II. LES COMPTES D'AFFECTATION SPÉCIALE : DES OUTILS DÉLAISSÉS MALGRÉ LEUR UTILITÉ POUR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

Le PLF pour 2021 prévoit des évolutions décevantes pour les deux comptes d'affectation spéciale dont est saisie la commission : en effet, le premier est supprimé et le second, stable.

A. LE CAS TE : UNE SUPPRESSION PRÉJUDICIABLE AU FINANCEMENT DES ENR ET À L'ALLOCATION DE LA FISCALITÉ ÉNERGÉTIQUE

• À l'occasion de l'examen du PLF pour 2020, l'Assemblée nationale a adopté, contre l'avis du Gouvernement, la clôture du CAS TE , à compter du 1 er janvier prochain.

Le rapporteur déplore cette évolution, étant donné que ce compte constitue le premier moyen de financement des dispositifs de soutien publics aux EnR : ce sont 6,3 Mds €, essentiellement alimentés par une fraction des recettes de la TICPE, qui leur sont ainsi alloués.

À l'évidence, le CAS TE apporte de la visibilité et de la sécurité aux porteurs de projets d'EnR, en sanctuarisant les moyens budgétaires dont ils disposent. Il favorise, de surcroît, l'acceptation de la fiscalité énergétique, en identifiant clairement son utilisation aux yeux des contribuables.

Fait notable, le rapporteur relève que la suppression du CAS TE a pour effet de doubler, de 10,2 à 20,4 Mds €, la part des recettes de la TICPE revenant à l'État ; ce dernier bénéficiera ainsi de 61,63 % de ces recettes en 2021, contre 34,93 % en 2020.

(en Mds d'euros)

Exécution

2019

Prévision

2020

Prévision

2021

Proportion

2020

Proportion

2021

Évolution

2020-2021

Transfert aux collectivités

12

11,1

11,4

38,01%

34,44%

2,70%

Transfert au CAS TE

6,7

6,3

0

21,58%

0,00%

-100,00%

Transfert à l'AFITF

1,2

1,6

1,3

5,48%

3,93%

-18,75%

Recettes brutes État

13,4

10,2

20,4

34,93%

61,63%

100,00%

Recettes brutes totales

33,3

29,2

33,1

100,00%

100,00%

13,36%

Tout laisse donc à penser que la suppression du CAS TE sera in fine préjudiciable à la transition énergétique , car elle autorise une compression plus forte des dépenses de soutien aux EnR - désormais intégrées au budget général - et renforce l'objectif de rendement - et non environnemental - des taxes intérieures de consommation sur l'énergie !

Si les contraintes constitutionnelles et organiques applicables au droit d'amendement des parlementaires ne permettent pas au rapporteur de rétablir ce compte dans le cadre du PLF pour 2021, il juge indispensable qu'un débat soit posé sur la réintroduction du CAS TE pour 2022.

• Cette suppression intervient dans un contexte de hausse de la fiscalité énergétique.

Alors que le Gouvernement s'était engagé à un « gel » de cette fiscalité en 2018, on observe cette année encore une augmentation de 5,1 Mds € des taxes intérieures de consommation sur l'énergie : 15,1 % pour la TICPE, 4,5 % pour la TICGN, 8,3 % pour la TICFE.

(en Mds d'euros)

Exécution

2019

Prévision

2020

Prévision

2021

Évolution

2020-2021

TICPE brute

33,3

29,2

33,6

15,1%

TICPE État

13,4

10,2

20,4

100,0%

TICGN

2,4

2,2

2,3

4,5%

TICFE

7,8

7,2

7,8

8,3%

TICC

0,013

0,012

0,012

0,0%

Autres taxes intérieures

0,062

0,061

0,062

1,6%

Total

43,7

38,7

43,8

13,2%

Cette tendance ne s'explique pas par la croissance spontanée de ces taxes (12 % pour la première et 0,71 % pour les autres) mais bien par des mesures nouvelles.

Dans ce contexte, le rapporteur relève trois points d'attention sur le plan fiscal.

1. En premier lieu , l'intégration dans la TICFE des taxes communales et départementales sur la consommation finale d'électricité (TCCFE et TDCFE) , prévue par l'article 13 du PLF pour 2021, pose une double difficulté : d'une part, en portant les tarifs de ces taxes à leur maximum, elle risque d'entraîner une hausse de la taxation de l'électricité dans 12,8 % des départements et 21,6 % des communes ; d'autre part, en renvoyant l'assiette de ces taxes à un décret, elle risque d'éroder l'autonomie fiscale dont disposent ces collectivités.

Cette réforme représente une charge fiscale de 37 M€ en 2021 et 129 M€ après 2023.

Le montant de la facture d'électricité toutes taxes comprises (TTC) pourrait augmenter jusqu'à 5 % dès l'an prochain, ce qui serait pénalisant pour les ménages et, plus encore, pour les professionnels.

Le rapporteur retient de l'audition du directeur général de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) la nécessité d'obtenir des éclaircissements de la part du Gouvernement sur l'impact de cette réforme pour les collectivités territoriales : « La FNCCR estime a minima indispensable, afin de préserver leur autonomie financière, de s'assurer qu'un niveau de recettes au moins équivalent à celui dont elles bénéficient actuellement leur sera garanti, à consommation d'électricité constante. [Elle] estime que le débat au Sénat doit permettre d'obtenir des éclaircissements indispensables, en particulier au sujet des trois points suivants : le reversement par les services fiscaux de la part communale ou départementale de la TICFE, le prélèvement de frais de gestion par l'administration des impôts et le reversement d'une fraction de la taxe par une autorité organisatrice de la distribution d'électricité (AODE) à une commune membre et l'exercice du contrôle ».

Pour répondre à ces difficultés, le rapporteur juge crucial d'inscrire a minima dans la loi le maintien du versement trimestriel du montant de cette taxe aux AODE ainsi que l'exigence de transmission à ces dernières par les services fiscaux des modalités de calcul de ce montant, dont la répartition de la quantité d'électricité par commune sur leurs territoires.

2. En deuxième lieu, les professionnels sont confrontés à une hausse de 746 M€ des taxes intérieures de consommation sur l'énergie en 2021, compte tenu de l'application d'évolutions issues des articles 16, 17 et 19 de la LFI pour 2020 : la suppression du tarif réduit de TICPE sur les carburants « sous conditions d'emploi » , la diminution de 2 euros par hectolitre du remboursement de TICPE aux transporteurs routiers et l'extinction de l'exonération de TICGN sur le biométhane injecté dans les réseaux.

Ces évolutions induisent respectivement des hausses de 600 M€, 140 M€ et 6 M€ en 2021.

L'an prochain, le tarif de la TICPE passerait de 18,82 € à 59,40 €, dès le 1 er juillet, soit une hausse de 215,62 % ; dans le même temps, le biométhane injecté se verrait taxé au titre de la TICGN à hauteur de 8,43 € par MWh (contre une exonération cette année) et les transporteurs routiers seraient remboursés à hauteur de 43,19 € par hectolitre (contre 45,19 € l'an dernier).

3. Enfin, si une nouvelle hausse exponentielle de la contribution « Climat Énergie » (CCE) , c'est-à-dire de la composante carbone des taxes intérieures de consommation sur l'énergie, ne semble plus d'actualité, depuis les conclusions de la Convention citoyenne pour le climat, une vigilance particulière doit toujours être observée : tout d'abord, il faut rappeler que le niveau de la CEE a été gelé à hauteur de 44,6 € par tonne de CO 2 par l'article 64 de la LFI pour 2019, ce qui représente déjà un montant 6,5 fois supérieur à celui de 2014 et une charge fiscale de 2,7 Mds € ; plus encore, la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) prévoit que des mesures soient prises « pour obtenir des effets similaires à ceux de la composante carbone ».

Parce que la transition énergétique ne peut véritablement réussir sans le soutien des ménages et des professionnels, le rapporteur estime nécessaire de ne pas ajouter un alourdissement fiscal aux contraintes économiques ; aussi plaide-t-il pour un report de ces hausses de fiscalité car elles ont bien souvent été décidées avant le début de la crise du Covid-19.

• La suppression du CAS TE intervient également dans un contexte de compression de certaines dépenses de soutien aux EnR.

À titre d'exemple, le Gouvernement a fait adopter à l'Assemblée nationale un amendement , instituant un article 54 sexies , qui autorise la révision des contrats d'achat pour les installations photovoltaïques de plus de 250 kilowatts, conclus entre le 12 janvier et le 31 août 2020.

Cet article prévoit que les ministres chargés de l'énergie et du budget réduisent par arrêté le tarif d'achat applicable à ces installations « de telle sorte que la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les recettes de l'installation et des aides financières ou fiscales octroyées au titre de celle-ci, n'excède pas une rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à son exploitation ».

L'article précise que les ministres précités peuvent, sur demande motivée d'un producteur et proposition de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), fixer par arrêté un tarif ou une date différents « si ceux-ci sont de nature à compromettre la viabilité économique du producteur ».

Au total, 800 contrats d'achat seraient concernés par cette révision à la baisse !

Cet article pose plusieurs difficultés :

• Tout d'abord, en révisant à titre rétroactif un dispositif de soutien à une filière d'EnR, il érode la confiance placée par les acteurs économiques en la parole de l'État et remet en cause les hypothèses économiques sur lesquelles ils se sont fondés pour développer leurs activités et contracter des emprunts ;

• Ce faisant, l'article adresse un signal tout à fait négatif à l'endroit des entrepreneurs, des investisseurs mais aussi des élus locaux : plus personne ne se risquera à engager des projets en faveur de la transition énergétique dans nos territoires, si le soutien qui leur est apporté par l'État fluctue au gré des projets de loi de finances ;

• Parce qu'il cible cette révision sur certaines installations photovoltaïques, il induit par ailleurs une différence de traitement selon la date de conclusion du contrat, la puissance de l'installation mais aussi entre les différentes filières d'EnR ;

• Plus encore , les conditions fixées et les dérogations prévues, particulièrement complexes, donneront sans doute lieu à des contentieux , le dernier en date dans le domaine de l'énergie, sur la contribution au service public de l'électricité (CSPE), ayant entraîné un risque financier pour l'État évalué entre 1 et 5 Mds € ;

• Dans le même ordre d'idées, on ne voit pas bien ce qui pousse le Gouvernement à réviser aussi tardivement des contrats d'achat qui ont été conclus il y a bientôt 10 ans ;

• Enfin , le gain de 2 Mds € annuels évoqué par l'objet de l'amendement du Gouvernement est excessif puisqu'il ne correspond pas aux installations photovoltaïques précitées mais à l'ensemble du coût alloué à cette filière d'EnR avant 2011 !

Compte tenu de ces difficultés, le rapporteur appelle le Gouvernement à renoncer à la révision de ces contrats d'achat prévue par le PLF pour 2021 ; pour maitriser les dépenses, il plaide pour l'application du critère du bilan carbone, prévu par l'article 30 de la loi « Énergie-Climat », à l'ensemble des dispositifs de soutien publics aux EnR.

Interrogé sur ce second point, le Gouvernement a confirmé au rapporteur que « les appels d'offres pour la période 2021-2026 contiendront un critère de bilan carbone, sous la forme d'un critère soit de notation (photovoltaïque sur bâtiment), soit d'éligibilité (photovoltaïque au sol, éolien hydroélectricité) » , ce dont il se félicite.

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