EXAMEN EN COMMISSION

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons à présent le rapport pour avis de notre collègue Olivier Bitz sur la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales.

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - Notre commission s'est saisie pour avis de la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales, dont l'examen a été renvoyé à la commission des affaires sociales.

Présentée par Valérie Boyer et ses collègues du groupe Les Républicains, la proposition de loi s'inscrit dans la continuité de précédentes initiatives qui visaient à subordonner le versement de certaines prestations sociales à une durée minimale de résidence en situation régulière. Je précise, à titre liminaire, que la régularité du séjour constitue d'ores et déjà un critère pour bénéficier des droits et prestations en question.

L'article 19 du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration prévoyait, sur l'initiative de la commission des lois et de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, de subordonner l'exercice du droit au logement opposable (Dalo) et le versement de plusieurs prestations sociales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne à une condition de durée de résidence stable et régulière en France de cinq ans. Cette durée était ramenée à trente mois en cas d'exercice d'une activité professionnelle. Ces dispositions ont été déclarées contraires à la Constitution au motif qu'elles constituaient un « cavalier » législatif.

Le Conseil constitutionnel s'est néanmoins prononcé sur des dispositions identiques à l'occasion de sa décision du 11 avril 2024. Il a rappelé que si les exigences constitutionnelles tirées des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 « ne s'opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales dont jouissent les étrangers en situation régulière sur le territoire français soit soumis à une condition de durée de résidence ou d'activité, cette durée ne saurait être telle qu'elle prive de garanties légales ces exigences ». En l'occurrence, il a jugé que la durée prévue - cinq années ou trente mois en cas d'activité professionnelle - portait une atteinte disproportionnée à ces exigences.

L'appréciation du caractère proportionné de cette restriction semble dépendre de l'objet de la prestation en cause. Eu égard à la finalité du revenu de solidarité active (RSA), le Conseil constitutionnel avait admis en 2011 une condition de durée de résidence régulière de cinq ans. Une condition analogue, mais d'une durée de dix ans, est également exigée pour le versement de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). Le Conseil constitutionnel n'a pas eu à en connaître à ce jour, la Cour de cassation ayant refusé de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui portait sur les dispositions concernées.

La proposition de loi comporte deux modifications d'ampleur par rapport au texte censuré par le Conseil constitutionnel, qui visent à tirer les conséquences de sa décision du 11 avril 2024 : en premier lieu, la durée de résidence stable et régulière exigée est abaissée à deux ans au lieu de cinq ; en second lieu, aucune durée de résidence n'est plus exigée pour les étrangers exerçant une activité professionnelle.

Demeureraient exemptées de la condition de durée de résidence de nombreuses catégories d'étrangers : les réfugiés, les bénéficiaires de la protection subsidiaire, les apatrides, les titulaires d'une carte de résident et, pour les aides personnalisées au logement (APL) et le Dalo, les titulaires d'un visa étudiant.

La proposition de loi ne modifie pas les droits et prestations concernés : il s'agit du Dalo et de dix prestations sociales, dont neuf relèvent de la branche famille, auxquelles s'ajoute l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) pour les personnes âgées dépendantes.

Ces prestations n'ont pas, au sens strict, un caractère contributif. Quand bien même la branche famille de la sécurité sociale est financée par des cotisations sociales, le versement des prestations familiales n'est pas la contrepartie - ni dans son principe ni dans son montant - des cotisations effectivement versées. Ces prestations relèvent ainsi davantage d'une logique de solidarité nationale que d'une logique proprement assurantielle.

À cet égard, il peut sembler légitime qu'un certain délai soit imposé aux étrangers qui n'exercent pas d'activité professionnelle, et ainsi ne contribuent pas au système de protection sociale, pour bénéficier pleinement de cette solidarité nationale.

En lien avec nos collègues de la commission des affaires sociales, je vous propose d'adopter plusieurs aménagements visant à prendre en compte le risque constitutionnel et conventionnel et permettre la mise en oeuvre effective de la proposition de loi.

Je vous propose d'abord de supprimer les dispositions relatives au droit au logement opposable.

En effet, le droit à un logement décent et indépendant, reconnu par le législateur, peut être rattaché à l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent, qui a été consacré par le Conseil constitutionnel dans une décision du 19 janvier 1995. Le Dalo est également une voie de recours, amiable puis contentieuse, qui a pour objet l'exercice de ce droit.

Dès lors qu'il s'agit, non d'une prestation sociale à proprement parler, mais d'un droit et d'une voie de recours, il n'est pas évident que le législateur puisse subordonner le bénéfice du Dalo, pour les ressortissants étrangers en situation régulière, à une condition de durée de résidence. Cette disposition soulève de délicates questions de conformité à la Constitution et, pour ces raisons, il m'a paru préférable, comme à mon homologue des affaires sociales, de recentrer le texte sur les prestations sociales.

Je propose également deux autres amendements visant à préciser les catégories de personnes concernées par la proposition de loi.

En premier lieu, il apparaît que le critère de l'affiliation au titre d'une activité professionnelle, outre qu'il est d'un maniement difficile pour les organismes gestionnaires, doit être concilié avec les textes européens, notamment la directive dite « permis unique ». L'article 12 de cette directive consacre l'égalité de traitement, en matière de prestations sociales et familiales, des ressortissants d'États tiers à l'Union européenne (UE) qui bénéficient d'un titre de séjour les autorisant à travailler, en ne ménageant qu'un nombre limité d'exceptions.

Afin d'assurer la conformité du dispositif au droit de l'UE, je vous propose donc un amendement visant à substituer au critère de l'affiliation au titre d'une activité professionnelle celui de la détention d'un titre de séjour autorisant à travailler. La rapporteure de la commission des affaires sociales propose également de retenir ce critère, déjà appliqué pour le RSA et l'Aspa.

En second lieu, je vous propose d'ajouter aux catégories d'étrangers exemptés de la condition de durée de résidence les bénéficiaires de la protection temporaire - le dispositif ne concerne à ce jour que les Ukrainiens-, qui sont éligibles à une partie des prestations en question, essentiellement des prestations familiales.

Je suggère enfin un dernier amendement, identique à celui présenté par la rapporteure de la commission des affaires sociales, visant à repousser l'entrée en vigueur de la proposition de loi à une date fixée par décret, et qui ne peut être postérieure au 1er juillet 2026. En effet, l'ensemble des organismes gestionnaires et des administrations, ainsi que les départements - qui versent l'APA - nous ont indiqué que la mise en oeuvre de la loi nécessitait d'adapter préalablement leurs processus et leurs systèmes d'information ; l'amendement vise à leur laisser le temps de mener à bien ces adaptations.

Enfin, il est ressorti des travaux menés avec mon homologue des affaires sociales que de nombreuses nationalités seraient exemptées, en tout ou partie, de l'application de la présente proposition de loi du fait d'accords internationaux.

Aucun recensement exhaustif n'a pu nous être fourni, mais le ministère de la santé indique qu'il existerait 39 conventions bilatérales de sécurité sociale conclues entre la France et des États tiers, dont la plupart prévoient une forme d'égalité de traitement en matière de prestations familiales pour les ressortissants de ces États. Par conséquent, elles seraient susceptibles de faire échec à l'application de la loi.

Il en va de même avec les accords d'association conclus entre l'Union européenne et des États tiers, dont au moins huit - ceux conclus notamment avec l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Turquie, Israël et l'Albanie - comportent des clauses d'égalité de traitement en matière de sécurité sociale.

S'agissant plus particulièrement des Algériens, l'application de la loi risquerait d'être écartée sur le fondement de l'article 7 de la déclaration de principes relative à la coopération économique et financière du 19 mars 1962, qui fait partie des accords d'Évian. Cette disposition consacre l'égalité des droits des ressortissants algériens résidant régulièrement en France. C'est sur le fondement de ces dispositions que le Conseil d'État avait, par une décision du 9 novembre 2007, écarté l'application de la condition de résidence pour le versement du revenu minimum d'insertion (RMI).

En somme, ce que nous avions constaté au sujet des instruments internationaux en matière migratoire, à savoir un enchevêtrement d'engagements mal connus, qui contraint fortement notre capacité à agir, semble également valoir en matière de sécurité sociale. Je ne peux qu'appeler de mes voeux un travail de recensement et, le cas échéant, de révision de ces engagements, dont certains sont anciens.

Tout cela tend à restreindre la portée du texte, dont la dimension symbolique n'est cependant pas à négliger. Cela ne signifie pas qu'il faille se résigner à l'impuissance : la reprise en main de notre politique migratoire passe avant tout par une meilleure régulation des entrées sur le territoire et une amélioration du processus d'éloignement.

Au bénéfice de ces observations, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption de la proposition ainsi modifiée.

Mme Corinne Narassiguin. - Cela ne surprendra personne, le groupe socialiste, écologiste et républicain s'opposera à cette proposition de loi.

Un an après la proposition avortée de référendum d'initiative partagée de Bruno Retailleau, Valérie Boyer et ses collègues du groupe Les Républicains essayent d'échapper à la censure du Conseil constitutionnel avec ce texte dont la portée est extrêmement réduite, a fortiori si l'on considère les accords internationaux décrits par le rapporteur. Toutefois, même édulcorée de la sorte, cette proposition de loi nous semble encore contrevenir aux principes constitutionnels d'égalité devant la loi et de solidarité.

À travers cet acte essentiellement politique, vous entendez surtout faire des étrangers les boucs émissaires de tous les maux de notre pays, ignorant leurs multiples contributions à notre richesse nationale.

M. André Reichardt. - Je félicite le rapporteur pour avis de son rapport très complet, mais je retiens surtout sa conclusion, malheureusement : ça ne veut pas dire qu'on ne peut rien faire, mais ça y ressemble fort...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le rapport d'Olivier Bitz est éclairant sur l'existence de ces accords internationaux, qui transforment en effet ce texte en symbole. Nous ne savions pas que la loi devait se réduire ainsi à un catalogue de symboles - un reproche qu'un certain Philippe Bas, en d'autres occasions, n'aurait pas manqué de nous adresser.

Avec ce texte, nous examinons en réalité la première proposition de loi de Bruno Retailleau, avant de décliner, dans les jours et les semaines qui viennent, la suite de ses initiatives.

Lors de l'examen de la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, le Sénat avait voté avec enthousiasme une condition de résidence de cinq ans, et je ne me souviens pas à cette occasion que quiconque, y compris le ministre, ait soulevé le problème de ces conventions.

Amusez-vous donc, faites de la politique en séance, votez pour un symbole, mais sachez que ce texte ne servira pas à grand-chose, si ce n'est à stigmatiser une partie de nos concitoyens.

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - Cette proposition de loi nous a précisément donné l'occasion de creuser le sujet et d'identifier un certain nombre d'obstacles juridiques conventionnels et européens.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-7 rectifié vise à retirer de la proposition de loi les dispositions relatives au Dalo.

L'amendement COM-7 rectifié est adopté.

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - Le sous-amendement COM-8 rectifié, portant sur un amendement de la rapporteure au fond, vise à exempter les bénéficiaires de la protection temporaire de la condition de durée de résidence.

Le sous-amendement COM-8 rectifié est adopté.

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-9 vise à substituer au critère de l'affiliation au titre d'une activité professionnelle celui de la détention d'un titre de séjour autorisant à travailler.

L'amendement COM-9 est adopté.

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-10 vise à repousser l'entrée en vigueur de la proposition de loi à une date fixée par décret, afin de laisser aux organismes gestionnaires le temps d'adapter leurs systèmes d'information.

L'amendement COM-10 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi, sous réserve de l'adoption de ses amendements.

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