EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 3 décembre 2025, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits de la mission « Aide publique au développement » - programmes 110, 209, 365 et 370.
M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - Monsieur le président, chers collègues, nous arrivons au coeur des économies qui ont été demandées à notre commission dans le cadre des difficultés budgétaires que connaît actuellement notre pays. Avant de détailler cet effort considérable - en l'espace de deux ans, l'aide publique au développement (APD) aura perdu un tiers de ses moyens - je vous propose de prendre un peu de hauteur afin d'observer la manière dont ces politiques se répartissent à travers le monde.
Les trois dernières années ont été marquées par un reflux massif de l'APD en provenance des pays développés. Après un pic en 2022, l'aide n'a cessé de décroître et elle devrait retrouver en 2027 son niveau de 2019.
De manière générale, l'APD n'apparaît absolument plus comme une priorité. Les cinq plus gros contributeurs que sont les États-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni, le Japon et la France ont tous annoncé des perspectives de diminution, parfois spectaculaires comme aux États-Unis avec la quasi-extinction de l'USAID, mais même les pays les plus généreux comme le Danemark et la Suède reviennent sur de nombreux engagements.
Comment interpréter ce retrait ce reflux observé dans tous les pays, qui est absolument unique dans l'histoire de l'APD ?
Trois raisons peuvent être évoquées : tout d'abord, les déficits budgétaires qui frappent tous les pays traditionnellement engagés, et qui contraignent à revoir les priorités ; ensuite, il faut bien le dire, une forme de lassitude face à des défis qui peuvent paraître colossaux, que ce soit en termes d'économie, d'accès à l'alimentation, à l'eau, à l'éducation, à la santé... Force est de constater que les progrès enregistrés paraissent bien lents, ou à tout le moins insuffisamment valorisés. Enfin, on peut y voir la conséquence de la fin de la période multilatérale de notre histoire géopolitique, ce qui se traduit par un resserrement des pays autour de leurs priorités nationales, avec une bien moindre attention portée au reste du monde, et singulièrement à sa partie la plus pauvre.
Bien entendu, toutes ces raisons sont légitimes et compréhensibles. Cependant, pour avoir beaucoup travaillé sur ces sujets et m'être à de très nombreuses reprises rendu sur le terrain, je peux témoigner de l'intérêt de l'aide et de son efficacité quand elle est bien menée et rigoureusement contrôlée. En effet, l'APD n'est pas simplement une politique qui sert la morale : elle sert aussi nos intérêts et nourrit notre influence, dimension à laquelle notre commission ne peut être insensible.
En termes budgétaires, la France ne fait pas exception à la règle. Alors que loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales fixait un objectif de 0,7 % du revenu national brut (RNB) consacré à l'APD, elle ne cesse de diminuer, passant de 0,56 % en 2022 à 0,43 % en 2025 et très probablement moins en 2026. Notre contribution demeure à ce stade supérieure à la moyenne de l'OCDE, mais notre avantage tend à s'étioler.
La mission « APD » ne représente que 28 % des crédits de développement et son évolution est significative, que ce soit en termes relatifs, car elle ne représenterait en 2026 que 0,62 % du budget, contre 0,75 % en 2025 ; ou en termes absolus, avec une diminution des crédits de paiement (CP) de 16 % : en deux ans, les crédits auront ainsi fondu de 2 milliards d'euros, soit une diminution de 36 %.
Le constat est donc identique à celui de l'année précédente : la mission « APD » contribue massivement à notre effort de discipline budgétaire, ce qui est assez inquiétant à terme.
En termes de gouvernance, nous enregistrons cependant cette année un motif de satisfaction. En effet, la commission d'évaluation de l'APD, prévue à l'article 12 de la loi du 4 août 2021, devrait enfin commencer ses travaux en 2026. Au bout de cinq ans, il était temps ! Le Gouvernement a ainsi publié un décret le 8 février 2025 relatif à ses modalités de fonctionnement et a enfin défini le champ de ses missions. Les collèges d'experts ont été nommés, et le président du Sénat a désigné pour représenter notre institution nos collègues de la commission Hugues Saury et Marie-Arlette Carlotti, auxquels je souhaite bon courage dans cette tâche difficile.
Au-delà de ce délai absolument anormal, que nous dénonçons chaque année, les travaux de cette commission vont être d'une grande importance pour améliorer la redevabilité de l'APD française, et éclairer les parlementaires comme les citoyens sur l'utilisation et l'efficacité des crédits.
Je ne saurais que trop insister une nouvelle fois sur la nécessité pour notre APD de faire l'objet d'évaluations régulières afin de bien mesurer son efficacité, d'autant plus que les crédits se contractent.
Avant de donner la parole à Patrice Joly, je me dois de vous faire part de mon sentiment d'ensemble sur ces crédits. Nous avons tous, je crois, conscience de l'état de nos finances publiques et de la nécessité d'investir dans notre défense. Les crédits d'APD, en dehors d'un cercle d'experts, disposent finalement de peu de soutiens et sont par nature aisés à supprimer. Pour autant, il nous faut réfléchir à plus long terme au déploiement d'une stratégie nationale, dont les principes dont d'ailleurs été fixés dans la loi de 2001, et je veux résumer mes convictions autour des trois idées suivantes.
La première idée consiste à donner de la visibilité pluriannuelle à nos engagements de développement, car il s'agit d'un gage de crédibilité pour nos partenaires. L'amendement proposé par la commission des finances perturbe ainsi lourdement la vision globale que nous pouvons avoir de l'APD.
La deuxième idée vise à lier plus intimement notre présence militaire au développement : je suis persuadé que nous n'aurions pas eu à subir le douloureux retrait du Sahel si nous avions porté une plus grande attention au développement. Lorsqu'une zone est pacifiée, une brigade du développement doit immédiatement intervenir pour rétablir l'eau, reconstruire l'école et réorganiser la police et la justice, sans quoi d'autres acteurs s'en chargent : en l'espèce, les islamistes ont adopté cette stratégie dans les nombreux pays africains où notre présence a été gommée.
Enfin, ma troisième idée a trait au resserrement de notre politique autour de quelques priorités qui auront fait l'objet d'un vrai débat démocratique. Nous intervenons aujourd'hui sur l'ensemble des segments, ce qui finalement dilue et notre efficacité, et notre visibilité.
Sous réserve de ces remarques, dont nous aurons l'occasion de débattre lors de la nomination du futur directeur général de l'Agence française de développement (AFD), je recommande, avec toutes les retenues que l'on peut comprendre, un avis favorable sur les crédits de la mission « APD ».
Je n'aurais pas le même avis sur l'amendement de la commission des finances, en vous proposant de laisser nos collègues prendre leurs responsabilités : le dialogue que Patrice Joly et moi-même entretenons avec les ONG est extrêmement difficile, non pas à l'endroit de notre commission, mais parce qu'il faut tâcher de leur expliquer pourquoi l'APD supporte, une fois encore, l'essentiel de la diminution des crédits. Je ne soutiens donc pas la démarche de la commission des finances.
M. Patrice Joly, rapporteur pour avis - Monsieur le président, mes chers collègues, je vais rebondir sur le constat que vient d'établir Christian Cambon.
Au préalable, je tiens à rappeler les enjeux de l'APD et à citer des exemples qui donnent la mesure de ce qui est réalisé, même s'il arrive parfois que le succès ne soit pas au rendez-vous. Parmi les progrès permis par l'APD, la lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose a permis de sauver 60 millions de vies au cours des vingt dernières années ; en matière d'éducation, le nombre d'enfants non scolarisés au niveau secondaire a diminué de 30 % en l'espace de vingt ans, selon l'Unicef ; sans oublier la promotion et la protection des droits, quand bien même ce sujet reste délicat dans un certain nombre de pays.
Une diminution des crédits de l'ampleur qui a été évoquée ne sera donc pas sans conséquence pour les populations bénéficiaires, comme pour l'ensemble des réseaux d'acteurs et d'intervenants dans les pays directement concernés.
Le reflux mondial de l'aide aura un impact immédiat, notamment pour les pays les moins avancés (PMA), qui en étaient les premiers bénéficiaires. L'APD représente en effet pour eux 61 % des flux financiers, contre 21 % pour les autres pays aidés. Dès lors, ce sont ceux qui sont dans le plus grand besoin qui vont souffrir de l'attrition de l'aide mondiale.
Dans le domaine de la santé, une étude de la revue scientifique The Lancet de juillet 2025 estime que les seules coupes américaines pourraient entraîner 14 millions de morts supplémentaires d'ici à 2030, dont 4 à 5 millions d'enfants âgés de moins de cinq ans. Voilà la réalité très concrète de ce que représentent ces aides, les approches budgétaires conduisant parfois à une déshumanisation du sujet.
Comment le Gouvernement est-il parvenu à abaisser de 16 % les crédits en 2026 ? Il a eu recours à trois méthodes. Tout d'abord, l'aide multilatérale a été plus sévèrement impactée - avec une baisse globale de 22 % - que l'aide bilatérale, qui diminue de « seulement » 12 %. Nous revenons donc sur la politique de progression de nos contributions volontaires, ce qui aura un prix en termes d'influence : nos collègues qui étaient à l'Assemblée générale des Nations unies la semaine dernière pourront sans doute confirmer ce point.
Trois exemples permettent d'illustrer le propos : notre contribution au Fonds africain pour le développement sera divisée par deux sur la période 2026-2028, pour s'établir à 275 millions d'euros ; notre participation à l'Association internationale de développement (AID), le guichet de la Banque Mondiale, sera divisée par trois en moyenne annuelle entre 2026 et 2034 avec un montant de 1,1 milliard d'euros ; enfin, notre apport au Fonds mondial pour l'environnement sera réduit des deux tiers sur la période 2026-2030 à 100 millions d'euros.
Nous assistons donc bien à une forme de retrait de la France de ces instances pourtant capitales.
Le deuxième levier utilisé est celui des décalages de paiement. Cela signifie concrètement que, quand nous prenons un engagement, par exemple avec l'AID, nous choisissons de payer davantage chaque année à partir de 2027, et jusqu'en 2034. Dans le cas du Fonds vert pour le climat, nous avons ainsi obtenu d'étaler notre contribution sur une année supplémentaire pour minorer les dotations de 2025 et 2026. Cette technique, utile à court terme, aura pour conséquence dans les années à venir d'emboliser le système et de limiter notre faculté à agir sur le niveau de la dépense.
Enfin, le dernier levier correspond à des coupes massives dans la plupart des actions menées. Je vais prendre l'exemple le plus significatif, celui des crédits d'aide humanitaire. Ils diminueront de 41 % en 2026 - soit de deux tiers depuis 2024 -, alors que les besoins sont importants, comme l'a récemment rappelé l'exemple du Soudan.
Les mesures prises dans ce budget seront donc très douloureuses et devraient avoir un impact significatif en Afrique, puisque ce continent concentre, pour des raisons historiques, l'essentiel de notre aide, en particulier bilatérale.
À titre d'exemple, la chute des financements jusqu'à 60 % par rapport à 2022 aura des répercussions sur les campagnes de vaccination, le soutien aux hôpitaux communautaires et la lutte contre le VIH ; en matière d'éducation, l'APD pouvait représenter 50 % à 60 % du budget : on imagine la situation que cela va engendrer.
Cette situation me conduit à évoquer ce qui constitue, vous le savez, l'un de mes grands combats, celui de la taxe sur les transactions financières (TTF). Jusqu'en 2024, une fraction de cette taxe était attribuée au Fonds de solidarité pour le développement (FSD), également abondé par la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA). Pour des raisons juridiques, la loi de finances pour 2025 a coupé ce lien pourtant historique entre ces ressources et l'aide au développement. Néanmoins, le Gouvernement a décidé de maintenir les crédits du FSD, qui s'établissent en 2026 à 738 millions d'euros.
L'an dernier, nous avions augmenté le taux de la TTF de 0,3 % à 0,4 %, ce qui avait rapporté entre 600 et 700 millions d'euros : malheureusement, cette somme n'est pas venue abonder le fonds, mais a été réaffectée au budget général. Notre groupe proposera de prendre exemple sur la Grande-Bretagne - pays dont ne peut pas dire qu'il n'est pas attentif à la finance en général -, qui applique un taux de 0,5 %, ce qui pourrait permettre de couvrir les crédits du FSD.
Il conviendrait, en outre, de se pencher sur les modalités du recouvrement de cette taxe, car son rendement pourrait vraisemblablement être amélioré sans augmenter le taux.
Je voudrais achever mon propos avec deux points de vigilance qui concernent l'AFD, bras armé de l'État en matière d'APD.
D'une part, l'Agence attend toujours son contrat d'objectifs et de moyens (COM), le précédent ayant expiré en 2022. Il en résulte une absence d'orientations précises, ce qui est fort dommageable, tandis que le directeur général de l'AFD occupe sa fonction par intérim, ce qui interroge.
D'autre part, la banque de l'AFD, qui menait par le passé des actions de solidarité en lien avec les ONG, n'envisage plus que des actions de développement reposant sur un modèle économique solide : il est regrettable que les orientations de cet établissement financier ne soient pas liées à des orientations définies politiquement.
Pour toutes ces raisons, mon avis sera défavorable. Je déplore, plus largement, la diminution des crédits d'influence que nous avons pu constater en examinant chacune des missions : ces choix sont très désarmants, au sens propre du terme.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Depuis trois ans, l'APD a connu une série de coupes budgétaires drastiques, une nouvelle baisse extrêmement significative étant prévue en 2026. Jamais nous n'avons connu une crise d'une telle ampleur !
Il est donc urgent et important, mes chers collègues, de mesurer les conséquences de nos votes sur le terrain. Outre le fait que l'APD contribue au rayonnement de la France et que sa diminution entraînera un recul de l'influence de notre pays dans le monde, cette aide a un impact direct et indirect sur des dizaines de millions de personnes chaque année, en particulier dans les dix-neuf pays prioritaires dont nous avions établi la liste ici même, lors de la préparation de la loi du 4 août 2021.
Très concrètement, la validation de ces coupes revient à assumer le fait que 53 millions de personnes ne bénéficieront plus du soutien de l'AFD, dont 27 millions de personnes en Afrique, alors que nous avons un besoin urgent de renouer des liens solides avec ce continent.
De la même manière, 2 millions de personnes ne bénéficieront plus d'un accès aux services de santé ; 1 million de personnes ne pourront plus accéder à l'eau potable et plus de 100 000 exploitations agricoles familiales ne seront plus soutenues...la liste peut encore être complétée, notamment par les 10 000 salariés à 15 000 salariés d'associations qui sont en train de perdre leur travail.
Pourtant, des solutions existent pour venir en aide à l'APD - j'allais même dire pour la sauver -, dont le rehaussement du taux de la TTF et son affectation à ladite aide.
Il est de notre devoir, au sein de cette commission, de sauver l'APD de la France, et je regrette que certains développent les mêmes arguments pour finalement aboutir à un vote favorable.
En ce qui concerne, nous voterons contre ce budget.
M. Guillaume Gontard. - Nous voterons également contre ces crédits, et, pour aller dans le même sens que ma collègue, je peine à comprendre l'avis du rapporteur Christian Cambon après le discours qu'il a tenu, et que je partage en grande partie.
L'APD est un instrument concret de la solidarité internationale et notre pays s'écarte encore un peu plus de ses engagements. Or la France ne peut pas se contenter d'un discours d'influence quand les moyens de sa diplomatie solidaire s'amenuisent : une véritable politique de coopération ne se mesure pas en tribunes, mais bien en crédits budgétaires.
Les coupes budgétaires opérées au sein de cette mission contredisent nos objectifs de justice climatique, de soutien aux droits humains, à la santé et à l'éducation pour tous : tout cela est d'autant plus incompréhensible dans un contexte marqué par des crises multiples - guerres, chaos climatique, migrations forcées, etc.
Je rappelle, enfin, que l'APD représente aussi un moyen de renforcer la présence des entreprises françaises, car les projets soutenus par la France offrent souvent des opportunités aux savoir-faire français, qu'il s'agisse de l'eau, de l'énergie ou de la santé.
En réalité, ces baisses successives sont un bien mauvais calcul pour l'avenir et ne sont guère raisonnables.
M. Olivier Cadic. - Siégeant au conseil d'administration de l'AFD, je ne peux que souscrire aux propos de notre rapporteur Christian Cambon et alerter sur la nécessité de redéfinir notre vision globale de l'aide au développement, afin que chacun comprenne son importance.
J'ai visité le centre national de transfusion sanguine en Mauritanie, structure que nous avons aidé à mettre en place : 35 % des besoins sont déjà couverts et un plan en cours de déploiement vise à atteindre 100 % des besoins d'ici à 2030. L'AFD mène donc un véritable travail pour accompagner le développement ; s'il n'était pas utile, les terroristes ne s'en prendraient pas en priorité aux hôpitaux et aux écoles afin de pousser la population à quitter les campagnes et de créer les conditions d'un basculement des pays.
C'est très précisément ce travail de développement qui est attaqué au Sahel, d'où la nécessité de faire prendre conscience à nos citoyens de son importance, et de le soutenir.
M. Cédric Perrin, président. - Comme je l'ai indiqué au rapporteur général, la commande de 300 millions d'euros passée à Alstom par l'Ukraine apportera de l'activité et de l'emploi en France, grâce à des crédits qui sont aussi liés à l'APD. Nous parvenons à placer nos produits et à positionner nos entreprises en participant à ce type de financements, et nous le répéterons autant que nécessaire.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 110 « Aide économique et financière au développement », 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », 365 « Renforcement des fonds de l'Agence Française de Développement », 370 « Restitution des biens mal acquis » et 384 « Fonds de solidarité pour le développement » de la mission « Aide publique au développement ».