TRAVAUX EN COMMISSION
Désignation du
rapporteur pour avis
(Mercredi 7 avril 2025)
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, déposée par notre collègue Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, sera examinée en séance publique à partir du lundi 12 mai prochain.
Notre commission mène depuis plusieurs années un travail de fond pour proposer des mesures pragmatiques et de bon sens, afin de lutter contre les inégalités territoriales d'accès aux soins. Nous avons su construire un consensus transpartisan sur cet enjeu essentiel, en plaçant les difficultés rencontrées par les patients au coeur de notre approche. Les deux derniers rapports d'information de la commission, adoptés en mars 2022 et novembre 2024, ont montré combien la situation actuelle est inacceptable et formulé des recommandations ambitieuses pour y répondre.
Dans un rapport d'information adopté en janvier 2020, et dont j'avais été le rapporteur, je plaidais déjà pour la mise en place d'une forme de régulation de l'installation des médecins selon le principe « une arrivée pour un départ » dans les zones les plus dotées.
Je suis heureux que ce texte propose également de réguler l'installation des médecins dans ces zones. Le consensus sur cette question dépasse maintenant les murs de cette salle !
Je vous propose donc que notre commission se saisisse pour avis des articles 1er à 10 du texte, qui concernent le pilotage de la politique de santé au plus près des territoires et le renforcement de l'offre de soins dans les territoires sous-dotés.
En vue de cet examen, j'ai reçu la candidature de Bruno Rojouan. Je vous propose donc de le désigner en qualité de rapporteur.
La commission désigne M. Bruno Rojouan rapporteur pour avis sur la proposition de loi n° 494 (2024-2025) visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, présentée par M. Philippe Mouiller.
Je cède maintenant la parole à Bruno Rojouan, qui souhaite vous informer d'une démarche qu'il a lancée dans la continuité de son rapport d'information du 13 novembre dernier et qui a été approuvée ce matin par l'ensemble des membres du bureau.
M. Bruno Rojouan. - Monsieur le président, chers collègues, je souhaite aborder la question des disparités territoriales d'accès aux soins. J'ai déjà pu échanger avec plusieurs d'entre vous sur l'opportunité d'appeler l'attention des ministres compétents sur ce sujet, Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins, et sa ministre de tutelle Catherine Vautrin en leur adressant un courrier.
Cette démarche aurait pour objectif de mieux mettre en avant du Gouvernement les travaux que notre commission a menés sur ce sujet, notamment les deux rapports d'information dont j'ai été le rapporteur. Elle permettrait de souligner la spécificité de notre approche, marquée par le souci constant de répondre aux aspirations légitimes des patients, et d'être à l'écoute des acteurs de terrain, associations de patients et élus locaux.
Il me semble en particulier impératif d'exposer des recommandations que nous partageons tous, selon quatre axes bien identifiés :
- Tout d'abord, pour répondre aux besoins des zones médicalement sous-dotées, il est indispensable d'encadrer l'installation des médecins dans les zones surdotées. L'installation d'un nouveau médecin généraliste serait conditionnée à l'ouverture d'un cabinet secondaire dans une zone sous-dotée ; celle d'un nouveau médecin spécialiste serait conditionnée au départ d'un professionnel exerçant la même spécialité, selon la règle « une installation pour un départ ».
- Ensuite, à plus long terme, il serait pertinent de réguler globalement l'installation des professionnels des besoins de santé en fonction des besoins, sur le modèle du système allemand de planification des besoins.
- En même temps, il est également indispensable de mieux partager les compétences entre les professions de santé, notamment en faveur des infirmiers et des pharmaciens, ainsi que d'ouvrir l'accès direct aux masseurs-kinésithérapeutes pour certaines pathologies.
- Enfin, mener un choc de territorialisation des études de santé est primordial. Il est à cet égard indispensable que les internes en quatrième année de médecine générale, les fameux « docteurs juniors », effectuent leurs stages dans des zones médicalement sous dotées. De surcroît, il ne faut pas s'arrêter là et il est en effet nécessaire de lancer un plan d'ouverture d'urgence de facultés et d'antennes de facultés de médecine dans des villes de taille moyenne à proximité des zones médicales sous-denses.
Ce courrier est signé par un représentant de chaque groupe politique au nom de l'ensemble des membres de la commission pour montrer l'esprit de consensus dans lequel nous avons travaillé.
Vous avez pu consulter ce projet sur l'application Demeter, et je suis à votre écoute pour répondre à vos questions sur ce sujet.
Examen du rapport pour
avis
(Mardi 6 mai 2025)
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le rapport pour avis de Bruno Rojouan sur la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, déposée par Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales.
Je me réjouis tout particulièrement du dépôt et de l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de ce texte bienvenu pour répondre aux inégalités territoriales d'accès aux soins.
C'est aujourd'hui une banalité de déclarer que le Sénat est l'assemblée du « travail au long court ». Cette phrase n'a jamais été aussi vraie, me semble-t-il, qu'à propos de l'accès aux soins. Notre commission a parfois eu l'impression de prêcher dans le désert, notamment à l'occasion de deux missions d'information, l'une conduite par Hervé Maurey, l'autre par Hervé Maurey et moi-même, en 2013 puis en 2020.
Bruno Rojouan a ensuite repris le flambeau et présenté deux autres rapports d'information sur cette question, en mars 2022 et en novembre 2024. Notre insistance n'a pas été sans résultats. Nous avons déjà obtenu des avancées significatives, comme la création par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 d'une quatrième année de diplôme d'études spécialisées de médecine générale dans des lieux agréés en pratique ambulatoire, en priorité dans les zones sous-denses.
Cela fait plusieurs années que nous nous accordons sur la nécessité de remettre en cause le principe d'une liberté d'installation totale des médecins. En effet, si la situation générale de l'accès aux soins est dégradée, elle est particulièrement critique dans les territoires où la densité de soignants est la plus faible. Une meilleure répartition territoriale des soignants est donc nécessaire, au bénéfice notamment des zones rurales et des quartiers paupérisés des grandes agglomérations.
Ce texte pragmatique montre que nos collègues de la commission des affaires sociales sont arrivés aujourd'hui aux mêmes conclusions que nous, ce dont je me félicite.
M. Bruno Rojouan, rapporteur pour avis. - Mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter les grandes lignes de mon rapport pour avis sur la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires. La commission des affaires sociales examinera tout à l'heure le rapport de Corinne Imbert et établira son texte de commission.
Je souhaite exprimer tout d'abord mes plus vifs remerciements à la rapporteure et à ses collègues de la commission des affaires sociales. Nous avons mené nos travaux préparatoires en étroite collaboration et je me réjouis de cette coopération fructueuse. Nos échanges ont permis de confirmer la convergence de nos points de vue et notre volonté partagée de garantir l'équité territoriale de l'accès aux soins.
Tous les Français ont un égal droit à la santé, quel que soit leur lieu de résidence. Depuis la publication, en 2013, du rapport d'information sur la présence médicale sur l'ensemble du territoire de notre ancien président, Hervé Maurey, notre commission n'a eu de cesse d'affirmer que l'inégale répartition territoriale des soignants porte atteinte au principe d'égalité entre les citoyens et constitue une entorse au pacte républicain.
Notre commission a su trouver un consensus transpartisan et formuler depuis plus de dix ans des recommandations à la fois pragmatiques et ambitieuses, en plaçant toujours les attentes légitimes des patients au coeur de sa démarche. Nous avons préconisé un rééquilibrage territorial de l'offre de soins, au moyen notamment d'une régulation de l'installation des médecins dans les zones médicalement les mieux dotées.
Cette conviction a guidé mes travaux de rapporteur des missions d'information sur les disparités territoriales d'accès aux soins menées par notre commission en 2022 et 2024. J'avais alors dressé le constat implacable d'une détérioration marquée de l'accès aux soins, souligné l'existence de disparités particulièrement fortes entre les territoires et mis en garde contre la perspective d'une décennie noire en matière de démographie médicale. Les difficultés d'accès aux soins peuvent entraîner des retards de prise en charge, des pertes de chance de guérison et des renoncements aux soins, singulièrement chez les personnes les plus défavorisées résidant dans des zones fortement sous-dotées en médecins généralistes.
Nous avons jugé insuffisantes les mesures prises jusqu'à présent pour mettre fin à cette situation inacceptable. Les médecins bénéficient en effet d'un cadre exclusivement incitatif censé les pousser à s'installer dans les zones les moins bien dotées, mais ces incitations n'ont eu que des effets minimes, au regard de leur coût, sur la résorption des inégalités territoriales. À l'inverse, les mesures de régulation de l'installation ont été progressivement étendues à l'ensemble des autres professions de santé, dont les chirurgiens-dentistes en juillet 2023. L'installation de ces derniers dans une zone « non prioritaire » est ainsi soumise à la règle « une arrivée pour un départ ». L'efficacité de ces mesures a été démontrée, notamment pour les infirmiers. Notre commission estime qu'il est nécessaire de remettre en cause le tabou de la liberté totale d'installation des médecins.
Nous avons en effet le devoir de garantir à chacun un accès effectif aux soins. En d'autres termes, il nous faut agir pour mettre, autant que possible, des médecins en face des patients.
J'ai conscience qu'une proposition de loi ne pourra pas, à elle seule, résorber le manque généralisé de soignants : seul un choc de massification et, surtout, de territorialisation de la formation des professionnels de santé nous permettra de sortir de la situation actuelle. Nous ne pouvons toutefois pas attendre les bras croisés ; nous devons agir dès maintenant, en appliquant tous les remèdes disponibles. C'est ce à quoi s'attelle ce texte bienvenu.
Au cours de mes travaux préparatoires, j'ai d'ailleurs pu mesurer les attentes des représentants de plusieurs associations de patients à l'endroit du législateur.
Notre commission a fait le choix de se saisir pour avis des articles 1er à 10 du texte, relatifs au pilotage de la politique de santé au plus près des territoires et au renforcement de l'offre de soins dans les territoires sous-dotés.
L'article 1er vise à refonder la gouvernance territoriale de l'accès aux soins en confiant aux départements la coordination des actions menées en faveur de l'installation des professionnels de santé dans les zones sous-denses, en lien avec les agences régionales de santé (ARS) et les caisses primaires d'assurance maladie.
Il vise en outre à créer un Office national de l'évaluation de la démographie des professions de santé, qui aura notamment pour mission la collecte et la diffusion des données relatives à la démographie des professions de santé et à l'accès aux soins.
Cet office s'appuiera sur ses implantations territoriales, les offices départementaux d'évaluation de la démographie des professions de santé, présidés par le président du conseil départemental. Cette mesure me paraît très pertinente, l'échelle départementale étant la plus appropriée pour mieux évaluer les besoins de soins et mener le travail de planification de l'offre de soins au plus près des territoires.
Je vous proposerai tout à l'heure un amendement tendant à renforcer le rôle de cet office départemental en prévoyant que le directeur de l'agence régionale de santé détermine les zones sous-denses après avis conforme de celui-ci.
L'Office national et les offices départementaux rendront chaque année un avis sur l'offre de stages en zones sous-denses. Cet avis portera en particulier sur les stages des internes en quatrième année de médecine générale, dits « docteurs juniors », dont les premiers auront lieu à partir de novembre 2026.
Je me félicite de cette initiative : dès la remise de mon rapport d'information de mars 2022, j'avais préconisé la création de ce statut et l'affectation des « docteurs juniors » dans les zones sous-denses. Cette mesure était pour moi la première pierre d'un « choc de territorialisation » des études de santé au profit des zones peu denses. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a d'ailleurs repris cette recommandation, sur l'initiative du Sénat.
La première « cohorte » d'internes effectuera ses stages au cours de l'année scolaire 2026-2027. Il nous faut donc redoubler de vigilance pour faire respecter la volonté du législateur, et veiller à ce que les centres hospitaliers universitaires n'aspirent pas ces stagiaires qui ne leur sont pas destinés.
L'article 2 prévoit la création d'un comité de pilotage de l'accès aux soins pour assister le ministère de la santé dans la définition des objectifs prioritaires, du plan d'action national et de ses déclinaisons territoriales de réduction des inégalités territoriales d'accès aux soins. Ce comité serait composé du directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, des directeurs d'administration centrale compétents et des représentants des élus locaux.
L'article 3 met en place un dispositif de régulation de l'installation des médecins dans les zones les mieux dotées. Il dispose que l'installation d'un médecin généraliste dans une zone dans laquelle le niveau de l'offre de soins est particulièrement élevé est préalablement autorisée par le directeur général de l'ARS, après avis du conseil départemental de l'ordre des médecins. Cette autorisation est conditionnée à un engagement du médecin généraliste à exercer à temps partiel dans une zone caractérisée par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés d'accès aux soins. Afin de faciliter la mise en oeuvre de cette nouvelle obligation, l'article 4 du texte simplifie l'exercice dans un cabinet secondaire.
J'estime que ce dispositif est particulièrement opportun, parce qu'il fait de la régulation de l'installation des médecins dans les zones les mieux dotées un outil ayant des effets directs et immédiats en faveur de l'accès aux soins dans les zones les moins bien dotées.
Le texte prévoit également de soumettre les médecins spécialistes au principe « une arrivée pour un départ » dans les zones les mieux dotées.
Avec ces mesures, les médecins ne seraient plus l'exception qui confirme la règle : comme l'ensemble des autres professions de santé, leur répartition sur le territoire ferait l'objet d'un dispositif de régulation.
Je suis particulièrement favorable à cet article, qui permettrait d'amorcer une diminution des inégalités territoriales d'accès aux soins à court et moyen terme et de jeter aussi, je l'espère, les bases de mécanismes plus ambitieux, sur le modèle du dispositif de « planification des besoins » en vigueur en Allemagne. On pourrait envisager d'appliquer de tels mécanismes lorsque la France aura retrouvé un nombre de praticiens plus élevé, dans les décennies à venir.
L'article 5 confie à la convention nationale conclue entre les représentants des médecins et l'assurance maladie la mission de fixer des tarifs spécifiques pour les actes médicaux réalisés en zones sous-denses, afin d'inciter les médecins à s'y installer. Si le médecin fait le choix d'appliquer ces tarifs, le surcoût serait assumé à 70 % par l'assurance maladie et à 30 % par les complémentaires de santé ou, le cas échéant, par les patients.
L'article 6 vise à faciliter le remplacement des médecins, des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes exerçant leur activité en libéral lorsqu'ils s'absentent pour concourir à l'accès aux soins en zone sous-dense, afin de leur offrir davantage de souplesse.
L'article 7 permet à titre expérimental aux centres de santé implantés en zones sous-denses de recruter des médecins en CDD dans des conditions dérogeant au droit du travail. Cette mesure devrait notamment profiter aux centres de santé fonctionnant selon le principe d'un relais hebdomadaire de médecins, comme ceux qui sont gérés par Médecins solidaires - certains d'entre vous connaissent cette association dont l'action s'avère particulièrement efficace dans les territoires.
Enfin, les articles 8, 9 et 10 simplifient le processus d'autorisation des praticiens à diplôme hors Union européenne, les fameux Padhue, et prévoient que leur parcours de consolidation des compétences se déroule prioritairement dans les zones sous-denses.
Je salue cette proposition de loi, qui permettra d'apporter une première réponse aux difficultés intolérables que rencontrent nos concitoyens dans leur parcours de soins, et je vous propose d'émettre un avis favorable à son adoption.
Le Gouvernement a pris la décision d'engager sur ce texte la procédure accélérée, apportant ainsi son soutien à cette initiative sénatoriale décisive. J'espère donc qu'à la suite de son examen au Sénat ce texte pourra être inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale dans les meilleurs délais.
Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales. - Je veux tout d'abord vous remercier de votre invitation et saluer la qualité de votre rapport pour avis et des travaux antérieurs de votre commission. Bruno Rojouan et moi-même réfléchissons depuis de longues années à cette question de l'accès aux soins, et je me réjouis de constater que ce travail se concrétise aujourd'hui dans ce texte équilibré de notre collègue Philippe Mouiller.
J'ai toujours considéré l'accès aux soins comme un sujet d'aménagement du territoire, et ce n'est certainement pas un hasard si les deux premiers articles de la proposition de loi traitent de l'évaluation des besoins au plus près des territoires, plus précisément à l'échelle départementale. Les élus locaux, avec la délégation départementale de l'ARS, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) et l'ordre départemental des médecins, pourront avoir une estimation précise des besoins.
Au-delà des zones d'intervention prioritaire ou d'accompagnement complémentaire définies par les ARS, qui définissent des aides conventionnelles, on constate de fortes disparités d'accès aux soins au sein même des bassins de vie identifiés par l'Insee. Seul un dialogue nourri entre les élus locaux et les différents acteurs de la santé permettra d'apprécier finement les besoins du territoire : d'où l'intérêt des offices départementaux et de l'Office national que nous souhaitons mettre en place. L'Observatoire national de la démographie des professions de santé étant trop sous-dimensionné pour permettre une juste évaluation des besoins, il apparaît pertinent de s'appuyer sur l'échelon départemental. L'association des maires et des présidents d'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) et la consultation pour avis des conseils territoriaux de santé permettra également à ses différents membres d'exprimer un avis sur les propositions de l'office départemental.
La mesure concernant l'installation des médecins généralistes reste pour sa part assez faiblement contraignante et équilibrée : l'idée est de leur laisser une forme de liberté d'installation, mais qu'en contrepartie ils viennent donner un coup de main dans les territoires qui présentent un problème d'accès aux soins.
Sur un certain nombre de sujets - remplacements, Padhue, certificats médicaux -, il me semble que des réponses rapides peuvent être apportées. Nous devons réussir à regagner du temps médical, en partant des territoires.
M. Jean-François Longeot, président. - J'ai été rapporteur pour avis des lois Touraine (loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé) et Buzyn (loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé), mais c'est la première fois que j'entends vraiment parler des territoires sur le sujet de l'accès aux soins. Je tenais à vous remercier, madame la rapporteure, de les avoir placés au coeur de votre réflexion.
M. Bruno Rojouan, rapporteur pour avis. - Nos entretiens avec Yannick Neuder semblent confirmer que le ministère de la santé s'est lui aussi approprié ce lien entre accès aux soins et aménagement du territoire. C'est un grand pas qui est franchi !
M. Simon Uzenat. - Nous avons longuement discuté avec le rapporteur, notamment au cours de notre déplacement en Allemagne en octobre 2024 dans le cadre des travaux de la mission d'information sur les inégalités territoriales d'accès aux soins, et sommes d'accord sur le constat. J'ajoute que l'espérance de vie est plus courte dans les territoires ruraux, ce qui est inacceptable.
Si nous partageons aussi son point de vue sur la massification et la territorialisation de la formation, il n'en demeure pas moins que les réponses apportées par le biais de ce texte ne nous semblent pas à la hauteur de l'enjeu - et cette appréciation est dans la droite ligne des débats que nous avions eus lors de l'examen du rapport d'information de novembre dernier, dont vous étiez le rapporteur.
Le chapitre Ier nous laisse pour le moins dubitatifs quant à la cohérence des moyens effectivement déployés pour atteindre les objectifs fixés. Le remplacement d'un observatoire par un office apparaît comme une mesure assez mineure. Plus généralement, si la démographie médicale est évidemment au coeur du sujet de l'accès aux soins, le pilotage de l'action publique en la matière devrait s'appuyer en priorité sur l'identification des besoins de santé des territoires, laquelle doit être la première des préoccupations.
Nous avons par ailleurs le sentiment - c'est plus qu'un sentiment : une véritable circonspection - que le comité de pilotage prévu à l'article 2 fera doublon avec de nombreuses instances existantes. Surtout, de quels moyens disposera-t-il pour atteindre les objectifs fixés à l'échelle territoriale, alors que les collectivités peinent déjà à répondre aux attentes de nos concitoyens ?
Pour ce qui est de la régulation de l'installation, esquissée au chapitre II, le compte, très clairement, n'y est pas. On peut voir dans les cabinets secondaires un progrès par rapport à la situation actuelle, mais ceux-ci ne constituent pas, selon nous, une réponse optimale au problème posé. Il est assez rare en effet de trouver côte à côte un territoire bien doté et un territoire désertifié. Cette mesure pose aussi des problèmes opérationnels du point de vue du suivi des patients : les habitants des territoires ruraux ont eux aussi droit à des médecins à temps complet !
Vous ouvrez la porte à une régulation de l'installation des médecins spécialistes, mais pourquoi ne pas étendre ce dispositif aux médecins généralistes ? En la matière, nous avons un désaccord de fond. Selon vous, on ne peut pas réguler en raison de la pénurie. Nous pensons au contraire que la pénurie justifie d'introduire une régulation dès maintenant pour limiter les déséquilibres entre les territoires.
Nous sommes conscients que les évolutions doivent se faire en concertation avec les professionnels de santé, dont certains sont très volontaires et même exemplaires, mais nous ne pouvons pas laisser toute la place aux partisans du statu quo, qui se présentent comme des auto-entrepreneurs en matière de santé alors que leurs études et leurs moyens d'exercice ont été en grande partie financés avec de l'argent public. La puissance publique me semble dès lors en droit de se montrer beaucoup plus volontariste dans les engagements qu'elle exige de leur part en leur appliquant une forme, toute relative, de coercition.
En définitive, nous avons mis en avant certaines convergences, mais ce texte nous semble encore très loin du compte ; nous nous abstiendrons donc.
M. Ronan Dantec. - Fort de mon expérience au sein de cette commission, je veux insister sur la véritable avancée que représente ce texte : nous commençons à briser un tabou en faisant peser un peu - c'est un début ! - de coercition sur l'installation des médecins, et notamment des spécialistes.
Lorsque, dans le passé, quelques timides tentatives d'amendements ont été faites en ce sens, notamment par Hervé Maurey, président de la commission de l'époque, on a assisté à des mobilisations étonnantes, dans l'hémicycle, contre toute idée d'installation encadrée. Cette fois, je crois comprendre que la proposition de loi de notre collègue Philippe Mouiller a de fortes chances de prospérer : c'est une nouveauté dans l'histoire du Sénat. Il faut le souligner quand les choses vont dans le bon sens, ce qui n'arrive pas tous les jours !
Je ne vais pas répéter ce qu'a dit Simon Uzenat sur les faiblesses de ce texte, qui expliquent notre position : nous nous abstiendrons.
Je note tout de même qu'il existe sur le même sujet une autre proposition de loi, celle du député Guillaume Garot. Comment, au bout du compte, les choses vont-elles converger ? Y aurait-il une compétition, pleine de sous-entendus politiques, entre ces deux textes ? Le cas échéant, nous perdrions beaucoup de temps d'un point de vue opérationnel ; mais nous sommes capables, me semble-t-il, de dessiner un compromis ou un consensus autour duquel chacun pourrait se retrouver. Je suis preneur des éclaircissements des rapporteurs sur ce point.
Par ailleurs, il faut tenir compte des mobilisations des internes qui ont eu lieu ces derniers jours contre toute idée de coercition. Les internes en médecine considèrent qu'ils font des études trop longues et trop difficiles pour qu'ensuite on leur impose quoi que ce soit. Ils insistent sur un élément qui me semble important : la question du numerus clausus, qui existe toujours via le nombre de places disponibles.
Quid, à cet égard, du plan d'urgence d'augmentation du nombre de places en formation ? Qui paie ? Faut-il par exemple demander aux régions de participer au financement de places supplémentaires, afin de donner une véritable réponse au problème de la démographie médicale d'ici à dix ans ? Il n'est peut-être pas trop tard pour répondre, dans cette proposition de loi, à cette demande des internes. Et je suis d'avis que nous intégrions d'emblée dans la loi des éléments qui permettraient d'aller très vite pour augmenter le nombre de places en formation et financer cette augmentation. Tant que nous ne jouerons pas sur la formation et sur la démographie, les mêmes causes produiront les mêmes effets et nous resterons à la périphérie du problème principal que nous avons à traiter, qui est que l'on ne forme plus assez de médecins, et ce depuis les années 1980.
M. Rémy Pointereau. - J'adresse toutes mes félicitations aux rapporteurs, Bruno Rojouan et Corinne Imbert, pour cet excellent travail.
Le problème de la désertification médicale relève bien de l'aménagement du territoire. D'ailleurs, comme un certain nombre d'entre nous, j'avais cosigné le rapport d'information du groupe de travail sur les déserts médicaux déposé en 2020 par Hervé Maurey et Jean-François Longeot au nom de notre commission. À l'époque, l'idée d'une obligation d'installation dans les territoires sous-dotés avait soulevé un tollé pour son caractère coercitif.
On constate aussi que l'aspect financier du problème crée une compétition entre les collectivités : c'est à qui va donner le plus - bâtiment, secrétariat, aides en tout genre - et cela ne résout pas le problème, d'autant que, pour les médecins, ce soutien n'est pas nécessairement un facteur déterminant, quoique les zones France ruralités revitalisation (ZFRR) leur offrent des conditions financières tout à fait appréciables.
Les propositions qui nous sont soumises me paraissent intéressantes, mais obliger les médecins des zones surdotées à aller passer une ou deux journées par mois en zone sous-dotée, cela va-t-il vraiment débloquer la situation ? Si un médecin doit faire 100 kilomètres pour se rendre dans un cabinet secondaire, je doute que l'on puisse résoudre ainsi le problème de la désertification.
Pour ce qui est du conventionnement des médecins, le groupe de travail sur les déserts médicaux, dont j'étais membre, avait émis l'idée d'un conventionnement sélectif : on pourrait envisager de ne pas conventionner les médecins qui s'installent en zone surdotée à moins qu'ils n'y remplacent un départ. Voilà qui pourrait inciter les médecins à s'installer en zone sous-dotée. Y a-t-il là une piste que vous avez étudiée, monsieur le rapporteur ?
Le numerus clausus, qu'a évoqué Ronan Dantec, n'est pas un problème aujourd'hui : le problème est qu'il n'y a pas assez de formateurs, de maîtres de stage. À cet égard, nous sommes bloqués. Je pense au cas de la faculté de médecine de Tours : nous manquons de professeurs pour encadrer les internes.
M. Ronan Dantec. - Nous sommes d'accord.
Mme Christine Herzog. - Bravo aux deux rapporteurs pour ce travail.
Ma première question porte sur l'article 1er : n'y a-t-il pas un risque de doublon à créer à la fois des offices départementaux d'évaluation de la démographie des professions de santé et un office national exerçant les mêmes compétences, à savoir recenser les besoins de santé sur le territoire ? Quelle serait l'utilité réelle de cet office national à l'heure où toutes les pistes d'économies budgétaires doivent être envisagées ?
Ma deuxième question porte sur l'article 5 : un garde-fou est-il prévu contre les dépassements d'honoraires très élevés que des médecins installés en zone rurale sous-dense pourraient pratiquer ? Les tarifs de consultation doivent rester accessibles à la bourse du citoyen moyen vivant en ruralité.
M. Alexandre Basquin. - Nous sommes tous d'accord sur le constat : je n'y reviens pas.
On note, sur cette question de la lutte contre la désertification médicale, une saine émulation entre les deux chambres, mais il ne faudrait pas qu'elle devienne une concurrence entre les textes.
La possibilité du dépassement d'honoraires dans les zones sous-denses me dérange vraiment. J'y vois une double peine : il ne faudrait pas que l'écoute d'un territoire se change aussitôt en mépris pour ce territoire. Les habitants des territoires ruraux méritent mieux que de devoir être soignés à grand renfort de dépassements d'honoraires ! Dans le rapport d'information sur les déserts médicaux présenté au mois de novembre dernier par notre collègue Bruno Rojouan, cette question n'apparaît nulle part. Je regrette donc que cette disposition figure dans la présente proposition de loi : je voterai contre.
M. Clément Pernot. - Je m'associe aux félicitations adressées aux deux rapporteurs.
J'ai reçu mercredi dernier un groupe de jeunes internes dont j'ai recueilli le témoignage. Ils m'ont dit avoir du mal à comprendre les différentes initiatives législatives qui sont prises en ce moment même sur le sujet des déserts médicaux. De manière générale, ils ont l'impression de ne pas être considérés comme ils devraient l'être, alors même que les médecins deviennent rares : il faut les chérir plutôt que les agresser.
On oppose aux jeunes médecins que c'est l'État qui paie leurs études ; mais tel est le cas pour tous ceux qui, comme moi, sont passés par l'université : il faut donc savoir mesure garder. Les médecins sont en colère, ils l'ont montré en manifestant mardi dernier : j'en appelle à la vigilance sur le vocabulaire utilisé pour évoquer leur situation.
Ils apportent des solutions, car ils ont bien sûr conscience du problème : il n'y a pas assez de confiture sur la tartine ! On aura beau l'étaler d'une manière ou d'une autre, il en manquera toujours, car la tartine est trop grande par rapport au pot de confiture.
Ils nous poussent à envisager des mesures qui permettraient d'augmenter le temps médical.
Ils parlent de régionalisation des formations : ils ont raison. Une jeune femme, parmi les internes que j'ai reçus, venait de Marseille ; elle est interne à Besançon, mais retournera chez elle dès la fin de sa formation. Il faut donc s'interroger sur le cadrage géographique des formations médicales.
Il convient aussi d'éviter la confusion des textes : entre la proposition de loi Garot et la présente proposition de loi, il y a de sérieux écarts. Comment le parcours législatif de ces textes va-t-il s'organiser ? Il va falloir communiquer avec précaution, car nos interlocuteurs sont en train de tout confondre. « J'espère que vous n'allez pas voter la proposition de loi Garot », m'a-t-on dit ! J'ai répondu que c'est d'un autre texte que nous sommes saisis, mais les choses sont loin d'être claires pour tout le monde.
Il faut vraiment se tourner vers les jeunes internes : je pensais faire face à quelques excités, et j'ai été surpris de rencontrer des gens très constructifs, prêts à envisager des pistes nouvelles, qui méritent d'être entendues.
M. Hervé Gillé. - Ce texte ajoute de la complexité là où c'est la simplicité qui est recherchée - je pense notamment à la disposition relative aux offices départementaux. Je rappelle ainsi que l'article 119 de la loi 3DS (loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale) allait dans le sens de ce qui nous est ici proposé, mais que le décret d'application de cet article n'a jamais été pris. Confortons les lois existantes au lieu de tout réinventer !
Je veux insister également sur la planification et la gouvernance territoriales. Il y est fait référence via la mention des conseils territoriaux de santé, qui regroupent l'ensemble des acteurs de santé sur un territoire, mais le périmètre desdits conseils ne correspond pas nécessairement à celui des contrats locaux de santé. Il y a parfois une forme de confusion entre différentes logiques et différentes parties prenantes, qui engendre une certaine complexité : il faut rationaliser l'approche pour davantage d'efficacité. Or ce sujet de la gouvernance n'est pas suffisamment clarifié dans la présente proposition de loi. L'articulation avec les régions, qui ont aussi des compétences en matière de formation, est cruciale, même si l'approche départementale peut être pertinente.
Un autre élément fait défaut, qui a trait à la montée en puissance des compétences des professionnels de santé : c'est la question de la formation professionnelle. Les infirmières en pratique avancée, par exemple, doivent s'inscrire dans des cursus, qui n'entrent pas dans une logique de formation professionnelle assortie d'unités de valeur. C'est dommage : il y a là un manque de reconnaissance des acquis de l'expérience et de la formation professionnelle continue. Il faut développer les compétences et mieux les articuler en fonction des besoins identifiés sur les territoires.
M. Bruno Rojouan, rapporteur pour avis. - Un rappel, tout d'abord : nous sommes la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, ce qui veut dire que, sur les textes relevant du domaine de la santé, nous n'avons pas la compétence de fond. C'est la commission des affaires sociales, j'y insiste, qui par définition a la compétence sectorielle dans ce domaine-là.
Si, pendant des années, nous n'avons pu mener à bien un réel rapprochement entre les approches respectives de nos deux commissions, c'est parce que chacun restait un peu dans son camp : les tentatives que nous faisions n'avaient pas d'écho. Cette fois, la commission des affaires sociales, sous la houlette de son président Philippe Mouiller, a fait de grands pas vers nous, et nous avons fait des pas vers elle.
Certains d'entre vous pensent que le dispositif proposé est trop complexe, mais c'est le sujet même de l'accès aux soins qui est d'une extrême complexité : il n'y a rien de simple dans ce problème.
Je précise par ailleurs que la situation va complètement évoluer dans les dix ou vingt prochaines années. Cette proposition de loi ne grave donc rien dans le marbre. Il s'agit de franchir une étape, car nous sommes entrés, du point de vue de l'évolution du nombre de médecins en France, dans la période la plus difficile : jusqu'en 2028-2029, ce nombre va chuter, avant d'augmenter à nouveau, avec la fin du numerus clausus. Il a été question du numerus apertus ; certains pensent qu'il faudrait que tout numerus disparaisse, et je crois savoir que cette orientation n'est pas sans rencontrer quelque écho, du côté de la commission des affaires sociales comme du ministre de la santé et de l'accès aux soins. Il s'agirait de recruter en fonction des besoins, qu'il convient donc de déterminer.
Je dis un mot de la structuration de la politique de santé par un comité de pilotage de l'accès aux soins : l'idée est de donner davantage de place, dans ce processus, à la représentation des élus locaux, en y faisant entrer les conseils départementaux. En effet, si la plupart des conseils départementaux ont déjà mis en place des politiques d'encouragement à l'installation, reste qu'ils ne sont pas décideurs. Qu'ils aient un regard sur la politique d'accès aux soins et une part dans l'évaluation des besoins sur chaque territoire, c'est intéressant : il faut que les élus locaux reprennent pour partie la main en matière d'installation des médecins, généralistes comme spécialistes.
Quant aux zonages, nous pouvons en discuter. Dans mon département, qui est particulièrement défavorisé, il existe des enclaves favorisées, parfois éloignées de 10 kilomètres à peine de zones fortement sous-denses. Demander à un médecin installé dans une zone favorisée d'exercer une journée par semaine ou par mois - c'est à déterminer - dans une zone défavorisée me paraît légitime. Le Premier ministre a parlé de deux jours par mois, cela me paraît insuffisant.
Un certain nombre de maisons de santé ont aujourd'hui des bureaux disponibles : des médecins qui y exerçaient sont partis à la retraite sans être remplacés. S'agissant de demander à un médecin généraliste de se rendre dans un cabinet secondaire situé à 10 kilomètres de son cabinet principal, il ne faut pas hésiter !
Le Conseil de l'ordre des médecins considère qu'une telle mesure compromettrait la continuité des soins pour les patients ; or c'est faux : dans bien des endroits, les médecins changent chaque semaine, mais les patients restent fidèles à leur lieu de consultation, et à cet égard les systèmes modernes de communication sont évidemment d'une grande aide.
Ce que nous proposons percute sans doute un certain nombre d'habitudes, mais il y a là, pour les territoires, des avancées incontestables.
J'en viens au principe « une arrivée pour un départ » qui régirait le conventionnement des médecins dans les zones surdotées. Ce principe revient à dire à un spécialiste qu'il ne pourra être conventionné si son arrivée ne vient pas combler un départ, mais des dérogations sont prévues. Nous avons en effet constaté que les territoires favorisés étaient souvent aussi des territoires où la population augmente ou vieillit. Nous ne fermons donc la porte à aucune dérogation : l'ARS pourra lever les blocages éventuels.
Christine Herzog et Alexandre Basquin ont évoqué les dépassements d'honoraires. Or il est question non pas de dépassements d'honoraires, mais de tarifs spécifiques pris en charge à 70 % par l'assurance maladie, le reste étant couvert, le cas échéant, par la complémentaire santé. Le dépassement d'honoraires, c'est autre chose : le patient le paie de sa poche. Cette idée n'est pas un dogme : c'est un élément supplémentaire d'incitation à l'installation des médecins en territoire sous-doté.
Les internes, notre collègue rapporteure de la commission des affaires sociales, Corinne Imbert les reçoit très souvent, et j'ai eu moi-même l'occasion de les rencontrer. Nous comprenons leur position, mais il leur arrive de pousser le bouchon un peu loin. Les pancartes que certains brandissent - « bac+ 12, pas pour finir à Mulhouse » - sont exagérées. Ils disent ne pas vouloir s'installer dans des territoires où il n'y a rien du tout, pas de crèche, pas d'école, pas de théâtre, alors que les zones dont il est question, qui sont sous-denses médicalement parlant, ne sont pas nécessairement sous-dotées par ailleurs.
Apprenons à nous méfier de l'expression « désert médical » : les jeunes et le milieu universitaire n'en retiennent que le mot « désert » ; pour eux, c'est la cambrousse, la jungle. Il nous faut donc démontrer qu'il existe des carences médicales dans des territoires qui sont bien dotés en équipements de toutes sortes.
Le temps médical est un élément très important. S'agissant de gagner du temps médical, la plus belle des avancées, ce sont les assistants médicaux. Près de 7 000 ont déjà été recrutés depuis 2019 : l'objectif d'en déployer 10 000 pourrait donc être bientôt atteint ; ceux-ci sont pris en charge quasi intégralement par l'assurance maladie l'année de leur recrutement, et partiellement les années suivantes. Il faut continuer de travailler dans ce sens. D'où l'intérêt de supprimer l'inutile, à commencer par les demandes de certificats médicaux dans le cadre des activités sportives par exemple, qui prennent du temps de consultation sans servir à grand-chose du point de vue du soin.
Je réponds à Simon Uzenat : l'idéal serait en effet une régulation sur l'ensemble du territoire, mais on ne peut réguler que ce que l'on a en quantité. C'est quand on dispose de suffisamment de médecins que l'on peut réguler les installations.
Cette proposition de loi est malgré tout une avancée : on touche à l'installation des médecins sur les territoires bien dotés, afin de les envoyer - c'est l'objectif - vers les territoires moins bien dotés. Ce texte est un compromis entre la commission des affaires sociales, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, le Gouvernement et le milieu médical. Et je précise qu'on ne saurait agir, en la matière, contre le milieu médical, qui a des arguments que nous pouvons pour partie entendre.
D'une manière générale, je prends tout ce qui permet d'avancer de quelques pas en ce domaine. Nous verrons ce que donneront par exemple les mesures relatives à la formation ou à l'accélération de l'autorisation d'exercice des Padhue. Et viendra un moment où nous aurons - où d'autres après nous auront - à remettre l'ouvrage sur le métier.
Prenons ce qu'il y a de bon dans ce texte !
M. Jean-François Longeot, président. - Ce problème récurrent est évoqué depuis des années. Il perturbe nos territoires et émerge comme central à chaque campagne présidentielle.
Les mesures ici proposées sont peut-être de petites avancées, mais elles sont utiles. Nous ne les avons pas sorties de notre chapeau : elles sont issues d'un compromis noué avec l'ordre des médecins, avec les jeunes médecins notamment, mais aussi entre les médecins, le Gouvernement et nos deux commissions.
Je vous remercie, mes chers collègues, de reconnaître ces avancées, s'agissant d'un sujet particulièrement essentiel car vital pour tous les Français.
M. Ronan Dantec. - Puisqu'il est question de compromis - il en faut un, c'est vrai -, un compromis est-il recherché avec l'Assemblée nationale et avec la proposition de loi Garot, qui est en quelque sorte le point aveugle de notre débat ?
M. Bruno Rojouan, rapporteur pour avis. - La réponse est non.
Nous avons obtenu une forme de validation gouvernementale puisque la procédure accélérée a été engagée sur la proposition de loi que nous examinons : le travail du Sénat a donc de grandes chances d'aboutir.
EXAMEN DE L'ARTICLE
M. Bruno Rojouan, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-45, identique à l'amendement COM-4 de la rapporteure de la commission des affaires sociales, porte sur le rôle et la composition des offices départementaux d'évaluation de la démographie des professions de santé.
Il renforce le rôle de ces offices départementaux dans la détermination des zones sous-denses en prévoyant que le directeur de l'agence régionale de santé détermine ces zones après avis conforme des offices départementaux concernés.
Il prévoit également que ce zonage est révisé tous les ans, et non tous les deux ans comme le prévoit actuellement l'article L. 1434-4 du code de la santé publique, afin d'en assurer la pertinence et l'actualité au regard des besoins des territoires.
Il indique que les représentants des communes et de leurs groupements sont associés aux offices départementaux d'évaluation de la démographie des professions de santé. Il assure ainsi une meilleure représentation des collectivités territoriales.
L'amendement COM-45 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption de la proposition de loi, sous réserve de l'adoption de son amendement.