C. DES PRIORITÉS QUI PEINENT À SE TRADUIRE CONCRÈTEMENT

Les deux objectifs principaux du programme sont l'objectif « eau » et l'objectif « biodiversité » , comme le montre d'ailleurs l'évolution de la maquette de performance du programme, désormais simplifiée autour de ces deux priorités.

1. La future Agence française pour la biodiversité
a) Quels moyens au service de quelle ambition ?

Le titre III du projet de loi relatif à la biodiversité vise à doter la France d'un grand opérateur public en matière de biodiversité : l'Agence française pour la biodiversité (AFB) .

Cette ambition n'est pas nouvelle puisque déjà au moment du Grenelle de l'environnement, le groupe de travail n°2 (« Préserver la biodiversité et les ressources naturelles » ), présidé par le sénateur Jean-François Legrand, avait émis l'idée de créer une « Agence nationale de la nature », c'est-à-dire une organisation à compétence nationale de la biodiversité laissant une large place en son sein à la concertation.

Une telle structure s'apparenterait à celles qui existent chez nos voisins européens, comme par exemple le Joint Nature Conservation Committee au Royaume-Uni ou le Bundesamt für Naturschütz en Allemagne.

La première Conférence environnementale des 14 et 15 septembre 2012, a consacré au thème de la biodiversité une des cinq tables rondes et le Président de la République y a proposé la création « d'une agence nationale de la biodiversité, sur le modèle de l'ADEME, qui viendra en appui aux collectivités locales, aux entreprises, aux associations pour utiliser tous les instruments, là encore, qui pourront permettre d'atteindre nos objectifs. »

Le 3 décembre 2012, la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a demandé à Bernard Chevassus-au-Louis, inspecteur général de l'agriculture, et Jean-Marc Michel, directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature, d'étudier l'ensemble des aspects liés à cette création (missions, périmètre, moyens) et de proposer la façon d'y procéder ainsi que d'engager le processus de mise en place de cette structure. Leur rapport de préfiguration a été rendu au mois de février 2013.

Ce rapport, qui propose différents scenarii de mise en oeuvre de la future AFB, rappelle aussi, de manière passionnante selon votre rapporteur pour avis, « les quatre grandes évolutions des réflexions des scientifiques et des gestionnaires oeuvrant dans le domaine du vivant et qui sont contenues dans le terme même de biodiversité » .

Les évolutions du terme « biodiversité »

(Extrait du rapport de préfiguration d'une Agence française de la Biodiversité - Jean-Marc Michel et Bernard Chevassus-au-Louis)

La première est le passage d'une gestion limitée à des espaces protégés et à des entités bien déterminées , considérées comme « remarquables » (une population, une espèce, un habitat) - gestion censée à elle seule assurer la conservation de ces entités - à une gestion de l'ensemble des territoires et de la diversité qu'ils abritent . Cette évolution conduit notamment à considérer non seulement les composantes de la biodiversité mais l'importance de toutes les interactions entre elles, le « tissu du vivant » selon la belle expression de Robert Barbault, interactions qui, de fait, vont conditionner le devenir de l'ensemble de la biodiversité. Cette prise de conscience de l'importance de la biodiversité « ordinaire » ne minore pas les enjeux de la gestion de la biodiversité remarquable mais les replace dans une perspective plus large.

La seconde concerne la perception de la dépendance de notre humanité , hier, aujourd'hui et demain, visàvis de la biodiversité . Popularisée par la notion de « services écologiques », cette dépendance amène à considérer la biodiversité non seulement comme un « patrimoine » du passé mais également comme un capital essentiel pour le développement durable de nos sociétés, quel que soit leur état de développement.

La troisième évolution, liée aux deux précédentes, amène à s'adresser à l'ensemble des acteurs socioéconomiques qui interagissent avec cette biodiversité « ordinaire », et donc à passer d'une gestion « spécialisée » à une volonté d'intégration des enjeux de la biodiversité dans toutes les activités humaines . C'est en effet l'ensemble de ces acteurs qui va déterminer le devenir de la biodiversité sur notre planète et qu'il convient de sensibiliser, convaincre et accompagner dans leurs actions.

Enfin, la dernière évolution majeure est l'intégration d'une vision dynamique de ce « tissu du vivant » : dynamique dans l'espace car les êtres vivants ont besoin de pouvoir se déplacer, de changer leurs aires de répartition pour s'adapter à divers changements, et l'on retrouve ici la question des continuités écologiques ; dynamique dans le temps, car les espèces doivent pouvoir évoluer et disposer pour cela d'une diversité génétique et d'effectifs suffisants. C'est donc cette dynamique, et non un état à un moment donné, qu'il faut pouvoir permettre, et même favoriser, sur l'ensemble des territoires.

La nouvelle ministre de l'écologie a annoncé, le 29 octobre 2014, la nomination d'une nouvelle mission de préfiguration de l'Agence française pour la biodiversité, à l'occasion du comité de suivi de la stratégie nationale pour la biodiversité : Gilles Boeuf, président du Muséum national d'histoire naturelle, est l'animateur du conseil scientifique, Annabelle Jaeger est chargée de l'animation des politiques territoriales et Olivier Laroussinie, actuel directeur de l'Agence des aires marines protégées, est le directeur de cette nouvelle instance de préfiguration, placée « sous le haut patronage » d'Hubert Reeves, président d'Humanité et Biodiversité.

Plusieurs sujets, qui sont encore aujourd'hui très incertains, devront être étudiés par cette mission.

En premier lieu, le périmètre de la future agence devrait faire l'objet d'une analyse approfondie. À ce stade en effet, l'article 9 du projet de loi relatif à la biodiversité prévoit la création d'un établissement public administratif dont les missions seront celles des organismes qui fusionneront pour lui donner naissance : l'ONEMA, les Parcs nationaux de France, le groupement d'intérêt public Atelier technique des espaces naturels et l'Agence des aires marines protégée (la fusion est prévue par l'article 16). La question de la non-intégration dans ce périmètre de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage et de l'ONF soulève encore des débats. Pour l'instant, des « conventions » sont prévues entre l'ONCFS, l'ONF, l'Ifremer, le CELRL, la Fondation pour la recherche pour la biodiversité et la future Agence.

La mission devra également se pencher sur l'harmonisation des statuts , sachant que la moitié des 1 200 agents concernés sont des contractuels appartenant à des cadres d'emplois très variés, et que le projet de loi relatif à la biodiversité prévoit pour ces derniers un quasi-statut, se traduisant par un coût budgétaire d'environ cinq millions d'euros par an. Un des véritables enjeux budgétaires de la future AFB sera ainsi d'intégrer ces personnels hors plafond sous plafond.

Le budget de cet établissement sera également étudié. L'article 9 du projet de loi détaille les ressources possibles de la future agence. Il s'agit pour l'essentiel, d'une liste usuelle s'agissant de nouveaux établissements publics. Ces modalités de financement reprennent logiquement tous les moyens de financement utilisés par les opérateurs de l'État intégrés dans l'AFB, et notamment les contributions des agences de l'eau à l'ONEMA, de façon à ne pas perturber la gestion financière du nouvel ensemble. Elles excluent cependant tout recours direct à l'emprunt.

Pour l'essentiel, le budget de l'AFB sera dès sa création abondé par deux sources de financement : la taxe affectée aux agences de l'eau, pour un montant de 186 millions d'euros (et 191 millions d'euros à partir de 2016), et le budget de l'État, pour un montant de 35 millions d'euros. Une source potentielle de financement pourrait également exister du côté du Programme d'investissements d'avenir (PIA) dans l'hypothèse où la future agence en serait l'opérateur (c'est actuellement l'Ademe).

Votre rapporteur pour avis souligne que d'autres sources de financement pourraient être investiguées, comme par exemple la perception d'une partie des redevances d'occupation du domaine public maritime, au sujet desquelles l'Inspection générale des finances et le Conseil général de l'environnement et du développement durable viennent de rendre un rapport.

Enfin, votre rapporteur pour avis tient à souligner que la mission de préfiguration devrait également se pencher sur le contenu politique de la future agence, qui gagnerait à ne pas consister en une fusion pure et simple d'établissements publics existants. Le niveau d'ambition qui sera retenu conditionnera en grande partie son rayonnement et sa force d'action. La question du rapport avec les collectivités territoriales devra également être abordée. M. Laroussinie, entendu par votre rapporteur, a ainsi indiqué que la question de la structure territoriale de la future agence était particulièrement importante.

b) La spécificité de la préservation des milieux marins demande des moyens

Votre rapporteur pour avis souhaite souligner l'importance de la mission de préservation des milieux marins qui sera attribuée à la future agence, notamment alors que l'année 2015 sera la première année de mise en oeuvre effective d'un plan d'action relatif au milieu marin (hors outre-mer), dans le cadre de la mise en oeuvre de la directive cadre « stratégie pour le milieu marin » .

L'Agence des aires marines protégées (AAMP) , qui a vocation à être intégrée dans la future AFB, est un établissement public national à caractère administratif qui a été créé par la loi n° 2006-436 du 14 avril 2006. Elle est installée à Brest et placée sous la tutelle du ministre chargé de la protection de la nature et est chargée du développement et de la gestion des aires marines protégées, avec pour objectif national de classer 20 % des eaux sous juridiction française, dont 10 % en réserves halieutiques. Cet objectif a été atteint pour la métropole (22,63 %), mais progresse encore en qualité avec la création en 2014 du parc naturel marin d'Arcachon. Pour 2015, les crédits demandés pour l'AAMP s'élèvent à 23,64 millions d'euros en AE et en CP, pour un plafond de 147 ETP, quasiment stable par rapport à 2014.

L'AAMP gère les six parcs naturels marins en place et est chargée, depuis 2013, de coordonner le travail technique relatif à l'extension du réseau Natura 2000 en mer , soit 40 % de la mer territoriale.

Selon l'actuel directeur de l'AAMP, que votre rapporteur pour avis a entendu, « dans son périmètre de missions actuel et pour respecter les objectifs qui lui sont assignés, l'agence devrait pouvoir compter à court terme sur un budget de l'ordre de 40 millions d'euros et sur une équipe de 400 personnes (...) or, l'agence a reçu une subvention de l'Etat de l'ordre de 22,2 millions d'euros et 145 ETP en 2014 » . Selon lui, « les ressources financières pour une véritable politique de protection du milieu marin pourraient être facilement trouvées à travers la revalorisation et l'affectation en partie d'un certain nombre de taxes et redevances concernant les usages (exploitation ou occupation) du milieu marin (...) en particulier, un chantier important devrait viser le domaine public maritime et la zone économique exclusive, laquelle ne bénéficie à ce jour d'aucun dispositif fiscal pour encadrer son exploitation par les nouveaux usages en mer » . Il a également estimé qu'à court terme pour 2015, « il serait utile d'affecter à l'AAMP, à titre exceptionnel, une part du produit de la redevance domaniale sur les granulats marins » .

Convaincu que la future Agence française pour la biodiversité sera une opportunité pour améliorer la vision stratégique terre-mer, notamment via les parcs naturels marins, votre rapporteur pour avis insiste sur l'importance de la prise en compte de la dimension maritime . Il souligne que la nouvelle agence devra avoir une réelle ambition pour les outre-mers via un mode d'organisation adapté. Elle devra enfin bénéficier de moyens excédant la seule addition des budgets actuels des organismes fusionnés .

2. Les moyens de la politique de l'eau

Concernant les moyens dédiés à la politique de l'eau, votre rapporteur pour avis s'inquiète du prélèvement de 175 millions d'euros sur le budget des agences de l'eau, prévu pour 2015, 2016 et 2017, par l'article 16 du projet de loi de finances .

Un prélèvement de 210 millions d'euros, présenté comme unique et exceptionnel, avait déjà été opéré l'année dernière sur le fonds de roulement des agences.

Or, si ce premier prélèvement pouvait être absorbé par la trésorerie des agences, un grand nombre d'entre elles se retrouvent aujourd'hui dans une situation financière plus difficile . Conscientes de la nécessité de participer au redressement des finances publiques, les six agences ont d'ailleurs voté l'année dernière ce prélèvement mais elles ne pourront faire face à cette nouvelle ponction, à missions constantes.

En effet, l'argument du dynamisme des redevances des agences de l'eau avancé à l'Assemblée nationale par la rapporteure générale du budget et par le Gouvernement, qui affirment que ces dernières ont augmenté de 24 % entre 2010 et 2014, ne reflète pas la réalité. Ce chiffre prend en effet pour référence l'année 2010, qui est anormalement basse en raison du changement opéré par la loi sur l'eau (les agences de l'eau ont mis deux ans pour mettre en place le nouveau type de redevances et on a donc observé un phénomène de rattrapage en 2012) et tient compte du fonds de concours pour l'ONEMA, celui pour l'Etat et la part nationale affectée au plan Ecophyto. Ainsi, en raisonnant sur six ans et sans inclure ces prélèvements nationaux, les recettes des agences n'ont en réalité augmenté que de 2,63 % en six ans, soit moins que l'inflation (environ 7 % sur la période).

Votre rapporteur pour avis s'inquiète de cette nouvelle logique d'un prélèvement, non plus exceptionnel mais constant et pérenne , qui risque de peser sur l'investissement des collectivités et donc sur l'emploi local, et surtout de mettre à mal la réalisation de nos engagements au niveau européen, dans le cadre de la directive eaux résiduaires urbaines et de la directive cadre sur l'eau. Enfin, ce prélèvement pourrait avoir des conséquences sur le futur financement de l'Agence française pour la biodiversité.

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