qu'il est obligé de faire cela, sinon il n'obtient pas la commande. Il y a donc vraiment un problème majeur de concurrence déloyale et de droit social. Enfin je voudrais rappeler qu'une résolution a été adoptée il y a quelques mois par le Sénat à l'unanimité. Maintenant, il faut transposer cette résolution au niveau européen et cela suppose que les forces politiques qui la soutiennent devant l'opinion publique française tiennent le même discours dans l'arène européenne. Ce n'est pas toujours le cas.

M. Michel Houel . - Flexibilité. C'est le maître mot. Qu'on arrête avec les seuils de salariés.

M. Joël Labbé . - L'Europe nous donne des injonctions sur notre budget et nous impose en même temps des règles qui plombent nos PME. Il faut arrêter de subir l'Europe et la changer.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Il n'y a pas que les entreprises privées qui se tournent vers les travailleurs détachés. Dans la filière bois, ils sont très présents et l'un des tout premiers employeurs dans ce secteur est l'office national des forêts.

M. Martial Bourquin . - La part des PME est trop faible dans la commande publique. L'Europe nous donne la possibilité de changer les règles d'achat avec les nouvelles directives qui sont en cours de transposition. Il est important maintenant de changer la culture des acheteurs publics qui ont parfois des comportements d'achat que même les entreprises privées n'ont pas ou n'ont plus.

J'entends ceux qui disent que la baisse de la dépense publique est mal ciblée, qu'elle devrait davantage épargner les collectivités. Mais je m'interroge quand les mêmes prônent non pas cinquante mais cent milliards d'économies. Et alors là que deviendra l'investissement public ? Soyons cohérents dans nos discours.

Je finis sur cette idée de clause de sauvegarde. C'est une idée que je lance. Il y a péril dans certains secteurs. Si nous n'agissons pas très vite, des secteurs d'activité entiers vont disparaître. Certains défendent plus de flexibilité, disent que c'est la solution face au travail détaché. Mais regardons les faits, rencontrons les PME sur nos territoires ! Quand je discute avec des petits patrons, ils me disent que le SMIC et le droit du travail ne les empêchaient pas de travailler et d'investir, mais que le travail détaché en revanche est en train de tuer leur entreprise.

Alors travaillons à l'harmonisation sociale et fiscale. Mais cela fait des années qu'on en parle. Cela devient la nouvelle arlésienne. En l'attendant, nous devons agir tout de suite pour sauver nos emplois.

Mme Élisabeth Lamure , rapporteur pour avis . - Après avoir centré mon approche, les deux années précédentes, sur le commerce extérieur, qui comme l'a rappelé M. Laurent Fabius, est un « juge de paix » de notre compétitivité, j'ai souhaité vous commenter les crédits de la mission économie pour 2015 sous l'angle des PME.

En effet, alors que les grandes entreprises françaises sont assez largement internationalisées, les performances de nos PME sont très dépendantes de notre cadre juridique, fiscal et budgétaire national. Je souligne qu'elles en subissent très directement les inconvénients mais n'ont pas toujours les moyens d'en tirer tous les avantages car cela suppose une veille juridique comptable et fiscale exigeante en moyens et en temps. Sur le terrain, les entrepreneurs préfèrent se concentrer sur leur coeur de métier et un tel arbitrage est compréhensible compte tenu de l'instabilité de la norme.

Je commencerai par deux observations sur les crédits de la mission économie et les dépenses fiscales associées. La première concerne les 108,8 millions d'euros alloués en 2015 à Ubifrance et l'Agence française des investissements internationaux qui sont deux agences de l'État en charge de l'accompagnement des exportateurs et de l'attractivité de la France. La dotation diminue d'à peu près 3 % par rapport à 2014. Vous vous en souvenez, lors de l'examen de l'article 29 du projet de loi de simplification portant sur la fusion de ces deux agences, votre commission, a procédé en deux temps. Elle a d'abord approuvé ma suggestion de s'attaquer de front au problème de la lisibilité et de l'articulation d'une cinquantaine d'opérateurs. Puis elle a acquiescé à la stratégie du Gouvernement consistant, dans un premier temps, à fusionner les deux agences de l'État qui travaillent d'ores et déjà ensemble. Du point de vue budgétaire, les rationalisations institutionnelles sont souvent présentées comme des sources d'économie potentielles, puis on constate, dans la réalité concrète, des surcoûts. La fusion d'Ubifrance et de l'AFII n'échappera sans doute pas à cette règle : les surcoûts n'apparaissent pas dans les comptes mais ils ont étés confirmés par le Gouvernement à hauteur de 8 millions d'euros, dont 5 en 2014 et 3 millions en 2015 : ils devraient être couverts par des reports de crédits mais ils constituent une dépense nouvelle. Toute la question est de savoir si ces surcoûts seront transitoires ou structurels. Deux mécanismes pourraient présager d'une hausse de la masse salariale et d'une tendance à la réduction des ressources propres. D'une part, les statuts des personnels devront être harmonisés et, d'autre part, Ubifrance faisait payer ses prestations (ce qui représente 38 % de ses ressources propres) tandis que l'AFII, pour attirer les investisseurs étrangers, ne leur facture pas ses services.

Permettez-moi à présent de concentrer mon propos sur les 10 milliards de dépenses fiscales qui sont rattachées à ce compte au titre du CICE. Comme le confirment les représentants des PME, la première priorité est de stabiliser le CICE. Son démarrage a été difficile : nous avons presque tous des témoignages de PME pour qui la crédibilité du CICE n'était pas suffisante pour qu'ils l'intègrent dès l'origine dans leurs déclarations d'impôt. Budgétairement, alors que l'on s'attendait à ce que le CICE coûte 12 milliards d'euros en 2014, son montant s'est élevé à un peu plus de 8,5 milliards d'euros. L'enjeu est avant tout de sauvegarder ou de créer des emplois et de reconstituer les marges des entreprises pour leur redonner une capacité de survie et d'investissement. Ne nous trompons pas sur l'importance du CICE : comme l'a bien résumé Louis Gallois, il s'agit d'une « bouffée d'oxygène », en particulier pour les PME. De plus, les représentants des entreprises, ont estimé que les effets positifs du CICE pourraient être intégralement annihilés par la complexité du compte pénibilité, tout en rappelant qu'il ne s'applique pas aux travailleurs détachés.

Pour l'avenir, je crois utile de tracer des perspectives en analysant le lien entre le CICE et la principale préoccupation de notre commission qui est la réindustrialisation de notre pays et la montée en gamme de notre économie. Certes, par sa nature juridique, le CICE est un crédit d'impôt, mais la commission européenne estime à juste titre que cet outil fiscal s'apparente aux autres mécanismes d'allègement du coût du travail.

Je rappelle qu'historiquement, dans les années 1990, les premiers allègements de charges sociales ont étés conçus de manière offensive, pour favoriser la baisse des prix des produits français à l'exportation. Par la suite, les allègements de cotisations postérieurs à 1998 ont pu être qualifiés de « défensifs » puisque leur but était de compenser les hausses de SMIC, les 35 heures. Concentrés sur les bas salaires, les allègements de charges sociales ont amplifié deux tendances structurelles. D'une part, ils créent ce que l'on appelle une « trappe à bas salaire » : la France se singularise dans l'OCDE par une proportion très élevée de salariés rémunérés au voisinage du SMIC. D'autre part, les allègements de charge ou le CICE incitent à l'embauche de personnes dont la rémunération est inférieure à celle des salariés à hautes compétences pourtant nécessaires à la montée en gamme de notre économie. En contrepartie, il faut reconnaitre que la concentration des réductions de charges sur les bas salaires a un effet plus puissant sur le nombre d'emplois sauvegardés ou crées et elle permet de limiter le chômage des non qualifiés.

À présent que la mécanique est enclenchée le mieux est de ne pas en changer les règles en introduisant un dispositif complexe et irréaliste de conditionnalité. Cependant, à brève ou moyenne échéance, pour accompagner la montée en gamme de l'industrie et favoriser les entreprises exportatrices, il faudrait, soit différencier les aides par filières, pour favoriser les secteurs exposés, ce qu'interdit a priori le droit européen, mais qui est pratiqué, par exemple aux États-Unis, soit relever le seuil du CICE, par exemple à 3,6 Smic comme l'avait proposé Louis Gallois, mais alors le dispositif aurait un coût budgétaire bien plus élevé.

Le second grand axe de mon rapport souligne que la simplification, la mutualisation et le renforcement des réseaux sont au centre de l'amélioration de la compétitivité des PME.

Tout d'abord, l'audition des représentants des entreprises a confirmé que la complexité et surtout l'instabilité des normes conjuguées à la lourdeur des prélèvements obligatoires ont atteint un seuil qui rend la situation difficilement tolérable pour une majorité de PME, surtout en période de ralentissement économique. Je rappelle également que, pour les observateurs étrangers, la principale singularité du système fiscal français a longtemps été la solidité de son socle, c'est-à-dire le consentement à l'impôt des agents économiques, ce qui a permis aux dépenses publiques d'atteindre 57 % du PIB dans notre pays. Or ce pilier des institutions et du modèle français semble aujourd'hui avoir atteint ses limites. Comme l'a rappelé le prix Nobel d'économie lors de son audition devant la commission, la qualité du service apporté en contrepartie de ces prélèvements n'est pas encore optimale, ce qui justifie une stratégie de réduction du coût du secteur public tout en maintenant la qualité de ses prestations.

A l'occasion de ce rapport, j'ai cependant tenu à contrebalancer le constat de ces difficultés en montrant que certaines PME ont adopté des stratégies offensives qui prouvent leur efficacité et peuvent constituer des exemples de bonnes pratiques.

L'innovation et les pôles de compétitivité fournissent une bonne illustration de schémas de mutualisation qui améliore les performances des PME. La politique nationale des pôles de compétitivité, initiée en 2004, produit des résultats satisfaisants. D'après la deuxième évaluation des 71 pôles de compétitivité publiée en juin 2012, en moyenne, la participation à un pôle de compétitivité accroit le chiffre d'affaires des PME et ETI de 2 % par an et par entreprise. Les PME représentent 86 % des entreprises membres des pôles et elles bénéficient d'environ 65 % des financements. La troisième phase (2013-2018) des pôles de compétitivité se résume à une attente : améliorer les retombées économiques des efforts de R&D en les transformant en produits, procédés et services innovants mis sur des marchés clairement identifiés pour leur potentiel. À mon avis, cette doit constituer un critère fondamental de la sélection des projets. À travers différents programmes, le projet de loi de finances pour 2015 prévoit un peu plus de 100 millions d'euros de crédits destinés aux pôles de compétitivité, dont 90 millions au titre du Fonds unique interministériel (FUI) et 11,5 millions pour l'aide à la gouvernance des pôles. Seuls ces crédits de gouvernance sont rattachés à l'action n° 3 « Actions en faveur des entreprises industrielles » du programme 134 relevant de la compétence budgétaire de la commission des affaires économiques. Face aux objections suscitées par la forte baisse des moyens alloués au fonctionnement des pôles, qui passent de 16 millions d'euros en 2014 à 11,5 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2015, Emmanuel Macron, ministre de l'économie, a proposé de faire « la moitié de la route » par des reports de crédits pour porter la somme prévue de 11,5 à 14 millions d'euros, et, en outre, de mener une approche au cas par cas et pôle par pôle, pour abonder leurs crédits de fonctionnement.

Pour répondre aux attentes des PME, il conviendrait de recentrer la stratégie de simplification sur le critère du gain de temps procuré aux entreprises. Incontestablement, la simplification a été affichée comme une priorité au cours des dernières années. En pratique, l'impression générale, sur le terrain, est que cet activisme remporte quelques succès ponctuels, mais les efforts de simplification du stock de règles existantes sont contrecarrés par la persistance d'un flux de normes nouvelles qui produit une instabilité et une perplexité peu propices à l'initiative économique. De plus, les normes les plus récentes ont tendance à perdre en concision et en clarté et les représentants des PME ont regretté la multiplication des dispositifs pouvant donner lieu à de multiples interprétations. Face au bilan mitigé qui s'en dégage pour les PME, je suggère de réorienter notre stratégie de simplification en fonction d'un critère majeur : améliorer la « compétitivité-temps » de nos procédures pour permettre aux entreprises de se consacrer à leur performance économique et non pas à des procédures administratives. Le principal objectif des PME est aujourd'hui de limiter les pertes de temps imputables aux démarches ou aux hésitations juridiques et fiscales. De plus, le niveau élevé des prélèvements obligatoires justifie de franchir une nouvelle étape dans l'efficacité administrative car les inconvénients de l'instabilité normative apparaissent parfois, pour les entreprises, supérieurs aux avantages attendus par le perfectionnement des dispositifs. Par-dessus tout, l'exemple du compte pénibilité démontre l'effet dévastateur de dispositions adoptées sans évaluation précise de leur impact sur la vie des entreprises.

S'agissant, enfin, du financement des PME, je me limiterai à trois remarques. Tout d'abord, budgétairement, le programme 134 retrace les dotations de garantie versées à la Banque publique d'investissement (Bpifrance), pour un montant de 30 millions d'euros, tandis que les dotations d'intervention figurent au programme 192, pour 175 millions d'euros. Or, la plupart des grands pays consacrent des montants bien plus importants pour la politique industrielle. C'est pourquoi, il nous faudra veiller au moins à ce que les 30 millions d'euros prévus pour garantir les prêts aux entreprises viennent bien en supplément des reports de crédits de 2014. Cette cause mérite d'autant plus d'être défendue que l'effet de levier de ces crédits est considérable, un euro de dotation générant 10 euros de prêts, en particulier parce que la Bpifrance intervient en co-financement avec des banques privées.

Mes entretiens avec les représentants de la banque ont confirmé le faible dynamisme général des projets d'investissement et l'inquiétude la plus forte concerne le secteur des travaux publics. L'activité de la banque, dans ce contexte, progresse puisque sa stratégie en matière de crédit est de se concentrer sur les principales failles du marché. Par exemple, le préfinancement du CICE  a doublé en 2014 et représente 2 milliards d'encours : on m'a signalé que des TPE ont parfois recours à ce préfinancement pour des montants très faibles, ce qui témoigne de leur fragilité. Bpifrance finance également les investissements immatériels, alors que les banques hésitent à s'engager dans ce domaine.

Par ailleurs, elle s'attache à analyser les stratégies de rebond à succès des PME et ETI. Tout récemment, une étude concernant les filières industrielles dites « de l'ombre » - parce que les médias en parlent peu - témoigne de l'arrivée d'une nouvelle génération de dirigeants plus axés sur les réseaux ou les alliances et plus ouverts sur l'international. La mutualisation qui suppose une meilleure coopération entre grandes entreprises et donneurs d'ordres me parait une des pistes d'avenir pour l'éclosion d'un nouveau tissu industriel.

M. Marc Daunis . - Je note, tout d'abord, que l'effort budgétaire, dans le contexte difficile que nous connaissons, est maintenu.

Comme l'a souligné la rapporteure, s'agissant des pôles de compétitivité, on ne peut pas se satisfaire de la faiblesse de l'entrainement des PME par les grandes entreprises. Comme l'avait souligné mon rapport d'information sur le bilan des pôles de compétitivité, la réalisation de plateformes technologiques est fondamentale. Je souhaite que ce bilan soit réactualisé et je rappelle que le crédit impôt recherche est un des atouts majeurs. Je me félicité des avancées prévues par le Gouvernement pour maintenir les crédits de gouvernance des pôles de compétitivité.

M. Gérard Bailly . - Je rappelle l'importance de l'agriculture et de l'agroalimentaire qui est notre « pétrole vert ». S'agissant des animaux vivants, j'appelle à une vigilance particulière pour sécuriser nos capacités d'exportation. Il ne faut pas négliger la contribution des produits non transformés au solde positif de notre commerce extérieur et, pour cela il faut être très attentif aux normes sanitaires.

Mme Élisabeth Lamure , rapporteur pour avis . - S'agissant des crédits de gouvernance, le ministre a prévu d'ajouter aux 11,5 millions d'euros prévus par le projet de loi de finances, d'une part, 2 millions d'euros de reports de crédits et, d'autre part, au cas par cas, des crédits qui seront alloués aux pôles.

En ce qui concerne l'intervention de M. Gérard Bailly, je partage la nécessité d'accorder une grande importance aux barrières non tarifaires qui pénalisent nos exportations.

M. Philippe Leroy , rapporteur pour avis . - Je vais évoquer avec vous la partie « communications électroniques » de la mission « Économie ». Je le ferai en deux temps. Tout d'abord, une analyse des évolutions budgétaires pour 2015. Puis quelques développements sur les problématiques actuelles du secteur des communications électroniques : à savoir le déploiement de la fibre à travers le plan « France très haut débit », qui a pris le relais du « programme national très haut débit », sans que le contenu n'en soit véritablement changé...

L'analyse budgétaire porte tout d'abord sur les actions 4 et 13 du programme 134. Elles correspondent à des sommes relativement faibles 196 millions d'euros au regard du poids du secteur dans la richesse nationale. Avec 173 millions d'euros de dotations, l'action 4 voit ses crédits reculer de 11 %. Cela s'explique par la baisse de 20 millions d'euros des crédits consacrés à la compensation par l'État des surcoûts de la mission de service public de La Poste. Cette baisse s'inscrit dans les prévisions du protocole d'accord signé entre l'entreprise publique, l'État et la presse en 2008. Mon prédécesseur, Pierre Hérisson, aurait sans doute eu beaucoup à vous dire sur cette partie du programme. Pour ma part, je m'en tiendrai à plusieurs observations relatives aux communications électroniques. À ce titre, quelques mots de la dotation de l'Agence nationale des fréquences (ANFR), dont la dotation est inscrite dans cette action 4. D'un montant de 33,5 millions d'euros, elle est en recul de 0,8 %, après avoir déjà baissé de 2,8 % l'année passée, et de 3 % l'année précédente.

Ces diminutions récurrentes sont inquiétantes car la subvention pour charges de service public représente 90 % des ressources de l'Agence. Or, celle-ci voit ses missions s'élargir, et ses moyens se réduire ! Elle doit notamment gérer les problèmes de réception de la télévision numérique terrestre (TNT) dus à la proximité de fréquence de la 4 G ; elle a par ailleurs intégré, au 1 er janvier dernier, la mission « très haut débit » supervisant le déploiement de la fibre. L'action 13 est consacrée à la « régulation des communications électroniques et des postes ». En léger recul de 0,7 %, avec 22,7 millions d'euros, elle finance l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Et là encore, nous retrouvons une situation d'extrême tension, une sorte d'« effet de ciseau » entre des dotations publiques en recul et des missions qui s'accroissent. Cette baisse s'inscrit en effet dans une trajectoire triennale 2015-2017 prévoyant une réduction drastique de ses effectifs et de ses moyens matériels. On sait que les relations entre l'Autorité et l'administration centrale n'ont pas toujours été au beau fixe. Pourtant, cette dernière - mais aussi la Cour des Comptes - reconnaît que l'ARCEP est un « modèle de vertu » en matière de gestion budgétaire. Malgré ces efforts remarquables, l'ARCEP est parvenue à une situation limite, avec une impasse de fin de gestion de 385 000 euros. Cela alors que ses missions s'élargissent, avec par exemple l'attribution des fréquences 4G dans les DOM et de la bande des 700 MHz. Aussi l'ARCEP a d'ores et déjà fait savoir qu'elle ne serait plus en mesure de financer trois de ses fonctions essentielles. Il y a lieu à mon avis de s'interroger sur la logique d'une délégation à l'ARCEP d'un nombre croissant de missions, dont l'État devrait demeurer seul garant ; l'action de l'Autorité excède en effet largement aujourd'hui le champ de la régulation, sans qu'elle en ait les moyens financiers. Il y a là un problème de cohérence et de principe sur lequel il faudrait débattre au fond ; peut-être la future loi numérique en sera l'occasion ?

Un mot du programme 407 « Économie numérique », qui a disparu cette année. Il comportait tout de même, dans la dernière loi de finances, 215 millions d'euros pour les quartiers numériques et 350 millions sur les usages et technologies innovants. Des appels d'offre ont été passés par les collectivités. Le Gouvernement devra nous renseigner sur l'usage qui a été fait de ces crédits. Peut-être ont-il servi à abonder les 215 millions d'euros de l'initiative French Tech ? Les financements en ont été alloués à différents opérateurs via le programme Investissements d'avenir (PIA), dont la Caisse des dépôts et consignations ; ils ne sont donc plus retracés en loi de finances. Il y a là un imbroglio institutionnel et financier qui nuit gravement à la lisibilité du budget ; cela a été également souligné par mon homologue de l'Assemblée nationale, Corine Erhel, et la ministre devra s'en expliquer.

J'en viens maintenant au nouveau programme 343 « Plan France très haut débit ». Il va me permettre de vous parler de l'état d'avancement de ce plan très ambitieux, et même plutôt « ambigu ». Il doit nous permettre d'avoir un accès généralisé au très haut débit d'ici 2022, selon l'objectif fixé par le président de la République en février 2013, et un accès pour la moitié de la population dès 2017. La priorité a été donnée à la fibre optique, qui doit desservir 80 % des foyers en 2022. La « montée en débit » est également soutenue, avec pour objectif d'apporter très rapidement un « haut débit de qualité » (3 à 4 Mbit/s au moins) à toute la population. Enfin, les technologies non filaires sont également prises en compte pour la couverture accessoire, celle des endroits les plus reculés (satellite, WiMax et WiFi, mais aussi diffusion mobile avec la 4G ...).

L'organisation territoriale passe par la réalisation de schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique, les fameux SDANT ; vous vous souvenez peut-être de la loi Pintat du 17 décembre 2009 qui les avait institués. Leur élaboration a bien avancé puisque tous les territoires français en sont désormais dotés, à 80 % à l'échelle départementale. Les collectivités se sont largement investies dans ce plan. Depuis 2005 je vous le rappelle, la loi leur permet de créer des réseaux numériques et de devenir « opérateurs d'opérateurs », nous y avions d'ailleurs beaucoup travaillé ici. À ce jour, 407 projets de tels « réseaux d'initiative publique » (les RIP) ont été recensés, parmi lesquels 52 ont un « volet fibre », pour 3 millions de prises situées en dehors des zones les plus denses. Un chiffre qui devrait monter à 5,3 millions en 2020, et 8,4 millions en 2035. Si les collectivités prennent donc leur part du « fardeau », les opérateurs annoncent qu'ils feront de même, en investissant 6 à 7 milliards d'euros d'ici 2020 pour couvrir 57 % de la population dans les zones les plus denses. De nombreux accords de mutualisation ont été passés entre eux pour réduire ces coûts.

Au-delà de ce « tableau général » qui paraît très positif, de grandes incertitudes subsistent sur l'effectivité de ce plan. Première limite : le déploiement avance lentement. 11,4 millions de logements sont désormais éligibles, nous dit-on. Cela est à nuancer. On inclut dans ces chiffres les technologies permettant d'arriver à 30 Mbit/s : câble et VDSL2 (ou cuivre amélioré) ; or ces technologies sont moins performantes que la fibre, et ne sont guère évolutives. Par ailleurs, « éligible » ne signifie pas « abonné » : sur ces 11,4 millions, seuls 2,3 millions le sont effectivement. Et sur ces 2,3 millions, seuls 715 000 sont abonnés à la fibre ! Bref, on voit mal comment l'on pourrait respecter l'objectif de 2022 en partant d'aussi bas, même si la croissance est forte (+ 28 % par an). Deuxième limite : le plan de financement est très hypothétique. Les besoins sont de 20 milliards d'euros au moins sur les 10 prochaines années. Les opérateurs doivent en assumer le tiers, mais leurs capacités d'investissement décroissent avec le ralentissement du marché des télécoms et l'intensificationt de la concurrence. Les collectivités, on l'a vu, doivent apporter 13 à 14 milliards, mais cela suppose une forte rentabilité des RIP et un bon cofinancement par les opérateurs, ce qui est sujet à interrogation. Enfin, l'État doit mettre 3 milliards sur la table, dont 1,4 milliard est mobilisé sur le programme 343 ; mais il s'agit d'autorisations d'engagement, les crédits de paiement ne devant être décaissés qu'en 2018 ou 2019, alors que les 900 millions d'euros du Fonds national pour la société numérique (FSN) sont sur le point d'être épuisés.Troisième limite : la gouvernance institutionnelle du plan est très « fumeuse », avec une mission très haut débit qui devrait être intégrée dans une agence nationale du numérique. Or, celle-ci regroupera par ailleurs la mission French tech et la délégation aux usages de l'internet. Comment tout cela se coordonnera-t-il avec les autres acteurs institutionnels du numérique : Conseil national du numérique, ARCEP, services ministériels... ? Quatrième limite : le risque de fracture numérique s'amplifie. Cela n'est pas du ressort de notre commission, mais il faut tout de même le rappeler : le très haut débit par la fibre risque bien de se limiter aux agglomérations les plus peuplées, le reste du territoire n'ayant accès qu'à un « haut débit gonflé ».

Voilà ma contribution à cette mission « Économie », et les nombreuses interrogations qu'elle suscite. Je me propose d'en faire part à la ministre en séance, en espérant obtenir des éclaircissements. Après mure réflexion, je vous propose d'émettre un avis de sagesse sur ces crédits tout en ajoutant que l'avis mériterait d'être très défavorable l'année prochaine si on ne remédie pas aux objections que j'ai pu soulever. Je vous suggère, en revanche d'approuver l'article 23 relatif à la vente de fréquences au bénéfice du ministère de la Défense, cet article étant rattaché à la présente mission budgétaire.

M. Jean-Claude Lenoir , président - Nous sommes marqués par le décalage entre d'une part, les multiples annonces qui sont faites, le foisonnement institutionnel et, d'autre part, la réalité de terrain qui se traduit par une aggravation de la fracture numérique et des collectivités qui sont amenées à apporter des financements.

M. Martial Bourquin . - Je rappelle que la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique a commis une erreur en ne prévoyant pas de péréquation entre les zones urbaines et rurales. En effet, les opérateurs tirent d'importantes recettes de leur activité en zone urbanisée et demandent aux collectivités territoriales une participation financière en zone rurale.

M. Daniel Dubois . - Je note, en matière d'investissement dans le numérique, une impasse qui se manifeste par des crédits d'engagements non assortis de crédits de paiement. Je rejoins les propos qui viennent d'être tenus sur le risque d'aggravation de la fracture numérique. Il faudrait alimenter le fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT) par une contribution.

M. Bruno Sido . - J'estime qu'on peut nuancer ce qui vient d'être dit et l'État est peut-être trop ambitieux en visant une généralisation de la fibre partout sur le territoire à l'horizon 2022, ce qui parait difficile à atteindre. Il faut à mon avis conserver le réseau de cuivre et tirer parti des avancées technologiques. Par ailleurs je rejoins les critiques du rapporteur à l'égard de l'Arcep. J'ajoute que les collectivités locales sont effectivement amenées à prendre les choses en main pour répondre aux attentes de la population.

M. Jean-Claude Lenoir , président - Un mécanisme de péréquation demeure nécessaire pour réduire les fortes inégalités existantes.

M. Marc Daunis . - Je rappelle que l'Australie, malgré ses conceptions anglo-saxonnes, a développé un réseau public qui irrigue l'ensemble du territoire. À Bruno Sido, je fais observer que, par expérience, lorsque la fibre et le cuivre coexistent, on perd sur les deux tableaux : il faut donc abandonner le second au profit de la première. En tout état de cause, je me félicite de l'avis de sagesse du rapporteur qui prend acte de la réorganisation des crédits en harmonie avec la réalité des besoins. Je note également, à propos du programme 134, que l'effort consenti en matière de CICE contrebalance la diminution des aides directes aux entreprises. J'approuve également les propos de la rapporteure Elisabeth Lamure qui invite à raisonner en termes de compétitivité administrative.

M. Bernard Lalande , rapporteur spécial de la commission des finances . - Je vous remercie de votre accueil. En commission des finances, nous avons, comme vous le proposez, rejeté l'article 51 rattaché à la mission économie.

Le mécanisme du CICE présente l'avantage, par rapport à une diminution de charges sociales, de favoriser l'autofinancement dans toutes les entreprises, y compris celles qui n'exportent pas. Dans le but de favoriser le rattrapage de notre retard important en matière de robotisation, nous avons par ailleurs, proposé, par voie d'amendement, un dispositif d'amortissement exceptionnel dont nous allons affiner la rédaction pour préciser la notion de matériel industriel.

S'agissant du numérique, nous avons estimé nécessaire de clarifier et d'affermir la stratégie du Gouvernement. À cet égard, le rapport de M. Philippe Lemoine, remis au Gouvernement en novembre 2014 comporte 180 propositions très opportunes sur la transformation numérique de l'économie française. Ce ne sont plus seulement les entreprises mais aussi les particuliers qui innoveront en matière numérique. Nous rejoignons votre proposition de travailler conjointement à la redéfinition d'une péréquation numérique qui intégrerait les territoires ainsi que les opérateurs pour que les abonnés puissent contribuer à la réduction de la fracture numérique.

M. Jean-Claude Lenoir , président . - J'approuve, comme nous tous, la suggestion de mettre en place un groupe de travail pour étudier les modalités d'un dispositif de réduction de la fracture numérique.

M. Philippe Leroy , rapporteur . - Je me réjouis de notre convergence de vue avec la commission des finances : confusion des objectifs, multiplicité. À Bruno Sido, je fais observer que l'ambition de la France doit être de faire bénéficier chaque foyer d'une prise coaxiale modernisée ou d'un accès à la fibre optique : c'est une nécessité pour pouvoir faire fonctionner les objets connectés de demain. Il ne faut donc pas travailler uniquement sur la base des indications qui sont diffusées par ceux qui en réalité, ont pour but de préserver la « rente cuivre ».

M. Bruno Sido . - La boucle cuivre appartient à Orange et, à mon sens, il parait difficile que la loi puisse imposer l'abandon de cette technologie sans indemniser cette entreprise.

M. Philippe Leroy , rapporteur pour avis . - Lorsqu' une usine ne vaut plus rien, ses propriétaires n'ont pas droit à indemnisation et il en va de même pour le réseau du cuivre, si sa valeur périclite.

M. Martial Bourquin . - Je souligne notre approbation des crédits de la mission « Économie » dont l'équilibre global est satisfaisant. Comme en témoignent l'ampleur des dépenses fiscales qui y sont rattachées, comme le CICE, rarement les entreprises auront bénéficié d'autant de considération de la part d'un Gouvernement.

La commission émet un avis de sagesse à l'adoption des crédits de la mission « Économie » et adopte l'amendement de suppression de l'article 51 rattaché.

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