AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Cette année encore, à l'heure où nous nous prononçons sur les crédits de la mission « Outre-mer », on ne peut que dresser le constat de la situation économique et sociale alarmante des territoires ultramarins.

Face à cette situation, l'effort financier de l'Etat en direction des territoires ultramarins proposé pour 2015 apparaît très en-deçà des attentes , d'autant qu'il a encore été réduit de 4,22 millions d'euros par l'Assemblée nationale.

Avec finalement 2,06 milliards d'euros prévus en crédits de paiement, soit une progression - ou, plutôt et compte tenu de l'inflation, à peine une stagnation - de 0,1 % par rapport à 2014, la mission « Outre-mer » 2015 ne prend pas la mesure des grands défis des outre-mer et ne permet pas de préparer l'avenir.

En particulier, les mesures relatives au logement souffrent d'un manque criant de moyens , qui ne peuvent en aucun cas permettre de répondre à l'immensité des besoins. Ce manque pèse notamment sur le volet réhabilitation, sur lequel une réflexion doit être engagée de manière urgente.

L' aide à la continuité territoriale , traduction des principes d'égalité des droits, de solidarité nationale et d'unité de la République entre l'hexagone et les outre-mer,  fait par ailleurs l'objet d' une réforme inacceptable tant dans ses modalités que dans son contenu, sur laquelle je vous propose de revenir.

La formation des jeunes , enfin, ne peut reposer entièrement sur le dispositif efficace mais à l'envergure limitée que représente le service militaire adapté (SMA). Dans le contexte général de la baisse des marges de manoeuvre financière qui touche l'ensemble des collectivités territoriales, elle ne pourra pas davantage être assurée dans des conditions satisfaisantes par les collectivités ultramarines.

C'est au total un budget sans réelle ambition qui nous est proposé, et que je ne vous propose d'adopter qu'à la condition d'infléchir les orientations prises par le Gouvernement en matière de continuité territoriale.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. UN BUDGET SANS AMBITION FACE À LA SITUATION ECONOMIQUE ET SOCIALE ALARMANTE DES OUTRE-MER

A. LA SITUATION CRITIQUE DES OUTRE-MER APPELLE DES MESURES DE REDRESSEMENT RAPIDES ET CIBLÉES

Si le souvenir des vagues d'explosion sociale qui les ont secoués en 2009 semble progressivement s'éloigner, les territoires ultramarins demeurent rongés par de profondes difficultés dans tous les domaines, tandis que le mouvement de résorption des inégalités avec l'hexagone présente un inquiétant ralentissement.

Principaux symptômes de cette situation, les taux de chômage ultramarins atteignent le double, voire le triple de ceux constatés dans l'hexagone . Selon l'enquête emploi de 2013, ils s'élèvent à 21,3 % en Guyane, 22,8 % en Martinique, 26,2 % en Guadeloupe et jusqu'à 29 % à La Réunion - contre 9,7 % en France métropolitaine 1 ( * ) . Le chômage des jeunes culmine à des niveaux insoutenables : 22,7 % dans l'hexagone, contre 44,8 % en Guyane, 58,6 % à La Réunion, 59,7 % en Guadeloupe, et jusqu'à 68,2 % en Martinique 2 ( * ) .

Les niveaux de richesse par habitant sont par ailleurs bien moins élevés en outre-mer qu'en France métropolitaine : l'écart est de 31 et 37 % respectivement pour la Martinique et la Guadeloupe, 38 % pour La Réunion, 51 % pour la Guyane et 79 % à Mayotte.

Cette situation économique est d'autant plus alarmante qu'elle s'accompagne d'une dégradation des indicateurs dans le domaine sanitaire et dans le champ de l'éducation.

La Cour des comptes a récemment dressé, dans son rapport thématique de juin 2014 3 ( * ) , un tableau sombre de la situation sanitaire des territoires ultramarins . Les déficiences des systèmes de santé locaux empêchent une prise en charge efficace des risques et des déterminants de santé qui affectent les populations ultramarines. Celles-ci sont, pour ne retenir que deux indicateurs, particulièrement concernées par le surpoids et l'obésité ainsi que les pathologies associées, notamment le diabète et l'hypertension artérielle. Le taux de mortalité infantile connaît une évolution inquiétante sur plusieurs territoires : tandis qu'il a régressé dans l'hexagone entre 2000 et 2012, passant de 4,4 à 3,3 pour mille naissances, il a dans le même temps augmenté en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion et en Polynésie française pour y atteindre respectivement 9,9 %o , 8 %o, 8,5 %o et 7,5 %o.

S'agissant de l' éducation , plusieurs indicateurs traduisent le retard des outre-mer par rapport à l'hexagone. Tandis que la part de jeunes de 18 ans en difficulté de lecture s'établissait en 2012 à 10 % sur l'ensemble du territoire français, cette proportion atteint 28 % à La Réunion, 30 % en Martinique, 33 % en Guadeloupe, 48 % en Guyane et jusqu'à 75 % à Mayotte 4 ( * ) . L'illettrisme touche 16 % de ces jeunes à La Réunion, 17 % en Martinique, 20 % en Guadeloupe, près de 30 % en Guyane et jusqu'à 44 % à Mayotte. Certains outre-mer présentent par ailleurs un taux de réussite au baccalauréat significativement moins élevé que celui de la France hexagonale (86,8 %), avec 74,6 % en Guyane et 73 % en Nouvelle-Calédonie.

Ces différences se traduisent logiquement par des écarts sur l'indice de développement humain (IDH) 5 ( * ) associé à chaque territoire 6 ( * ) : l'IDH des outre-mer est toujours inférieur à celui du Pas-de-Calais, qui affiche l'indice le moins élevé de l'hexagone, et les écarts avec la France métropolitaine s'échelonnent de 7 % pour la Guadeloupe à 17 % pour la Polynésie française.

En somme, selon le rapport présenté en juillet dernier par Eric Doligé et Michel Vergoz au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer 7 ( * ) , l'effort entrepris de longue date en direction des territoires ultramarins ne permettrait plus de poursuivre le mouvement de rattrapage vis-à-vis de l'hexagone, ce mouvement étant en stagnation quand il ne régresse pas. La résorption des écarts connaît une inflexion sensible depuis le début des années 2000 et plus encore depuis la crise économique de 2008-2009. Au total, l'écart de développement entre la France métropolitaine et les outre-mer est de 20 ans en moyenne, et atteint jusqu'à 28 ans pour la Polynésie française.


* 1 Au quatrième trimestre 2013.

* 2 Ces données très alarmantes doivent cependant être nuancées par la prise en compte des taux d'activité relativement faibles des 15-24 ans dans ces territoires : 19,8 % seulement en Guyane, 23,2 % en Guadeloupe, 25,3 % en Martinique, 33,7 % à La Réunion.

* 3 Cour des comptes, « La santé dans les outre-mer. Une responsabilité de la République », rapport public thématique, juin 2014.

* 4 Selon une étude réalisée par le ministère de l'éducation lors de la journée de défense citoyenne, note d'information n° 13.09 de juin 2013.

* 5 L'IDH, calculé par le programme des nations unies pour le développement (PNUD), prend en compte quatre critères : l'espérance de vie à la naissance, le niveau de revenu national brut par habitant, le niveau d'études de la population âgée de plus de 25 ans et le taux de scolarisation des jeunes.

* 6 Agence française de développement (AFD), «Quel niveau de développement des départements et collectivités d'outre-mer ? Une approche par l'indice de développement humain», M. Olivier Sudrie, cabinet DME, novembre 2012.

* 7 « Les niveaux de vie dans les outre-mer : un rattrapage en panne ? », rapport d'information de MM. Eric Doligé et Michel Vergoz fait au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer, n° 710 (2013-2014), 9 juillet 2014.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page