B. LES COMPENSATIONS BUDGÉTAIRES VERSÉES À LA POSTE POUR L'EXERCICE DE SES QUATRE MISSIONS DE SERVICE PUBLIC COUVRENT DE MOINS EN MOINS LEURS DÉFICITS
Les quatre missions de service public du Groupe La Poste qui lui sont confiées par la loi (service universel postal, transport et distribution de la presse, aménagement du territoire et accessibilité bancaire) enregistrent un lourd déficit d'environ 2 Mds€ par an. Ce déficit s'explique avant tout par un effet de ciseau entre des activités en perte de vitesse, en particulier la distribution du courrier, et l'obligation fixée par la loi de maintenir un réseau de bureaux de postes dont les coûts sont en grande partie fixes.
Depuis plusieurs années, une partie de ce déficit fait l'objet d'une compensation par le budget de l'État, qui a atteint en 2023, 2024 et 2025 environ 1 Md€.
La Poste conserve donc à sa charge environ 1 Md€ de déficit, prélèvement sur ses résultats qui, selon l'entreprise, constitue pour elle un handicap concurrentiel majeur et contribue à la croissance rapide de sa dette, qui dépasse désormais les 10 Mds€. De fait, ce déficit récurrent fragilise l'entreprise et pose la question de la soutenabilité à moyen terme de la poursuite de ces missions de service public à périmètre inchangé.
Pour les années 2026 et 2027, la situation financière de ces missions avant compensations publiques devrait rester fortement déficitaire en raison de la baisse continue de leurs chiffres d'affaires et du maintien des moyens nécessaires à leur exercice sur l'ensemble du territoire. En outre, La Poste devrait être pénalisée par la diminution de la compensation portée par le budget de l'État dans le cadre du PLF 2026, laquelle devrait diminuer à 848,2 M€.
|
(en M€) |
2023 (réalisation) |
2024 (réalisation) |
2025 (prévision) |
||||||
|
D6(*) |
C7(*) |
DAC8(*) |
D |
C |
DAC |
D |
C |
DAC |
|
|
Service universel postal |
- 979 |
+ 500 |
- 479 |
- 643 |
+ 500 |
- 143 |
- 989 |
+ 500 |
- 489 |
|
Aménagement du territoire |
- 322 |
+ 164 |
- 158 |
- 304 |
+ 174 |
- 130 |
- 330 |
+ 160 |
- 170 |
|
Transport |
- 506 |
+ 40 |
- 466 |
- 636 |
+ 43 |
- 593 |
- 512 |
+ 39 |
- 473 |
|
Accessibilité bancaire |
- 398 |
+ 303 |
- 95 |
- 435 |
+ 287 |
- 148 |
- 392 |
+ 269 |
- 123 |
|
Total |
- 2 205 |
+ 1 007 |
- 1 198 |
- 2 018 |
+ 1 004 |
- 1 014 |
- 2 223 |
+ 968 |
- 1 255 |
Source : commission des affaires économiques du Sénat, à partir des données budgétaires et comptables
1. La contribution à l'aménagement du territoire : une compensation budgétaire insuffisante qui met en péril la présence des services postaux dans nos territoires
Particulièrement stratégique, car elle implique le maintien d'au moins 17 000 points de contact sur l'ensemble du territoire, la mission de contribution à l'aménagement du territoire représente pour La Poste un déficit avant compensation légèrement supérieur à 300 M€9(*).
Ce déficit fait désormais l'objet d'une compensation budgétaire qui s'ajoute à l'abattement fiscal en diminution dont bénéficie La Poste pour la financer.
Alors que le contrat de présence postale territoriale prévoit un financement jusqu'à 174 M€ par an, la compensation budgétaire prévue par le PLF 2026 est de 76 M€ (120 M€ en 2025) tandis que le rendement fiscal devrait être de 46 M€ (contre 53 M€ prévus en 2025 en raison du nouveau régime de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui va réduire la base sur laquelle est calculé l'abattement), soit un financement effectif du fonds postal national de péréquation territorial de 122 M€ seulement, contre 173 M€ en 2025, soit une baisse de - 42 %.
Une telle baisse viendrait fragiliser l'exercice de la mission et, selon La Poste, ne permettrait plus de financer les actions décidées par les commissions départementales de présence postale territoriale qui permettent aux élus locaux d'agir en matière postale. C'est donc l'existence même de ces commissions qui ont un rôle essentiel dans l'évolution et l'adaptation concertée de la présence postale qui est aujourd'hui remise en question.
C'est la raison pour laquelle la commission a adopté un amendement visant à augmenter de 52 M€ les crédits destinés à compenser en 2026 le déficit de la mission « Aménagement du territoire de La Poste ».
2. Le service universel postal face à la poursuite de la diminution des volumes de courriers et de colis
Le service universel postal consiste notamment en une levée et une distribution 6 jours sur 7 sur l'ensemble du territoire national pour les envois de correspondances jusqu'à 2 kg et de colis postaux jusqu'à 20 kg.
La loi du 9 février 2010 avait désigné La Poste en tant que prestataire du service universel postal pour une durée de 15 ans à compter du 1er janvier 2011, soit jusqu'au 31 décembre 2025. Un décret du 26 juillet 2025 a renouvelé cette mission pour une durée de 10 ans à compter du 1er janvier 2026.
Le montant de la compensation au titre du service universel postal est compris entre 500 et 520 M€ par an, mais force est de constater que la compensation optionnelle de 20 M€ n'est jamais prise en compte par l'État, ce qui contrevient à la logique de « bonus-malus » en vertu de laquelle La Poste est supposée être récompensée ou sanctionnée selon qu'elle atteint ou non ses objectifs de qualité de service.
La principale inquiétude porte néanmoins avant tout sur l'évolution à venir des volumes que traitera La Poste dans les prochaines années au titre du service universel postal, attendus en forte baisse, comme en témoignent les chiffres présentés dans le tableau ci-dessous.
Évolution des volumes de courrier, de colis
et de presse distribués
dans le cadre du service universel postal par
La Poste de 2024 à 2029
|
En millions d'objets |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
2029 |
Évolution 2024/2029 |
|
Réalisé |
Prévision |
||||||
|
Courrier |
4 254 |
3 813 |
3 406 |
3 096 |
2 849 |
2 625 |
- 38 % |
|
Colis |
28 |
27 |
26 |
25 |
23 |
22 |
- 21 % |
|
Presse |
26 |
21 |
19 |
15 |
14 |
13 |
- 50 % |
Source : La Poste
Cette diminution, déjà très marquée depuis quinze ans, constitue un défi considérable pour la pérennité de la mission de service universel postal, et rendra vraisemblablement nécessaire l'élaboration d'une nouvelle loi postale pour ajuster les caractéristiques de cette mission aux évolutions économiques et sociales de notre pays.
3. L'échec de la réforme de la distribution de la presse se traduit par le caractère chaque année plus insoutenable financièrement du déficit de la mission de service public réalisée par La Poste
En vigueur depuis le 1er janvier 2023, la réforme de la distribution de la presse avait pour principal objectif d'inciter les éditeurs de presse à recourir davantage au portage plutôt qu'au postage de leurs titres, en particulier dans les zones denses10(*).
Or de l'avis de tous les acteurs entendus par la rapporteure, cette réforme constitue un échec : les éditeurs de presse n'ont pas opéré la bascule vers le portage, notamment en raison d'une raréfaction des porteurs et de la hausse de leurs tarifs.
Dans le même temps, les flux de presse confiés à La Poste ont été plus importants que prévus (549 millions d'exemplaires en 2023 contre une prévision de 397 millions), et les volumes de presse urgente, qui sont les plus déficitaires, n'ont pas diminué, contrairement aux anticipations, ce qui a creusé le déficit de la mission de service public de La Poste. Celui-ci a ainsi atteint 636 M€ en 2024 (pour un chiffre d'affaires de 282 M€), alors qu'il représentait déjà 506 M€ en 2023 contre 338 M€ en 2022, avant l'entrée en vigueur de la réforme.
Selon les informations fournies par La Poste, les tarifs ne couvrent que 31 % des coûts. Chaque exemplaire génère - 1,79 € de coûts pour 0,55 € de chiffre d'affaires, soit un déficit moyen de - 1,24 € par objet. Le déficit créé par la presse urgente (J+ 1 et J+ 2) est encore plus lourd : - 2,46 € de coûts unitaires pour 0,61 € par objet de chiffre d'affaires, soit - 1,85 € de déficit par objet transporté.
Dans le même temps, la compensation versée par l'État à La Poste ne cesse de diminuer, puisqu'elle est passée de 84 M€ en 2022 à 39 M€ en 2025 et seulement 24,2 M€ prévus en PLF 2026.
La trajectoire financière de la mission de service public de distribution de la presse tend de plus en plus à ressembler à un gâchis d'argent public qui fragilise la situation financière de La Poste, au risque de peser sur sa capacité future à réaliser ses autres missions de service public.
Il apparaît dès lors indispensable de revoir fortement au cours de l'année 2026, dans la perspective du PLF 2027, les conditions économiques de cette mission nécessaire au pluralisme du débat démocratique, en tenant compte de la capacité contributive des différents éditeurs de presse, beaucoup d'entre eux relevant de la catégorie des PME/TPE, mais d'autres bénéficiant du soutien de propriétaires à même de prendre en charge tout ou partie des coûts laissés aujourd'hui à la charge de La Poste.
* 6 Déficit.
* 7 Compensation.
* 8 Déficit après compensation.
* 9 Le coût net de la mission d'aménagement du territoire est évalué par l'Arcep pour 2024 à 304 millions d'euros (avant compensation publique).
* 10 Cette réforme a fait l'objet du protocole du 14 février 2022 signé entre l'État, les représentants des éditeurs de presse, La Poste et l'Arcep, pour la période 2023-2026.