II. DONNER PLUS DE PERCUSSION À CE BUDGET POUR 2020 : FAVORISER L'EMBAUCHE, RETENIR LES TALENTS ULTRAMARINS, INVESTIR ET ACTIVER LES CRÉDITS

Pour aller à l'essentiel, il convient de se concentrer sur les deux enjeux fondamentaux de ce budget des outre-mer : les allègements de charges pour favoriser l'emploi et les crédits au logement.

Les autres dotations sont pour l'essentiel reconduites, et on mentionnera simplement ici l'effort accru en matière de service militaire adapté (SMA) avec le lancement d'un plan « SMA 2025 » qui bénéficie de moyens ainsi que de 35 emplois supplémentaires afin d'améliorer la qualité de la formation et offrir aux jeunes des chances d'« employabilité durable ». La performance de ce dispositif est d'ores et déjà notable puisqu'il permet à 80 % des jeunes stagiaires de trouver un emploi et, au cours des auditions, la qualité de leur prestation au travail est régulièrement saluée par les entrepreneurs ultramarins.

A. RENFORCER LES ALLÈGEMENTS DE CHARGES POUR FAVORISER L'EMBAUCHE : LA NÉCESSITÉ DE MESURES IMMÉDIATES DE RATTRAPAGE EN LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

1. Une baisse des crédits qui sera limitée si l'emploi et le dispositif d'allègements s'améliorent

Avec 1,47 milliards d'euros en CP, les allègements de charges représentent à eux seuls plus de 60 % de ce budget 1 ( * ) . Ces crédits ne sont pas tout à fait comme les autres puisqu'il s'agit de rembourser à la Sécurité sociale le coût des exonérations spécifiques à l'outre-mer : le budget des outre-mer est donc ici un prolongement direct des décisions prises en loi de financement de la sécurité sociale.

En proposant pour 2020 une baisse de 35 millions d'euros de ces crédits, le Gouvernement précise qu'il se conforme aux prévisions de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) : celle-ci anticipe une baisse pour 2020 du montant des charges sociales dans les outre-mer.

Économiquement, il s'agit d'un signal de récession. Mécaniquement, une telle baisse ne peut provenir que d'une stagnation de l'embauche, d'un moindre recours aux allègements de charges existants ou d'une moindre efficacité du dispositif.

En sens inverse, une reprise de l'emploi ultramarin ou un élargissement des seuils ouvrant droit à des baisses de charges conduirait nécessairement le Gouvernement à ajuster ces crédits à la hausse. Cette ligne budgétaire n'est donc pas un plafond mais une estimation pessimiste et, pour la démentir, il convient de prendre les mesures nécessaires, si possible lors des débats en cours sur la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS).

2. La difficulté de fond remonte à 2019, avec l'insuffisance du recyclage du CICE en allègements de cotisations sociales

Le problème posé par la baisse des crédits pour 2020 renvoie à l'application de la « bascule », décidée l'an dernier, du CICE - c'est-à-dire un crédit d'impôt qui relevait des lois de finances - en allègements de charges dont les modalités sont définies en LFSS.

Les entreprises ultramarines qui bénéficiaient d'allègements renforcés mais aussi d'un CICE majoré à 9 % ont subi un considérable manque à gagner dans ce recyclage. Chiffré par le Gouvernement à 66 millions d'euros l'an dernier, le manque à gagner est sans doute bien supérieur : 180 millions selon les évaluations conduites à la demande des acteurs ultramarins. L'explication de cette divergence réside sans doute dans le fait que le Gouvernement semble avoir basé ses estimations sur l'avantage de CICE « constaté » ; en conséquence, le calcul n'a sans doute pas pris en compte des entreprises ultramarines qui avaient droit au CICE mais ne remplissaient pas les formulaires pour en bénéficier.

Pour limiter ce manque à gagner, le Sénat avait adopté 18 mesures de rééquilibrage dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2019. Certains ont pu en craindre un coût élevé mais la prévision des organismes de sécurité sociale qui anticipent une inquiétante baisse du recours aux allègements pour 2020 démontrent le caractère minimaliste et insuffisant de ces ajustements.

Les termes du débat économique sous-jacent doivent être rappelés car l'enjeu est fondamental pour l'avenir de la structuration économique des territoires ultramarins.

Selon les modèles économétriques, la concentration des allègements sur les bas salaires permet normalement de « booster » l'emploi rapidement mais, à long terme, on constate, à l'évidence, un effet de « smicardisation » de la société française - et plus encore pour les outre-mer.

Il est donc à moyen et long terme préférable et nécessaire de favoriser un modèle économique ultramarin de « montée en gamme ». Or, pour développer certains secteurs économiques exposés et offensifs, il faut faciliter l'embauche de salariés très compétents et endiguer la fuite des jeunes diplômés. Les meilleurs experts des économies ultramarines rappellent que ces territoires ont avant tout besoin d'entrepreneurs et citent l'exemple de jeunes réunionnais qui ont créé des entreprises à succès en s'expatriant.

Enfin, les travaux les plus récents ont introduit l'idée que, dans les années 2000, l'industrie allemande a gagné en compétitivité grâce à des allègements concentrés sur les bas salaires du secteur abrité ce qui, par ricochet, a abaissé le coût des services à l'industrie. Mais à la différence des outre-mer, l'Allemagne avait déjà un outil industriel solide bien en place et n'a pas dû affronter une fuite de ses ingénieurs diplômés.

Symptomatiquement, le Gouvernement attribue au « manque d'ingénierie » une part importante de responsabilité dans le ralentissement de la construction de logements dans les outre-mer, ce qui confirme la nécessité du relèvement des seuils de salaires ouvrant droit à allègements de cotisations.

3. Les mesures de rattrapage approuvées lors de la navette du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020

Deux avancées ont été introduites par les députés.

D'une part, l'Assemblée nationale, a approuvé l'inclusion du secteur de la presse parmi les secteurs éligibles au régime de compétitivité renforcée d'exonération des charges sociales patronales spécifiques applicables aux entreprises de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion. (Art. 8 quater du PLFSS).

D'autre part, les députés proposent, dans le barème dit de compétitivité renforcée de rehausser :

- le point d'inflexion des exonérations de charges sociales patronales de 1,7 SMIC à 2 SMIC ;

- et le seuil de sortie du régime des exonérations de charges sociales qui passerait de 2,7 SMIC à 3 SMIC (Art. 8 quinquies du PLFSS).

Le Gouvernement a évalué le coût de cette mesure à 35 millions d'euros, et précisé qu'il sera compensé par des crédits budgétaires du ministère des outre-mer.

La fin du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) et le régime d'exonération de charges en vigueur, issu de la LFSS pour 2019.

En Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion, la réforme a abouti à la définition de trois barèmes d'exonération ; les débats en cours se concentrent sur les deux dispositifs suivants, destinés à favoriser l'embauche de salariés qualifiés, en particulier dans les secteurs exposés à la concurrence.

- Le régime de compétitivité concerne les petites entreprises de moins de 11 salariés : les exonérations déclinent à partir de 1,3 SMIC et s'annulent à 2,2 SMIC. Par dérogation les entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) seraient éligibles au régime de compétitivité, même au-delà de 11 salariés. L'avantage consenti aux outre-mer se traduit par une exonération totale jusqu'à 1,3 SMIC avec le même champ de cotisations que le droit commun.

- Le régime de compétitivité renforcée : les exonérations déclinent à partir de 1,7 SMIC et s'annulent à 2,7 SMIC. Il s'applique aux entreprises de moins de 250 salariés, ayant réalisé un chiffre d'affaires de moins de 50 millions d'euros et actives dans les secteurs suivants : industrie ; restauration ; environnement, agronutrition et énergies renouvelables ; nouvelles technologies de l'information et de la communication et centres d'appel ; pêche, cultures marines, aquaculture ; agriculture ; tourisme, y compris les activités de loisirs s'y rapportant du nautisme ; hôtellerie ; recherche et développement. Le régime s'applique également aux entreprises bénéficiaires du régime de perfectionnement actif (ce qui vise principalement la réexportation) défini à l'article 256 du règlement (UE) n° 952/2013 du Parlement européen et du Conseil du 9 octobre 2013 établissant le code des douanes de l'Union.

Les collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy font l'objet d'un dispositif spécifique, codifié à l'article L. 752-3-3 du code de la sécurité sociale.

Le Sénat, en première lecture du PLFSS pour 2020, et avant de repousser l'ensemble du texte, a approuvé - contre l'avis de la commission saisie au fond et contre l'avis du Gouvernement - un amendement visant à relever, dans le régime de compétitivité renforcée, les seuils de dégressivité et d'extinction de l'exonération des cotisations patronales en les portant respectivement de 1,7 SMIC à 2,2 SMIC et de 2,7 SMIC à 3 SMIC.

J'ai rappelé lors de la séance publique du 13 novembre 2019, que cet élargissement poursuit trois objectifs :

- éviter une structuration de l'économie des outre-mer autour des métiers peu qualifiés ;

- combler le déficit d'encadrement et d'ingénierie ;

- remédier à la perte de compétitivité des entreprises des secteurs exposés, du fait de l'augmentation de leurs cotisations, mesurée par rapport au régime dont elles bénéficiaient antérieurement.

Compte tenu de l'équilibre des « forces » politiques, le projet de loi de financement de la sécurité sociale définitivement adopté ne retiendra probablement que les dispositions introduites en première lecture par les députés, ce qui se traduirait mécaniquement, pour le budget des outre-mer, par une « session de rattrapage » en LFSS bien réelle mais limitée à 40 millions d'euros.


* 1 Ces allègements sont inclus dans le programme 138 « emploi outre-mer ». La « mission outre-mer » que l'on appelle parfois « budget », par commodité de langage, se compose de ce programme 138 et du programme 123 « conditions de vie outre-mer ».

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