III. LA TIMIDITÉ BUDGÉTAIRE DE L'ÉTAT SUR DEUX GRANDS SUJETS SOCIÉTAUX

A. MINEURS NON ACCOMPAGNÉS : L'URGENCE S'EST INSTALLÉE

1. Une phase d'évaluation dont le coût s'élève à plus de 150 millions d'euros

Le phénomène en accroissement constant de l'arrivée sur le territoire national de mineurs non accompagnés (MNA), anciennement mineurs isolés étrangers, pose un problème financier inédit .

Bien que relevant de la compétence départementale au titre de leur mission d'aide sociale à l'enfance (ASE), la prise en charge sociale des MNA doit nécessairement être précédée d'une phase d'évaluation de leur minorité et, partant, d'un hébergement d'urgence . Cette première étape de leur arrivée sur le territoire national donne lieu à des conflits de compétence entre État et départements et, selon les délais de vérification de la minorité du jeune, peuvent aller jusqu'à plusieurs semaines.

Un protocole d'accord 12 ( * ) du 31 mai 2013 prévoit la prise en charge par l'État d'une partie des dépenses supportées par les départements au titre de la période d'évaluation, à hauteur de 250 euros par jour et dans la limite des cinq jours de recueil administratif provisoire prévus par le code de l'action sociale et des familles . Cet accord a été consacré par le décret du 24 juin 2016 qui charge le comité de gestion du fonds national de financement de la protection de l'enfance (FNFPE) de définir les modalités de remboursement forfaitaire par l'État au département.

On ne dispose pas à ce jour de données chiffrées précises sur le coût total de cette première phase de mise à l'abri. L'ADF estime le coût annuel total de la prise en charge des jeunes migrants, depuis leur arrivée sur le territoire jusqu'à leur majorité , à environ un milliard d'euros pour 2016 . Afin d'isoler le coût spécifique de la phase de mise à l'abri, il convient d'en extraire le coût relatif au placement auprès de l'ASE, estimé à 695 millions d'euros (sur la base d'un coût moyen annuel de 50 000 euros pour 13 000 MNA 13 ( * ) ) et le coût relatif aux prolongements dus aux contrats « jeune majeur » estimé à 150 millions d'euros (sur la base d'un coût moyen annuel de 30 000 euros pour 5 000 jeunes majeurs isolés). Restent donc 155 millions d'euros consacrés à la phase de mise à l'abri .

2. Un niveau insuffisant des crédits alloués par l'État

Une décision du FNFPE du 16 février 2016 fixe à 12 848 691 euros le montant des crédits de l'État affectés pour 2016 au remboursement des départements, montant augmenté de 3 651 309 euros par une décision du 15 novembre 2016, qui porte ainsi à 16 500 000 euros le total des crédits du FNFPE dédiés à l'hébergement et à l'évaluation des MNA sur l'exercice 2016 .

L'origine de ces crédits est duale. La loi du 5 mars 2007 14 ( * ) prévoit que ces derniers sont constitués par un versement de la Cnaf et par un versement annuel de l'État fixé en loi de finances (ils figurent plus spécifiquement à l'action 17 du programme 304 ). En 2016, le versement de l'État s'élevait à 14 000 000 euros 15 ( * ) . En conséquence de la fongibilité des crédits du FNFPE, on en déduit que la participation effective de la Cnaf à la prise en charge des MNA se chiffre à 2 500 000 euros.

La loi de finances pour 2017 a prévu une augmentation du montant annuel versé par l'État à 15 260 000 euros, soit une progression de 9 %. Le FNFPE en a en partie pris acte par une décision du 31 mars 2017 qui affecte 14 039 200 euros au remboursement par l'État des dépenses de la phase préalable engagées par les départements. Ce premier montant a été complété par une décision du 20 septembre 2017 d'une dotation supplémentaire de 6 108 250 euros, portant l'ensemble des crédits de l'État dédiés à la phase d'évaluation en 2017 à 20 147 450 euros .

2013

2014

2015

2016

2017

Dotation du FNFPE à la prise en charge des MNA (en euros)

10 365 266

8 671 750

12 296 750

16 500 000

20 147 450

Source : Agence des services de paiement

La participation du FNFPE couvre ainsi en 2017 près de 13 % des 155 millions d'euros engagés pour l'heure par les départements au titre de la phase d'évaluation et de mise à l'abri.

3. Le PLF pour 2018 amorce une inflexion importante dans la prise en charge de la phase préalable par l'État

Le dépôt du PLF pour 2018 est intervenu alors que la négociation entamée entre l'Assemblée des départements de France (ADF) et le cabinet du premier ministre n'a abouti qu'à l'engagement pris par l'État de renforcer sa participation financière. Une des propositions de l'État consistait à prendre en charge une part de la mise à l'abri calculée comme suit : pour toute arrivée de jeune migrant au-delà du seuil de 13 000, l'État verserait 12 000 euros (30% du chiffre qu'il retient pour la prise en charge d'un MNA, soit 40 000 euros).

Le PLF pour 2018 semble traduire dans les chiffres une partie de ces engagements. L'augmentation des crédits consacrés à l'accueil des MNA passe ainsi de 20,1 millions en 2017 à 132 millions d'euros en 2018 , soit une hausse de 557 %.

Il convient néanmoins de prendre garde à ce chiffre, qui ne révèle aucun transfert définitif de charges, ni aucune modification des principes de prise en charge : il ne fait qu'approcher enfin la réalité des besoins des conseils départementaux, chiffrée en 2017 à 155 millions d'euros et très probablement susceptible d'augmenter sous la pression croissante du phénomène. Le forfait remboursé par l'État reste toujours de 250 euros par jour pendant 5 jours alors qu'on sait que l'évaluation de la minorité peut prendre plusieurs semaines et le projet annuel de performance tient à préciser le caractère exceptionnel de la prise en charge d'une partie des surcoûts des dépenses d'aide sociale à l'enfance relatives aux MNA.

Cette augmentation de crédits s'assortit d'une promesse faite par le Premier ministre de transférer à l'État la phase préalable d'évaluation de la minorité et de l'hébergement d'urgence au cours de l'année 2018.


* 12 Le rapport conjoint IGSJ/Igas/IGA de 2014 rappelait que la compensation par l'État des charges relatives aux MNA ne présentait aucun caractère obligatoire , l'évaluation de ces publics ne résultant pas d'un transfert de compétence mais de la compétence désignée du conseil départemental.

* 13 Ces estimations sont fondées sur le nombre de prises en charge au titre de l'ASE en 2016.

* 14 Loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance.

* 15 D'après le projet annuel de performance du programme 304 du PLF 2017.

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