EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 3 décembre 2025, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits des programmes 844 « France Médias Monde », 847 « TV5 Monde » et 848 « Programme de transformation » de la mission « Avances à l'audiovisuel public » du projet de loi de finances pour 2026.

M. Roger Karoutchi, rapporteur pour avis. - Mes chers collègues, je ne cherche pas à ménager le suspense : nous sommes favorables à l'adoption des crédits de ces programmes, mais sans joie. Par ailleurs, je n'ai pas le sentiment que mes remarques, déjà formulées l'an dernier pour la plupart, soient de nature à faire évoluer la position du Gouvernement.

Pour 2026, nous prévoyons d'augmenter les crédits de la défense d'un peu plus de 6 milliards d'euros. Pourtant, la part consacrée à l'information demeure le parent pauvre, quand bien même l'on répète que la guerre se joue aussi sur ce terrain. France Médias Monde disposera en 2026 d'environ 303 millions d'euros de crédits, fiscalité comprise, soit une hausse de 7 à 8 millions d'euros, qui ne s'explique que par l'augmentation de la participation de l'Agence française de développement (AFD).

Ces 303 millions d'euros restent dérisoires face à nos concurrents : la Chine y consacre près de 3 milliards d'euros, la Russie tout autant, la Turquie plus de 1 milliard d'euros, sans parler du Royaume-Uni qui investit bien davantage. Nous demandons à notre audiovisuel extérieur d'être « conquérant », mais avec quels moyens ?

Les dirigeants de France Médias Monde ou de TV5 Monde nous expliquent qu'ils disposent de journalistes dévoués, passionnés. Fort bien ! Pourtant, dans le même temps, le Gouvernement leur demande d'étudier, à partir de 2026, une réduction de leur périmètre. « Que rapporterait la fermeture de la version espagnole de France 24, basée en Colombie ? Faut-il fermer Monte Carlo Doualiya, la chaîne arabophone laïque, faute de moyens pour la maintenir ? » Voilà ce que l'on entend... Et lorsque l'on s'enquiert de la pérennité de la contribution supplémentaire de l'AFD, il nous est répondu que rien n'est garanti.

L'audiovisuel extérieur va donc rester enfermé dans un carcan financier particulièrement étriqué. Pour TV5 Monde, les crédits seront stables, à 84 millions d'euros. Pas un seul euro d'augmentation n'est prévu non plus pour 2027, ce qui, avec l'inflation, revient à une baisse réelle. On répète qu'il faut réarmer la présence informative de la France à l'étranger, mais, dans les faits, nos moyens restent inférieurs à 400 millions d'euros, ce qui est aberrant.

TV5 Monde ne parvient pas à trouver 4 millions d'euros pour refaire un studio d'enregistrement, France Médias Monde doit réduire le nombre de ses correspondants... Certes, les deux opérateurs continuent de fonctionner, mais avec des capacités amoindries, très en deçà de ce qu'exigerait une réelle stratégie de présence internationale. Cette situation ne me semble pas tenable, d'autant que nous avons déjà perdu du terrain en Afrique et en Asie.

On nous dit encore que, pour être crédibles à l'étranger, ces médias ne doivent pas apparaître comme des médias d'État. Je comprends la nécessité d'éviter qu'un média public soit immédiatement perçu comme politique, mais il n'en demeure pas moins que les moyens publics sont, par définition, des moyens d'État.

On nous dira aussi que les crédits de l'audiovisuel extérieur restent peu ou prou au même niveau que l'an dernier, alors que ceux de l'audiovisuel public national reculent de 2 à 3 %. C'est exact, mais les enjeux ne sont pas les mêmes : il s'agit ici d'une bataille stratégique, d'un conflit informationnel mondial. Sans renforcement budgétaire, la guerre informationnelle sera perdue, quelle que soit la rhétorique employée, et malgré l'engagement et le professionnalisme des équipes.

Je voterai ces crédits - il serait invraisemblable de faire autrement -, mais, une nouvelle fois, j'appelle l'attention de l'État : si nous voulons une voix française à l'international, il faudra lui donner les moyens de se faire entendre.

Mme Mireille Jouve, rapporteure pour avis. - Après la présentation des trajectoires budgétaires de France Médias Monde et TV5 Monde par Roger Karoutchi, je vais revenir sur la situation de chacune de ces entreprises.

France Médias Monde est confrontée à un problème de financement de sa stratégie numérique : le programme 848, qui devait y contribuer à hauteur de 3 millions d'euros en 2026, est maintenu, mais sans bénéficier d'aucun crédit. La feuille de route pour la transformation numérique de l'entreprise, élaborée pour maintenir son influence sur les nouveaux supports, nécessiterait 5 millions d'euros d'ici à 2028. Or aucun financement n'est prévu.

Un second défi concerne la suspension des crédits de l'audiovisuel public américain décidée par l'administration Trump, qui a eu pour effet l'arrêt partout dans le monde des programmes de Voice of America, Radio Free Europe-Radio Liberty et Radio Free Asia.

Non seulement le retrait de ces médias laisse le champ libre aux actions de désinformation menées par les Russes et les Chinois, mais il met aussi en péril tout un écosystème de médias locaux en Afrique qui bénéficiait du soutien des médias publics américains. Or une centaine de ces radios sont aussi des partenaires de RFI et pourraient connaître de sérieuses difficultés.

Pour répondre à cette situation, France Médias Monde et la Deutsche Welle (DW) ont élaboré une réponse commune de « bouclier informationnel » visant à apporter des réponses coordonnées pour développer des programmes de substitution aux programmes américains. France Médias Monde envisage ainsi de développer son hub à Bucarest pour diffuser des programmes en moldave et de déployer des offres en arménien, géorgien et russe. Je crois savoir que notre commission pourrait diligenter une mission sur les bords européens de la Mer noire. Ce serait peut-être l'occasion de visiter cette rédaction à Bucarest.

J'en viens maintenant à TV5 Monde, qui met en oeuvre son nouveau plan stratégique 2025-2028, avec pour priorité une hyperdistribution ciblée et un renouvellement de ses programmes.

La chaîne francophone réussit à développer ses audiences en Afrique du Nord grâce à la réception par satellite et elle a renforcé ses liens avec le Maroc, qui pourrait envisager une adhésion. Elle est toutefois encore confrontée à des coupures de son signal dans certains pays comme le Mali et le Burkina Fasso. Elle reste accessible auprès de 423 millions de foyers, ce qui constitue un atout important. C'est dans ce contexte que se pose la question de l'élargissement de sa gouvernance à plusieurs pays africains où se situe une part importante de son audience. Depuis 2024, les échanges se sont intensifiés avec sept pays : le Bénin, le Cameroun, le Congo, la Côte d'Ivoire, le Gabon, la République démocratique du Congo (RDC) et le Sénégal. Deux options ont été envisagées : soit une adhésion individuelle, soit une adhésion groupée avec les autres États africains consultés. Alors qu'une majorité de ces États se sont déclarés en faveur d'une adhésion groupée, un parcours d'adhésion à la gouvernance de TV5 Monde a été initié avec les États concernés.

À contre-courant de cet élargissement, TV5 Monde est également confrontée au risque de départ de la Suisse. En effet, le Conseil fédéral a adopté le 19 septembre 2025 un « programme d'allègement budgétaire 2027 » visant à réduire les dépenses publiques, qui prévoit notamment la fin de la contribution à TV5 Monde à compter de 2029. Un arrêt du financement suisse reviendrait à priver TV5 Monde de 8 millions d'euros, 11 % des programmes de l'antenne et 21 % des programmes de la plateforme. Un retrait d'un des pays bailleurs de fonds constituerait, au-delà des aspects économiques, un précédent de nature à fragiliser le modèle de la chaîne internationale francophone.

La décision de la Suisse doit encore être soumise à une votation populaire qui pourrait avoir lieu à l'automne 2026. D'ici là, le dialogue se poursuit et je m'interroge sur le rôle que pourrait jouer la diplomatie parlementaire afin de favoriser un maintien de la Suisse dans TV5 Monde.

En conclusion, je ne peux que partager les constats de Roger Karoutchi : le pire a sans doute été évité pour 2026 concernant les moyens de l'audiovisuel public extérieur, mais l'avenir est loin aujourd'hui de présenter toutes les garanties. Il manque une vision claire, une ambition affirmée et une incarnation pour porter une politique de réarmement informationnel comparable aux efforts déployés pour la défense.

Je propose donc également de donner un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 844, 847 et 848, sans cacher qu'un sursaut reste indispensable.

M. Cédric Perrin, président. - Les années se suivent et, malheureusement, se ressemblent. Alors que nous sommes ici particulièrement informés et mobilisés sur les enjeux de désinformation et de lutte informationnelle, il est parfois désarmant de constater la facilité avec laquelle nous sacrifions certains budgets, avant de regretter d'être progressivement évincés de partout. Nous sommes sur un toboggan et nous ajoutons encore de l'eau pour qu'il glisse plus vite : c'est, je l'avoue, assez décourageant. Nous avons aussi pour mission de sensibiliser l'ensemble de nos collègues à ces sujets.

S'agissant de la Suisse, je m'y rendrai la semaine prochaine, en ma qualité de président du groupe d'amitié, et je n'hésiterai pas à rappeler l'importance de ces enjeux. Les Suisses rencontrent des problématiques budgétaires similaires aux nôtres - certes à une autre échelle - et cherchent eux aussi à réduire leurs dépenses. Nous tentons de les convaincre de rester dans Interreg et dans TV5 Monde.

M. Rachid Temal. - Il serait temps que nous cessions d'être les idiots utiles. Non seulement nos capacités d'influence sont très limitées, mais elles servent aussi parfois de cheval de Troie, notamment en Afrique, pour faciliter la diffusion de programmes ou de technologies chinoises.

Nous nous prononcerons donc contre l'adoption de ces crédits, car nous ne pouvons pas continuer ainsi sans réagir. Certes, j'entends les arguments relatifs aux contraintes budgétaires et au fait que la situation aurait pu être pire ; je les partage en partie. Mais si nous n'envoyons pas un signal fort en tant que commission saisie pour avis, personne n'entendra que nous devons cesser de nous désarmer à l'heure où tous les pays mobilisent leurs médias et leurs technologies pour porter leurs idées.

Quelle est exactement la position de la commission des finances sur ces crédits budgétaires ?

M. Roger Karoutchi, rapporteur pour avis. - La commission des finances a émis un avis favorable sur les crédits de l'audiovisuel en général, y compris ceux de l'audiovisuel public extérieur. J'entends les arguments de Rachid Temal, et je pourrai, moi aussi, être tenté de voter contre ces crédits. Mais France Médias Monde et TV5 Monde sont déjà fragilisés par un carcan budgétaire très étroit, et je ne suis pas convaincu qu'un vote hostile stabiliserait ces structures, bien au contraire. Nous saurions pourquoi nous avons voté contre, mais, à l'extérieur de ces murs, beaucoup pourraient interpréter ce vote comme un rejet de l'audiovisuel public extérieur et l'annonce de son déclin.

À mes yeux, il faut en priorité une réforme de structure, car la double tutelle des ministères de la culture et des affaires étrangères est absurde. L'audiovisuel extérieur devrait relever d'une tutelle unique, celle du ministère des affaires étrangères, avec un seul interlocuteur et une ligne claire.

Si nous votons contre, je crains aussi que les salariés de ces médias, souvent installés à l'étranger, ne comprennent pas la nuance. Pour ma part, je reste donc sur l'idée d'un vote favorable. En séance publique, nous aurons largement l'occasion d'interpeller le Gouvernement et de lui dire clairement que nous ne pouvons pas continuer ainsi.

M. Cédric Perrin, président. - Plusieurs amendements viseront à abonder ce budget, la difficulté étant de déterminer où trouver les crédits...

M. Rachid Temal. - J'entends les arguments de Roger Karoutchi, mais les journalistes et professionnels de l'information savent lire et comprendre les nuances. Nous aurions pu accompagner notre avis négatif d'un communiqué de presse expliquant qu'il s'agissait d'interpeller le Gouvernement sur l'insuffisance des moyens consacrés à ces médias. Cela ne nous empêche pas ensuite de déposer des amendements pour abonder les crédits.

Nous partageons le diagnostic, pas la méthode.

M. Cédric Perrin, président. - Le débat en séance publique permettra à chacun de s'exprimer et aux rapporteurs de faire entendre leur point de vue. Des amendements pourront également être déposés. Pour ma part, je doute qu'un avis négatif sur les crédits constitue un bon signal.

M. Olivier Cadic. - Dans la véritable guerre informationnelle que nous vivons, la question des moyens est déterminante.

Le lien avec l'AFD est intéressant. Lorsque j'ai rencontré la présidente de TV5 Monde, elle m'a présenté un programme très positif de promotion des entrepreneurs africains, et je lui ai indiqué qu'il rejoignait certaines actions menées par l'Agence.

Je partage l'idée d'une tutelle unique, indispensable pour éviter la fragmentation de notre action. La tutelle du ministère des affaires étrangères, qui dispose lui-même d'outils dédiés - nous en parlerons dans le cadre du programme 105 -, me paraît s'imposer. Il faut faire apparaître une stratégie cohérente, ainsi que les moyens qui l'accompagnent.

Alors que nous allons étudier le budget de l'aide publique au développement, je m'interroge sur la meilleure manière de redonner de la cohérence à l'ensemble. Il est important de montrer au contribuable que nos actions peuvent porter leurs fruits. Comment imaginer un lien direct et lisible entre l'AFD et le financement de l'audiovisuel public extérieur ?

M. Roger Karoutchi, rapporteur pour avis. - L'AFD participe déjà au financement de certains programmes, et sa contribution est passée de 8 millions d'euros à 14,9 millions d'euros pour l'ensemble de l'audiovisuel public extérieur. Il y a donc un progrès, mais il reste insuffisant.

L'AFD peut déjà être impliquée dans les programmes de France Médias Monde et TV5 Monde, en particulier en Afrique, mais aussi en Asie ou en Amérique latine. Je ne sais pas si nous pouvons aller plus loin, mais le Gouvernement s'est en principe engagé à garantir l'effort de l'AFD sur les années 2027 et 2028. Nous verrons s'il tient ses promesses.

S'il faut, à mon sens, davantage de conventions et de coopérations entre TV5 Monde, France Médias Monde et l'AFD - les possibilités de projets communs sont nombreuses -, tout ne doit pas non plus reposer sur l'AFD. Si nous considérons que la guerre informationnelle fait partie intégrante de notre défense, les ministères des armées et des affaires étrangères doivent assumer leur part de responsabilité et accorder davantage de crédits à l'audiovisuel public extérieur.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 844, 847 et 848 de la mission « Avances à l'audiovisuel public ».

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