EXAMEN DES ARTICLES
Article 10
Facilitation des opérations de
résorption de l'habitat informel
Cet article vise à faciliter les opérations de résorption de l'habitat informel en proposant une application particulière à Mayotte du dispositif actuellement prévu par l'article 11-1 de la loi dite « Letchimy » de 2011.
Il s'agit :
- de réduire le délai d'exécution volontaire de l'ordre d'évacuation de bidonvilles en raison de risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques, d'un mois à quinze jours ;
- dans le même cas, de lever l'obligation préalable pour l'État de proposer un relogement ou un hébergement d'urgence ;
- d'élargir, au-delà des seuls officiers de police judiciaire, le champ des agents pouvant constater l'installation sans droit ni titre en vue de préparer une opération de « flagrance » ;
- de porter de quatre-vingt-seize heures à sept jours le délai de « flagrance » durant lequel la construction d'un local ou d'une installation sans droit ni titre peut être constatée dans un secteur d'habitat informel ;
- de prévoir le cas dans lequel les locaux qu'il est ordonné de démolir dans le cadre d'un arrêté de « flagrance » sont occupés, en fixant à quinze jours leur délai d'évacuation.
La commission partage l'objectif poursuivi par le Gouvernement. Elle a souhaité enrichir et sécuriser juridiquement le dispositif proposé, en adoptant trois amendements proposés par le rapporteur :
- un amendement rédactionnel ;
- un amendement visant à circonscrire dans le temps et conditionner à la prise en compte des circonstances locales la possibilité de ne pas proposer de relogement ou d'hébergement d'urgence aux personnes à évacuer ;
- un amendement visant à encadrer davantage l'exercice du recours juridictionnel suspensif afin d'accélérer l'exécution des opérations de résorption.
La commission a proposé à la commission des lois d'adopter l'article 10 ainsi modifié.
I. La situation actuelle - L'habitat informel à Mayotte est un phénomène complexe et systémique que l'État peine à résorber avec les outils juridiques existants
A. L'habitat informel, toujours en expansion à Mayotte, pose de graves difficultés d'ordres sanitaire, sécuritaire, environnemental et d'aménagement
Mayotte est confrontée à une expansion de l'habitat informel, dans un contexte migratoire sans comparaison avec l'Hexagone et les autres territoires ultramarins. Selon l'Insee en 2019, les cases en tôle représentaient 38 % du parc de logements et logeraient deux tiers des étrangers à Mayotte. Ces constructions sont en forte expansion : elles ne représentaient que 14 % du parc en 1997. En 2022, Mayotte comptait 22 369 habitations de fortune, majoritairement composées de tôles tandis qu'environ 100 000 personnes vivaient dans les bidonvilles avant le passage du cyclone Chido en décembre 2024.
La population de cet habitat informel vit dans des conditions extrêmement précaires en termes de santé et de salubrité. D'après la mission interministérielle d'évaluation des dommages et des besoins suite aux dégâts causés par le cyclone Chido, les trois quarts de l'habitat avant le cyclone étaient insalubres. D'après l'Insee, en 2019, 29 % de la population à Mayotte étaient privés d'accès à l'eau courante. L'absence d'infrastructures d'assainissement a des conséquences sanitaires alarmantes pour la population : selon l'ARS, les épidémies de choléra, typhoïde, hépatite A et poliomyélite liées aux conditions d'habitation sont sources de 10 % des passages aux urgences du centre hospitalier de Mayotte.
L'habitat informel expose également les habitants à des risques naturels et renforce la vulnérabilité de l'archipel. Les logements qui ne sont pas construits « en dur » à Mayotte le sont majoritairement sans fondation, après un terrassement sommaire et avec des matériaux légers de mauvaise qualité, sur des terrains non constructibles, non viabilisés, soumis à des risques naturels1(*) et souvent à forte pente. L'ARS indique que 90 % de l'habitat à Mayotte se situe en zone à risque, dont la moitié en secteur d'aléa fort. Or, ces constructions précaires sont particulièrement vulnérables aux risques naturels - mouvements de terrain, sismicité, submersion, inondations, recul du trait de côte, etc. L'absence d'assainissement en raison de l'habitat informel participe en outre de la dégradation environnementale des écosystèmes fluviaux et du lagon, par l'arrivée d'eau polluée via les phénomènes de ruissellement ou de déversement qui altèrent la qualité de l'eau et exacerbent la vulnérabilité de l'île aux pathologies hydriques et aux pollutions diffuses, en particulier des zones naturelles sensibles telles que les mangroves ou le récif corallien.
L'habitat informel est également à l'origine de graves troubles à l'ordre public tels que des rixes voire des drames humains, qui justifient d'autant plus la nécessité d'enrayer ce phénomène.
Enfin, l'habitat informel freine les politiques foncières en neutralisant les terrains potentiellement constructibles. Cela entraîne un cercle vicieux : la prolifération de l'habitat informel est aggravée par la pénurie de logements abordables, tandis que la production de ces derniers est à son tour entravée par la présence de poches d'habitat informel sur les terrains.
Cet habitat informel, massivement détruit par le passage du cyclone Chido, a été quasiment intégralement reconstruit. Selon la mission interministérielle précitée, les habitats précaires ont été sévèrement touchés de même que ceux en tôles et les toitures en dur avec des destructions complètes tandis que selon la préfecture, les plus de 90 % des habitats informels détruits par le cyclone ont été quasi intégralement reconstruits.
B. Des outils spécifiques de résorption des bidonvilles ont été introduits et renforcés depuis 2011
1. La loi dite « Letchimy » a adapté les outils de police administrative aux spécificités ultramarines et introduit une définition de l'habitat informel
Le droit commun de la protection de la propriété privée permet à tout propriétaire d'agir devant les juridictions judiciaires en expulsion des occupants irréguliers de son immeuble2(*). Le préfet de département et le maire disposent en outre de prérogatives de police administrative leur permettant de prendre un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l'insalubrité d'un immeuble, local ou installation3(*).
Dès 2009, le rapport d'une mission4(*) menée par Serge Letchimy constate que les modes de résorption de l'habitat indigne sont peu adaptés aux réalités ultramarines. La loi dite « Letchimy »5(*) de 2011 en a tiré certaines conséquences, notamment en tenant compte, dans les arrêtés de traitement de l'insalubrité et de péril, de la dissociation entre la propriété du terrain et celle du bâti édifié dessus, particulièrement fréquente dans les territoires ultramarins. Son article 7 a en outre défini l'habitat informel et introduit un repérage de l'habitat indigne au sein des plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD).
2. La loi dite « Élan » a introduit deux dispositifs spécifiques à Mayotte et à la Guyane pour tenir compte du développement de l'habitat informel dans ces territoires
Dès 2018, le Gouvernement constate que les outils introduits par la loi de 2011 ne sont pas suffisants : s'ils sont adaptés pour résorber les poches d'habitat informel résiduel aux Antilles ou à La Réunion, ils ne le sont pas pour enrayer la prolifération des bidonvilles à Mayotte ou en Guyane.
L'article 197 de la loi dite « Élan »6(*) a donc introduit un cadre spécifique d'intervention administrative visant à permettre, spécifiquement en Guyane et à Mayotte, une action renforcée du préfet en matière d'évacuation et de démolition des bidonvilles.
Il s'agit d'un régime de police administrative dérogatoire reposant sur deux outils7(*) : l'un visant à évacuer les habitants et démolir les constructions dans les zones préexistantes de bangas insalubres ou dangereux ; l'autre visant à démolir les locaux ou installations édifiés sans droit ni titre dès leur construction, afin de limiter l'expansion de l'habitat informel.
Le premier outil, prévu par le I de l'article 11-1 de la loi dite « Letchimy », est utilisable lorsque les constructions sont édifiées sans droit ni titre et constituent un habitat informel au sens de la définition introduites par la loi de 2011, forment un ensemble homogène sur un ou plusieurs terrains d'assiette et présentent des risques graves pour la sécurité, la tranquillité ou la salubrité publiques.
Dans ce cas, le préfet peut, par arrêté, ordonner aux occupants d'évacuer les lieux et aux propriétaires de procéder ensuite à leur démolition. L'arrêté du préfet doit être accompagné d'un rapport motivé établi par les services chargés de l'hygiène et de la sécurité placés sous son autorité, ainsi que d'une proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence adaptée à chaque occupant. Il précise en outre le délai accordé pour évacuer et démolir les locaux, qui ne peut être inférieur à un mois.
Contrairement au cadre issu de la loi de 2011, ne sont requis ni l'existence d'un projet d'aménagement et d'assainissement, ni l'avis du CODERST ni, enfin et surtout, l'ordonnance du juge des référés pour l'exécution d'office.
Le second outil introduit au II de l'article 11-1 de la loi dite « Letchimy », est une procédure plus courte, dite de « flagrance », permettant au préfet d'interrompre les travaux de construction d'un habitat informel - encore inoccupé - en ordonnant sa démolition. Lorsqu'un officier de police judiciaire constate qu'un local ou qu'une installation est en cours d'édification sans droit ni titre dans un secteur d'habitat informel, le préfet peut, par arrêté, ordonner au propriétaire de procéder à sa démolition dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l'acte.
Dans les deux cas, les ordres d'évacuation et de démolition ne peuvent faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration des délais accordés pour y procéder volontairement ni avant que le tribunal administratif n'ait statué, s'il a été saisi d'un recours en référé par le propriétaire ou l'occupant dans le délai d'exécution volontaire d'un mois.
3. La loi « Habitat dégradé » a étendu le « délai de flagrance »
En 2023, selon la préfecture de Mayotte, seules 37 démolitions avaient été effectuées sur le fondement du II de l'article 11-1 de la loi de 2011, en raison de contournements de la loi qui ont rapidement été mis en place : les constructions avaient principalement lieu en toute fin de semaine et le week-end, au moment où la surveillance des services de police était moindre, voire quasi-absente, rendant inopérant le « délai de flagrance » de 24 heures.
Afin de pallier ces contournements, l'article 15 de la loi dite « Habitat dégradé »8(*) a remplacé ce délai de flagrance, applicable aux constructions « en cours d'édification », par un délai de 96 heures à compter de l'édification d'une installation.
C. Ces dispositifs demeurent insuffisants pour résorber ce phénomène endémique d'habitat informel
La faiblesse des moyens des services de l'État (1) conjuguée à une offre de logements et d'hébergements d'urgence structurellement déficitaire (2) limitent la capacité à enrayer la prolifération de l'habitat informel (3).
1. Les moyens de l'État à Mayotte, déjà en tension, ont été mis à rude épreuve par le cyclone Chido
Une évaluation conduite en 2022 par la DGOM sur la mise en oeuvre de la loi dite « Letchimy » a souligné plusieurs difficultés d'application : méconnaissance du corpus législatif et règlementaire existant malgré les formations et guides développés, déficit d'ingénierie et de moyens notamment en raison de difficultés de recrutement de profils compétents, faible application des pouvoirs de police de l'urbanisme ou de mise en sécurité par les élus, moyens limités des agences régionales de santé (ARS) sur l'insalubrité.
Selon la direction générale des outre-mer, un effort de recrutement de profils spécialisés a été mené depuis 2021, avec notamment la mise en place d'une « task force » constituée d'une équipe rapprochée d'agents de l'État, du secteur parapublic (comme Électricité de Mayotte ou la Société mahoraise des eaux), des partenaires associatifs et d'entreprises du bâtiment oeuvrant à l'identification des zones faisant l'objet d'un périmètre d'évacuation et de démolitions. En 2023, la réserve sanitaire de l'ARS a également été mobilisée pour accompagner la lutte contre l'habitat informel à la rédaction de rapports d'insalubrité annexés aux arrêtés préfectoraux.
Néanmoins, le cyclone Chido et la tempête Dikeledi qui l'a suivi ont fortement mis à l'épreuve les services de l'État et des collectivités depuis décembre 2024.
La direction générale des outre-mer a indiqué au rapporteur que la méconnaissance par les agents et les élus des outils juridiques à leur disposition et les difficultés à recruter des profils compétents demeurent des obstacles à la pleine mise en oeuvre de la loi dite « Letchimy ».
2. L'offre de logements et d'hébergement d'urgence est en outre en déficit structurel à Mayotte.
Selon l'étude d'impact du projet de loi, le parc social avant le cyclone Chido se composait de 962 logements locatifs « très » sociaux (équivalent PLAI), 363 logements locatifs sociaux (équivalent « PLUS »), 25 logements financés par le prêt locatif social et 1 467 autres logements appartenant à des bailleurs sociaux.
S'agissant du parc d'hébergement d'urgence, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) estime qu'il comptait 1 241 places au 31 mars 2025. Malgré une augmentation de 756 % entre décembre 2017 et décembre 2024, faisant de Mayotte le département connaissant la plus forte progression sur le territoire national, le taux d'occupation de ce parc est de 130 % en 2023.
À la suite du cyclone Chido, un dispositif d'accueil provisoire sous tentes a été mis en place et financé par l'État avec une capacité prévue de 1 000 places. Entre janvier et février 2025, 400 places ont été créées sur un site situé à proximité du village Étape Fulera géré par Coallia. À ce jour, environ 100 personnes y sont encore hébergées.
3. Des opérations importantes de résorption de l'habitat informel ont eu lieu mais restent limitées face à l'ampleur du phénomène
Selon les données remontées par la préfecture de Mayotte, la quasi-totalité des opérations de résorption de l'habitat informel sont prises sur le fondement du I de l'article 11-1 de la loi dite « Letchimy » (évacuation en raison de risques sanitaires, liés à la sécurité ou à la tranquillité publiques).
En 2023, 11 opérations ont été réalisées pour 701 constructions démolies et 512 occupants hébergés. En 2024, 8 opérations ont été réalisées pour 902 constructions démolies et 184 occupants hébergés, des chiffres qu'il convient de mettre au regard des 100 000 personnes qui vivaient dans un habitat informel avant le cyclone Chido.
Selon la Dihal, ces opérations ont concerné 629 ménages en 2023 et 2024, soit environ 3 000 personnes.
Ces arrêtés d'évacuation sont généralement justifiés par un projet d'aménagement collectif sur les emprises concernées, par des troubles à l'ordre public ou des foyers de délinquance ou par des risques pour les personnes liés à la dangerosité du site.
Sur le fondement du II de l'article 11-1 de la loi dite « Letchimy » (« flagrance »), davantage d'arrêtés ont été pris mais ils concernent un nombre bien plus restreint de personnes. Une dizaine d'opérations ont été conduites en 2023 contre une cinquantaine en 2024. Depuis le début 2025, 8 arrêtés préfectoraux ont été pris au titre du II de l'article 11-1 de la loi dite « Letchimy », soit environ 30 constructions démantelées.
II. Le dispositif envisagé - des assouplissements visant à faciliter les opérations de résorption de l'habitat informel à Mayotte
Cet article prévoit une application particulière à Mayotte des outils prévus à l'article 11-1 de la loi dite « Letchimy » - article actuellement applicable à Mayotte et en Guyane.
Il serait donc créé un nouvel article 11-2 applicable seulement à Mayotte tandis que l'article 11-1 serait réservé à la Guyane. Par rapport à l'actuel article 11-1 de la loi, cet article :
- lève l'obligation préalable pour le préfet d'annexer une proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence à l'arrêté d'évacuation et de démolition, au regard de l'insuffisance de l'hébergement disponible sur le territoire de Mayotte. La rédaction proposée par le Gouvernement indique que l'arrêté d'évacuation précise, « le cas échéant, des propositions de relogement ou d'hébergement d'urgence » ;
- réduit le délai d'exécution volontaire de l'arrêté d'évacuation, d'un mois à quinze jours ;
- porte de 96 heures à sept jours (168 heures) le délai de flagrance durant lequel il peut être constaté par procès-verbal qu'un local ou une installation a été construit sans droit ni titre dans un secteur d'habitat informel ;
- élargit le champ des agents en capacité de dresser les procès-verbaux de constats d'édification des installations sans droit ni titre, en l'étendant, outre les officiers de police judiciaire (qui sont les 17 maires des communes de Mayotte et leurs adjoints9(*) ainsi que les agents de la police nationale ou de la gendarmerie ayant la qualité d'agent de police judiciaire10(*)), aux agents de l'État et des collectivités publiques commissionnés à cette fin par le maire ou le ministre chargé de l'urbanisme, et assermentés. Ces agents devront faire l'objet d'une décision administrative individuelle du maire ou du ministre chargé de l'urbanisme avant de prêter serment devant le tribunal judiciaire ;
- corrige l'absence de prise en compte du cas de l'occupation de l'habitat informel concerné par un arrêté dit de « flagrance » en prévoyant, là aussi, un délai d'évacuation des lieux de quinze jours. En effet, la loi « Habitat dégradé » a permis au préfet d'ordonner la démolition d'un habitat informel non plus « en cours d'édification », mais construit depuis moins de 96 heures sans pour autant fixer un délai d'évacuation des éventuels occupants.
III. La position de la commission - La lutte contre l'habitat informel est une nécessité qui doit mobiliser toutes les politiques publiques
La commission partage l'objectif poursuivi par le Gouvernement d'accélérer la résorption des bidonvilles. Elle a souhaité renforcer les outils à la disposition de l'État pour y parvenir tout en restant attentive au respect du cadre constitutionnel.
Par ailleurs, elle note que le Gouvernement n'a pas fait usage de l'habilitation prévue à l'article 5 de la loi d'urgence pour Mayotte12(*), qui l'autorisait à prendre par voie d'ordonnance des mesures de lutte contre l'habitat informel à Mayotte, pour une durée limitée à deux ans. Au regard de la situation dramatique de Mayotte en matière d'habitat informel, elle salue que des mesures pérennes puissent être examinées par le Parlement dans le cadre du présent projet de loi, dont le calendrier exact n'était pas encore connu lors de l'examen du projet de loi d'urgence.
A. L'assouplissement de l'obligation de relogement ou d'hébergement des personnes à évacuer est une nécessité qu'il convient de sécuriser juridiquement
L'existence d'une proposition de relogement ou d'hébergement des personnes dont l'évacuation est ordonnée est un des critères mentionné par la jurisprudence constitutionnelle pour apprécier la proportionnalité des dispositifs de résorption de l'habitat informel et notamment le caractère équilibré de la conciliation entre d'une part, l'intérêt public lié à l'évacuation et à la démolition de ces installations sans droit ni titre et d'autre part, le maintien du droit à la vie privée et familiale et le droit à la dignité humaine13(*).
En pratique, cette obligation se heurte à Mayotte à une situation de pénurie. Au-delà de la suroccupation chronique du parc d'hébergement (130 %), la Dihal a indiqué au rapporteur que ce dispositif engendre également des places vacantes : les places d'hébergement sont mobilisées dès la prise de l'arrêté ordonnant l'évacuation, tandis que l'opération en elle-même peut avoir lieu plusieurs semaines après. En outre, des personnes ne sont pas présentes sur site au moment de l'opération ou refusent parfois l'orientation vers la solution d'hébergement.
La commission est donc favorable à un assouplissement de cette obligation de relogement ou d'hébergement des personnes évacuées, qui est aujourd'hui matériellement impossible à tenir.
En revanche, la commission est soucieuse de limiter autant que possible le risque de censure par le Conseil constitutionnel de ce dispositif qui est très attendu des élus locaux.
Si le Conseil d'État a estimé que ni la réduction du délai d'exécution volontaire de l'arrêté d'évacuation et de démolition ni l'allongement du délai dit « de flagrance » ne se heurtaient à un obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle, il a indiqué que l'absence possible de relogement ou d'hébergement d'urgence des personnes à évacuer ne pouvait être retenue en l'état.
En effet, selon lui, ces dispositions ne permettent pas d'assurer une « conciliation équilibrée entre la sauvegarde de l'intérêt public et les atteintes à la vie privée et à la dignité humaine ». Se référant à la jurisprudence constitutionnelle récente14(*), le Conseil d'État a notamment rappelé que « l'existence d'une proposition de relogement ou d'hébergement tenant compte de la situation, notamment personnelle et familiale, de la personne évacuée, figure au nombre des garanties à prendre en compte dans l'appréciation du caractère équilibré de la conciliation entre la sauvegarde des intérêts publics qui justifie la mesure d'évacuation forcée et les atteintes à la vie privée et à la dignité humaine qu'elle emporte ».
La commission note que le Gouvernement a choisi de ne pas suivre l'avis du Conseil d'État.
Selon le Conseil d'État, le fait que le Gouvernement ait proposé un dispositif pérenne, qui n'est ni encadré dans le temps ni justifié par des circonstances locales spécifiques ne permet pas d'assurer « une conciliation équilibrée entre la sauvegarde de l'intérêt public et les atteintes à la vie privée et à la dignité humaine ». En effet, le Conseil d'État a déploré que le Gouvernement n'ait pas choisi de donner à cette disposition « le caractère d'une disposition d'exception, qui aurait été fondée sur le constat d'une impossibilité matérielle pour l'État de satisfaire, en l'état actuel du parc de logements ou des possibilités de relogement à Mayotte, et dans tous les cas, à cette obligation, compte tenu de circonstances exceptionnellement difficiles et pour une durée limitée ».
Le rapporteur a proposé à la commission l'adoption d'un amendement visant à tenir compte de ces remarques, en donnant à l'absence possible de proposition de relogement ou d'hébergement un caractère d'exception, tenant compte de circonstances spécifiques, pour une durée limitée. Compte tenu du caractère dramatique de la situation à Mayotte, de l'ampleur de la pénurie de logements et de l'expérience d'autres territoires ultramarins à la suite de catastrophe naturelles, le rapporteur a proposé de circonscrire cette possibilité de dérogation à une durée de dix ans à compter de la survenance du cyclone Chido.
B. La facilitation des opérations de flagrance est bienvenue pour prévenir l'expansion de l'habitat informel
La commission est favorable aux dispositions visant à renforcer les opérations dites « de flagrance » qui sont essentielles pour prévenir l'expansion de l'habitat informel.
Le rapporteur a donc proposé à la commission d'adopter sans modification les mesures visant à :
- porter de 96 heures à sept jours le « délai de flagrance » durant lequel la construction d'un local ou d'une installation sans droit ni titre peut être constatée dans un secteur d'habitat informel : cette mesure s'inscrit dans le prolongement de l'allongement de ce délai déjà porté par le Gouvernement dans le cadre de la loi « Habitat dégradé », que la commission avait accueilli favorablement en séance publique ;
- prévoir le cas de l'occupation des locaux qu'il est ordonné de démolir, en fixant à quinze jours leur délai d'évacuation. Il s'agit de corriger une incohérence découlant de l'allongement du délai de flagrance dans le cadre de la loi « Habitat dégradé » : dès lors que l'ordre de démolition peut concerner non plus un local « en cours d'édification », mais « construit depuis moins de 96 heures », il est possible qu'il soit occupé. Il est donc nécessaire de prévoir son évacuation. Cette évacuation n'est pas justifiée par des risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique et n'est pas assortie d'une proposition de relogement : néanmoins, dans le cas d'un local édifié depuis moins d'une semaine, on peut penser que la vie privée et familiale n'a pas pu s'y développer dans les mêmes conditions que dans le cas d'une construction plus ancienne, en termes d'efforts d'installation, de scolarisation des enfants ou d'activité économique. C'est d'ailleurs ce qu'a relevé le Conseil d'État : « dans la mesure où l'occupation de ces locaux ou installations à des fins d'habitation dans un délai de moins de sept jours, si elle existe, peut être regardée comme étant encore en cours de constitution et eu égard à l'intérêt public qui s'attache à ce que ne soient pas multipliées les installations, devenant ensuite permanentes, d'habitat informel à Mayotte, notamment à la suite des catastrophes naturelles qui ont touché le département à la fin de l'année 2024 et au début de l'année 2025, le Conseil d'État admet que les dispositions du projet de loi opèrent une conciliation équilibrée entre la sauvegarde de l'intérêt public et les atteintes à la vie privée et à la dignité humaine, et ne se heurtent à aucun obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle. » ;
- élargir la liste des agents pouvant constater l'installation sans droit ni titre, au-delà des seuls officiers de police judiciaire (OPJ). En pratique, cela concernera les agents de police municipale. Cette mesure est bienvenue car selon la direction générale des outre-mer, Mayotte compte actuellement 150 OPJ pour la gendarmerie et 104 pour la direction territoriale de la police nationale. Si le plan « Mayotte debout » de décembre 2024 prévoyait déjà un renfort de 10 OPJ et que la préfecture s'appuie sur les maires pour effectuer les constats, les moyens humains dédiés aux opérations de flagrance sont encore insuffisants.
C. La réduction du délai d'évacuation volontaire doit être renforcée grâce à un encadrement du droit au recours suspensif
La commission salue la réduction d'un mois à quinze jours du délai d'exécution volontaire des ordres d'évacuation et de démolition. Cette mesure permettra d'accélérer la mise en oeuvre des opérations de résorption des bidonvilles. En effet, l'exécution d'office de l'ordre d'évacuation ou de démolition ne peut avoir lieu qu'à l'expiration du délai d'exécution volontaire. Sa réduction vise aussi à répondre au sentiment d'inaction voire d'attentisme que peuvent ressentir certains Mahorais face au délai qui s'écoule entre la prise d'un arrêté ordonnant une évacuation et son exécution d'office, délai durant lequel sont parfois constatées de nouvelles installations.
Cette réduction aura également pour effet de réduire le délai imparti au propriétaire ou à l'occupant pour saisir le tribunal administratif d'un recours suspensif contre l'arrêté préfectoral. En effet, conformément au III de l'article 11-1 de la loi dite « Letchimy », l'exécution d'office ne peut avoir lieu avant que le juge des référés ne se soit prononcé, s'il a été saisi d'un recours dirigé contre l'arrêté.
Afin de rendre effective la réduction du délai d'exécution d'office et d'accélérer la mise en oeuvre des opérations, le rapporteur a donc proposé à la commission d'encadrer l'exercice de ce recours suspensif. Il s'agit de prévoir que seul l'exercice d'un référé-liberté sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative dans les délais d'exécution volontaire (soit quinze jours dans le cadre du présent article) permet de suspendre les délais d'exécution d'office avant que le tribunal n'ait statué. En effet, dans le cadre du référé-liberté, le juge statue dans un délai de quarante-huit heures tandis que dans le cadre d'un référé-suspension, il dispose d'un délai pouvant aller jusqu'à trente jours pour statuer.
En effet, si le droit à un recours juridictionnel effectif découle des exigences posées par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, il n'est pas pour autant absolu : le Conseil constitutionnel estime que le législateur peut y apporter des restrictions pourvu qu'elles ne constituent pas des atteintes substantielles15(*).
Bien que le caractère suspensif de ce recours - qui est dérogatoire au droit commun - est une des « conditions et garanties qui entourent la mise en oeuvre des dispositions » de l'article 11-1 de la loi dite « Letchimy » et permet d'assurer une conciliation entre la nécessité de sauvegarder l'ordre public et les atteintes à la vie privée et à la dignité humaine16(*), le Conseil constitutionnel n'exige pas que les personnes intéressées disposent du droit de choisir la procédure la plus adaptée tant que celles-ci disposent bien d'une voie de recours effective.
Or l'exercice d'un référé-liberté est particulièrement adapté dans le cas des obligations d'évacuation et de démolition. Ce recours est subordonné à deux conditions cumulatives : la présence d'une situation d'urgence et l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. A contrario, le référé-suspension, dans lequel le juge dispose d'un délai allant jusqu'à un mois pour statuer, n'est subordonné, outre l'urgence, qu'à un « doute sérieux sur la légalité de la décision ». Les obligations d'évacuation et de démolition touchant au droit au maintien de la vie privée et au droit à la vie familiale normale ainsi qu'à la dignité de la personne humaine, les personnes intéressées sont donc vraisemblablement susceptibles de revendiquer l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et donc à exercer un référé-liberté.
D. Au-delà de l'arsenal juridique, la résorption de l'habitat informel à mayotte nécessite la mobilisation de toutes les politiques publiques
La commission est convaincue que seule une approche systémique pourra permettre d'endiguer la prolifération de l'habitat informel et à terme, de le voir disparaître.
La feuille de route « Du bidonville au logement », qui doit être finalisée, devra être dotée de moyens financiers et humains suffisants pour assurer son déploiement à la hauteur des enjeux. Afin de faciliter le recrutement de profils compétents et répondre aux difficultés des services de l'État sur place, la commission estime indispensables les efforts visant à favoriser l'attractivité de l'emploi public à Mayotte, que porte l'article 28 du projet de loi.
Bien évidemment, la lutte contre l'habitat informel ne peut s'affranchir d'une lutte résolue contre l'immigration illégale et donc, d'un renforcement des effectifs de sécurité présents sur l'archipel mahorais.
Elle doit aussi être conjuguée à des politiques ambitieuses de maîtrise foncière et de construction de logements.
L'objectif fixé par le Gouvernement de construire 24 000 logements en 10 ans à Mayotte ne pourra être réalisé sans un travail d'adaptation des normes et de levée des freins actuels à la construction à Mayotte. Ces derniers sont pluriels et ont été largement abordés dans le cadre de l'examen par la commission du projet de loi d'urgence pour Mayotte : ils concernent aussi bien l'accès au foncier que le coût, les capacités d'ingénierie des acteurs et la disponibilité des matériaux ou les caractéristiques sismiques et naturels. Selon l'étude d'impact du présent projet de loi, seuls 181 logements ont été agréés à Mayotte en 2023 contre 335 en 2022. La première ministre avait annoncé, fin 2023, la création d'une opération d'intérêt national (OIN) courant 2024 pour accélérer la production de logements sur les communes de Mamoudzou, Dembéni et Koungou. Afin de mener à bien cette OIN, les collectivités territoriales devront être accompagnées à la mise en oeuvre d'une opération multisites de résorption de l'habitat informel.
Pour toutes ces raisons, la commission a adopté trois amendements proposés par le rapporteur :
- un amendement COM-68 de précision rédactionnelle ;
- un amendement COM-70 visant à sécuriser juridiquement la levée de l'obligation de proposer un relogement ou un hébergement d'urgence en cas d'évacuation en prévoyant que jusqu'au 13 décembre 2034 soit dix ans à compter du passage du cyclone Chido, le préfet peut déroger à l'obligation de proposer une solution d'hébergement ou de relogement lorsque les circonstances locales le justifient, compte tenu de l'état du parc d'hébergements ou de logements ;
- un amendement COM-69 visant à encadrer davantage l'exercice du droit au recours suspensif contre les arrêtés d'évacuation et de démolition d'un habitat informel : il s'agit de préciser que seul le référé-liberté, par lequel le juge se prononce dans un délai de quarante-huit heures, est suspensif, afin de faciliter l'exécution à brefs délais des ordres d'évacuation et de démolition.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article ainsi modifié.
Article 23
Classement de tout le territoire de Mayotte
comme
quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV)
Cet article vise à prévoir le zonage de tout le territoire de Mayotte en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV).
À l'initiative du rapporteur, la commission a adopté un amendement visant à préciser au niveau de la loi que la date d'échéance de cette mesure dérogatoire est le 1er janvier 2030.
La commission a proposé à la commission des lois d'adopter l'article 23 ainsi modifié.
I. La situation actuelle - après la révision récente de la géographie prioritaire de la politique de la ville, Les trois quarts de la population de Mayotte vivent dans un quartier prioritaire
En vertu de la loi dite « Lamy » du 21 février 201417(*), la politique de la ville s'appuie sur une géographie prioritaire spécifique aux outre-mer, actualisée fin 2024.
Son article 5 prévoit que dans les collectivités ultramarines, les quartiers prioritaires de la politique de la ville peuvent être caractérisés par des critères sociaux, démographiques, économiques ou relatifs à l'habitat, tenant compte des spécificités de chacun de ces territoires et définis par décret.
À la suite d'une mission inter-inspections relative au zonage et à la gouvernance de la politique de la ville menée en 202318(*), les critères de délimitation des QPV dans les outre-mer ont été modifiés par un décret du 27 décembre 202419(*). En vertu de la méthode « harmonisée » retenue, ces critères sont désormais identiques pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion tandis que Mayotte, Saint-Martin et la Polynésie française font l'objet de critères ajustés, adaptés à leurs caractéristiques. À titre d'exemple, les variables définies à Mayotte mettent l'accent sur la thématique du logement. Dès lors, à Mayotte :
- un quartier prioritaire est un espace urbain continu situé sur une commune de Mayotte ;
- cinq critères, appréciés à la maille du village, sont utilisés pour produire un « indicateur synthétique » :
a) la proportion de personnes sans emploi dans la population des 15-64 ans ;
b) la proportion des non-diplômés dans la population des 15 ans et plus ;
c) la proportion des logements à l'intérieur desquels il n'y a pas d'accès à l'eau courante ;
d) la proportion des logements non équipés en électricité ;
e) la proportion des logements classés dans la catégorie des habitations de fortune.
Ces critères dessinent une nouvelle géographie prioritaire dans les outre-mer, entrée en vigueur le 1er janvier 2025.
Depuis lors, à Mayotte, on compte 42 quartiers QPV situés dans 15 communes. La population de ces QPV est estimée à 193 499 personnes soit près de 75 % de la population de l'archipel, ce qui fait de Mayotte, par ailleurs département le plus pauvre de France, le département le plus concerné par la politique de la ville. Seuls quelques territoires localisés principalement à l'ouest et au sud de Grande-Terre ne sont actuellement pas classés « QPV ».
Néanmoins, les critères de délimitation des QPV n'ont pas permis de prendre en compte les conséquences dramatiques du cyclone Chido sur les infrastructures, l'habitat et a fortiori, l'activité économique et les populations à Mayotte.
La mission interministérielle relative à l'évaluation des dégâts menée en janvier 2025 estime que la moitié (soit 1,6 milliard d'euros) des dommages liés au passage du cyclone Chido et de la tempête Dikeledi porte sur l'habitat individuel et collectif privé, ce qui inclut également le logement social : seuls 16 % des logements n'ont pas été endommagés, tandis que 50 % ont été endommagés et 33 % détruits. Les installations d'eau potable et d'assainissement de même que les réseaux d'énergie ont également été particulièrement touchés, avec des dégâts estimés respectivement à 42 millions d'euros et 75 millions d'euros.
Si l'ensemble de l'archipel a été concerné par cet évènement, la direction générale des outre-mer a indiqué au rapporteur que le sud de Grande-Terre, actuellement non-zoné en QPV a été le plus touché par le cyclone et la tempête qui l'a suivi : en effet, les vents les plus forts et les précipitations les plus importantes associés à la tempête « Dikeledi » sont passés sur le sud de l'île.
II. Le dispositif envisagé - le classement de tout le territoire de Mayotte comme quartier prioritaire au titre de la politique de la ville
Cet article prévoit que par dérogation à l'article 5 de la loi du 21 février 2014, la politique de la ville est mise en oeuvre sur l'ensemble du territoire de Mayotte, jusqu'à la prochaine actualisation des contrats de ville.
Cette échéance correspond à l'année 2030, conformément à l'article 1er du décret n° 2024-1037 du 15 novembre 2024 portant sur les contrats de ville et la participation des habitants à la politique de la ville qui précise que « Les contrats de ville mentionnés à l'article 6 de la loi susvisée sont renouvelés au 1er janvier 2030, puis tous les six ans. Ils sont actualisés tous les trois ans si les parties en conviennent. »
Le Conseil d'État n'a formulé aucune observation sur cet article.
Selon le Gouvernement, le classement en quartier prioritaire de la politique de la ville facilitera le rétablissement et l'amélioration des conditions de vie des habitants en permettant à tout le territoire de pouvoir bénéficier des outils spécifiques de la politique de la ville du dispositif « Quartiers 2030 » qui décline la stratégie de l'État à destination des QPV dans les domaines de l'éducation, du cadre de vie, de l'habitat, de l'emploi, de la mobilité, de la santé et de la transition écologique.
Cela permettra également aux entreprises du territoire de bénéficier de plusieurs dispositifs fiscaux qui sont adossés au zonage des QPV, comme l'exonération de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB).
Les crédits d'intervention spécifiques de la politique de la ville, regroupés au sein du programme 147 seront délégués au préfet de département, qui décidera de leur emploi en faveur de la politique de la ville, en lien avec les élus locaux et les acteurs du territoire.
III. La position de la commission - un dispositif bienvenu dont les effets de bords potentiels doivent être maîtrisés
La commission est favorable au classement temporaire, jusqu'en 2030, des 17 communes de Mayotte en tant que QPV.
Le caractère exceptionnellement dramatique de la situation économique et sociale à Mayotte, exacerbé par le passage du cyclone Chido et de la tempête Dikeledi, justifient cette mesure pourtant à rebours de la logique de « ciblage » propre à la politique de la ville.
Il convient néanmoins de relativiser l'impact de cette mesure :
- d'abord, du point de vue de la population concernée : depuis le 1er janvier 2025, 75 % de la population de Mayotte vit déjà dans un QPV. Les 42 QPV de Mayotte sont répartis sur les 15 des 17 communes de Mayotte. La commission partage néanmoins le souci du gouvernement d'intégrer les communes du sud de Mayotte, non-classées en QPV et pourtant particulièrement touchées par le cyclone. La solution proposée, à savoir le classement de tout le territoire en QPV, lui semble plus pertinent qu'une nouvelle modification des critères de définition et de délimitation des QPV, compte tenu de la dernière réforme intervenue fin décembre 2024.
- ensuite, en matière fiscale, l'extension des dispositifs adossés au zonage QPV, à savoir l'exonération de CFE et de TFPB, est bienvenue, mais la commission estime que l'essentiel du dispositif en faveur de l'activité économique est porté par l'article 22 du projet de loi, qui crée une zone franche d'activité nouvelle génération (Zfang) étendue à l'ensemble des TPE-PME.
La commission souhaite insister sur la nécessité de prévenir tout effet de bord du dispositif sur le logement social, alors que Mayotte souffre d'un déficit de logements et d'hébergements.
Elle appelle le Gouvernement à la vigilance sur ce sujet qui ne relève pas du législateur.
En raison d'objectifs de mixité sociale, le ministère chargé du logement limite en principe la délivrance d'agréments pour la construction de logements sociaux, a fortiori si le QPV comprend déjà plus de 50 % de logements sociaux. La circulaire du 18 décembre 2023 relative à la mixité sociale dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville demande en outre aux préfets de ne plus attribuer de logements aux ménages les plus en difficulté dans les QPV et de ne plus y créer de places d'hébergements. Cette mesure, justifiée pour l'Hexagone et demandée par le Sénat, n'est pas adaptée à la situation de Mayotte et une exception devra être prévue.
Sollicités à ce sujet par le rapporteur lors des auditions, les services de l'État ont indiqué qu'un cadrage régional adapté au contexte local du territoire pourra être mis en place par le préfet en lien avec la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages et la direction générale des outre-mer pour que le zonage en QPV n'entre pas en contradiction avec les besoins de construction de logements sociaux et d'hébergements. Ils ont également assuré que les projets actuels des bailleurs sociaux ne seront pas impactés par des limitations.
La commission sera également attentive au financement de la politique de la ville à Mayotte.
Le Gouvernement a d'ores-et-déjà annoncé que les crédits dédiés seront augmentés d'un million d'euros en 2025, les portant à un total de près de 5,6 millions d'euros dont 3,9 millions d'euros pour les contrats de villes, 516 000 euros pour le dispositif « Quartiers d'été » et 1,1 million d'euros pour les cités éducatives.
Enfin, au-delà du zonage, le succès de la politique en faveur des QPV à Mayotte repose sur le pilotage des contrats de ville.
Compte tenu de l'actualisation de la géographie prioritaire de la politique de la ville fin 2024, l'article 171 de la loi de finances pour 2025 autorise la mobilisation des moyens financiers de la politique de la ville en outre-mer en l'absence de contrats de ville, jusqu'au 31 décembre 2025 - comme cela a été le cas en 2024 dans l'Hexagone. Il est donc crucial que les contrats de ville des 17 communes de Mayotte aient été signés d'ici à cette échéance.
Interrogé à ce sujet par le rapporteur, la direction générale des outre-mer a indiqué que les travaux d'élaboration des contrats de ville mahorais ont été engagés dès avril 2024, avec l'objectif d'une rédaction commune et harmonisée des contrats de ville et d'une signature entre novembre et décembre 2025.
Ces contrats de ville mahorais feront l'objet d'une instruction spécifique, qui sera diffusée à la suite de l'examen des projets de loi concernant le territoire, conformément à la circulaire du 19 mars 2025 relative à l'élaboration des contrats de ville 2025-2030 dans les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution, à Saint-Martin et à la Polynésie française.
Le rapporteur a proposé à la commission, qui l'a adopté, un amendement COM-71 visant à préciser que chaque commune de Mayotte est considérée comme un QPV, non pas « jusqu'à la prochaine actualisation des contrats de ville », mais « jusqu'au 1er janvier 2030 ». En effet, certaines dispositions de l'article 6 de la loi dite « Lamy » relatives au contrat de ville et notamment leur date et fréquence d'actualisation et de renouvellement, ont été délégalisées20(*) : un décret du 15 novembre 2024 précise que les contrats de ville sont renouvelés au 1er janvier 2030, puis tous les six ans et actualisés tous les trois ans si les parties en conviennent.
Compte tenu du caractère dérogatoire du dispositif prévu par le présent article, spécifique à Mayotte qui est le seul territoire classé QPV en vertu de la loi, la commission a souhaité inscrire au niveau de la loi la date d'échéance du 1er janvier 2030 et éviter qu'elle ne soit renvoyée au décret.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article ainsi modifié.
Article 24
Extensions des possibilités de
délégation par la chambre de l'agriculture,
de la pêche
et de l'aquaculture de Mayotte
de ses compétences relatives à
la pêche et la conchyliculture
Cet article vise à étendre les possibilités de délégation par la chambre de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture de Mayotte (Capam) de ses compétences relatives à la pêche et la conchyliculture.
Par cette disposition, il s'agit de favoriser l'émergence d'une association préfiguratrice d'un comité régional des pêches maritimes et des élevages marins (CRPMEM). Cette étape intermédiaire vise à permettre une meilleure structuration de la filière pêche sur l'archipel.
La commission des affaires économiques et sa rapporteure soutiennent cette mesure consensuelle et demandée par les acteurs sur le terrain. Toutefois, comme l'expérience l'a montré, permettre juridiquement cette délégation de compétences ne saurait être suffisant. Un soutien fort de l'ensemble des parties prenantes est indispensable, et en particulier, un soutien de l'État dans l'accompagnement à la structuration de la filière.
La commission note, en outre, que cette disposition laisse en suspens la réforme de la Capam, corolaire de l'émergence d'un CRPMEM, et devant lui permettre de devenir une chambre d'agriculture de droit commun recentrée sur sa vocation agricole.
La commission des affaires économiques a proposé à la commission des lois d'adopter l'article sans modification.
I. La situation actuelle - La chambre de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture de Mayotte dispose d'un périmètre unique, reflet de la difficile structuration des activités de pêche sur l'archipel
A. La faible structuration de la filière pêche conduit à ce que la chambre d'agriculture de Mayotte dispose d'un périmètre élargi comprenant la pêche
Avec l'un des plus vastes lagons du monde, adossé à une zone économique exclusive de 74 000km2, l'archipel volcanique de Mayotte dispose d'un potentiel en matière de pêche et d'aquaculture. Pourtant, selon la chambre de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture de Mayotte (Capam), l'île importe près de la moitié de sa consommation de produits halieutiques.
Cette situation résulte d'un manque de structuration de la filière pêche, et d'une absence d'activité aquacole sur l'île depuis la fermeture de l'unique coopérative en 2015. En outre, l'archipel ne dispose pas d'une activité conchylicole à l'exception d'une entreprise produisant des huîtres et des moules perlières.
Selon le rapport annuel économique de Mayotte, produit par l'institut d'émission des départements d'outre-mer (Iedom), la flotte de pêche mahoraise comptait, en 2023, 132 bateaux homologués21(*) et 350 pêcheurs professionnels en activité, auxquels s'ajoutent de nombreux pêcheurs informels, notamment des capitaines de navire. Près de 90% de la flotte est renoncée comme n'exerçant pas une activité professionnelle, environ 42% de l'effort de pêche étant illicite, non déclaré ou non règlementé (INN). Il convient de noter que le chiffre de 350 pêcheurs professionnels de l'Iedom diverge des estimations fournies par la Capam, qui évoque une estimation de 120 pêcheurs, en s'appuyant sur les données fournies par l'unité territoriale de la direction de la mer sud océan indien (UTDMSOI).
À l'occasion d'un échange avec les acteurs de la pêche à Mayotte, la délégation de la commission des affaires économiques du Sénat22(*) a pu prendre la mesure à la fois de la nécessaire structuration du monde de la pêche, mais aussi de l'aspiration forte de ses acteurs à redynamiser un secteur confronté à de multiples défis, notamment depuis l'accession de l'archipel, en 201423(*), au statut de région ultrapériphérique (RUP) et, conséquemment, l'applicabilité des normes européennes. Ces défis sont nombreux, tels que :
· la mise aux normes des embarcations ;
· le suivi par les pêcheurs des formations obligatoires et notamment le certificat d'aptitude au commandement à la petite pêche (CACPP) ;
· le maintien de l'attractivité d'une profession difficile, au sein de laquelle l'activité informelle est fortement développée ;
· l'enjeu transversal de professionnalisation d'une activité dont les niveaux de sécurité, d'hygiène et de traçabilité sont insuffisants.
En outre, la délégation de la commission des affaires économiques qui s'est rendue sur place a pu constater que l'activité des thoniers dans la ZEE mahoraise, notamment extra-européens, dans le cadre d'accords internationaux, était source de frustration puisque ne bénéficiant pas à l'économie locale.
Les comités des pêches maritimes et des élevages marins Au terme de l'article L. 912-1 du CRPM, « les membres des professions qui, quel que soit leur statut, se livrent aux activités de production des produits des pêches maritimes et des élevages marins adhèrent obligatoirement à une organisation professionnelle des pêches maritimes et des élevages marins. Cette organisation comprend un comité national, des comités régionaux et des comités départementaux ou interdépartementaux, dotés de la personnalité morale et de l'autonomie financière. ». Le comité national est un organisme de droit privé chargé d'une mission de service public, et dont les missions sont énumérées à l'article L. 912-2 du même code. Elles consistent essentiellement en la représentation des intérêts de la profession, la participation à l'élaboration des règlementations, la participation aux actions en matière de connaissance et de préservation des ressources. Le comité national coordonne en outre l'action des comités de rang inférieur (article R. 912-1 CRPM). Les comités régionaux, au nombre de 13, disposent, à leur échelle, de prérogatives similaires, énumérées à l'article L. 912-3. Ils peuvent en outre déléguer certaines de leurs compétences à des comités départementaux ou interdépartementaux, qui sont également au nombre de 13. Source : site internet du CNPMEM |
Conséquence de l'insuffisante structuration de la filière pêche à Mayotte, la chambre de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture de Mayotte, mentionnée à l'article L. 571-5 du CRPM24(*), est chargée de représenter les intérêts de la filière.
Cette représentation est toutefois imparfaite puisqu'avec un collège de quatre pécheurs25(*), le secteur ne bénéficie pas de l'importance à laquelle il aspire, même si paradoxalement, le collège des pêcheurs peut acquérir un poids non négligeable lorsque les majorités deviennent étroites, ce qui peut être source de tensions avec le monde agricole.
Aussi, tant les pêcheurs que les agriculteurs aspirent à une séparation claire entre l'activité agricole d'une part, dont une Capam réformée assurerait la représentation sur le même mode que n'importe quelle chambre d'agriculture, et l'activité de pêche d'autre part, donc un CRPMEM assurerait la représentation et la défense des intérêts.
Les conséquences du cyclone Chido
sur
l'agriculture et la pêche à Mayotte26(*)
Mayotte compte 4 315 exploitations agricoles. Ces exploitations ont été durement touchées : pertes massives de récoltes et fortes amputations des cheptels présents sur l'île. La Capam estime que les pertes économiques s'élèvent à 296 millions d'euros (M€), divisés en 154 M€ de pertes de production et 142 de pertes de fonds. Les services des ministères concernés, s'appuyant sur les chiffres issus de la mission interinspections générales demandées par le Premier ministre, avancent les chiffres de 168 M€ de pertes de production, de 76 M€ de pertes de fonds et de 132 à 160 M€ de pertes de revenus à venir sur les cinq prochaines années. Il est aussi noté que les grands investissements dans le secteur structuré de la volaille ont globalement résisté.
Concernant la pêche, la Capam évoque le chiffre de 141 barques endommagées ou détruites, d'importantes pertes matérielles et la destruction de 14 moteurs. L'estimation des pertes est de 363 000 €.
Pour accompagner ces filières, plusieurs dispositifs se sont, pour l'essentiel, rapidement mis en place et notamment :
- une aide forfaitaire de 1 000 € de la MSA à ses 1 350 adhérents ;
- une aide aux coûts fixes du ministère de l'économie et des finances ;
- une aide de trésorerie du ministère des outre-mer ;
- des actions de mécénat pour financer des semences et du matériel, notamment du Crédit agricole, du Secours catholique, de l'ONG Acted et de la Fondation de France ;
- un soutien de certaines chambres d'agriculture, notamment celle de Polynésie française, ainsi qu'une subvention de 100 000 € de Chambre d'agriculture France à la Capam ;
- l'activation à venir de mécanismes européens dans le cadre du programme de développement rural pour Mayotte et du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Posei) .
B. Des possibilités de délégations existent, mais ne sont pas utilisées en raison de l'absence de structuration suffisante de la filière pêche
Il convient de noter que la Capam peut d'ores et déjà, en théorie, déléguer une partie de ses compétences. En effet, l'ordonnance n° 2022-584 du 20 avril 2022 relative à la chambre de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture de Mayotte crée, en son article 3, une section 4 au sein du chapitre Ier du titre V du livre IX du CRPM se composant d'un article unique L. 951-11.
Cet article donne, d'une part, une base légale à une activité de fait, à savoir que la Capam exerce les missions en matière de pêche, d'aquaculture et de conchyliculture. Tel est l'objet du premier alinéa, qui dispose que « pour l'application du présent livre à Mayotte, les références aux comités régional et départemental des pêches et des élevages marins et au comité régional de la conchyliculture sont remplacées par les références à la chambre de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture de Mayotte. ».
Un second alinéa, qui fait l'objet de l'article 24 du présent texte, aménage cependant la possibilité de déléguer certaines missions relatives à ces activités, dans des conditions fixées par décret.
Ces missions sont :
· celles mentionnées aux a, d et e du I et aux a et b du II de l'article L. 912-3 du CRPM portant sur les prérogatives du CRPMEM, à savoir :
o d'assurer la représentation et la promotion au niveau régional des intérêts généraux des professionnels exerçant une activité de pêche maritime ou d'élevage marin ;
o de participer à la réalisation d'actions économiques et sociales en faveur de leurs membres ;
o de participer aux politiques publiques régionales de protection et de mise en valeur de l'environnement, afin notamment de favoriser une gestion durable de la pêche maritime et des élevages marins ;
o d'assurer la représentation et la promotion, au niveau départemental, des intérêts généraux des professionnels exerçant une activité de pêche maritime ou d'élevage marin ;
o d'assurer, auprès des entreprises de pêche et des salariés de ces entreprises, une mission d'information et de conseil ;
· celles mentionnées aux 1° et 4° de l'article L. 912-7, relatif aux prérogatives des comités régionaux de la conchyliculture, à savoir :
o 1° la représentation et la promotion des intérêts généraux de ces activités ;
o 4° la participation à l'amélioration des conditions de production et, d'une manière générale, la réalisation d'actions économiques et sociales en faveur des membres des professions concernées ;
· celles mentionnées aux 1° et 2° de l'article L. 951-3, qui sont des missions complémentaires aux missions générales des CRPMEM, confiées exclusivement aux CRPMEM de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion.
Ainsi, si la Capam dispose d'ores et déjà de la faculté de déléguer certaines de ses missions en matière de pêche, il apparaît qu'aucun décret n'est intervenu pour fixer les conditions d'une telle délégation. Cette absence de décret s'explique par l'organisation insuffisante des acteurs de la pêche, si bien que jusqu'à maintenant, il n'était pas envisageable de procéder à une telle délégation.
Le présent article vise à étendre les possibilités déjà existantes de délégation.
II. Le dispositif envisagé - L'extension des possibilités de délégation des missions relatives à la pêche et à la conchyliculture de la Capam
Il est proposé de modifier le second alinéa de l'article L. 951-11 du CRPM dans le but d'en élargir ses renvois. Actuellement, cet alinéa procède à des renvois ciblés au sein des articles L. 912-3, L. 912-7 et L. 951-3, présentés dans la partie précédente. Le dispositif proposé réécrit l'alinéa pour renvoyer de manière globale à l'ensemble de ces trois articles.
En cela, l'article permettrait à la Capam de déléguer en bloc ses compétences en matière de pêche et de conchyliculture.
Plus précisément, le renvoi à l'entièreté de l'article L. 912-3 du CRPM permet d'inclure dans le champ de la délégation les missions relatives à l'élaboration des règlementations en matière de gestion des ressources halieutiques, à l'élaboration des réglementations encadrant l'usage des engins et la cohabitation des métiers de la mer, ainsi que la mission relative à l'appui scientifique et technique aux membres de l'association, à la sécurité, la formation et la promotion des métiers de la mer.
Le renvoi à l'entièreté de l'article L. 912-7 du CRPM permet d'inclure dans le champ de la délégation la mission relative à la participation à l'organisation d'une gestion équilibrée des ressources, celle relative à la mise en oeuvre de mesures d'ordres et de précaution destinées à harmoniser les intérêts des secteurs conchylicoles, la possibilité de réaliser des travaux collectifs et enfin la mission de participation à la défense de la qualité des eaux conchylicoles.
Enfin, le renvoi à l'entièreté de l'article L. 951-3 est purement rédactionnel, cet article mentionnant deux missions complémentaires des CRPMEM de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion, ces deux missions étant déjà reprises dans la version actuellement en vigueur de l'article L. 951-11 du CRPM.
Ainsi, si la Capam pouvait déjà déléguer certaines missions relatives à la pêche et à la conchyliculture, l'article 24 vise à lui permettre de déléguer l'entièreté de ces missions, dont le périmètre correspond aux missions des CRPMEM dans les autres territoires ainsi que des comités régionaux de la conchyliculture.
Cette délégation devrait se faire au profit d'une association préfiguratrice, étape intermédiaire visant à structurer la filière en vue de la création, dans un second temps, à horizon 2027, d'un CRPMEM. Selon les informations transmises à la rapporteure, il existe d'ores et déjà deux associations préfiguratrices sur place, soulignant la difficulté pour les représentants de la filière de s'accorder autour d'une entité unique et d'un leadership unifié, d'autant plus dans la perspective de l'élection prochaine des membres de la Capam27(*).
Il convient de noter que l'association préfiguratrice serait non seulement chargée de structurer la filière pêche en vue de l'émergence d'un CRPMEM, mais également de gérer le volet conchylicole. Cela s'explique fort logiquement par la quasi-absence de cette activité sur l'archipel, rendant dès lors inenvisageable la création d'un comité régional de la conchyliculture. Du reste, un tel comité n'existe pas en outre-mer.
III. La position de la commission - Une nécessaire structuration de la filière pêche de Mayotte
La commission des affaires économiques et son rapporteur soutiennent cette mesure, consensuelle tant auprès des pêcheurs que des agriculteurs.
La délégation de la commission des affaires économiques du Sénat qui s'est rendue à Mayotte en mai a eu l'occasion d'échanger tant avec les représentants du monde agricole que ceux du monde de la pêche. À cette occasion, elle a pu constater la volonté de ces acteurs engagés de leur territoire d'aller de l'avant, pour développer et professionnaliser les activités agricoles et de pêche.
Cette professionnalisation nécessite une structuration et une clarification du rôle de chacun.
La chambre de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture est intégrée au réseau des chambres d'agriculture, piloté par Chambre d'agriculture France. Cet établissement public ne dispose fort logiquement pas de l'expertise pour accompagner efficacement le développement de la filière pêche. Il est donc nécessaire que la chambre de Mayotte se recentre sur son coeur de métier, à savoir le soutien et la représentation du monde agricole.
En parallèle, l'association préfiguratrice d'un CRPMEM, qui doit rester une, devra accompagner étroitement, avec le soutien des pouvoirs publics, les pêcheurs dans leur démarche de structuration. Cette structuration comporte de nombreuses étapes, et notamment, comme l'ont rappelé les services du ministère chargé de la pêche dans leur contribution écrite :
- l'identification et le recensement de tous pêcheurs indispensables pour étudier la faisabilité de mettre en place un système de cotisations professionnelles obligatoires (CPO) ;
- la mise en place d'une protection sociale des marins de droit commun ;
- l'accession au statut de marin professionnel ;
- l'identification des catégories de métiers afin de définir des collèges pour siéger au conseil du CRPMEM, la composition des listes électorales et le respect du calendrier préélectoral ;
- la mise à disposition de l'application informatique dédiée aux élections de la marine).
Dans sa contribution écrite, le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins indique qu'il soutient la création d'un CRPMEM à Mayotte, et qu'il est en lien avec l'administration ainsi que la Capam pour favoriser ce processus.
La commission ne peut donc qu'encourager les acteurs à poursuivre leurs efforts, au bénéfice de filières qui feront l'autonomie alimentaire de demain de l'archipel mahorais.
La rapporteure note toutefois que le présent article laisse en suspens la question de la réforme de la Capam, qui viserait à acter juridiquement la fin de sa compétence en matière de pêche, et la recentrer sur son rôle agricole. Plus qu'une possibilité de délégation, c'est bien une séparation nette à laquelle les acteurs aspirent, à moyen terme. Cette évolution sera nécessaire si la structuration de la filière pêche permet effectivement la mise en place d'un CRPMEM, et devrait permettre à la chambre de Mayotte de se rapprocher statutairement d'une chambre d'agriculture de droit commun.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article sans modification.
* 1 Source : SITADEL
* 2 Articles L. 411-1 à L. 451-1 du code des procédures civiles d'exécution.
* 3 Aticles L. 511-1 à L. 511-22 du code de la construction et de l'habitation.
* 4 « L'habitat insalubre et indigne dans les départements et régions d'outre-mer : un défi à relever », septembre 2009.
* 5 Loi n° 2011-725 du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer.
* 6 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.
* 7 Prévus par l'article 11-1 de la loi dite « Letchimy ».
* 8 Loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement.
* 9 Article 16 du code de procédure pénale.
* 1011 Articles 20 et 21 du code de procédure pénale.
* 12 Loi n° 2025-176 du 24 février 2025 d'urgence pour Mayotte.
* 13 Voir Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 10/03/2023, 469 663, Inédit au recueil Lebon.
* 14 Conseil constitutionnel n° 2023-1038 QPC du 10 mars 2023, points 9 à 16 et n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023, points 61 à 64.
* 15 Décision n° 2019-805 QPC du 27 septembre 2019, Décision n° 2023-1077 QPC du 24 janvier 2024.
* 16 Voir Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 10/03/2023, 469 663, Inédit au recueil Lebon.
* 17 Loi n° 2014 173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.
* 18 Mission relative au zonage et à la gouvernance de la politique de la ville dans les outre-mer, confiée à l'inspection générale du développement durable, l'inspection générale de l'administration et l'inspection générale des affaires sociales en février 2023.
* 19 Décret n° 2024-1211 du 27 décembre 2024 relatif aux modalités de détermination des quartiers prioritaires de la politique de la ville particulières aux collectivités régies par l'article 73 de la Constitution, à Saint-Martin et à la Polynésie française.
* 20 Décision n° 2024-306 L du 25 avril 2024.
* 21 Plus précisément, le rapport indique : « En 2023, la flotte de pêche à Mayotte compte 132 bateaux homologués pour la pêche professionnelle auxquelles s'ajoutent 60 barques sous immatriculation provisoire - ces dernières n'étant pas enregistrées au fichier européen « Flotte de pêche communautaire » (FPC) -, 4 navires actifs dédiés à la pêche palangrière et 1 465 navires de plaisance16. Enfin, il convient de tenir compte de plusieurs pirogues traditionnelles à balancier non immatriculées (environ 700 à fin 2018 selon le PNMM). »
* 22 Cette délégation, présente à Mayotte du 1er au 5 mai 2025, se composait de Mmes Dominique Estrosi-Sassone, présidente de la commission, Micheline Jacques, présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer et rapporteure du présent texte, Vivianne Artigalas, Antoinette Guhl et de MM. Daniel Fargeot et Patrick Chaize.
* 23 Auparavant, Mayotte avait le statut de pays et territoire d'outre-mer (PTOM), la règlementation européenne ne s'appliquait donc pas à l'archipel, qui ne bénéficiait pas des fonds communautaires.
* 24 Article L. 571-5 CRPM : « À Mayotte, une chambre de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture constitue, auprès de l'État ainsi que des collectivités territoriales et des établissements publics qui leur sont rattachés, l'organe consultatif, représentatif et professionnel des intérêts de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture. »
* 25 Ce collège s'accompagne d'un collège d'une personne représentant l'aquaculture. Ce siège disparaitra probablement, selon la Capam, aux prochaines élections des représentants à la chambre, en raison de l'absence d'activité aquacole.
* 26 Les éléments chiffrés cités dans cet encadré proviennent des contributions écrites adressées à la rapporteure par la Capam ainsi que les services du ministère de l'agriculture de la souveraineté alimentaire et du ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche).
* 27 La loi n° 2025-136 du 15 février 2025 visant à adapter le fonctionnement des instances de gouvernance des chambres d'agriculture et de la mutualité sociale agricole est venu, en son article 3, reporter l'élection des membres de la Capam, suite au passage du cyclone Chido. En conséquence, les mandats qui devaient initialement expier au 31 janvier 2025 ont été prolongés d'un an.