B. UN PREMIER BILAN CONTRASTÉ DE LA MISE EN oeUVRE DU PLAN GOUVERNEMENTAL DE LUTTE CONTRE LES DROGUES ET LES CONDUITES ADDICTIVES

Les orientations de la politique gouvernementale visant à réduire l'offre et la demande de drogues et à limiter les dommages sanitaires et sociaux causés par les addictions sont traditionnellement définies dans un plan d'actions pluriannuel , dont le plus ancien remonte à 1983.
Le 19 septembre 2013, le comité interministériel de lutte contre la drogue et la toxicomanie a adopté, pour la période 2013-2017, un plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives construit autour de cinq axes :

- prévenir, prendre en charge et réduire les risques ;

- intensifier la lutte contre les trafics ;

- mieux appliquer la loi ;

- fonder la politique de lutte contre les drogues et les conduites addictives sur la recherche et la formation ;

- renforcer la coordination des actions nationales et internationales.

Décliné en deux plans d'actions opérationnels , l'un pour la période 2013-2015, le second pour les années 2016 et 2017, ce plan constitue la feuille de route de l'action de la Mildeca et est exécuté sous son pilotage. Alors que sa première phase arrive à son terme, il est possible d'en faire un premier bilan.

Construit autour de 131 actions , le plan d'actions 2013-2015 avait un coût qui était estimé à son lancement à 58,84 millions d'euros , 14,22 incombant à la Mildeca, 28,67 aux ministères impliqués dans cette politique publique et 15,95 à l'assurance maladie. Selon les informations fournies à votre rapporteur pour avis par la Mildeca, l'exécution budgétaire serait conforme aux prévisions, puisque la Mildeca devrait avoir, sur ses propres crédits, consacré 13,42 millions d'euros à la mise en oeuvre du plan à la fin de l'année 2015. Sur ce total, 34 % des fonds auront financé des initiatives de coopération internationale, 30 % des mesures de prévention et de réduction des risques, 24 % des programmes de recherche, 7 % des dispositifs de formation et 5 % des actions de lutte contre le trafic et d'application de la loi. Sur ces 131 actions, 80 seraient en cours, 25 achevées, 23 reportées et 3 supprimées.

Les autres ministères (intérieur ; justice ; finances et comptes publics ; affaires sociales, santé et droits des femmes ; ville, jeunesse et sports) ont également participé au financement du plan d'actions à hauteur de ce qui avait été envisagé, puisqu'au final il devrait avoir bénéficié d'un financement total de 58,61 millions d'euros .

Graphique n° 2 : Répartition des crédits du plan d'actions 2013-2015 selon leur destination

Source : Mildeca

La Mildeca a fait appel à un prestataire externe pour développer un outil de suivi et de pilotage budgétaire de la réalisation, par les différents ministères concernés, du plan d'actions et de son successeur. Une démarche scientifique d'évaluation devrait également être engagée, le laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques (LIEPP - Sciences Po) ayant été chargé d'évaluer la mise en oeuvre, sur le plan qualitatif , de quatre dispositifs promus par le plan : les étudiants relais-santé , la promotion des consultations jeunes consommateurs , le programme de prévention et de prise en charge des troubles liés à l'alcoolisation foetale ainsi que l'action de prévention « argent facile », qui consiste en l'organisation de rencontres avec la population dans les quartiers Sud de Marseille afin de réduire l'attrait des trafics. La dépense engagée pour cette évaluation est de 125 000 euros .

Il faut toutefois confronter l'ampleur de ce plan d'actions, qui mobilise la moitié du Gouvernement, et les moyens limités qui lui ont été consacrés , aucun financement supplémentaire n'ayant été accordé pour sa mise en oeuvre. Ses mesures, qui sont caractérisées par leur hétérogénéité et leur ampleur inégale , vont de l'amélioration de l'information sur les compléments alimentaires dénués de contaminants dopants (action n° 8) à l'amélioration de la visibilité des groupes d'entraide au plan local (action n° 42), sans oublier l'intégration, dans le catalogue des formations de l'école nationale de la magistrature, d'actions de formation courtes sur la lutte contre le trafic des produits de santé (action n° 117) ou encore la promotion de la mise en cohérence des instruments et des acteurs européens en matière de lutte contre la drogue (action n° 126).

S'il est certain que la très grande majorité des actions proposées sont pertinentes et visent à corriger les insuffisances de la réponse française, sur un plan sanitaire, social ou judiciaire, aux addictions, il est néanmoins vraisemblable que ce saupoudrage constitue un frein à l'efficacité globale de la politique gouvernementale . En l'absence de hiérarchisation des mesures proposées, cet amalgame qui veut englober l'ensemble du champ de la lutte contre les conduites addictives est handicapé par un manque de lisibilité qui nuit à son évaluation globale.

En effet, les montants versés par la seule Mildeca en 2014 et 2015, qui selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis participerait directement au financement d'une cinquantaine d'actions du plan, sont très inégaux . Ils varient de 3 000 euros attribués à des colloques « dans le domaine de la prévention des conduites addictives » à près de 3 millions d'euros destinés au financement d'organisations internationales, principalement l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (OnuDC ; 1,95 million d'euros ) et le Conseil de l'Europe ( 0,79 million d'euros ). Il est bien sûr essentiel que la France respecte ses engagements internationaux et promeuve, auprès de nos partenaires, une politique de lutte contre la drogue et les conduites addictives qui tienne compte de l'importance de la prévention, du soin et de la réduction des risques, le prisme longtemps retenu de la « guerre contre la drogue » ayant montré ses limites. Toutefois, il est étonnant que la Mildeca en ait fait le principal axe du plan d'actions 2013-2015, alors que son impact direct sur l'amélioration de la situation sanitaire et sociale des personnes souffrant d'une addiction devrait sans doute être, au moins à court et moyen terme, très réduit , et qu'une part même limitée de ce total aurait pu venir renforcer la prévention auprès du grand public sur les dangers des drogues ou accélérer la mise en place de dispositifs de réduction des risques et de réinsertion des toxicomanes.

Dans l'attente de pouvoir mesurer précisément les effets, dont certains ne pourraient se faire sentir qu'au bout de plusieurs années, des initiatives prises dans le cadre du premier volet de la mise en application du plan gouvernemental 2013-2017, il faut constater une légère aggravation de la situation française en matière d'infractions à la législation sur les stupéfiants sanctionnées par la justice. Ces dernières années, le nombre de condamnations et de comparutions pénales prononcées par les tribunaux en matière de trafic, détention, transport, cession et usage de stupéfiants a connu une légère hausse , passant de 56 697 en 2013 à 58 406 en 2014 ( + 3 % ), avec un taux de récidive de 47,2 % ( + 2,6 % ) 10 ( * ) . La réponse pénale repose toujours sur les fondations posées par la loi du 31 décembre 1970 11 ( * ) , qui punit d' un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende l'usage simple de drogue (article L. 3421-1 du code de la santé publique).

Par ailleurs, un récent projet de recherche 12 ( * ) visant à estimer les marchés des drogues illicites en France , piloté par l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) et financé par la Mildeca, dans le cadre du plan d'actions 2013-2015, à hauteur de 70 677 euros , met en lumière leur ampleur et vient corroborer les données démontrant la croissance de la consommation de drogues en France. Sur un marché estimé à 2,3 milliards d'euros par an en 2010, le cannabis représenterait à lui seul 1,1 milliard , en hausse de 34 % par rapport à 2005 en raison de l'augmentation de son prix, liée à sa teneur renforcée en THC 13 ( * ) .

La cocaïne serait quant à elle, avec environ 900 millions d'euros par an , la seconde drogue par son chiffre d'affaires et aurait connu une hausse de 84 % en cinq ans, en raison cette fois d'un accroissement de l'offre qui, par répercussion, en a diminué le prix et l'a rendue accessible à un plus grand nombre de consommateurs. L'héroïne représenterait quant à elle 267 millions d'euros par an , le recours aux TSO par certains toxicomanes ne permettant pas de donner d'estimation précise du marché global des opiacés. Enfin, les drogues de synthèse pourraient représenter 55,2 millions d'euros par an. Rapporté à la population française, ce total de 2,3 milliards d'euros équivaut à une dépense annuelle de 36 euros par personne . Ces chiffres illustrent l'efficacité limitée des politiques entreprises ces dernières années pour endiguer les trafics et diminuer la demande de drogue, et soulignent la nécessité, à partir de 2016, d' accentuer les efforts entrepris pour améliorer les résultats de l'action publique en la matière.


* 10 Source : Ministère de la justice, Chiffres clés de la justice 2014 et 2015.

* 11 Loi n° 70-1320 du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses.

* 12 Christian Ben Lakhdar, Nacer Lalam, David Weinberger, Estimation des marchés des drogues illicites en France, Synthèse, octobre 2015.

* 13 Tétrahydrocannabinol, principale molécule psychotrope du cannabis.

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