B. DES MESURES QUI FRAGILISENT LA LUTTE CONTRE LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE
1. Les nouvelles modalités d'envoi du chèque énergie ont fait chuter le nombre de bénéficiaires automatiques
Créé par la loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015, le chèque énergie a remplacé les tarifs sociaux de l'électricité et du gaz. Il s'adresse aux foyers dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 11 000 euros par unité de consommation2(*) ; ses bénéficiaires sont donc des personnes vivant sous le seuil de pauvreté3(*). Son montant moyen, qui s'élève à 150 euros, n'a jamais évolué depuis son instauration.
La suppression, à compter de 2023, de la taxe d'habitation sur les résidences principales ne permet plus à l'administration d'actualiser la liste des bénéficiaires. Aussi l'Agence de service et de paiement (ASP) procède-t-elle désormais à un croisement de fichiers, émanant entre autres de l'administration fiscale et des fournisseurs d'électricité, pour l'attribution de l'aide. Par conséquent, la dernière campagne d'envoi a été tardive puisqu'elle a débuté au mois de novembre 2025 et non au printemps comme les années précédentes. En outre, le nombre de foyers l'ayant automatiquement reçu est passé de 5,5 millions en 2024 à 3,8 millions en 2025. Un guichet de demande a été ouvert, mais le manque d'information, ainsi que la complexité que peut représenter une démarche dématérialisée pour certaines populations, risque de faire diminuer le nombre final de bénéficiaires. Ces différents motifs pourraient engendrer une baisse du taux d'usage du chèque énergie ; le cas échéant, une telle évolution ne saurait justifier une diminution des crédits alloués à cet effet dans les années à venir.
Lors de l'examen du PLF 2025 au Sénat, un amendement de la commission des affaires économiques tendant au maintien de l'attribution automatique du chèque énergie avait été adopté. Dans son baromètre publié le mois dernier, le médiateur national de l'énergie (MNE) indique que 36 % des ménages déclarent rencontrer des difficultés pour payer leurs factures d'énergie - contre 28 % en 2024 -, et que 59 % des bénéficiaires du chèque énergie ont souffert du froid l'an passé - contre 35 % pour l'ensemble des ménages. D'après le MNE, le versement tardif du chèque énergie en 2025 a aggravé leur situation puisque 35 % des bénéficiaires déclarent que ce décalage a engendré des difficultés de paiement.
Le rapporteur appelle l'administration à trouver une solution pour établir de façon exhaustive la liste des bénéficiaires. Il convient de souligner à cet égard que la piste consistant à indiquer le point de livraison d'électricité sur la déclaration d'impôts sur le revenu, qui constituerait la méthode la plus fiable, a été écartée par le ministère chargé du budget et des comptes publics ; une position de principe qui consiste à retoquer toute demande de ce type.
2. Les ménages précaires sont confrontés à un effet ciseaux...
Les ménages les plus fragiles sont donc confrontés à un effet ciseaux :
- d'une part, les nouvelles modalités d'identification des bénéficiaires du chèque énergie ont significativement fait baisser le nombre de foyers l'ayant automatiquement reçu en 2025, ce qui minore les sources de revenus des foyers « oubliés » (cas de non-recours) ;
- d'autre part, le montant de leurs factures d'énergie augmente du fait de la répercussion du coût des CEE, ce qui obère, là encore, leurs finances personnelles.
3. ...qui pourrait attiser les revendications et les crises d'ordre social
Lorsque l'Union européenne aura mis en oeuvre le nouveau système d'échange de quotas d'émission (« ETS 2 ») - a priori en 2028 -, qui couvrira notamment les émissions du transport routier et des bâtiments, et qui fixera, à ce titre, un prix du carbone sur le diesel et l'essence, l'accise sur les carburants devrait mécaniquement augmenter. Les ménages seraient alors confrontés à une hausse généralisée du prix des carburants, qui pèserait davantage sur les finances des ménages les plus modestes, en particulier dans les zones rurales où il n'existe aucune alternative pour se déplacer à un moindre coût. Aussi faut-il rappeler que la crise des « gilets jaunes », comme d'autres crises sociales avant elle, était à l'origine un mouvement de contestation contre l'augmentation du prix à la pompe, due à une hausse de la fiscalité. En outre, une telle augmentation serait de nature à fragiliser l'acceptabilité sociale de la transition énergétique. Par conséquent, il sera essentiel de prévoir de nouvelles aides en mobilisant le « fonds social pour le climat » que l'Union européenne créera afin de compenser l'impact socioéconomique du futur marché du carbone. Ce fonds, partiellement financé par les revenus issus de l'ETS 2, devrait être doté de plus de 86 milliards d'euros (Mds€) entre 2026 et 2032 pour aider les ménages vulnérables et les petites entreprises à effectuer leur transition vers une consommation énergétique et des transports plus propres.
* 2 La première - ou la seule - personne du foyer fiscal compte pour 1 unité de consommation (UC), la deuxième pour 0,5 UC, et les suivantes pour 0,3 UC.
* 3 Pour l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le seuil de pauvreté est fixé par convention à 60 % du niveau de vie médian de la population. Il correspondait donc, en 2023, à un revenu disponible de 1 288 euros par mois pour une personne vivant seule, et de 2 705 euros pour un couple avec deux enfants âgés de moins de 14 ans.